Village de Loundoungou (Likouala, Congo).

1Au lendemain de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Cnued, Agenda 21, déclaration de Rio) et de son lot de conventions et d’accords – sur le climat, la biodiversité, les océans, les forêts –, gérer durablement les écosystèmes, en particulier forestiers, est devenu une nécessité urgente face aux changements globaux. Les impacts nouveaux des évènements climatiques extrêmes, des pathogènes, de l’augmentation de la demande en terres et en commodités engendrent un ensemble de pressions sur la biodiversité (FAO, 1998). Or, les forêts tropicales jouent un rôle primordial dans le cycle mondial du carbone, la régulation du climat, la protection de la biodiversité et d’autres processus écologiques, comme l’hydrologie et la dynamique des nutriments (Locatelli et al., 2015 ; Gibbs et al., 2007). Elles fournissent une large gamme de produits forestiers et de services écosystémiques. Mais la dégradation et la disparition actuelles des forêts tropicales réduisent leur capacité à fournir ces services essentiels et menacent de nombreuses espèces, animales et végétales, dont la raréfaction est, en retour, facteur de fragilisation des forêts.

2Il est donc indispensable de gérer les forêts de manière durable et raisonnée (Leroy et al., 2013). La gestion durable des forêts (GDF) implique la prise en compte simultanée des fonctions, services et avantages écologiques de ces écosystèmes. Elle demande une gestion forestière équilibrée, intégrant de multiples objectifs, relevant de la production de biens et services, comme de la conservation ou de la restauration du potentiel productif et de la biodiversité. Elle doit se déployer au travers d’actions socialement acceptables, voire souhaitées, dont la pertinence et l’efficacité exigent une évaluation régulière et rigoureuse. Six critères sont avancés pour cette évaluation : biodiversité, productivité des écosystèmes, conservation des sols et des eaux, cycles écologiques planétaires, avantages multiples pour la société, acceptation de la responsabilité de la société à l’égard du développement durable. Aucun de ces critères, ou des indicateurs associés, n’est à considérer seul, et chacun d’eux doit être contextualisé vis-à-vis des autres.

3Au début des années 1990, la littérature scientifique dédiée à la GDF a porté une attention particulière à la déforestation et à l’élaboration de principes, critères et indicateurs (Prabhu et al., 1996 ; Wijewardena, 1998). Avec l’entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique (CDB, Nations unies, 1993), la problématique « biodiversité » atteint une forte résonance mondiale dès les années 2000. Ceci débouche sur plusieurs nouveaux cadres internationaux : le protocole de Nagoya adopté à la 10^e réunion de la Conférence des Parties (COP 10), le 29 octobre 2010, à Nagoya au Japon, et l’accès et le partage des avantages (APA) ouvert à la signature le 02 février 2011 ; les objectifs d’Aichi adoptés en octobre 2010 et, enfin, les plans stratégiques de la CDB, notamment celui pour 2011-2020. De son côté, la question du « changement climatique » émerge pleinement à compter de 2005, et les premières discussions sur la réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation (REDD, COP11) font des enjeux forestiers un des piliers de l’atténuation et de l’adaptation.

4Nous revenons sur ces jalons parce que les préoccupations sociétales pour l’environnement, sous-tendant les négociations internationales, se traduisent par des « initiatives » qui sont autant d’opportunités pour la GDF : objectifs d’Aichi, REDD+, restauration des paysages forestiers (RPF), défi de Bonn (AFR100), contributions déterminées au niveau national de l’Accord de Paris. Ces initiatives façonnent les approches de la GDF dans les pays tropicaux, induisent des questionnements scientifiques et influencent l’agenda scientifique, voire la programmation. Il est alors essentiel que les communautés scientifiques concernées par la GDF puissent, en retour, valoriser leurs résultats et leurs connaissances dans les arènes des négociations mondiales. Elles doivent se faire entendre en pondérant les débats, en proposant des solutions et en rappelant les conditions d’un enracinement de la GDF dans une recherche efficiente : latitude d’investigation, diversité des thématiques, stabilité des financements.

5C’est dans cette perspective que le programme « Sud Expert Plantes Développement Durable » (SEP2D) a, depuis 2015, soutenu une communauté scientifique répartie dans 22 pays, pour renforcer les compétences, les connaissances et les partenariats sur la gestion durable de la biodiversité végétale, en établissant des ponts entre recherche, éducation et besoins de développement des sociétés.

6La présente partie inclut 19 études de cas soutenues par le programme SEP2D. Illustrant l’action de la recherche pour la GDF, elles sont regroupées en trois grands thèmes (ou sous-parties) : (i) caractérisation et dynamique des écosystèmes ; (ii) gestion durable des ressources végétales ; (iii) restaurations post-exploitations. Au travers de ces études, onze pays, d’Afrique occidentale (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, Sénégal, Togo), d’Afrique centrale (République démocratique du Congo, Tchad), et de l’Océan Indien (Comores, Madagascar), partagent leurs expériences.

