Introduction

1Le Mali est un pays essentiellement agricole, classé parmi les pays les plus pauvres du monde avec un faible indice de développement humain (IDH), qui a évolué de 0,344 en 2012 (Pnud, 2013) à 0,442 en 2015, et un indice de pauvreté multidimensionnelle évalué à 0,456 en 2015 (Pnud, 2016). Le secteur rural occupe une place prépondérante dans le développement socio-économique du Mali en assurant des revenus à environ 75 % de la population et en contribuant à 39,12 % du produit intérieur brut (PIB) (Instat, 2017). Ce contexte est également marqué par une volonté politique d’apporter des réponses appropriées aux questions d’insécurité alimentaire et de pauvreté des populations, telles que la promotion d’un certain nombre d’espèces forestières locales.

2Les ressources de cueillette constituent une part importante des revenus non agricoles des exploitations rurales et devraient, à ce titre, être étudiées et valorisées afin de contribuer à l’atteinte de la souveraineté alimentaire. Au Mali, les produits forestiers non ligneux (PFNL) représentent 8,5 % de la valeur ajoutée du secteur agricole (Instat, 2013) et 54 % de ces produits sont utilisés dans l’alimentation (Gakou et al., 1994). Parmi les espèces qui fournissent des PFNL, Borassus æthiopum et Saba senegalensis sont largement répandues dans les régions intertropicales et constituent une ressource exploitable dont l’accessibilité et la valorisation pourraient être améliorées. Les genres Borassus et Saba poussent naturellement dans les régions tropicales où ils sont domestiqués et cultivés pour de multiples usages sociaux et économiques. Aussi, ces genres sont répandus dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie (Inde). Cette ressource participe déjà à la diversification alimentaire mais elle pourrait l’être davantage grâce à une meilleure commercialisation des produits finis. Selon Senou et Ongoiba (2014), la commercialisation des fruits de Borassus au sud du Mali contribue à 10 % des revenus non agricoles des ménages. L’utilisation de son jus pour sucrer les bouillies est devenue une habitude des ménages pour lutter contre la malnutrition. Concernant Saba senegalensis, l’enjeu commercial est très élevé dans le sud du Mali du fait de la présence des exportateurs sénégalais.

3Si leurs utilités économiques, financières et leurs valeurs sociosanitaires sont bien connues et exploitées traditionnellement, les chaînes de valeurs des jus de Borassus æthiopum et de Saba senegalensis demeurent peu documentées au Mali. Aussi ce préalable est nécessaire pour accompagner une meilleure commercialisation de ces produits. Pour atteindre ces objectifs, la présente étude se propose d’analyser la rentabilité et la compétitivité des chaînes de valeurs du jus de Borassus æthiopum et de Saba senegalensis dans la zone Mali-Sud en utilisant l’approche de la matrice d’analyse des politiques. De façon spécifique, l’étude cherche à mettre en évidence l’avantage comparatif des exploitants à produire des jus.

Matériels et méthodes

Zone d’étude

4La zone d’étude couvre la région administrative malienne de Sikasso (12°30’ latitude Nord et 8°45’ longitude Ouest). Elle a été choisie du fait du « paradoxe » qui la caractérise et qui se traduit par son fort taux de malnutrition malgré une forte production agricole (Dury et Bocoum, 2012).

5Les travaux ont été réalisés dans les zones agroécologiques soudanienne et guinéenne de la région de Sikasso suivant la classification de White (1983), et qui correspondent aux zones climatiques soudaniennes Nord et Sud et guinéenne Nord (Pirt, 1983).

6Les villages étudiés ont été choisis en fonction de trois critères : l’accessibilité, la disponibilité des ressources ligneuses alimentaires, le niveau élevé de la malnutrition et la présence d’un projet de lutte contre la malnutrition. Au total, trois villages ont été retenus pour l’étude : Sorobasso, Kalifabougou et Kodialan (fig. 1).

