1Dans le dessein de saisir l’hétérogénéité de l’espace néo-calédonien, nous opterons dans un premier temps pour une analyse quantitative à l’échelle communale. Ce choix vise à mieux comprendre les inégalités existantes et leur évolution, car il a l’avantage de proposer des données comparables d’un recensement à un autre pour l’ensemble du territoire. Dans un second temps, nous mettrons en évidence la nouvelle organisation de l’espace.

1989-2009, vingt ans de rééquilibrage

2En croisant un certain nombre de données et en réalisant une analyse statistique en composantes principales (cf. annexe 3, p. 216), comme pour les quartiers de Nouméa (cf. supra), l’opposition entre la côte est et la côte ouest apparaît avec clarté, tout comme, mais un peu moins nettement, une opposition entre le Nord et le Sud. Schématiquement, on peut diviser la Nouvelle-Calédonie en quatre secteurs. Le plus développé est le Sud-Ouest ; viennent ensuite le Nord-Ouest, le Sud-Est et enfin le Nord-Est ainsi que les îles. En affinant cette régionalisation grossière, on aboutit à la mise en relief de quatre types de communes circonscrivant des unités plus ou moins discontinues.

Les quatre types de communes

3Quatre groupes de communes émergent donc (Gay, 2012 b) :

• le premier correspond au sud-ouest de la Grande-Terre, du Mont-Dore à Bourail, auquel il faut rajouter Koné et Koumac dans le nord-ouest. Les variables qui discriminent le plus cet ensemble sont le sous-emploi, plus réduit que dans le reste du pays, une faible proportion de Kanak, un bon niveau scolaire, une motorisation et un équipement en ordinateur plus élevés qu’ailleurs ;
• un deuxième groupe est constitué de l’Est minier, de Yaté à Kouaoua, auquel se rajoutent quelques communes minières de l’Ouest (Kaala-Gomen, Voh et Poya), la touristique île des Pins et Poum. On a à faire à des communes très mélanésiennes dans lesquelles une activité importante, la mine ou le tourisme, génère des revenus conséquents et offre de nombreux emplois, expliquant la relative modestie du secteur public et des PIB/habitant non négligeables ;
• un troisième groupe correspond à Belep, aux îles Loyauté (à l’exception de Lifou), au centre et au nord de la côte est, de Houaïlou à Ouégoa (à l’exception de Poindimié). Il s’agit de communes mélanésiennes périphériques, à l’écart du développement avec une population très peu diplômée. Les indicateurs économiques, sociaux et démographiques y sont inférieurs à la moyenne. La population y augmente peu, voire y baisse, en raison de départs vers le Grand Nouméa. L’économie y est restée très rurale, avec une activité d’autosubsistance importante. La monétarisation limitée de l’économie explique des revenus faibles ;

4– restent les cas de Lifou et Poindimié, nettement distincts des autres communes. Il s’agit de centres de l’intérieur et des îles, au même titre que Koumac, La Foa ou Koné, mais avec une proportion des salariés du secteur public dans la population active ayant un emploi y atteignant des sommets (42,5 % à Lifou, 43,6 % à Poindimié), reflet d’investissements publics massifs mais peu relayés par le secteur privé.

Carte 17 – Les quatre types de communes en 2009. Source : élaboration personnelle.

Des évolutions sensibles

5L’analyse des données du recensement de 1989 (cf. annexe 3, p. 216) et la comparaison avec celles de 2009 indiquent qu’il n’y a pas eu durant ces deux décennies une homogénéisation et une réduction des disparités. On remarque au contraire clairement l’apparition de types de communes nettement différenciés les uns des autres se substituant à une disposition plus continue. La gradation des inégalités communales a laissé la place à des ruptures sensibles. Pour filer la métaphore cycliste, on avait en 1989 un peloton très étiré avec quelques individus détachés ; on a en 2009 un groupe d’échappés et une série de convois d’attardés, grupetti, plus ou moins à la traîne, typiques des étapes de montagne. Cet ordre est certainement la conséquence d’un dopage très inégal à l’argent public ou à la rente minière.

6Cependant, on ne peut passer sous silence les évolutions extrêmement positives qui se sont produites. Notons d’abord que le groupe de tête en 2009 (qui comprend le Grand Nouméa, Koumac, Boulouparis, Bourail, La Foa, Farino, Moindou, Pouembout et Koné) regroupe les trois quarts de la population néo-calédonienne. Le second constat est la remarquable émergence des communes de Koné, Poindimié et Lifou, par la construction d’infrastructures médicales et scolaires ou par la mise en place d’administrations provinciales. Les accords de Matignon et de Nouméa sont à l’origine de ces centres de brousse émergents tout comme de remarquables évolutions en matière de formation et d’équipement. En 1989, une seule commune, Nouméa, comptait plus de 10 % d’habitants ayant un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat. Vingt ans plus tard, il y en a 24 sur 33 (il faut néanmoins rappeler que le nombre de bacheliers a beaucoup augmenté, cf. supra). Près de la moitié des municipalités en 1989 avaient au moins quatre logements sur dix non connectés au réseau électrique ; il n’y en a plus aucune dans cette situation aujourd’hui. Le téléphone fixe ou mobile s’est généralisé. La baisse du poids des salariés publics dans un certain nombre de communes, comme Poum (de 48 % en 1989 à 27 % en 2009), Koné (de 54 à 27 %), Yaté (de 45 à 23 %), Voh (de 39 à 18 %), Poya (de 41 à 19 %) ou l’île des Pins (de 33 à 20 %), est à mettre au crédit de l’essor spectaculaire du secteur privé. Dans ces six communes, la population active occupée a été multipliée par trois en vingt ans pendant que le nombre d’emplois dans le secteur public n’augmentait que de 50 %. Koné, Voh et Poya ont directement bénéficié du projet Koniambo, mais aussi de la relance par la SLN du site de Népoui dans les années 1990, Yaté de l’usine de Goro, Poum du dynamisme koumacois et l’île des Pins de l’ouverture de plusieurs hôtels comme le Méridien, ou l’Ouré Lodge.