Caractérisation et dynamique des écosystèmes

7Cette sous-partie aborde les questions de conservation de la biodiversité, de caractérisation de l’écologie des plantes et de la dynamique des peuplements forestiers, en relation avec la GDF. Les études abordent des habitats insulaires (Comores, Madagascar) comme continentaux (République démocratique du Congo). Elles décrivent la diversité des taxons, leurs affinités biogéographiques en identifiant les plantes exotiques envahissantes. La dynamique forestière a été étudiée dans des forêts de terre ferme (parc Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo), comme de mangrove, dans l’estuaire du fleuve Betsiboka au nord-ouest de Madagascar. Ce grand thème aborde aussi la valorisation de la flore, notamment pour les bryophytes, encore mal connues en zone tropicale. En résumé, ces études caractérisent la biodiversité, dans la perspective de concilier les besoins des populations locales et les capacités des écosystèmes à se maintenir (aires protégées, espaces naturels) ou à se reconstituer, en présence de fortes pressions anthropiques. Cette section s’achève sur l’analyse génétique d’un caféier sauvage endémique (Coffea canephora) en Guinée, pour identifier les mesures de sauvegarde d’une population de cette espèce isolée dans un fragment de forêt dense très vulnérable.

Gestion durable des ressources végétales

8Cette sous-partie aborde l’exploitation des écosystèmes en vue d’ajuster des modalités de gestion qui, actuellement, ne garantissent pas un niveau de prélèvement durable. Une étude propose une stratégie intégrée de reconstitution des peuplements menacés de Pterocarpus erinaceus dans les savanes et forêts sahélo-soudaniennes et soudano-guinéennes d’Afrique de l’Ouest (Togo, Bénin, Burkina Faso, Niger). Une deuxième étude, au Bénin, traite du greffage et de la domestication du karité (Vitellaria paradoxa), espèce à fort intérêt économique également menacée. Des recherches illustrent aussi la conservation et l’utilisation durable des ressources génétiques pour l’agriculture et l’alimentation, dans l’esprit de l’APA. C’est le cas des études visant l’amélioration des connaissances sur la culture du palmier dattier en zone sahélienne (Niger, Tchad). Le chapitre sur l’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques, au Sénégal, met en avant l’agrobiodiversité et la transition agroécologique, avec implication des agriculteurs dans la recherche. Cette sous-partie aborde aussi le paysage urbain et la structuration de villes écologiquement durables, au Bénin, avec une valorisation écotouristique des écosystèmes marécageux de Cotonou impliquant les communautés et les autorités locales.

Restaurations post-exploitations

9La troisième sous-partie aborde la dynamique de restauration des écosystèmes forestiers, malgré d’énormes pressions anthropiques. Une première étude suit les transformations spatiales et la dynamique de l’occupation du sol en vue de la gestion durable de la forêt classée de l’Alibori-Supérieur, au Bénin. Une étude similaire a été conduite en Côte d’Ivoire, pour évaluer la capacité de régénération naturelle de la forêt classée du Haut-Sassandra selon différents niveaux de pressions agricoles, principalement la cacaoculture pratiquée par les populations installées illégalement. La restauration des sites miniers a été traitée à Mandena Taolagnaro (Madagascar) au travers de plusieurs chapitres, qui présentent les enjeux de revégétalisation et de conservation de la biodiversité via la réintroduction des espèces locales dans les sites miniers. Ceci inclut l’étude ex situ des espèces pionnières facilitant l’installation des espèces forestières, l’évaluation de la capacité d’adaptation d’arbres autochtones, choisis avec l’aide des populations locales, ou encore du rôle des micro-organismes dans la dynamique des communautés végétales.

10Les thèmes traités dans cette sous-partie apportent des connaissances pour la GDF dans des contextes tropicaux variés, ainsi que pour la restauration d’écosystèmes très dégradés. Certains chapitres illustrent aussi la domestication d’espèces de grande importance économique et socioculturelle, ainsi que plusieurs initiatives pour conserver et utiliser durablement les ressources génétiques pour l’agriculture et l’alimentation. Ces études contribuent ainsi à certains objectifs du développement durable et aux objectifs d’Aichi, en matière de biodiversité et de partage juste et équitable des avantages de celle-ci (APA). De plus, ces recherches ont mis en œuvre diverses formes de partenariats  : ceux d’institutions académiques avec le secteur privé, la société civile et les organisations de protection de la nature ; ceux d’universités unies au sein d’un même pays (au Bénin et à Madagascar) pour travailler sur le même matériel végétal ; enfin, le partenariat international francophone apparaît dans beaucoup de projets, comme celui sur l’espèce d’intérêt majeur Pterocarpus erinaceus (Togo, Bénin, Burkina Faso, Niger, Mauritanie et France) ; on note aussi des collaborations avec les pays anglophones, comme le Ghana, le Nigéria et l’Afrique du Sud.