Graines pour préparations médicales sur le marché de Kpalimé, Togo.

1« Valoriser la biodiversité » revêt une signification différente selon le contexte dans lequel cette notion est employée, mais également selon le profil de chacun. Communément, il s’agit d’ajouter de la valeur à une ressource, à un ensemble de ressources, ou à un écosystème entier, au travers de diverses activités dont la recherche, et qui s’accompagnent d’une évaluation multicritère. Par habitude, cette action est plus fréquemment entendue sous un angle strictement économique (valeurs d’usage ou d’échange) dans lequel la valeur « d’être », non monnayable reste silencieuse.

2Dans le Manuel d’évaluation de la biodiversité. Guide à l’intention des décideurs1 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2002, sont détaillées les diverses valeurs que la biodiversité peut revêtir. Deux notions opposables y sont également mises en exergue : l’anthropocentrisme, dont la valeur est fondée sur l’intérêt d’usage ou l’intérêt commercial, et l’anthropogénisme, pour laquelle la valeur intrinsèque est prise en compte quel que soit le degré de l’intérêt d’usage. Cette double considération « valeur d’être/valeur d’usage » revêt une importance particulière dans le contexte du programme Sud Expert Plantes Développement Durable (SEP2D). En effet, un usage durable de la biodiversité, incluant la conservation, est promu dans les projets de recherche soutenus par SEP2D en Asie du Sud-Est et en Afrique francophone. Quelles que soient les recherches, à but commercial direct ou indirect, la valeur intrinsèque de la ressource est de facto prise en compte.

3Cette partie rassemble des textes dont la diversité des sujets illustre comment l’homme peut valoriser des ressources végétales ou fongiques pour répondre à une multitude de besoins. Il s’agit ici de mettre en évidence des usages de produits issus de la biodiversité pouvant conduire à une valorisation commerciale à plus grande échelle et pouvant générer des revenus plus réguliers. Les exemples présentés montrent les potentialités importantes de développement économique et social associées à la valorisation de la diversité.

4Dans un premier temps, il s’agit de répertorier la diversité existante et déjà utilisée par les populations locales (par exemple, les plantes hépatoprotectrices du Burkina Faso ou les champignons comestibles de Côte d’Ivoire ou encore ceux du parc de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo). On peut ensuite identifier les propriétés à l’origine d’une valorisation commerciale possible (par exemple les propriétés antifongiques et antibactériennes d’extraits de Pleurotus tuber-regium), notamment celles qui présenteront des adaptations pertinentes dans un contexte de changement climatique (comme l’analyse des traits phénologiques spécifiques du sous-genre Baracoffea des caféiers sauvages malgaches) ou celles qui ont des caractéristiques technologiques adaptées aux usages ciblés (comme les huiles servant de biocarburant des Millettia malgaches), voire celles qui nécessitent des développements technologiques post-récoltes (comme pour le séchage des graines de Millettia pinnata). Ces connaissances sont nécessaires au développement de chaînes de valeurs prometteuses. Mais une fois celles-ci établies, il convient d’en assurer la durabilité, par la gestion (conservation, régénération, maintien de la diversité) des ressources nécessaires, par exemple celles à la base de productions artisanales (bois de fabrication des mortiers et pilons au Bénin, raphières à Madagascar) ou les plantes mellifères. Enfin, il faut aussi assurer la stabilité des produits transformés, comme par exemple le poivre tsiperifery de Madagascar, dont les qualités gustatives sont désormais reconnues internationalement, mais dont l’hétérogénéité de phénologie des poivriers impacte la qualité des baies.

5D’autres valeurs sont très souvent associées à l’utilisation ou à la valorisation des plantes et participent des relations complexes et intimes que les sociétés humaines entretiennent avec la nature. La biodiversité est aussi façonnée par les relations culturelles, voire cultuelles, que les humains construisent et entretiennent avec leur écosystème naturel. La Convention sur la diversité biologique (CDB) a rappelé la nécessité de prendre en compte l’évaluation des aspects économiques, sociaux, culturels et éthiques dans la définition de mesures incitatives pertinentes (voir par exemple les méthodes d’évaluation de la biodiversité présentées dans le numéro 28 de la série CBD Technical series2.

