1Des vues du ciel aux mesures au sol, l’étalement de Bamako rappelle d’abord les tendances de l’urbanisation malienne depuis les années 1990 (Diarra, 1999 ; 2015 ; Diarra et al., 2003 ; Denis et Moriconi-Ebrard, 2011 ; Baro et al., 2014). Depuis le noyau de peuplement qui fut le théâtre de restructurations entre habitat indigène et implantation coloniale au début du 20^e siècle, les surfaces bâties se sont rapidement développées (tableau 1), en dérogeant souvent aux normes administratives de production de trames à usage résidentiel. Qualifiée de « spontanée », cette expansion a cependant préservé la centralité du pouvoir urbain qui, entre capitaux marchands et autorité politique, s’est inscrite dans l’actuelle commune III de Bamako : du centre-ville né sur la rive gauche du fleuve Niger jusqu’au palais présidentiel implanté sur les hauteurs de Koulouba. Ces fonctions de commandement, et l’urbanisme en damier qui en découle, ont d’abord débordé vers les marchés et les quartiers situés à l’ouest de l’actuelle commune II. Ils sont aujourd’hui confirmés dans la nouvelle cité administrative ainsi que, vers l’est et la commune IV du district, dans le centre d’activité ACI 2000 qui a mobilisé la réserve foncière de l’ancien aérodrome d’Hamdallaye (planche 4). La rive droite n’échappe pas non plus à la diffusion spatiale d’un modèle urbain incarné par un double pouvoir commercial et administratif, bien qu’il y soit plus dispersé. Le relais pris par de plus petits établissements, ou des activités récemment déconcentrées au sud de la ville, reste décisif pour stabiliser l’emploi et les consommations des populations immigrées en ville.

Planche 4. Les quartiers de Bamako au début des années 2010

2Même en s’effilochant vers les périphéries urbaines (carte 2), un tel étalement dépasse largement celui des autres chefs-lieux régionaux et locaux du Mali. Force est de constater, pourtant, que les recensements de la population et de l’habitat qui se succèdent régulièrement au Mali, depuis 1976, ne jouent pas suffisamment leur rôle pour informer le périmètre et le contenu socioéconomique de l’agglomération. Leurs derniers résultats, en 2009, restent tributaires des limites administratives des neuf régions et des 49 cercles que compte alors le pays⁶. Ils ne permettent donc pas d’articuler ce qui se joue dans le district de Bamako et ce qui en déborde sur la région de Koulikoro. Bien d’autres métropoles africaines illustrent d’ailleurs les mêmes difficultés méthodologiques : un manque général de données disponibles à grande échelle, une information mise à jour et spatialisée (Borderon et al., 2014). La compréhension des dynamiques récentes du peuplement urbain demande donc de croiser les sources et de recourir à l’enquête de terrain (Lessault et Imbert, 2013).

Carte 2. Suivi cartographique et satellitaire des espaces bâtis de Bamako et ses environs.

Bamako et le désert urbain malien ?

3D’un recensement à l’autre, quelques mesures rendent compte du déséquilibre structurel entre la tête urbaine du Mali et les autres cités, alors que la première laisse une forte impression d’inachevé en matière d’aménagement et d’impulsion économique : le semis des agglomérations secondaires est peu dense dans le pays ; les relations migratoires et les flux commerciaux entre petites, moyennes et grandes villes sont limités (Bertrand, 1994 ; Instat, 2012-a).

La carte des villes dans le territoire malien

4Le recensement général de la population et de l’habitat de 2009 montre un changement de définition du fait urbain. Jusqu’au dénombrement précédent de 1998, étaient considérées comme villes, outre les principaux chefs-lieux administratifs, les localités de plus de 5 000 habitants bénéficiant ou pas du statut de commune urbaine. Celui-ci reste d’ailleurs rare, puisqu’il ne concerne jusque dans les années 1990 que moins d’une vingtaine de communes de plein exercice – six pour le seul district de Bamako depuis sa création en août 1978 –, dotées d’une autonomie budgétaire et morale et d’un conseil municipal élu.

5Selon le 4^e RGPH, la définition des villes peut ensuite se restreindre aux chefs-lieux des communes urbaines puisque le nombre de ces collectivités territoriales a doublé après les réformes administratives et de décentralisation que vient d’introduire la Troisième République malienne : dès son avènement en 1992⁷, et surtout par la loi 99/035 du 10 août 1999 (Bertrand, 1999-a) (tableau 2)⁸. En dehors de la capitale, ces 37 communes urbaines se répartissent pour 12 d’entre elles dans la région de Kayes, pour cinq autres dans la région de Mopti, et pour le reste dans les autres entités administratives du pays à raison d’une à trois par région (Instat, 2011). C’est dire si les chefs-lieux des cercles, principaux relais de l’État entre le niveau des régions et celui de plus de 660 communes rurales, ne sont pas tous concernés. Réciproquement, dix communes urbaines, soit près du quart d’entre elles, ne sont pas des chefs-lieux de cercle (planche 5). Dans la région de Kayes en particulier, leur distinction semble être venue de pressions sociales et politiques, plutôt que d’arguments d’animation territoriale. Leur population apparaît même parfois inférieure à celles du chef-lieu de leur propre cercle. Depuis la fin des années 1990, le statut de commune urbaine continue donc de peser peu dans l’encadrement du territoire malien. Les limites de ces collectivités restant floues ou mal appropriées dans un grand nombre de cas, la nouvelle définition conduit surtout à réévaluer le poids de l’urbain à la baisse. En introduisant une double mesure, une population urbaine de 3,2 ou de 5 millions d’habitants à l’échelle du pays, le RGPH de 2009 sème le doute sur les tendances antérieures et perd la cohérence de mesure que le seuil de 5 000 habitants assurait avec les pays voisins.

Planche 5. Communes urbaines dans la carte administrative du Mali

6Dans cette géographie peu dense, le Mali ne compte que 29 communes urbaines de plus de 10 000 habitants en 2009, dix de plus quand même qu’en 1998, et 11 de plus de 100 000 habitants. Bamako concentre plus de la moitié de la population urbaine du Mali, les chefs-lieux de région représentent près d’un citadin sur cinq (816 000 habitants en 2009), les chefs-lieux de cercle plus d’un sur six (573 000 habitants), et les communes urbaines restantes 2,3 % de la population urbaine nationale (75 000 habitants en 2009). La définition censitaire fondée sur le statut de commune urbaine prive donc la mesure d’un grand nombre de localités comprises entre 5 000 et 10 000 habitants, au moment où leur très forte progression, en nombre et en population résidente, attire une attention plus générale sur le continent africain (Girault et Moriconi-Ebrard, 1991 ; Mainet, 1997). Même en arrière des zones côtières, ces petites villes constituent un enjeu important du renouvellement de la population citadine : à la base des territoires nationaux mais aussi dans l’orbite des plus grandes agglomérations.

7Un premier tableau fondé sur le critère administratif (tableau 3) permet de distinguer en particulier les agglomérations chefs-lieux de région, à l’exception de Kidal handicapé par une absence d’arrière-pays démographique et de Koulikoro concurrencé par Kati. Parmi les seuls chefs-lieux de cercle, certains – Koutiala, San, Kita, Nioro, Bandiagara – argumenteront les perspectives de refonte de la carte administrative du Mali et de promotion de nouvelles régions.

8Mais de Dioïla à Tin Essako, par ordre décroissant de population, les 25 autres cercles du Mali n’émargent pas à ce tableau de la population urbaine. Selon sa définition et fort des 84 500 habitants d’une unique commune urbaine, celle de son chef-lieu, le cercle de Kati n’apparaît urbanisé qu’au sixième de sa population totale en 2009. Avec 162 000 habitants, la commune rurale de Kalabancoro qui en fait partie aux portes du district dépasse en importance démographique les communes centrales de Bamako. Son chef-lieu, qui compte à lui seul plus de 96 000 habitants, reste considéré comme un village.

9Une mesure réévaluée selon le critère des localités de plus de 5 000 habitants est donc nécessaire, à l’échelle de ce cercle comme à l’échelle nationale (carte 3). Selon ce critère démographique, Kati compte 32 villes et un taux d’urbanisation de 45 % en 2009. Les seules localités de plus de 10 000 habitants, 12 la même année, suffiraient à porter ce taux à 31 %, près du double de la définition plus restrictive.

Carte 3. Populations rurales et urbaines par cercle en 2009.

Dynamiques d’urbanisation : de l’espace national à l’expansion territoriale de Bamako

10Partant d’un niveau bas, la dynamique d’urbanisation est forte dans les dernières décennies. Selon la définition initiale, le pourcentage de citadins double dans le pays, en passant de moins de 17 % en 1976 à 35 % en 2009 (tableau 4). Alors que le taux annuel d’accroissement de la population urbaine se montrait déjà fort jusqu’en 1998, de l’ordre de 4,2 %, il connaît depuis une hausse notable qui le situe à plus ou moins 6 % selon les définitions de l’urbain. Dans le même temps, la population malienne augmente en moyenne de 1,7 % par an entre 1976 et 1987, de 2,2 % par an entre 1987 et 1998, et de 3,6 % par an entre 1998 et 2009. Son doublement en seulement vingt ans explique sa grande jeunesse. La population rurale croît au rythme d’une transition démographique tardive et encore inachevée, et pourtant deux fois moins vite que la population des villes.

