1De nombreux travaux réalisés au niveau international montrent que l’environnement alimentaire influe de façon significative sur les comportements et les choix de consommation. La gamme de produits offerte, l’accessibilité et la qualité de l’offre alimentaire selon les circuits de distribution et les bassins de consommation, l’environnement commercial et les pratiques de promotion des produits (publicité et leviers d’action du marketing) ou encore les niveaux des prix des différents types de produits définissent l’espace des choix des individus. Agir sur cet environnement peut donc s’avérer utile dans une perspective de santé publique dès lors qu’il paraît favoriser des comportements alimentaires moins à risques, même si les individus sont sensibilisés aux enjeux de prévention et de santé.

2Dans le cas des Drom, on dispose de très peu de travaux académiques et de publications permettant d’établir de façon rigoureuse dans quelle mesure l’environnement alimentaire qui y est observé affecte les comportements alimentaires, positivement ou négativement du point de vue de la santé publique, et cela de façon spécifique ou non selon les Drom ou encore par rapport à l’Hexagone.

3Une observation permet néanmoins d’étayer l’idée que l’environnement des Drom, en particulier l’environnement alimentaire, affecte de façon spécifique, par rapport à l’Hexagone, les risques de santé associés à l’alimentation. Elle s’appuie sur le constat (voir annexe 4.1) que les taux d’obésité observés dans la plupart des Drom sont sensiblement supérieurs à ceux qui seraient observés si la relation entre les niveaux de revenus et le taux d’obésité était la même que celle notée dans l’Hexagone. Autrement dit, les taux d’obésité plus élevés dans les Drom ne sont pas seulement expliqués par une plus forte proportion de ménages à faibles revenus par rapport à l’Hexagone. Des éléments spécifiques aux Drom modifient cette relation et doivent être mobilisés pour rendre compte des niveaux de prévalence de l’obésité dans les Drom.

4Ce chapitre porte sur ces éléments spécifiques de l’environnement alimentaire auquel font face les consommateurs de chacun des Drom. La littérature et les données disponibles ont conduit cependant à limiter l’analyse à trois composantes : (i) la disponibilité en produits alimentaires, (ii) le niveau général des prix de l’alimentation, et (iii) la qualité nutritionnelle des produits mis sur le marché. L’objectif est de dresser un bilan aussi précis que possible des mécanismes économiques permettant d’expliquer l’offre alimentaire et des leviers qui permettraient de favoriser le développement d’une offre plus favorable à une alimentation de bonne qualité nutritionnelle.

5Le chapitre est structuré comme suit. Une première section établit un bilan de l’offre alimentaire en quantité. On vise ici à fournir un bilan quantifié de la disponibilité en biens alimentaires d’origine locale et importée et de l’évolution de ces disponibilités, sous l’angle nutritionnel, pour chaque Drom. La deuxième section s’intéresse aux prix de l’alimentation, depuis le niveau général des prix alimentaires jusqu’aux prix relatifs des différents produits alimentaires qui entrent dans la composition du panier alimentaire dans les Drom. Comparativement à l’Hexagone, les choix alimentaires des ménages des Drom sont contraints en raison de revenus plus faibles et de prix des biens alimentaires plus élevés. L’enjeu principal de cette deuxième section est de déterminer dans quelle mesure les prix des produits orientent les consommateurs vers des paniers alimentaires de faible qualité nutritionnelle. La troisième section porte sur la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire disponible dans les Drom. Elle vise à caractériser la variabilité de cette qualité selon les segments de marché, en comparaison avec celle observée dans l’Hexagone. Elle vise aussi à évaluer les gains potentiels qui pourraient être induits par des démarches de reformulation de l’offre industrielle locale. La quatrième section soulève la question de la qualité de l’offre alimentaire dans les circuits informels et la restauration collective, sans avoir cependant à ce stade de données précises à mobiliser.

1. Disponibilités alimentaires et énergétiques et structure nutritionnelle

1.1. Bilan global d’approvisionnement

6Nous présentons les éléments issus de l’analyse bibliographique puis les bilans que nous avons réalisés en utilisant les données d’importation et d’offre locale lorsque celles-ci étaient mobilisables.

7Nous disposons d’une étude qui a évalué l’évolution de l’offre alimentaire à La Réunion sur la période 1975 – 2002 (Allirot et al., 2006). Cette étude a mis en évidence :

• une augmentation continue de la disponibilité énergétique quotidienne moyenne entre 1975 et 2002 qui est passée de 1 990 kcal/hab/j en 1975 à 2 530 kcal/hab /j en 2002 ;

• une évolution qualitative importante (figure 1 de l’annexe 4.2) :
  – la part des calories apportées par les lipides dans la disponibilité énergétique totale est passée de 25 à 37 % ;
  – la part des lipides issus des matières grasses ajoutées est passée de 16 à 21 % ;
  – la part des autres lipides d’origine animale a presque doublé en 25 ans pour atteindre 15 % en 2002 ;
  – la part des calories glucidiques totales a chuté de 66 à 51 % ;
  – la part du saccharose a augmenté : elle était en moyenne de 15 % avant 1980, elle a atteint 17 % en 2002 ;
  – une augmentation très importante de la part de protéines animales dans la disponibilité protéique totale qui est passée de 60 % en 1975 à 85 % en 2002.

8Allirot et al. (2006) concluent ainsi : « Ces transformations rapides dans la manière de s’alimenter des Réunionnais, associées à la sédentarisation, sont suspectées d’être à l’origine de déséquilibres énergétiques importants, eux-mêmes responsables du développement du surpoids et des maladies associées telles que le diabète de type 2 ».

9Cette évolution de la structure de la ration est cohérente avec les analyses liant le niveau des revenus à la structure de la ration alimentaire observées dans d’autres régions du monde (figure 2 de l’annexe 4.2).

10Un travail spécifique a été mené dans le cadre de cette expertise. Il porte sur les disponibilités en énergie et macronutriments via les importations pour les années 2000, 2005, 2010 et 2015 pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, et pour l’année 2015 pour Mayotte (la méthode et des résultats complémentaires sont regroupés en annexe 4.3). Ce bilan des importations est complété par un bilan global incluant l’offre locale destinée à la consommation locale dans le cas de la Martinique et de La Réunion.

11Le tableau 1 fournit une comparaison de la structure des importations en 2015 pour les cinq Drom. La quantité de calories importées est importante, de l’ordre de 2 300 kcal par habitant et par jour. Elle est la plus faible en Guyane (1 939 kcal/habitant/jour) et la plus élevée en Martinique (2 684 kcal/habitant/jour). Globalement, la répartition en macronutriments des importations met en évidence des différences importantes entre les Drom. La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique ont une structure des importations relativement proche : de l’ordre de 40 % des calories importées sont sous forme de lipides, de 42 à 47 % des calories importées sont sous forme de glucides et 14 à 18 % des calories importées sont sous forme de protéines. Au sein de ce groupe, la Guyane a des importations plus importantes de protéines, notamment d’origine animale. La Martinique a des importations de glucides plus importantes, notamment sous forme de sucres simples. Mayotte présente un profil très différent avec une part beaucoup plus importante de glucides, notamment de glucides complexes et une part de lipides nettement plus faible. Ce profil est assez caractéristique d’une région qui n’a pas encore terminé la transition nutritionnelle. La Réunion présente un profil intermédiaire entre Mayotte et les trois autres Drom avec une part des lipides de 34 % des calories, une part de glucides d’environ 53 % principalement composé de glucides complexes.

12L’évolution de ces importations entre 2000 et 2015 est fournie en annexe 4.3. En ce qui concerne la Guadeloupe, on constate une diminution des calories importées, un accroissement de la part des lipides notamment celle des lipides animaux liés et une diminution de la part des glucides complexes. Pour la Guyane, les calories importées sont restées relativement stables, la part des lipides animaux liés s’est accrue, la part des glucides simples a diminué et la part des protéines animales a augmenté de façon importante.

13Dans le cas de la Martinique et de La Réunion il a été possible de réaliser un bilan plus global de l’offre en intégrant les données de production locale destinée à la consommation locale. Les calories disponibles sont de l’ordre de 2 800 kcal/habitant/jour. Les protéines représentent un peu moins de 15 % des apports énergétiques, avec une part de protéines d’origine végétale plus importante à La Réunion qu’en Martinique. La part des lipides est plus importante en Martinique (39 %) qu’à La Réunion (34 %). Une plus faible importance des lipides libres et des lipides animaux liés expliquent la différence entre les deux territoires. Enfin, la part des glucides complexes est beaucoup plus importante à La Réunion (37 %) qu’en Martinique (24 %). Inversement la part des glucides simples est beaucoup plus importante en Martinique (23 %) qu’à La Réunion (14 %).