Figure 1 – Localisation des villages d’étude.

Choix de l’échantillon

7Le choix de l’échantillon des personnes interviewées s’est déroulé en deux étapes : la première a consisté à identifier les différents acteurs des chaînes de valeurs par espèce et la seconde étape à sélectionner les acteurs volontaires pour constituer les deux échantillons. Au final, un échantillon de 54 exploitantes, 60 transformatrices et deux commerçants, a été retenu pour Borassus æthiopum et un échantillon de 46 exploitantes, 59 transformatrices et dix commerçants pour Saba senegalensis. Ces personnes ont été choisies sur la base du volontariat et de leurs connaissances des plantes, lors de l’assemblée générale présidée par les chefs de villages.

8Les informations collectées ont porté sur les quantités de fruits collectés, vendus et transformés, les techniques de stockage et conservation des fruits, le marché, les prix et la structure des prix, l’approvisionnement et la qualité des fruits, les équipements et les investissements, le comportement du marché et la stratégie, le marché et la commercialisation du jus, le marché et la commercialisation des fruits, le système d’information entre les acteurs.

Analyse des données

9Les données collectées ont été saisies sur Access, puis exportées sur Excel. Elles ont été traitées avec les tableurs Excel et SPSS (version 23). Elles ont été analysées grâce à la statistique descriptive (fréquence, moyenne) et l’analyse de variance.

10Pour chaque variable, la fréquence de citation (F) a été calculée à partir de la formule suivante :

où S est le nombre de personnes ayant fourni une réponse et N le nombre total de personnes interviewées.

11Puis, la quantité moyenne d’un sac de 50 kg de fruits de Borassus æthiopum et de Saba senegalensis (X) a été calculée par la formule suivante :

où Qi est la quantité de fruits et N le nombre de sacs.

12Les coûts moyens (X) d’achat des fruits (en francs de la Communauté financière en Afrique, F CFA) ont été calculés par la formule suivante :

où Qi est la quantité de fruits, PUi le prix unitaire de vente et N la taille de l’échantillon.

13Le produit brut en valeur (PBV) (F CFA) a été calculé par la formule :

PBV = Qt * PU

où Qt est la quantité du produit et PU son prix unitaire.

14La valeur ajoutée (VA) a été calculée (F CFA) par la formule :

VA = MB = PBV – CI

où MB est la marge brute, PBV le produit brut en valeur et CI la consommation intermédiaire (charge variable).

15Le coût variable (CV) (F CFA) est donné par la formule :

où Qvi est la quantité de l’intrant i, PUi le prix unitaire de l’intrant i, et n le nombre d’intrants utilisés dans la production du produit considéré.

16Le coût fixe (CF) est donné (en F CFA) par la formule :

où Qfi est la quantité de l’intrant i, PUi le prix unitaire de l’intrant i, et n le nombre d’intrants utilisés dans la production du produit considéré.

17Le taux de rentabilité (TR) a été calculé par la formule :

TR =MB/CV

où MB est la marge brute et CV la charge variable.

Cadre d’analyse

18L’approche de la chaîne de valeurs est une démarche qui permet de mieux apprécier les effets des politiques de prix sur un secteur ou une chaîne de valeurs. L’approche par la matrice d’analyse des politiques (MAP), en utilisant les comptes d’exploitation des acteurs de la chaîne de valeurs, permet de les modéliser. La MAP permet d’évaluer toutes les conséquences des politiques sur les revenus et les coûts de production agricole (Balassa, 1978 ; Monke et Pearson, 1989). La MAP est un outil de représentation d’un système de production simple ou complexe, reposant sur la construction de comptes de production des acteurs représentatifs du système dans deux systèmes de prix, à savoir les prix de marché et les prix de référence (Balassa, 1970 ; Lançon, 2000).