11Avec un rang de région dans la structure administrative du pays, le district de Bamako biaise cependant la comparaison avec les autres chefs-lieux maliens : la totalité de sa population est comptée comme urbaine, et ce dès avant la consommation des dernières réserves foncières d’importance aux fins de lotissements d’habitation. Mais depuis la fin des années 1990, ce peuplement bamakois tend à déborder du district et à s’orienter vers les communes rurales qui viennent d’être constituées à ses portes et dans tout le pays.

12Dans ce contexte de forte natalité et de puissants mouvements migratoires, le district de Bamako a dépassé le million d’habitants en 1998. Après avoir déjà multiplié par deux sa population de 1987, il s’approche des deux millions en 2009. Un pari sur le recul de ses limites laisse déjà promettre qu’il dépassera les trois millions au prochain recensement. La capitale concentre plus précisément 55 % des citadins du pays, soit une contribution qui a encore progressé par rapport à 1987 quand la capitale absorbait 39 % de la population urbaine du Mali. C’est la preuve que s’accroît un déséquilibre qui s’ajoute à celui de la concentration de la population malienne sur le triangle dessiné par les régions de Sikasso, Koulikoro et Ségou⁹.

13De cette dynamique urbaine découlent aussi d’autres contrastes territoriaux et leur évolution en interne de cette tête métropolitaine (tableau 5).

Tableau 5 – Évolution de la population du district de Bamako par commune

14Alors que les quartiers méridionaux, en rive droite du Niger, représentaient moins du cinquième (1976) puis du quart (1987) du peuplement du district de Bamako, leur poids démographique explose dans les années 1990 (figure 1). Plus de trois décennies se sont alors écoulées depuis la mise en place du premier pont routier sur le fleuve¹⁰ et la naissance du quartier pionnier de Badalabougou qui avait marqué l’indépendance malienne. Six ans après l’implantation d’un second point de traversée fluviale, le pont Roi-Fahd inauguré grâce au financement du Fonds saoudien pour le développement, la rive droite représente déjà les deux cinquièmes de la population bamakoise (1998). Avec 49 % en 2009, le rattrapage est donc consacré. Ce rééquilibrage démographique découle de la croissance très forte des communes V et VI, plus forte encore que dans les autres périphéries de la rive gauche (communes I et IV). Il prépare l’étalement de l’agglomération au-delà de ce périmètre administratif, et annonce le nouveau déséquilibre qui se joue pour son futur, désormais au profit de la rive droite.

Figure 1. Le rééquilibrage du peuplement entre nord et sud du district de Bamako.

15Le rééquilibrage du peuplement urbain de part et d’autre du Niger est facilité par l’absence de contrainte topographique majeure tant que la ville reste liée à son site fluvial d’origine dans les limites définies en 1978 pour le district. Depuis, les communes de Bamako ont porté le nombre de leurs quartiers à une soixantaine (planche 4). La stabilisation de leurs limites et de celles des îlots bâtis est le résultat combiné d’une forte pression démographique et de l’action publique menée principalement à partir des années 1990 (Bertrand, 1997, 1998) : la dernière génération de lotissements administrés est alors mise en place dans un moment où l’État se montre soucieux de récupérer ses coûts d’investissement ; les quartiers non lotis, ou « irréguliers », font l’objet d’une reconnaissance politique après s’être multipliés en nombre depuis les années 1970 (Gibbal, 1988 ; Van Westen, 1995 ; Bertrand, 2011).

16Une fois les réserves foncières des périphéries urbaines épuisées, ce sont donc autant le développement « spontané » de la ville que les procédures du lotissement foncier qui se trouvent reportés sur le cercle de Kati, première ouverture sur la région de Koulikoro. Ces deux modes de constitution du parcellaire urbain s’y inscrivent dans la continuité de rapports de force et de compromis rodés dans la capitale, en combinant des sélections financières et des jeux de clientèles. Mais l’accès au sol et au logement suscite des tensions économiques et politiques qui se sont accrues sous la Troisième République malienne. On retrouve alors, au-delà du district : des choix politiques difficiles à mener entre la régularisation des uns et le déguerpissement des autres ; l’absorption d’anciens noyaux villageois, et les réticences soulevées par la marchandisation de leurs terres coutumières ; la constitution de nouveaux sonsorobougous¹¹ et le refoulement d’occupants désignés comme indésirables. Là aussi, la puissance publique cède la main aux collectivités locales et à des opérateurs privés. Les deux ressorts de la fabrique urbaine, régulier et irrégulier, formel et informel, entrent de nouveau en concurrence autour de nouvelles productions immobilières et d’acteurs fonciers diversifiés.

17La répartition de la population bamakoise traduit cette logique de redistribution centrifuge des populations, qui donne sur les marges du district des quartiers plus peuplés et plus étendus, et par conséquent moins denses que les vieux quartiers centraux (carte 4). L’espace urbanisé au 20^e siècle ne suffit plus, cependant, à absorber le croît démographique et la demande de logements. Les natifs de la capitale et de nouveaux migrants s’enquièrent désormais de parcelles à bâtir dans le cercle de Kati, où de nouveaux quartiers se dessinent. Si leurs trames et leurs toponymes sont encore provisoires, il convient cependant d’adapter la cartographie du territoire urbanisé, en passant de l’échelle du district (1/150 000) à celle du cercle de Kati (1/1 300 000).

Carte 4. Population résidente en 2009, par quartier du district de Bamako.

Vers une capitale d’ampleur régionale

18Une capitale d’ampleur régionale se constitue en effet en dépit des contraintes physiques qui affectent en particulier l’extension de la ville vers le nord, au contact des monts Mandingues (carte 1). Les nouvelles collectivités décentralisées, qui ceinturent le district et réorganisent la carte administrative du cercle de Kati dans les années 2000, sont marquées par une croissance démographique très forte, plus rapide encore que celle des communes urbaines méridionales (planche 6). Elles n’ont plus de « rural » que le nom. Les initiateurs d’un premier « forum » dédié au développement de Bamako tiennent compte de cette contribution périphérique et réévaluent l’augmentation de sa population à 5,4 % par an (Mairie du district de Bamako, 2010).

Planche 6. Communes et principales localités du cercle de Kati en 2009

19La population résidente du cercle de Kati est passée de 521 000 à 957 000 personnes entre 1998 et 2009, soit une progression de 84 %. Seule la commune de Kati y figure parmi les 19 communes de plein exercice que comptait le Mali jusqu’à l’avènement du multipartisme en 1992. Mais dans le prolongement de tous les quartiers périphériques de Bamako, vingt autres collectivités rurales, sur les 36 du cercle, ont déjà dépassé les 10 000 habitants et comptent parmi les plus fortes croissances démographiques enregistrées dans la dernière période intercensitaire. Les communes de Dialakorodji, Kalabancoro déjà mentionnée, Moribabougou et Sangarebougou enregistrent ainsi des taux annuels spectaculaires de 12 à 17 %, tandis que celles de Kati, Ngabacoro Droit, Safo, Baguineda Camp, Dogodouman et du Mandé complètent cette première couronne avec des valeurs élevées de 6 à 8 %. Ce sont donc les communes les plus éloignées du district qui stagnent ou progressent le moins, au profit d’un centre d’attraction migratoire et d’un périmètre urbain qui ne cessent de s’élargir (carte 5).

Carte 5. Évolution de la population résidente entre 1998 et 2009 par commune du cercle de Kati.

20Alors que les communes et les quartiers de Bamako présentent des limites administratives reconnues et appropriées depuis deux à trois décennies, les derniers contentieux ayant été réglés à l’entrée dans le 21^e siècle, la cartographie des tendances à l’œuvre dans le cercle de Kati bute sur un important problème méthodologique. Les limites des communes rurales restent largement méconnues des populations de base, voire de leurs représentants. Quant aux localités, elles ne sont identifiées que par un point sur la carte ; la plupart des communautés et des chefs de village se refusent à coucher par écrit les contours de leurs terroirs, souvent faute de consensus avec les dépositaires des droits fonciers voisins ; ils ne maintiennent les repères territoriaux de leur légitimité coutumière que dans une carte mentale. Dans ces conditions, il est encore plus difficile d’identifier les quartiers des bourgades les plus importantes, ainsi que les nouvelles communautés de voisinage qu’a apportées la dernière décennie.

