URL originale : https://books.openedition.org/irdeditions/44443
La Polynésie, source de molécules innovantes
p. 138-141
Texte intégral
Résumé
Les océans représentent le plus grand espace encore inexploré sur Terre et contiennent une immensité d’organismes vivants non identifiés.
Les bactéries marines, en particulier, restent encore à plus de 95 % inconnues et sont donc une source future de nouvelles molécules présentant des applications dans de nombreux domaines.
Dans ce cadre, la Polynésie française, avec un espace maritime aussi vaste que l’Europe, dispose d’un réservoir exceptionnel de ressources naturelles non explorées.
Des études écologiques entamées il y a 20 ans ont ainsi permis d’identifier quelques-unes de ces ressources et de mettre en place des programmes de Recherche & Développement associant scientifiques et industriels qui ont confirmé un potentiel large (actifs biologiques, plastiques biodégradables, produits de traitement environnement…).
Ces résultats maintenant exploités ont donné naissance à une nouvelle filière de valorisation économique en PF et amené la création d’une première entreprise dédiée à la production industrielle des molécules identifiées.
Tumu parau
Te moana, hoê ārea rahi roa teie fāfā-òre-hia i te ao nei, i reira e rave rahi mau mea oraora aore ā i tāpaò-pauroa- hia, e ora ai. 95 % e hau atu ā mau pātēria moana (bactéries) tei òre ā i tuatāpapahia e tē riro ei puna no ananahi no te mau huà hīmio e hinaarohia nei i roto i te mau faaòhiparaa e rave rau.
I roto i teie feruriraa parau, ua riro ò Porinetia farāni e to na moana nui, rahi atu ia Europa, ei vairaa no te mau faufaa natura fāfā-òre-ā-hia.
Ua ravehia te mau māìmiraa i te pae o te natura a 20 matahiti i teie nei e na te reira i faaìte mai i te tahi mau hotu e tano ia haafaufaa na roto i te mau tāpura òhipa rave-âmui-hia e te feiā ìhi e te mau òna.
No roto mai i taua mau òhipa ra i âvarihia ai hoê tuhaa òhipa âpī i te pae o te faaravaìraa faufaa no Porinetia farāni e ua haamauhia te taiete mātāmua ò tē hāmani i te mau huà hīmio tuātāpapahia.
1Les océans, qui représentent les 2/3 de notre planète, abritent de nombreux écosystèmes uniques et variés impliquant une très grande diversité au niveau des êtres vivants qui les colonisent.
2Les poissons, les coquillages et les crustacés sont les plus connus des organismes marins, or ils ne représentent qu’une petite partie de la vie marine. Parmi les « oubliés » des océans, les micro-organismes marins ont été longtemps écartés des programmes de recherche, si bien que de nos jours seuls une infime partie d’entre eux est connue. En effet, des expertises récentes ont révélé qu’environ 3 % des bactéries marines ont été découvertes.
3Un grand nombre d’écosystèmes marins offre des conditions de vie très particulières, voire extrêmes. Pour coloniser ces habitats, les micro-organismes ont été obligés d’adapter leurs métabolismes, ce qui se traduit souvent par la production de molécules fonctionnelles spécifiques. Ainsi, chaque habitat particulier est susceptible d’abriter des micro-organismes uniques qui produisent des molécules différentes et nouvelles par rapport à toutes celles qui ont été étudiées jusqu’alors. Cela intéresse plusieurs secteurs industriels qui sont constamment à la recherche de nouvelles molécules d’origine naturelle, c’est le domaine de la « chimie verte ».
4Ce domaine concerne entre autres les molécules qui sont utilisées dans le milieu médical, en agriculture et aquaculture, en environnement, ou encore dans l’industrie des cosmétiques, toujours très demandeuse de molécules innovantes d’origine naturelle. Actuellement, environ 30 % des actifs commercialisés dans le monde sont d’origine naturelle et représentent 150 000 molécules issues de plantes, d’animaux et de micro-organismes. Parmi ces actifs, moins de 10 % sont issus d’organismes marins. Il en est de même pour les 50 000 actifs produits par des micro-organismes qui ne concernent que quelques centaines de souches marines.
5Du fait de la grande diversité des écosystèmes marins et de leur investigation réduite, ces derniers présentent donc un potentiel beaucoup plus important en tant que source de nouvelles molécules actives que les écosystèmes terrestres. Cela s’est d’ailleurs vérifié durant les 10 dernières années par le déclin du nombre de nouvelles molécules découvertes à partir d’organismes terrestres, alors que le nombre des nouvelles molécules produites par des micro-organismes marins est en pleine expansion.
Les îles polynésiennes présentent des écosystèmes marins variés