19La matrice est construite sur le même principe que la formation d’un budget. Le modèle est composé de deux types de budgets : un budget évalué au prix du marché, ou prix financiers ou encore prix privés (budget financier), et l’autre aux coûts d’opportunité social, ou prix économique (budget économique). Les prix du marché (ou prix financiers ou prix privés) sont les prix des produits tels qu’ils sont perçus sur le marché par les consommateurs. Les prix de référence (ou coût d’opportunité ou prix de la collectivité) sont des prix qui prévaudraient en l’absence de distorsions et imperfections sur les marchés des intrants et des produits. Ensuite, les divergences entre le budget financier et le budget économique ont été calculées. Les deux types de budget sont construits pour chaque système de production qui contribue aux ressources. De façon pratique, dans la MAP les coûts des facteurs de production et les recettes sont classés ou désagrégés en leurs composants échangeables et non échangeables, et les revenus, coûts et avantages sont évalués en utilisant les prix de marché (privé) et les prix de référence (sociaux) (Yao, 1997, cité par Kroma et Lamien, 2017). Les intrants échangeables incluent les biens qui peuvent être échangés sur le marché international tels que les engrais et les machines agricoles, et les intrants non échangeables sont des facteurs principalement domestiques qui ne sont pas échangés internationalement (le travail par exemple). Cependant, il faut noter que la plupart des intrants sont un mélange de composants échangeables et non échangeables. La MAP apparaît donc comme un outil d’aide à la décision et de prévision pour les planificateurs grâce aux résultats des scénarii qui éclairent les mécanismes à l’œuvre (Fabre, 1994, cité par Kroma et Lamien, 2017). Le tableau 1 donne une représentation schématique de la MAP. À partir de la MAP, un certain nombre d’indicateurs entrant dans le cadre de la présente étude ont été dérivés.

Indicateurs de la rentabilité financière et économique

20Trois types d’indicateurs ont été calculés. Il s’agit des indicateurs de rentabilité (financière et économique), de l’avantage comparatif et des mesures d’incitation.

21La notion de rentabilité paraît en première analyse très simple : le capital génère un profit, et le rapport entre le capital et le profit se traduit donc par un taux de rentabilité. La rentabilité représente alors l’évaluation de la performance des ressources investies par des investisseurs. Monke et Pearson (1989) définissent la rentabilité (profitabilité) comme étant la différence entre le revenu perçu et les coûts payés par un acteur économique au prix (souvent faussé) du marché interne. Le calcul du bénéfice financier montre la compétitivité d’un système de production et où concentrer les ressources privées, ou d’une exploitation, étant donné la technologie disponible et les prix en cours sur le marché. Le bénéfice financier est un indicateur de compétitivité. En plus du bénéfice financier, le taux de rentabilité est un indicateur qui rentre en ligne de compte dans la définition de la rentabilité financière. Le bénéfice économique est la différence entre un revenu et des coûts calculés sur des prix économiques (c’est-à-dire après avoir ajusté les distorsions dues aux politiques, etc.). Le calcul du bénéfice économique est une mesure de l’avantage comparatif de la région de production par rapport au commerce international. Quand on le compare avec les bénéfices économiques d’une même chaîne de valeurs dans d’autres régions, on peut savoir jusqu’à quel point une chaîne de valeurs serait compétitive si les prix étaient modifiés (en réduisant les subventions, ou en modifiant les restrictions à l’importation par exemple).

22La rentabilité privée nette (RPN), ou le bénéfice financier net (BFN), est calculée de la façon suivante :

où Pj est le produit brut au prix financier,

est la charge variable au coût financier,

est la charge fixe au coût financier.

23La rentabilité sociale nette, ou le bénéfice économique net (BEN), est calculée par la formule :

Indicateurs de l’avantage comparatif

24Il existe plusieurs indicateurs de l’avantage comparatif, cependant il apparaît plus aisé d’utiliser le ratio de coût en ressource domestique (CRD) déduit à partir du BEN modifié de façon à ce que les unités se neutralisent (le CRD est sans unité). À partir de la formule de la rentabilité social net (BEN), on peut déduire celle du CRD par la formule suivante :

où

est la charge fixe aux prix éceonomique et

le produit brut au prix économique – charge variable au prix économique.