21En prenant le fond cartographique d’une entité administrative pour visualiser le continuum spatial de l’agglomération, on risque alors de retrouver des problèmes d’information censitaire déjà connus pour le district de Bamako. Pour pallier le manque de définition territoriale de quelque 500 localités classées comme « rurales », il faudra surtout s’habituer à une représentation graphique leur donnant une géométrie qu’elles n’ont pas dans le cercle de Kati. Ces contours seront calculés automatiquement, sur une base purement géométrique, par le système d’information géographique que la convention de recherche Instat/IRD a dédié aux données censitaires. Les limites ainsi générées pour ces polygones géoréférencés seront posées à mi-distance entre chaque point villageois et les points voisins¹². Elles permettront d’apprécier l’étalement de l’agglomération et d’y cartographier des valeurs relatives.

22Nécessité est donc de reconstituer, depuis le district de Bamako, le scénario d’une métropolisation à l’africaine : non pas en mesurant le nombre, l’attractivité et la hiérarchisation de pôles d’emploi formel, ni même le rôle joué par quelques centralités économiques associées à de fortes concentrations d’activités informelles ; mais en suivant plus sûrement le débordement résidentiel de la ville vers de nouvelles banlieues, les reconversions de l’usage du sol qui se préparent par-delà cette tache urbanisée en continu ; en observant alors comment se croisent des flux entrants dans la ville et les déménagements qui en sortent. Depuis le centre-ville, puis les 66 quartiers de Bamako, c’est ainsi que se constituent l’agglomération et son influence régionale : principalement par la fonction d’habitation et les mobilités qu’elle oriente vers le travail et les services essentiels. On ne pourra donc conclure cet atlas sans aborder le mitage des terres qui en découle aujourd’hui (chapitre 8).

23Alors que le taux annuel d’accroissement de la population urbaine avait diminué dans la région de Koulikoro, entre la période intercensitaire 1976-1987 (6,1 %) et la suivante (1987-1998 : 5,5 %), il atteint 10,3 % entre 1998 et 2009. Il s’agit du maximum des valeurs régionales maliennes si l’on s’en tient au seuil de 5 000 habitants pour compter la population des villes. Mais la région ne compte que trois communes urbaines¹³, et guère de compléments économiques au centre commercial de Bamako. La nouvelle définition de l’urbain rabaisse donc ce taux à 4,5 % par an, valeur plutôt médiocre parmi les moyennes régionales.

24Aborder l’étalement de Bamako par sa donne démographique ne signifie pas cependant qu’il faudrait évacuer d’autres éléments de discussion du « tournant urbain » et des « transitions métropolitaines » marquant le développement territorial d’un pays du Sud depuis trois décennies. Comme ses voisins, celui-ci se fait l’écho d’une forte internationalisation des marchés, des investissements et des normes de gestion économique. La capitale malienne montre également le poids croissant des natifs dans sa population : en 2009, la majorité des habitants de Bamako (54 %) contredisent désormais l’image d’une « ville de migrants ». C’est certes beaucoup moins en proportion que dans les autres régions du pays, dont les natifs représentent entre les deux tiers et plus de quatre cinquièmes des habitants. Mais la référence à l’« exode rural » est bien à repenser en tenant compte de la jeunesse de cette population citadine et d’autres turbulences migratoires. Le poids des natifs aujourd’hui est surtout la conséquence de celui des migrants intérieurs, plus déterminant dans les générations précédentes, qui ont durablement marqué la fécondité locale en renonçant à repartir dans leurs villages d’origine.

25Montée en puissance d’une économie libérale depuis les programmes d’ajustement structurel¹⁴, relais pris par les politiques de lutte contre la pauvreté et les objectifs de développement du nouveau millénaire : le contexte international et des singularités nationales croisent leurs effets dans les transformations de la capitale malienne. Différents quartiers bamakois et localités rattrapés par leur expansion viendront alors rappeler l’historicité de la ville et les changements de génération qu’a connus sa population. À deux moments de la trajectoire politique nationale, au lendemain de la transition démocratique de 1991-1992¹⁵ puis à l’annonce d’une crise majeure de la Troisième République, l’enquête viendra en complément des recensements pour répondre aux besoins d’un suivi urbain sur la durée.

Limites des données de recensement

26Quatre contraintes méthodologiques, communes au Mali et à ses voisins, apparaissent cependant à l’exploitation des données de recensement, en dépit de la couverture complète qu’elles font du pays depuis 1976 et des catégories habituelles à ces comptages nationaux, que les enquêtes reprendront (encadré 1).

Actualisation des mesures, valorisation locale des données

27La première contrainte scientifique est celle des délais de publication des résultats dans des contextes marqués par un croît démographique rapide. Et pourtant l’espacement entre les opérations de recensement, de onze ans, est au Mali plus constant et plus satisfaisant que dans bien d’autres pays africains ; les grandes tendances font aussi l’objet de rapports aujourd’hui plus accessibles depuis la réorganisation de l’Instat-Mali. Il n’en reste pas moins que l’accès aux données « individus » et « ménages » reste une entreprise complexe tant que les corrections n’ont pas été menées, et même après la sortie de tableaux croisés pour chaque région. Entre les résultats provisoires donnés pour le comptage de 2009, publiés deux ans après, et les résultats définitifs publiés dans le Répertoire des villages du Mali (Instat, 2013), le cercle de Kati gagne pourtant 34 000 habitants. Les données sont tout juste stabilisées qu’il faut déjà préparer le recensement suivant.

28La question n’est pas seulement de caler au mieux le plan de sondage d’une enquête entre deux bilans nationaux ; elle est aussi de suivre le développement rapide d’une agglomération à cheval sur deux régions administratives. Le recul des limites urbaines impose de reprendre la cartographie des unités de dénombrement à chaque recensement¹⁶, alors que celle des localités concernées n’existe pratiquement pas, n’est pas mise à jour ou est restée sur support papier. Fruit d’un colossal travail de terrain, cette découpe démographique du territoire de Bamako et du cercle de Kati n’a pu nous être confiée que partiellement et tardivement avec les résultats du 4^e recensement.

29On touche ici à une réelle difficulté pour appréhender les enjeux et la dynamique du peuplement urbain à une échelle spatiale fine. Malgré des efforts pour cartographier les résultats de 2009 relatifs à la pauvreté (Instat, 2012-c), le recensement malien reste un outil trop peu orienté vers l’analyse spatiale. Il ne présente à l’échelle communale qu’une dizaine de cartes thématiques susceptibles de servir les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), et n’aborde que très partiellement la définition des « taudis » formulée au même moment par les Nations unies pour agir sur la vulnérabilité urbaine¹⁷. Les indicateurs 7.10 des OMD et 11.1.1 des Objectifs pour le développement durable (ODD) définissent ainsi les slums : « Un groupe de personnes vivant sous le même toit et manquant au moins d’un des éléments suivants : accès à l’eau potable ; accès à des installations sanitaires adéquates ; espace habitable suffisant ; logement durable ; sécurité d’occupation. L’information sur la sécurité de la tenure du logement n’étant pas disponible dans la plupart des pays, seuls les quatre premiers indicateurs sont utilisés pour définir un ménage habitant un taudis et pour estimer alors la proportion de la population urbaine vivant dans les taudis. » De fait, le système statistique malien n’est pas en mesure de produire une information fiable sur la sécurité de la tenure foncière dans les villes. Le profil de Bamako établi par le programme des Nations unies pour les établissements humains reste ainsi laconique sur l’impact territorial et démographique des « bidonvilles en cours de réhabilitation » dans la capitale (ONU-Habitat, 2012). Au moment où les défis du « dividende » démographique sont pointés partout sur le continent africain, il reste aussi difficile d’apprécier les discriminations spatiales qu’entraînent les mutations des marchés du logement et de l’emploi, de l’accès des filles à la scolarisation, notamment secondaire, etc.

30Bien que l’agglomération de Bamako concentre à elle seule plus d’habitants que chacun des cercles des autres régions maliennes, le niveau des communes et celui des quartiers ne sont jamais mobilisés quand il s’agit de caractériser sa population par tableaux croisés. Seul le répertoire des villages du Mali dresse l’inventaire de ces quartiers au même titre que les villages des communes rurales. Malgré les populations inégales qu’ont montrées plus haut ces « localités » censitaires, et que confirment ici les charges démographiques moyennes (tableau 6), les données de recensement sont rarement exploitées à ce niveau infracommunal.

31Ces délais et insuffisances de la cartographie infra-urbaine expliquent d’abord que la thèse de Moïse Ballo, consacrée précisément à l’exploitation du recensement ne présente que les résultats par SE de 1987, les données tout juste collectées du recensement suivant n’étant pas encore disponibles (Ballo, 1999). Ces résultats de 1998 ne seront d’ailleurs pas valorisés en deçà des agrégats communaux à Bamako. Plus récemment, le niveau d’information des « localités » fait l’objet d’une cartographie mobilisant quelques variables individuelles du RGPH 2009 pour le district de Bamako et huit des communes rurales voisines (Mesplé-Somps et al., 2014). Mais la démarche néglige ici les contours des quartiers déjà constitués, géométrisant l’espace urbain et le privant de repères contextuels importants. Le bilan des équipements locaux n’est pas dressé, ce qui laisse les municipalités ayant de réelles velléités d’aménagement en manque d’outils géographiques pour prioriser leurs besoins.