Une accessibilité toujours inégale

7La politique de rééquilibrage a permis une amélioration marquante des conditions de vie et d’hygiène en brousse et dans les îles, quoique les écarts de richesse entre la province Sud et les deux autres provinces ne se soient pas réduits. Les disparités au sein de ces dernières ont eu tendance à s’amplifier, avec l’émergence de quelques pôles dynamiques, mais la marginalisation de la côte est, spécialement, se poursuit. L’aggravation du sous-peuplement n’arrange pas le défi de la distance et de son coût, particulièrement pénalisants pour le développement, car plus les densités sont faibles et moins des modes de transport efficaces, rapides et/ou économiques sont envisageables. Hormis l’autocar, tout autre moyen de transport en commun n’est pas viable en brousse, vouée à la route. Réservées surtout à une clientèle d’affaires très spécifique, tels les médecins, les juges ou les avocats se rendant pour la journée à l’hôpital de Poindimié ou à son antenne de justice, les liaisons aériennes d’Air Calédonie Nouméa-Touho, Nouméa-Koumac-Belep et Nouméa-Koné sont déficitaires et compensées par la province Nord. Seule cette dernière bénéficie d’une demande importante avec l’usine du Nord, ce qui explique l’allongement en 2014 de la piste de Koné afin d’optimiser la capacité d’emport de l’ATR 42. Pour les îles Loyauté, la domination du transport aérien ne repose que sur des subventions publiques (cf. supra). Sur la Grande Terre, l’accessibilité globale est doublement dissymétrique : très marquée entre la côte ouest et la côte est, moins accusée entre le sud et le nord de la Grande Terre. La localisation du Grand Nouméa, sur la côte ouest, la présence de l’axe routier de loin le meilleur et l’existence des liaisons aériennes Nouméa-Koumac et Nouméa-Koné favorisent les localités de l’Ouest. Celles de la côte est sont pénalisées par la traversée de la Chaîne centrale, incommode et lente, par une route littorale souvent pittoresque mais tortueuse ainsi que par une desserte aérienne très réduite (cf. supra).

8En période d’intempéries, les temps de parcours sont allongés, avec des radiers submergés par l’eau des creeks sur les axes secondaires et des axes principaux qui peuvent être aussi inondés, isolant parfois durant plusieurs jours des milliers d’habitants. Poum, par exemple, a été inaccessible pendant quatorze jours, en mars 2009. Ces problèmes affectent souvent les populations les moins motorisées, notamment celles en tribus, alors qu’il s’agit des territoires les plus mal desservis par les transports collectifs et donc les plus enclavés, comme le prouve l’importance de l’autostop chez les Kanak.

Aménager et protéger le territoire

9En matière d’aménagement du territoire, il faut savoir rester modeste car, en dépit de l’utilisation d’outils puissants (tels ceux de la décentralisation ou de la politique des métropoles d’équilibre), le poids économique de Paris et de sa région, par exemple, a progressé, passant entre 1960 et 2008 de 26 % à 28 % du PIB métropolitain (Jean et Vanier, dir., 2008 : 31). On peut faire le même bilan à propos de quatre décennies d’intervento straordinario de l’État italien dans le Mezzogiorno. Nous venons de le constater, vingt années de rééquilibrage, fondé sur une ferme et constante volonté politique associée à des instruments en apparence efficaces, n’ont pas réduit, ne serait-ce que modestement, le poids de Nouméa ou l’écart entre cette agglomération et le reste du pays (Sudre, 2013). Elles n’ont pas également réussi à fixer les populations rurales et tribales, nonobstant l’amélioration de leurs conditions de vie. L’optimiste avancera qu’il s’agit d’une simple question de temps. Puisse-t-il avoir raison, mais nous en doutons, car on peut légitimement s’interroger sur la capacité de l’action publique à lutter vigoureusement contre le sous-développement régional.

