1La spoliation des terres kanak par l’administration coloniale est au cœur de la revendication indépendantiste des années 1970. Pour y répondre, une réforme foncière est engagée en 1978 (cf. supra), dont l’objectif est de régler « le problème foncier dans la perspective du respect des droits historiques des communautés mélanésiennes ». Lorsqu’elle débute, l’espace foncier kanak, hors îles Loyauté, est constitué par les 1 670 km² de réserves autochtones affectées aux tribus. Les propriétés privées couvrent 4 020 km². Les terrains domaniaux s’étendent sur 10 620 km². En 2010, 32 ans plus tard, la situation a évolué et les terres coutumières couvrent à peu près la même surface que les propriétés privées de droit commun.

Mise en valeur différenciée des terres à Païta. A gauche de la rivière Tamoa, elle sont coutumières, à droite elles sont privées. © J.-C. Gay

Tableau 6 – Évolution de la proportion des types de statuts fonciers du sol, hors îles Loyauté (en %). Source : Adraf.

2Quatre opérateurs se sont succédé de 1978 à aujourd’hui pour conduire la réforme foncière, au gré des évolutions statutaires et des changements locaux et nationaux de majorités politiques, témoignant du caractère très sensible de cette question : le TOM, l’Office foncier, l’Adraf (Agence de développement rural et d’aménagement foncier) territoriale, puis l’Adraf d’État.

Les débuts de la réforme

3De 1978 à 1982, c’est le TOM, par l’intermédiaire de son service du Domaine, qui instruit les opérations foncières visant l’installation d’exploitants ruraux de toutes origines sur des terres acquises dans cet objectif. En 1981, le TOM est doté des droits de préemption, de récupération (contre versement d’un juste prix des propriétés privées incultes ou insuffisamment mises en valeur) et d’expropriation. Le dispositif est financé par des crédits territoriaux et le Fides. En 1982, la gauche au pouvoir modifie le dispositif en confiant la réforme foncière à un établissement public d’État, l’Office foncier. Ce dernier va souffrir d’un contexte politique tendu, des changements de statuts et de découpages administratifs, mais fait toutefois l’acquisition de près de 50 000 ha, majoritairement situés sur la côte est. De plus, entre 1978 et 1986, 40 000 ha de terres ont été achetés par le TOM qui a pu continuer de poursuivre les actions engagées malgré la création de l’Office foncier. Dans la même période, plus de 30 000 ha ont été transférés aux clans et aux tribus sous le régime coutumier. Les attributions les plus nombreuses et les plus vastes ont concerné Hienghène (6 700 ha), Canala (4 100 ha), Koné (2 600 ha), Houaïlou et Poindimié (plus de 2 000 ha chacune), communes confrontées à partir du début des années 1980 à des revendications de terres et à l’occupation de propriétés, organisées par les comités des terres créés par les partis indépendantistes.

La parenthèse agraire

4En 1986, l’arrivée de la droite au pouvoir avec la première cohabitation (1986-1988) met fin à l’Office foncier, dissipant chez de nombreux propriétaires européens la peur de l’expropriation et confiant la réforme au TOM. L’Adraf, établissement public de la Nouvelle-Calédonie, a pour mission de favoriser la mise en valeur des terres agricoles. De foncière, la réforme devient agraire avec la perspective d’un essor de l’élevage, de la caféiculture ou de l’arboriculture. LAdraf procède toutefois à l’attribution de plus de 10 000 ha, sous le statut de propriétés privées, au profit de personnes physiques ou de sociétés (GIE, SARL). Des propriétés, principalement situées à Bourail, Moindou et Pouembout, sont attribuées à titre payant à des Kanak, sous condition de mise en valeur. Ces terres non coutumières relèvent du statut foncier de droit commun et sont donc des propriétés privées ordinaires. Simultanément, les acquisitions de terres se poursuivent sur un rythme soutenu.

Les Groupements de droit particulier local

5Les accords de Matignon (1988) confient la conduite de la réforme foncière à l’État, comme entre 1982 et 1986. Elle est réorientée au bénéfice des Kanak sans considération sur leur mise en valeur et à des fins de rééquilibrage. LAdraf ne disparaît pas, mais ses statuts sont modifiés. Les Groupements de droit particulier local (GDPL) sont retenus pour devenir la principale structure juridique bénéficiaire des attributions foncières, car semblant capable de combiner coutume et développement économique. Doté de la personnalité morale, inscrit au registre du commerce, le patrimoine des GDPL est considéré comme une propriété collective de droit commun. L’accord de Nouméa, en créant la catégorie des « terres coutumières » (18 % de la superficie totale), à côté des terres privées (18 % également) et des terres des domaines (64 %), fait passer les GDPL du régime de la propriété privée gérée par la coutume à un régime de propriété intégralement coutumière, car l’on craint avec la péri-urbanisation que le secteur privé ne s’empare des terres attribuées aux tribus et aux clans. Régies par le principe des quatre « i » (inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles), ces terres ne peuvent changer de propriétaires sous aucun motif, que ce soit volontairement (vente, échange, donation…) ou de force (saisie, prescription…) ; elles ne peuvent être hypothéquées et leur statut ne peut être remis en question. Les terres des GDPL représentent, en 2010, 31 % des terres coutumières de la Grande Terre.

6En vingt ans d’activité, l’Adraf d’État a procédé à près de 800 attributions, portant sur plus de 110 000 ha, dont 90 000 aux GDPL. Désormais, l’enjeu est la mobilisation des terres coutumières pour le développement du pays. Les restitutions ont évolué d’un contenu strictement politique à un contenu développementaliste (Demmer, 2010).