Caractériser le peuplement urbain, délimiter l’espace de la ville

32Une troisième contrainte des données de recensement découle de catégories peu pertinentes ou de nomenclatures instables d’un recensement à l’autre. On a vu les écarts de mesure que suscitait au Mali la révision de la définition de la population urbaine en 2009, selon un critère administratif qui pose plus de questions qu’il n’en résout. D’autres problèmes concernent l’appréciation des flux urbains. Le recensement de 1998 interrompt ainsi la distinction entre « intérieurs » et « extérieurs » qui s’appliquait auparavant aux visiteurs et aux résidents absents dénombrés dans les ménages : avec l’origine des premiers (appréciée par un code cercle au Mali ou un code pays à l’étranger), la destination des seconds, on perd de vue la balance globale entre des flux internes au pays et ses échanges avec l’étranger.

La résidence en questions

33Deux questions ajoutées en 1998 devraient cependant préciser la migration des résidents. Elles concernent leur durée de résidence (en nombre d’années) au moment du recensement, et le lieu de résidence antérieur (code cercle au Mali ou code pays à l’étranger) pour ceux qui déclarent avoir séjourné plus de six mois ailleurs. Ces questions sont conservées en 2009, mais elles restent difficilement exploitables faute d’un repère temporel commun à tous les individus qui pourraient avoir déménagé dans les cinq ou les dix dernières années. On en reste donc à une vision limitée de la migration « durée de vie », et à aucune mesure de la mobilité résidentielle intra-urbaine. Dans ces conditions, il est difficile d’apprécier les circulations qui animent les marchés du travail et du logement urbain. Et pourtant, malgré l’écart démographique entre la capitale et le reste du pays, les habitants de Bamako entretiennent des liens persistants avec d’autres lieux de vie qu’il s’agira de préciser autrement qu’avec le recensement.

34Décrite par d’autres catégories censitaires, celles de la « concession » et du « ménage-logement », la résidence introduit mieux aux mondes sociaux de la ville. Avec les mêmes définitions, l’enquête pourra même informer les flux qui se croisent à Bamako, y convergent ou s’en éloignent, mieux qu’en recherchant les lieux d’origine à la naissance et de résidence antérieure des occupants de ces maisons. Mais la définition malienne du ménage, comme plus généralement dans les recensements africains, n’est pas sans limites pour mesurer les consommations domestiques : elle repose sur le partage du même « toit » et néglige les logiques du « pot commun » qui peuvent sortir de l’espace du logement ou ne concerner qu’une partie de ses occupants (Bertrand, 2005). Avec la pression foncière qui augmente dans la grande ville, on verra ainsi de jeunes gens recensés comme étant « en charge de leur logement » alors qu’ils ne font qu’y dormir dans une simple chambre, et s’en remettent à leur tuteur pour le paiement du loyer faute de place dans la maison familiale.

35La classification des membres du ménage pose d’autres problèmes en étant reliée par le recensement au seul référent du logement. Les résidents sont ainsi catégorisés comme : chef de ménage, épouse (ou époux), fils ou fille, frère ou sœur, père ou mère, petit(e)s-fils/fille, neveu/nièce, oncle/tante, belle-fille/beau-fils ou autres parents du chef de ménage, domestique ou sans lien de parenté avec le chef de ménage. Exprimées en français, ces catégories familiales peuvent être diversement comprises lors des opérations de recensement. L’information est précisée selon trois générations familiales, ce qui contraste avec la sécheresse de la catégorie « sans lien de parenté ». Mais surtout le lien d’hébergement n’est rapporté qu’à un seul tuteur social, généralement un homme. L’analyse est alors privée de clés de compréhension concernant le rôle des épouses et de plus larges arbitrages domestiques.

36Le mode d’occupation des logements offre de même de précieuses possibilités de comparer les populations urbaines selon leur standing économique. Là encore, le recensement propose de nouvelles catégories mais maintient des limites d’exploitation des résultats. Cette variable du statut résidentiel des ménages se montre sérieusement renouvelée à partir de 1998, après deux recensements marqués par la même trilogie des « propriétaires », des « locataires » et des « hébergés à titre gratuit ». On compte depuis la notion de « copropriétaire » ainsi qu’une distinction supplémentaire entre propriétaires : avec ou sans « titre foncier ». Mais le titre de propriété reste une notion floue dans les esprits, et à contenu variable : juridiquement « précaires » selon le droit foncier colonial puis malien, la concession rurale et le permis d’occuper deviendront « titre provisoire » au début de l’année 2009 ; mais la majorité de leurs détenteurs occupants, déclarés propriétaires par le recensement, n’a pas fait évoluer ces droits limités vers les droits « pleins et entiers » d’un titre dûment immatriculé. D’autres résidents se prévalent d’une simple lettre d’attribution pour revendiquer leur statut de propriétaire avec titre, alors qu’ils se sont même dispensés d’une autorisation de construire sur la parcelle qu’ils ont acquise par voie administrative. Quant aux propriétaires détenteurs de titres définitivement enregistrés au Livre foncier du Mali, ils se montrent en effet plus nombreux depuis les années 1990, mais la confusion administrative gagne alors les transactions qui les orientent vers des terres de périphérie urbaine, et contamine leurs propres documents de propriété (chapitre 9).

37Dans la même série des tenures du logement, la référence à la « copropriété » est elle aussi ambiguë car l’expression n’est pas courante et sa compréhension n’est pas évidente au Mali : s’agit-il de contrats formels de propriété, sur le modèle de gestion des immeubles à étage que les pays européens ont banalisé au cours du 20^e siècle, pour désigner une communauté juridique de biens et pour en distinguer les parties collectives et les parties privatives ? Ou s’agit-il de désigner les membres d’une même lignée cohabitant dans la même maison familiale, des ménages redevables de différentes générations mais reconnaissant tous l’autorité de leur chef de famille, traditionnel garant de la propriété ? Ni l’une ni l’autre des deux acceptions n’est réellement explicitée mais la seconde colle à la réalité urbaine du Mali. Elle est retenue ici même quand les budgets alimentaires, les factures d’eau et d’électricité des ménages concernés tendent à s’individualiser.

38La catégorie « location-vente » entre enfin dans la nomenclature de 1998 en étant présentée comme un sous-type de location. Elle connaît certes un fort développement depuis les années 2000, mais elle n’est pas vécue comme l’affaire de locataires. Elle caractérise davantage des ménages accédant à la propriété de maisons qu’ils n’ont pas construites eux-mêmes, comme habituellement, et de logements qui leur ont été livrés clé en main. La catégorie vient alors rappeler qu’ils doivent rembourser le prêt bancaire garanti en particulier par l’État, par l’intermédiaire de l’Office malien de l’habitat (OMH), dans le cadre de nouveaux programmes immobiliers. La nouvelle classification des statuts résidentiels introduit donc plus d’incertitudes que de précisions pour apprécier les sélections à l’œuvre dans les processus d’accès au sol et au logement.

39Mais surtout, on ne trouve aucun tableau valorisant le niveau d’échelle de la concession dans les rapports d’analyse faisant suite aux opérations de recensement. Les propriétaires de ces maisons d’habitation sont-ils présents ou non dans le bâti qu’ils ont promu ? Sont-ils bailleurs de tout ou partie des pièces qu’ils y ont édifiées au fil du temps ? Par ses enjeux marchands, l’habitat urbain dépasse assurément les responsabilités de « chefs de concession » et de « chefs de famille » qui sont encore largement confondues dans les villages. Et pourtant aucune mesure propre aux concessions ne vient quantifier ce parcellaire urbain ni préciser les cohabitations qui en découlent : entre certains propriétaires et certains locataires, mais pas tous ; au sein de certaines familles qui se montrent plus complexes que d’autres. L’enquête devra donc pallier ce défaut d’exploitation selon sa propre grille d’analyse de la composition des maisons bamakoises.

Vers une information urbaine spatialisée

40Malgré de réels progrès accomplis par les collectes de recensement et la bonne qualité générale de celle de 2009, une quatrième difficulté d’en valoriser les données découle enfin du fait qu’elles ne se laissent pas aisément géoréférencer et croiser avec d’autres couches d’information dans un véritable système d’information géographique. Celui dédié à la capitale par la convention de recherche Instat/IRD a donc dû tenir compte d’abord de la réorganisation du répertoire des villages du Mali dès 1998. En prenant acte des réformes de décentralisation, celui-ci révisait les codes de toutes les localités et les reclassait au sein de près de 700 communes rurales se substituant aux arrondissements comme première référence administrative. La définition territoriale qui sera donnée à ces communes dans l’exploitation du recensement suivant de 2009 ne viendra ni du ministère de l’Économie qui coiffe le système statistique malien, ni de l’Institut géographique du Mali qui relève d’une autre tutelle. Elle viendra d’une administration territoriale encore peu outillée pour numériser et partager sa propre information géographique.

