URL originale : https://books.openedition.org/irdeditions/44380
Le miconia, « cancer vert » des forêts tropicales du Pacifique
p. 58-67
Texte intégral

Invasion du miconia.
© F. Charleux
1Le miconia (Miconia calvescens) est un petit arbre introduit en Polynésie française comme plante ornementale. Il a envahi les forêts naturelles humides, menaçant de faire disparaître de nombreuses plantes endémiques. Les études menées sur cette espèce ont permis d’élaborer des méthodes de lutte efficaces et de freiner son invasion.
Résumé
Un programme de recherche a été initié en 1988 par le Territoire/gouvernement de la Polynésie française et l’Orstom/IRD afin de lutter contre le miconia, un petit arbre extrêmement envahissant dans les forêts tropicales de la Polynésie française où il a été introduit comme plante orne mentale. Les études menées sur son origine, ses modes d’introduction, sa répartition, sa biologie et son écologie ont permis de mieux comprendre le processus d’invasion et de mettre au point des stratégies et des méthodes de lutte aujourd’hui utilisées par les gestionnaires de Polynésie française et dans d’autres îles et régions tropicales du Pacifique (Australie, Hawaii, Nouvelle-Calédonie) envahies par cette espèce.
Tumu parau
Mai te matahiti 1988, ua ômuahia te hoê tāpura māìmiraa e te hau fenua no Porinetia farāni e te pū ORSTOM/IRD no te ārai i te miconia, ò te hoê tumu rāau haehaa teie e âere noa atu ra na roto i te mau uru rāau no Porinetia farāni i reira hoì ò ia i faaō-mātāmua-hia ai ei rāau faaneheneheraa. Ua hiòpoà-maite-hia to na tumu, na hea ò na i ō mai ai i Porinetia farāni, na hea ò na i parare atu ai i te mau motu, te huru o to na tupuraa e te mau vāhi e au ia na. Na te reira mau haamāramaramaraa i òhie ai i te faataa i te mau rāveà e tano no te tinai i taua tumu rāau ra i Porinetia farāni nei e tae noa atu i te tahi atu mau motu àhuāraì mahana-hana ò tē âere-atoà-hia nei e teie tumu rāau (Auteraria, Vāihi, Niu Taratoni).
Les invasions biologiques, menace sur la biodiversité des îles

Invasions du miconia près d'un sentier à Taravao (Tahiti)
© JY. Meyer
2Les espèces introduites envahissantes (dites « invasives ») sont considérées comme l’une des principales causes de l’érosion de la biodiversité dans le monde, particulièrement dans les écosystèmes insulaires considérés comme plus vulnérables aux perturbations anthropiques, notamment l’introduction intentionnelle ou accidentelle d’espèces. Parmi les exemples célèbres d’espèces invasives figurent : le rat noir Rattus rattus, la mangouste Herpetes auropunctatus, le serpent Boiga irregularis et les chats ensauvagés ayant causé l’extinction ou la raréfaction de nombreux oiseaux endémiques dans les îles du Pacifique ; l’escargot carnivore Euglandina rosea ayant décimé les petits escargots arboricoles endémiques (notamment les Partula en Polynésie française) ; les fourmis prédatrices comme Linepithema humile ou la petite fourmi de feu Wasmannia auropunctata à l’origine de la régression des communautés d’insectes indigènes et endémiques ; les ongulés herbivores (chèvres, moutons, cochons, cerfs…) causant la destruction de la végétation et l’érosion du sol ; les micro-organismes pathogènes comme la rouille Puccinia psidii infectant les plantes de la famille des Myrtacées. Même s’il n’existe aucun cas documenté d’extinction d’espèce causée par des plantes envahissantes, celles-ci sont capables de déplacer des plantes indigènes, d’éliminer des populations locales d’espèces endémiques (on parle alors d’« extirpation ») et surtout de modifier le fonctionnement des écosystèmes et leurs services associés : baisse de la lumière en sous-bois, augmentation du régime des feux, assèchement des rivières, altération du cycle des éléments minéraux dans le sol, glissements de terrain, etc. Aux impacts écologiques directs s’ajoutent aussi des effets négatifs indirects sur l’économie (agriculture, foresterie, tourisme), la santé humaine (transmission de maladies, piqûres) et la culture (perte d’espèces « patrimoniales », comme les plantes médicinales traditionnellement utilisées).

