Chapitre 3. Diversité floristique et usages des plantes forestières en zones rurales de Guinée forestière
p. 57-71
Remerciements
Les auteurs remercient le programme SEP2D, ses animateurs, les bailleurs et institutions partenaires (Irag, UZ, DNEF, Cirad et IRD) qui ont permis la réalisation de cette étude et contribué à son succès. Ils sont particulièrement redevables aux habitants des vingt-et-un villages forestiers pour leur bon accueil et leur collaboration aux enquêtes et aux opérations de terrain.
Texte intégral
Introduction
1L’être humain entretient des rapports séculaires avec les plantes pour ses différents besoins (Ezebilo et Mattsson, 2010). En Afrique de l’Ouest, du fait de leurs usages multiples dans les domaines de l’alimentation, de la construction, de l’énergie domestique et de la médecine traditionnelle, les ressources végétales occupent une place importante dans le quotidien des populations rurales (Theilade et al., 2007 ; Zerbo et al., 2011 ; Mangambu et al., 2012).
2En Guinée forestière, une des quatre régions naturelles de Guinée, les flores de la forêt et de la savane (herbeuse, arbustive et arborée) sont très riches et variées mais encore mal connues malgré le travail remarquable de Lisowski (2009) sur les angiospermes de Guinée. Cependant, ces flores forestières et savanicoles jouent un rôle fondamental dans la subsistance et le développement économique des populations rurales et urbaines de la région. Les arbres sont utilisés pour leur bois d’œuvre mais aussi comme bois de feu – souvent transformé en charbon de bois – qui est, encore à présent, la principale, voire la seule, source d’énergie pour la cuisson des aliments.
3Mais cette flore fournit bien d’autres produits. Fruits, graines, pousses, feuilles, racines et écorces de très nombreuses espèces sont une source d’aliments pour les humains et pour le bétail, ou sont utilisés pour la fabrication de cosmétiques, comme médicaments dans la pharmacopée traditionnelle ou comme matières premières pour l’artisanat. On ne connaît pas précisément la part que représentent les produits végétaux des forêts de Guinée forestière parmi l’ensemble des ressources tirées de l’exploitation de la nature (agriculture, élevage, pêche et chasse). Selon Diawara (2001), ils contribuent de façon significative à l’amélioration des revenus des populations, à la diversification de leur alimentation et à leur santé. Ces nombreux usages de la flore des forêts de la région de Guinée forestière sont le fruit des savoirs traditionnels des populations rurales, savoirs progressivement construits et transmis oralement de génération en génération.
4En Guinée, et particulièrement en Guinée forestière, aucune étude n’a jusqu’à présent été entreprise pour inventorier de manière systématique les plantes utiles collectées dans les forêts, les produits qui en sont tirés, les usages et les savoirs traditionnels associés aux plantes forestières. Il existe toutefois quelques rares références sur l’utilisation des plantes, leur emploi pharmaceutique, leur intérêt fourrager et leur usage en médecine vétérinaire (Carriere, 2000), le plus souvent très anciennes (Pobeguin, 1912 ; Larrat, 1939 ; Basilevskaia, 1969).
5Cette étude est une composante1 du projet de recherche intitulé « Les plantes forestières utiles en Guinée forestière » (Fogefo-Plus), financé par le programme « Sud Expert Plantes Développement Durable » (SEP2D). Ce projet a eu pour objectif principal d’identifier et de recenser les plantes forestières utiles de la Guinée forestière (République de Guinée) et de caractériser leur importance économique pour les populations urbaines et rurales. Une meilleure connaissance des plantes forestières utilisées pourra sensibiliser le public sur l’importance de cette ressource naturelle et la nécessité de préserver ces plantes, dont certaines sont rares et menacées d’extinction.
6En pratique, ce projet a eu pour objectifs de recenser, dans une sélection de villages de Guinée forestière, les plantes forestières utiles et leurs usages courants et, dans la mesure du possible, de constituer une collection d’échantillons destinée à être conservée dans les Herbaria de l’Institut de recherche agronomique de Guinée (Irag) à Sérédou (herbier Sérédou-Guinée [Serg] selon l’Index Herbariorum) et de l’université de N’Zérékoré (UZ). En complément de ce recensement, la collecte et la mise en pépinière de semences ou de boutures destinées à enrichir le jardin botanique Roland Portères de l’Irag à Sérédou contribueront à la conservation de ces espèces utiles.
