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Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’Outre-mer/Food and nutrition in the French overseas departments and regions

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Caroline Méjean
, 
Xavier Debussche
, 
Yves Martin-Prével
, 
et al.

II. Pratiques de santé et modes de vie

II.1. Pratiques alimentaires

Xavier Debussche et Laurence Tibère

Texte intégral

1Les pratiques en termes d’alimentation sont éminemment diverses. Elles peuvent s’analyser selon les comportements d’achats (lieux d’approvisionnement, produits les plus ou les moins consommés), et selon les pratiques alimentaires elles-mêmes, individuelles, culturelles et sociales (composition et structuration des repas, panier alimentaire, pratiques culinaires) dans leurs déclinaisons, communes ou spécifiques selon les territoires.

1. Pratiques d’achats alimentaires

1.1. Lieux d’approvisionnement13

  • 13 Les données sur les lieux d’approvisionnements et les comportements d’achats alimentaires comprenne (...)

2Les lieux d’approvisionnement alimentaire sont de loin dominés par les grandes et moyenne surfaces (GMS). De façon générale, l’évolution s’est faite depuis une vingtaine d’années (comme dans l’Hexagone, même si de façon décalée), vers une hausse des achats en GMS au détriment des petits commerces, alimentation générale et commerces spécialisés. Dans leur ensemble, les grandes surfaces alimentaires sont autant fréquentées par les ultramarins que dans l’Hexagone. À partir de 2015, elles représentent près de 80 % des achats alimentaires en Martinique et à La Réunion (Iedom, 2018 ; Brasset et al., 2015 ; CCI La Réunion, 2016), soit un résultat supérieur à ce que l’on observe dans l’Hexagone (72 %) (Kranklader, 2014). Pour autant, c’est la proportion que l’on observe également dans certaines grandes communes françaises en comparaison de la région parisienne (Etiévant et al., 2010). Les GMS se répartissent entre les hypermarchés (48-49 % Réunion et Martinique ; 31 % dans l’Hexagone), et les supermarchés (27 % à La Réunion, 13 % en Martinique, 30 % dans l’Hexagone) (Iedom, 2018 ; CCI Guadeloupe, 2015 ; CCI La Réunion, 2016 ; Kranklader, 2014). La part du hard discount est plus importante aux Antilles (18 % en Martinique, 24 % en Guadeloupe) qu’à La Réunion (10 %) et que dans l’Hexagone (13 %) (Brasset et al., 2015 ; Cossou et Forgeot, 2010 ; Kranklader, 2014).

3Les petits commerces et commerces spécialisés représentent 11 % des achats en Martinique (Iedom, 2018) et 15 % à La Réunion (CCI, 2016). Cette évolution vers une baisse des achats en petites surfaces d’alimentation générale est comparable à celle de l’Hexagone. Pour autant, les boulangeries progressent, avec des parts de marché des achats de pain et viennoiseries dans les boulangeries à La Réunion qui ont augmenté de 7 points entre 2006 et 2011, suivant l’évolution hexagonale, bien que restant un peu inférieures. En Guadeloupe (Cossou et Forgeot, 2010), les boulangeries représentent encore plus du tiers des ventes de pain et pâtisseries. De même, la part des marchés demeure importante pour les produits frais, qu’il s’agisse du poisson (près des deux tiers des achats) ou des fruits et légumes.

4L’autoconsommation représente une part non négligeable d’approvisionnement. À La Réunion, 18 % des ménages complètent leur alimentation par des aliments qu’ils produisent eux-mêmes (Brasset et al., 2015). En Guadeloupe, l’autoconsommation est un mode de gestion de l’alimentation très fréquent : 2/3 de la population en profite pour les légumes, les tubercules, les féculents et les fruits (Orsag, 2010). Plus pratiquée par les couples avec enfants, l’autoconsommation correspond surtout à une production personnelle ou à l’obtention de produits offerts par les connaissances.

5Enfin, comme dans l’Hexagone, les achats sur internet dans l’alimentaire restent marginaux (< 0,5 %) dans l’ensemble des Drom (Kranklader, 2014).

6À Mayotte et en Guyane, les tendances d’approvisionnement sont différentes. A Mayotte, les 3 principaux lieux d’approvisionnement sont (Martin, 2010 ; Iedom Mayotte, 2018) :

  • les grandes surfaces : situées principalement dans l’agglomération principale de Mamoudzou, 3 hypermarchés et 45 supérettes interviennent sur un marché oligopolistique ;
  • les petits magasins (« Doukas »), installés au cœur des villages, de proximité, aux horaires flexibles (on en dénombre 1 000 déclarés, et 500 informels) ;
  • les magasins spécialisés détenus par des groupes familiaux.

7À Mayotte, les achats dans les grandes surfaces restent inférieurs aux autres Drom, mais leur part a progressé jusqu’à 35 %. Les petits commerces alimentaires gardent une part importante de 35 % du marché. Les boutiques des marchands ambulants et les marchés arrivent en troisième position (29 %) : ils demeurent les lieux d’achat privilégiés des habitants de Mayotte pour les fruits (80 % des achats), les légumes et le poisson (la moitié des achats). Cependant, seuls 61 % des produits alimentaires proviennent de sources formelles (grandes et moyennes surfaces, boutiques, coopératives, marchés réglementés). 22 % proviennent d’autoproductions (culture vivrière, pêche, élevage), 9 % d’achats informels (marché informel, bord de route) et 8 % de dons (famille, solidarité, manifestations et rituels sociaux) (Guyot, 2013). En Guyane, les lieux d’approvisionnement se répartissent entre les grandes et moyennes surfaces, dont 81 % sont situées à Cayenne (ce qui s’explique notamment par la géographie, puisque la forêt couvre 96 % du territoire), ce qui détermine les possibilités d’approvisionnement de produits de base alimentaire, dont les prix sont élevés (Iedom, 2018 ; CCI Guyane, 2014). Les petits magasins « chinois », épiceries ou petites supérettes au nombre approximatif de 300 sont également prisés, mais les répartitions des achats alimentaires selon les lieux d’approvisionnement ne sont pas connues.

1.2. Répartitions différentiées d’achats selon les catégories d’aliments

8Parmi les grandes catégories d’aliments, les produits les plus achetés diffèrent selon les Drom. À La Réunion, les céréales, féculents et légumineuses sont les produits les plus consommés : 1,7 fois plus que dans l’Hexagone (317 kg/an et par unité de consommation contre 192 kg/an en France hexagonale). Le riz est le plus consommé, constituant la base de l’alimentation traditionnelle : c’est 10 fois plus qu’en France hexagonale, avec 212 kg/an et par unité de consommation (UC), contre 22 kg/an/UC dans l’Hexagone (Ricquebourg, 2018). Les grandes surfaces constituent à La Réunion 90 % des approvisionnements pour le riz. L’enquête qualitative Optirice menée à La Réunion a objectivé les critères d’achat du riz, principalement en grande ou moyenne surface et en grande quantité de 5 à 10 kg : le type de riz (basmati, luxe, demi-luxe, parfumé jasmin) et la marque (Soboriz, marque locale de conditionnement à partir de riz cargo importé, ou autres marques important en majorité des riz déjà blanchis), le prix (selon les promotions), les effets sur la santé, le comportement à la préparation (lavage) et à la cuisson, les habitudes familiales et sociales et selon le contexte de consommation (Balcou-Debussche, 2015). Ainsi, le riz basmati, plus cher, est de plus en plus acheté en raison de sa réputation sociale de qualité et pour la santé malgré le prix, dans le contexte de haute prévalence du diabète pour lequel globalement le riz blanc avait mauvaise presse suite à la médiatisation d’études épidémiologiques venant des USA (Sun et al., 2010). Les achats de légumineuses (les grins), qui est une autre caractéristique des pratiques alimentaires créoles (« riz-grins-cari », voir paragraphe 1.4 ci-après), restent importants, mais ont fortement diminué ces 10 à 20 dernières années (-37 % en consommation individuelle). À Mayotte, les produits de base les plus consommés sont le riz (denrée de base importée et achetée en grandes surfaces ou autres commerces), les bananes qui sont produites surtout localement et distribuées pour beaucoup de façon informelle (la banane à elle seule représente la moitié de l’autoconsommation des habitants de Mayotte), le manioc (production locale et autoproduction). À La Réunion comme à Mayotte, les achats de pains et viennoiseries ont néanmoins fortement augmenté, et plus que doublé à Mayotte depuis 2005 (Aboudou et al., 2019). Aux Antilles, la consommation des féculents est plus diversifiée, le riz ne constituant pas l’aliment de base. En Guadeloupe, le pain est le féculent le plus consommé : pain blanc pour plus de la moitié de la population, pain de mie pour 13,6 %, et pain complet pour 9,9 %. Le pain est préférentiellement acheté en boulangerie (Orsag, 2010). Les autres féculents (banane, plantain, fruit à pain, …), les racines et tubercules (plus de 85 % des approvisionnements en Guadeloupe et 60 % en Martinique) sont en majorité autoconsommés (auto production ou dons) ou achetés dans les marchés, sur les bords de route ou dans les petits commerces de proximité (Anses, 2017).