41À ces remaniements internes dans les cercles, s’ajoute surtout l’étalement spatial rapide de Bamako, qui complique considérablement la cartographie des résultats du recensement.

42Lors du passage d’enquête de 2011, la carte des quartiers du district est pourtant plus consensuelle et mieux stabilisée qu’elle ne l’était au début des années 1990, quand il s’agissait de définir un premier échantillon d’étude. Quelques limites sont encore contestées, comme entre les communes III et IV de Bamako ou entre les quartiers Fadjiguila et Djoumanzana. Mais ces disputes sont bien résiduelles, et la carte au 1/25 000 produite en juin 2010 par l’Institut géographique du Mali, à partir des documents Carpol¹⁸ de 1990, officialise les contours de ces localités urbaines. De plus petites entités territoriales apparaissent aussi dans certains quartiers et selon les initiatives cartographiques : ces « secteurs » urbains sont tantôt reconnus comme tels au sein de leur quartier de référence, tantôt portés au rang de quartier assuré d’une chefferie propre, tantôt ignorés par l’administration qui n’y voit qu’un simple repère toponymique.

43Mais il s’agit là de problèmes mineurs au regard de la confusion territoriale qui embrase les nouvelles banlieues urbaines ou qui ressurgit de l’ancien arrondissement de Kalaban-Coro après les élections municipales de 1999 (encadré 2), quand le territoire malien est désormais intégralement communalisé (Bertrand, 1999-a). De nouveaux quartiers émergent d’un lotissement d’habitation, d’un programme immobilier ou d’une zone de recasement destinée à accueillir des déguerpis de la ville. Les habitants de simples hameaux revendiquent une gestion autonome et non plus dépendante de chefs coutumiers rappelant sans cesse qu’ils les ont installés comme satellites de leurs villages. Partout les vieilles allégeances territoriales, nées de hiérarchies lignagères, se montrent minées de dissidences, contestées en légitimité, ou retravaillées par des pressions venant de la ville.

44La délimitation des communes adjacentes à celles de Bamako apparaît donc arbitraire à maints égards, mal appropriée, variable d’une source cartographique à l’autre, et soumise à diverses renégociations dès les premières années de la décentralisation. Les repères administratifs et toponymiques associés aux anciens arrondissements restent alors forts, entraînant notamment la confusion entre celui de Kalaban-Coro et la commune du même nom qui vient de s’implanter sur une partie de son territoire. Des villages se montrent « flottants » en changeant de rattachement communal (Coulibaly, 2016). D’autres sont enclavés dans le territoire d’une collectivité qu’ils ne reconnaissent pas comme la leur (Kouma, 2017). La nouvelle donne révèle surtout de nombreux contentieux fonciers et des querelles de limites non réglées entre les villages. Les dépositaires de droits communautaires sont obligés d’une manière ou d’une autre de s’en référer aux nouveaux édiles municipaux, tandis que d’autres acteurs urbains font bouger les lignes de ces conflits par leurs propres convoitises foncières et les transforment en litiges devant les juridictions maliennes. Tous ces exemples défraient la chronique du fonctionnement chaotique des collectivités locales périurbaines. Les nouveaux foyers de peuplement se partagent en bordure du district entre ceux qui font allégeance aux communes urbaines, et ceux qui refusent de se voir « mangés par Bamako ». De fait, la refonte administrative n’a pas calmé les dissensions territoriales, elle les a plutôt exacerbées. Elle n’a pas davantage résorbé la conflictualité foncière issue de limites floues, de droits superposés et de revendications concurrentes.

45Sur le pourtour de Bamako, deux cartes illustrent ainsi la difficulté à rapporter la moindre donnée à une compétence locale et à une responsabilité territoriale précises. Les contours de gauche rappellent la définition spatiale fluctuante du district selon les sources d’action publique et parmi différentes prospectives communales qui ont suivi la décentralisation dans les années 2000 (carte 6). Le tracé le plus droit est consacré par l’Institut géographique du Mali (IGM) dans sa carte de 2010. Il semble l’emporter dans la littérature grise consacrée à la capitale depuis plus d’une décennie, après avoir été repris de la carte de l’Institut géographique national (IGN) et de la Direction nationale de la cartographie topographie (DNCT) éditée en 1980 au 1/20 000¹⁹. C’est le contour que retiennent les programmes communaux de développement social urbain, puis la mairie du district pour la vision stratégique qu’elle porte à l’horizon 2030²⁰. On s’y réfère ici aussi pour informer la ville. Mais la cartographie officielle de la décentralisation, produite depuis 1998 par la Direction nationale des collectivités locales (« base Oise », MATCL/DNCT) a ignoré ces limites. Comme le montre la figure de gauche, elle a largement mordu sur le territoire du district pour donner une extension maximale aux nouvelles communes rurales.

Carte 6. Limites communales incertaines.

46D’autres cartes en restent cependant à des lignes plus rondes pour le district, et à une étendue qui chevauche à l’inverse le territoire de Kati. Le carton administratif qui accompagne en 1988 la carte au 1/50 000 de Bamako est (IGN-DNCT) rappelle ces contours flous et ondulants. C’est le cas ensuite des Plans sectoriels de développement (PSD, 2008) élaborés en matière d’eau et d’assainissement pour les six communes bamakoises. Les limites de la ville se montrent donc extensibles à l’égard de l’arrondissement de Kalaban-Coro, qui ceinture complètement Bamako, puis des collectivités locales rurales (carte 7).

Carte 7. Cartographies du contact Bamako/Kati, 1988-2018.

47Quant aux données numériques les plus récentes de l’IGM, elles ne font pas davantage consensus ni ne closent le débat cartographique. À la fin des années 2010, cette dernière définition territoriale du district de Bamako ajoute à la commune IV une boursouflure correspondant au secteur de Sibiribougou, qui est déjà recensé avec elle dans le prolongement occidental du quartier de Sébénicoro. D’autres extensions sont pourtant refusées à la commune VI, alors que son quartier de Sénou, le plus méridional, a connu un fort élargissement sur des terres de Kati, et de même aux communes II et III, alors que les villages de Ngomi, d’une part, Sirakoro Dounfing et Koulouniko, d’autre part, leur sont déjà rattachés par le recensement et sont de plus rejoints par la tache urbaine. Enfin, la révision de l’IGM étend considérablement le territoire de la commune urbaine de Kati au détriment de celle de Kambila dans laquelle elle est, elle aussi, enclavée.

48Le manque de cohérence, de concertation et de coordination est donc évident de tous côtés. Les dernières données numériques de l’IGM ne coïncident ni avec la base Oise du MATCL/DNCT ni avec l’information donnée pour le Mali par la base Global Administrative Areas (GADM)²¹ que quelques autorités locales ont reprises à leur compte dans les années 2010. On comprend donc pourquoi les métadonnées du SIG échafaudé pour Bamako par le gouvernorat du district indiquent quatre sources différentes pour informer le parcellaire et les équipements urbains dans une géographie administrative des plus incertaines : le projet PDSU (2007) offre le plus grand nombre de couches de données ; s’y ajoutent celles fournies en 2010 par les projets ARP, Pact GTZ (Programme d’appui aux collectivités territoriales, soutenu par la coopération allemande) et celles du gouvernorat lui-même. Tributaire de ressources extérieures, ce SIG n’est plus à jour.

49L’imbroglio territorial généré par la décentralisation ressort finalement des différentes représentations graphiques du contact Bamako/Kati. Les communes rurales sont entrées en fonction au moment où les autorités urbaines se préoccupaient déjà d’un recul de limites pour le district, sa compétence territoriale devant elle aussi s’affranchir de la donne de 1978 et s’ajuster à celle du nouveau millénaire. Mais les autorités nationales ont donné d’autres consignes : plus du tiers de la commune I est ainsi inscrit dans le territoire de Sangarebougou ; une grande partie de la commune IV correspond à celui de Dogodouman. Ces deux collectivités locales du cercle de Kati ne disposent que d’un petit triangle de terres à administrer en limite de Bamako, au point qu’elles sont parfois confondues avec d’autres quartiers du district. Au nord du district, le village de Nafadji se trouve ainsi écartelé entre le quartier de Djoumanzana qui le désigne comme son aire d’extension, la commune I qui convoite ses terres pour recaser des administrés déguerpis depuis d’autres quartiers, et deux autres communes rurales limitrophes.

50La limite administrative du district corsète donc très inégalement la ville et freine difficilement les velléités d’expansion de ses quartiers. D’une carte à l’autre, cette donne territoriale reste un point sensible de la gestion urbaine. Son échelle a changé : d’une quinzaine de kilomètres à parcourir pour relier les bordures ouest et est du district, on est passé à près de 50 kilomètres pour relier au-delà des banlieues urbanisées en continu selon la même orientation. Ces désordres du territoire sont d’abord ceux de la gestion foncière locale. Mais ils sont entretenus par un constant débordement décisionnel et fiscal des communes urbaines sur les collectivités voisines. Ici des élus de Bamako réquisitionnent des terres pour sortir leurs électeurs de la location ; ailleurs ils déversent les déchets qui n’ont plus de place en ville ; et sur les grands axes ils décident unilatéralement d’imposer des redevances aux véhicules gros porteurs entrant dans l’agglomération. Définir son assise territoriale, lui assurer une cohérence de gestion sur la durée ne sont pas les moindres des défis posés par l’étalement urbain.