Les projets d’aménagement en province Nord

Le « Grand H »

10L’idée d’un pôle urbain secondaire est ancienne en Nouvelle-Calédonie, déjà à l’ordre du jour dans les années 1950. Avec les accords de Matignon, la volonté de faire de Koné, capitale de la province Nord, un centre rééquilibrateur va prendre consistance. Or, la création de pôles de développement a été un des fondements de l’« âge d’or » de l’aménagement du territoire en France, sans généralement produire les résultats escomptés. Par ailleurs, il est temps d’en finir avec le mythe des grands travaux (routes, lycées, hôpitaux, ports…) qui seraient par eux-mêmes créateurs d’emplois et généreraient des infrastructures et des territoires contrebalançant le dynamisme de la capitale (Jean et Vanier, dir., 2008 : 10). Le cas du « Grand H » est instructif.

11Avant l’ouverture de la route Koné-Tiwaka, il fallait de quatre à six heures pour se rendre de Koné à Poindimié, distantes de 80 km en ligne droite, car on devait emprunter le col d’Amos au nord ou le col des Roussettes au sud. L’ouverture, après dix ans de travaux, de cette transversale met les deux localités à 70 minutes de voiture, désenclave la côte est, réorganise la province Nord et place sa capitale, Koné, en situation de carrefour. Durant le chantier, on envisage dans un premier temps de renforcer les localités, de part et d’autre de la Chaîne centrale, directement desservies par la route Koné-Tiwaka. Apparaît alors l’idée du « Grand H » par l’implantation d’établissements publics dans les communes de Touho (où on ouvre un lycée d’enseignement professionnel en 1994), de Pouembout (avec l’inauguration d’un lycée agricole en 1992), de Poindimié (avec un hôpital et un lycée général) et de Koné (avec l’hôtel de province). Malgré l’ouverture de la transversale et la mise en service de ces équipements structurants, cette organisation en réseau fera long feu. Cette route n’est pas parvenue à associer la côte est à la dynamique de la côte ouest et le « Grand H » est passé par profits et pertes.

La « ville océanienne »

12Au lieu de l’éparpillement, on opte par la suite pour la mise en place d’un pôle urbain sur la côte ouest. Une Mission d’aménagement de la province Nord et des îles (Mapni), relevant du groupement « Villes nouvelles de France », développe le projet ambitieux de créer une « ville océanienne » autour de l’hôtel de province et à mi-chemin des localités de Pouembout et de Koné. À l’horizon 2010, 8 000 habitants et 4 000 emplois publics et privés étaient attendus. Ce dessein démesuré n’aboutira que partiellement, mais le projet d’une usine métallurgique à Vavouto, sur la commune de Voh, relance cette dynamique en y associant la commune de Voh. Ainsi surgit le sigle VKP (Voh-Koné-Pouembout) au début des années 2000, devenu récemment VKPP avec l’intégration de la commune de Poya et de son port de Népoui, sous-utilisé. L’enjeu est de faire de Koné une vraie ville dotée des équipements de services et de commerce lui permettant de rayonner sur tout le nord de la Grande Terre. Sa dynamique démographique actuelle est indéniable (cf. supra). La première grande surface du Nord et de la brousse, pourvue d’une galerie commerciale, a ouvert ses portes en 2013 à Teari. Il plane cependant encore beaucoup d’incertitudes sur le rôle de Koné et sur la dynamique de la zone VKPP avec l’achèvement des travaux de l’usine du Nord et la baisse des effectifs liée à la fin du chantier, la métallurgie du nickel n’étant pas une « industrie industrialisante » (Sudre, 2013 : 126).

Les Ogaf

13Dans la province Nord, l’accent a également été mis sur un développement local, fondé sur de microprojets touristiques par exemple ou sur des opérations groupées d’aménagement foncier (Ogaf) dans les communes de la côte est. Apparues en métropole en 1970 et arrivées timidement en 1993 en Nouvelle-Calédonie, il a fallu l’accord de Nouméa (1998) pour que ces opérations deviennent un des instruments majeurs de l’aménagement de la province Nord (Bouard, 2011 : 238-241). Elles reposent sur la concertation, le volontariat et l’incitation financière sur un périmètre bien défini et pour un temps donné. Emblématique de cette politique, l’Ogaf côte est a eu pour mission de relancer la mise en marché des produits agricoles locaux autour d’une coopérative, le Gapce (Groupement agricole des producteurs de la côte est), en difficulté en 1999. Les Ogaf auront concerné au total neuf communes de la province Nord, cinq de la province Sud et les trois communes loyaltiennes. Seule l’Ogaf de Poum est encore en cours, se terminant en 2014. Bien que mitigé, leur bilan n’est pas inintéressant. Ainsi, les associations porteuses des Ogaf, en gérant des infrastructures agricoles (centres de tri, aires de stockage…), ont favorisé la réunion des agriculteurs et l’investissement de nouveaux acteurs locaux.