9Les enquêtes Budget des familles de l’Insee montrent les mêmes tendances des différences entre Drom : part des céréales et produits à base de céréales plus importante à La Réunion que dans les autres Drom, et que dans l’Hexagone, liée essentiellement au riz, mais aussi un peu aux préparations à base de pâte à pâtisserie ; part un peu plus importante également du riz en Guyane, même si la part globale des achats sur les céréales est proche de celle de l’Hexagone ; part très importante du riz dans les parts d’achat à Mayotte (10 % contre 3 % à La Réunion et 0,6 % en France hexagonale), au détriment du pain et produits de boulangerie (voir les calculs effectués à partir de l’enquête Budget des familles de 2011 dans l’axe IV).

10Les produits les moins consommés en volume dans l’ensemble des Drom sont les fruits et les légumes ainsi que les produits laitiers. En Guadeloupe moins de 13 % des adultes respectaient les recommandations du PNNS selon l’enquête de l’Orsag en 2010 (produits laitiers 3 fois/j). Les enquêtes Budget des familles montrent une part moins importante des achats en produits laitiers, surtout à Mayotte, même si les achats de fromage progressent ces dernières années (voir les calculs effectués à partir de l’enquête Budget des familles de 2011 dans la partie IV).

11Les grandes surfaces constituent à La Réunion la moitié des approvisionnements pour les fruits et légumes frais, et les marchés restent une source importante pour les légumes. Les Guadeloupéens s’approvisionnent peu en légumes en grandes et moyennes surfaces (moins de 25 %), l’essentiel de l’approvisionnement étant en autoproduction, en dons, ou au marché. Par contre, les Martiniquais s’approvisionnent plus en GMS pour les légumes (50 à 55 %). Pour les fruits et légumes, l’autoconsommation et la production informelle locale (Brasset et Le Pabic, 2014 ; Orsag, 2010 ; Brasset, 2014) peuvent être la source majoritaire, mais peu quantifiable, comme à Mayotte avec les achats en bord de route (Aboudou et al., 2019). Pour tous les Drom, y compris la Guyane, les légumes constituent une part un peu plus importante du budget d’achat que dans l’Hexagone, surtout liée à la part des légumes frais et des légumes secs, les parts les plus importantes étant observées en Guadeloupe et à La Réunion, moins sur les plats préparés et les surgelés (voir les calculs effectués à partir de l’enquête Budget des familles de 2011 dans l’axe IV). À La Réunion, l’autoconsommation permet d’augmenter, notamment pour les ménages les plus modestes, la consommation de fruits (+ 37 %), d’œufs, de lait et de fromage (+ 29 %).

12Pour les autres produits, les huiles et produits riches en lipides sont plus achetés que dans l’Hexagone. À La Réunion, les achats d’huile (90 % des achats d’huile et de graisses sont réalisés en GMS) sont 2 fois plus élevés que dans l’Hexagone (17 L/an vs 8 L/an). Les volailles et le porc sont consommés 3 fois plus souvent (porc 46 kg/an vs 16 kg/an). Dans les budgets des familles, si le budget consacré aux graisses et huiles est aux Antilles moins important que dans les autres Drom et que dans l’Hexagone, les huiles alimentaires (autres que l’huile d’olive) représentent une part plus importante des achats dans l’ensemble des Drom, et surtout à La Réunion. La Guyane se distingue par une part un peu plus importante du budget consacré au beurre, et à l’huile d’olive, se rapprochant de la part observée dans l’Hexagone (voir les calculs effectués à partir de l’enquête Budget des familles de 2011 dans l’axe IV). À Mayotte, les viandes en friture sont consommées en abondance, notamment les ailes de poulet (« mabawas ») vendues surgelées par cartons de 10 kg, mais aussi le bœuf et les poissons surgelés. Pour autant, sur l’île de Mayotte, l’autoconsommation de poisson issu de la pêche garde une place importante. Dans le budget des familles, les viandes représentent une part plus importante à Mayotte que dans l’Hexagone, mais pas dans les autres Drom. Par contre les Drom se différencient entre eux et vis à vis de l’Hexagone par les types de viandes achetées : plus de volaille et de bœuf et moins de charcuterie et de porc à Mayotte, moins de bœuf et plus de porc à La Réunion et en Guyane, les Antilles se rapprochant des parts de budget hexagonales, mais globalement sur un niveau inférieur (15 % du budget contre 19,5 %).

13Chez les jeunes adultes (18-34 ans), snacks et produits apéritifs sont fréquemment consommés. Dans l’enquête de l’Orsag en 2010, environ un Guadeloupéen sur cinq en a consommé la veille (21,5 % pour les snacks, 20 % pour les charcuteries, et 16 % pour les produits apéritifs).

14Les boissons sucrées sont également très consommées : à La Réunion 30 % de la population en consomme au moins 4 fois/semaine dont 20 % tous les jours. En Guadeloupe, 38 % des interrogés déclarent avoir consommé des produits sucrés la veille et 24 % des boissons sucrées. Les mêmes tendances, plus prononcées, se retrouvent chez les adolescents (12-17 ans) : snacks pour 31 %, produits sucrés pour 69 % (Orsag, 2010). Chez les jeunes, 50 % des 15-25 ans consomment des produits sucrés et/ou des boissons énergisantes au moins 4 fois/semaine. À Mayotte, la consommation de boissons sucrées et aromatisées a doublé depuis 2005.

1.3. Conclusion sur les pratiques d’achats

15Les données dont nous disposons sur les pratiques d’achat alimentaires montrent la part importante et grandissante d’achats en grandes et moyennes surfaces, comme dans certaines grandes villes de province hexagonales, dépassant déjà les 80 %. Les Antilles se distinguent par une part plus importante d’achat en hard discount. En dehors des grandes et moyennes surfaces, les achats se font dans les boulangeries, et pour les produits frais et poissons, dans les marchés. Les achats informels et en bords de route sont peu quantifiables, mais non négligeables. Le riz reste le féculent le plus consommé à La Réunion, à Mayotte, et en Guyane. Dans le budget d’achat des familles, les légumes frais et secs pèsent plus que dans l’Hexagone, ainsi que le riz, atteignant 10 % à Mayotte. La part de l’autoconsommation et de la production locale reste conséquente, pour les légumes, les féculents et racines, les fruits. En Guyane, la part de la production locale et de l’autoconsommation reste peu documentée, de même que les circuits informels. Une part importante de la consommation concerne les snacks, produits apéritifs, et boissons sucrées, surtout chez les jeunes.

16On dispose néanmoins de peu de données sur les pratiques d’achats des différentes catégories d’aliments eux-mêmes, en dehors des enquêtes de consommation. Très peu d’enquêtes qualitatives ont été réalisées sur cette thématique. Ainsi les critères d’achat, typologie, et leur évolution sont peu connus. Et il n’y a pas de données disponibles sur les influences d’achats en fonction des présentations, étiquettes de composition, et Nutriscore, pas ou quasiment pas existant actuellement.

2. Pratiques de consommation et registres culinaires

  • 14 La créolisation correspond aux processus d’acculturation intervenus dans certaines sociétés issues (...)

17Les pratiques alimentaires comprennent les modalités de consommation des aliments en particulier, en termes de contenus et de structures des prises, ainsi que d’organisation temporelle (implantation dans la journée, fréquence) et sociale (Grignon et Grignon, 1981 ; Herpin, 1988 ; Fischler, 1990 ; Poulain, 2001 ; Saint-Pol, 2012). La définition sociale de ce qui est mangeable, de ce qui constitue ou non un repas, de même que les règles de préparation culinaire et d’association des aliments, s’adosse à ces aspects. Les pratiques alimentaires s’insèrent dans des cadres, des habitudes voire des routines, qui structurent la vie en société et les interactions qui la sous-tendent. Elles sont imbriquées à la vie quotidienne et aux relations qui se tissent et s’entretiennent concrètement autour de l’alimentation, au sein des familles, entre amis ou entre collègues. Du fait de leur histoire coloniale, et à l’exception de Mayotte, les traditions alimentaires des régions d’Outre-mer s’articulent autour de certains éléments communs traditionnels, résultant des processus de créolisation14. Aujourd’hui, les pratiques se diversifient faisant cohabiter, dans un contexte de changements rapides dans les modes de vie et les environnements, composantes traditionnelles et nouveautés. Ces transformations s’opèrent très souvent par adoption, par substitution ou par addition d’éléments nouveaux (Fischler, 1990) et ont bien souvent des impacts sur les situations nutritionnelles et sanitaires de ces territoires.