51Pour l’heure, l’espace du « grand Bamako » qui s’esquisse sans existence institutionnelle reste mal informé. Les ressources financières et humaines manquent actuellement aux politiques publiques d’aménagement du territoire, et manqueraient assurément à la mise en place d’un gouvernement métropolitain. Mais le défaut de données est surtout la conséquence du reclassement largement improvisé, du rural à l’urbain, des populations et des sols passés dans l’orbite de la capitale. Pour comprendre plus précisément comment se compose cette région encore en extension, un changement de méthode est aussi nécessaire que celui des échelles de mesure.

Jalons scientifiques à prolonger

52À cet égard, le recensement reste un outil de connaissance et de gestion précieux pour l’aménagement de la capitale malienne. À l’échelle des quartiers bamakois, on retiendra l’intérêt des cartes de densité et de tenure résidentielles (chapitres 3 et 4), les discriminations liées à la formation et à l’emploi des actifs (chapitre 5). Le profil général de la capitale est ici rappelé selon deux axes de comparaison : avec le reste du pays, puis avec l’environnement rural de la ville.

Le bassin migratoire de la capitale au Mali

Origines et destinations des Bamakois selon la migration « durée de vie »

53Les données disponibles pour 2009, les plus récentes, offrent une première approche du renouvellement démographique de Bamako. Le croisement entre la résidence des populations au moment du recensement et leur origine au Mali définit la migration « durée de vie », que l’on aborde ici à l’échelle des cercles administratifs. Les lieux de naissance dont la région est connue mais pas le cercle sont alors rattachés aux chefs-lieux de région, qui sont donc légèrement surévalués dans cette mesure de l’origine migratoire des Bamakois.

54L’origine des Bamakois et la destination des migrants donnent en 2009 des distributions spatiales totalement différentes, confirmant ainsi l’écart de population entre la capitale et les autres cercles maliens (planche 7). Les lieux de naissance des premiers font ressortir une grande partie du territoire national, tandis que la migration reste polarisée par le district. Les Bamakois sortent donc beaucoup moins de la capitale quand ils y sont nés, qu’ils n’y entrent quand ils sont nés dans les autres régions du Mali.

Planche 7. En 2009, où sont nés au Mali les résidents de Bamako ? Où résident les natifs de la capitale ?

55La population malienne se concentre cependant, à la naissance, dans les régions de Sikasso et de Koulikoro, de Ségou et Mopti au centre, et secondairement dans la région occidentale de Kayes. Cette géographie se retrouve donc dans les orientations que prennent les natifs de Bamako. Quant au Septentrion malien, il est peu attractif pour eux, comme d’ailleurs pour les ressortissants des autres régions du pays. Il reste de même peu représenté parmi les lieux d’origine des migrants à Bamako, du moins quelque temps avant la crise de 2012, et l’est principalement par les cercles et chefs-lieux qui suivent la boucle du Niger. Ce réservoir démographique est en effet faible et très dépendant des ressources hydriques aux latitudes sahéliennes et arides. L’éloignement de la capitale se ressent dans ces espaces mal équipés en routes ; les habitudes et les perspectives migratoires s’orientent davantage vers les frontières du Niger, de l’Algérie et de la Mauritanie.

56De fait, 46 % des résidents du district en 2009 sont migrants, c’est-à-dire natifs d’un cercle différent du lieu où ils sont recensés. La proportion est maximale dans le pays. Selon la même source censitaire, le district de Bamako représenterait à lui seul 39 % des migrants « durée de vie » du Mali (Instat, 2012-b). Ce déséquilibre s’inscrit donc structurellement dans l’espace national : la capitale se distingue non seulement à l’égard des populations vivant en milieu rural (10 % de migrants en moyenne ; un minimum de 4 % enregistré dans la région de Gao et un maximum de 17 % dans celle de Koulikoro), mais aussi à l’égard des autres populations urbaines. Pour celles-ci, la proportion de migrants ne dépasse pas 32 % dans la région de Koulikoro.

57Quant aux nuances que les principales variables démographiques pourraient introduire dans ces flux orientés vers la capitale, elles restent secondaires. Mais la capitale retient mieux les jeunes de moins de 15 ans qui y sont nés, en montrant pour ce groupe d’âge des proportions plus fortes qu’ailleurs. Les autres cercles maliens attirent relativement plus les actifs situés dans les classes d’âge de 15 à 59 ans, tandis que les plus de 60 ans restent peu visibles à cette échelle de mesure. La comparaison des jeunes et des actifs montre par contre moins de discriminations dans l’espace national si l’on considère l’origine des migrants résidant à Bamako en 2009. Enfin, le sexe n’introduit pas de variation majeure : ni pour ce qui concerne l’origine des migrants résidant à Bamako ni pour les destinations prises par les natifs de la capitale. D’autres mesures d’enquête, à l’échelle des quartiers urbains, reviendront sur le caractère genré des pratiques d’habitation.

Des mouvements interrégionaux plus récents

58Un second panorama des migrations interrégionales découle du comptage des individus ayant répondu « Oui » à la question « Avez-vous déjà résidé ailleurs pendant plus de six mois, et où habitiez-vous (cercle, région ou pays) avant de vous installer là où vous résidez actuellement ? ». Selon un recul plus court que la durée de vie, cette mesure de mobilité permet d’établir de nouvelles matrices origine/destination.

59Décrit par le lieu de séjour précédant celui au moment du recensement, le fait d’avoir migré concerne près de 1 900 000 personnes, représentant 13 % de la population résidente au Mali en 2009 (tableau 7). La proportion est donc légèrement inférieure à celle des migrants « durée de vie » : 16 % à la même date. L’information donnée ici est relativement limitée sur les orientations prises par ces mouvements. Elle montre surtout une forte corrélation entre les régions de naissance et d’origine du dernier mouvement résidentiel : la plupart des migrants récents viennent d’une région qui est aussi celle où ils sont nés.

Tableau 7 – Migration récente et résidence antérieure des populations recensées en 2009

60Le district de Bamako se montre de nouveau très concerné par ces flux internes : il est la première région pourvoyeuse de migrants dans le pays (22 %), alors qu’il compte l’une des plus faibles proportions (56 %) de natifs parmi les migrants récents. Il est également la principale destination depuis d’autres régions de naissance, avant le déménagement au lieu de recensement. La capitale du Mali constitue donc l’épicentre de la migration interne mais elle contient ses résidents plus qu’elle les redistribue dans le reste du pays.

61Nourris sur deux ou trois générations, ces apports migratoires expliquent aussi que Bamako soit aujourd’hui majoritairement peuplé de natifs, qui font la jeunesse de sa population : comme dans d’autres capitales africaines, la part des moins de 15 ans s’est renforcée au fur et à mesure que de jeunes actifs, immigrés en ville au plus fort de leur fécondité, y ont fait souche, ont fondé des familles, convoité des parcelles à bâtir dans les nouveaux quartiers, reléguant ainsi leurs caractéristiques de « migrants » pour adopter une identité citadine.

62On touche ici du doigt la tension dans laquelle se renouvelle cet habiter urbain, entre l’influence d’apports extérieurs et de puissantes logiques d’adaptation à la ville. Avec son lot d’inégalités et de discriminations spatiales, l’accès des migrants aux ressources urbaines devra donc être plus finement apprécié dans l’espace, et en tenant compte de ces différentes générations. Pour l’heure, les matrices origine/destination relativisent chacun des deux modèles habituellement mis en avant à propos des relations entre villes et campagnes : l’un soutenant que les Africains tendent à conserver « un pied dans le rural, un pied dans l’urbain », et que les circulations entre les deux milieux sont à bénéfices partagés ; l’autre en ne voyant dans les villes qu’un terminus migratoire, point de non-retour de « l’exode rural », et leur donnant le rôle d’un centre dominateur à l’égard des périphéries rurales (Bertrand, 2009).

63Limité à quelques bilans régionaux de la migration au Mali, le recensement se montre donc un outil sommaire pour mesurer les formes, les orientations et la portée générale de la mobilité spatiale en ville. La convention de recherche qui a permis l’exploitation de ces microdonnées n’en est que plus précieuse pour multiplier les croisements entre quelques variables structurantes, en présenter les résultats à une échelle infracommunale. On distinguera ainsi les flux contribuant à la croissance extensive de Bamako, par élargissement de son peuplement, et la pression résidentielle qui s’y exerce in situ. En partant de même des données individuelles, on approche ici ce qui revient au solde naturel des habitants entre 2008 et 2009, bilan fortement positif, et ce qui revient plus encore à des flux migratoires récents dans l’agglomération (tableau 8).

