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Habiter la forêt tropicale au XXIe siècle

 | 
Geneviève Michon
, 
Stéphanie Carrière
, 
Bernard Moizo

Partie 6. Une forêt très politique

27. Conserver les forêts tropicales : l’outil aires protégées

Stéphanie M. Carrière, Philippe Méral und Florence Pinton

Volltext

Toucan (Araçari multibande) dans le parc national Yasuni (Amazonie équatorienne).

© naturexpose.com/O. Dangles et F. Nowicki

1Les forêts tropicales, de par leur remarquable diversité biologique et compte tenu de la sévérité et de la spécificité des problèmes qui les touchent (exploitation forestière et minière illicite, fronts pionniers, feux de brousse et agriculture), occupent, avec les récifs coralliens, le devant de la scène quand il s’agit de définir les zones de conservation prioritaires à l’échelle planétaire. Promues puis soutenues par différentes institutions internationales (la Convention sur la diversité biologique, le Programme des Nations unies pour l’environnement, l’Union internationale pour la conservation de la nature [UICN], etc.) pour faire face à la destruction des habitats forestiers, les aires protégées restent depuis plus d’un siècle des outils de conservation privilégiés. Leur succès est tel qu’elles se sont rapidement développées à partir des années 1970. En 2010, l’UICN comptabilisait environ 150 000 aires protégées à travers le monde, couvrant une superficie de 12,7 % de la surface terrestre (y compris les eaux intérieures, mais hors Antarctique) et 4 % des zones marines et côtières (sous juridictions nationales). Le plan stratégique (2011-2020) adopté à Nagoya en octobre 2010 lors de la 10e conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) s’est fixé l’objectif d’augmenter les superficies d’aires protégées pour atteindre à l’horizon 2020 les taux (respectivement) de 17 % et 10 %. En 2016, le nombre d’aires protégées atteint 200 000 pour une couverture de 14,7 % et 10,1 % (fig. 1).

Pancarte apposée par les autorités du Parc national Bukit Barisan Selatan (Sumatra, Indonésie) :
« Pour nos enfants et petits-enfants, aidez à nous préserver et à nous protéger… »

© IRD/H. de Foresta

2Les aires protégées sont devenues, de fait, un des principaux outils d’aménagement de la planète et recouvrent une grande diversité de dispositifs. L’UICN a tenté de rendre compte de cette diversité dans sa nomenclature en les organisant en 6 catégories (I à VI). La sixième catégorie, la plus récente (aires protégées de ressources naturelles gérées), répond à la volonté d’intégrer les usagers de ces territoires (agriculteurs, éleveurs, apiculteurs…) en leur reconnaissant une place centrale et de promouvoir les pratiques locales respectueuses de l’environnement en contribuant au développement régional et national.

Des modèles de conservation en prise avec les politiques

Les premières aires protégées : une mise « sous cloche » radicale des espaces et des espèces

3Les premières aires protégées en milieu forestier tropical apparaissent au cours du xixe siècle, époque où le mythe d’une forêt primitive détruite par les pratiques paysannes constitue l’un des fondements de la pensée coloniale. À défaut de pouvoir s’accorder sur la création de parcs nationaux sur le territoire métropolitain, les Français exportent leurs idées dans les colonies françaises (Indochine, Afrique occidentale et équatoriale française, Madagascar) à partir de 1925, faisant de celles-ci des lieux d’expérimentation de la conservation (Berdouley et Soubeyran, 2000). Les objectifs prioritaires sont de protéger les espèces animales et de promouvoir des activités récréatives, tandis que des recherches fondamentales sont conduites par les naturalistes pour comprendre, au cœur des forêts tropicales, le « modèle naturel originel », assimilé à un milieu non perturbé par les activités humaines. De façon parallèle, le problème de la déforestation tropicale, qui prend de l’ampleur, est rapidement posé et, dès la première moitié du xixe siècle, les scientifiques cherchent à promouvoir une législation de protection mise en œuvre par l’État et animée par les grands corps d’ingénieurs. La mise en réserves de la forêt permet de garantir la pérennité de la ressource forestière, les services forestiers ayant la charge exclusive de leur exploitation. L’action coloniale a pour objectif plus général de prendre le pouvoir et le contrôle du territoire pour en assurer l’exploitation économique. S’appuyant sur la négation des pratiques locales, elle propose ainsi une démarche rationnelle de gestion de la nature.

Figure 1 – Évolution de la superficie des aires protégées dans le monde (exprimée en pourcentage de la surface terrestre et marine mondiale) entre 1990 et 2016.
Sources : UNEP-WCMC et IUCN (2016)

Associer valorisation économique et gestion locale pour mieux conserver

4À cette période et ces outils, qualifiés d’« excluants », a succédé à partir des années 1970 une phase plus intégrative. En effet, dans de nombreux cas, la gestion étatique de la forêt a conduit à de graves crises, à la fois sociales et écologiques, et à des critiques très virulentes vis-à-vis de la conservation. La notion d’utilisation durable des ressources, préconisée notamment dans la Stratégie mondiale de conservation de l’UICN (1980), introduit un véritable renversement de perspective : l’exclusion des populations locales et les diverses restrictions d’usage qui leur étaient imposées au nom de la préservation de la nature sont considérées comme inefficaces et socialement injustes. La valorisation économique des ressources et des espaces est désormais considérée comme la garantie de leur conservation, elle ne peut être mise en œuvre qu’avec l’appui et l’association étroite des populations locales. Les premières expériences de gestion participative ont lieu dans les pays du Sud, où l’Unesco négocie avec les gouvernements nationaux la création de « réserves de biosphère » dans le cadre de son programme « Man and the Biosphere ». Il s’agit de confier la gestion des ressources à des acteurs locaux, en présentant les identités communautaires et les intérêts économiques privés comme des leviers au service de la conservation.