18L’analyse des pratiques alimentaires portera sur les repas, leur composition, leur structure, et leur fréquence quotidienne, ainsi que les conditions sociales (commensalité, convivialité) de leur consommation. Seront ensuite abordés les éléments relatifs à l’univers culinaire, en particulier les formes de cuissons et les principaux registres sur ce plan. Enfin, seront pointées les tendances plus récentes en matière de consommation, notamment celles associées à la « modernité » alimentaire et aux préoccupations qui l’accompagnent en termes de santé, d’environnement, de patrimonialisation et de relocalisation (Poulain, 1998 ; Ascher, 2005).

2.1. Les modèles alimentaires : principales influences

19Les Antilles et La Réunion ont en commun des modèles alimentaires formés avec la créolisation. En Guadeloupe, le modèle alimentaire créole est le résultat de rencontres passées entre les influences européenne, africaine, caraïbe et indienne. Pendant longtemps, le manioc a occupé une place centrale dans les repas, à côté notamment des haricots rouges, de la farine de blé et des plats à base de poisson. Ce modèle a intégré les apports des migrants venus principalement d’Inde, de Chine et du Vietnam, sans toutefois perdre sa structure de base (Lombion, 2012). Aujourd’hui, le riz occupe une place croissante dans les repas, même si les légumes racines sont toujours présents, en particulier dans l’alimentation des plus âgés. Le modèle alimentaire créole martiniquais résulte lui aussi du métissage culturel, entre les influences européenne, africaine, caraïbe, chinoise et indienne. L’usage de la farine de blé, de la poitrine et du lard fumé, des féculents et légumes secs et autres salaisons cohabite avec celui des tubercules (légumes racines), tels que l’igname, la patate douce, le manioc mais aussi les légumineuses comme les pois ou les haricots rouges. Traditionnellement, le repas martiniquais s’organise autour d’un féculent, généralement du riz ou des légumes racines, accompagné d’une légumineuse, d’un plat de viande ou de poisson ou fruit de mer, et parfois de légumes. Les habitudes alimentaires et de consommation des Martiniquais tendent à s’éloigner pour une part de l’alimentation traditionnelle créole (Merle et al., 2008 ; Lombion, 2012 ; BNPM, 2013). L’alimentation traditionnelle réunionnaise s’organise elle aussi autour d’un modèle créole articulant des influences culturelles européennes, indo-portugaises, malgaches, africaines, et des modèles spécifiques (indiens du sud et du nord, chinois, malgaches) issus des migrations qui ont eu lieu au milieu du 19ème siècle (Valentin, 1982 ; Chaudenson, 1992 ; Pourchez, 2006). Plus récemment, d’autres influences sont apparues avec la venue de Métropolitains, de Mahorais, ainsi que de celles résultant de l’ouverture sur le monde. Tous les Réunionnais consomment la cuisine créole, avec pour certains, des spécificités liées en particulier à des interdits religieux. Dans ces trois contextes, la cuisine créole reste un univers culturel important, organisé autour d’emblèmes alimentaires tels que le colombo par exemple aux Antilles, ou le cari et le rougay à La Réunion.

20En Guyane, où la cuisine créole est présente également, l’alimentation est marquée par une grande diversité reflétant la composition ethnoculturelle de sa population. Vingt-cinq grands groupes ethniques y cohabitent en effet, avec des traditions alimentaires différentes, que l’on peut regrouper en quatre principaux modèles alimentaires, en termes de base alimentaire et de composition des repas (Comité Tourisme Guyane, 2014 ; DAAF Guyane, 2016, 2018). Le premier correspond donc à l’univers créole, organisé surtout autour de riz, présent à tous les repas, de plats composés de viande (poulet, bœuf ou porc) ou de poisson ou de crevettes, utilisés frais, salés ou boucanés. Certains plats tels que le colombo ou le bouillon d’awara sont emblématiques de la cuisine créole. Un deuxième modèle issu de la culture amérindienne est centré sur le manioc cuisiné de différentes façons (dont la kasav, galette de manioc, ou le kouak, semoule de manioc) et accompagné parfois de haricots rouges, ainsi que de poisson (boucané, salé ou frais) ou de viande. Le manioc, pendant longtemps aliment de base, est aujourd’hui toujours très utilisé dans les zones rurales et moins souvent dans les grandes villes. Les graines et le cœur de palmier sont aussi très présents dans le modèle amérindien. L’univers alimentaire Hmong, organisé autour du riz et des légumes, accompagné d’aliments (viande, poisson, fruits de mer) le plus souvent bouillis ou cuits à la vapeur est une troisième composante de ce kaléidoscope. Les Hmongs ont aussi amené certains éléments tels que la soupe pho, les nems, ou encore, les samossas. Un quatrième modèle, Bushinengé, hérité des « Noirs marrons » comprend principalement des repas à base de manioc et de riz, accompagné de viande, ou de poisson frais ou boucané, préparé en blaff ou en fricassé. La présence des Brésiliens amène aussi certaines influences, saveurs et pratiques culinaires dont la feijoada, le pao de queije, le jus de açai.... À côté de ces espaces alimentaires, d’autres existent, notamment français et européens, mais aussi, chinois, haïtiens et indiens du sud (Comité du Tourisme de Guyane, 2014).

  • 15 La présence à Mayotte d’une bourgeoisie créole au XIXème siècle, alors devenue colonie de plantatio (...)

21Enfin, à Mayotte, la culture alimentaire, bien que métissée et ayant intégré des éléments créoles réunionnais, tels que le rougay, est en grande partie marquée par les influences bantoues, sahéliennes et malgaches15. Le modèle traditionnel s’organise autour de quatre principaux aliments de base : la banane et le manioc, le fruit de l’arbre à pain et plus récemment, le riz. Ces aliments sont souvent cuisinés avec divers condiments et accompagnés de viande ou de poisson (mérou, espadon, thon jaune, thon rouge mais aussi poulpe, langouste, crevettes…) et d’une sauce pimentée. Parmi les plats emblématiques, on trouve le mataba composé de brèdes (feuilles) de manioc cuites au lait de coco, ou encore le kangué constitué de bœuf bouilli, ou encore, le batabata, friture de bananes, ou enfin, le pilao, plat de riz et de viande. Les brochettes (brochettis) de viande cuisinées sur des stands de fortunes au bord des routes, accompagnées de manioc ou de fruit à pain, sont également omniprésentes à Mayotte.

2.2. Registres et pratiques culinaires

22Sur le plan culinaire, on repère certains points communs aux modèles créoles, dans l’usage des épices, dans certaines formes de cuisson ou de transformation, ou dans les modes de conservation des aliments. Les Guadeloupéens aiment la cuisine épicée, colorée et bien cuite (Orsag, 2010). Les plats tels que le ragoût de bœuf, le court-bouillon de poisson, le porc roussi symbolisent la tradition guadeloupéenne et la convivialité. Les sauces, les viandes roussies, les grillades constituent des préparations culinaires emblématiques impliquant notamment l’usage d’huile, de sel, d’épices et d’aromates. Même si le rôle de la femme a évolué au cours des cinquante dernières années, elles sont encore majoritairement présentes dans la cuisine (Lombion, 2012). Elles considèrent davantage que les hommes l’acte culinaire comme un plaisir (83,3 % contre 77,1 %) mais également qui coûte cher (44,5 % contre 36,4 %). Dans la typologie proposée en 2010, les mangeurs « traditionnels » considèrent le fait de cuisiner comme un plaisir, alors que pour les mangeurs « pratiques » et « contraints », elle constitue une corvée et une obligation (Orsag, 2010). La perception de la pratique culinaire comme une obligation augmente avec l’âge : 34,1 % chez les 18-25 ans et 69 % chez les 65-75 ans. Si d’une manière générale, le fait d’avoir une activité professionnelle réduit le temps de pratique culinaire, en particulier en semaine, l’inactivité et l’isolement pèse aussi sur la motivation à préparer les repas (Orsag, 2010). Les jeunes générations intègrent davantage de plats préparés dans leur cuisine. Enfin, tout comme dans la plupart des Drom, de même que dans l’Hexagone, les hommes sont derrière les fourneaux pour les barbecues et grillades ainsi que dans la cuisson du gibier. Ils investissent la cuisine, souvent sommaire, bâtie à l’extérieur de la maison.