14Dans le cas de la Martinique, on constate entre 2005 et 2015 une diminution des disponibilités en calories, une augmentation de la part des lipides, une diminution de la part des glucides, notamment celles des glucides complexes qui passent de 27 % à 24 %, alors que celle des glucides simples a plutôt augmenté. Dans le cas de La Réunion, le bilan est resté globalement stable sur la période 2000 – 2015 (voir en annexe 4.3 les résultats plus précis et les graphes d’évolution).

1.2. Part des produits locaux dans l’offre globale

15Le taux de couverture, défini comme la part de produits locaux dans la consommation totale, permet d’analyser la capacité d’un territoire à couvrir ses besoins alimentaires à une période donnée. La situation de référence pour établir ces pourcentages est donc celle d’une parfaite autosuffisance en productions agricoles. L’Odeadom a évalué le taux de couverture sur la période 2013-2017 pour sept groupes de produits : fruits, légumes, viandes de boucherie, volailles, œufs, lait frais et miel (Odeadom, 2018). L’étude fournit une estimation haute évaluée en considérant uniquement les produits non transformés, qu’ils soient frais, réfrigérés ou congelés, et une estimation basse qui intègre également dans le calcul les échanges extérieurs de produits transformés, ceux-ci étant convertis en équivalent produit brut. Selon l’Odeadom, l’analyse des taux de couverture des besoins alimentaires met en évidence les résultats suivants :

• la couverture des besoins en œufs est très bonne pour l’ensemble des Drom, avec des taux de couverture supérieurs à 70 % ;

• pour les fruits, la Guyane et Mayotte se distinguent par de très bons taux de couverture (entre 77 % et 96 % selon les estimations). Ces taux sont un peu plus faibles pour La Réunion (entre 36 et 63 %) et encore plus faibles pour les Antilles (entre 14 et 34 % pour la Martinique, et 14 et 45 % pour la Guadeloupe) ;

• pour les légumes, ces taux sont également élevés pour la Guyane (entre 83 % et 92 %), Mayotte (entre 77 % et 91 %), et la Réunion (entre 50 et 70 %) mais restent faibles aux Antilles (entre 25 et 37 % pour la Martinique et 40 et 55 % pour la Guadeloupe) ;

• pour les productions animales, les taux de couverture sont relativement faibles pour l’ensemble des départements, si ce n’est La Réunion, qui se distingue par des taux de couverture supérieurs pour la viande de volaille (entre 30 et 40 % contre des taux inférieurs à 10 % dans les autres territoires) et, dans une moindre mesure, pour les viandes de boucherie (entre 25 et 35 % contre des taux inférieurs à 20 % dans les autres Drom). Dans le cas des produits laitiers, le taux de couverture est faible à Mayotte et La Réunion et nul dans les trois autres Drom en raison d’une quasi absence de production laitière.

16En ce qui concerne les évolutions sur la période 2007-2017, la comparaison des taux de croissance de la production agricole et de la démographie montre que le taux de couverture a tendance à s’accroître en Guyane, à diminuer en Guadeloupe et Martinique et à stagner à La Réunion. Ces évolutions s’expliquent par la dynamique des surfaces agricoles en diversification végétales et animales, qui diminuent fortement aux Antilles (- 1600 ha en moyenne par an), augmentent légèrement à La Réunion (+146 ha en moyenne par an), et plus fortement en Guyane (+1129 ha par an).

17Compte tenu de la structure de la consommation actuelle, et compte tenu des potentialités agricoles, la couverture des consommations de viande par la production locale est inenvisageable (la surface nécessaire pour répondre aux besoins est située dans une fourchette comprise entre 360 000 et 660 000 ha, soit 200 à 360 % de la SAU totale des Drom). En revanche, selon l’Odeadom, pour les fruits et les légumes, la surface en production manquante pour couvrir l’ensemble des besoins en produits frais est située entre 11 000 et 26 000 ha selon les estimations, soit entre 6 et 14 % de la surface agricole ultramarine. Ce calcul ne prend pas en compte l’éventuel besoin d’accroître la consommation de fruits et légumes dans un objectif d’amélioration de la qualité de la diète.

18Le travail réalisé sur le bilan de la disponibilité en macronutriments montre que pour la Martinique les importations représentent plus de 90 % des disponibilités en calories et plus de 85 % dans le cas de La Réunion. Dans les deux cas, une part importante de la production agricole locale est exportée (sucre, fruits tropicaux). Enfin, de façon plus générale, les industries agroalimentaires sont relativement peu développées dans les Drom, sauf en ce qui concerne la production de sucre et de rhums. Comparativement à l’Hexagone, le chiffre d’affaires des IAA (mesuré en CA/habitant) est au mieux de moitié (La Réunion) et au pire de l’ordre de 10 % (Guyane). L’écart sur l’emploi est plus faible ce qui peut provenir d’une orientation vers des IAA intensives en travail mais aussi d’arbitrage différent entre capital et travail ou d’une plus faible productivité.

2. Prix alimentaires

2.1. Comparaison des prix d’un panier alimentaire dans les Drom et l’Hexagone

19De façon globale, les prix alimentaires dans les Drom sont plus élevés que les prix alimentaires dans l’Hexagone. Comme les choix alimentaires moyens sont différents selon les Drom et dans l’Hexagone, la comparaison des prix réalisée par l’Insee porte sur la valeur dans chaque Drom d’un panier hexagonal (colonne 2 de chaque tableau), sur la valeur dans l’Hexagone du panier de chacun des Drom (colonne 3). On peut en déduire un écart moyen des prix entre Drom et Hexagone (colonne 4).

20Il apparaît clairement qu’en 2015 les prix alimentaires dans les Drom étaient plus élevés que dans l’Hexagone, en particulier en Martinique, Guadeloupe et Guyane. Les écarts de prix ont eu tendance à s’accroître entre 2010 et 2015 sauf en Guyane. On peut noter également que les écarts sont plus importants lorsqu’ils sont mesurés pour le panier vendu dans l’Hexagone. Ainsi en 2015, ces écarts varient de 36,8 % (La Réunion) à 47,9 % (Martinique). Les écarts de prix entre Drom et Hexagone pour le panier Drom sont quant à eux de l’ordre de 20 % environ (-22,6 % à -17,6 %) pour les 4 Drom les plus peuplés. Dans le cas de Mayotte alors que l’écart de prix du panier vendu dans l’Hexagone est de 42,2 %, l’écart de prix est nul pour le panier alimentaire consommé à Mayotte.

21Ceci signifie que les choix fait par les consommateurs dans les Drom se portent sur des produits dont les écarts de prix avec ceux de l’Hexagone sont moins élevés. Ces informations globales ne permettent néanmoins pas de déterminer si ces choix différents favorisent ou non une alimentation de bonne qualité nutritionnelle et dans quelle mesure la structure des prix alimentaires favorise ou non une alimentation de bonne qualité nutritionnelle.

2.2. Formation des prix de détail dans les Drom

22La question abordée est celle des mécanismes qui permettent d’expliquer les écarts de prix importants entre les Drom et l’Hexagone. L’autorité de la concurrence a réalisé en 2009 et en 2019 des analyses approfondies de la formation des prix des biens de consommation courante et notamment des biens alimentaires dans les Drom. En 2009, l’Autorité de la Concurrence concluait ainsi : « Le diagnostic issu de ces éléments est celui d’une insuffisance des mécanismes concurrentiels à plusieurs stades de la chaîne d’approvisionnement. Couplée aux inefficacités découlant des caractéristiques intrinsèques des marchés ultramarins, la faiblesse des mécanismes concurrentiels explique en grande partie l’observation de prix plus élevés dans ces régions qu’en métropole ». En 2019, l’Autorité de la Concurrence note : « Ainsi, … à elles seules, les marges réalisées par certains distributeurs n’expliquent pas, en moyenne, l’essentiel des écarts des prix entre Drom et métropole.… Les frais d’approche et le recours à des grossistes importateurs, répercutés par les distributeurs dans le prix final au consommateur, expliquent donc en moyenne une grande partie des écarts de prix avec la métropole » Ainsi, divers éléments s’additionnent et permettent d’expliquer les écarts de prix entre Drom et Hexagone61 :

• l’étroitesse des marchés qui ne permet pas de faire jouer les économies d’échelle et implique des surcoûts de production ;