7Les résultats de ces inventaires réalisés dans vingt-et-un villages de Guinée forestière sont présentés dans ce chapitre, avec les noms scientifiques et vernaculaires des plantes recensées, leurs usages principaux et les parties utilisées. La richesse spécifique et la diversité floristique observées ont été analysées en fonction des principales ethnies de Guinée forestière.
Matériels et méthodes
Présentation des sites d’étude
8La Guinée est située en Afrique de l’Ouest, entre 7°05’ et 12°51’ de latitude Nord et entre 7°30’ et 15°10’ de longitude Ouest. Le pays s’étend sur une superficie de 245 857 km², avec un littoral côtier de 346 km dans sa partie occidentale. Il compte 11 780 162 habitants, avec une forte croissance démographique évaluée à 2,63 % en 2015 (http://statistiques-mondiales.com/guinee.htm).
9On divise traditionnellement le territoire guinéen en quatre régions naturelles : la Basse- Guinée (ou Guinée maritime), la Moyenne-Guinée, la Haute-Guinée et la Guinée forestière. Cette division est grossière car, à l’intérieur de chaque région, l’altitude, la topographie, l’hydrologie, la végétation, la température et les sols varient fortement.
10La Guinée forestière est située au sud-est de la Guinée. Elle s’étend sur 49 374 km² et sa population, estimée à 1 624 513 habitants, est répartie dans sept préfectures : Beyla, Guéckédou, Kissidougou, Lola, Macenta, N’Zérékoré et Yomou. Elle est soumise à un climat tropical humide avec des précipitations annuelles variant de 1 750 à 2 000 mm, une courte saison sèche (de décembre à février) et une température moyenne annuelle de 24 °C (Boulvert, 2003). La végétation spontanée de la zone d’étude est de type forêt dense humide (Raulin, 1967). La Guinée forestière est située dans une zone de collines d’altitude moyenne comprise entre 500 et 800 m, avec des sols essentiellement ferralitiques développés sur un socle de roches granitiques (Boulvert, 2003). L’agriculture et l’exploitation de la forêt sont les principales activités de la région.
11Afin d’évaluer la diversité des plantes forestières utiles dans les villages de Guinée forestière, 21 villages forestiers (trois villages pour chacune des sept préfectures de la région) ont été retenus comme sites d’étude (fig. 1 et tabl. 1) sur la base de leur diversité ethnique et linguistique et de l’accessibilité du village à un marché urbain.
Figure 1 – Carte de la Guinée et de la région administrative de Guinée forestière.

Les villages sélectionnés sont représentés par des points rouges.
Carte établie avec le logiciel QGIS 3.4.
Source du fond de carte : www.gadm.org
Méthodes de travail
Recensement des plantes forestières utiles et de leurs usages courants
12Dans chacun des 21 villages, après avoir présenté le projet Fogefo-Plus et ses objectifs à la population, nous avons constitué trois groupes de travail (focus groups) : un premier groupe comprenant des femmes âgées (45 à 75 ans), un autre avec des hommes jeunes (20 à 40 ans) et un dernier avec des hommes âgés (45 à 75 ans). Lors des réunions avec chacun de ces groupes, nous avons établi la liste des noms vernaculaires des espèces végétales utilisées par la population. Puis nous avons questionné les groupes sur les parties utilisées pour chaque espèce et sur les principaux usages de chacune d’entre elles.
Identification des plantes dans le territoire villageois
13Une fois la liste la plus complète possible établie, sur la base des informations recueillies, nous avons parcouru le territoire du village avec des personnes ressources capables d’identifier les plantes sur le terrain. En complément du nom vernaculaire, l’identification botanique (famille, genre, espèce) de chaque espèce a été réalisée soit directement sur le terrain, soit par comparaison avec des spécimens conservés dans l’herbier Serg ou grâce à des flores et des ouvrages d’identification (Lisowski, 2009 ; Berhaut, 1975 ; Arbonnier, 2002).
Tableau 1 – Noms et caractéristiques des 21 villages étudiés de Guinée forestière.