23Divers registres sont repérables dans la cuisine créole martiniquaise : la rôtisserie, les fonds de sauce et le mijoté (ragoûts épicés, plats en sauce, colombo), les marinades et la cuisson boucanée (viande, poisson) utilisée autrefois à des fins conservatoires mais aujourd’hui uniquement par attrait gustatif (CNAC, 1997 ; BNPM, 2013). Une enquête relative aux préférences sensorielles de la population vis-à-vis des sensations du gras, du salé et du sucré est en cours (Nutriparm, 2018-2019) qui apportera des informations complémentaires sur les pratiques et préférences gustatives des Martiniquais ainsi que sur leur répertoire culinaire. En Martinique également, on repère des pratiques culinaires genrées. Les femmes cuisinent le plus souvent à l’intérieur et les hommes sont en charge de la cuisine faite à l’extérieur. Enfin, chez les jeunes générations, l’usage de plats préparés se développe (Lombion, 2012).

24Les préparations culinaires traditionnelles réunionnaises privilégient le frit et le roussi ainsi que le « bien cuit » et la viande bien « dorée » (Valentin, 1982 ; Hubert, 1996 ; Cohen, 2000 ; Tibère, 2009). La présence d’huile dans les plats en sauce (plus ou moins épaisse) tels que les caris, les rougay, les civets de même que dans les fritures explique en grande partie la consommation élevée (deux fois plus que dans l’Hexagone) de matières grasses (Rachou et al., 2004 ; Brasset et al., 2015). Les Réunionnais apprécient également la cuisine au feu de bois. Traditionnellement, une cuisine située à l’intérieur permet de préparer vite et proprement, et la cuisine au bois, souvent aménagée à l’extérieur, est utilisée au moins le week-end ou à l’occasion des fêtes ou des vacances. C’est aussi dans cette cuisine que les Réunionnais fument leur charcuterie, viande ou poisson, habitude que l’on retrouve dans toutes les classes sociales (Cohen, 2000). Aujourd’hui, une bonne part des aliments fumés est achetée dans les charcuteries et autres lieux de distribution alimentaire.

25La cuisine créole guyanaise est elle aussi riche en épices (en particulier : le poivre vert, le gingembre, le piment, la sauce soja, le clou de girofle, la cannelle) que l’on retrouve dans les ragoûts, les bouillons, les grillades et les marinades. Dans l’univers culinaire amérindien le jus de manioc épaissit les sauces qui accompagnent la kasav ou le couac. Les Hmong utilisent une grande variété d’herbes et d’épices dans leurs préparations, souvent bouillies ou cuites à la vapeur ou encore sautées. Enfin, dans la cuisine Bushinengé l’arachide est présent mais on trouve beaucoup des préparations de viande ou de poisson préparés en blaff ou en fricassé. D’un point de vue global, le boucanage, le séchage, et le salage sont très présents en Guyane et intégrés aux différents univers culinaires (Comité du tourisme de Guyane, 2014).

26Enfin, à Mayotte, selon les résultats de l’enquête menée par Guyot (2013) la part des aliments cuisinés au foyer reste importante. Les femmes préparent plus souvent que les hommes (54 % des prises vs 7 %). Les membres de la famille élargie (tante, grand-mère) contribuent également à la préparation des repas. Les aliments achetés à l’extérieur (hors restauration hors-foyer) correspondent le plus souvent à des achats de snacks (chips, jus, sodas…) des enfants. Dans certains foyers, plutôt de niveau économique et social modeste, la femme prépare le plus souvent les repas. Un deuxième profil correspond à des foyers à capital social et familial plus important (présence d’une nounou) dans lesquels l’homme est plus présent y compris sur le plan culinaire. Enfin, un troisième profil correspond à des familles plus aisées dans lesquels la préparation culinaire est déléguée à une nounou et la fréquentation du restaurant est importante. En termes de changements dans la cuisine, Mayotte est passée d’une cuisine marquée par le bouilli et le grillé, autour de la noix de coco, de la banane, du riz et du manioc, à une cuisine comportant davantage d’huile pour les fritures (Fontaine, 1995). Enfin, la cuisine, au sens d’une pièce dédiée et intégrée au logement est un espace relativement récent à Mayotte et aujourd’hui on trouve des cuisines indépendantes du logement principal et des cuisines intégrées. L’évolution des aliments cuisinés est en partie liée à celle de l’équipement des cuisines et des méthodes de cuisson (du charbon au gaz) et de conservation des aliments (congélateurs, réfrigérateurs).

2.3. Les modèles traditionnels et pratiques de consommation

27La transition alimentaire s’accompagne de changements dans les pratiques de consommations avec une présence plus ou moins forte des modèles traditionnels. Aux Antilles, les enquêtes disponibles montrent que parallèlement aux transformations, la culture alimentaire créole est présente, à des degrés variables. L’enquête Orsag de 2010 identifiait cinq profils de mangeurs guadeloupéens, correspondant notamment à des pratiques proches ou éloignées des modèles traditionnels en termes de nombres, de contenus et lieux de prises alimentaires ainsi que de modes d’approvisionnement. Le type « traditionnel » (31,8 %), correspondant à l’univers créole, est satisfaisant du point de vue nutritionnel et renvoie à des journées comprenant trois repas, avec toutefois, un petit déjeuner composé le plus souvent d’une boisson. Un encas est en revanche consommé un peu plus tard durant la matinée. Les repas sont le plus souvent conviviaux et principalement pris au domicile. La structure du déjeuner et du dîner est ternaire et s’organise autour de riz ou tubercules, de légumes secs et de viande, ou de volaille, de poisson, parfois d’œufs et de fruits, ainsi que de produits laitiers. Ce profil est caractérisé par la fréquentation des marchés et l’autoconsommation pour les fruits, les légumes, les racines et les féculents et par un approvisionnement moindre dans les grandes surfaces. Le second type, qualifié « d’hédoniste » (20,7 %) est lui aussi plutôt équilibré mais se rapproche davantage du modèle français hexagonal. Les journées comprennent trois repas, plus souvent que précédemment pris hors foyer, et s’organisent autour d’un petit-déjeuner conséquent, d’un déjeuner et d’un dîner, ces derniers comportant du pain, des légumes, des fruits, des produits laitiers. Cette population est par ailleurs consommatrice d’aliments sucrés, de snacks et d’alcool. Les achats en grandes et moyennes surfaces et les produits issus de l’agriculture biologique sont une caractéristique de ce profil. Le troisième profil, appelé les « pratiques » (19,4 %), renvoie à des populations ayant des petits déjeuners simplifiés, comprenant des céréales, des déjeuners et des dîners comprenant un ou deux items et où l’on trouve peu de fruits et légumes. Les contenus des repas oscillent entre un univers plutôt traditionnel créole comprenant des féculents et racines locaux, du poisson, et des éléments nouveaux tels que, en particulier, des aliments prêts à manger (snacks, plats préparés). Ces mangeurs fréquentent davantage les boulangeries et les hard discount tout en pratiquant l’autoconsommation, et leurs repas sont souvent pris hors du domicile. Les « contraints » (14,5 %) sont le quatrième profil repéré à l’issue de cette enquête. Ils prennent en général trois repas quotidiens, à leur domicile et ont un régime alimentaire diversifié, comprenant davantage de fruits mais moins de plats tout prêts et de snacks que le profil des « pratiques ». Ils ont peu recours à l’autoconsommation de fruits, légumes, racines et féculents. Enfin, le dernier type identifié, les « précaires » (13,5 %) concerne des individus dont la situation financière est fragile. Ces mangeurs ont une alimentation moins diversifiée et moins équilibrée que l’ensemble des Guadeloupéens. Ils prennent moins souvent trois repas par jour et ces derniers contiennent moins de fruits, de légumes, de racines, de produits laitiers, d’œufs, de poisson, de pain et d’aliments apéritifs mais davantage de charcuterie, de certains types de snacks et de boissons sucrées (Orsag, 2010).

  • 16 Les données sont issues du projet de recherche Nutwind financé par l’Agence Nationale de la Recherc (...)