• les coûts de fret maritime dans un contexte où une part importante de l’alimentation est importée. Ainsi, selon l’Autorité de la Concurrence, sur le marché du fret, les prix pratiqués semblent supérieurs à ceux que l’on devrait observer en situation de concurrence forte entre transporteurs. Cela étant, les coûts de transport, s’ils jouent un rôle dans la formation des écarts de prix, ne suffisent pas à expliquer l’importance des écarts de prix entre Drom et Hexagone ;

• une fiscalité locale conçue pour financer les budgets des collectivités locales et protéger les entreprises locales, l’octroi de mer, contribue mécaniquement à accroître les prix de vente aux consommateurs (voir section 2.6.1) ;

• la faiblesse des mécanismes concurrentiels au sein de la chaîne alimentaire qui entraîne un accroissement des prix (voir section 2.3) ;

• une production agro-alimentaire locale peu compétitive et qui profite insuffisamment des avantages procurés par les exonérations de taxes dont elle bénéficie. Ainsi, l’Autorité de la Concurrence (2009) écrit : « S’il n’est donc pas exclu que la production locale (plutôt que le recours à des produits importés) contribue dans certains cas à faire diminuer les prix, la mission a également révélé que pour certaines catégories de produits, les producteurs locaux profitent davantage des obstacles aux importations (qu’il s’agisse de l’octroi de mer, du coût du fret ou des marges perçues par les intermédiaires) et de la forte concentration sur les marchés locaux pour accroître leurs prix qu’ils ne contribuent à dynamiser le jeu concurrentiel. »

23En conclusion, dans son avis, l’Autorité de la Concurrence formule un certain nombre de recommandations portant notamment sur un accroissement de la concurrence au niveau de la distribution (en facilitant l’entrée de nouveaux acteurs) mais aussi du transport maritime et des services portuaires, sur une plus grande transparence sur les prix de vente aux consommateurs, sur certaines pratiques d’exclusivité dans la chaîne importations-distribution et enfin sur une évaluation de l’impact des aides et protection accordées aux producteurs locaux. Elle souligne l’importance, lors de la prochaine révision des taux de l’octroi de mer, de bien évaluer leurs conséquences sur les niveaux des prix et leur légitimité par rapport aux enjeux de protection de la production locale.

2.3. La faiblesse des mécanismes concurrentiels

24Le secteur de la distribution dans les Drom est dominé par des enseignes nationales également présentes dans l’Hexagone, principalement Carrefour, Cora et Casino. Le secteur de la distribution alimentaire présente en Guadeloupe, Guyane et La Réunion des niveaux de concentration élevés.

25Selon l’Autorité de la Concurrence (2009), la concurrence au sein de l’ensemble de la chaine alimentaire est insuffisante.62 Cette insuffisance de concurrence s’explique notamment par la concentration de la distribution, une diversification verticale des groupes de distribution qui sont aussi producteurs de certains biens alimentaires ou présents dans l’activité de grossiste-importateur. Autrement dit, les distributeurs ont développé des activités en amont de leur activité principale de vente au détail. Ils assurent le rôle de producteurs d’un certain nombre de produits alimentaires (ce qui est également le cas dans l’Hexagone pour certains distributeurs, sans citer leur rôle de quasi-producteurs dans le cas des marques de distributeurs) mais, ce qui est moins courant, ils assurent également le rôle de grossiste-importateur, maitrisant ainsi l’approvisionnement de leurs points de vente. Les produits fabriqués localement ou achetés aux industriels hexagonaux sont alors revendus à leurs concurrents sur le marché aval de la distribution de détail. Il semble également que les barrières à l’entrée dans la distribution soient plus fortes que dans l’Hexagone limitant là aussi les effets potentiels d’une concurrence accrue. En d’autres termes, il est très difficile pour de nouveaux acteurs de la distribution de s’implanter dans ces territoires. Il en résulte une pression concurrentielle amoindrie.

26En termes de comportement des distributeurs, cette même étude pointe le recours intensif aux promotions commerciales qui peuvent s’expliquer notamment par la volonté de discriminer entre des consommateurs en fonction de leur sensibilité au prix, le faible rôle joué par les marques de distributeurs (MDD) et les « premiers prix ». Cette faiblesse de la présence des MDD, généralement vendues à des prix inférieurs aux produits équivalents de marques nationales, pourrait être liée aux inégalités de revenus.63 Il faudrait examiner dans quelle mesure des mécanismes de formation des prix sont susceptibles d’orienter certaines populations, en particulier défavorisées, vers des diètes de moindre qualité nutritionnelle.

27À cette faible concurrence au niveau de la distribution, s’ajouteraient les marges prélevées par les importateurs-grossistes qui apparaissent relativement élevées. Le tableau 5 fournit des informations sur le nombre de points de vente dans les Drom. Par contre, il n’a pas été possible de recueillir des informations sur les niveaux de concentration de la grande distribution.

2.4. Dépenses alimentaires par niveaux de revenu

28Des prix plus élevés et des revenus plus faibles se traduisent par une part du budget des ménages consacrée à l’alimentation sensiblement plus forte que dans l’Hexagone (entre 21,7 % et 23,5 % en Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, 31,5 % à Mayotte contre 19,1 % en Hexagone). Cette part du budget consacrée à l’alimentation est d’autant plus élevée que le niveau des revenus des ménages est plus faible (tableau 6). Ainsi pour le premier quartile de revenus, la part des dépenses alimentaires (y compris les boissons) dans le budget des ménages est de 25,5 % en Guadeloupe, 31,3 % en Guyane, 28,1 % en Martinique, 38,7 % à Mayotte et 27,5 % à La Réunion alors qu’elle est de 20,7 % dans l’Hexagone. La structure des dépenses, c’est-à-dire les parts du budget alimentaire allouées à chaque groupe d’aliments, est également différente entre Drom, et avec l’Hexagone. Ceci peut refléter des préférences alimentaires des ménages différentes mais aussi des rapports de prix entre groupes d’aliments différents.

29Au sein du budget alimentaire, les parts consacrées à chaque groupe d’aliments diffèrent entre Drom et Hexagone (tableau 7). Ainsi la part du budget alimentaire consacrée aux viandes, au lait, fromages et œufs est inférieure dans chacun des Drom à la part consacrée à l’achat de ces produits dans l’Hexagone (sauf pour les achats de viande à Mayotte). La part consacrée à l’achat des poissons et fruits de mer est très supérieure en Guadeloupe, Martinique et Mayotte (de 9 à 10 %) à celle consacrée en Guyane ou à La Réunion (5 % environ) et dans l’Hexagone (5,5 %). Les parts de dépenses pour les fruits sont plus faibles dans les Drom (sauf Mayotte) que dans l’Hexagone mais les parts de dépenses en légumes sont plus élevées. Une différence notable concerne les parts de dépenses consacrées à l’achat des boissons non alcoolisées qui sont près de deux fois supérieures à celle de l’Hexagone (de 9 à 11 %, sauf Mayotte 7 % contre 4,8 % en Hexagone). Enfin les parts consacrées à l’achat de boissons alcoolisées sont un peu inférieures dans les Drom (de 5,3 à 6,6 %, sauf Mayotte 2,4 %) que dans l’Hexagone (6,7 %).

30Les dépenses consacrées à l’alimentation dans les Drom sont en moyenne inférieures à celles de l’Hexagone (tableau 8). Même si les parts budgétaires sont supérieures, les niveaux de revenus plus faibles conduisent à des valeurs des achats plus faibles (sauf en Martinique). Ainsi les dépenses annuelles par personne s’élèvent à 2 260 € en Guadeloupe, 2 020 € à la Guyane, 2 500 € en Martinique, 1 530 € à Mayotte, 2 065 € à La Réunion et 2 480 € dans l’Hexagone. Les dépenses pour chaque groupe d’aliments sont généralement inférieures à celles de l’Hexagone, à l’exception des dépenses en poissons et fruits de mer en Guadeloupe et Martinique, les dépenses en légumes (Guadeloupe, Martinique) et les dépenses en boissons non alcoolisées (ensemble des Drom sauf Mayotte). Ces dépenses alimentaires plus faibles s’effectuant dans un contexte où le niveau général des prix des produits alimentaires est supérieur dans les Drom que dans l’Hexagone, il est très vraisemblable que les consommateurs orientent leurs achats vers des produits de moindre qualité.