N° | Préfectures | Villages forestiers | Ethnies | Accessibilité du village à un marché urbain |
1 | Beyla | Diarakorodou | Koniyaka | Difficile |
2 | Famoila | Koniyaka | Peu facile | |
3 | Piyaro | Koniyaka | Facile | |
4 | Guéckédougou | Kathkama | Kissi | Peu facile |
5 | Kébali | Kissi | Facile | |
6 | Kondénbadou | Kissi et Malinké | Difficile | |
7 | Kissidougou | Bondadou | Kissi et Malinké | Facile |
8 | Mendou | Kouranko | Peu facile | |
9 | Nyandan | Malinké et Kouranko | Difficile | |
10 | Lola | Gbié | Kono | Peu facile |
11 | Gobouta | Guerzé | Facile | |
12 | Piné | Kono | Difficile | |
13 | Macenta | Baladou | Toma Manignan | Peu facile |
14 | Lohouma | Toma | Difficile | |
15 | Zoubouroumaï | Toma | Facile | |
16 | N’Zérékoré | Koya | Guerzé | Peu facile |
17 | Nzao | Mano | Facile | |
18 | Saadou | Koniyaka | Difficile | |
19 | Yomou | Gbèleye | Mano, Guerzé et Koniyaka | Difficile |
20 | Kpéyata | Guerzé | Facile | |
21 | Nona | Guerzé et Mano | Peu facile |
Constitution d’échantillons d’herbier
14Sur le terrain, nous avons prélevé sur les plantes forestières de types morphologiques variés (arbre, arbuste, arbuste lianescent, arbrisseau, herbe, liane) six échantillons d’herbiers fertiles, c’est-à-dire des rameaux feuillés portant des fleurs ou des fruits. Ces parts sont destinées à l’herbier Serg et à divers herbiers répondant aux critères internationaux en Guinée, en Europe et aux États-Unis.
15Les échantillons ont été séchés avec deux sources d’énergie (solaire et gaz butane). Une fois secs, ils ont été montés sur des supports d’herbiers de trois manières différentes (montage à la ficelle, montage à la plaquette de colle à papier et montage au pistolet thermocollant), puis étiquetés.
16Les différentes informations (nom scientifique, nom vernaculaire, famille, date et numéro de collecte, lieu de collecte, usage, environnement) ont été saisies dans la base de données de l’herbier Serg (sous Windows Excel). Les échantillons d’herbiers ont été scannés avec un équipement Herbscan© (scanner A3 Epson inversé conçu par Andrew McRobb) qui permet d’obtenir des images de haute résolution sans abîmer les spécimens. Les scans réalisés sont précis (600 pixels par pouce et couleur 24 bits), avec une taille inférieure à 200 Mo selon les standards internationaux. Les échantillons d’herbiers montés, informatisés et numérisés sont conservés dans les armoires de l’herbier Serg et font l’objet d’une pulvérisation d’insecticide trois fois par an.
Évaluation de la richesse spécifique et de la diversité floristique
17Pour chaque village forestier, nous avons évalué la richesse spécifique (nombre d’espèces végétales, famille botanique et type végétal) et la diversité floristique (indice de Shannon) à partir des données de recensement obtenues auprès des populations rurales, complétées par celles des sorties de terrain pour l’identification et la collecte des échantillons botaniques des plantes forestières utiles.
18Les variables analysées sont le nombre d’espèces végétales, le nombre d’individus par espèce et l’accessibilité d’un village à un marché urbain.
19La variable calculée est l’indice de Shannon H’ :

avec pi la proportion de l’espèce i et S la richesse spécifique observée.
Résultats
Plantes forestières utiles recensées
20Au total, 333 espèces végétales distinctes ont été recensées dans les 21 villages sélectionnés en Guinée forestière (ces données sont déposées dans un entrepôt numérique Dataverse)2. Les données recensées mentionnent l’espèce, la famille, les noms vernaculaires selon les ethnies, les usages et les organes utilisés. Les 333 espèces appartiennent à 76 familles botaniques (tabl. 2), parmi lesquelles six familles présentent un nombre important d’espèces : Fabaceae (69 espèces), Euphorbiaceae (24 espèces), Rubiaceae (22 espèces), Malvaceae (dix-sept espèces), Moraceae et Poaceae (quinze espèces chacune). Ces six familles constituent le fonds végétal des flores forestières et savanicoles de la Guinée forestière.