28Plus récemment, la typologie de consommations construite à partir des données issues de l’enquête Kannari a permis de repérer, pour la Guadeloupe et la Martinique, quatre groupes en termes de transition alimentaire, avec une prégnance plus ou moins forte du modèle créole16. Un premier (25 %), proche des seuils recommandés par le PNNS, correspond à des consommations élevées de fruits, de légumes et légumineuses, de riz, de céréales complètes, de fruits de mer et yaourts et des apports faibles de produits gras et sucrés et de boissons sucrées. Ce type de consommateurs se trouve surtout parmi les populations à haut niveau d’éducation. Le deuxième groupe, plus proche des modèles traditionnels antillais, satisfait lui aussi les repères nutritionnels. Il renvoie à des consommations élevées de fruits, légumes et poissons et faibles de pommes de terre mais élevées pour d’autres tubercules (légumes racines). Ce type regroupe aussi de faibles consommateurs de viandes et charcuteries, pâtes, boissons sucrées, snacks et produits de fast-food. La majorité des plats consommés dans ce groupe (composé à 90 % de femmes et 38 % de personnes de plus de 60 ans) sont des spécialités antillaises. La prévalence d’obésité y est élevée (26 %). Le troisième type qualifié de « moderne » (31 %) correspond à un modèle incluant peu de fruits, de légumes, poissons et fruits de mer mais une part importante de tubercules non traditionnels (pommes de terre), de pâtes, de viande, de charcuterie, de biscuits et viennoiseries, de boissons sucrées de snacks et produits de fast-food. Les jeunes (60 % de moins de 46 ans) sont ici particulièrement concernés. Enfin, un quatrième type a été identifié, correspondant à des formes de consommation « en transition » (20 %), dans lequel on repère une cohabitation des modèles, avec, une prégnance de spécialités antillaises. Par ailleurs, les consommations de pomme de terre, pains, charcuteries, sauces, beurre et boissons sucrées y sont élevées mais également celles de tubercules, légumineuses, poissons et abats. Et, contrairement au groupe précédent, la présence de biscuits, gâteaux, viennoiseries, snacks et fast-food est faible, en revanche celle de boissons alcoolisées est importante. Ce modèle de consommation concerne principalement les hommes (82 %) et plutôt des individus d’âge moyen ainsi que ceux dont le niveau d’études est élevé (Colombet et al., 2019). Les données relatives au contexte guyanais sont indisponibles mais il serait intéressant d’étudier les formes de stabilité et/ou de transformations dans le modèle créole ainsi que dans les autres univers alimentaires présents.

  • 17 Les grins sont les légumineuses, le cari est une préparation à base de tomate, de curcuma, d’ail et (...)
  • 18 Chacun des profils est corrélé à des positions socio-économiques, comme cela est précisé dans le ch (...)

29À La Réunion, les transformations ou au contraire la stabilité peut s’observer dans les formes et contenus des repas. Le repas créole réunionnais s’organise à la base autour de riz, élément central, sur lequel sont déposés des légumineuses (les grins) et le cari (plat de viande, de poisson voire de légumes, en sauce) (Cohen, 2000 ; Balcou-Debussche, 2015). Un rougay (préparation pimentée) et les brèdes (pousses végétales préparées en fricassée ou en bouillon) peuvent aussi accompagner le repas17 (Cohen, 2000 ; Chan-Ou-Teung, 2000 ; Pourchez, 2006 ; Tibère, 2009). Il ne comporte ni entrée, ni dessert mais des transformations ont eu lieu sur ce plan avec l’addition, chez certains Réunionnais, de ces séquences. On repère aujourd’hui trois profils de pratiques alimentaires intégrant à des degrés divers le modèle créole18. Dans le premier, le repas créole est très présent, avec une consommation élevée de riz et de caris, avec une sous-consommation de fruits et légumes (Brasset et al., 2015 ; Ricquebourg, 2018). Selon le deuxième profil, l’univers alimentaire créole est aussi présent mais avec une consommation élevée de produits et boissons sucrées, en particulier chez les plus jeunes. Enfin, un troisième profil est plus proche du modèle métropolitain, avec notamment, une alimentation de type méditerranéen, une consommation de fruits et légumes, d’huile d’olive significative. Notons qu’on trouve là-aussi une consommation non négligeable de boissons sucrées. Ces tendances peuvent être reliées à d’autres, repérées en 2005, relatives aux évolutions dans les repas de midi et du soir, et qui montrent qu’à côté des déjeuners correspondant au repas créole « typique » (43,1 %), dont 8 % comprenaient un dessert, la structure diachronique organisée en entrée, plat, dessert était présente pour 20 % de la population, dont certaines (7 %) comprenant du riz (Tibère, 2009, 2017). Les repas composés d’un seul plat représentaient 14,5 % et, enfin, les aliments de fast-food de type pizzas (notons la présence de pizzas « créole », pizzas « rougay »…), sandwichs (américains, américains-bouchons, croque-monsieur…) composaient le repas de midi de 19 % des Réunionnais. De tendances proches s’observaient pour le repas du soir, à part la présence de soupes (9 %).

  • 19 Le mabawa (= ailes de poulet) est arrivé à Mayotte il y a quelques décennies et est devenu en peu d (...)

30Enfin, à Mayotte, l’étude des repas permet de repérer là aussi des changements. Le repas traditionnel mahorais se compose en général d’une « chaoula » (à base de manioc, fruit à pain, banane ou riz) et d’un « chiréo », accompagnement de type viande ou poisson, ou de végétaux tels que des feuilles préparées (« fekli ») ou des grins (légumineuses) de types ambrevades par exemple (Fontaine, 1995 ; Vernay et al., 2009 ; Guyot, 2013). Les aliments traditionnels, comme le roumazave, le mataba, le riz, la banane, gardent une place importante dans les pratiques alimentaires des Mahorais. Aujourd’hui, on observe la montée des repas composés de riz, de viande de poulet (ailes-mabawa19- ou cuisses) (Vernay et al., 2009 ; Guyot, 2013). On observe par ailleurs une progression de certains aliments plus récents comme le pain, le beurre, la mayonnaise, les steaks hachés, les frites ainsi que de certains aliments industriels tels que les « cordons bleus » ou les nuggets. À côté des repas, d’autres consommations sont repérables en matinée (entre 6h et 10h) et l’après-midi entre 14h et 18h. Chez les enfants, les prises matinales correspondent à la collation scolaire et celles situées entre 14h et 18h sont comparables au goûter pris après l’école. Le pic du soir se situe aux alentours de 19h et est moins homogène que celui des adultes (Guyot, 2013).

2.4. Les consommations quotidiennes : fréquences, structures et contenus

31Les données existantes dans les différents Drom pointent l’existence de deux modes principaux en termes de fréquence de repas : des journées à trois et à deux repas. L’étude menée en 2010 en Guadeloupe (Orsag, 2010) auprès des 18-75 ans montre que 7 individus sur 10 déclaraient avoir pris trois repas la veille : 85,2 % des Guadeloupéens avaient pris un petit-déjeuner, 93 % un déjeuner et 87,5 % un repas du soir la veille de l’enquête. L’analyse des contenus réels de repas amène toutefois à nuancer légèrement le propos sur les journées à trois repas, du fait du taux de 15,3 % de petits déjeuners composés uniquement d’une boisson. Il semble par ailleurs que les individus originaires de Guadeloupe prennent moins souvent ce repas que ceux originaires de France hexagonale (84,8 % vs 99,3 %) (Orsag, 2010). En 2010, les journées à deux repas concernaient 26,8 % de l’échantillon, généralement le déjeuner et le dîner (12,3 %) ou le petit-déjeuner et le dîner (10,8 %). Des encas sont consommés en matinée pour 37,2 % de la population, 41,3 % l’après-midi et 4,9 % en soirée. Il est possible que le modèle à trois repas soit, à l’époque de l’enquête Orsag en 2010, davantage un modèle de référence présent dans les normes et le déclaratif et que celui à deux repas soit plus ancré dans les pratiques réelles.

  • 20 Regroupements issus du rappel des 24h.