2.5. Dépenses alimentaires et qualité de la diète

31Pour étudier les relations entre les dépenses alimentaires et la qualité de la diète, nous avons utilisé les données de l’enquête Kannari et réalisé un travail spécifique de relevé des prix dans un drive en Martinique et dans un drive, du même distributeur, dans l’Hexagone. Ceci nous a permis de déterminer le coût des régimes alimentaires. Deux approches ont été retenues. Une première approche a consisté à classer les régimes observés en 4 typologies alimentaires (voir chapitre 2.1.) et à déterminer les coûts minimum et moyen des régimes pour chacune des 4 typologies. La deuxième approche a consisté à classer les régimes observés en 4 quartiles en fonction de leur qualité nutritionnelle (score d’adéquation aux recommandations du PNNS) et à déterminer les coûts minimums des régimes de chacun de ces quartiles. Les régimes martiniquais sont décrits sur la base de la nomenclature Kannari qui comporte plus de 1 000 aliments. Les données de prix collectées dans les deux magasins drive ont été affectées à ces 1 000 aliments. Ceci a permis de définir un prix minimum (le prix le plus faible observé). Le coût des régimes est calculé en utilisant les quantités consommées pour les régimes moyens définis précédemment et les prix minimum ou moyen observés en Martinique ou dans l’Hexagone. Ces coûts correspondent donc aux dépenses alimentaires que ferait le consommateur moyen de chaque cluster ou de chaque quartile s’il achetait en Martinique ou dans l’Hexagone chacun des aliments de la nomenclature Kannari au prix minimum (le prix plus bas observé dans chaque drive). Les valeurs obtenues avec les prix minimums donnent une indication de l’accessibilité des régimes observés (par typologie ou par quartile). Le tableau 9 fournit le coût des régimes en Martinique pour chacune des typologies.

32Typologie 1 : typologie « saine », caractérisée par des consommations élevées de fruits, légumes, produits complets et yaourts et des consommations faibles de boissons sucrées et boissons alcoolisées et de snacks et fast-foods, se traduisant par un score élevé d’adéquation aux recommandations.

33Typologie 2 : typologie « en transition » avec des consommations élevées de charcuteries, viande rouge, abats, sauces et boissons alcoolisées et sucrées mais aussi des consommations élevées en tubercules locaux, légumineuses et de faibles consommations de biscuits et gâteaux, se traduisant par un score intermédiaire d’adéquation aux recommandations.

34Typologie 3 : typologie « « traditionnelle », avec des consommations élevées de fruits, légumes, tubercules locaux, riz et poissons et fruits de mer, des consommations faibles de viande rouge, charcuteries, boissons alcoolisées, snacks et produits de fast-food et dont la majorité des plats consommés est des spécialités antillaises, se traduisant par un score élevé d’adéquation aux recommandations.

35Typologie 4 : typologie « moderne » avec des consommations élevées de boissons sucrées, snacks et produits de fast-foods, biscuits et gâteaux et volailles, et des consommations faibles de fruits, légumes, poisson et produits de la mer, se traduisant par un score faible d’adéquation aux recommandations.

36Les données utilisées amènent à souligner plusieurs résultats importants :

• comme montré par d’autres études (Berthier et al., 2010 ; Jaluzot et al.,
  2016), les coûts minimum sont sensiblement plus élevés en Martinique que dans l’Hexagone. Il est possible que la démarche utilisée ici amplifie quelque peu cet écart (l’écart prix drive / prix en magasins est peut-être plus grand en Martinique que dans l’Hexagone). Reste que l’on retrouve des écarts significatifs déjà signalés par ailleurs ;

• il n’y a pas de lien fort entre coûts minimum et qualité nutritionnelle des régimes observés. Ainsi le meilleur régime du point de vue nutritionnel (typologie « saine ») et le moins bon régime (typologie « moderne ») ont un coût minimum similaire sur la base des données de prix collectées en Martinique (même quand on rapporte les coûts pour un calorique équivalent de 2 000 Kcal). Leur coût est très nettement inférieur aux coûts des deux autres typologies. Ainsi, la typologie « traditionnelle » (qui comporte beaucoup de poissons et fruits de mer) est la plus onéreuse ;

• la structure des prix en Martinique (par rapport à celle de l’Hexagone) a tendance à réduire l’écart de coût entre la typologie « saine » et la typologie « moderne ». En d’autres termes, avec la structure de prix en vigueur en Martinique, il est possible d’avoir un régime de bonne qualité nutritionnelle (typologie « saine ») à un coût similaire à celui d’un régime de mauvaise qualité nutritionnelle (typologie « moderne »).

37Le tableau 10 fournit les coûts des régimes en Martinique par quartile de qualité nutritionnelle (score d’adéquation aux recommandations du PNNS).

38Les régimes alimentaires observés en Martinique sont tels qu’avec le système de prix utilisés, le coût minimum des régimes de plus mauvaise qualité nutritionnelle (quartile 1) n’est pas significativement plus faible que celui des régimes de meilleure qualité.

39Les résultats présentés dans ces deux tableaux suggèrent que, dans le cas de la Martinique, si les prix impactent clairement les dépenses alimentaires des ménages plus fortement que dans l’Hexagone, les rapports de prix des catégories de produits les unes par rapport aux autres ne sont pas nécessairement un obstacle au choix d’un régime de bonne qualité nutritionnelle. Les modifications de régimes observées quand on passe du quartile de mauvaise à bonne qualité nutritionnelle n’impliquent pas de surcoûts majeurs. Cela suggère donc que ces choix alimentaires dépendent aussi d’autres facteurs, notamment des préférences des consommateurs, le terme préférence étant entendu dans un sens non restrictif.

40Notons enfin que ces calculs ‘théoriques’ ne représentent pas les dépenses réelles des ménages appartenant à chacun des quartiles ou chacune des typologies. En effet, ils sont calculés en supposant que, pour un type de produit donné, les ménages achètent tous le même bien (celui qui a le prix minimal ou celui qui a le prix moyen de ce groupe de produits). Il faut aussi souligner que ces résultats dépendent également de la qualité des données de l’enquête Kannari. Il faudrait donc les confirmer par des analyses complémentaires et aussi pouvoir généraliser ce type de travail aux autres Drom. Ils sont basés aussi sur un système de prix dont il n’est pas sûr qu’il soit représentatif de la situation martiniquaise. Des données de prix devront donc aussi être collectées de façon plus systématique pour conforter ces résultats.

41La figure 2 donne la structure des coûts par familles d’aliments pour les régimes des 4 typologies. La première typologie « saine » se caractérise par des dépenses en fruits et légumes les plus importantes et des dépenses en viande et volailles les plus faibles. La typologie 2, « en transition » se caractérise par de fortes dépenses en viande rouge, en légumineuses, en féculents, en boissons alcoolisées et en plats préparés. La typologie 3, « traditionnelle » se caractérise par de très fortes dépenses en poissons et fruits de mer, de fortes dépenses en féculents, en volailles et œufs, et en plats de spécialités antillaises. La typologie 4, « moderne » se distingue par des dépenses beaucoup plus faibles en fruits et légumes et poissons, et de fortes dépenses en volailles et œufs, biscuits, boissons sucrées, snacks et fast-food salés et plats préparés.

42Ainsi la typologie 1, de bonne qualité nutritionnelle, ne présente pas un coût d’accès (établi avec les prix minimum) supérieur à celui de la typologie 4 de plus mauvaise qualité nutritionnelle. De plus faibles dépenses en volailles et œufs, en biscuits, en snacks et fast-foods salés et en plats préparés viennent compenser les dépenses plus élevées en fruits et légumes, poissons et plats de spécialités antillaises.

2.6. Structure des prix relatifs des produits

43Au-delà des effets de prix moyens plus élevés que dans l’Hexagone, se pose la question des prix relatifs des différents biens alimentaires les uns par rapport aux autres. Il n’est en effet pas sûr que le rapport des prix entre par exemple 1 kg de volaille et 1 kg de viande de bœuf soit le même dans les différents Drom et l’Hexagone. Si ce rapport de prix n’est pas le même, il doit alors influer de façon différente sur les arbitrages des consommateurs (au-delà du fait que les prix moyens sont plus élevés dans les Drom). Ces rapports de prix des produits alimentaires entre eux observés dans les Drom poussent-ils alors les consommateurs à surconsommer certains biens et sous-consommer d’autres ? Si oui, les choix sont-ils biaisés en faveur ou à l’encontre de la qualité nutritionnelle des régimes alimentaires ?

44Nous ne disposons que de peu d’éléments fiables quant aux prix des différents produits alimentaires. Il existe des relevés de prix utilisés, par exemple, dans le cadre l’opération « Bouclier Qualité Prix » (BQP) qui évalue régulièrement les prix d’un ensemble de produits dans les Drom. Ils n’ont pas été utilisés ici car ces prix ne reflètent pas la structure générale des prix des produits. En effet, les relevés des prix du panier BQP concernent un échantillon de produits choisis par les distributeurs sur lesquels ils s’engagent à des efforts de modération. Les produits choisis peuvent varier d’une période à l’autre. L’échantillonnage qui en résulte n’est donc pas représentatif des prix de l’ensemble des produits alimentaires.