Se déplacer dans le Grand Nouméa

14Pour sa part, le Grand Nouméa nécessite urgemment une politique d’aménagement cohérente, spécialement en matière de déplacement, car c’est une agglomération en voie d’asphyxie. Certes, sa situation peut paraître enviable par rapport aux problèmes de circulation que connaissent les autres villes de l’outre-mer, mais la croissance démographique et l’étalement de l’habitat, très rapides, conduisent progressivement à une saturation routière. Les habitants du Grand Nouméa ne sont pas prêts à abandonner leur véhicule au profit des transports en commun, vu la médiocrité de l’offre et la timidité des politiques publiques dans ce domaine. Le caractère balbutiant de l’intercommunalité (cf. supra) dans l’agglomération n’est pas sans conséquence. Le réseau de transport en commun Karuïa est circonscrit à la commune de Nouméa. Les trois communes périphériques sont desservies par l’entreprise Carsud, filiale du groupe Veolia et de la SEM Promosud relevant de la province Sud. Il y a donc deux réseaux, mal connectés et sans tarification unique, ce qui pénalise les plus modestes et participe de la vie chère. Pourtant, la situation s’est nettement améliorée avec la disparition des fameux baby-cars (cf. supra). La mairie accordait alors des licences à des conducteurs-artisans propriétaires qui desservaient des lignes sans horaires et sans abribus. La création du GIE TCN (transport en commun de Nouméa), en 1999, introduit la tarification unique et propose de nouveaux bus. Conventionné en 2001 par la ville de Nouméa, qui lui accorde une subvention d’exploitation forfaitaire sur ses fonds propres, en l’absence d’un versement pour le transport, le réseau Karuïa véhicule de 15 000 à 18 000 voyageurs/jour actuellement. Depuis le 1^er janvier 2010, un nouveau contrat, conclu pour huit ans, lie le GIE et la ville. En 2002, est mis en place un réseau suburbain, dont l’exploitation est confiée par la province Sud à la société Carsud.

15Il est désormais temps de faire rapidement évoluer les choses, dans une agglomération où 16 % des ménages ne sont pas motorisés et où deux tiers des usagers des bus sont des Kanak (cf. supra). Pour le moment, prendre l’autobus ou l’autocar est un choix par défaut en raison de ses déficiences : fréquence insuffisante, non-respect des horaires, coût élevé, nombreux arrêts non équipés et pas adaptés aux personnes à mobilité réduite. Le défaut de tarification unique et de correspondance entre Carsud et Karuïa est révélateur du manque de coopération entre les autorités organisatrices des transports publics, alors même que 41 % des usagers doivent prendre au moins deux bus. Autant dire que le recours à l’automobile est massif avec, de surcroît, un parc sur-motorisé par l’augmentation, entre autres, des véhicules tout-terrain. Encombrants, polluants et gros consommateurs d’énergie, leur achat est également encouragé par des carburants moins onéreux qu’en Europe, car moins taxés. La vogue des voiturettes chez les 15-18 ans issus des milieux aisés n’arrange pas les problèmes de circulation.

16Souhaitons que le plan de déplacement de l’agglomération nouméenne (SIGN, 2008), version locale des plans de déplacements urbains (PDU) métropolitains, ici purement facultatif et sans caractère prescriptif, puisque la loi de 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (« loi SRU ») ne s’applique pas à la Nouvelle-Calédonie, soit suivi d’effets. Car la progression du trafic est impressionnante sur les axes d’accès à Nouméa. Les embouteillages aux entrées de la ville se multiplient et s’allongent dans l’espace et le temps. Quoique pour le moment peu efficaces, deux outils récents poussent à l’optimisme : le Syndicat intercommunal du Grand Nouméa (créé en 2006) et le Syndicat mixte des transports urbains du Grand Nouméa. La création, en 2010, de cette autorité organisatrice des transports était une condition indispensable pour que l’État soutienne les appels à projet de transport en commun en site propre (TCSP) et de navette maritime.

17Le schéma de cohérence de l’agglomération de Nouméa, validé en 2010 par la province Sud et trois des quatre communes du Grand Nouméa, plaide pour une extension urbaine maîtrisée et une structure multipolaire pour s’apprêter à l’ère de l’énergie onéreuse. Une redensification de la ville point au travers des projets plus ou moins avancés des centres urbains de Koutio (Dumbéa) ou de Boulari (Mont-Dore), ou de la ZAC de Dumbéa-sur-Mer, dans lesquels les logements sociaux sont en proportion importante en considération de la demande non résorbée pour ce type d’habitat.

Agir sur les désordres environnementaux

18À côté du défi de la densification et de l’habitat dans le Grand Nouméa, les pouvoirs publics sont confrontés à la protection d’un milieu biophysique particulièrement riche, inclus dans un des 25 « points névralgiques de biodiversité » de la planète. Ces zones ne couvrent que 1,4 % de la surface mondiale des terres émergées, mais regroupent 44 % des plantes vasculaires et 35 % de toutes les espèces de quatre groupes de vertébrés.

