Chapitre 2. L’activité de pêche artisanale continentale et son environnement
p. 29-44
Texte intégral

Filets à deux mains, Delta central, Mali.
Les pirogues, la motorisation et les engins de pêche
1Les huit États membres de l’UEMOA totalisent un nombre estimé de 130 000 embarcations possédées par les ménages pratiquant la pêche en milieu continental ou lagunaire. Le Mali et le Bénin rassemblent à eux seuls 76 % (soit 98 000 embarcations) de ce parc piroguier. On peut classer les pays selon l’importance de leur parc et distinguer deux groupes de pays. Le premier groupe est constitué du Mali et du Bénin, qui disposent chacun d’un parc très important supérieur à 50 000 embarcations. Le second groupe rassemble cinq pays la Côte d’Ivoire, le Niger, le Burkina Faso, le Sénégal et le Togo dont les parcs sont de moyenne importance, se situant entre 3 000 et 14 000 embarcations. La Guinée-Bissau quant à elle se distingue par un parc piroguier de très faible importance avec moins de 1 000 embarcations.
2L’importance du parc piroguier a pu être estimée de deux façons : soit directement à partir du questionnaire liste des ménages extrapolés à l’ensemble des sites recensés, soit à partir des enquêtes ménages extrapolées à l’ensemble des ménages. Ces deux procédures conduisent à des estimations assez proches avec 130 060 et 149 180 pirogues respectivement. Cette différence de 15 % peut être due en partie à l’imprécision statistique associée aux procédures d’extrapolation, mais elle s’explique aussi au moins en partie par le fait que les significations ne sont pas tout à fait identiques : dans le second cas, il s’agit du nombre d’embarcations utilisées par les ménages, ce qui fait que l’utilisation partagée d’une même pirogue par plusieurs ménages (notamment en cas de location) peut entraîner des cas de double comptage. C’est pourquoi le chiffre de 130 060 pirogues doit de préférence être retenu pour caractériser la taille du parc piroguier dans la zone de l’UEMOA. Cependant, les statistiques concernant les embarcations utilisées et décrites par les ménages sont très instructives quant aux proportions relatives des différents types d’embarcations et à la motorisation au sein du parc des différents États membres.
3Ainsi, il apparaît que les pirogues non motorisées représentent la part la plus importante (91 %) du parc des embarcations utilisées sur l’ensemble des huit pays de l’UEMOA. Le taux de motorisation est en fait pratiquement nul au Burkina Faso, au Niger, au Togo et en Guinée-Bissau et il n’atteint que 2 % en Côte d’Ivoire. En revanche, le Sénégal, le Mali et le Bénin ont des taux de motorisation bien supérieurs, atteignant ou dépassant 10 %. Cela est sans doute à mettre en relation avec l’importance du sous-secteur pêche continentale au Mali et au Bénin, ce qui a conduit à un développement des activités post-capture utilisant de nombreuses pinasses (pirogues de transport à moteur) et aussi, dans le cas du Mali, à un phénomène de migration familiale de pêche utilisant souvent des pinasses. Au Sénégal, il est vraisemblable que la proximité de la pêche artisanale maritime ait pu aussi jouer un rôle d’entraînement sur ce plan, car cette dernière y est très fortement motorisée suite à une série de politiques publiques incitatives (projets de développement, prix avantageux pour les moteurs, carburant détaxé).
4Les pirogues à membrures et planches sont globalement dominantes par rapport aux pirogues monoxyles construites d’un tronc d’arbre (67 % contre 31 %) avec un ratio au niveau régional atteignant 2,2 pirogues à membrures pour 1 pirogue monoxyle. On peut noter que ce ratio est plus élevé (supérieur à cinq ou dix) dans les pays purement sahéliens en manque de gros troncs d’arbre comme le Burkina, le Niger et le Mali. Au Niger, on remarquera l’importance d’un type d’embarcation classé dans la catégorie « Autres » et dénommé localement « gora » et qui atteint 20 % du total d’embarcations. Il s’agit de grosses calebasses sur lesquelles se positionne allongé le pêcheur. Ces embarcations rudimentaires sont principalement utilisées sur le lac Tchad et dans la région de Zinder.
Carte 1. Importance des parcs piroguiers de pêche continentale par État membre de l’UEMOA, types d’embarcations et taux de motorisation.