45Des études sont en cours, par exemple dans le projet ANR Nutwind, mais les résultats ne sont pas encore disponibles. L’accès aux données de l’enquête spatiale de comparaison des prix ayant permis de comparer le coût des paniers alimentaires dans les Drom et dans l’Hexagone n’a pas été possible dans les délais impartis.

46Un travail spécifique de relevés des prix dans un drive en Martinique et dans un drive, du même distributeur, dans l’Hexagone montre, que pour de nombreuses catégories de produits, les prix en Martinique sont environ 1,5 fois plus élevés qu’en France (voir annexe 4.4)64. Ce ratio est le plus faible pour les fruits, les féculents, les poissons, les viandes rouges et dans une moindre mesure les produits apéritifs. En comparaison de l’Hexagone, ceci favorise la consommation de ces produits. Inversement, le ratio est le plus élevé pour les boissons non alcoolisées non sucrées, les snacks et fast-foods salés, les volailles/abats/œufs, les légumes et dans une moindre mesure les produits oléagineux et les plats préparés. En comparaison de l’Hexagone, ceci défavorise la consommation de ces produits. Il est difficile de conclure quant à un effet positif ou négatif de ces rapports de prix sur la qualité de la diète (comparativement à l’Hexagone) dans la mesure où par exemple la structure des prix favoriserait la consommation de fruits mais défavoriserait la consommation de légumes. Par ailleurs, on a observé dans la section précédente que les prix ne semblaient pas constituer un obstacle majeur au choix d’un régime de bonne qualité nutritionnelle. Ceci renvoie donc à la question du rôle des préférences, au sens large, dans le choix des consommateurs. Il est probable qu’en Martinique, l’influence des habitudes alimentaires et donc des préférences des consommateurs soit majeure sur la qualité de la diète comparée à l’effet de structure des prix.

47Notons également que ces relevés de prix concernent un seul drive et ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de la situation en Martinique ou dans l’Hexagone.

48Enfin, on dispose de données Insee sur la période 2008-2013 (tableau 11). De façon générale, il ressort que les prix des produits alimentaires ont augmenté plus fortement dans les trois Drom étudiés que dans l’Hexagone. L’évolution des prix en Guadeloupe a été plus modérée qu’en Martinique ou Guyane. Cela étant, les prix des fruits et des viandes ont moins augmenté dans les Drom que dans l’Hexagone ce qui a pu être favorable à leur consommation (notons que dans le cas des fruits les prix fluctuent fortement au cours de l’année et que l’importance de ces fluctuations peut varier d’une année à l’autre).

49De façon plus générale, on manque de données sur les prix alimentaires pour approfondir l’analyse des prix relatifs et de leurs conséquences. À ce stade il est donc difficile de conclure sur le possible impact de la structure relative des prix sur la qualité nutritionnelle des diètes des populations des Drom.

2.6.1. Rôle de l’octroi de mer

50On peut cependant examiner de façon complémentaire un déterminant important du niveau des prix identifié plus haut, à savoir l’octroi de mer. En effet, comme nous l’avons vu, celui-ci affecte le prix moyen de l’alimentation, mais dans la mesure où il varie selon les catégories d’aliments, il peut aussi affecter les rapports de prix des produits les uns par rapport aux autres.

51Le régime de l’octroi de mer autorise les collectivités territoriales à lever des taxes sur les produits importés ou produits dans les départements d’Outre-mer65. Ceux sont les collectivités territoriales qui décident des taux d’octroi de mer. Ces taxes assurent des ressources aux budgets des collectivités, en particulier les communes, et devraient favoriser le développement des entreprises locales en instaurant des possibilités d’exonérations. Les ressources tirées de ces taxes sont importantes au regard des budgets de fonctionnement des communes et des régions66. Plus précisément, on distingue l’octroi de mer externe (sur les produits importés) de l’octroi de mer interne (sur les productions locales). Le taux de l’octroi de mer interne peut être inférieur au taux de l’octroi de mer externe, la production locale étant alors potentiellement protégée de la concurrence des produits importés. À cet octroi de mer « principal », s’ajoute un octroi de mer dit « régional » car destiné au budget des régions dont le taux est plafonné à 2,5 %. Là aussi, on distingue un octroi de mer régional externe et un octroi de mer régional interne.

52Les taux d’octroi de mer externe (et interne) sont très variables entre produits mais également pour un même produit entre Drom. Les taux d’octroi de mer externe, mis à part pour les alcools, varient entre 0 et 25 %. Dans le cas des alcools, les taux sont généralement entre 20 % et 60 % dans l’ensemble et atteignent près de 100 % pour la plupart des alcools importés à Mayotte. Le tableau 12 fournit le taux moyen de l’octroi de mer externe pour chaque catégorie de produits alimentaires. En moyenne, pour l’octroi de mer externe, sur l’ensemble des Drom, on constate que :

• les importations de produits peu transformés sont moins taxées que celles des produits transformés ;

• les importations de viandes bénéficient du taux le plus faible ;

• les importations de poissons et crustacés sont assez fortement taxées ;

• les importations de céréales et de produits de minoterie sont plus taxées que les importations de viande ;

• les importations d’huiles et graisses animales sont taxées à un niveau intermédiaire ;

• les importations de fruits et légumes sont peu taxées mais à un niveau supérieur à celui des viandes.

53Les taux d’octroi de mer externe diffèrent entre Drom. De façon globale, l’octroi de mer est le plus faible à La Réunion (5,7 % en moyenne) et le plus élevé en Guyane (13,9 %) et à Mayotte (14,1 %). Les taux en Guadeloupe (9,9 %) et Martinique (10,2 %) sont intermédiaires.

54À un niveau plus détaillé, on peut constater que la Guyane taxe à un niveau élevé les importations de fruits et de légumes qu’ils soient frais ou transformés. Inversement, l’octroi de mer sur les huiles et graisses en Guadeloupe et Martinique est particulièrement peu élevé (4,6 et 3,6 % contre 9,8 % en moyenne pour les cinq Drom). Les préparations de fruits et légumes sont taxées assez fortement (sauf à La Réunion), ceci certainement pour favoriser le développement de l’industrie locale qui bénéficie d’un taux interne réduit. Les boissons sucrées sont taxées à un niveau assez élevé (15,2 % en moyenne) et notamment en Guadeloupe et Martinique (20 %).

55Les taux d’octroi de mer externe en vigueur en Martinique et Guadeloupe sont fortement corrélés (taux de corrélation de 0,8). C’est également le cas pour les taux en vigueur à Mayotte et La Réunion (taux de corrélation de 0,67). Les taux en Guyane sont plus fortement corrélés avec ceux de La Réunion (taux de corrélation 0,56) qu’avec ceux de Martinique et Guadeloupe.

56Par rapport à des objectifs nutritionnels, on constate que la part d’énergie apportée par les sucres simples au sein des produits alimentaires est positivement corrélée au taux d’octroi de mer en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Les taux de corrélation sont néanmoins relativement faibles (de 0,19 pour la Guadeloupe à 0,30 pour la Martinique). Les produits plus sucrés ont donc tendance à être plus taxés à l’importation, ce qui va plutôt dans le sens d’une meilleure nutrition. Inversement, la part d’énergie apportée par les lipides au sein des produits alimentaires est négativement corrélée avec le taux d’octroi de mer externe en Guadeloupe et Martinique (corrélation de -0,26 et -0,28) et dans une moindre mesure à La Réunion (corrélation de - 0,16). Les produits les plus gras ont donc tendance à être moins taxés à l’importation, ce qui va à l’encontre d’une meilleure nutrition.

57On peut donc conclure que l’octroi de mer a un rôle sur la formation des prix des produits alimentaires dans les Drom puisqu’il concourt à augmenter les prix des produits importés de 10 % en moyenne sur l’ensemble des Drom. Il semble aussi, qu’au sein d’un Drom, la fixation des niveaux de l’octroi de mer par produit n’est pas dictée par des considérations nutritionnelles.