Indicateurs de mesure des incitations à la production

25Les subventions à la production, la fixation des prix aux producteurs, la fixation des prix des intrants, les incitations directes, les coûts de l’encadrement, sont autant de mesures d’incitation créées par l’État et qui ont des effets sur les prix des produits et des intrants de la production. Pour cela, il y a plusieurs indicateurs qui permettent de les quantifier mais seuls les trois les plus utilisés ont été retenus, à savoir : le coefficient de protection nominale (CPN), le coefficient de protection nominal sur les intrants (CPN/i), le coefficient de protection effective (CPE).

26Le CPN (en F CFA) est calculé de la façon suivante :

Avec

charge variable au coût financier,

charge variable au coût soucial.

27Ce coefficient permet de mesurer les effets de protection sur le prix d’un bien produit localement. Il détermine le rapport entre le prix local du produit (CPE, en F CFA) qui est calculé par la formule :

28Le coefficient de production nominale sur les intrants (CPN/i) est ensuite calculé de la façon suivante :

Résultats

Analyse des comptes d’exploitation

29L’analyse des comptes d’exploitation des acteurs de la chaîne de valeurs montre que les commerçants des jus perçoivent plus de revenus par rapport aux autres acteurs. Ils enregistrent respectivement 6 324 938 F CFA et 1 114 644 F CFA en moyenne pour la commercialisation des jus de Borassus æthiopum et de Saba senegalensis. Puis les transformateurs enregistrent en moyenne 855 212 F CFA par campagne de transformation de jus de Saba senegalensis. Les acteurs de la cueillette et de la collecte des fruits perçoivent les plus faibles revenus de la chaîne. Cependant, avec les revenus les plus élevés, les commerçants des jus enregistrent le plus faible taux de rentabilité (0,91 F CFA). La transformation est l’activité la plus rentable. En effet, chaque franc CFA investi dans la transformation des jus procure 23,47 F CFA pour Borassus æthiopum et 22,25 F CFA pour Saba senegalensis. Puis se classent la cueillette et la collecte des fruits dans les sites. En effet, pour les acteurs de la collecte, et pour les deux espèces, chaque franc CFA investi procure en moyenne 8,905 F CFA. Ces indicateurs montrent que la production des jus demeure l’activité la plus rentable suivie de l’exploitation des fruits.

Analyse des indicateurs de la matrice d’analyse des politiques

30La rentabilité financière (ou profit privé) et la rentabilité économique (ou profit social) des exploitantes, transformatrices et commerçants sont présentées dans le tableau 3. L’activité de production, qui ne nécessite pas d’investissements particuliers en dehors de l’effort de récolte, permet d’estimer le taux rentabilité financière des exploitantes à 623 % pour l’exploitation de jus de S. senegalensis contre 116 % pour le jus de B. æthiopum. La transformation des fruits de Borassus et de Saba, qui nécessite un maximum d’investissement en unité de transformation, frais des sacs de conditionnement, de transport, de carburant, de communication, d’entretien du matériel et une main d’œuvre salariale, permet au transformatrices des jus d’avoir un taux de rentabilité financière à l’ordre 238 % pour le jus de Saba contre 233 % pour le jus de Borassus (tabl. 3). Cependant, la production du jus de B. æthiopum n’est pas économiquement rentable (- 82 %). Au niveau de la commercialisation, tous les acteurs ont un taux de rentabilité financière et économique supérieur ou égal à 115 %. Une analyse des revenus, des intrants échangeables et non échangeables ainsi que des profits des agents de la transformation, montre que cette activité au prix social n’est pas économiquement rentable. Le contraire est observé pour les commerçants. En effet, la commercialisation des jus de S. senegalensis engendre un profit économique de 159 % pour un profit financier de 115 %, et de 249 % et 150 % respectivement pour la commercialisation de jus de B. æthiopum. L’analyse montre que cette activité n’entraîne pas de coûts sociaux supérieurs aux gains nets obtenus par la communauté.