6Contribuant à une plus grande équité entre États « utilisateurs » et États « fournisseurs », notamment ceux dont le patrimoine en biodiversité est très riche et nécessite énormément de moyens techniques et financiers pour pouvoir le conserver, et afin de prévenir toute forme de biopiraterie, le protocole de Nagoya a été signé en 2010, puis ratifié en octobre 2014. Transposé en droit national, le protocole réglemente l’accès aux ressources génétiques pour leur utilisation, ainsi que le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation (APA). Le programme SEP2D a été au cœur de sa mise en œuvre, en premier lieu, par la sensibilisation de nombreuses parties prenantes alors que le protocole n’était pas encore opérationnel dans tous les pays partenaires du programme et, en second lieu, sans doute le plus important, en illustrant le rôle central que joue la recherche dans une démarche de valorisation anthropogénique. Plusieurs exemples de ce corpus illustrent différentes facettes des recherches sur lesquelles les décideurs politiques peuvent s’appuyer pour développer leur stratégie nationale, qui lie politiques de conservation et politiques de développement socio-économique.

7Le programme SEP2D, opérant sur l’Afrique, l’océan Indien et l’Asie du Sud-Est, souligne l’énorme potentiel de développement de nouveaux produits issus de la biodiversité locale, dans lequel Madagascar, par son caractère insulaire et sa « mégadiversité », tient une place importante. Une autre caractéristique de ces régions du globe est la part importante du financement public qui y soutient les recherches, nécessitant de travailler plus avant les interactions public-privé autour de la valorisation de la biodiversité. C’est aussi un des enjeux du protocole de Nagoya : ouvrir des espaces de discussion afin que les politiques de développement local soient mieux adaptées aux besoins d’exploitation et de développement.

8Enfin, cette partie met également en avant le rôle de médiation scientifique des chercheurs envers la société, afin qu’elle puisse s’approprier les connaissances produites dans le respect des droits liés à la propriété intellectuelle. Ce rôle est tout particulièrement visible avec cette thématique de la valorisation de la diversité. En cela, la recherche participe à la production d’une richesse scientifique et d’une mise en valeur autant économique que sociale.

9Les questions de l’accès aux connaissances, de la propriété intellectuelle et des choix éthiques associés sont centrales dans l’APA, et la mise en œuvre du protocole de Nagoya oblige les différents acteurs à se confronter à ces sujets, peu familiers pour les uns, contraignants pour les autres, avec des mises en pratique souvent complexes.

10La recherche est alors force de proposition, et ce de différentes manières. Elle propose tout d’abord des espaces de concertation entre acteurs. Par la légitimité d’un savoir et d’une expertise socialement et institutionnellement reconnue, elle assure des ponts entre ressources, savoirs et utilisations et, surtout, entre les différents acteurs concernés. En assurant des liens avec des opérateurs privés, en traduisant scientifiquement des connaissances traditionnelles, en construisant des passerelles entre science et valorisation, les chercheurs sont des acteurs à part entière du processus de concertation menant à la mise en œuvre de l’APA.

11La recherche est aussi un lieu où se construisent des propositions d’évolution des pratiques et, en conséquence, des réglementations. En tant qu’experts, les chercheurs élaborent des recommandations auprès des autorités nationales et internationales. Citons l’actuelle construction d’une expertise internationale autour de l’évolution du climat (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Giec), de la biodiversité (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, IPBES), ou encore de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, HLPE). La recherche porte désormais une responsabilité sociétale reconnue qui conduit à des changements de posture : les chercheurs n’ont plus la seule mission de produire des connaissances, ils deviennent aussi les acteurs des nouvelles modalités de gouvernance des ressources et de leur valorisation, participant ainsi à la mise en place de modèles économiques et de processus « transformatifs ».