2.6.2. Un exemple d’impact de la fiscalité sur les prix relatifs des produits

58Une étude récente (Mété, 2017) a analysé l’impact de la fiscalité sur les prix relatifs des alcools et la structure de la consommation d’alcool à La Réunion comparativement à l’Hexagone. En effet, l’alcool est un produit fortement taxé mais la fiscalité appliquée à ces produits est très différente entre La Réunion et l’Hexagone. Ainsi, à La Réunion, les rhums traditionnels produits et vendus localement bénéficient de nombreuses exonérations de taxes. Au total, le rhum produit localement est disponible à un prix nettement inférieur aux autres alcools. Ramené au gramme d’alcool, le prix des rhums locaux s’élève à 1,6 centimes d’euro/g d’alcool contre 2,8 centimes d’euro/g d’alcool pour le vin. À l’inverse, dans l’Hexagone c’est le vin qui bénéficie de nombreuses exonérations. Les prix du vin et des alcools forts dans l’Hexagone s’élèvent à respectivement 1,8 et 4 centimes d’euro/g d’alcool. Ainsi, le prix du rhum à La Réunion est égal à environ 45 % du prix du rhum en Hexagone alors que pour le vin le prix à La Réunion est supérieur de 50 % environ à celui du vin dans l’Hexagone. Il en résulte une structure de consommation d’alcool très différente entre La Réunion et l’Hexagone. À l’inverse de l’Hexagone où la consommation globale d’alcool provient en majorité du vin et relativement peu des alcools forts, la consommation d’alcool fort à La Réunion représente 49 % de la consommation totale d’alcool, dont 70 % de cette consommation sous forme de rhum et de ses dérivés. Même si la consommation moyenne d’alcool est inférieure à La Réunion, cette consommation est à l’origine d’une mortalité supérieure qui est vraisemblablement la conséquence d’une concentration des consommations au sein des populations les plus vulnérables. Cet exemple est une illustration de l’impact des prix relatifs des produits au sein d’une catégorie de biens qui impacte les choix de consommation.

3. Qualité nutritionnelle des produits mis en marché

59Pour définir les actions à conduire sur l’offre alimentaire, il serait utile de caractériser la qualité nutritionnelle des produits offerts sur les marchés alimentaires des Drom, et cela dans les différents circuits de distribution. Le premier point serait de savoir dans quelle mesure la qualité nutritionnelle des produits alimentaires varie selon les circuits de distribution et les niveaux de prix, de façon à déterminer si, dans chaque catégorie de produits, les produits de meilleure qualité nutritionnelle sont à des niveaux de prix accessibles. Le second point serait de déterminer si les produits transformés vendus dans les Drom ont une composition nutritionnelle différente de celle des produits transformés vendus dans l’Hexagone, et donc si l’environnement alimentaire présente des spécificités de qualité qui amplifient ou amoindrissent les risques de santé par rapport à l’Hexagone. Enfin la question serait de déterminer quel pourrait être l’impact d’une politique visant à inciter les producteurs industriels à modifier les caractéristiques des produits dans le sens d’un meilleur contenu nutritionnel (reformulation des produits).

60On dispose de très peu de travaux et publications pour répondre à ces questions. Quelques études sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires des Drom ont été conduites en amont de la Loi Lurel de 2013. Par ailleurs, le projet de recherche ANR Nutwind aborde cette question pour différentes catégories de produits mais les données concernent essentiellement la Martinique et la Guadeloupe. En outre, l’ensemble des résultats de cette étude ne sont pas encore disponibles. Il est donc difficile de conclure sur les questions soulignées plus haut.

3.1. Actions gouvernementales sur la qualité de l’alimentation en Outre-mer

61La loi du 3 juin 2013 a pour objectif de garantir la qualité de l’offre alimentaire en Outre-mer. La loi stipule qu’aucune denrée alimentaire de consommation courante destinée au consommateur final distribuée dans les collectivités d’Outre-mer ne peut avoir une teneur en sucres ajoutés supérieure à celle d’une denrée similaire de la même marque distribuée en France hexagonale. De plus, « la teneur en sucres ajoutés des denrées alimentaires […] distribuées dans les collectivités d’Outre-mer […] mais non distribuées par les mêmes enseignes en France hexagonale ne peut être supérieure à la teneur en sucres ajoutés la plus élevée constatée dans les denrées alimentaires assimilables de la même famille les plus distribuées en France hexagonale. » Sont concernés par cette loi les produits suivants : boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA) sucrées, produits laitiers et assimilés, biscuits et gâteaux, glaces et sorbets, céréales du petit-déjeuner, barres céréalières, chocolats et barres chocolatées. Cette loi s’appuie sur des études conduites dans certains Drom en 2011 et 2012, évoquées ci-après.

3.1.1. Étude sur les taux de sucres des produits type boissons sodas et produits laitiers frais prélevés dans les Drom

62Le Pôle agroalimentaire régional de la Martinique (Parm, 2011) a évalué les différences de taux de sucres qui existaient en 2011 dans certaines références produites localement et ces mêmes références produites et vendues dans l’Hexagone. Ainsi, une proportion importante des sodas produits localement ont un taux de sucres plus important que leurs équivalents produits et vendus dans l’Hexagone. Une adaptation des produits aux préférences des consommateurs est un argument avancé par les industriels locaux pour expliquer cette différence de teneur en sucres (Parm, 2011).

63Dans le cas des sodas, les teneurs en sucres des produits distribués dans les différents Drom étaient presque toujours supérieures aux teneurs des produits distribués dans l’Hexagone (tableau 1, annexe 4.2). Pour certaines marques, les écarts pouvaient atteindre 20 voire 40 g de sucre par litre, pour des produits dont la teneur en sucres est de l’ordre de 100 g/litre. L’étude a également comparé la teneur de sodas produits en Martinique à la teneur de certains sodas vendus dans l’Hexagone (tableau 2, annexe 4.2). La plupart des sodas produits en Martinique présentaient des teneurs supérieures (de l’ordre de 10 à 20 %) à la référence la plus sucrée vendue dans l’Hexagone (Pepsi), de l’ordre de 10 à 20 %. Les écarts avec la référence la moins sucrée (Ricqles) étaient quant à eux compris entre 50 et 90 %.

64Dans le cas des produits laitiers, les données obtenues sur les yaourts nature, les yaourts aromatisés à la vanille, ceux aux fruits, les yaourts au bifidus vanille et les yaourts à boire montraient des teneurs en sucres supérieures aux teneurs en sucre des références produites dans l’Hexagone et donc une certaine adaptation des formulations des produits fabriqués en Martinique. Les écarts les plus importants de teneurs en sucres dans les produits laitiers frais produits en Martinique correspondaient à la famille des yaourts aux fruits (écarts de +30 % à +51 %) et des yaourts aromatisés à la vanille (écarts jusqu’à +33 %) (Parm, 2011).

3.1.2. Étude Qualinutprod du Parm

65Cette étude (Parm, 2014) est dans la continuité de l’étude précédente et s’est intéressée à la composition en sucres de certains produits alimentaires produits en Martinique en comparaison à la teneur en sucres des mêmes produits ou équivalents fabriqués dans l’Hexagone. L’étude se focalisait sur 4 familles de produits très consommées en Martinique : produits laitiers frais, BRSA sucrées, glaces et crèmes glacées, et biscuits et pâtisseries. Il n’existe à ce jour aucun rapport complet sur cette étude permettant de connaître les écarts de teneurs en sucres pour les 4 familles de produits identifiées de façon détaillée. Le tableau 2 de l’annexe 4.2 fournit un résumé des résultats. Les différences observées de teneurs en sucres sont principalement liées à des différences de formulation et à la nature du sucre qui varie selon les produits (utilisation des substituts de saccharose dans l’Hexagone).

66Des démarches de réduction des teneurs en sucres des produits ont été adoptées par certains industriels afin d’aligner les teneurs en sucres de leurs produits vendus en Martinique sur les mêmes produits vendus dans l’Hexagone. Différents acteurs se sont engagés à améliorer la composition nutritionnelle de leurs produits se basant sur une reformulation volontaire. Par exemple, la Société Antillaise de Production de Yaourts s’est engagée en février 2013 en signant la charte avec notamment pour objectifs de :

• réduire la teneur moyenne en sucres ajoutés de 20 % de l’ensemble de ses produits à marque Danone en Guadeloupe et Martinique d’ici fin 2015 ;

• respecter un taux de sucres totaux maximum, identique à celui des produits équivalents dans l’Hexagone en cas de création d’un nouveau produit distribué sous la marque Danone aux Antilles.

67Toutes les chartes des signataires sont disponibles pour le consommateur mais nous ne disposons pas à ce jour de bilan permettant d’évaluer si les engagements pris ont été réalisés.

