Conclusion générale

1La biodiversité devient un enjeu fort de société, et c’est tant mieux ! Pendant des décennies, voire des siècles ou même des millénaires, l’humanité n’a pas nommé et considéré le vivant de manière unitaire, si ce n’est de façon polysémique ou imprécise avec des mots comme « nature » englobant souvent le minéral ou d’innombrables dénominations pour les différents organismes1. Avec le terme « biodiversité », nous avons enfin un mot et un concept pour comprendre globalement que le vivant est divers, omniprésent et qu’il évolue.

2Il est donc maintenant possible de prendre conscience que nous sommes totalement dépendants de cette diversité du vivant : notre alimentation, nos sources d’énergie, nos matériaux, nos médicaments sont « biodivers » au passé, au présent et au futur. Notre environnement physique lui-même est également totalement lié au vivant : pas de sols fertiles, pas de régulation climatique sans biodiversité, pour ne parler que de l’essentiel. Enfin, la diversité culturelle humaine est aussi intimement liée à la diversité du vivant.

3Certes, nos sociétés industrielles occidentales prennent enfin conscience de ce lien fort. Mais elles continuent à considérer chaque sujet en silo, comme si l’inventaire de la diversité du vivant et la connaissance de l’évolution étaient d’intérêts distincts de questions concernant la production des aliments, des matériaux ou des médicaments, soit la valorisation et la gestion du vivant. Les vocables désignant les grands enjeux et programmes internationaux nous le rappellent pourtant quotidiennement : un monde, une planète, une santé : les approches globales et intégratives sont indispensables.

4Le programme « Sud Expert Plantes Développement durable » (SEP2D) a donc eu le très grand mérite d’articuler ces missions habituellement encore trop séparées, de les associer à la formation et à l’enseignement, et de convoquer tous les acteurs pour qu’ils travaillent ensemble afin de mieux connaître, valoriser et gérer durablement la biodiversité végétale intertropicale. Le monde végétal est en effet la clé de bien des problématiques de biodiversité. Les plantes, les algues, les champignons et les micro-organismes sont les producteurs primaires dans tous les écosystèmes, soutenant tous les autres êtres vivants, construisant les sols et piégeant les gaz à effet de serre.

5Les régions intertropicales sont en outre les lieux de tous les défis et des plus grands espoirs de l’humanité. Bien plus riches en biodiversité que tous les autres écosystèmes sur Terre, leur étude et leur gestion soulèvent des problèmes et incluent des enjeux considérables de connaissances, de conservation et de gestion durable. Les projets financés par SEP2D et présentés dans ce livre montrent bien les besoins colossaux que nous avons de mieux connaître et de mieux comprendre l’inventaire, le fonctionnement ou les modalités de gestion de cette biodiversité. Chaque année, plusieurs milliers d’espèces végétales nouvelles pour la science viennent s’ajouter aux centaines de milliers d’espèces déjà connues et, ce faisant, complexifient ou enrichissent la compréhension que nous avons du fonctionnement des écosystèmes ou de nos systèmes de productions. Par exemple, là où une forêt tempérée comporte quelques espèces arborescentes dominantes à l’hectare, une forêt tropicale en comporte des dizaines ou même des centaines ! Une telle diversité est une grande richesse mais elle peut aussi entraîner de grandes difficultés en matière de gestion ou de gouvernance, comme le montrent les projets financés par SEP2D dans ce domaine. Riche au plan biologique, la région intertropicale l’est aussi au plan humain, avec une diversité culturelle extraordinaire impliquant une diversité et une richesse de savoirs traditionnels tout aussi extraordinaires, qu’il faut également respecter, conserver et prendre en compte.

6Face à ces richesses, les communautés scientifiques ont un immense besoin de formations et d’enseignements, tant théoriques que pratiques, et de financements. Les infrastructures de science ouverte et de référencement du vivant que sont les herbiers et les jardins botaniques doivent être soutenues, développées, rendues accessibles, interopérables et durables. Plusieurs projets ont été financés en ce sens par SEP2D de manière importante et significative. En deçà et au delà de la numérisation des données et de l’informatisation de ces infrastructures, il est en effet indispensable que les données primaires et l’identité des espèces biologiques, pour la plupart méconnues, puissent devenir disponibles à toute la communauté scientifique.

7Valoriser ces ressources et les connaissances associées – traditionnelles et/ou modernes – est un objectif sociétal important. Associée trop souvent à une activité mercantile et potentiellement non durable, la valorisation revient en fait à proposer une simple utilisation de la biodiversité, ce que nous faisons au quotidien, pour ne citer que quelques exemples, avec notre nourriture, l’aménagement de nos territoires et notre médecine, avec l’utilisation de principes actifs d’origine naturelle. L’important est que cette utilisation soit raisonnée : elle doit respecter les détenteurs des savoirs, les droits des peuples et des individus, le droit de l’environnement et les équilibres naturels en jeu dans les écosystèmes. La valorisation – au sens littéral de création de valeur – doit respecter des valeurs sociétales et éthiques. Pour cela, elle doit être réfléchie avec tous les acteurs sociétaux et bien sûr les scientifiques, en prenant pleinement en compte les protocoles et accords internationaux.

8Enfin, les régions intertropicales sont aussi souvent frappées par les changements globaux de manière plus intense, exacerbés en force et en étendue suite au changement climatique2, avec un terrible cortège d’effets désastreux au plan environnemental et humain. Ces régions souffrent également d’exportations destructrices et d’inégalités économiques que la communauté internationale peine à réguler efficacement. Gérer durablement et restaurer les écosystèmes face aux pressions anthropiques est un enjeu majeur, là encore difficilement séparable des enjeux de valorisation ou de gouvernance. La problématique « un monde, une santé » s’est imposée à nous récemment en nous montrant que notre santé, considérablement affectée par l’émergence de maladies zoonotiques, dépend de notre gestion de l’environnement et de la santé des organismes que nous cultivons et que nous élevons.

9Le principal sujet de la gouvernance environnementale de notre monde est d’associer les acteurs concernés. Les conclusions scientifiques avérées et globales des recherches menées doivent être portées à la connaissance de tous. Elles doivent aussi se traduire en accords internationaux librement adoptés par les pays et transcrites dans les réglementations et lois, se prêtant à la mise en application effective au niveau des États. Enfin, elles doivent faire l’objet d’une appropriation par tous les acteurs sociétaux impliqués grâce aux indispensables activités d’information, de formation et de plaidoyer.

10À l’issue de ces cinq années du programme de recherche SEP2D, et bien qu’il ait concerné vingt-deux pays, des dizaines de projets et des centaines d’acteurs, tous ces sujets n’ont pu être qu’effleurés, tant ils sont vastes et englobants. Néanmoins, SEP2D a eu le grand avantage de continuer à faire la preuve de la pertinence d’un concept déjà éprouvé dans une version antérieure avec le programme SEP. Il est d’autant plus crucial et important qu’une telle initiative trouve une continuation dans un contexte très particulier et contraignant, alors même que toutes les sociétés sont affectées par la crise de l’environnement – climat, biodiversité, santé. Nous manquons de connaissances et de savoir-faire. Nous devons conserver et mieux gérer l’environnement, intégrer les connaissances traditionnelles, valoriser la biodiversité de manière durable et encourager une gouvernance collégiale et efficace sur ces sujets au bénéfice partagé de tous.