Camemberts proportionnels au nombre de pirogues avec importance relative des types de pirogues par pays.
Histogramme indiquant le taux de motorisation ( %) dans chaque pays et dans l’ensemble de l’UEMOA.
Tableau 1.Parc piroguier de pêche continentale et sa motorisation par Etat membre selon l'enquête ménages (cf. texte page 31 sur les différentes façons d'estimer le parc piroguier).
États membres | Pirogues motorisées | Pirogues non motorisées | Total général | Taux de motorisation |
Bénin | 5 718 | 46 771 | 52 489 | 10,9 |
Burkina Faso | 0 | 6 302 | 6 302 | 0 |
Côte d'Ivoire | 318 | 13 586 | 13 904 | 2,3 |
Guinée-Bissau | 4 | 836 | 840 | 0,5 |
Mali | 6 194 | 47 733 | 53 927 | 11,5 |
Niger | 84 | 9 799 | 9 883 | 0,8 |
Sénégal | 946 | 7 890 | 8 836 | 10,7 |
Togo | 0 | 2 999 | 2 999 | 0 |
Ensemble UEMOA | 13 265 | 135 915 | 149 180 | 8,9 |
5Au niveau régional, les engins les plus nombreux en pêche continentale sont par ordre décroissant : le filet dormant (27,1 % du total des engins possédés par les ménages), l’épervier (20,6 %), la nasse (16,1 %) et la palangre (15,1 %). La hiérarchie des engins est assez similaire dans la plupart des pays avec ces quatre engins généralement dominants. Toutefois, dans deux pays, le Mali et le Sénégal, le filet dérivant dépasse la nasse, et en Guinée-Bissau la senne/filet encerclant vient en seconde position après le filet dormant.
6Les maillages utilisés pour les filets dormants se répartissent à l’échelle de l’ensemble des huit Etats membres en 30 % de catégorie « à grandes mailles » (plus de 4 doigts), 42 % à « moyennes mailles » (2,5 à 4 doigts) et 28 % « à petites mailles » (jusqu’à 2 doigts). Cette répartition varie peu selon les pays exceptée la Guinée-Bissau où les petites mailles sont utilisées pour la moitié des filets dormants. Les tailles d’hameçons utilisés pour les palangres se répartissent à l’échelle des huit pays de la façon suivante : petits hameçons (n° 11 et plus) : 40 %, moyens hameçons (n° 8 à n° 10) : 37 % et grands hameçons (jusqu’à n° 7) : 23 %. Il n’y a pas de différence très marquée selon les pays où on rencontre les trois tailles d’hameçons.

Pirogues monoxyles sur le fleuve Gambie, Sénégal.
@ IRD/P. Morand

Pirogue de planches équipée de filet dormant dans le delta intérieur du Niger, Mali.
@ IRD/P. Morand
Carte 2. Importance relative (en %) des types d’engins de pêche par État membre de l’UEMOA et au niveau régional pondérée.

Camembert indiquant les pourcentages des différents types d’engins dans chaque pays et dans l’ensemble de l’UEMOA.
Figure 1. Catégories de taille des mailles pour les filets dormants (en haut) et de taille des hameçons des palangres (en bas) en pourcentage par pays et au niveau régional.

Les chiffres sont issus des déclarations faites par les ménages au sujet des mailles et des hameçons qu'ils utilisent.

Dispositif de pêche fixe dans le delta intérieur du Niger, Mali.