Forêt dense de miconia à Tahiti.
© JY. Meyer

Jeune plant de miconia à Tahiti.
© E. Killgore
Le miconia, envahisseur idéal
3Le miconia, Miconia calvescens De Candolle (famille botanique des Mélastomatacées), est un petit arbre de 6-12 m de hauteur, originaire d’Amérique tropicale, et introduit à Tahiti en 1937 comme plante ornementale en raison de ses grandes feuilles, pouvant atteindre 80 cm de longueur, à revers pourpre. Après une phase de « latence » de quelques décennies, la plante s’est propagée dans les années 1970 dans toutes les forêts naturelles humides de l’île, du niveau de la mer jusqu’en forêt de nuages à 1 400 m d’altitude, menaçant de faire disparaître une cinquantaine de plantes endémiques insulaires. Devenue la principale plante invasive des îles de la Société (avec plus de 80 000 ha envahis à Tahiti, 3 500 ha à Moorea et 470 ha à Raiatea), l’espèce est également envahissante aux îles Hawaii (plus de 10 000 ha), où elle a été introduite dans les années 1960 en provenance de Tahiti, et a commencé à s’établir dans les forêts tropicales de la Province Sud en Nouvelle-Calédonie, du Queensland en Australie et du Sri Lanka. Le miconia est actuellement devenu l’un des exemples les plus célèbres d’invasion biologique dans les îles tropicales.
4Ses caractéristiques bio-écologiques en font un redoutable compétiteur pour la flore indigène et endémique : vitesse de croissance rapide (0,5 à 1,5 m par an), âge de reproduction précoce (après 4 à 5 ans), système de reproduction efficace (auto-fécondation des fleurs hermaphrodites), production prolifique de graines (3 saisons de reproduction par an et plusieurs millions de graines produites pour un seul arbre reproducteur), mode de dissémination des fruits performant (petites baies consommées et disséminées par les oiseaux endémiques et introduits) et sur de longues distances, capacités de germination fortes (jusqu’à 90 %), taille et longévité de la banque de graines dans le sol exceptionnelle (10 000 à 50 000 graines par m² de sol et dormance dépassant 16 ans). La tolérance de ses plantules à l’obscurité du sous-bois lui a permis de pénétrer dans des forêts naturelles intactes, sans forcément nécessiter une perturbation comme un chablis ou une trouée. La structure et la composition en espèces simplifiées dans les forêts insulaires de Polynésie française et de Hawaii par rapport aux forêts tropicales continentales, associées à une plus faible hauteur de la canopée (entre 8 et 15 m au maximum), ont également été des facteurs importants ayant facilité le processus d’invasion. Enfin, les cyclones ont probablement facilité l’expansion du miconia en ouvrant la canopée, notamment dans les forêts tropicales d’Australie.

Inflorescence de miconia.
© JY. Meyer

Infrutescence de miconia.
© JY. Meyer
Stratégie et méthodes de lutte

Culture du champignon pathogène en laboratoire à l’Institut Malardé à Tahiti.
© JY. Meyer
5La stratégie de lutte contre le miconia est l’éradication dans les îles les moins envahies (cas de Nuku Hiva et Fatu Hiva aux Marquises, de Oahu et Kauai aux îles Hawaii, de la Province Sud en Nouvelle-Calédonie, et dans le Queensland en Australie), et le contrôle ou confinement dans les îles plus envahies (cas de Raiatea dans l’archipel de la Société, Maui aux îles Hawaii), avec comme priorité l’élimination des arbres reproducteurs capable de produire des millions de graines par an. Les méthodes classiquement utilisées sont la lutte manuelle et chimique par arrachage des plantules et jeunes plants, coupe des arbres et traitement des souches avec un herbicide (à base de glyphosate ou de triclopyr) dans les zones les moins infestées, et la lutte biologique par l’introduction d’un champignon pathogène (Colletotrichum gloeosporioides forma specialis miconiae ou Cgm), hautement spécifique du miconia, dans les zones les plus envahies. Le Cgm, découvert au Brésil, a été introduit aux îles Hawaii en 1997 et à Tahiti en 2000 suite à des tests d’efficacité et de spécificité à l’hôte conduits en laboratoire en collaboration avec le Hawaii Department of Agriculture et l’Institut Louis-Malardé. Ce champignon imparfait cause une maladie foliaire (appelée anthracnose) qui se manifeste par des lésions (« tâches ») sur les feuilles et parfois un pourrissement des tiges conduisant à la mort des plantules (plus de 70 % de mortalité au laboratoire).