Les dégâts miniers

19Malgré sa faible occupation humaine, la Nouvelle-Calédonie a été particulièrement exploitée, par l’industrie minière notamment qui laisse des traces très visibles dans le paysage. Les désordres environnementaux qu’elle provoque sont avérés et concernent la biodiversité terrestre et marine, la qualité des eaux douce et lagonaire, l’érosion des sols, l’engravement des cours inférieurs des fleuves... (Danloux et Laganier, 1991 : 25) Lors de la période du boom du nickel, une exploitation anarchique a causé des dégâts colossaux (Dimenc, 2009 : 79-82). Les produits stériles se sont déversés des crêtes décapitées et ont descendu les versants, jusqu’aux embouchures et au lagon pour les éléments les plus fins. Le problème des mines orphelines, ces mines abandonnées depuis plusieurs décennies et qui n’ont plus de titulaire, reste pendant. Au moins 200 km² de sols nus dégradés par l’activité minière ont été identifiés, soit 1,2 % de la superficie de la Grande Terre. Certaines communes sont particulièrement affectées : Houaïlou et Thio ont plus de 15 % de leur territoire dans cette catégorie ; Kouaoua, 11 %. Elles rassemblent à elles seules 40 % de ces surfaces.

20Jusqu’au code minier de 2009 (cf. supra), il n’existait aucun moyen juridique pour assurer une protection satisfaisante de l’environnement. Désormais, la remise en état des sites miniers est obligatoire et garantie financièrement au démarrage. Des progrès en matière d’exploitation ou d’ouverture de pistes ont été réalisés. Les compagnies minières sont engagées dans une logique d’atténuation des effets de leur activité, mais tout cela n’efface pas un lourd passif dont l’apurement sera largement à la charge des collectivités publiques. Le coût de réhabilitation des anciens sites miniers dépasse le milliard d’euros. Au rythme des opérations déjà conduites, il faudra des décennies pour parvenir à stabiliser les déblais et à stocker les résidus de la mine. La revégétalisation n’est pas facile dans des milieux pédologiques pauvres et, de surcroît, dégradés. Pour le moment, les 250 ha revégétalisés paraissent dérisoires par rapport à l’extension des zones dégradées (cf. supra) : à peine plus de 1 %. Au contact de la terre et de la mer, la mangrove57 joue un rôle fondamental. Elle protège les littoraux de l’érosion. Elle constitue une source de nourriture et de revenus pour les pêcheurs. Elle est un haut lieu de la biodiversité. En Nouvelle-Calédonie, elle a un rôle supplémentaire en servant de pièges à métaux polluants à forte dose (nickel, fer, manganèse, chrome, cobalt…) en aval des sites miniers. Mais ses 260 km² reculent de 1 à 2 % par an, sous la pression de l’urbanisation et des installations minières.

La mangrove de Voh et son célèbre cœur. © J.-C. Gay

La dangerosité de l’amiante environnemental

21La nature géologique d’une grande partie de la Grande Terre explique la présence de fibres d’amiante, souvent associées aux serpentinites58, sur les massifs miniers. La dangerosité prouvée de l’amiante, à l’origine de cancers de la plèvre (mésothéliomes) ou broncho-pulmonaires, et le constat de l’incidence anormale de ces pathologies mortelles chez les Kanak des zones tribales de Houaïlou-Bourail et de Koné-Touho-Poindimié expliquent l’intérêt qu’on lui porte depuis les années 1980. En 1995, l’exposition au pö, un badigeon laiteux parfois fabriqué à base de trémolite (un minerai de la famille des amiantes) revêtant les façades et les murs de certaines cases, est mise en évidence comme facteur de risque par une étude de l’Inserm (Luce et al., 1997). Par une ironie du sort, c’est au nom de l’hygiène que l’administration coloniale avait encouragé ou imposé ce badigeonnage (Houchot, 2008 : 180). À partir de 1997, les autorités recensent toutes les maisons trémolitiques. La province Nord, à partir de 2003, détruit près de 600 bâtisses et reconstruit 469 « maisons trémolites » pour un coût total de 14 millions d’euros. Mais l’exposition à l’amiante environnemental ne semble pas se réduire au seul pö, et il faut continuer de travailler sur la compréhension de la libération et de la dissémination de ces fibres, surtout sous l’action humaine. Les travaux de terrassement et d’extraction en terrains amiantifères apparaissent potentiellement à risques. Les carrières de serpentinite et l’utilisation de ce matériau pour revêtir les routes seraient des causes majeures de contact à l’amiante (Baumann, 2010). Inversement, une couverture végétale dense est un facteur protecteur.

Site d’enfouissement d’une bâtisse trémolitique à Haut-Coulna (Hienghène). © J.-C. Gay

Les feux de brousse

22La Nouvelle-Calédonie est dévastée par les incendies, dont l’origine essentiellement anthropique ne fait aucun doute. Outil de défrichement des champs vivriers, d’entretien des parcours de chasse ou de lutte contre les espèces nuisibles, le feu est d’usage habituel et ancien dans le monde rural kanak, au fondement du processus d’appropriation de l’espace (Dumas et al., 2013 : 16). Laissés sans contrôle, les écobuages provoquent chaque année la dévastation de milliers d’hectares. Les feux répétés entraînent une régénération végétale de plus en plus lente, à l’origine de la savane à niaoulis ou du « maquis minier ». Le niaouli (Melaleuca quinquenervia) devient l’espèce dominante de la strate arborée des espaces en cours de savanisation car son écorce le protège du feu. Particulièrement fragile, la forêt sèche a reculé d’une manière saisissante : étendue sur toute la côte ouest jadis, soit un quart du territoire, elle ne couvre plus aujourd’hui que le centième de cette superficie. Très fragmentée, elle ne subsiste que sur quelques centaines de parcelles. Un programme « Forêt sèche », lancé en 2001, a permis la restauration de quelques sites, comme celui du Ouen-Toro à Nouméa.