Propithèque de Coquerel (Propithecus coquereli), ou Sifaka de Coquerel (Madagascar).
Les premiers parcs nationaux ont été créés par les administrations coloniales pour la protection des espèces animales. Toutes les pratiques locales de gestion de la forêt étaient écartées.

© IRD/J.-Y. Meunier

5Si cette volonté de rapprocher projets de conservation et développement intégré suscite un très fort engouement, renforcé par la diffusion du concept de développement durable, les résultats sont à leur tour fortement critiqués. Au-delà des constats de l’inadéquation des structures sociopolitiques locales, ou des formes corrompues de décentralisation, la capacité de cette nouvelle forme de gestion à générer des revenus suffisants pour les populations semble être trop faible pour permettre une bonne conservation des ressources et des milieux. De ce fait, ces politiques qualifiées, non sans un certain cynisme, de « conservation par distraction » n’ont plus été prioritaires. L’argument biologique a vite repris le dessus dans le discours des grandes ONG internationales, promouvant un retour à des formes plus strictes de conservation, tandis que les dynamiques sociales ont été à nouveau exclues du champ d’action.

Encadré 1
Mythes et réalités de l’écotourisme
Bernard Moizo
Souvent considéré comme une alternative durable au tourisme de masse, l’écotourisme combine tourisme culturel et tourisme de nature, plus particulièrement dans les aires protégées. Les notions de durabilité et de développement sont centrales pour l’écotourisme. La notion de durabilité renvoie à une situation où les activités humaines doivent répondre à la fois aux demandes de la société et aux besoins de ses membres, en préservant au mieux les systèmes socioculturels et environnementaux afin qu’ils puissent se reproduire indéfiniment.
Le concept d’écotourisme est né dans les années 1960 ; il a été adopté par les écologistes dans la décennie suivante, puis plus tardivement par les scientifiques s’intéressant au tourisme. L’écotourisme est le secteur de l’industrie du tourisme qui a connu la croissance la plus rapide dans les années 1990. Cet engouement s’est également manifesté sur le plan scientifique, avec un nombre croissant de programmes de recherche et de publications issues de différentes disciplines et, sur le plan politique, par la promotion de l’« Année internationale de l’écotourisme », en 2002, sous l’égide des Nations unies.
Un concept complexe
La plupart des définitions de l’écotourisme insistent sur l’importance d’un double objectif de développement et de conservation. Il est possible d’y voir un paradoxe, comme dans l’expression « tourisme durable », où les deux termes associés semblent en contradiction. Il est d’usage de le considérer en théorie comme une forme idéale de tourisme, mais, dans la pratique, comme difficile à mettre en œuvre (Le Tisserand, 2001 ; Fennell, 2002, 2003). À ce jour, toutes les définitions de l’écotourisme existantes – dont aucune ne fait consensus – ont été critiquées, soit parce qu’elles sont trop imprécises, soit parce qu’elles ciblent des objectifs peu réalisables
L’écotourisme est toujours associé à la notion de durabilité, mais cela ne suffit pas pour autant à le définir et il reste un concept complexe. La déclaration de Québec (UNEPIWTO, 2002), consécutive à l’Année internationale de l’écotourisme, retient au moins cinq critères distincts pour le caractériser : l’écotourisme est un tourisme axé sur la nature ; il doit avoir un impact minimal sur le milieu naturel et les sociétés locales ; il a aussi une vocation éducative pour la gestion environnementale ; enfin, il contribue à la conservation de la biodiversité et au développement du bienêtre des communautés. Mais il y a des divergences pour savoir si un seul critère est suffisant pour qu’une initiative soit qualifiée d’écotourisme, ou si un projet doit nécessairement intégrer les cinq critères pour être labellisé.
De nombreuses questions demeurent et méritent d’être posées. L’écotourisme est-il véritablement « durable » ? À qui profite-t-il vraiment ? Quel rôle revient aux populations locales ? Doit-on instituer une charte internationale ? Faut-il établir des labels, et sur quels critères ?
Il est évident que le courant de pensée occidental de « conserver pour développer » imprègne fortement le concept et la mise en œuvre de l’écotourisme. Le principal problème induit par cette vision est qu’elle ignore ou minimise les divergences de valeurs et d’intérêts entre promoteurs d’une part, utilisateurs et bénéficiaires de l’autre. Ainsi, il est fréquent de retrouver sous l’appellation d’« écotourisme » des situations ou des pratiques qui ne sont pas toujours en résonance avec les attentes des sociétés locales.
Il existe des alternatives, comme celles qui intègrent les représentations de la nature des peuples autochtones ; selon les sociétés, celle-ci peut générer une perception différente des relations entre tourisme et nature, et donc de l’écotourisme. Il arrive fréquemment que des communautés indigènes soient dans une incompréhension totale de la notion même d’écotourisme, notamment au niveau de la marchandisation de la nature.
Un équilibre à trouver pour les populations locales
