1L'agriculture biologique est aujourd'hui régie par un ensemble de textes réglementaires dans un contexte européen. Faut-il donc consacrer une partie de ce rapport à des « définitions » qui sont largement précisées par ces textes ? Paradoxalement, on ne peut considérer que les textes juridiques suffisent à régler le problème : la réponse à cette question constitue un enjeu important de ce rapport. L'agriculture biologique est en effet le produit d'une lente évolution historique, dont ces textes sont les aboutissements. Elle a connu des visages différents d'un pays à l'autre et d'une époque à l'autre. Elle a progressivement conquis sa légitimité dans la plupart des pays, en même temps que le modèle agricole productiviste était l'objet de critiques croissantes. Elle se présente souvent, non seulement comme un mode de production agricole, mais surtout comme un élément d'une alternative sociopolitique à un système social contesté.

2Aussi, nous prendrons certes en compte dans cette expertise l'« Agriculture Biologique certifiée », mais aussi d'autres formes d'agriculture qui peuvent être considérées comme proches de l'agriculture biologique. Il existe en réalité un continuum entre plusieurs formes d'agricultures qui, toutes, se veulent des améliorations ou, tout au moins, souhaitent constituer des alternatives au système agricole conventionnel aujourd'hui remis en cause par une partie des consommateurs et de la société civile.

Définitions de l'agriculture biologique

3Dans les divers pays qui s'intéressent à l'agriculture biologique au niveau mondial, sa définition donne lieu à controverse.

4Les « pionniers » considèrent l'agriculture biologique comme un ensemble de pratiques agricoles respectueuses des équilibres de la nature, du bien-être animal, de principes sociaux et humanistes. L'agriculture biologique peut ainsi constituer un pendant « durable » au modèle agricole productiviste.

Agriculture biologique : principes techniques au service d'une éthique de la production agricole

5L'IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements) définit dans cette optique une liste de principes techniques et éthiques de l'agriculture biologique (tableau 5) :

• Principes écologiques : ils prévoient le maintien et l'amélioration de la qualité des sols et la réduction des pollutions, l'utilisation de végétaux et d'animaux adaptés au milieu, le recyclage des déjections, le bien-être animal, l'économie d'énergie.

• Principes sociaux et humanistes : ils mentionnent le rapprochement entre producteurs agricoles et consommateurs, l'équité dans les relations commerciales avec les producteurs agricoles, la solidarité internationale, le maintien des paysans à la terre.

• Principes économiques : la promotion d'entreprises à échelle humaine, le maintien de marchés locaux, de prix équitables.

6Voici les principes de l'agriculture biologique selon l'IFOAM (IFOAM, Bâle, 2000).

Tableau 5 - Les principes de l'agriculture biologique selon l'IFOAM

Agriculture biologique : une réglementation européenne et française

7Les institutions des pays occidentaux se placent dans une perspective de certification de l'agriculture biologique, comme de toute « normalisation » destinée à faciliter les échanges commerciaux à courte ou longue distance. Cette certification se base sur des définitions réglementaires qui donnent lieu à des contrôles. En Europe, la base juridique pour l'agriculture biologique est constituée par le règlement 2092/91 pour les productions végétales, et 1804/99 pour les productions animales.

8La définition réglementaire retenue par l'Union européenne reprend en général les principes de l'IFOAM. L'adoption de ce cadre réglementaire est apparue comme un moyen permettant à l'agriculture biologique de se positionner, de manière crédible, sur le marché que constituent les produits de qualité.

9Les dispositions réglementaires tendent à être précises et contrôlables. La réglementation européenne définit un mode de production agricole pour les végétaux et animaux (tableau 6), réglemente l'étiquetage, la transformation, l'inspection et le commerce de produits de l'agriculture biologique à l'intérieur de la communauté, ainsi que l'importation de ces produits en provenance de pays tiers.

10Cette réglementation comprend notamment une annexe 1, liste des principes applicables en agriculture biologique, qui reprend les aspects techniques des règles de l'IFOAM, et une annexe 2, liste limitée d'intrants utilisables en agriculture biologique.

Tableau 6 - Réglementation européenne sur l'agriculture biologique (extrait)

11S'agissant d'une approche réglementaire, les principes de l'IFOAM se trouvent être imparfaitement pris en compte dans la réglementation, en particulier du point de vue « éthique » que défend cette dernière. La déclinaison de ces aspects est laissée à l'initiative du producteur, qui peut aussi se limiter à une approche technico-économique, pratiquant une agriculture qui n'utilise que les intrants autorisés. Pour ces derniers producteurs, l'agriculture biologique consiste, comme une autre forme d'agriculture, à répondre à un marché particulier.

12Les autres pays et espaces régionaux dans le monde ont également mis au point des systèmes de certification, plus ou moins équivalents entre eux, notamment les principaux importateurs que sont les États-Unis et le Japon.

13Par ailleurs, des millions de petits paysans dans le monde, particulièrement dans les pays en développement, et des centaines d'initiatives tendant à améliorer la productivité de l'agriculture en se basant sur les ressources locales sont, de fait, des agriculteurs qui peuvent être considérés comme pratiquant une agriculture agro-écologique basée autant que faire se peut sur des ressources naturelles.