Incendie dans la région de Tontouta (Païta) en fin de saison sèche. © J.-C. Gay

23La destruction ou l’appauvrissement du couvert végétal accélèrent l’érosion, et les mouvements de terrain (glissements, écroulements, coulées boueuses…) s’amplifient. Ce recul de la végétation influe sur la capacité de stockage de l’eau dans les sols et les régimes des cours d’eau sont modifiés : en saison des pluies, les crues et les inondations sont plus fréquentes et plus fortes ; en saison sèche, les étiages sont plus sévères. Pour prévenir les feux de forêt, en l’absence de moyens de lutte efficaces contre les incendies, des campagnes de sensibilisation ont été menées en tribu et la province Nord a lancé de grandes opérations d’information dans les médias, dont des messages à la télévision, y compris en langue kanak. Il est également nécessaire de mieux comprendre les enjeux confus (économiques, politiques, fonciers...) à l’origine des feux de brousse (Dumas et al., 2013 : 17). L’installation de guetteurs rappelle que la surveillance et l’alerte sont à prendre en compte et des panneaux indiquant le niveau de risque d’incendie ont été installés le long des routes.

Tsunamis et cyclones

24Les îles Loyauté et une partie de la côte est de la Grande Terre sont particulièrement exposées à un autre aléa : les tsunamis. Effectivement, le sud-ouest du Pacifique est un domaine sismique très actif. La zone de subduction de Tonga-Vanuatu a une des vitesses les plus élevées du monde, de 12 à 17 cm/an. La plaque australienne, sur laquelle est située la Nouvelle-Calédonie, s’enfonce sous l’arc du Vanuatu, provoquant en moyenne chaque année un séisme de magnitude 7 ou plus sur l’échelle de Richter. Un réseau sismologique veille sur la zone et un système d’alerte aux tsunamis a été mis en place avec l’installation de sirènes automatiques à partir de 2008. La Nouvelle-Calédonie est aussi très exposée au risque cyclonique avec 1,4 cyclone par an en moyenne. Elle n’a pourtant pas connu de cataclysmes aussi meurtriers et dévastateurs que celui de 1780 en Martinique et en Guadeloupe qui tua 5 000 personnes, de 1891 dans lequel 700 Guadeloupéens périrent, de 1903 qui emporta 515 personnes dans les Tuamotu (EFO) ou de 1928 en Guadeloupe qui fit 1 200 victimes. On se rappelle néanmoins de Colleen en 1969, d’Alison en 1975, de Harry dans le Nord en 1989 ou d’Erica en 2003, mais l’ensemble des phénomènes tropicaux depuis les années 1950 n’a fait qu’une douzaine de victimes. Ce bilan léger est à mettre partiellement au crédit d’une politique d’éducation et de sensibilisation de la population aux risques météorologiques, d’autant plus réceptive qu’elle les craint.

Panneau de prévention contre les incendies à la réserve de la Madeleine (Yaté). © J.-C. Gay

Sirène d’alerte aux tsunamis à Tibarama (Poindimié). Cette commune compte neuf sirènes d’alerte. © J.-C. Gay

Des espèces très envahissantes

25Le climat subtropical relativement tempéré de la Nouvelle-Calédonie favorise l’installation d’un grand nombre d’espèces envahissantes, animales ou végétales, à l’image de la tique du bétail (Boophilus microplus) venue d’Australie durant la Seconde Guerre mondiale et très contraignante pour l’élevage bovin (Barré et Delathière, 2010). Ce sont de vrais fléaux et, bien que les autorités locales aient été sensibilisées précocement aux enjeux de ces invasions biologiques, cette menace reste vive sur la biodiversité (Beauvais et al., éd., 2006). La pire d’entre elles est peut-être le cerf rusa (Cervus timorensis), introduit en 1870 et figurant jusqu’en 2014 sur les billets de banque des collectivités françaises du Pacifique ! Il cause de lourds dommages à la végétation par abroutissement immodéré. Le cochon sauvage a aussi un redoutable pouvoir de dévastation, comme les chiens errants, les chats harets ou les rats, sur les oiseaux ou les lézards. Quelques espèces d’oiseaux introduits ont un impact négatif sur le milieu, tel le bulbul à ventre rouge (Pycnonotus cafer), libéré d’une volière de Nouméa dans les années 1980 et qui s’est rapidement installé dans toute l’agglomération et au-delà.