Pêche à l’épervier, affluent du Bandama, Côte d’Ivoire
Les ressources
Milieux exploités
7Les plans d’eau exploités par la pêche continentale sont le reflet des paysages hydrographiques des différents pays, avec une prédominance des fleuves pour les pays comme le Niger et le Mali, traversés par le fleuve Niger, ou le Sénégal, traversé par le fleuve Sénégal et le fleuve Gambie. Les lacs de barrage et de retenue apparaissent dans les pays où des aménagements de ce type ont été mis en place. Les mares apparaissent en tant que plans d’eau exploités dans les pays sahéliens.
Saisons
8À l’exception du Bénin et du Togo qui disposent de territoires étalés en latitude et pour lesquels des réponses très hétérogènes et peu convergentes ont été enregistrées, les pêcheurs continentaux des autres États membres de l’UEMOA distinguent assez clairement de bonnes et de mauvaises saisons de pêche. Ainsi en début d’année civile (de janvier à mars), le Mali se trouve en bonne saison de pêche qui a débuté depuis déjà deux mois (novembre et décembre) : il s’agit de la période de décrue du fleuve Niger dans ce pays. En Guinée-Bissau la meilleure saison de pêche correspond à la saison sèche, car la saison des pluies est ici consacrée aux activités agricoles. Pour le Niger, la période de bonne saison va de juin à août (début de saison des pluies), alors qu’au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, la bonne saison de pêche s’étend d’août à décembre, soit en fin de saison des pluies (hautes eaux des rivières) et en début de saison sèche (décrue). Les saisons les plus favorables à la pêche diffèrent donc sensiblement d’un pays à l’autre, en partie en fonction de la bande climatique, mais aussi en fonction des milieux et des pratiques de pêche dominantes (voir aussi Laë et Lévêque, 1999).
Espèces cibles
9Les espèces déclarées comme ciblées par les ménages de pêcheurs pendant la meilleure saison et avec leur technique de pêche principale sont assez systématiquement les mêmes dans les différents pays de l’espace communautaire. Ce qui a pour conséquence que la diversité des espèces ciblées au niveau régional est assez faible. Ainsi, si on considère globalement les déclarations enregistrées auprès des ménages des huit pays, on constate que 90 % du total des citations – en excluant les « non-réponses » et la catégorie « Autres » – renvoient à seulement onze espèces ou groupes d’espèces. En particulier, les tilapias au sens large, c’est-à-dire les Cichlidés (genres Oreochromis, Sarotherodon, Tilapia, Hemichromis) constituent à eux seuls 44 % des réponses, suivis des Clariidés ou « silures » (genres Clarias, Heterobranchus) (14 % des réponses) et du « capitaine de fleuve » (Lates niloticus) (7 % des réponses). Ces trois premières catégories représentent toujours plus de 50 % des citations dans chacun des huit pays. Viennent ensuite les Labeo, les petits Characidés des genres Alestes ou Brycinus (sardines d’eau douce), les Bagridés des genres Bagrus et Chrysichthys, ces derniers étant communément appelés « mâchoirons d’eau douce et de lagune » et enfin les Mochokidés (genre Synodontis). On peut toutefois noter l’existence de pays où la diversité des espèces cibles est plus forte, comme le Mali et le Sénégal, en contraste de pays à plus faible diversité d’espèces cibles comme le Bénin et surtout la Guinée-Bissau, en rappelant que ce dernier pays n’est doté que de petits bassins côtiers.
Figure 2. Définition des hautes et basses saisons de pêche continentale dans les différents pays de l'UEMOA (Togo et Bénin exclus, cf. texte).

Figure 3. Principaux poissons (familles, genres ou groupes d'espèces) ciblés par les ménages avec l'engin principal pendant la meilleure saison de pêche, valeurs exprimées en pourcentage des réponses au niveau régional.

Figure 4. Principaux poissons (familles, genres ou groupes d'espèces) ciblés par les ménages avec l'engin principal pendant la meilleure saison de pêche, valeurs exprimées en pourcentage des réponses par pays.


Poissons Mormyridés pêchés dans le fleuve Niger, Mali.
@ IRD/P. Morand

Poissons Cichlidés et Labeo sp. pêchés dans le fleuve Gambie au Sénégal.
@ IRD/P. Morand

Poisson Synodontis sp. capturé dans le fleuve Niger, Mali.
@ IRD/P. Morand

Retour de pêche à Bamako, Mali.
@ IRD/P. Morand
L’effort de pêche et les captures par unité d’effort
10Selon les déclarations des ménages, le nombre de sorties par semaine, parfois appelé taux d’activité, est en moyenne (ensemble des régions des huit pays) de l’ordre de 4,5 sorties en mauvaise saison et de 5,7 sorties en bonne saison, soit une augmentation de près de 30 % de l’activité en bonne saison de pêche. Ce nombre moyen de sorties est assez peu contrasté selon les pays. On notera cependant des taux d’activité élevés au Mali et Niger en toutes saisons.
11La capture moyenne par sortie (utilisée ici comme mesure de la capture par unité d’effort) de la pêche continentale apparaît très variable selon les saisons dans l’ensemble des pays de l’UEMOA. Durant la saison considérée comme mauvaise par les ménages de pêcheurs, cette capture moyenne par sortie se situe entre 4 kilogrammes et 10 kilogrammes selon les pays et atteint 6,9 kilogrammes en moyenne régionale. Durant la meilleure saison, les rendements moyens varient entre 12 kilogrammes (Burkina Faso) et 29,3 kilogrammes (Sénégal) par sortie selon les pays avec une moyenne de 19 kilogrammes au niveau régional agrégé. Ils sont en général déclarés comme étant de deux à quatre fois plus forts que ceux de mauvaise saison.
12En règle générale, il apparaît que c’est surtout la quantité de poisson capturée par sortie qui dénote les bonnes saisons, et non pas le niveau d’activité qui, lui, ne varie que de façon très mesurée.