De nombreux problèmes existent : à court terme, ils concernent plutôt l’équilibre entre satisfaction des besoins des sociétés locales et attentes des touristes ; à plus long terme, il s’agit surtout des impératifs de protection de l’environnement incluant la notion de durabilité. En Asie, où l’écotourisme connaît un vrai succès, notamment parce qu’il participe à la mise en valeur économique des aires protégées sur lesquelles il s’appuie, d’une manière planifiée ou spontanée, les États ont largement minimisé – voire négligé – l’implication des populations locales, dont les attentes sont pourtant grandes et dont le rôle dans la gestion des ressources est incontournable.
Étant donné la grande diversité des sociétés asiatiques et des situations politico-économiques, un tel constat doit néanmoins être nuancé : par exemple, le Service forestier indien protège farouchement ses parcs et ses réserves, et le potentiel écotouristique profite avant tout à l’économie nationale aux dépens du niveau local. Mais, si l’écotourisme a généré des modes de gouvernance « top down » dans des pays comme le Népal et le Laos, il a, a contrario, également permis l’apparition de dynamiques locales et de gestions communautaires par exemple en Indonésie et aux Philippines. Dans la réalité, différents modèles d’écotourisme prévalent selon les pays, et cette diversité asiatique reflète bien les valeurs nationales et locales, le rôle et la place de l’État et ceux des institutions locales. Si l’écotourisme doit encourager la conservation de la biodiversité, les efforts de sa mise en œuvre doivent porter en priorité sur la planification et les cadres institutionnels, qui ne peuvent ignorer le contexte sociopolitique local.
Il est généralement admis que deux catégories d’acteurs sont impliquées dans les approches écotouristiques censées répondre aux multiples défis actuels. La première regroupe des organismes gouvernementaux, dont le rôle est central quand le tourisme est choisi comme un outil clé du développement. La deuxième catégorie est celle des sociétés locales qui, bien que reconnaissant que l’exploitation de leurs ressources naturelles est à présent contrôlée par des dynamiques qui leur échappent, demeurent un élément incontournable dans les nouvelles stratégies de gestion environnementale. Il est difficile de définir le véritable niveau de participation décisionnelle des sociétés locales dans la gestion de leurs ressources naturelles, car les aires protégées sont souvent situées dans des zones économiquement marginales et auxquelles ces populations n’ont parfois plus accès, élément qui s’ajoute à de faibles taux d’alphabétisation et à une absence de représentativité dans les instruments étatiques locaux.
Impacts contrastés de l’écotourisme
Malgré les bons principes sur lesquels il se fonde, l’écotourisme peut néanmoins induire des coûts sociaux directs au travers de l’intrusion culturelle et sociale dont il est le vecteur, de l’imposition de systèmes de valeurs externes, de l’érosion du contrôle local (Zurick, 1992) qu’il engendre. Il peut aussi contribuer indirectement au déplacement des populations en raison de la création d’aires protégées, et peut induire une dégradation des relations sociales locales, notamment en participant au renforcement des inégalités à travers la domination d’une famille, d’un clan ou d’un groupe particulier au niveau villageois.
Mais il apporte aussi des avantages, pour les populations et la conservation. Les aires protégées valorisées par cette activité sont à l’origine de bénéfices économiques et environnementaux indirects et, à ce titre, elles génèrent aussi des bénéfices sociaux via les expériences vécues entre les communautés locales et les écotouristes (Weaver, 2001), ainsi qu’au niveau économique par l’apport de revenus ponctuels. L’écotourisme est « virtuellement » accessible à tout le monde, au sens où il ne requiert ni équipement ni savoir-faire particuliers ; cependant, un agriculteur, un éleveur ou un chasseur-cueilleur ne s’improvisent pas « hôtes touristiques », d’où parfois des frustrations chez certains touristes, dont les attentes sont autres que la simple rencontre humaine ou la volonté de participer au développement local et à la protection d’un milieu fragile et menacé.
La nécessité d’une charte de l’écotourisme
Au-delà de la responsabilisation de chacun, une politique de partage des responsabilités entre les acteurs et l’État est indispensable. De ce point de vue, il est étonnant qu’aucune charte de responsabilité ne soit signée, ni entre eux, ni avec les touristes qui arrivent sur les lieux. Une telle charte aurait le mérite d’exercer une pression symbolique sur la responsabilité de chacun dans l’ensemble du processus. Le besoin d’une charte de l’écotourisme reconnue au niveau international et de labels fiables et faisant consensus pour les établissements et les circuits proposés se fait cruellement sentir. De telles initiatives protégeraient à la fois les écotouristes, les États, les organismes de la filière et les différents acteurs impliqués, ainsi que les populations locales.

Circuit écotouristique mis en place avec l’accord des populations locales et un cahier des charges négocié : nombre de visites par semaine, nombre de touristes par circuits, durée des séjours limitée (Nord-Laos, rivière Na Hou).

© IRD/B. Moizo

Écotourisme en Amazonie péruvienne.
Ces hôtels dans la forêt (ou lodges) proposent aux visiteurs des séjours à la fois confortables et didactiques.

© IRD/J.-C. Pintaud

Recette de la vente de rotins dans le parc national de Bukit Barisan Selatan (Sumatra, Indonésie).
La valorisation économique des produits forestiers non ligneux a été considérée dans les années 1980 comme un des moyens de protéger la biodiversité et d’intéresser les populations locales à la conservation.

