Conclusion
p. 195-196
Texte intégral
1On ne peut que louer l’intelligence du législateur et de la population au sujet de l’évolution institutionnelle de ce pays depuis plus de deux décennies. Dans leur majorité et dans une recherche sans cesse renouvelée du consensus, ils ont su éviter l’affrontement et ont incontestablement œuvré dans la bonne voie. Pourtant, utilisés à tort et à travers dans le débat public en Nouvelle-Calédonie, l’expression de « destin commun » et le mot « rééquilibrage » ont pris valeurs propitiatoire et incantatoire au fur et à mesure qu’approchait la période d’autodétermination. Ce contexte politique fait de plus en plus écran à une compréhension lucide de ce pays et de son organisation. Nous avons souligné dans cet ouvrage l’ampleur des inégalités. Dans une période où les tensions politiques peuvent s’amplifier, ce bilan peut être utilisé par les uns et les autres pour critiquer les politiques menées aux niveaux communal et provincial de la Nouvelle-Calédonie ou au niveau national. Parfois reléguée au second plan, comme le révèle le retard pris dans la réflexion sur l’aménagement du territoire, la pensée sur les lieux a ici focalisé notre attention parce qu’elle nous semble lourde d’enjeux sociaux, économiques et environnementaux. Sujet éminemment sensible, la controverse sur la modification de la clé de répartition, qui oppose indépendantistes et non-indépendantistes, n’est que la partie émergée de l’iceberg.
2Cet ouvrage tâche d’apporter à un public large des connaissances abondantes. Il présente des analyses détaillées afin que chacun puisse y voir plus clair dans les débats actuels, à bonne distance des regards orientés et des réflexions tronquées qui circulent trop souvent. Préservé des considérations idéologiques et des discours lénifiants ou apocalyptiques, ce livre veut offrir au lecteur un examen lucide de la Nouvelle-Calédonie contemporaine. Il ne se contente pas seulement de dénoncer ses maux, mais cherche aussi et surtout à comprendre leurs causes profondes et parfois lointaines. Cette analyse montre qu’en matière de rééquilibrage on est encore loin du compte et que les saisissants clivages socio-économiques, mis en relief tout au long de sa lecture, ne se sont que très partiellement atténués ces deux dernières décennies.
3De grandes questions restent en suspens. Faut-il continuer à lutter, sans succès, contre la croissance du Grand Nouméa ? Faut-il continuer à consacrer beaucoup (trop ?) d’argent pour des résultats modestes, voire contre-productifs, pour essayer d’enrayer une urbanisation inéluctable ? Faut-il « oser le désert » comme l’écrivait avec culot mais aussi avec une certaine inconséquence le géographe Jacques Lévy (1994) ? Faut-il continuer d’avoir une action publique qui tire à hue et une dynamique sociodémographique qui tire à dia ? N’y a-t-il pas un certain intérêt d’avoir des activités regroupées en un seul lieu, le Grand Nouméa en l’occurrence (et à l’exception de VKPP), ne serait-ce que pour des raisons économiques vu le coût du transport intérieur ? Dans le contexte néo-calédonien, ces questions iconoclastes le sont d’autant plus qu’elles peuvent remettre en cause la provincialisation, un des piliers du statut actuel, car que penser d’un territoire où il y a de tels écarts entre les trois entités spatiales qui le composent ? Dans le savant équilibre de compétences entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces, est-il possible de préserver ce système où doit-on songer à le réformer ? Écartelée entre une province Sud qui concentre 81 % du PIB, une province Nord qui s’émancipe économiquement de la France par son usine métallurgique et des îles Loyauté qui ne cessent de se dépeupler et de s’enfoncer dans l’assistanat, la Nouvelle-Calédonie a-t-elle toujours les moyens de suturer son territoire ? Est-il encore pertinent de chercher à ce que la brousse et les îles recollent au Grand Nouméa ou doit-on laisser agir les forces centripètes invisibles, avec tous les risques que cela comporte ? Comment réduire les écarts de formation et de revenus entre les différentes communautés quand la tendance mondiale est au renforcement des inégalités socio-économiques ? Doit-on baisser les bras et abandonner tout aménagement du territoire, comme le souhaitent certains ultralibéraux ?
4Pour faire avancer la réflexion et ne pas être tenté par des solutions simplistes et dangereuses, nous ne pouvons que plaider pour un développement de la recherche en sciences humaines, sociales et économiques, au sein de l’université de la Nouvelle-Calédonie et de ses partenaires. Les voies d’une diversification économique sont à creuser. Dubitatif sur l’essor du tourisme, nous le sommes tout autant sur une croissance qui prendrait le tournant du développement durable, de la préservation et de l’exploitation de l’extraordinaire biodiversité néo-calédonienne, mais ceci reste à approfondir. Comme tous les lieux et les êtres, la Nouvelle-Calédonie est en devenir, mais son originalité, sa force et sa faiblesse tiennent dans ce qu’elle en a une conscience aiguë depuis les accords de Matignon et de Nouméa. De quelle situation la Nouvelle-Calédonie est-elle aujourd’hui le nom ? Son destin est peu commun, engagée dans un processus négocié de décolonisation et d’émancipation, passant par une forte intégration régionale, tout en restant dans le giron français, par sa forte dépendance financière à la métropole en particulier. Sa condition est à tout le moins équivoque et non pérenne, avec une économie paradoxalement vulnérabilisée par ses artifices malgré le nickel. Quand la « vieille Europe » s’accroche à son rang et à ses privilèges, la Nouvelle-Calédonie vogue vers d’autres cieux. Qu’elle puisse arriver à bon port, en n’oubliant personne ou en n’étant abandonnée par quiconque dans son périple. Souhaitons qu’il ne s’agisse pas, comme bien d’autres, d’un pays d’avenir destiné à le rester. Faudra-t-il pour cela qu’elle coupe, avec courage et non sans douleur, le cordon avec sa métropole ou qu’elle invente et assume une solution de souveraineté partagée ?
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