Tableau 2 – Nombre d’espèces végétales recensées pour chacune des 76 familles.
Nombre de familles | Familles | Nombre d’espèces par famille |
1 | Fabaceae | 69 |
1 | Euphorbiaceae | 24 |
1 | Rubiaceae | 22 |
1 | Malvaceae | 17 |
2 | Moraceae et Poaceae | 15 |
1 | Apocynaceae et Sapindaceae | 10 |
3 | Asteraceae, Combretaceae et Meliaceae | 9 |
1 | Annonaceae | 7 |
3 | Arecaceae, Marantaceae et Verbenaceae | 6 |
2 | Solanaceae | 5 |
6 | Acanthaceae, Anacardiaceae, Bignoniaceae, Phyllanthaceae, Sapotaceae et Zingiberaceae | 4 |
5 | Araceae, Asparagaceae, Ceropiaceae, Lamiaceae et Ulmaceae | 3 |
6 | Amaranthaceae, Cyperaceae, Ochnaceae, Portulacaceae, Putranjivaceae et Simaroubaceae | 2 |
43 | Apiaceae, Araliaceae, Aristolochiaceae, Balsamiaceae, Bixaceae, Boraginaceae, Burseraceae, Cannaceae, Capparaceae, Celastraceae, Chrysobalanaceae, Clusiaceae, Commelinaceae, Connaraceae, Convolvulaceae, Crassulaceae, Cucurbitaceae, Dennstaedtiaceae, Dilleniaceae, Dioscoreaceae, Flacourtiaceae, Gentianaceae, Hypericaceae, Lauraceae, Lecytidaceae, Liliaceae, Melastomataceae, Myrsticaceae, Myrtaceae, Nyctaginaceae, Olacaceae, Onagraceae, Pandanaceae, Piperaceae, Polygalaceae, Proteaceae, Rutaceae, Selaginellaceae, Smilacaceae, Timeliaceae, Urticaceae, Violaceae et Vitaceae | 1 |
Types morphologiques
21Les 333 espèces recensées ont été classées en fonction des principaux types morphologiques (tabl. 3).
22Les espèces végétales de forme arborée (143 espèces) sont les plus utilisées par les populations rurales de Guinée forestière (du fait de la physionomie végétale de la région, principalement forestière à dominance d’espèces d’arbres), suivies des espèces herbacées (60 espèces) et arbustives (58 espèces). Les arbustes lianescents (six espèces) sont peu représentés dans la flore de la région et par conséquent dans les usages.
Tableau 3 – Nombre d’espèces végétales par type morphologique.
Type morphologique | Nombre d’espèces |
Arbre | 143 |
Arbuste | 58 |
Arbuste lianescent | 6 |
Arbrisseau | 32 |
Liane | 34 |
Herbe | 60 |
Usages courants recensés
23Nous avons identifié quatre principaux usages courants, une espèce pouvant avoir à la fois un usage médicinal (écorces ou racines), alimentaire (fruits, graines et huiles) et artisanal (feuilles ou rameaux).
24Parmi les 333 espèces végétales recensées, 87 ont des usages alimentaires pour l’homme et les animaux, 256 ont des usages médicinaux ou magiques, 99 sont utilisées dans l’artisanat et onze espèces servent comme plantes de haie vive.
25Il est intéressant de noter qu’un grand nombre de ces espèces sont utilisées à des fins médicinales, un besoin essentiel de tout être vivant. Ceci s’explique aussi par une grande connaissance des vertus médicinales de ces plantes par les villageois, par leur facilité d’accès et leur coût minime en comparaison de celui des médicaments industriels et de la médecine dispensée en milieu urbain.
26Les espèces à usage de haie vive sont celles facilement clonables par micro- ou macro-bouturage, comme Sterculia tragacantha Lindl., Dracaenae mannii Baker, Ceiba pentandra (L.) Gaertn., etc. Elles sont peu nombreuses dans la flore de cette région.