© IRD/G. Michon

Un retour à des formes plus strictes de conservation

6La fin des années 2000, marquée par des tensions accrues sur les marchés énergétiques, alimentaires et financiers, a conduit à une pression supplémentaire sur les forêts des pays tropicaux se traduisant notamment par de la déforestation à grande échelle à des fins agro-industrielles (palmier à huile, soja, caoutchouc, etc.) Cela a conduit les acteurs de la conservation à privilégier à nouveau une politique d’extension des aires protégées afin de contrer ces changements à grande échelle. Par exemple, la décision prise en 2003 de tripler la superficie des aires protégées malgaches est en grande partie liée à la politique d’attraction d’investissements étrangers menée en parallèle (à travers la révision du code minier par exemple).

Tressage de « crisnejas », éléments de toiture en feuilles de palmier (Pérou).
Après une intégration des populations dans les programmes de conservation, les pratiques locales ont à nouveau été décriées : iI faut environ 10 000 feuilles du palmier Lepidocaryum tenue pour couvrir une grande maison, ce qui nécessite la défoliation de deux hectares de populations naturelles. Mais les règles locales servent à gérer ces populations sans entraîner leur dégradation.

© IRD/J.-C. Pintaud

7Dans ces conditions, la recherche d’une meilleure adéquation entre les conditions de vie des populations locales vivant à l’intérieur et autour des aires protégées et les objectifs de conservation a été reléguée au rang des actions non prioritaires au profit de mesures visant à développer de nouvelles aires protégées – à travers de la mise en place de corridors par exemple. Les initiatives visant à reconnaître les formes locales de conservation mises en œuvre par les populations forestières (pratiques ancestrales associées à certains tabous ou création d’espaces de protection pour des raisons sociales, symboliques, voire économiques) ont été encore plus marginalisées. De fait, encore aujourd’hui, ces formes locales de conservation ne sont que rarement reconnues en tant que telles et sont même totalement ignorées lors du zonage de la plupart des nouvelles aires protégées.

Le problème du choix et de la hiérarchisation des aires protégées

8Comment choisir et hiérarchiser les zones qui deviendront des aires protégées ?

Les aires protégées se situent bien souvent à proximité de zones habitées.
Ici le parc national de Ranomafana (Madagascar) que l’on peut voir depuis la route nationale, qui le coupe en deux dans le sens de la largeur.

© IRD/S. Carrière

9Les aires protégées ont pour but d’écarter les pressions qui pèsent sur une portion d’écosystème riche en biodiversité, en espèces rares et/ou endémiques et que l’on estime menacées par un taux de disparition jugé alarmant. Les habitats écologiquement riches mais peu accessibles de par leur situation géographique sont donc peu concernés par ces mesures. Pourquoi en effet investir dans des zones à l’écart d’un risque de dégradation ? Les créations d’aires protégées forestières se font donc en général au sein de zones habitées, exploitées par les populations, le plus souvent sous forme d’agriculture sur brûlis. Dans ces cas précis, elles répondent à des objectifs de mise en défens d’un espace forestier que l’administration cherche à soustraire à ses anciens occupants (les populations qui en vivaient ou les entreprises qui en exploitaient les ressources). De ce fait, ces zones se caractérisent en majorité par des niveaux divers de perturbation, voire de « secondarisation », qui ne sont que rarement pris en compte lors de la création de l’aire protégée, ce qui peut poser des problèmes en matière de gestion. Comment maintenir le caractère primaire d’une forêt qui ne l’est plus depuis longtemps ? Ce diagnostic faussé est lié, en grande partie, au manque d’études et/ou de recherches qui permettraient aux acteurs de terrain de s’appuyer sur des résultats et des données pour mener leurs actions.

10On doit aussi se poser la question de la délimitation d’une aire protégée. Comment borner l’espace, quel tracé suivre, quelle forme lui donner ? Nombreuses sont les réflexions sur les théories du « SLOSS » (Single Large Or Several Small), qui proposent des éléments de discussion sur le nombre et la taille optimale à adopter pour limiter les extinctions locales. Rares sont celles qui, sur le terrain, permettent réellement de trancher sur la base de données empiriques, d’autant plus que ces théories (issues de la théorie de la biogéographie des îles de Wilson et Mc Arthur [1967]), n’intègrent pas ou peu le facteur humain dans leurs variables.

11Enfin, de nombreux auteurs, eux-mêmes biologistes de la conservation, reconnaissent que les coûts liés à la création des aires protégées, et plus particulièrement des corridors de conservation, sont très importants face aux incertitudes des résultats attendus.

Financer les aires protégées aujourd’hui

Des besoins en augmentation

12Les Objectifs du développement durable, établis en 2015, ont insisté sur le besoin de financement de la conservation de la biodiversité. La cible 15a invite les pays signataires à « mobiliser les ressources financières de toutes provenances et les augmenter nettement pour préserver la biodiversité et les écosystèmes et les exploiter durablement ».

13Le problème du financement des aires protégées n’est pas nouveau. Il est apparu durant les années 1990, à la suite d’évaluations sur les moyens financiers dédiés aux aires protégées et de l’estimation des budgets nécessaires pour les gérer correctement. La plupart des études, bien que basées sur des méthodologies distinctes, évaluent ce besoin de financement entre 1,5 et 2,5 milliards de US$ par an (hors zone OCDE), alors que les dépenses effectives sont évaluées entre 0,3 et 0,8 milliard de US$ par an. Plusieurs études nationales confirment cette situation : au Cameroun par exemple, les budgets des parcs ne couvriraient que 20 % des besoins ; ce pourcentage est estimé à 40 % au Ghana.