Tableau 8 – Bilan naturel et migratoire de la population recensée dans le 4^e RGPH

Des standings d’habitation toujours peu différenciés en ville ?

64Par son architecture et les services en réseau auxquels il donne accès, le logement constitue un second point de mesure des différences d’équipement entre villes et campagnes, mais aussi des discriminations économiques auxquelles les habitants d’une même agglomération font face. Il n’est pas pour autant un reflet toujours fidèle de leurs ressources financières, ni le seul indicateur de la pauvreté urbaine. Des précarités foncières, des vulnérabilités environnementales y renvoient également. Divers facteurs individuels et politiques seront donc à prendre en compte pour jauger ces standings d’habitation et les attentes des citadins à l’égard du développement urbain.

Les modèles de construction, première référence de l’opposition rural/urbain

65Depuis 1987, les trois derniers recensements offrent un recul intéressant pour comparer Bamako avec son environnement rural tout en mesurant l’émergence de différences proprement urbaines. La montée en puissance des discriminations économiques ressort en effet clairement des deux dernières décennies. L’expansion de la ville vient alors beaucoup plus de sa population que de ses réseaux techniques et de son périmètre de gestion.

66Le type de bâti constitue d’abord un bon marqueur de l’individualisation qui affecte l’habitat urbain et ses références culturelles. Plutôt que le terme de « concession » auquel le recensement se réfère pour désigner ces maisons et traduire le mot bambara de [du], on préfère rappeler ici l’héritage historique de l’habitat de cour et les pratiques d’autopromotion immobilière qui lui sont associées sur le continent africain (Antoine et al. 1987 ; Le Bris et al., 1987 ; Canel et al., 1990) : 59 % des logements recensés en 2009 prouvent encore l’importance de cette architecture basse et évolutive dans le district de Bamako, même si la proportion a bien chuté en vingt ans (94 % des logements en 1987) (figure 2). Sur ce plan, le bâti urbain est donc d’abord l’héritier de savoir-faire ruraux transposés dans les plans en damiers des lotissements coloniaux, puis dans les trames assainies des politiques maliennes. Destiné à loger plusieurs générations familiales, l’habitat de cour reste organisé autour d’un espace central non bâti ; il se compose de plusieurs bâtiments, plus ou moins jointifs et de tailles souvent inégales.

Figure 2. Évolution des principaux types de bâti à Bamako et environs depuis les années 1980.

67Les immeubles d’habitation à étages se montrent alors négligeables à Bamako, même au terme des années 2000 qui ont vu se multiplier ces logements en appartements. La progression du nombre de maisons, notamment dans les communes bamakoises périphériques, doit bien davantage aux maisons individuelles, dont la proportion progresse rapidement et concurrence l’habitat de cour sur les nouveaux fronts d’urbanisation. Ces maisons sont encore appelées « constructions isolées » en 1987 et 1998 mais le recensement suivant introduit les catégories de maison individuelle simple et de villa. La distinction se comprend selon le standing économique du bâtiment. Mais dans tous les cas ce bâti apparaît désormais centré sur la parcelle, reléguant l’espace non bâti sur les côtés et le transformant en couloirs de circulation. La différence reste d’ailleurs vague dans les esprits. Ces deux types de maisons sont agrégés ici. Ils montrent la banalisation d’un habitat individualisé qui tend à rassembler, dans un bâtiment unique, tous les membres d’une même maisonnée.

68Les matériaux de construction utilisés pour ces habitations montrent alors les dynamiques à l’œuvre dans l’économie du bâtiment urbain, entre homogénéisation et discriminations. Le recours à des matériaux plus durables ou jugés plus modernes, plus coûteux pour les propriétaires, a de nouveau conduit le recensement à introduire de nouvelles catégories, en distinguant par exemple les toits de tôle avec ou sans faux plafond intérieur, ou en séparant les types « carrelage » et « ciment » pour le sol qui n’en faisaient d’abord qu’un. La classification des murs reste quant à elle stable : le type « dur » se réfère au parpaing de ciment ; le « semi-dur » ne se distingue du « banco²² » que par le crépi de ciment qui recouvre ces briques de terre, au lieu d’un enduit traditionnel fait de boue d’argile.

69En en restant aux principaux matériaux, on mesure d’abord la différence entre le district de Bamako et le cercle de Kati (figure 3). La ville montre des matériaux plus divers, parmi lesquels le ciment s’impose aux murs et progresse rapidement en toiture, les dalles de béton armé permettant de monter en étage. L’environnement de la capitale reste quant à lui concentré sur des matériaux périssables : la brique de terre et le chaume. Mais la dynamique d’ensemble fait partout régresser le banco et progresser les recours marchands : ciment, fers à béton et tôle ondulée, cette dernière en particulier dans le cercle de Kati. L’évolution se confirmera dans les différents échantillons d’enquête de 1993 à 2018 : la ville en dur progresse, et la contribution des quartiers périphériques aux combinaisons jugées « modernes » par le recensement se montre aujourd’hui décisive. Dans ces tendances, l’environnement rural conserve un bâti nettement plus modeste, qualifié de « traditionnel » puis de pauvre ou dégradé. Mais l’influence de la ville s’y fait aussi sentir à travers quelques substitutions de matériaux, en particulier quand des blocs couverts de tôle remplacent les cases rondes et leurs chapeaux de paille.

Figure 3. Évolution des logements selon leurs matériaux dans le district de Bamako et le cercle de Kati.

L’accroissement des inégalités d’accès aux commodités urbaines

70Les nouveaux standards de construction qui progressent en ville ne semblent pas départager les maisons habitées par leurs propriétaires et celles confiées à d’autres occupants. Ils ne font pas davantage ressortir clairement les territoires de la modernité et une géographie de la précarité à Bamako. Les nuances économiques se liront mieux à l’échelle des îlots, avec des propriétaires plus contrastés entre eux qu’au regard des autres catégories de résidents. Les plus récents acquéreurs, qui bénéficient de coûteux titres de propriété sur le marché du logement, profitent cependant des combinaisons architecturales les plus valorisantes : des maisons individuelles et de type villa, avec murs de parpaings, dalle en béton et étage, intérieurs carrelés. Mais ils ne sont pas encore suffisamment nombreux pour faire de Bamako une ville franchement ségrégée.

71Des discriminations marchandes sont également en jeu dans les indicateurs de confort des habitations posés par les recensements et leurs nouvelles catégories : les types de toilettes et de cuisine auxquels les ménages ont accès au quotidien. Leur ravitaillement en eau potable, l’éclairage des intérieurs, l’évacuation des eaux usées et des déchets solides domestiques donnent également la mesure des réseaux techniques urbains et des abonnements contractés depuis ces logements, défis partout commentés au titre de la lutte contre la pauvreté depuis les années 2000. Les proportions et les qualités de service restent généralement médiocres à Bamako. Mais la capitale malienne propose un service meilleur que celui dont bénéficient, ou plutôt ne bénéficient pas, les habitants des communes rurales. Les inégalités d’accès se précisent ainsi dans une double comparaison : au sein du continuum Bamako/Kati et entre communes urbaines du district (planche 8).

Planche 8. Équipement des logements et commodités urbaines dans le cercle de Kati, le district de Bamako et ses communes en 2009

72Vue des lieux d’aisance de ses maisons, l’agglomération se montre d’abord assez homogène en 2009 : partout l’emportent les latrines détachées du corps de bâtiment. Généralement partagées entre plusieurs ménages, elles reposent sur des fosses souvent mal isolées et insuffisamment ventilées. Elles sont vidées de leurs boues grises plus souvent par seau que par aspiration et évacuation en camion Spiros. Moins d’un ménage sur cinq ou dix, selon le contexte urbain ou rural, bénéficie de toilettes équipées d’une chasse et reliées au réseau d’adduction d’eau.

73Quatre éléments de confort opposent au contraire le district de Bamako et le cercle de Kati en laissant peu de variations entre les communes urbaines. C’est d’abord le cas du combustible utilisé en cuisine : alors que le bois de chauffe reste très majoritairement utilisé dans les communes rurales, y justifiant la vulgarisation des foyers améliorés pour en économiser la consommation, le charbon de bois rassemble la plupart des citadins dans un recours avant tout marchand.

74La généralisation des consommations électriques est plus récente en ville, et d’ailleurs la commune VI se montre encore à la traîne des autres. Elle n’est pas sans limites si l’on considère les coupures de courant et sa distribution tournante dans les quartiers, les désabonnements pour mauvais paiement, les fils tirés sur des lignes piratées, et les querelles de règlement des factures dans l’habitat de cour. Mais si les trois quarts des ménages bamakois déclarent s’éclairer à l’électricité, ce n’est encore le cas que de moins d’un ménage sur cinq dans le cercle de Kati. Le domaine d’intervention de la société Énergie du Mali (EDM) ne s’est que peu élargi au-delà des limites du district ; les habitants du cercle de Kati comptent davantage sur les plateformes multifonctionnelles installées au fil de programmes d’électrification rurale. Mais c’est une électricité hors réseau, produite par capteurs solaires, qui s’imposera après le recensement de 2009. L’acquisition de panneaux connaît depuis un essor fulgurant pour l’éclairage et la recharge des batteries téléphoniques. Elle permet aux mieux dotés de faire monter l’eau de nouveaux forages privés, voire de tirer profit marchand d’un équipement individuel. En matière électrique, il faudra donc vite nuancer les avantages de la ville relativement au milieu rural.