3.1.3. Résultats du projet ANR-Nutwind

68Le projet ANR-Nutwind, en cours de réalisation, va permettre de préciser dans quelle mesure les efforts conduits par les entreprises, locales ou non, se traduisent par des améliorations qualitatives des produits, et dans quelle mesure ils pourraient affecter dans un sens positif les apports nutritionnels des consommateurs antillais.

69On décrit tout d’abord l’exemple des charcuteries en Martinique.

70L’analyse distingue les produits de charcuterie secs des produits de charcuterie cuits et fournit la dispersion de quelques caractéristiques nutritionnelles (taux de sodium, d’AGS, de sucres) des produits disponibles en Martinique. Elle fournit également la dispersion des prix. Les analyses de dispersion sont effectuées au niveau de chacun des segments de marché. Quelques exemples de résultats sont donnés en annexe 4.5.

71C’est pour le sodium que l’on constate une différence avec la situation dans l’Hexagone. Plus spécifiquement, la différence provient de la famille des saumures et salaisons dont les teneurs en sodium varient de près de 4 g/100g à 7 g/100. À titre de comparaison, la limite inférieure de teneur en sodium pour la famille des saumures est de près de 4 g/100g, déjà supérieure à la limite supérieure de teneur en sodium de l’ensemble des autres familles de produits de charcuterie crus qui est de 3 g/100g.

72Pour affiner les recommandations alimentaires et évaluer l’intérêt de démarches de reformulation des produits, il est utile de mesurer de combien, à quantités consommées constantes d’un type de produit (boissons aux fruits par exemple), varient les apports en nutriments (sucre par exemple), selon que l’on consomme une marque de bonne ou mauvaise qualité nutritionnelle. Pour cela, il faut coupler des données de consommation et des données de qualité nutritionnelle au niveau des marques.

73De premières évaluations ont été faites, les données Kannari de consommations moyennes journalières ayant été couplées aux données des teneurs en nutriments des produits relevées dans Nutwind. Sur cette base, on peut évaluer les variations d’exposition à certains nutriments associés à des substitutions de produits consommés au sein de certaines familles de produits, et cela pour différents types de consommateurs. Par exemple, pour des gros consommateurs de jambon cuit en Martinique, la substitution d’un jambon très salé par un jambon peu salé (dans la gamme des teneurs en sel observées dans l’offre disponible sur le marché), se traduirait, à quantité consommée de jambon inchangée, par une baisse de 27 % de l’apport en sel issu de cette catégorie de produits.

74Un autre exemple concerne le secteur des boissons sucrées. L’étude dans le projet Nutwind en Martinique et Guadeloupe suggère qu’il existe dans certaines familles de produits des références, peu nombreuses, dont la teneur en sucre est supérieure à la teneur la plus élevée observée dans la même famille de produits dans l’Hexagone. Au-delà de ces cas particuliers, on note que les teneurs en sucre moyennes observées en Martinique dans certaines familles de produits sont significativement supérieures à celles observées dans l’Hexagone (boissons aux fruits gazeuses et plates, limonades).

75La structure du marché des boissons de la Martinique et de la Guadeloupe, en nombre de références par familles de produits, se distingue fortement de celui de l’Hexagone. On note en Martinique/Guadeloupe une proportion beaucoup plus élevée de produits de la catégorie des jus et nectars. Au sein des autres groupes de boissons, on trouve une proportion plus élevée de boissons aux fruits plates et gazeuses et de limonades. Dans l’ensemble, les familles de produits présentant le plus grand nombre de références sont des familles à teneurs moyennes en sucre parmi les plus élevées.

76Si on admet que le nombre de références par familles de produits est un indicateur de la demande en volumes, il ressort que la structure de la consommation est orientée vers les familles de produits les plus sucrées en moyenne. La conséquence est que l’apport moyen en sucre par référence (qui peut être considéré comme un indicateur de l’apport moyen de sucre apporté par une boisson, tenu compte des quantités consommées) est sensiblement plus élevé en Martinique/Guadeloupe que dans l’Hexagone.

4. Deux questions à explorer : l’importance des circuits informels et le rôle de la restauration collective

77Les analyses précédentes sur la qualité nutritionnelle de l’offre concernent essentiellement les achats dans le commerce alimentaire, principalement en grandes et moyennes surfaces. De multiples autres circuits existent, qu’ils soient identifiés comme commerces alimentaires (petites épiceries, boulangeries, stations-services…) ou non (circuits informels, ventes en bord de route…). On ne dispose pas d’informations à ce stade, ni sur les prix ni sur les caractéristiques de cette offre alimentaire. Il n’est donc pas possible de bien décrire la répartition de l’offre sur les territoires, ni d’évaluer l’existence de « déserts alimentaires » ou inversement d’une éventuelle sur-représentation de commerces de faible qualité nutritionnelle. Ceci pose la question des inégalités d’accès intra-territoriale à une offre alimentaire diversifiée et de bonne qualité nutritionnelle. Des études conduites dans le projet Nutwind pourront apporter des éléments d’information mais ils ne sont pas disponibles.

78Concernant la restauration collective, ce sont annuellement plus de 27 millions de repas servis en restauration collective publique à La Réunion, 10 millions en Guadeloupe, de 1,5 à 2 millions en Martinique (Thioux 2014, DAAF de la Réunion, 2015). La majorité de ces repas est servie en restauration scolaire (Restauration collective, 2018).

79À La Réunion, les diverses collectivités locales (communes, département, région) sont les acteurs majeurs de la commande publique. La plus grande partie (60 %) est servie dans les écoles maternelles et élémentaires. Viennent ensuite les lycées (13 %) et les collèges (15 %), puis les établissements publics de santé, les centres pénitentiaires, et le Crous. Ce sont 110 000 repas/jour dans le primaire et 50 000 repas/jour dans le secondaire. Environ 90 % des élèves de primaire déjeunent à la cantine alors que 60 % des élèves des collèges et 30 % des lycéens fréquentent la cantine67. L’enquête effectuée par l’ORS de La Réunion auprès des professionnels de maternelle et primaire dans le diagnostic local de la commune de Saint-André, étayent un peu les évolutions actuelles : si 90 % des enfants sont inscrits à la cantine, « les enfants n’ont pas faim gaspillent. Le petit déjeuner à la maison est en net recul. De nombreux enfants mangent sur le trajet de l’école. Pour les goûters aussi, les parents optent pour la rapidité. Les prises alimentaires se multiplient tout au long de la journée » (Dougin et Louacheni, 2017). La fréquentation de la cantine décroit fortement dans le 2ème degré. Pour les familles à revenus modestes, le coût peut constituer un frein. Le fonds social cantine est peu utilisé. « Au fur et à mesure que l’enfant grandit, les parents se désengagent de l’alimentation. Les jeunes privilégient sandwichs et les boissons sucrées » (Dougin et Louacheni, 2017).

80L’observatoire réunionnais de la restauration collective mis en place en 2013 permet de rendre compte des produits consommés et des marchés. En 2013, les produits carnés représentaient 34 % du montant des achats alimentaires (viande 29 %, charcuterie 5 %), les produits laitiers ou à base d’œufs 31 %, les produits de la pêche 10 %, les légumes 13 %, les fruits 7 %, les plats composés pour 5 %. La part des produits importés est prédominante pour l’ensemble des produits (68 % pour les légumes et légumineuses, 72 % pour les viandes, 74 % pour les fruits, 97 % pour les poissons notamment surgelés). L’observatoire concluait sur la recommandation d’une meilleure promotion de la production locale, en tenant mieux compte des qualités nutritionnelles en regard des prix et de la saisonnalité des cultures (DAAF de La Réunion, 2015). L’évolution actuelle semble se faire vers une meilleure structuration de la filière locale (Restauration collective, 2018) sur les produits frais (volailles, porc, bœuf, poisson, produits laitiers, ovoproduits). La filière fruits et légumes reste plus limitée, mais pourrait mieux répondre maintenant avec ses organisations par zones géographiques. En termes de repas servis, le riz reste la garniture la plus prisée, avec des plats locaux généralement appréciés (Restauration collective, 2018) ainsi que les frites. Des animations sont réalisées pour faire découvrir les produits locaux.

81Par ailleurs, les règles nutritionnelles fixées au niveau national pour la restauration scolaire ont été adaptées à La Réunion en tenant compte des habitudes alimentaires locales, des aspects cultuels et de la disponibilité des produits (arrêté préfectoral n° 2013-481 du 10 avril 2013). La perspective consiste à proposer 4 ou 5 composants à chaque repas, dont nécessairement un plat protidique avec garniture, un produit laitier, et une entrée et/ou un dessert, en garantissant une variété suffisante des plats servis pour favoriser les apports en fibres et en fer et prévenir les carences. Il s’agit aussi de mettre à disposition des portions de taille adaptée en fonction des classes d’âge, de limiter la fréquence des plats trop gras (matière grasse > 15 %) et trop sucrés (> 20g de sucres simples totaux par portion ou par 100g), de mettre l’eau à disposition sans restriction et le pain en quantité adaptée, de ne pas proposer le sel et les sauces (mayonnaise, vinaigrette, ketchup) en libre accès et enfin, d’identifier distinctement les produits de saison entrant dans la composition des repas sur les menus (Minatchy et Stein, 2013).