14Les scénarios laissent présager un accroissement de ces déséquilibres entre dépenses et recettes. D’une part, les accords internationaux tels qu’évoqués précédemment visent l’accroissement de la superficie des aires protégées, ce qui conduira mécaniquement à une augmentation des besoins de financement. D’autre part, les dépenses publiques sont de plus en plus limitées, aussi bien dans les pays du Sud que dans les pays de la zone OCDE, qui financent couramment les aires protégées des premiers, à travers l’aide publique au développement. Les données représentées dans la figure 2 synthétisent l’origine des budgets dédiés aux aires protégées en Amérique latine et centrale en 2010. Hormis quelques pays comme le Venezuela, Cuba, le Brésil et le Pérou, tous les autres recourent à l’aide internationale pour ce financement, cette part pouvant aller jusqu’à pratiquement 90 % dans un pays comme la Bolivie. On peut relever également que le budget moyen annuel dans cette région était en 2010 de 1,95 US$/ha. À titre de comparaison, ce chiffre est de 43 US$/ha/an pour les aires protégées dans les pays de l’Union européenne.

Des financements innovants et parfois contestés

15De nombreux acteurs, notamment les ONG internationales de conservation, ont donc fortement milité pour trouver des sources de financement additionnelles. Par exemple, les mécanismes de paiements pour services environnementaux (PSE) et les accords volontaires autour de la compensation des émissions de carbone sont venus étoffer la palette des instruments financiers existants (bioprospection, droits d’entrée dans les parcs, fonds fiduciaires, etc.).

Figure 2 – Les sources de financement des aires protégées en Amérique centrale et latine en 2010.
Source : Bovarnick et al. (2010).