Organes végétaux utilisés
27Sept organes (feuilles, fruits, graine, racines, écorces, tiges et fleurs) sont utilisés par les populations en zone rurale de Guinée forestière en fonction des usages :
- usage alimentaire : les parties consommées des 87 espèces végétales sont les fruits (Dialium guineense Willd., Adansonia digitata L., Pseudospondias microcarpa (A. Rich.) Engl., etc.), les graines (Pterocarpus santalinoides D. C., Ongokea gore (Hua) Pierre, etc.) et les feuilles (Albizia zygia (D. C.) J. F. Macbr., Adansonia digitata L., Ceiba pentandra (L.) Gaertn., etc.) ;
- usage médicinal ou magique : les parties utilisées des 256 espèces végétales sont les feuilles (Senna tora Roxb., Daniellia thurifera Bennett, etc.), l’écorce (Aninkia polycarpa (D. C.) Setten & Maas, Newtonia aubrevillei (Pellegr.) Keay, Nauclea pobequinii (Pellegr.) Merr., etc.) et les racines (Cassia siberiana D. C., Nauclea latifolia (Sm.) E. Abruce, etc.) ;
- usage artisanal : les principales parties utilisées des 99 espèces végétales sont les tiges, les branches et les rameaux (Ancistrophyllum secundiflorum (P. Beauv.) G. Mann & H. Wendl., Microdesmis keayana J. Léonard, etc.), les feuilles (Hallea stipulosa (D. C.) Leroy, Marantochloa leucantha (K. Schum.) Milne-Redh, etc.) et les fibres (Elaeis guineensis Jacq., Raphia hookeri G. Mann & H. Wendl., etc.) ;
- usage de haie vive : la plante entière des onze espèces végétales est utilisée (Newbouldia laevis (P. Beauv.) Seemann ex Bureau, Sterculia tragacantha Lindl., etc.).
Richesse spécifique et diversité floristique
28La richesse spécifique et la diversité floristique des 21 villages forestiers ont été interprétées en fonction de leur accessibilité à un marché urbain (tabl. 4).
29Les villages dont les accès à l’un des marchés urbains des sept chefs-lieux des préfectures de Guinée forestière sont difficiles (défectuosité de la route et/ou éloignement) ont des richesses spécifiques (espèces et familles) et des diversités floristiques (indice de Shannon) plus élevées et diversifiées ; ce sont respectivement les villages de : Diarakorodou (93 espèces, 36 familles et indice Shannon 4,53) dans la préfecture de Beyla ; Kondenbadou (73 espèces, 32 familles et indice Shannon 4,29) dans la préfecture de Guéckédou ; Piné (90 espèces, 38 familles et indice Shannon 4,50) préfecture de Lola ; Saadou (117 espèces, 45 familles et indice Shannon 4,76) préfecture de N’Zérékoré, et ainsi de suite sauf exception faite.
30Le village de Zoboroma a, quant à lui, un accès facile au marché urbain de la préfecture de Macenta et il présente pourtant une richesse spécifique et une diversité floristique élevées (124 espèces, 44 familles et indice de Shannon de 4,82) ; cela s’explique par le fait que ce village est situé à moins d’un kilomètre de l’une des plus grandes forêts denses humides tropicales d’Afrique de l’Ouest, relativement peu dégradée : la forêt de la biosphère Ziama d’une superficie de 111 000 ha.
31En revanche, les villages qui ont facilement accès à un marché urbain présentent des richesses spécifiques et des diversités floristiques (indice de Shannon) moins élevées et peu diversifiées. C’est le cas du village Bondadou (33 espèces, 23 familles et un indice de Shannon peu diversifié de 3,49) dans la préfecture de Kissidougou, du village Gobouta (38 espèces, 27 familles et un indice de Shannon de 3,63) dans la préfecture de Lola, du village Piyaro (45 espèces appartenant à 21 familles et un indice de Shannon de 3,8) et ainsi de suite.
Tableau 4 – Comparaison de la richesse spécifique et de la diversité floristique des villages forestiers de Guinée forestière.