Dégâts foliaires causés par le champignon pathogène Cgm sur une feuille de miconia.
© Ravahere Taputuarai

Le revers pourpre du miconia en faisait une jolie plante ornementale... avant de devenir un envahisseur redoutable.
© F. Charleux
Quel futur pour les forêts polynésiennes ?
6Des campagnes de lutte manuelle organisées à Raiatea entre 1992 et 2008 par le Service du développement rural, la Direction de l’environnement et la Délégation à la recherche, et avec l’aide des Forces armées, des scolaires de l’île et d’associations locales, ont permis de freiner l’extension du miconia sur l’île de Raiatea, mais l’arrêt des opérations pour des raisons financières, associées à une baisse de la motivation des participants, est devenu problématique pour le futur. Le suivi scientifique de l’effet de la lutte biologique effectué par la Délégation à la recherche dans des placettes permanentes en forêts d’altitude envahies par le miconia à Tahiti a montré une régénération des plantes indigènes et endémiques en sous-bois, notamment de certaines espèces auparavant considérées comme menacées de disparition (comme les arbrisseaux Ophiorrhiza spp. , les arbustes Psychotria spp. ou le petit arbre Myrsine longifolia). Cependant l’agent pathogène de lutte biologique est peu efficace à basse altitude où la ré-invasion par d’autres plantes envahissantes est parfois observée. Il existe en effet de nombreuses autres espèces végétales invasives dans les forêts tropicales de la Polynésie française : des arbres comme le tulipier du Gabon (Spathodea campanulata, Bignoniaceae), le goyavier-fraise (Psidium cattleianum, Myrtacées), le falcata (Albizia moluccana, Légumineuses), des arbustes comme le lantana (Lantana camara, Verbénacées) ou le framboisier (Rubus rosifolius, Rosacées), des herbacées comme le mélinis (Melinis minutiflora, Poacées) ou des lianes comme Mikania scandens (Astéracées) ou Passiflora maliformis (Passifloracées) qui doivent faire l’objet de programmes de gestion active, en particulier lors de projets de restauration d’habitats naturels dégradés ou perturbés.

Myrsine longifolia, petit arbre endémique de Tahiti, présente une meilleure régénération après la lutte biologique contre le miconia.
© JY. Meyer
Conclusions

Association locale de l’île de Raiatea ayant participé aux campagnes d’arrachage du miconia.
© JY. Meyer
7Si l’invasion du miconia a été catastrophique pour la biodiversité terrestre de la Polynésie française, elle a également permis une prise de conscience des autorités et des populations locales sur les dangers que peuvent représenter les espèces introduites (dites « exotiques ») pour l’environnement. Dès les années 1990, des campagnes de sensibilisation et des programmes d’éducation ont été menés et une réglementation spécifique sur les espèces envahissantes a été élaborée (Délibération sur la protection de la nature votée en 1996, Comité interministériel de lutte contre les espèces envahissantes créé en 1998, liste de 35 plantes menaçant la biodiversité établie en 2006), une première pour l’ensemble des collectivités françaises d’Outre-mer. Outre le renforcement du système de biosécurité aux frontières, les études menées sur le miconia en Polynésie française ont également permis d’inspirer le développement de stratégies et plans d’action dans d’autres îles du Pacifique, tout en renforçant une collaboration régionale et internationale entre chercheurs et gestionnaires.