Encadré 2
Terres indigènes et conservation de la forêt en Amazonie brésilienne
Pascale de Robert, Philippe Léna
« La forêt est vivante. Elle ne peut mourir que si les blancs s’obstinent à la détruire. S’ils y parviennent, les rivières disparaîtront sous la terre, le sol deviendra friable, les arbres se rabougriront et les pierres se fendront sous la chaleur. La terre desséchée deviendra vide et silencieuse. Les esprits xapiri qui descendaient des montagnes pour venir y jouer sur leurs miroirs s’enfuiront au loin. Leurs pères, les chamans, ne pourront plus les appeler et les faire danser pour les protéger. Ils seront incapables de repousser les fumées d’épidémies qui nous dévorent. Ils ne parviendront plus à contenir les êtres maléfiques qui feront tourner la forêt au chaos. Nous mourrons alors les uns après les autres, et les blancs autant que nous. Tous les chamans finiront par périr. Alors si aucun d’entre eux ne survit pour le retenir, le ciel va s’effondrer. »
Davi Kopenawa (La chute du ciel. Paroles d’unchaman yanomami, Davi Kopenawa et Bruce Albert, Plon, coll. Terre humaine, 2010.)
En Amazonie brésilienne, les aires protégées couvrent plus de 30 % de la superficie de la région, sous dix-neuf statuts différents. Elles sont considérées comme un instrument de blocage foncier à même de contenir l’avancée des fronts économiques et de la déforestation (Léna et Issberner, 2017). À cela viennent s’ajouter les Terres indigènes, au nombre de 419, qui représentent presque 23 % de la superficie de l’Amazonie et sont habitées par plus de 80 ethnies (Irving, 2010). Parmi toutes les catégories d’aires protégées habitées (Resex, RDS, APA…) ou non (parcs nationaux, réserves biologiques, forêts nationales…), les « Terres indigènes » sont celles où la couverture forestière est la mieux conservée (3 % de surface déboisée en moyenne, mais en augmentation) alors que leur statut ne relève pas explicitement de la conservation de l’environnement. Le cadre juridique de ces Terres indigènes est défini dans les articles 20 et 231 de la Constitution fédérale brésilienne de 1988, qui attribuent respectivement leur propriété à l’Union fédérale et leur usufruit exclusif aux populations amérindiennes qui les occupent.
Cet état de conservation remarquable peut être attribué à plusieurs facteurs, parmi lesquels on peut évoquer : la faible densité démographique ; la mobilisation des populations pour la défense de leurs droits et la protection de la forêt (Turner, 1999) ; les cosmologies amérindiennes et leurs modes de penser et d’agir sur la nature (Kopenawa et Albert, 2010) ; les techniques traditionnelles (usage très diversifié du milieu naturel, agriculture sur brûlis à longue jachère, agrobiodiversité très élevée, déplacement périodique des villages, etc.). Les situations sont cependant très différentes selon les Terres indigènes. Celles-ci peuvent avoir entre 0,20 et 25 hab./km2. Les plus densément peuplées sont également les plus petites et sont en général situées près des villes et/ou dans des espaces « dégradés ». La forêt y a disparu et les pratiques traditionnelles peinent à s’y maintenir. À l’opposé, des Terres indigènes de grandes dimensions et de faible densité offrent de grands espaces forestiers peu ou pas altérés, où les systèmes traditionnels de production peuvent encore être pratiqués sans entraves. À terme, toutes sont concernées par l’impact des changements démographiques et socio-économiques en cours : après une phase de déclin liée au contact (massacres, choc épidémiologique, acculturation), la plupart des peuples amérindiens connaissent une forte reprise démographique et sont amenés à adapter leurs techniques de production à une sédentarisation croissante.
Mais d’autres menaces planent sur la forêt amérindienne : les incursions prédatrices, et pour l’instant encore illégales, destinées à exploiter des ressources disponibles dans ces territoires (bois précieux, or, diamants, minerai d’étain, etc.), la réalisation d’infrastructures (barrages, routes, lignes électriques) et l’avancée du front pionnier agricole (soja, élevage).
Une histoire commune, des situations très diverses
Les Terres indigènes peuvent être regroupées en deux catégories très différentes : celles qui sont situées le long de l’Amazone et de ses affluents (ou d’une façon générale le long de la partie navigable des fleuves et rivières), et celles qui sont situées dans des zones restées plus isolées jusqu’à récemment (comme les « hauts fleuves »).
Les habitants des bords des fleuves ont subi dans toute sa rigueur le processus d’occupation et d’exploitation depuis le xvie siècle : esclavage intermittent, regroupements pluri-ethniques forcés autour des missions et des postes militaires, imposition de nouvelles langues (nhengatu, portugais), métissage et acculturation, enrôlement comme collecteurs de caoutchouc, fournisseurs de produits de la forêt pour les réseaux commerciaux (peaux de jaguar et de loutre, cuir de caïman, carapace de tortue, poisson séché, huiles végétales, etc.) selon un système d’échange contre des produits manufacturés. À partir des années 1970, les réseaux commerciaux se sont affaiblis car ils sont devenus moins rentables (restrictions légales des prélèvements, raréfaction de ressources surexploitées, organisation sociale et politique croissante des communautés), entraînant un exode rural significatif. Parallèlement, d’autres besoins s’imposaient alors que l’accès à la santé, à l’éducation et au marché restaient extrêmement limités. En reconnaissant des droits spécifiques aux populations indigènes, la Constitution de 1988 a donné aux riverains l’opportunité de réclamer les espaces qu’ils occupaient jusque-là sans aucune sécurité foncière, à condition de revendiquer un statut d’« Indien » longtemps très dévalorisé.
Ce tournant légal a donné lieu à une reprise identitaire considérable. Les revendications territoriales ont commencé par les groupes ayant conservé au moins partiellement leur langue, puis se sont étendues à d’autres. Ce processus a engendré des situations complexes où les frontières des Terres indigènes séparent désormais de part et d’autre des personnes et des groupes apparentés qui avaient partagé jusque-là les mêmes territoires. Ces communautés vivent dans un milieu transformé de longue date, où certaines espèces animales et végétales ont presque disparu, mais où une « ambiance forestière » et une biodiversité significative sont effectivement maintenues. La principale menace actuelle est représentée par la surexploitation de certaines espèces de poisson par des agents extérieurs aux Terres indigènes, la pêche étant libre le long des cours d’eau, alors que l’ampleur de l’impact des projets hydroélectriques est en augmentation.
Dans les régions éloignées des fleuves et très difficiles d’accès jusqu’à la construction des routes dans les années 1970, des ethnies isolées ou des groupes réfugiés ou résistants ont pu retarder plus longtemps le contact avec les colons et migrants, et ont peu ou pas connu le métissage et l’acculturation. Mais, encore une fois, les situations se révèlent extrêmement diversifiées selon les cas, certains groupes ayant maintenu le moins de relations possible avec le reste de la société brésilienne, alors que d’autres ont été projetés sur la scène internationale, développant une activité associative et un rôle politique très actifs. Leurs terres, couvertes de forêt, dessinent probablement les contours de la forêt amazonienne des prochaines décennies. Elles en sont d’autant plus convoitées pour leurs ressources (or, bois) ou leur potentiel productif (bœuf, soja). Cela explique les pressions très fortes actuellement exercées par les divers agents économiques pour empêcher la création ou l’extension de certaines Terres indigènes, pour diminuer ou réviser celles qui existent, voire pour questionner les droits constitutionnels des populations autochtones ou traditionnelles. Dans certaines régions, les dernières réserves de bois importantes se situent en Terres indigènes, le reste ayant été totalement déboisé. Les ressources en eau de la région dépendent également en grande partie des Terres indigènes, en particulier pour les projets de barrages hydroélectriques.
Un futur incertain
Outre les menaces externes déjà citées, on doit signaler des menaces internes, comme l’exode rural et l’appauvrissement des savoirs et des savoir-faire sur la biodiversité et l’agrobiodiversité ; les transformations des systèmes de production, notamment l’adoption de pratiques apportées par les immigrants telles que l’élevage bovin ; la surexploitation de certaines espèces animales et végétales pour répondre à la demande du marché. Face à ces différents facteurs, en collaboration avec la Funai (organisme d’État en charge des peuples indigènes), des ONG et des organismes de recherche, les communautés indigènes mettent en place des programmes de gestion de la biodiversité sur leur territoire dans lesquels la participation des populations locales est presque systématiquement mise en avant. Finalement, en dépit de problèmes préoccupants comme la recrudescence récente de l’orpaillage illégal, la forêt reste mieux conservée dans les Terres indigènes au Brésil. Mais les priorités des gouvernements depuis la crise de 2013 remettent en question cet état de fait. A fortiori celles du président élu en octobre 2018, qui s’appuie sur la force économique et politique de plus en plus puissante de l’agrobusiness dont un des objectifs est la réduction des Terres indigènes et des aires protégées, ainsi que l’élimination de toute réglementation environnementale limitante.

Retour de l’abattis en Terre indigène kayapó, un territoire reconnu usufruit exclusif des Amérindiens depuis 1995 par l’État brésilien.