Caisses de Lofes niloticus (capitaines du fleuve) au départ de Konna, Mali.
@ IRD/P. Morand
Figure 5. Nombre de sorties par semaine (en haut) et capture par unité d'effort (en bas) selon les saisons par pays et au niveau régional UEMOA agrégé.

Les coûts des équipements de pêche et les revenus des ménages
13Les équipements de pêche des pêcheurs continentaux sont principalement constitués d’une ou parfois deux embarcations, très généralement non motorisées comme nous l’avons vu ci-dessus, et d’engins de pêche sensu stricto (filets dormants, éperviers, nasses et/ou palangres).
14Concernant les embarcations, l’examen des données montre que les prix d’achat des pirogues (non motorisées) sont pratiquement le double dans les pays comme le Mali et le Sénégal où les pêcheurs sont traditionnellement adeptes du bois rouge pour la construction de pirogues solides alors que ce type de bois y est devenu rare. Les prix sont au contraire deux fois moindres dans les régions forestières comme la Guinée-Bissau et la Côte d’Ivoire, ou bien dans les pays où les pêcheurs sont moins exigeants et se contentent de matériaux de construction peu chers comme au Burkina Faso du fait de l’utilisation de bois blanc et/ou d’embarcations de formats très modestes comme les « gora » du Niger.
15Compte tenu des différences de durée de vie des pirogues (qui influent sur la durée de leur amortissement) et des différences de parc piroguier moyen par ménage, le coût que les ménages supportent annuellement pour s’équiper en pirogues de pêche non motorisées sont en moyenne de 25 762 F CFA environ pour l’ensemble de la zone UEMOA. Mais ce coût présente des contrastes assez forts d’un pays à l’autre, avec des valeurs maximales observées au Mali, au Togo et au Sénégal (respectivement 42 350 F CFA, 33 622 F CFA et 30 361 F CFA) et une valeur minimale de 12 589 F CFA au Burkina Faso.
16L’autre poste de dépenses des ménages pour leur équipement de pêche est constitué par le renouvellement des engins de pêche, lequel représente des montants financiers cinq à six fois plus importants que l’équipement en pirogue. On enregistre en effet une valeur moyenne d’environ 153 779 F CFA pour l’ensemble de la zone UEMOA, avec une gamme de moyennes nationales qui s’étend de 59 982 F CFA (Burkina Faso) à 221 516 F CFA (Mali).
17En sommant les coûts d’équipement en pirogues non motorisées et en engins, on obtient une estimation du coût total moyen supporté par les ménages pour s’équiper pour la pêche (cf. fig. 6). L’examen des résultats montre que c’est au Mali, puis en Côte d’Ivoire et au Togo que les ménages de pêcheurs déploient le plus gros effort financier pour s’équiper, avec des montants de 263 866 F CFA et 192 250 F CFA en moyenne, alors que c’est au Burkina Faso que cet effort est minimum (72 571 F CFA).
Tableau 2. Prix d’achat moyen, durée de vie moyenne, nombre moyen par ménage et coût moyen d’équipement des ménages par rapport au principal équipement de pêche : la pirogue de pêche non motorisée. Par pays et au niveau régional.
États membres | Prix d’achat moyen (F CFA) | Durée de vie moyenne (années) | Nombre moyen de pirogues par ménage | Coût annuel moyen de l’équipement en pirogue (F CFA) |
Bénin | 75 178 | 5,5 | 1,4 | 20 395 |
Burkina Faso | 50 563 | 5,3 | 1,2 | 12 589 |
Côte d’Ivoire | 59 785 | 5,6 | 1,3 | 16 380 |
Guinée-Bissau | 51 992 | 3,5 | 1,1 | 17 969 |
Mali | 184 260 | 8,9 | 1,7 | 42 350 |
Niger | 62 022 | 5,6 | 1,4 | 17 769 |
Sénégal | 154 566 | 9,2 | 1,3 | 30 361 |
Togo | 98 816 | 4,1 | 1,3 | 33 622 |
Ensemble UEMOA | 104 810 | 6,6 | 1,4 | 25 762 |
18L’estimation effective du revenu tiré d’une activité est une opération lourde et complexe qui passe en principe par le suivi du compte d’exploitation et qui, par conséquent, ne peut pas être obtenue par une enquête à passage unique. L’évaluation présentée ici n’a pour ambition que de constituer un proxy en posant une simple question : « Combien gagnez-vous en moyenne par mois en faisant telle activité ? », déclinée selon les différentes activités. La réponse à cette question est vraisemblablement très corrélée au revenu généré par l’activité, même si la valeur obtenue peut comporter un biais systématique par excès (notamment si l’enquêté a considéré qu’il était interrogé sur son chiffre d’affaires). Il apparaît que les pêcheurs continentaux de Côte d’Ivoire et du Mali sont ceux qui dégagent les plus gros revenus de leurs activités dans le secteur pêche, avec toutefois une pondération différente, puisqu’au Mali le poids relatif des activités post-capture est plus important. Au Burkina Faso, les revenus tirés de la pêche sont généralement faibles. On note également le peu de poids des revenus tirés de la transformation au Sénégal. Au niveau régional agrégé, l’activité de capture des ménages est à l’origine de près de la moitié (49,2 %) des revenus qu'ils obtiennent par le secteur pêche, alors que la transformation du poisson et le commerce du poisson sont à l’origine de l’autre moitié (respectivement 25,9 % et 24,9 %).
Figure 6.Coût d'équipement total moyen supporté annuellement par les ménages pour pratiquer la pêche.