32Les données20 plus récentes de l’enquête Kannari, relatives à la Guadeloupe et à la Martinique, montre que 81 % des enquêtés prennent un petit déjeuner, 93 % un déjeuner et 90 % un dîner (Castetbon et al., 2016a). Ces chiffres soulignent peut-être une transformation dans les pratiques réelles avec une intégration du modèle à trois repas quotidiens. Les données indiquent que c’est pour les repas du midi et du soir que les apports caloriques sont les plus élevés. En termes de contenus, les données indiquent, pour la Guadeloupe et la Martinique, que les fruits, mais aussi le pain (souvent consommé l’après-midi également) et les gâteaux gras et sucrés sont très présents dans le petit-déjeuner. Au déjeuner, on trouve surtout les féculents, ainsi que le groupe VPO, en particulier les charcuteries, et on note la présence des matières grasses (dans les sauces, les vinaigrettes, les huiles). L’enquête montre aussi la présence de consommations en dehors des repas (56 % des individus), en particulier le matin (30 %) et l’après-midi (32 %). Les consommations hors repas contiennent principalement des fruits (plutôt le matin et l’après-midi) mais aussi des gâteaux gras et sucrés (présents le matin, le midi, l’après-midi et le soir) et plus largement, des produits sucrés (particulièrement consommés le matin et le soir). On repère également la présence de boissons alcoolisées en fin de journée.

  • 21 Les snacks comprennent les préparations pâtissières salées, les quiches, tartes et cakes salés, piz (...)

33En termes de structure et de contenus, en 2010, les déjeuners et les dîners se composaient en Guadeloupe d’un ou deux plats : 38,6 % des déjeuners étaient composés de deux plats, majoritairement le plat principal et le dessert, et environ un tiers de la population consommait un seul plat (le plus souvent, le plat principal). Un quart de la population prend un repas de midi structuré en trois éléments (une entrée, un plat principal, un dessert), voire quatre. L’enquête montre que 44,6 % des Guadeloupéens avaient pris un dîner composé d’un seul plat (le plat principal le plus souvent) et 38,2 % de deux plats (généralement un plat principal et un dessert). La structure de repas ternaire concernait 15,9 % de la population. Concernant les petits déjeuners, ceux qui ne sont pas composés d’une boisson seule (79,4 %) contiennent des féculents (62,9 %) et des produits laitiers (47,8 %). Ils sont composés de jus de fruits, de fruits, et de produits sucrés pour, respectivement 20,2 %, 19,8 % et 15,5 % de la population et la catégorie « Viande, poisson, œuf », représente 8,9 %. S’agissant des encas, consommés par plus de la moitié de la population (58,1 %) au moins une fois au cours de la journée, ils sont composés le matin, principalement de féculents (38,3 %), de fruits (35,8 %), et en moindre proportion, de produits laitiers ou de snacks21. Et pour l’après-midi, de féculents (24,4 %), de fruits (19,6 %), de produits laitiers (14,7 %) et de produits de type apéritifs (14,3 %). Enfin, la consommation de produits sucrés et de certains types de snacks est plus fréquente chez les personnes ayant un revenu élevé que chez celles moins favorisées financièrement (Orsag, 2010). Enfin, des encas sont consommés en matinée pour 37,2 % de la population, 41,3 % l’après-midi et 4,9 % en soirée. Les données plus récentes de l’enquête Kannari, 2013-2014, (Castetbon et al., 2016a) relatives à la Guadeloupe et à la Martinique ne donnent pas les contenus pour chaque repas mais indiquent que c’est pour les repas du midi et du soir que les apports caloriques sont les plus élevés. L’enquête montre aussi la présence de consommations en dehors des repas (56 % des individus), en particulier le matin (30 %) et l’après-midi (32 %).

  • 22 Le petit déjeuner « continental » est composé d’une boisson chaude, de pain ou biscotte, de beurre, (...)

34À La Réunion, on repère la prégnance des journées à deux repas. Durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, des travaux indiquaient l’existence, en particulier dans les foyers ruraux, de journées organisées autour d’un déjeuner (pris en réalité entre 10h30 et 11h) et d’un repas du soir (Valentin, 1982 ; Cohen, 2000). Une consommation était souvent présente le matin sous forme d’une boisson chaude. Dans les années 2000, cette tendance était repérable dans certaines enquêtes montrant la présence, à côté de journées à trois repas, d’autres, contenant deux repas. C’est le cas d’une enquête parue en 2002, qui comptait 82 % d’individus ayant répondu ne prendre que 2 repas par jour (Favier et al., 2002). En 2004, une enquête de l’ORS soulignait le fait que parmi les personnes déclarant prendre au moins trois repas par jour, seulement 43 % prennent un petit-déjeuner non composé d’une boisson chaude et que le pourcentage de personnes prenant effectivement trois repas par jour est plutôt de l’ordre de 30 % (Rachou et al., 2004). En 2005 une étude menée à partir du rappel des 24h repérait des petits déjeuners de type continental pour 49,9 % des Réunionnais, dont 7 % avec un laitage22. À côté de ces structures, d’autres composées de céréales (6,4 %) majoritairement chez les jeunes (18-25 ans) et d’autres enfin, comportant du riz ou un sandwich (4,4 %). Enfin, 27,2 % des mangeurs n’avaient consommé qu’une boisson chaude, et 12 % n’avaient pas pris de petit-déjeuner, majoritairement des commerçants, artisans et les agriculteurs (Tibère, 2009, 2017). À côté des repas, d’autres types de consommations existent, en particulier le matin et l’après-midi (Cohen, 2000 ; Favier et al., 2002 ; Rachou et al., 2004). En 2005, un taux de prises hors repas déclaré (journée de la veille) de 48 % était enregistré, composées d’aliments sucrés (70 %), salés (16 %) ou les deux (8 %) (Tibère, 2009, 2017). L’enquête Réconsal (2002) repérait elle aussi que cette pratique était plus courante chez les Réunionnais ayant moins de trois repas quotidiens. Manger en dehors des repas est, selon certains observateurs, une pratique ancrée dans les habitudes des Réunionnais. Appelées ravaz en créole chez les enfants ou comblaz pour les adultes, elles consistaient en fruits, gâteaux, légumes racines (Valentin, 1982 ; Cohen, 2000) et avaient un statut nutritionnel différent dans un contexte de pénurie et de frugalité, éloigné de l’environnement alimentaire et des modes de vie actuels.

35Enfin, à Mayotte, la journée à deux repas est aussi repérable. Le nombre moyen de prises alimentaires quotidiennes des Mahorais est compris chez les adultes entre 3 et 4, sur une étendue horaire allant de 5h du matin à 21h. Un premier pic correspond à un repas médian (aux alentours de 12h) et un autre situé le soir entre 19h et 20h, à un dîner. La fréquence et les contenus des prises alimentaires s’adossent à des situations socio-économiques (Guyot, 2013). Ainsi, on repère un premier groupe (modèle de type « économique ») dont le nombre de prises quotidiennes est inférieur à la moyenne. Il s’agit principalement de foyer à faible niveau de ressources et parfois à faible capital social (foyer isolé, absence de configuration familiale). Un deuxième profil (type « intermédiaire »), pour lequel le nombre de prises alimentaires est supérieur à la moyenne, renvoie à des foyers de niveau socioéconomique moyen et qui valorisent le plaisir alimentaire sans contraintes et avec une forte individuation de l’alimentation au sein du foyer. Selon Guyot, dans ce profil, qui concerne la majorité des foyers mahorais aujourd’hui, la femme du foyer occupe une grande partie de son temps à la préparation (jusqu’à 5 fois par jour) des repas. Enfin, le troisième groupe (type « société développée ») concerne des foyers aisés, soucieux d’avoir une alimentation variée, et dont le nombre de prises alimentaires journalières est inférieur à la moyenne. En général les deux parents ont un emploi et les enfants vont à l’école et le rythme alimentaire s’adosse à ces aspects de la vie sociale (Guyot, 2013).

36Peu d’études existent à ce jour sur le nombre de repas en Guyane. Les données existantes font état d’un nombre de repas quotidiens variant globalement entre un et trois. Étant donnée la diversité culturelle de la population il serait intéressant d’explorer ces aspects en les associant en particulier à l’analyse des modes de vie. Du point de vue de la structure, on trouve des repas organisés autour d’une entrée, d’un plat et d’un dessert mais aussi des repas sans dessert (structure diachronique), et d’autres organisés en une séquence (synchroniques). Lorsqu’ils ne sont pas consommés à la fin des repas, les aliments sucrés, qu’il s’agisse de fruits ou de préparations de type gâteaux, biscuits, tartes ou autres, le sont surtout l’après-midi (DAAF Guyane, 2016, 2018). L’enquête réalisée en 2013 et 2016 auprès d’enfants scolarisés dans différentes zones (Savanes, Ouest, Est et CACL) montrait que 95,2 % des élèves de CE2 prennent le déjeuner et 89,8 % le dîner (ORSG-CRISMS, 2019), 66,7 % des enfants prennent chaque jour les trois principaux repas et que 31,7 % d’entre eux prennent les cinq repas chaque jour (journées intégrant une collation le matin et un goûter). Le goûter est le repas qui est le moins souvent pris systématiquement (20,3 % le prennent que de temps en temps et pratiquement 1 enfant sur 4 ne goûte jamais). Les filles sont plus nombreuses à prendre une collation avec 76,4 % contre 70,8 % pour les garçons. Une étude menée entre 2013 et 2016 auprès d’élèves de CE2 (ORGS-CRISMS, 2019) indique qu’un peu plus de la moitié des enfants déclarait avoir pour habitude de manger 3 à 4 fois par jour et que 17,1 % d’entre eux indiquaient manger 5 à 6 fois par jour.