© IRD/P. de Robert

Sur l’image satellitaire, on distingue parfaitement la limite entre la Terre indigène couverte de forêt (vert) et les espaces défrichés limitrophes occupés par des fazendeiros – propriétaires terriens – (rose).
Zone entourée : un défrichement illégal.

© IRD/P. de Robert

16Le Ve Congrès mondial des parcs (Durban, Afrique du Sud, 2003) a constitué une étape cruciale en inscrivant à l’agenda international la recherche de ressources financières pour la gestion des aires protégées. En intitulant ce congrès « Bénéfices par-delà les frontières », l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a voulu insister sur le caractère de « bien public mondial » des forêts et de la biodiversité, en sollicitant la communauté internationale pour contribuer à financer la conservation dans les pays en développement, notamment les hot spots de biodiversité.

17Parallèlement, les travaux des chercheurs impliqués dans le Millennium Ecosystem Assessment (2001-2005) ont permis de proposer un cadre d’analyse renforçant cette tendance internationale à la recherche de financements innovants pour la conservation. En considérant que les écosystèmes rendent des services aux humains, les forêts représentent alors des supports de services tels que la séquestration du carbone, la protection des bassins-versants, la conservation de la biodiversité ou encore la beauté des paysages et les activités récréatives. Elles fournissent donc des services non encore rémunérés mais qui, dans une optique de pérennisation, pourraient le devenir. Le financement des aires protégées – et plus généralement celui de la conservation des écosystèmes forestiers – au titre des services rendus par le bon fonctionnement des écosystèmes est actuellement l’orientation prise au niveau international et dans la majorité des pays de la zone intertropicale. De nouveaux instruments apparaissent dans ce cadre, comme le paiement par les compagnies de distribution d’eau des actions de conservation des forêts situées en amont de leurs captages. Le rôle des forêts pour lutter contre l’érosion sert de support au paiement d’un service dont bénéficient les populations locales en aval. Initialement expérimentés en Amérique centrale et latine (Costa Rica, Bolivie, Équateur, Guatemala), ces PSE se développent dorénavant partout (Asie, y compris en Chine, océan Indien et Afrique).

18L’émergence de réseaux tels que Forest Trends, Ecosystem market place, Conservation Finance Alliance, etc., rassemblant des chercheurs, des conservationnistes, et soutenus par les coopérations bilatérales, les ONG de conservation mais aussi par des firmes multinationales et des fondations, promeut ce type d’outils et d’approches. Un exemple encore plus significatif en termes de moyens financiers dégagés concerne les initiatives de compensation du carbone émis par les grandes firmes occidentales. Malgré l’échec du protocole de Kyoto, les acteurs de la conservation, notamment les grandes ONG de conservation et les bailleurs de fonds, ont poursuivi leurs efforts pour établir des contrats avec certaines firmes des pays industrialisés destinés à compenser leurs émissions de carbone à travers le soutien financier au maintien des forêts et à la reforestation. L’ONG Conservation International a ainsi créé un Fonds carbone (Carbon Funds), qui sert de structure intermédiaire permettant à des firmes telles que Dell ou Disney de compenser leurs émissions de carbone en participant au financement d’aires protégées (respectivement à Madagascar et au Pérou). On recense de très nombreux autres cas semblables à travers le monde : WWF et Toyota en Asie du Sud-Est, TNC et Delta Airlines à Belize, WCS et Mitsubishi à Madagascar, etc.

19Si ces initiatives permettent de mobiliser des sommes importantes (plusieurs millions de dollars), de financer de grandes superficies d’aires protégées (plusieurs milliers de kilomètres carrés) et de s’inscrire dans la durée (des partenariats de plus de 10 ans), les contestations sont nombreuses. Pour certains, ces sources de financement posent des problèmes éthiques. Elles s’apparentent à des droits à polluer et contribuent à l’accaparement des terres au titre de la conservation. C’est en grande partie sur cet argument que le Brésil s’est positionné en novembre 2015 contre le projet de financement de la conservation au titre du carbone compensé entre l’État de l’Acre et celui de la Californie aux États-Unis. Pour d’autres, ces financements au titre de la compensation carbone nécessitent de vérifier la conformité des projets avec les standards internationaux, parmi lesquels la question de l’additionnalité est une clé de voûte : un projet est dit additionnel lorsqu’il conduit à une réduction de la déforestation ou à une augmentation de la quantité de carbone séquestré. La publication en novembre 2017 d’un rapport de l’ONG FERN dénonçant le non-respect de ces standards dans deux projets (en République démocratique du Congo et au Cambodge) a conduit Virgin Airways à renoncer deux mois plus tard au financement de l’aire protégée concernée (Oddar Meanchey, au Cambodge).

Ce panneau illustre les trois services environnementaux revendiqués par les gestionnaires du parc national de Ranomafana (Madagascar) : biodiversité, eau, beauté scénique.

© IRD/G. Serpantié

20Même si l’attention est largement concentrée sur ces financements, d’autres sources sont également mobilisées telles que les financements participatifs au titre de la conservation des habitats d’espèces menacées. Ciblant directement les citoyens des pays occidentaux, les ONG de conservation cherchent à capter des dons à travers les réseaux sociaux. C’est le cas par exemple de campagnes menées pour l’orang-outan de la réserve Rimba Raya à Bornéo via la plateforme Infinite Earth ou pour le léopard du parc national du mont Longonot au Kenya via le site This is my earth.