Équipe de lutte contre le miconia sur l’île de Nuku Hiva aux Marquises.
© JY. Meyer
Remerciements
Pour leur collaboration ou participation active aux programmes de recherche et de lutte contre le miconia durant les 20 dernières années, je remercie le Gouvernement (ex-Territoire) de la Polynésie française, l’université de Montpellier-II, l’IRD (ex-Orstom) et son centre de Tahiti, le Cefe-CNRS de Montpellier, l’University of Hawaii et le Hawaii Department of Agriculture, l’Institut Louis-Malardé, le Service du développement rural, la Direction de l’environnement (ex-Délégation à l’environnement) et la Délégation à la recherche de la Polynésie française, notamment ses déléguées successives, Simone Grand, Isabelle « Bella » Perez, et Priscille « Tea » Frogier pour leur soutien moral et financier, sans oublier tous les étudiants et chercheurs ayant contribué à l’acquisition des connaissances sur le miconia en Polynésie française. Cet article est dédié au Dr. Lloyd L. Loope (retraité de l’USGS, Haleakala National Park, Maui, Hawaii) pour son implication dans la lutte contre les espèces envahissantes dans les îles du Pacifique, plus particulièrement du miconia aux îles Hawaii.
Mauruuru roa, mahalo nui loa
Bibliographie
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Bibliographie
Ouvrages et revues
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Meyer, J.-Y. and Smith, C. W. (eds.) 1998. Proceedings of the First Regional Conference on Miconia Control, August, 26-29, 1997, Papeete, Tahiti. Gouvernement de Polynésie française, University of Hawaii at Manoa, Centre Orstom de Tahiti.
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Meyer, J.-Y., Florence, J. and Tchung, V. 2003. Les Psychotria spp. (Rubiacées) endémiques de Tahiti (Polynésie française) menacés par l’invasion de Miconia calvescens (Melastomatacées) : statut, répartition, écologie, phénologie et protection. Revue d’Ecologie (Terre Vie) 58 : 161-185.
Meyer, J.-Y., Duplouy A. and Taputuarai, R. 2007. Dynamique des populations de l’arbre endémique Myrsine longifolia (Myrsinacées) dans les forêts de Tahiti (Polynésie française) envahies par Miconia calvescens (Mélastomatacées) après introduction d’un champignon pathogène de lutte biologique : premières investigations. Revue d’Ecologie (Terre et Vie) 62 : 17-33.
Murphy, H. T., Hardesty, B. D., Fletcher, C. S., Metcalfe, D. J., Westcott, D. A. and Brooks, S. J. 2008. Predicting dispersal and recruitment of Miconia calvescens (Melastomataceae) in Australian tropical rainforests. Biological Invasions 10: 925-936.
Pouteau, R., Meyer, J .-Y. and Stoll, B. 2011. A SVM-based model for predicting distribution of the invasive tree Miconia calvescens in tropical rainforests. Ecological Modelling 222: 2631-2641.
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Annexe
Lexique
B
Biosécurité
Système ou mesures de protection des frontières contre l’introduction d’espèces potentiellement envahissantes dans les écosystèmes naturels ou nuisibles pour les cultures.
C
Canopée
Partie supérieure de la couronne des arbres, et plus généralement la limite supérieure de la couverture forestière.
E
Écosystème
Système biologique complexe formé par un environnement physico-chimique (« biotope ») associé à l’ensemble des organismes vivants (« biocénose ») et de toutes leurs interactions.
Endémique
Espèce propre à une région géographique donnée, d’aire souvent restreinte (cas des endémiques insulaires propres à une seule île, voire des espèces endémiques à un pic montagneux ou à un plateau).
I
Indigène
Espèce occupant naturellement une région, non introduite par l’homme (appelée également « autochtone »).
Invasion biologique
Phénomène d’expansion d’une espèce (animale, végétale ou microbienne) introduite volontairement ou accidentellement par l’homme dans une région où elle n’existait pas, et ayant des conséquences écologiques, socio-économiques ou sur la santé humaine.
L
Lutte biologique
Méthode de lutte utilisée contre les espèces envahissantes ou les ravageurs des cultures consistant à introduire des prédateurs, parasites ou pathogènes spécifiques (appelés « ennemis naturels ») afin de réduire durablement leurs effectifs.
P
Pathogène
Organisme (en général un champignon, un parasite ou un virus) qui provoque une maladie chez les végétaux se traduisant par des symptômes de dépérissement, pourrissement ou nécrose pouvant causer la mort de la plante.
Perturbation
Modification ou dégradation de l’environnement pouvant être d’origine naturelle (cyclones, glissements de terrain) ou anthropique, c’est-à-dire causée par les activités humaines directes (déforestation, feux, pollutions…) ou indirectes (introduction d’espèces, réchauffement climatique…).
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50 ans de recherche pour le développement en Polynésie
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50 ans de recherche pour le développement en Polynésie
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