75L’approvisionnement en eau potable dépend de même de l’extension des conduites et des coupures que l’opérateur du réseau, public puis privatisé et enfin mixte, ne parvient pas à éliminer. Une fois sa gestion séparée de celle de l’électricité, qui reste EDM, une fois la distribution Somagep débarrassée de la charge de l’infrastructure, qui devient l’affaire de la Somapep, les limites du réseau d’eau restent évidentes : 41 à 50 % des ménages des communes bamakoises en bénéficient, tandis que la même proportion des ménages du cercle de Kati a toujours recours au puits creusé dans la cour de la maison, avec une qualité incertaine de l’eau de nappe. Bien qu’assurant le ravitaillement d’une même proportion des ménages, un sur quatre environ, les équipements collectifs varient de même selon les milieux : en ville, les bornes-fontaines sont restées tributaires du réseau public mais tendent à être exploitées par des opérateurs privés ; à distance de ces conduites, l’hydraulique rurale s’appuie quant à elle sur des pompes et des forages indépendants, qui sont plus souvent de gestion communautaire.

76C’est pourtant l’évacuation des ordures, non celle des eaux domestiques, qui clôt la liste des contrastes entre environnements urbains et ruraux. En la matière, un recul de vingt ans s’impose pour comprendre la part de service, devenue majoritaire ou presque en 2009, que d’autres petits opérateurs privés rendent aujourd’hui aux habitants de Bamako. La précollecte des déchets à domicile est née en effet des encouragements donnés par l’État à de jeunes diplômés sans emploi pour qu’ils s’organisent en Groupements d’intérêt économique. Après quelques années de fonctionnement, les municipalités sont chargées de réguler ce service d’évacuation des ordures ménagères vers des dépôts intermédiaires ; elles s’engagent dans un effort d’organisation de l’assainissement urbain qui se montrera assez vite débordé par l’absence de décharge réglementaire finale. Les services de précollecte et d’évacuation se montrent en réalité chaotiques, et les abonnements des ménages irréguliers. Toutes les communes bamakoises connaissent de sérieuses difficultés de transfert, de tri et d’évacuation des ordures, ce qui conduit à des rapports tendus avec leurs administrés et les édiles des communes rurales. Les habitants du cercle de Kati en restent quant à eux aux pratiques de déversement, en tas, dans la nature ou les rues attenantes aux maisons, que l’on a plus tôt désignées comme « sauvages » en ville.

77Avec des recours plus divers, et leur bilan souvent critique face à la quasi-absence de réseau d’égout, l’assainissement brouille enfin les cartes : les ménages ne sont guère encadrés ; leurs pratiques d’évacuation des eaux domestiques se montrent variables d’un territoire à l’autre. Ces contrastes sont plus évidents au sein de Bamako, entre vieux quartiers centraux (communes II et III) et périphéries de la ville (communes I, IV, V et VI), que dans la comparaison avec le cercle de Kati. La médiocrité du service se mesure à la faible proportion des ménages déversant leurs eaux usées dans les caniveaux à ciel ouvert, parce que ceux-ci n’accompagnent que quelques rues de la ville, dans les seuls quartiers lotis. Elle se mesure surtout à leur état, et à celui des équipements domestiques (puisards, fosses septiques) et de rares équipements communautaires initiés sur projets (mini-réseaux à faible diamètre de tuyau écoulant ces eaux vers des collecteurs naturels) : chroniquement encombrés de boues de pluie et de déchets solides, curés irrégulièrement à la main et à bas coût de main-d’œuvre, les collecteurs urbains sont souvent hors d’usage. C’est pourtant en suivant le gradient rural-urbain que le déversement des eaux domestiques dans ces caniveaux à ciel ouvert finit par l’emporter sur le déversement dans la rue. Ce dernier est lui aussi décrit comme « anarchique » depuis que l’assainissement est pensé comme un problème de santé publique, à défaut d’être un service de gestion publique.

78Les accusations que se renvoient habitants et autorités locales en matière de services urbains ne règlent pas la principale limite du recensement : avec ces données, la mesure des pratiques quotidiennes du logement s’en tient à une catégorie unique, alors que chacun des recours en matière d’eau, d’éclairage et d’hygiène domestique, qu’il soit marchand ou non, se conjugue en réalité avec d’autres. Leur dépendance à des marchés et réseaux techniques supposés plus présents en ville, et de fait partout insuffisants, permettra de comprendre que le standing du logement n’est pas toujours la traduction mécanique des ressources économiques de ses occupants, fussent-ils propriétaires.

79L’espace urbanisé n’est pas pour autant homogène. Il montre au contraire une différenciation croissante sur ces enjeux d’équipement entre non seulement la ville-centre de l’agglomération et ses marges territoriales, mais aussi entre les quartiers déjà constitués. C’est le sens des cartes bamakoises établies lors des deux recensements successifs (planche 9). Les trois quarts des ménages du district de Bamako s’éclairent à l’électricité, contre un sur cinq dans le cercle de Kati ; la présence d’un robinet privé est quatre fois moins vérifiée dans les logements du second. Le niveau d’échelle de la localité, urbaine puis rurale, permet surtout de dépasser les moyennes communales et d’informer plus précisément l’étalement urbain. Dès 1998, les recours des ménages se montrent en effet inégaux depuis le centre-ville, rappelant le décalage de peuplement des vieux quartiers et des périphéries du district. Ce gradient de maturité et de jeunesse urbaine gagne ensuite le cercle de Kati. Quelques avancées techniques vers les marges territoriales du district, dans la commune urbaine de Kati et en lien avec les entrées routières dans l’agglomération, signalent les lotissements les mieux viabilisés et des efforts ponctuels d’action publique ou d’interventions sur projets.

Planche 9. Éclairage des logements et approvisionnement des ménages en eau en 1998 et 2009 par localité

80Censés être meilleurs en ville qu’en milieu rural, ces aménagements et ressources ne sont donc pas souvent au rendez-vous de la progression du peuplement urbain. Ils restent tributaires de politiques aussi maigres que leurs budgets, de jeux d’acteurs nationaux, locaux et internationaux dépassant les capacités individuelles et collectives des habitants. Même si les ménages se sont vu imposer le paiement des services d’eau, d’électricité et d’assainissement dans leurs communes, selon des normes de recouvrement des coûts partout à l’œuvre sur le continent africain depuis les années 1980, des modèles de participation qui se déclinent aujourd’hui en termes de développement soutenable, de services inclusifs et de droit à la ville, le standing territorial de la ville est avant tout l’expression d’une gestion chroniquement défaillante.

81Après que l’incapacité de l’État à renouveler les infrastructures d’eau et d’énergie a été discrètement critiquée dans l’ère du parti unique²³, les protestations contre les risques, ceux de la pauvreté, du déclassement, et de diverses pollutions, se multiplient aujourd’hui. Elles participent d’une représentation explosive de la ville, au même titre que la « bombe à retardement du foncier » ou le défi démographique. Des citadins manifestent durant les « crises d’eau » ; ils se mobilisent contre le débordement récurrent des dépôts d’ordures communaux, et font de ces désordres techniques des enjeux politiques depuis les années 2000. Leurs paroles remontant des quartiers et de la rue n’hésitent plus à désavouer les édiles municipaux sous la Troisième République malienne. Car tant la décentralisation que la libéralisation des services publics se sont imposées au pays et à sa capitale sans moyens locaux, comme « décharge » de l’État.

82Faute d’extension suffisante des réseaux, faute de prise en charge technique de la voirie secondaire au-delà des principaux aménagements, les contrastes économiques de la ville se laissent donc mal appréhender. Les ménages les plus avantagés sont aussi trop peu nombreux et dispersés dans la masse pour désigner les « quartiers nantis » et les opposer à la « ville des pauvres » selon de claires lignes spatiales. La puissante dynamique d’expansion spatiale retiendra alors l’attention. Et pour comprendre la géographie de Bamako, l’opposition entre des territoires anciennement constitués et d’autres plus récemment urbanisés restera l’hypothèse première. Entrons alors dans le vif de ces quartiers et zoomons par l’enquête sur ces composantes locales du peuplement urbain.

Planche 10. L’environnement urbain en attente d’action publique : la ville électrifiée

Planche 11. L’environnement urbain en attente d’action publique : assainissement

Planche 12. L’environnement urbain en attente d’action publique : des déchets sans prise en charge technique

Planche 13. L’environnement urbain en attente d’action publique : approvisionnement en eau