Kopara (tapis microbien).
6L’espace maritime de la Polynésie française couvre un territoire aussi vaste que l’Europe et abrite donc de nombreux écosystèmes marins aussi divers que variés.
7L’un des écosystèmes les plus particuliers que l’on trouve sur les îles polynésiennes est celui des tapis microbiens ou « kopara ».
8Localisés en majeure partie sur certains atolls de l’archipel des Tuamotu, ils ont été particulièrement étudiés ces vingt dernières années.
9Ces tapis microbiens sont des communautés complexes qui se développent dans des mares d’eau saumâtre à hypersalée et abritent des micro-organismes très divers et particuliers. Ils présentent une structure stratifiée due à la distribution verticale des micro-organismes présents suivant les gradients importants de lumière, oxygène, sulfures et pH en fonction de leurs besoins nutritionnels propres.
10Dans un premier temps, des équipes de recherche fondamentale regroupant des chercheurs de l’université de Polynésie française et du centre IRD de Tahiti se sont ainsi intéressées à l’écologie de ces systèmes très particuliers.
11Ces premières études ont permis, à côté des résultats obtenus sur l’organisation écologique de ces structures, de mettre en évidence la présence de molécules pouvant présenter des propriétés originales.
12Les interactions et échanges engagés sur le sujet avec des acteurs polynésiens du monde de la recherche appliquée associés à l’Ifremer ont ensuite permis la mise en place de programmes de Recherche & Développement associant scientifiques et industriels pour étudier le potentiel de valorisation de ces molécules.
L'espace des molécules innovantes polynésiennes
13Ces partenariats ont conduit à élargir le champ des recherches sur les microorganismes marins polynésiens en constituant les bases d’une collection de bactéries marines provenant d’échantillons collectés sur l’ensemble des archipels de Polynésie française. Plusieurs thèses ont été menées par des étudiants polynésiens sur les axes de développement définis par les acteurs industriels porteurs d’un projet de valorisation de ces études. Les travaux les plus aboutis ont ainsi permis d’identifier la possibilité de synthèse de plusieurs types de molécules présentant des caractéristiques de valorisation industrielle dans de nombreux domaines.

14La caractérisation des molécules produites par certaines des souches bactériennes polynésiennes concerne les ExoPolySaccharides (EPS) et les Polyhydroxyalcanoates (PHAs). Les EPS représentent une classe de macromolécules importante, aussi bien en termes de diversité moléculaire que d’applications. Bon nombre de ces molécules sont d'ores et déjà exploitées industriellement dans divers domaines pour leurs propriétés épaississantes, gélifiantes, texturantes, émulsionnantes et, de plus en plus, pour leurs propriétés biologiques.
15La caractérisation de certains EPS polynésiens a montré la présence de nombreux groupements chimiques particuliers qui suppose des propriétés chimiques et/ ou biologiques intéressantes ; les synergies d’actions mises en place ont ainsi permis d’identifier certaines propriétés décrites ci-dessous :
Chélation des métaux
16À partir de leur composition chimique, certains EPS étudiés étaient susceptibles d’avoir des propriétés de fixation des métaux lourds. Cela a été prouvé par des essais en laboratoire, et les résultats les plus remarquables sont une chélation de 240 mg de fer et jusqu’à 625 mg de cuivre par gramme d’EPS. Cette propriété est très intéressante dans le secteur de la dépollution.

Activités biologiques
17Plusieurs EPS polynésiens ont également révélé certaines activités biologiques (régénération de cellules, hydratation, protection) avec des applications potentielles dans le secteur des cosmétiques. Par exemple, l’un des polymères étudiés est un inhibiteur puissant de l’activité de stockage des acides gras au niveau des adipocytes. Ce composé pourrait donc être utilisé comme actif amincissant dans des crèmes cosmétiques.
18Dans un autre domaine, la possibilité de synthèse de plusieurs Polyhydroxyalcanoates (PHAs) a aussi été identifiée. Les PHAs sont des polyesters naturels produits par certaines bactéries.
19Ces polymères sont accumulés au sein des cellules bactériennes sous forme de granules et correspondent à une mise en réserve de carbone et d’énergie. Ils sont donc entièrement biodégradables puisque destinés à l’origine à être consommés durant une période de carence en nutriments.

Granules de PHAs
20Ils présentent donc une alternative aux matériaux synthétiques (plastiques) dans de nombreux domaines d’application : environnement (emballages biodégradables) ; agriculture et horticulture ; chimie (synthèse, adhésifs) ; secteur médical (prothèse, sutures).

Biodégradation d'emballage PHA en 2 mois
Pacific Biotech : une plate-forme industrielle de culture bactérienne pour la production de molécules innovantes
21Après 10 années d’études collaboratives, les résultats acquis ont abouti à la création de la première société polynésienne dans le secteur des biotechnologies et à la valorisation de ressources naturelles jusque-là inexploitées. Basée sur l’île de Tahiti, Pacific Biotech a pour objectif de produire à l’échelle industrielle des molécules innovantes par fermentation microbienne à partir de souches provenant de l’ensemble de la Polynésie. La création de la société a permis la création d’emplois hautement qualifiés et l’embauche de l’ensemble des étudiants polynésiens ayant participé aux différents programmes de Recherche & Développement.
22Plusieurs des molécules identifiées sont désormais produites à échelle industrielle et font l’objet d’une commercialisation essentiellement tournée vers l’exportation.
23Les synergies d’actions entre les acteurs du monde de la recherche et ce nouveau secteur industriel polynésien continuent à être très actives, permettant ainsi d’envisager un fort potentiel de développement en termes de création d’activité et de valeur ajoutée propre aux ressources naturelles mises en évidence.
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50 ans de recherche pour le développement en Polynésie
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