82En Guadeloupe, entre 51 000 et 65 000 repas sont servis par jour en restauration scolaire pour les élèves demi-pensionnaires (70 à 80 % en maternelle et primaire, 40 à 60 % dans les collèges et lycées) même si les lycéens et collégiens préfèrent prendre le repas en dehors des établissements. Les produits sont d’origine locale à 65 % pour les crudités, 80 % pour les accompagnements (hors pâtes et pommes de terre), 10 à 40 % de fruits frais, moins de 10 % de viande et de 1 % de poisson. Le manque de structuration de l’offre et d’organisation logistique sont mis en avant, ainsi que la préférence des élèves pour les produits transformés et importés (Itahy et Jetil, 2015). La partie qualitative de l’enquête pour le diagnostic local de la région Pointoise en Guadeloupe constate : « les jeunes sont particulièrement concernés : chips au petit-déjeuner, sandwichs et sodas, le midi et gâteaux, le soir semblent constituer les repas de nombreux adolescents et enfants selon les acteurs. Des cas de malnutrition liée à d’importantes difficultés financières sont également repérés et ce, dès le plus jeune âge. On voit des enfants, voire même des très jeunes enfants arriver le matin sans avoir pris de petit-déjeuner… Ou alors certains ne reviennent pas l’après-midi car ils n’ont rien mangé le midi. C’est une minorité mais ça existe. Dès lors, face à cette situation, la restauration scolaire, aujourd’hui non systématique devrait être proposée dans les établissements » (Vail et Cornely, 2014).

83En Martinique, peu de données sont disponibles. 24 restaurants d’entreprises et collectivités et 326 restaurants scolaires sont répertoriés, servant 10 300 repas quotidiens. Le niveau de couverture de l’île en restauration scolaire, et la fréquentation ne sont pas documentés. L’approvisionnement se fait en majorité par les plateformes de distribution ou centrales d’achats, avec peu de place pour les circuits courts (Restauration collective, 2018).

84En Guyane, deux tiers des enfants ne bénéficient pas de modes de restauration adaptés faute de structures. En effet, même s’il existe un système de restauration scolaire en primaire, il est principalement sur le littoral et dans l’ouest guyanais et le territoire est très largement déficitaire en modes de garde et de cantines pour les enfants d’âge scolaire (Gougaud et al., 2010). En 2009, seulement 33 % des enfants âgés de 7 à 10 ans du littoral ont une place à la cantine (soit 21 % pour l’ensemble du territoire). À Cayenne, seulement 50 % des enfants scolarisés fréquentent la restauration scolaire municipale. L’enquête réalisée auprès d’enfants scolarisés en CE2 durant l’année scolaire 2009-2010 montre que 32,2 % des élèves ne mangent jamais à la cantine scolaire de leur école, 31,2 % d’entre eux y mangent tous les jours et 6,6 % y mangent que de temps en temps (22,3 % de non réponses). Une grande majorité des élèves de CE2 (75,9 %) prend le petit déjeuner à la maison tous les jours, 10,3 % le prennent lors de la récréation et 6,9 % en arrivant à l’école. Les élèves sont 73,7 % à déjeuner à la maison tous les jours et 34,5 % à déjeuner à la cantine. 5,3 % des élèves de CE2 mangent chez les marchands ambulants de temps en temps et 2,0 % mangent au fast-food (Gougaud et al., 2010). De nombreux collèges et lycées n’ont aucun système de restauration scolaire.

85À Mayotte seuls 2 lycées récents (sur 11) possèdent un service de restauration scolaire avec cuisine sur place. Dans les autres établissements ce sont des collations froides (sandwichs…) qui sont servis (Restauration collective, 2018). La prestation d’aide à la restauration scolaire a été mise en place en 2005 et permet une participation minime pour les parents dont le montant est révisé chaque année. Tous les autres établissements proposent des collations mises en place en 2008 permettant aux élèves de pouvoir se nourrir d’une collation froide : en 2014, 45 % des élèves en bénéficient, ce qui représente près de 7 millions de collations. Pour les écoles du 1er degré, la programmation pluriannuelle 2016-2019 prévoit la construction de 38 réfectoires sur l’ensemble des communes de l’île, alors qu’il en faudrait environ 150. En février 2017, 46 des 146 écoles proposaient au moins un service de restauration. 8 écoles seulement proposaient des repas chauds (Aboudou et al., 2019).

5. Conclusion

86D’une façon générale, les données et études disponibles sont insuffisantes pour bien caractériser l’environnement alimentaire au sein des Drom et déterminer avec précision son impact sur les comportements alimentaires. L’existence de quelques études en cours devrait permettre néanmoins de savoir si, d’un côté, la structure des prix alimentaires et, d’un autre côté, la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire proposée, au moins dans les grandes et moyennes surfaces, rendent plus ou moins difficiles l’atteinte des recommandations nutritionnelles selon les Drom et par rapport à l’Hexagone.

87Des niveaux de prix en moyenne plus élevés que dans l’Hexagone suggèrent que ce pourrait être le cas : à revenus identiques, ils peuvent conduire les consommateurs, au moins les plus contraints par leurs revenus, à chercher à couvrir les besoins caloriques avec des produits plus denses en calories. Ou pour le dire autrement, il est possible que le passage des régimes observés à des régimes meilleurs pour la santé induise, proportionnellement, une variation de dépenses alimentaires plus élevée que dans l’Hexagone. Cependant, un travail préliminaire dans le cas de la Martinique suggère qu’il n’y a pas de lien fort entre coûts et qualité nutritionnelle des régimes. Ceci reste à confirmer.

88Les bilans globaux d’approvisionnement en macronutriments établis pour la Martinique et La Réunion montrent une relativement faible évolution de la répartition des calories entre les différents macronutriments. Cela suggère une certaine stabilisation de la transition nutritionnelle.

89Parmi les leviers d’action, certains qui concernent le niveau général des prix, ont été largement mis en avant par l’Autorité de la Concurrence. On ne les développe pas ici mais notons qu’ils permettraient de relâcher la contrainte budgétaire qui est particulièrement forte pour de nombreux ménages des Drom. On peut néanmoins insister sur l’octroi de mer dont la révision est envisagée dans la période à venir. L’Autorité de la Concurrence demande que cette révision tienne compte des effets possibles de distorsion en matière de concurrence. Nous suggérons que cette révision des taux d’octroi de mer soit également passée au filtre d’une évaluation de santé publique, en examinant dans quelle mesure les taux actuels induisent des rapports de prix qui pourraient s’avérer défavorables à l’adoption de régimes alimentaires équilibrés.

90De la même façon, la mise en œuvre du Bouclier Qualité Prix pourrait être améliorée de façon à garantir l’accessibilité pour tous de paniers de produits de bonne qualité nutritionnelle.

91Concernant la qualité de l’offre alimentaire, nous avons noté qu’une grande part des produits est importée. Des politiques visant à agir sur les caractéristiques d’une grande partie des produits se jouent donc ailleurs que dans les Drom. On peut néanmoins chercher à accompagner des démarches d’amélioration qualitative de l’offre produite localement dans les Drom. Des engagements avaient été pris par certains acteurs industriels locaux il y a quelques années, mais l’ensemble du processus n’a pas à notre connaissance fait l’objet d’évaluations.

92Concernant la production locale, on a noté que des marges de développement existaient en matière de fruits et légumes. Une politique agricole visant l’extension de cette production locale pourrait être le complément d’une politique nutritionnelle visant à favoriser une croissance de la consommation de fruits et légumes. Dans certains cas, cette extension de la production de fruits et légumes pourrait se heurter à des contraintes liées à la contamination des sols.

93La restauration collective qui est diversement développée selon les Drom pourrait également constituer un levier d’amélioration de la diète d’autant plus important qu’il peut permettre une modification à plus long terme des habitudes alimentaires.

Annexe 4.3 : Bilan de l’offre alimentaire dans les Drom

Travail réalisé par Marion Servat sous la direction de Vincent Réquillart et avec la collaboration de Sophie Drogué et Viola Lamani.

Données utilisées