Préfecture | Village | Nombre d’espèces | Nombre de familles | Indice de Shannon | Accessibilité à un marché urbain |
Beyla | Diarakorodou | 93 | 36 | 4,53 | Difficile |
Famoila | 53 | 28 | 3,97 | Peu facile | |
Piyaro | 45 | 21 | 3,80 | Facile | |
Guéckédou | Kath kama | 67 | 32 | 4,20 | Peu facile |
Kebali | 40 | 24 | 3,68 | Facile | |
Kondenbadou | 73 | 32 | 4,29 | Difficile | |
Kissidou | Bondadou | 33 | 23 | 3,49 | Facile |
Mendou | 71 | 31 | 4,26 | Peu facile | |
Nyandan | 82 | 31 | 4,40 | Difficile | |
Lola | Gbié | 84 | 37 | 4,43 | Peu facile |
Gobouta | 38 | 27 | 3,63 | Facile | |
Piné | 90 | 38 | 4,50 | Difficile | |
Macenta | Balladou | 71 | 35 | 4,26 | Peu facile |
Lohouma | 80 | 34 | 4,38 | Difficile | |
Zoboroma | 124 | 44 | 4,82 | Facile | |
N’Zérékoré | Koya | 73 | 33 | 4,29 | Peu facile |
Nzao | 63 | 32 | 4,14 | Facile | |
Sadou | 117 | 41 | 4,76 | Difficile | |
Yomou | Gbèlèye | 107 | 45 | 4,67 | Difficile |
Kpéata | 64 | 32 | 4,15 | Facile | |
Nona | 82 | 38 | 4,40 | Peu facile |
32Par ailleurs, quatre villages présentent des richesses spécifiques et des diversités floristiques élevées et diversifiées ; ces villages sont riverains des quatre forêts denses humides tropicales classées de Guinée forestière : Zoboroma à côté de la forêt classée de Ziama, Gbèlèye à côté de la forêt de Diécké (64 000 ha), Saadou à côté de la forêt de Béro (24 000 ha) et Gbié à côté de la forêt de la réserve intégrale de biosphère des Monts Nimba (12 540 ha).
Une collection d’échantillons d’herbiers de plantes utiles
33Au total, 878 échantillons botaniques fertiles de plantes forestières utiles ont été collectés et introduits dans la collection de l’herbier Serg. D’autres parts d’herbiers seront prochainement envoyés aux institutions suivantes : herbier HNG (université Gamal Abdel Nasser, Conakry), herbier UZ de l’université de N’Zérékoré, herbier de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan, Dakar), herbier MO (Missouri Botanical Garden, St Louis) et herbier P (Muséum national d’histoire naturelle, Paris).
34Un jeu de 1 552 données sur les plantes forestières utiles de Guinée forestière et un jeu de 375 données sur les espèces végétales du Mont Bilima Hénéré ont été constitués ; ces jeux de données ont été intégrés au Global Biodiversity Information Facility (www.gbif.org).
Discussion
Diversité des espèces végétales utilisées par les populations
35En Guinée forestière, les populations rurales utilisent une grande diversité d’espèces végétales issues des forêts denses, forêts secondaires, jachères forestières et savanes (arborées, arbustives et herbeuses). Le nombre des espèces mentionnées par les populations dans cette étude (333 espèces) est supérieur à celui observé au Bénin par Dan (2009), dans la forêt marécageuse de Lokoli au Bénin, et par Badjare et al. (2018) dans la savane sèche au Togo, qui ont respectivement dénombré 241 et 149 espèces végétales. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que notre zone d’étude est caractérisée par une formation de forêt tropicale humide qui est l’un des écosystèmes terrestres les plus diversifiés (Sheil et al., 2004 ; Poorter et al., 2004).
Usage des plantes forestières
36En Guinée forestière, notre étude a recensé quatre principaux usages (médicinaux, alimentaires, artisanaux et haies vives). Ce nombre d’usages des plantes forestières est nettement inférieur à celui recensé au Bénin par Hadonou-Yovo et al. (2019) dans la réserve de la biosphère du Mono, à savoir huit usages (médicinaux, alimentaires, artisanaux, cordes, emballages, bois énergie, bois d’œuvre, bois de service). Cette différence s’explique par le fait que notre étude n’a pas pris en compte les usages des bois (bois d’œuvre et bois énergie). En outre, certains usages (cordage et emballage) sont considérés comme « usage artisanal » dans notre étude.
37Le nombre d’espèces alimentaires (87) mentionnées par les populations dans notre étude est supérieur à celui observé au Zaïre par Mosango et Szafranski (1985) dans les environs de Kisangani (48 espèces végétales). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que Kisangani est une grande agglomération avec une densité élevée de population qui exerce une forte pression sur les ressources végétales.