Il faut noter toutefois que ce coût est minoré par le fait que les pirogues de migration, qui sont souvent motorisées, n'ont pas été intégrées dans le calcul, ce qui entraîne un biais d'estimation par défaut dans les pays où une partie significative des ménages disposent de ce genre d'équipement (cas du Mali).
19Dans ce type d’enquête, il est difficile d’évaluer de façon précise la part que les différentes activités (secteur pêche et hors-pêche) prennent en tant que sources de revenus des ménages. Cependant, une évaluation de l’importance relative des sources de revenus peut se fonder sur un questionnement portant, auprès de chaque ménage, sur le classement (rang) des diverses activités sources de revenus. On effectue ensuite une analyse de la fréquence de citation des différentes activités comme sources de revenus, en appliquant une pondération de 0,4, 0,3, 0,2 ou 0,1 selon que l’activité a été citée comme première, deuxième, troisième ou quatrième source de revenus. En cumulant ces données de citations pondérées par leurs rangs, on obtient un score qui peut être considéré comme un proxy de l’importance de la contribution des différentes activités aux revenus des ménages.
Carte 3. Gains annuels moyens réalisés (en francs CFA) dans les trois catégories d'activités (capture, commerce du poisson, transformation) par les ménages du sous-secteur pêche continentale, d'après leurs déclarations. Estimations par Etat membre.

Carte 4. Contribution (en %) des différentes activités aux revenus totaux des ménages sur la base des scores d'importance relative.

20L’examen des contributions des différentes activités aux revenus des ménages impliqués en pêche continentale montre que ceux-ci obtiennent des revenus à partir de multiples activités, qui sont situées à l’intérieur du sous-secteur (capture, transformation et commerce du poisson) et dans d’autres activités situées dans le secteur primaire (agriculture, élevage), voire même, plus rarement, dans le secteur secondaire ou tertiaire (commerce et artisanat). Ce sont les ménages pêcheurs maliens qui sont les plus fortement dépendants des trois activités du sous- secteur pêche, alors que, à l’opposé, les ménages pêcheurs du Burkina Faso ont des revenus majoritairement basés sur l’agriculture et l’élevage.
Les commodités utiles pour la filière pêche et la valorisation de ses produits
21L’examen des taux d’accès aux différents équipements, commodités et services en lien avec la réalisation de l’activité de pêche et avec la valorisation de ses produits montre que, de façon générale, les pêcheurs continentaux sont peu favorisés. Même en considérant une définition très large de l’accès qui inclut les équipements et services situés non pas sur place, mais à proximité (< dix kilomètres), on obtient des taux d’accès régionaux UEMOA moyens inférieurs à 22 % pour toutes les commodités considérées.
22On note toutefois que les conditions générales d’hygiène sur les débarcadères (c’est-à-dire la présence de robinet public et de latrines publiques) sont parmi les facteurs qui laissent globalement le plus à désirer, avec des taux d’accès ne dépassant pas 10 % sauf en Guinée-Bissau.
Figure 7. Taux d'accès des ménages de pêcheurs à différentes commodités et services en lien avec la pêche et la valorisation de ses produits, dans un rayon de moins de dix kilomètres de leur résidence.