2.5. Contextes de consommation et sociabilité alimentaire

37Le contexte de consommation éclaire sur les cadres de socialisation et les modes de vie (et de consommation), et il intervient en partie sur le type d’alimentation. La sociabilité donne accès au niveau d’intégration ou d’isolement des individus ainsi qu’au niveau d’interaction et de contrôle social autour de l’alimentation (Sobal, 2000 ; Grignon, 2001 ; Larmet, 2002 ; Fischler, 2012). Elle intervient également sur des aspects tels que la quantité mangée ou bue, la durée du repas, de même que les perceptions des repas (Sobal, 2000 ; Cardon, 2018). Elle pèse aussi lorsque les individus doivent changer leur alimentation, par exemple dans le cadre du diabète ou encore suite à une intervention en chirurgie bariatrique (Fournier, 2012 ; Lepiller, 2015 ; Babet, 2019). Dans les études sur l’alimentation, la commensalité renvoie au fait de partager de la nourriture avec d’autres personnes alors que la convivialité prend en compte également la disponibilité intellectuelle pour échanger et la durée suffisante de la consommation alimentaire. Même si certaines analyses s’ouvrent sur la commensalité et la convivialité associées à d’autres types de consommations (encas, goûters, apéritifs), elles sont surtout étudiées en lien avec les repas (Corbeau, 2002 ; Fischler, 2012).

  • 23 La commensalité renvoie au fait de partager de la nourriture avec d’autres personnes alors que la c (...)

38Dans les Drom, même si la sociabilité existe, le partage des repas ordinaires à la même table ne semble pas une norme sociale aussi forte que dans l’Hexagone. On retrouve cette tendance en Guadeloupe et en Martinique (Lombion, 2012). En Guadeloupe, même si la convivialité23 concerne moins de 40 % des repas pris la veille de l’enquête, les repas sont le plus souvent partagés avec des personnes du foyer, des amis ou collègues de travail. On note également que la convivialité est moins forte chez les individus ayant un faible niveau de revenus (Orsag, 2010). S’agissant du contexte de consommation, les repas sont majoritairement pris au domicile, en particulier le dîner (93,7 %) et le petit-déjeuner (92,9 %). Le petit-déjeuner est pris à l’extérieur par 6,1 % des individus (Orsag, 2010). Le déjeuner est consommé au domicile par 80,1 % de la population et lorsqu’il est consommé à l’extérieur, c’est au restaurant d’entreprise ou scolaire (7,2 %), chez des amis (6,2 %) ou en restauration commerciale (4,9 %). Sur ce plan, un quart des Guadeloupéens étaient allés au restaurant au cours des 15 jours précédant l’enquête, cette pratique concernant majoritairement les individus ayant les niveaux de revenus les plus élevés. La restauration rapide et les voitures ambulantes concernent respectivement 21,3 % et 28 % des Guadeloupéens. Enfin, les interactions sociales autour de l’alimentation sont présentes. L’enquête montre en effet que durant les 15 jours précédents, deux habitants sur cinq ont mangé au moins une fois chez la famille et trois sur dix chez des amis, en particulier au moment du repas de midi (Orsag, 2010).

39Comme aux Antilles, les repas ordinaires ne font traditionnellement pas l’objet d’une forte convivialité à La Réunion. Avant les années 1980 et même pendant les années 1990, plusieurs observateurs indiquent qu’ils sont consommés en silence, rapidement, chacun assis de son côté, sur un coin de table, parfois sur une chaise ou un tabouret (Valentin, 1982 ; Hubert, 1996 ; Cohen, 2000). La convivialité est présente lors des repas festifs et des pique-niques dominicaux, très appréciés des Réunionnais. La mise en place de la restauration scolaire et le fait de manger sur le lieu de travail ou en dehors pendant la pause méridienne, de même que la fréquentation des restaurants, ont instauré des formes nouvelles de commensalité. Enfin, la restauration hors domicile s’est développée depuis les années 90, d’abord avec la restauration scolaire et le développement progressif de la restauration commerciale (Cohen, 2000). L’allongement de la distance domicile/travail et le fort développement de la restauration rapide et des snacks (Brasset et al., 2015). La dépense moyenne pour la restauration commerciale est passée de 128 euros/UC/an à 154 en 2011 et celle relative à la fréquentation des cafés, bars ou assimilés est passée de 150 à 189 euros/UC/an.

40À Mayotte, en moyenne, 72,5 % des consommations des Mahorais sont faites au domicile. Lorsqu’elles ont lieu à l’extérieur, c’est d’abord dans la famille (39 %), en ville pour 16,4 % (snacks, restaurants…), sur le lieu de travail (14 %), dans les champs (pratique en recul, avec 7,5 %) et enfin, pour les enfants, à l’école pour 9,2 % et chez les nounous (8,9 %). Enfin, 45 % des prises sont consommées en famille et 41 % seul. Là aussi, la notion de « repas » au sens d’une consommation ritualisée réunissant à heures fixes les personnes du même foyer n’est pas très prégnante. Les adultes, et les hommes en particulier, prennent davantage que les enfants, leurs repas seuls (Guyot, 2013).

2.6. Tendances récentes

41Parmi les tendances récentes, la consommation, déjà évoquée, d’aliments issus de l’agriculture biologique est à souligner, en particulier au sein des populations ayant des revenus élevés (34 % vs 18,3 % pour celles à niveau de revenus plus faible). L’engouement pour l’alimentation locale constitue également une dynamique notable dans les pratiques de consommation, pour une majorité de Guadeloupéens. Ils sont motivés sur ce plan par les bénéfices pour la santé, mais aussi, le soutien de la filière et la valorisation de la tradition. Néanmoins, une part de la population (un peu moins de 30 % des réponses) y voit un levier commercial et une mode (Orsag, 2010).

42En 2004, une étude sur les attentes des Martiniquais montrait l’existence d’une demande pour les produits frais biologiques, liée en particulier à une demande de traçabilité face à la pollution par les pesticides (Le Goff, 2004). Cette demande pour le biologique est aussi liée à des motivations en matière de préservation de la santé, de recherche d’équité sociale, de préservation de l’environnement et de recherche de qualité gustative. Les prix élevés et la faiblesse de l’offre constituaient cependant des freins à la consommation. Ces dynamiques de valorisation du local et du bio sont toujours en cours et cohabitent avec d’autres, déjà évoquées chez les jeunes, concernant la consommation élevée de protéines (viandes), de boissons sucrées et alcoolisées, l’approvisionnement en grande distribution, la consommation croissante de prêts-à-consommer, la montée de la restauration hors domicile et la désaffection pour les produits locaux et le savoir-faire culinaire « traditionnel » (Merle et al., 2008 ; BNPM, 2013 ; PRS 2015-2018).

43À Mayotte, les pratiques proches du modèle traditionnel sont encore très présentes, notamment dans les repas, autour de l’association « chaoula/chireo », en particulier dans les familles dont les revenus sont modestes (Fontaine, 1995 ; Guyot, 2013). Dans les foyers plus aisés, des changements sont néanmoins visibles, notamment dans l’alimentation des enfants davantage achetée à l’extérieur : sandwiches, pizzas, glaces, chips sont ainsi relativement fréquents dans les prises alimentaires. Enfin, dans les foyers économiquement aisés, on repère l’influence du modèle français, en particulier dans la prise de petit-déjeuner « français », la valorisation d’aliments (viandes, légumes) occidentaux, la valorisation de plats jugés plus « modernes » que les plats traditionnels. Les préférences alimentaires se transforment également, avec certaines différenciations entre les femmes et les hommes, les premières valorisant davantage les produits extérieurs et les seconds, plutôt les produits locaux (Guyot, 2013).