21Si, pour la plupart des acteurs de la conservation, cette recherche de financement est nécessaire pour enrayer la déforestation, notamment celle dont les causes sont d’ordre économique (projets miniers, exploitation forestière, élevage…), il n’en demeure pas moins que la problématique « développement local versus conservation des forêts » reste entière. Le financement des aires protégées n’est pas automatiquement un levier de développement local pour les populations, pour lesquelles l’accès et l’usage des écosystèmes forestiers tropicaux sont réduits, voire parfois interdits.

Des aires protégées « hors zone » ?

22À ce contexte économique des outils de conservation s’ajoute celui de la contrainte générée par les effets biologiques et écologiques induits par le changement climatique tels que les modifications des aires de distribution des espèces et l’évolution de la répartition et des limites des écosystèmes et des biotopes. Les limites des aires protégées étant fixées à l’avance et non évolutives, les espèces à protéger pourraient très vite se retrouver « hors cloche ». On voit donc depuis quelques années se multiplier les études et recherches qui visent à mieux comprendre et spatialiser les zones où les changements seront les plus importants et à en déduire de potentielles nouvelles zones à protéger.

23Les résultats montrent que les réponses aux changements climatiques sont peu prévisibles, souvent très spécifiques à une espèce ou à un groupe d’espèces données, voire à des zones particulières. Dans certains cas, le changement climatique induit une augmentation du nombre d’espèces tandis que, dans d’autres, au contraire, il peut entraîner une diminution drastique. Enfin, le déclin des populations est parfois plus fort dans les réseaux d’aires protégées actuels que hors des aires protégées.

24On voit à travers ces quelques exemples que le changement climatique est en train de rebattre les cartes de la biogéographie des espèces et des écosystèmes, sans que l’on ait vraiment les moyens d’en anticiper les directions. Parmi les moyens identifiés pour pallier ce problème, l’un consiste tout simplement à augmenter le réseau et la surface des aires protégées pour en préserver la représentativité, ce qui ne fait que renforcer les politiques précédentes, un autre à envisager des translocations d’espèces dans des zones qui leur seront favorables dans le futur. Néanmoins, les spécialistes considèrent que les espèces et les aires protégées existantes sont relativement résilientes, à quelques exceptions près, et que leur maintien assure en retour un effet d’atténuation du changement climatique grâce au carbone stocké en leur sein.

Literaturverzeichnis

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Abbildungsverzeichnis

Bildunterschrift Toucan (Araçari multibande) dans le parc national Yasuni (Amazonie équatorienne).
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Bildunterschrift Pancarte apposée par les autorités du Parc national Bukit Barisan Selatan (Sumatra, Indonésie) :« Pour nos enfants et petits-enfants, aidez à nous préserver et à nous protéger… »
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Bildunterschrift Figure 1 – Évolution de la superficie des aires protégées dans le monde (exprimée en pourcentage de la surface terrestre et marine mondiale) entre 1990 et 2016.Sources : UNEP-WCMC et IUCN (2016)
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Bildunterschrift Propithèque de Coquerel (Propithecus coquereli), ou Sifaka de Coquerel (Madagascar).Les premiers parcs nationaux ont été créés par les administrations coloniales pour la protection des espèces animales. Toutes les pratiques locales de gestion de la forêt étaient écartées.
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Bildunterschrift Circuit écotouristique mis en place avec l’accord des populations locales et un cahier des charges négocié : nombre de visites par semaine, nombre de touristes par circuits, durée des séjours limitée (Nord-Laos, rivière Na Hou).
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Bildunterschrift Écotourisme en Amazonie péruvienne.Ces hôtels dans la forêt (ou lodges) proposent aux visiteurs des séjours à la fois confortables et didactiques.
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Bildunterschrift Recette de la vente de rotins dans le parc national de Bukit Barisan Selatan (Sumatra, Indonésie).La valorisation économique des produits forestiers non ligneux a été considérée dans les années 1980 comme un des moyens de protéger la biodiversité et d’intéresser les populations locales à la conservation.
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Bildunterschrift Tressage de « crisnejas », éléments de toiture en feuilles de palmier (Pérou).Après une intégration des populations dans les programmes de conservation, les pratiques locales ont à nouveau été décriées : iI faut environ 10 000 feuilles du palmier Lepidocaryum tenue pour couvrir une grande maison, ce qui nécessite la défoliation de deux hectares de populations naturelles. Mais les règles locales servent à gérer ces populations sans entraîner leur dégradation.
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Bildunterschrift Les aires protégées se situent bien souvent à proximité de zones habitées.Ici le parc national de Ranomafana (Madagascar) que l’on peut voir depuis la route nationale, qui le coupe en deux dans le sens de la largeur.
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Bildunterschrift Figure 2 – Les sources de financement des aires protégées en Amérique centrale et latine en 2010.Source : Bovarnick et al. (2010).
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Bildunterschrift Retour de l’abattis en Terre indigène kayapó, un territoire reconnu usufruit exclusif des Amérindiens depuis 1995 par l’État brésilien.
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Bildunterschrift Sur l’image satellitaire, on distingue parfaitement la limite entre la Terre indigène couverte de forêt (vert) et les espaces défrichés limitrophes occupés par des fazendeiros – propriétaires terriens – (rose).Zone entourée : un défrichement illégal.
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Bildunterschrift Ce panneau illustre les trois services environnementaux revendiqués par les gestionnaires du parc national de Ranomafana (Madagascar) : biodiversité, eau, beauté scénique.
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