Préface

1Les Vanuatais ont une véritable passion pour les plantes. Leur relation avec le monde végétal est celle de jardiniers attentifs à la biodiversité insulaire, riche mais fragile, et curieux de celle que le monde contemporain leur permet d’introduire et d’exploiter. Ils ne cessent donc d’expérimenter de nouvelles variétés de plantes alimentaires et d’espèces ornementales. Si la diversité génétique des espèces indigènes tend à s’éroder, avec les changements de régimes alimentaires, le nombre de plantes cultivées au sein du jardin traditionnel tend aussi à s’accroître avec l’intro­duction et l’utilisation d’espèces exotiques à l’archipel.

2On estime à près d’un million d’habitants la population du Vanuatu à l’époque des premiers contacts avec les Européens. Bien que peu d’informations soient disponibles, il est probable que la générosité des terres permettait aux habitants de satisfaire leurs besoins alimentaires sans grands risques de malnutrition malgré les nombreux et fréquents aléas climatiques. Mais cette forme de subsistance, possible alors, ne l’est plus aujourd'hui. La population du Vanuatu, décimée par les maladies introduites et par les migrations forcées, n’était plus que de 110 000 habitants environ à l’indépendance, en 1980. Si le formidable accroissement démographique a permis aujourd’hui de porter à 200 000 le nombre d’habitants, il provoque aussi quelques inquiétudes : la population urbaine va désormais doubler dans les dix ans à venir, et la population totale du pays doublera ces vingt-trois prochaines années pour atteindre le million en 2070. L’approvisionnement en produits vivriers sera alors malaisé.

3Dans ces conditions, deux approches devront être prises en compte pour satisfaire les besoins alimentaires de la population : la production des cultures vivrières locales devra augmenter rapidement, et les agriculteurs devront accroître leurs revenus grâce aux cultures d’exportation afin de pouvoir acheter à l’étranger ce qu’ils ne pourront produire localement.

4C’est cette dernière stratégie qui a été favorisée depuis l’indépendance avec des résultats modestes. L’isolement géographique du pays, éloigné des grands circuits de commercialisation, et son organisation spatiale - un archipel - posent de très sérieux problèmes à la circulation des denrées alimentaires, souvent périssables. Les contraintes auxquelles se heurte le développement des exportations agricoles sont considérables. L’éloignement des grands marchés consommateurs rend en particulier les produits de base peu concurrentiels. Inversement, l’agriculture de ce petit pays, souffrant de l'absence de systèmes de protection, est exposée à la libre concurrence internationale. Les importateurs de denrées alimentaires en bénéficient et mettent sur le marché local des quantités impressionnantes d’aliments étrangers, bien moins chers que les produits locaux. Les difficultés à exporter et les trop grandes facilités d’importation engendrent un grave déséquilibre de la balance commerciale.

5Depuis l’indépendance, la balance agricole du Vanuatu est déficitaire tous les ans. La valeur des denrées alimentaires importées est systématiquement supérieure à la valeur des exportations. Pis encore, les styles alimentaires changent très rapidement. La consommation par habitant de conserves de viande ou de poisson, de riz, de farine, ou d’autres aliments transformés augmente constamment. Les jeunes préfèrent désormais le pain et le riz aux tubercules locaux, parce qu’ils y ont pris goût durant leur scolarité et parce que ces denrées sont plus rapides à préparer et moins chères pour une population salariée qui manque de temps et achète ses aliments. Ces jeunes représentent ainsi un marché de consommateurs potentiels pour les céréaliculteurs étrangers, et les producteurs locaux perdent régulièrement des clients alors que la production locale de plantes alimentaires reste élevée.

6Conscient des dangers et risques que présente cette situation, le gouvernement de la république du Vanuatu a décidé de déclarer la première année du siècle, l’an 2001, « l’année des produits locaux », « Yia blong Aelan Kakai » en bichelamar. Au-delà du simple slogan, cette campagne nationale visait à rappeler aux citoyens la nécessité de préserver le local pour affronter le global. Les Vanuatais peuvent être fiers des produits biologiques qu’ils produisent sans pesticides ou autres produits chimiques. La diversité de ces produits locaux mérite d’être valorisée mais, mal connue, elle est mal employée.

7En cela, ce livre est d’une utilité importante : il résume les connaissances disponibles sur les nombreuses plantes alimentaires qui devront à l’avenir être exploitées, afin d’assurer le développement d’une agriculture suffisamment productive pour accompagner la formidable croissance démographique tout en préservant le milieu insulaire. Il est donc destiné à un très large public : les producteurs, bien sûr, mais aussi les enseignants qui ont la lourde charge d’éduquer les jeunes générations, les professionnels de l’agriculture et des secteurs connexes, les divers acteurs de la société civile et enfin les décideurs. Tous pourront trouver rapidement les éléments de base sur l’histoire des plantes alimentaires présentes aujourd’hui au Vanuatu, leur description botanique, la variabilité au sein des espèces, les principes généraux de leurs culture et production et, enfin, des informations complémentaires sur leurs principaux usages. C’est un guide élaboré pour permettre à chacun, selon ses intérêts et sa formation, d’accéder progressivement à une information importante, de la plus fondamentale à la plus spécifique. Le livre traite ainsi des plantes majeures, illustrées à travers de nombreuses photographies. Il offre, pour chacune de ces plantes, une liste de références et des renvois aux informations spécifiques développées dans le CD-ROM : les synonymes des plantes, les échantillons d’herbiers de référence ou l’étude de la variabilité intraspécifique. Le lecteur peut ainsi, après avoir consulté dans le livre les informations principales concernant une plante particulière, se reporter au CD-ROM pour obtenir des informations complémentaires puis, s’il le désire, aux références citées pour accéder facilement à des données plus précises.

8Les auteurs, Annie Walter et Vincent Lebot, nous offrent ainsi un ouvrage qui, tout à la fois, illustre notre agriculture contemporaine avec ses plantes ancestrales et celles qui sont venues d’ailleurs, informe tout un chacun sur l’origine, les modes de culture, la variabilité et l’usage actuel de chacune d’entre elles et permet au spécialiste d’accéder facilement aux informations techniques dont il a besoin. Cet exercice est difficile pour ne pas dire périlleux, compte tenu de la remarquable diversité des plantes d’Océanie, mais même s’il subsistait des oublis ou des inexactitudes, la lecture de cet ouvrage complet et facile d’accès est recommandé à tous.