44Enfin, les Réunionnais accordent de l’importance à la fraicheur des fruits et légumes. Une étude de l’Insee pointait le fait que les marchés et les primeurs ont de ce fait un statut particulier dans l’approvisionnement relatif à ces catégories d’aliments (Brasset et al., 2015). Les fruits et légumes sont achetés pour plus de la moitié (davantage que dans l’Hexagone) sur ces lieux d’approvisionnement, qui sont aussi très appréciés pour la sociabilité qu’ils offrent et le lien direct avec les producteurs. Le marché en particulier représente 43 % des achats de légumes et environ 40 % des fruits tropicaux frais. Le choix des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique constitue par ailleurs une tendance croissante à La Réunion, comme en témoigne la multiplication des enseignes spécialisées bio (une dizaine en 2017), quasi inexistantes voilà 10 ans. La clientèle des produits issus de l’agriculture biologique, dont le prix est plus élevé, se trouve principalement dans catégories sociales aisées. À côté de l’attention portée au goût des aliments, à l’origine régionale, la principale motivation pour le bio est la santé (Journal de l’Ile de La Réunion, Août 2017). Enfin, certains Réunionnais adoptent depuis quelques années des postures de « déconsommation » que l’on peut résumer par « acheter différemment » (moins cher, moins cher ailleurs, à moindre niveau de qualité), « acheter moins » (réduire la fréquence, les quantités), « acheter autre chose » (revenir au besoin originel, remplacer le produit), « ne plus acheter » (ne plus acheter le produit, le faire soi-même), « influencer les autres et être influencé » (éduquer, informer, convaincre, militer, réguler, interdire) (Pothin, 2017).

2.7. Conclusion sur les pratiques alimentaires et registres culinaires

45La transition alimentaire est en cours dans les Drom, à des stades différents et selon des modalités sociales et culturelles différenciées. Dans les pratiques de consommation, on repère partout des transformations mais aussi des situations où les modèles traditionnels sont encore présents bien souvent en cohabitation avec les nouveaux. Les différentes études disponibles font apparaître un premier point de convergence relatif à la part importante des journées alimentaires ne comportant pas de petit déjeuner ou de petits déjeuners uniquement composés d’une boisson chaude. Ces résultats, associés aux observations socio-anthropologiques ou nutritionnelles plus anciennes, pointent la possibilité de modèles traditionnels organisés autour de deux repas quotidiens, avec bien souvent, des consommations en dehors des repas, contenant des fruits mais aussi produits sucrés, en particulier le matin et l’après-midi. Il serait intéressant d’actualiser les études sur ce plan, afin de mesurer les éventuels changements générationnels, mais aussi en termes de catégories de population et en étant attentifs aux transformations, dont certaines études pointent le lien, au sein de certaines populations, avec l’obésité (Strigler, 2019 ; Tibère et Poulain, 2019). Un autre point de proximité concerne les évolutions autour des formes et des contenus de repas. Là aussi, des formes traditionnelles sont repérables mais souvent avec des changements de structure (par addition d’éléments notamment) et/ou de contenus (la part des plats carnés augmente en particulier mais aussi l’utilisation des matières grasses). À côté de ces tendances, de nouveaux types de repas sont consommés, issus de l’alimentation de fast-food ou d’univers intégrés plus récemment (plus occidentalisés, plus globalisés). Dans certains contextes, cette alimentation de fast-food intègre de nombreux éléments traditionnels, issus notamment de l’univers culinaire créole. Les études pointent par ailleurs la montée de la viande dans les consommations et le recul pour certaines populations, d’aliments traditionnels tels que les légumineuses, les tubercules, mais aussi le poisson, ou certains types de légumes. Concernant la cuisine, les données montrent une diversité des registres et la valorisation des épices et autres aromates, mais peu d’études existent sur l’état des pratiques culinaires en termes de fréquence, de répartition femmes/hommes, d’évolutions intergénérationnelles, informations pourtant utiles pour cibler les messages. Les aliments sucrés sont aussi un point commun : la consommation hors repas semble une habitude ancrée mais les aliments sont plus sucrés, plus gras, plus industrialisés. Il en est de même pour les boissons sucrées, que l’on retrouve dans toutes les catégories sociales. Des changements générationnels sont repérables dans le rapport aux nouveaux aliments et nouvelles formes de consommation. Des enquêtes plus fines sur les contenus et les contextes de consommation seraient utiles à la fois pour mieux cerner les pratiques et les populations concernées. Elles pourraient être complétées par l’analyse des pratiques culinaires et des évolutions sur ce plan. Enfin, les attentes relatives à une alimentation à la fois meilleure pour la santé, plus ancrée culturellement et localement et plus contrôlée sur le plan sanitaire (fraicheur, pesticides…), se renforcent dans certaines catégories de population. Ces tendances repérées dans l’Hexagone sont associées par certains observateurs aux situations de transition et aux préoccupations sanitaires mais aussi patrimoniales et environnementales qui l’accompagnent.

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Notes

13 Les données sur les lieux d’approvisionnements et les comportements d’achats alimentaires comprennent d’une part les répartitions quantitatives des achats alimentaires par grandes catégories d’approvisionnement (grandes et moyennes surfaces, hard discount, petits commerces, autoconsommation) issues des rapports fournis entre 2010 et 2017 par les Chambres de commerce et d’industrie, par l’Iedom et les DAAF ; et d’autre part les données issues des enquêtes par enregistrements déclaratifs : enquête budget de famille de l’Insee, enquête de l’Orsag (lieux et types d’achats réalisés dans les quinze jours précédant l’enquête), enquête Kannari en 2013.

14 La créolisation correspond aux processus d’acculturation intervenus dans certaines sociétés issues de la colonisation, dans lesquelles les contacts ayant eu lieu entre le XVIIème et le XIXème siècle, entre des populations de cultures différentes ont favorisé les hybridations et les reformulations culturelles et ont donné naissance à des langues, des systèmes de croyance, des formes esthétiques, des cultures culinaires et alimentaires nouvelles. Ces créations socio-anthropologiques se sont enrichies des influences des migrants arrivés après le XIXème, après l’abolition de l’esclavage qui ont à leur tour adopté la cuisine créole tout en conservant certaines de leurs habitudes alimentaires (Bastide, 1996 ; Benoist, 1998 ; Tibère, 2006, 2009 ; Lombion, 2012).

15 La présence à Mayotte d’une bourgeoisie créole au XIXème siècle, alors devenue colonie de plantation française, ainsi que les migrations anciennes et récentes entre les deux îles explique en partie le fait que certains éléments de la cuisine créole réunionnaise aient été intégrés à la cuisine mahoraise (Blanchy, 2002).

16 Les données sont issues du projet de recherche Nutwind financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre de l’appel à projets génériques 2016 (ANR-16-CE21- 0009). Les résultats mobilisés ici agrègent les données obtenues en Guadeloupe et en Martinique pour des raisons de pertinence statistique mais les tendances sont proches dans les deux contextes.

17 Les grins sont les légumineuses, le cari est une préparation à base de tomate, de curcuma, d’ail et d’oignons préparée avec de la viande, du poisson ou des légumes. Le piment est servi frais ou préparé en rougay (préparation pimentée, associant le piment et les légumes ou les fruits notamment)

18 Chacun des profils est corrélé à des positions socio-économiques, comme cela est précisé dans le chapitre III.2. dédié à cette question.

19 Le mabawa (= ailes de poulet) est arrivé à Mayotte il y a quelques décennies et est devenu en peu de temps un aliment essentiel de la cuisine mahoraise de par son faible coût, sa praticité et parce qu’il permet de ne pas gaspiller. Cet aliment est tellement central qu’en 2011, lors de la grève de la vie chère, il est demandé la baisse du prix au kilo du mabawa (Isabelle Denis : interview sur la chaine 1. à Mayotte, 2018).

20 Regroupements issus du rappel des 24h.

21 Les snacks comprennent les préparations pâtissières salées, les quiches, tartes et cakes salés, pizzas, les préparations frites, les nems, samossas, bricks, croquettes de poisson, nuggets de volaille, les préparations fourrées, les crêpes salées, burritos, spécialités vapeur chinoises, et les sandwiches (y compris les hamburgers, croque-monsieur, hotdogs).

22 Le petit déjeuner « continental » est composé d’une boisson chaude, de pain ou biscotte, de beurre, de confiture et parfois d’un jus de fruit.

23 La commensalité renvoie au fait de partager de la nourriture avec d’autres personnes alors que la convivialité prend en compte également la disponibilité intellectuelle pour échanger et la durée suffisante de la consommation alimentaire. Même si certaines analyses s’ouvrent sur la commensalité et la convivialité associées à d’autres types de consommations (encas, goûters, apéritifs), elles sont surtout étudiées en lien avec les repas (Corbeau, 2002 ; Fischler, 2012).

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