26Une réglementation sur la biosécurité a été édictée en 2006 et des centaines d’espèces de plantes, considérées comme envahissantes, sont interdites à l’importation. La lutte s’organise. Les autorités ont créé, en 2008, un Centre de régulation des gros gibiers qui encourage la chasse au cerf avec la mise en place d’une prime par mâchoire ramenée. Il existe un plan d’éradication de Miconia calvescens, un redoutable arbre qui a envahi Tahiti et se répand en Nouvelle-Calédonie aux dépens des espèces endémiques. Des opérations ponctuelles sur des îlots ou sur le mont Panié sont menées contre les rats. La province Sud a mis sur pied une opération de lutte contre la tortue de Floride (Trachemys scripta) qui a envahi les cours d’eau. Toutefois, les moyens restent limités et ne sont pas à la hauteur des risques. La fourmi électrique (Wasmannia auropunctata), arrivée accidentellement dans les années 1960 avec le pin des Caraïbes, reste très nuisible par sa piqûre qui lui vaut son nom. Humains, vertébrés ou plantes en sont les victimes. Elles détériorent les équilibres écologiques. Sur l’homme, ses piqûres douloureuses entraînent de vives démangeaisons et posent problème désormais à de nombreux secteurs comme l’agriculture ou les loisirs de plein air. La Nouvelle-Zélande, qui possède le dispositif de biosécurité le plus efficace du monde, doit servir de modèle. Car, quoique les experts de l’IRD et d’autres organismes aient jugé le dispositif législatif de quarantaine néo-calédonien satisfaisant (Beauvais et al., éd., 2006 : 100), ils ont également remarqué que des améliorations pouvaient être faites, spécialement dans le contrôle des conteneurs et des colis postaux. La surveillance manque de moyens et d’effectifs. En témoigne l’échec de la tentative d’éradication du bunchy top, en 1999-2001, une affection virale touchant le bananier.

Érosion causée par les cerfs à Deva (Bourail). © J.-C. Gay

Une prise de conscience environnementale

27L’environnement est de compétence provinciale, mais la Nouvelle-Calédonie gère les ressources naturelles de la ZEE. On peut remarquer que les enjeux du développement durable n’ont pas encore été bien saisis, par l’obsession des questions de rééquilibrage et d’évolution statutaire et en l’absence peut-être d’un organisme interprovincial, et ce malgré des signes positifs comme la création en 2006 d’une Direction de l’environnement en province Sud (Pestaña et al., 2011 : 422). Le mouvement associatif a précédé les pouvoirs publics, bien qu’il s’agisse d’une histoire récente qui débute en 1965 avec la création de la Société calédonienne d’ornithologie. En 1971, naît l’Association de sauvegarde de la nature de Nouvelle-Calédonie (ASNNC), puis Action Biosphère en 1992, plus politisée (Lebigre, 2009 : 169). En 2006, une étape est franchie avec la constitution d’Ensemble pour la planète à l’initiative de 17 associations, dont l’ASNNC, Action Biosphère ou Rhéébù Nùù (cf. supra). Cette association fédérative est devenue un acteur majeur dans le domaine de l’environnement, comme la gestion des déchets ou la lutte contre les pesticides. Rares sont les centres de traitement et de tri. Les dépotoirs sauvages sont légion et le brûlage des détritus fréquent. Les carcasses des voitures fleurissent en brousse. En adoptant, en 2008, le principe de la responsabilité élargie des producteurs, la province Sud s’est donné les moyens d’améliorer la situation pour plusieurs filières de déchets (pneus, piles, batteries, véhicules, etc.). Non soumis pour le moment au protocole de Kyoto, le pays est très dépendant des énergies fossiles et les émissions de gaz à effet de serre sont élevées, car son industrie métallurgique est grosse consommatrice et grande émettrice de polluants. La centrale thermique au fioul de l’usine de Doniambo (Nouméa) est à l’origine de forts épisodes de pollution sur la presqu’île de Ducos ou à Vallée-du-Tir. Celle qui doit la remplacer devra être plus propre et avoir un meilleur rendement. Concernant la circulation automobile, une expertise collégiale propose de supprimer les distorsions fiscales en faveur du gazole, d’instaurer une taxe carbone et de créer une vignette assise sur l’impact environnemental du véhicule, alors qu’actuellement les 4x4 sont favorisés (Le Bars et al., éd., 2010 : 394-395). Ce groupe d’experts préconise également d’augmenter la production d’énergie éolienne (ibid. : 403-404), qui n’assure actuellement que 2 % des besoins électriques globaux, soit environ 7 % des besoins de la distribution publique.

28Avec une surface lagonaire et récifale de 40 000 km² et plus de 2 000 km de récifs, selon l’Ifrecor (Initiative française pour les récifs coralliens), la Nouvelle-Calédonie dispose d’un capital corallien exceptionnel qui doit être protégé. Quand bien même l’inscription de 60 % de la surface du lagon sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco (cf. supra) ne constitue pas une mesure de protection, il est manifeste qu’il s’agit d’un événement important pour la survenue d’une conscience environnementale et d’un système de gestion concertée des milieux. Le chemin est toutefois encore long avant d’arriver à une politique de préservation du niveau des voisins australien et néo-zélandais. Les aires protégées terrestres sont fragmentées, peu étendues ou mal réparties. Le principe de spécialité législative éclaire l’absence de parcs nationaux ou d’acquisitions du Conservatoire du littoral. Absents dans les îles Loyauté, réserve naturelle intégrale, parcs provinciaux et réserves spéciales couvrent moins de 5 % de la Grande Terre. À titre de comparaison, près du tiers du territoire néo-zélandais est protégé. Dans ce contexte, l’ouverture du parc provincial des Grandes Fougères, en 2008, est à pointer. Né du constat d’un pillage de la faune et de la flore endémiques, il est divisé en trois : un secteur de conservation ; un secteur de promenade et randonnées ouvert au public ; un secteur destiné à la chasse et au contrôle des populations animales. En mariant ainsi protection, accueil du public (environ 15 000 visiteurs par an actuellement) et activités, cette aire protégée de 4 500 ha peut servir de modèle à d’autres. Gérée par un syndicat mixte, elle a été souhaitée par les élus de Sarraméa, Moindou et Farino comme un élément de valorisation de cette microrégion.