Analyse d’indicateurs d’avantage comparatif et d’incitations aux productions

31L’analyse du tableau de la MAP à travers le ratio du coût des ressources domestiques (CRD) pris individuellement par acteur montre que la zone du Mali-Sud a un avantage comparatif dans la production des jus de B. æthiopum et S. senegalensis à l’exception des transformatrices de B. æthiopum (tabl. 4). Les résultats montrent que pour tous les acteurs de la chaîne de valeurs, le coefficient de protection nominal (CPN) est supérieur à 1, ce qui souligne que le système est efficacement protégé contre les prix internationaux. Les coefficients de protection nominaux sur les intrants (CPN/i) pour tous les maillons des deux chaînes de valeurs sont également supérieurs à 1, à l’exception de la production de jus de B. æthiopum et de l’exploitation des fruits de S. senegalensis. Ainsi, producteurs de jus de B. æthiopum et exploitants des fruits de S. senegalensis bénéficient d’une protection de leur marché intérieur. Par contre, pour les producteurs de jus de B. æthiopum et les exploitants des fruits de S. senegalensis, le CPN a une valeur inférieure à 1 ; la taxe imposée sur les intrants ne rend pas la distribution de ces produit compétitive sur le marché intérieur qui n’est pas protégé. Le CPE indique le degré réel d’incitation par l’effet combiné des politiques de prix des jus et des intrants échangeables utilisés dans leur processus de production. Pour cette variable, les résultats montrent des coefficients de protection effective (CPE) supérieurs à 1 pour les commerçants de jus de B. æthiopum et pour les acteurs de la chaîne de valeurs de jus de S. senegalensis. Par contre, il est inférieur à 1 pour les exploitantes et les productrices de jus de B. æthiopum.

Discussions

32L’analyse des comptes d’exploitation des chaînes de valeurs du jus de B. æthiopum et de S. senegalensis dans le sud du Mali a montré que les commerçants des jus réalisent des revenus très appréciables. Ces acteurs économiques enregistrent des charges variables nettement supérieures à celles des autres acteurs, soit 2 475 063 F CFA pour B. æthiopum et 1 329 441 F CFA pour S. senegalensis contre 1 092 F CFA et 1 168 887 F CFA respectivement pour les exploitantes de B. æthiopum et de S. senegalensis. Avec les revenus les plus élevés, les commerçants ont le taux marginal de rentabilité le plus faible. Ce faible taux pourrait être expliqué par la concurrence déloyale des acteurs sénégalais sur les marchés maliens. Cette concurrence devrait permettre d’augmenter les prix des fruits de B. æthiopum et S. senegalensis au niveau national. Ces informations sont confirmées par les travaux de Kroma et Lamien (2017) sur les commerçants exportateurs de gomme arabique dont les frais d’achat représentent environ 97 %.

33L’analyse de la rentabilité financière et économique montre que les acteurs impliqués dans les chaînes des deux produits en tirent un bénéfice net financier positif, ce qui pourrait être expliqué par le fait que la production et la transformation des jus des deux espèces ne nécessitent pas beaucoup d’investissement et utilisent des technologies adaptées. L’activité d’exploitation, de transformation et de commercialisation de ces deux produits est donc rentable.