23Pour ce qui concerne la proximité d’équipements (stockage de glace, caisses frigorifiques) utiles à la commercialisation en frais, à peine 20 % des pêcheurs en bénéficient dans un rayon de dix kilomètres si on considère l’ensemble de la zone UEMOA. Mais ce taux est deux fois plus faible en Guinée-Bissau, au Sénégal et au Burkina Faso.
24Si on considère l’ensemble des paramètres sur ce thème, il apparaît que les pêcheurs continentaux du Sénégal sont globalement les plus mal lotis, alors que ceux du Niger semblent les plus favorisés, ce qui s’explique par le fait qu’une proportion importante d’entre eux est concentrée autour des débarcadères relativement bien équipés des rives du lac Tchad.
25La part des ménages pêcheurs ne déclarant pêcher que pour l’autoconsommation est très réduite, avec un taux moyen de 2,63 % sur l’ensemble de l’UEMOA et des valeurs qui ne dépassent 4 % que dans trois pays : le Sénégal avec 4,77 %, la Côte d’Ivoire avec 4,98 % et le Burkina Faso avec 7,79 %. Puisque la grande majorité des pêcheurs pratiquent à un degré ou à un autre la commercialisation du produit de leur pêche, on doit examiner la part moyenne de quantités capturées que les ménages consacrent soit à la vente directe, soit à la transformation. Pour l’ensemble de la zone UEMOA, cette statistique de « fraction de la capture commercialisée » s’établit à une valeur moyenne pondérée de 75 %, avec des valeurs extrêmes de 63 % et 69 % (respectivement pour le Sénégal et le Burkina Faso) et de 82 % et 86 % (respectivement pour le Niger et la Guinée-Bissau). La part complémentaire (qui varie donc entre 14 % et 37 % selon les pays) est celle qui est déclarée comme étant affectée à l’autoconsommation et aux dons.
26Il ressort de ces données que, s’il est vrai que la pêche continentale conserve en partie un rôle d’activité de subsistance, parce qu’elle participe systématiquement à la sécurité alimentaire de la famille et des proches du pêcheur, elle est réalisée en premier lieu pour des fins de commercialisation du produit et donc de génération de revenus, ce qui la rapproche de la situation connue pour la pêche maritime (Weigel et Stomal, 1994).
Tableau 3. Importance relative de la pêche pratiquée pour l'autoconsommation stricte, en termes de pourcentage de ménages ne pratiquant que l'autoconsommation de leur production (pas de commercialisation).
États membres | Autoconsommation stricte (pourcentage des ménages) |
Bénin | 0,56 |
Burkina Faso | 7,79 |
Côte d'Ivoire | 4,98 |
Guinée-Bissau | 0 |
Mali | 2,3 |
Niger | 0,82 |
Sénégal | 4,77 |
Togo | 2,61 |
Ensemble UEMOA | 2,63 |

Fumage traditionnel du poisson au Mali.
© IRD/P. Morand
27La part de la capture qui entre dans un processus de transformation ne peut pas être précisément connue à partir de l’enquête, car une partie des poissons mentionnés comme « vendus en frais » par les ménages pêcheurs est achetée par des transformatrices. Mais l’importance relative du secteur de la transformation dans les différents pays peut être appréciée indirectement par le nombre d’implications de personnes dans cette activité, en regard du nombre de personnes actives dans la capture. Si on se base sur ce critère, on peut classer les pays de la façon suivante : en tête vient le Mali, avec un ratio de 0,74 personne impliquée dans la transformation pour 1 personne dans la capture, suivi par le Niger et le Togo (ratio de 0,5 environ), puis par la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Bénin (ratio de 0,3 à 0,4) et enfin la Guinée-Bissau et le Sénégal (ratio inférieur à 0,2).
Figure 8. Fréquences de recours aux différentes techniques de transformation, calculées à partir des « nombre de ménages x nombre de mois » de déclarations des différentes techniques d'activités.