29Comme le prouve l’inscription en 2014 des lacs du Grand Sud (440 km²) sur la liste de la convention de Ramsar59 et la création d’une aire marine protégée de 1,3 million de kilomètres carrés, la protection des écosystèmes semble désormais acquise. Elle est à la fois lourde d’enjeux patrimoniaux et économiques, avec l’exploitation de sa biodiversité. Mais si le potentiel apparaît fort en pharmacologie ou en cosmétologie, les recherches n’ont pour le moment trouvé que peu de molécules ou de substances qui présentent un intérêt remarquable et il n’y a pas de réglementation particulière contrôlant les prélèvements de matériels génétiques et leur usage ultérieur.

Le souci récent du patrimoine

30La situation n’est guère plus avancée en matière de sauvegarde de monuments ou d’éléments immatériels tels que les danses ou l’artisanat. Le passé troublé et colonial de la Nouvelle-Calédonie, les affrontements récents et des communautés juxtaposées ne favorisent pas le jaillissement d’un patrimoine commun, fruit d’une nation émergente. Le processus de tri dans le passé que fait une société à un moment donné pour créer une mémoire (Lazzarotti, 2011 : 15), forcément sélective, est ici compliqué. C’est le présent qui choisit son patrimoine et pas le patrimoine qui s’impose au présent. Quand le présent est double et que l’avenir est incertain, la dynamique patrimoniale peut être catalysée mais pas simple.

31Le passé pénitentiaire de la Nouvelle-Calédonie, longtemps refoulé, est devenu aujourd’hui le support d’une affirmation identitaire des Calédoniens d’origine européenne. Le classement et la réhabilitation de bâtiments du bagne illustrent ce mouvement, porté au départ par quelques individus, comme l’Association du village de Prony (cf. encadré 7, p. 55) ou l’association Marguerite. Cette dernière, créée en 1981, obtient en 1984 le classement au titre des monuments historiques de la passerelle du même nom à La Foa. Cette année-là, ses membres commencent à dégager l’ancien centre pénitentiaire et administratif fortifié de Teremba (cf. photo p. 59), laissé à l’abandon et qui fonctionna de 1871 à 1919, avec l’accord du propriétaire du terrain. En 1989, le site de 11 ha est acquis par la commune de Moindou et la toute jeune province Sud procède à son classement au titre des monuments historiques. En 1994, un programme de restauration est lancé et toujours en cours. Aujourd’hui, l’association Marguerite, en partenariat avec les collectivités, y mène différentes actions de conservation, de valorisation, d’animation et de transmission. Restaurés, le bâtiment central, la tour de guet, la prison et la boulangerie accueillent des milliers de visiteurs chaque année. Des « classes patrimoine » y sont organisées ainsi qu’un spectacle « son et lumière », tous les mois de novembre, rassemblant des centaines de figurants et comédiens.

32L’histoire minière pourrait également donner naissance à des lieux de mémoire mais, pour le moment, le petit musée de la mine de Thio ou le village minier de Tiébaghi (Koumac) restent des cas isolés (cf. encadré 28), alors que dans la région de Ouégoa une valorisation des anciennes mines de cuivre, de plomb, de zinc ou des unités de fonte abandonnées est envisageable. Et que dire de l’état de délabrement avancé de l’ancienne conserverie de Ouaco (Kaala-Gomen), qui exporta les célèbres conserves de viande de bœufs pendant plusieurs décennies.

33L’action pionnière et modèle de l’association culturelle du Wetr (Lifou), à partir de 1992, illustre le renouveau de la vie culturelle kanak, avec la recréation de danses « traditionnelles » qui s’appuie sur des éléments ayant survécu à l’évangélisation, tels des rythmes musicaux, des légendes ou des matériaux naturels pour costumes et maquillages. Il faut souligner le rôle primordial de l’ADCK dont une des missions est de collecter et de valoriser le patrimoine immatériel kanak. Le tourisme, s’il se renforce, peut offrir une seconde vie à différents aspects du patrimoine kanak (danse et chants, architecture, artisanat, etc.). Les cas hawaïens ou tahitiens nous révèlent que, loin de détruire les cultures dites « traditionnelles », le tourisme a constitué une source de revitalisation et de transformation des sociétés coutumières, qui n’ont pas vocation à rester figées (Gay, 2013).