34L’analyse de la compétitivité des chaînes de valeurs à travers la MAP montre que le système est efficacement protégé contre les prix internationaux. L’analyse du coût des ressources domestiques (CRD) pris individuellement par acteur, montre que la zone Mali-Sud a un avantage comparatif dans la production des jus de B. æthiopum et de S. senegalensis. Les coefficients de protection nominal (CPN) de tous les acteurs de la chaîne de valeurs sont supérieurs à 1, ce qui montre que le système est efficacement protégé contre les prix internationaux. Les coefficients de protection nominaux sur les intrants (CPN/i) pour tous les maillons des deux chaînes de valeurs sont supérieurs à 1, à l’exception de la production de jus de B. æthiopum et de l’exploitation des fruits de S. senegalensis, ce qui signifie une certaine protection naturelle des produits. Par contre, pour les producteurs de jus de B. æthiopum et les exploitants des fruits de S. senegalensis, le CPN a une valeur inférieure à 1, ce qui signifie une situation de protection négative (ces acteurs sont exposés à la concurrence extérieure) pour ces deux types d’acteurs. Les coefficients de protection effective (CPE) sont supérieurs à 1 pour les commerçants de jus de B. æthiopum et les acteurs de la chaîne de valeurs de jus de S. senegalensis. On en déduit que ces acteurs sont incités à exercer leur activité puisque la rémunération des facteurs primaires est supérieure à ce qu’elle devrait être sans intervention. La combinaison des transferts sur les jus et les biens échangeables n’entraînent donc pas une distribution effective des revenus inférieurs à ce qu’elle serait en cas d’application des prix internationaux. Il n’y a donc pas de transfert des ressources financières de ces agents vers l’extérieur. Ces acteurs sont plus intéressés que les exploitantes et les productrices de jus de B. æthiopum (CPE < 1). Ainsi, le Mali bénéficie naturellement d’une protection sur ces deux produits à tous les maillons des deux chaînes de valeurs. Kroma et Lamien (2017) ont également conclu que la commercialisation de la gomme arabique profite d’une protection tandis que l’activité de production n’en bénéficie pas. Par ailleurs, une étude de Ibro et al. (2002) a montré que la production du niébé au Niger ne bénéficie pas de protection. Le prix intérieur du niébé y est ainsi faible par rapport au prix à l’extérieur.

35L’analyse de la compétitivité des chaînes de valeurs montre que les commerçants de jus de S. senegalensis sont relativement plus compétitifs que les autres acteurs de cette chaîne, avec une efficacité économique de 159 %. On peut en déduire que la zone Mali-Sud a un avantage comparatif dans l’exploitation et la commercialisation du jus de S. senegalensis. Il y est ainsi moins couteux de commercialiser les fruits et les jus de B. æthiopum et de S. senegalensis à l’intérieur de la zone du Mali-Sud que de les importer. Ainsi, les transformatrices, exploitantes et commerçants ont un avantage comparatif d’exercer leurs fonctions dans les chaînes de valeurs de ces jus. Tarama (2010) a également constaté qu’il est moins coûteux en ressources domestiques de produire le sésame au Burkina Faso que de l’importer ; par ailleurs les travaux de Zinmonse (2012) montrent que le Bénin a également un avantage comparatif dans la production de noix d’anacarde.

Conclusion

36Les chaînes de valeurs de jus de Borassus æthiopum et de Saba senegalensis au Mali-Sud sont économiquement et financièrement rentables pour la majorité des acteurs économiques que sont les exploitantes de fruits de B. æthiopum et de S. senegalensis, les commerçants des fruits de ces deux espèces et les transformatrices de jus de S. senegalensis. Cette rentabilité économique et financière permet (1) à ces acteurs de générer des revenus susceptibles d’améliorer leurs conditions de vie et (2) d’aider au développement socio-économique des localités du projet. À l’inverse, les transformatrices de B. æthiopum n’ont pas intérêt à continuer leur activité car la transformation du jus de Borassus n’est pas économiquement rentable bien qu’elle le soit financièrement. Autrement dit, le prix intérieur du jus de Borassus est supérieur au prix international. L’analyse des coûts des ressources domestiques et non domestiques a montré que le Mali a ainsi un avantage comparatif à produire ces deux produits.