28Au-delà du niveau global de recours à la transformation, il faut aussi examiner par quelles techniques cette transformation est réalisée. Sur cet aspect, on observe des différences importantes entre les huit Etats de la zone UEMOA : alors que certains pays, comme la Guinée-Bissau, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, présentent des activités de transformation qui sont très concentrées sur le fumage (à 80 % ou plus), d’autres pays, comme le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, voient leurs activités « hors fumage » totaliser 50 % ou plus de l’activité de transformation. En particulier, on note les places assez importantes du séchage, du brûlage, de l’huilage et de la mise en farine au Mali, alors que le Sénégal se distingue par l’importance du séchage, de la fermentation, du salage. Cependant, si on considère l’ensemble de la zone UEMOA, c’est bien le fumage qui reste la technique la plus fréquemment utilisée en pêche continentale, avec une part de l’activité de transformation que l’on peut estimer à 59,7 %, suivi de très loin par le séchage avec 11,4 %.
La gestion et l'encadrement du sous-secteur pêche continentale
29La pêche est une activité économique qui consiste à exploiter une ressource sauvage et non appropriée par nature, c’est-à-dire mouvante et qui n’appartient à personne en particulier, ce qui peut générer des conflits ou des phénomènes de surexploitation. C’est pourquoi on considère que la pêche ne peut être gérée de façon durable que si des mécanismes coutumiers ou modernes interviennent pour la réguler. Il est donc intéressant d’enquêter sur l’existence de tels mécanismes.
30L’examen des résultats collectés sur la présence de mécanismes de gestion des conflits au niveau des sites d’habitat fait apparaître des taux de présence modérés (42 % en moyenne sur la zone UEMOA) ainsi qu’une grande diversité dans les réponses, lesquelles sont assez difficiles à interpréter. Il apparaît simplement que dans les pays où la pêche continentale s’est développée assez récemment (Guinée-Bissau, Burkina Faso), la présence de mécanismes de gestion semble plus rare.
31Les politiques publiques et les projets appuyés par l’aide extérieure préconisent en général la création d’organisations socioprofessionnelles (OSP) de façon à disposer d’interlocuteurs pour une meilleure adéquation et acceptation des interventions. Il est important d’étudier comment les communautés de pêcheurs ont suivi ces recommandations et comment elles revendiquent aujourd’hui l’existence d’OSP dans leurs villages ou campements. Plus la présence d’OSP est forte, plus il est facile pour les administrations et les projets de traiter avec les populations de pêcheurs.
Tableau 4. Pourcentage de ménages pêcheurs résidant dans des sites pour lesquels l'existence de mécanismes de gestion ou de résolution des conflits a été déclarée.
États membres | Pourcentage de ménages résidant dans des sites avec mécanismes de gestion |
Bénin | 42,2 |
Burkina Faso | 27,9 |
Côte d'Ivoire | 44,8 |
Guinée-Bissau | 7,0 |
Mali | 45,9 |
Niger | 57,0 |
Sénégal | 29,7 |
Togo | 44,9 |
Ensemble UEMOA | 42,0 |
Tableau 5. Pourcentage de ménages pêcheurs résidant dans des sites d'habitat où est déclarée la présence d'au moins une organisation socioprofessionnelle.
États membres | Pourcentage de ménages résidant dans des sites avec OSP |
Bénin | 53,0 |
Burkina Faso | 61,5 |
Côte d'Ivoire | 23,8 |
Guinée-Bissau | 40,0 |
Mali | 65,3 |
Niger | 80,9 |
Sénégal | 62,5 |
Togo | 22,5 |
Ensemble UEMOA | 56,3 |
32L’examen des résultats montre de fortes différences entre les pays. Ces différences font ressortir les pays où les communautés de pêcheurs se sont organisées pour devenir des interlocuteurs face aux administrations et pour mieux bénéficier des actions d’aides des projets. Les pays sahéliens (Niger, Mali, Sénégal, Burkina Faso) apparaissent ainsi comme ceux où les pêcheurs sont les mieux organisés. Alors que les pays du golfe de Guinée, où existent d’importantes communautés de pêcheurs étrangers (Togo, Côte d’Ivoire), apparaissent au contraire en déficit d’organisations professionnelles pour le secteur pêche continentale.
Auteurs
Chercheur biostatisticien, IRD, Bondy, France
Chercheur biologiste, retraité de l’IRD, Six-Fours-les-Plages, France
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The Breakdown in Urban Integration of Villages
Sylvie Fanchette (dir.)
2016