38Le nombre d’espèces médicinales (256) utilisées par les populations de Guinée forestière est nettement supérieur à celui signalé en Côte d’Ivoire par Béné et al. (2016) dans le département de Transua, district du Zanzan (94 espèces). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que la médecine dite « traditionnelle » est particulièrement vivante en République de Guinée. Elle est présente dans tous les villages, où elle constitue le premier recours thérapeutique des populations rurales. Elle constitue également la médecine parallèle pour tous les Guinéens, la médecine de remplacement quand le malade – et c’est souvent le cas – ne peut pas faire face au coût des médicaments importés et aussi la médecine de dernier recours si le traitement au dispensaire ou à l’hôpital semble avoir échoué. En outre, la médecine traditionnelle prospère en ville (Diallo, 1992). En effet, les plantes médicinales constituent des ressources précieuses pour la grande majorité des populations rurales en Afrique, où plus de 80 % de cette population s’en sert pour assurer les soins de santé (Jiofack et al., 2010).
Richesse spécifique et diversité floristique
39Les terroirs des 21 villages forestiers de Guinée forestière sont caractérisés par des formations de forêts denses, forêts galeries, forêts rupicoles, forêts secondaires, jachères forestières et savanes (arborées, arbustives et herbeuses) ; ceci explique l’importance de la richesse spécifique et de la diversité floristique des villages de Guinée forestière.
40Les villages situés à proximité des réserves forestières et/ou des villages dont les accès à un marché urbain sont difficiles présentent une richesse spécifique et une diversité floristique élevées. Une étude réalisée par Correia et al. (2010) sur les agroforêts à café de Guinée forestière montre également que la richesse spécifique et la diversité floristique des agroforêts augmentent avec leur proximité à la forêt naturelle.
41En revanche, les villages éloignés d’une réserve forestière et/ou des villages ayant un accès facile à un marché urbain présentent une richesse spécifique et une diversité floristique moins élevées. Des études (Tiffen et al., 1994 ; Boffa et al., 2005 ; Wezel et Ohl, 2005 ; Abebe et al., 2006) montrent également que les proximités du village à un marché régional et à une route goudronnée sont des facteurs influençant la structure et la diversité arborée des systèmes agroforestiers.
Conclusion et perspectives
42Les populations rurales de Guinée forestière gèrent une gamme très variée d’espèces végétales avec une grande diversité d’usages qui participent directement ou indirectement à l’amélioration de leurs conditions de vie.
43Grace à l’appui financier du programme SEP2D, cette étude, première du genre en Guinée forestière, a été menée à bien et a permis de recenser et d’identifier par leurs noms scientifiques et vernaculaires 333 espèces végétales et leurs usages principaux. Elle se poursuivra par une enquête approfondie auprès des tradipraticiens, artisans, chasseurs, pêcheurs et forgerons, afin de connaître les différentes méthodes d’utilisation et les savoirs traditionnels associés, et par une étude économique qui estimera la part autoconsommée de ces produits et celle vendue localement ou sur les marchés urbains en Guinée forestière.
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Notes de bas de page
1 Une deuxième composante a porté sur les produits forestiers inventoriés sur les marchés urbains de Guinée forestière et une troisième composante sur la gestion des espèces forestières par les populations rurales.
2 Liste des espèces végétales utiles recensées dans le projet Fogefo-Plus, Guinée, 2017-2020) : https://doi.org/10.18167/DVN1/LQBWC9
Auteurs
-
Moussa Diabaté
Botaniste, Centre régional de recherche agronomique de Sérédou, Institut de recherche agronomique de Guinée, Guinée.
-
Mohamed Diabaté
Botaniste, Centre régional de recherche agronomique de Sérédou, Institut de recherche agronomique de Guinée, Guinée.
-
Falaye Koné
Botaniste forestier, direction nationale des Eaux et Forêts, ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts, Guinée.
-
Ouo Ouo Haba
Botaniste, faculté des Sciences de l’Environnement, département de Gestion des ressources naturelles, université de Nzérékoré, Guinée.
-
Hubert de Foresta
Botaniste, écologue des forêts tropicales, UMR « Botanique et modélisation de l’architecture des plantes et des végétations » (Amap), Institut de recherche pour le développement, France.
-
Jean-Pierre Labouisse
Agronome, UMR « Amélioration génétique et adaptation des plantes méditerranéennes et tropicales » (Agap), Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
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