Conclusion
p. 89-90
Texte intégral
1Les résultats obtenus grâce aux enquêtes-cadres menées en 2012 et 2014 par l’UEMOA sur les pêches artisanales continentales et maritimes dans ses États membres ont confirmé certaines suppositions qui étaient souvent faites sur ce secteur économique tout en faisant apparaître des tendances ou contrastes jusqu’alors peu connus ou peu exprimés.
2Ainsi, pour la pêche continentale, la grande dispersion géographique de l’activité au sein des territoires des États, la prépondérance des stratégies de polyactivité avec un taux élevé de pratique agricole, chez les ménages pêcheurs, le faible niveau de scolarisation des enfants de ménages pêcheurs ou encore l’importance du rôle professionnel joué par les femmes dans le sous-secteur étaient des résultats attendus qui ont pu être confirmés et précisés par l’enquête de 2012. Mais d’autres résultats sont plus surprenants. Ainsi, alors que le sous-secteur des pêches continentales apparaît significatif en taille, en termes de nombre de ménages impliqués et qui en tirent des revenus, son rôle dans l’autosuffisance alimentaire des États doit maintenant être recadré dans certaines limites : il s’agit en effet davantage, pour la plupart des États, de contribuer à la sécurité alimentaire « locale », au niveau des régions rurales, que de combler la totalité des besoins alimentaires des populations au niveau national. De même, l’importance du rôle joué par les migrants issus des pays voisins dans le fonctionnement de ce sous-secteur apparaît aujourd’hui de façon claire pour certains États, comme la Côte d’Ivoire et le Togo. En outre, des contrastes très forts de statut du sous-secteur se dessinent entre les États où la pêche continentale constitue un pôle socioculturel à part très original, comme au Mali, et ceux où il s’agit simplement d’une opportunité d’activité génératrice de revenus, complémentaire de l’agriculture, adoptée récemment par une partie minoritaire mais non négligeable de la population rurale.
3Pour la pêche artisanale maritime, les données de l’enquête ont fait ressortir des profils assez contrastés parmi les cinq pays concernés. Ainsi, on peut distinguer deux groupes de pays, l’un représenté par les deux pays de la façade ouest-africaine, c’est-à-dire le Sénégal et la Guinée-Bissau, et l’autre composé par les trois pays bordant le golfe de Guinée : la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin.
4Le Sénégal et la Guinée-Bissau se distinguent par plusieurs caractères communs et marquants parmi lesquels il faut citer, en premier lieu, l’importance de leur parc piroguier qui totalise 85 % du parc piroguier maritime de la zone UEMOA. Ce parc piroguier est, en outre, dans ces pays, plutôt récent et se répartit dans un grand nombre de sites de débarquement (> 130), avec toutefois pour le Sénégal, une grande hétérogénéité des tailles de sites puisqu’on y trouve quelques très grands sites dépassant le millier de pirogues. Les pêcheurs sont pour l’essentiel des ressortissants nationaux qui vivent dans de grands ménages, de plus de dix personnes, qui sont bien intégrés sur le plan local et disposent d’un habitat de relativement bonne qualité et sécurisé. Dans ces deux pays, les productions par pêcheur sont élevées, atteignant quatre à sept tonnes par pêcheur par an. Cela conduit à des productions totales nationales couvrant bien les besoins domestiques.
5On notera que ces deux pays correspondent historiquement à des foyers de l’activité maritime ouest-africaine, alors que les trois pays du golfe de Guinée, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo, ne disposent pas de cette tradition maritime, ce qui leur confère un profil de pêche artisanale maritime sensiblement différent.
6En premier lieu, la pêche artisanale maritime au sein de ces trois pays ne représente que 15 % des pirogues maritimes recensées en zone UEMOA, et il est à noter que ces pirogues sont mises en œuvre à partir de sites beaucoup moins nombreux (en particulier au Togo et au Bénin du fait d’un linéaire côtier réduit). Beaucoup de ces sites n’abritent d’ailleurs qu’une dizaine de pirogues. Les populations de pêcheurs de Côte d’Ivoire, du Togo et du Bénin sont en grande majorité des pêcheurs vivant dans des ménages constitués de moins de huit personnes. Ils sont en grande partie d’origine ghanéenne. Les conditions de vie (habitat, accès aux services) de ces pêcheurs du golfe de Guinée sont assez précaires en regard de celles dont bénéficient les pêcheurs mieux enracinés du Sénégal et de Guinée-Bissau. En termes de productivité, les pêcheurs de ces trois pays ne parviennent pas à fournir quatre tonnes/pêcheur par an. Pour ces différentes raisons, la production de la pêche artisanale maritime est incapable, dans ces pays, de couvrir les besoins nationaux en poisson. D’ailleurs, même avec l’apport de la pêche continentale, pourtant plus importante ou équivalente en volume, les besoins ne sont pas satisfaits.
7Au-delà de ces différences qui permettent d’opposer deux groupes de pays, la pêche artisanale maritime de la zone UEMOA présente aussi quelques traits d’homogénéité régionale. Parmi ceux-ci, on doit noter en premier lieu la faiblesse des équipements et services de support à l’activité de pêche dans la grande majorité des sites de débarquement, dès lors que leur taille est modeste. En second lieu, le phénomène de migration saisonnière des pirogues, en tant qu’unités de pêche, est présent un peu partout, tout en n’étant nulle part dominant. Enfin, la relative faiblesse du recours à la polyactivité et en particulier à la pratique agricole est un trait partagé par la grande majorité des pêcheurs maritimes, même si ceux de la Guinée-Bissau et du sud Sénégal font en partie exception sur ce dernier point.
8Ces caractéristiques des pêches artisanales continentales et maritimes devront nécessairement être prises en compte au moment de concevoir les politiques publiques du sous-secteur dans les différents États membres. De telles politiques pourront être définies autour de plusieurs axes d’action :
fournir des appuis à la pêche artisanale pour renforcer les institutions et les mécanismes participant au processus de gestion des pêcheries (cogestion) ;
encourager et supporter les initiatives visant à mieux valoriser les sous-produits ;
améliorer les circuits commerciaux des produits par des investissements locaux visant à réduire davantage les pertes post-capture et à améliorer ainsi les revenus et la quantité de produits disponibles pour la consommation ;
améliorer les conditions générales d’hygiène et assainissement, tant sur les sites de débarquement que dans les villages ;
poursuivre le renforcement du suivi de la pêche artisanale en améliorant les données et l’information sur la pêche, notamment en tant qu’outil d’aide à la décision ;
soutenir le développement des entreprises d’aquaculture en zones rurales et périurbaines pour créer des emplois et augmenter la disponibilité de produits à la consommation.
Auteurs
Chercheur biostatisticien, IRD, Bondy, France
Chercheur biologiste, retraité de l’IRD, Six-Fours-les-Plages, France
Chargé des Ressources halieutiques à la Commission de l’UEMOA, Ouagadougou, Burkina Faso
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