14Enfin, une proportion d'agriculteurs pauvres pratique une agriculture traditionnelle qui n'utilise pas non plus d'intrants extérieurs, par manque de ressources. Ces systèmes ne sont pas à relier à l'agriculture agro-écologique, du fait de leurs faibles performances en termes de productivité et de maintien de la fertilité. Dans ces contextes, l'agriculture agro-écologique, et l'agriculture biologique qui en est issue, peuvent apporter des techniques susceptibles d'augmenter les rendements et la productivité.

15Au niveau mondial, coexistent donc une agriculture biologique certifiée et réglementée de différentes façons (nommée AB dans la suite du rapport), une agriculture agro-écologique (AE), non encore certifiée, ou cherchant des voies nouvelles de certification en lien avec l'IFOAM, et une agriculture traditionnelle, pratiquée par la plus grande partie des agriculteurs du monde, la majeure partie d'entre eux étant d'ailleurs située dans le tiers-monde.

16Il existe aussi d'autres formes d'agriculture pratiquées, quant à elles, dans les pays développés, basées sur l'utilisation d'intrants chimiques de synthèse : l'agriculture conventionnelle (nommée AC dans la suite du rapport). Cette forme d'agriculture est dominante en Europe et aux États-Unis. Son développement a fait l'objet d'un large consensus social au sortir de la Seconde Guerre mondiale car elle a permis d'atteindre et de dépasser l'autosuffisance alimentaire.

17Mais une fois le seuil de satiété quantitative atteint, les consommateurs, les citoyens et les producteurs agricoles ont commencé à remettre en cause ce modèle, notamment en raison de ses effets nocifs sur l'environnement, voire la santé, et notamment celle des agriculteurs qui utilisent certains produits phytosanitaires. L'agriculture raisonnée (AR) et l'agriculture intégrée visent à limiter l'utilisation d'intrants et/ou à mettre en œuvre des techniques naturelles pour limiter la pollution d'origine agricole et améliorer la qualité des produits.

18Certaines techniques sont utilisées par l'AB et également par l'AR (jachères, lutte biologique, rotations...). Il est possible d'organiser une synergie entre les secteurs, et certaines recherches sont utiles à la fois au développement de l'AR et de l'AB. Mais à la différence de l'AB, L'AR autorise les fertilisants et les traitements chimiques de synthèse.

19L'AB certifiée est minoritaire voire marginale en termes de surfaces et nombres d'exploitations concernées, mais l'agriculture traditionnelle et l'AE, toutes deux basées en grande partie sur l'utilisation de ressources naturelles, couvrent de fait la plus grande partie des terres cultivables dans le monde, et fournissent de la nourriture à la plus grande partie de la population de la planète.

Représentations de l'agriculture biologique

Agriculture biologique « éthique » et agriculture biologique « commerciale »

20À travers les tenants d'une agriculture biologique « éthique » et les adeptes d'une agriculture biologique « commerciale » s'opposent les catégories de « producteurs pionniers » et de « nouveaux producteurs » biologiques, tout autant que des types d'entreprises et des organisations professionnelles, dans les pays développés comme dans les pays en développement.

21Les « producteurs pionniers » ont fait un choix de développement agricole fondé sur des valeurs qui ne dépendent pas uniquement de l'état du marché. Ils ont choisi de se placer dans le respect de principes écologiques et éthiques, sans négliger toutefois l'aspect économique, puisqu'ils vivent de cette forme d'agriculture. On trouve dans cette catégorie des agriculteurs souvent installés depuis plus de dix ans.

22Les « nouveaux producteurs » biologiques ont démarré leur activité plus tard, à la fin des années 1990. Ils développent une production agricole biologique en réponse à un marché, mais sont susceptibles de l'abandonner si les conditions économiques ne sont plus favorables, tandis que les « producteurs pionniers » ont fait un choix de développement plus stable.

23Du côté des entreprises de transformation ou de la distribution, on note une coexistence d'entreprises entièrement consacrées à la transformation ou à la distribution de produits Bio, généralement des PME (par exemple le réseau Biocoop en distribution), et d'entreprises pour qui le secteur Bio est une diversification, la majorité de leur chiffre d'affaires étant réalisée avec des produits d'AC (par exemple les grandes et moyennes surfaces). L'existence même des premières étant liée au secteur Bio, elles ne sont pas susceptibles de l'abandonner rapidement. Au contraire, les secondes peuvent changer de stratégie en fonction de l'environnement économique. Cela peut occasionner de réelles difficultés aux producteurs dans certaines filières. En France, l'exemple des producteurs laitiers regroupés au sein du GIE Biolait face au groupe Lactalis a été analysé, de même qu'ont été étudiées les renégociations des contrats du groupe Auchan avec les producteurs de viande bovine Bio. Dans les deux cas, les difficultés affectent l'ensemble des agriculteurs biologiques de la filière. Les recherches menées par l'Inra ont montré que l'essentiel du développement des marchés de l'agriculture biologique depuis les années 1990 repose sur les « nouveaux producteurs », et l'implication des « grandes et moyennes surfaces » en distribution. Ces catégories ne sont évidemment pas étanches ni systématiques.

24Ce phénomène se constate en Martinique, en Europe et dans le monde. C'est une conséquence de l'histoire de la constitution du mouvement de l'agriculture biologique, des définitions et de la certification qui en sont les aboutissements (en Europe comme dans les autres pays), et du développement économique du secteur.

25Ce processus n'est pas particulier à l'agriculture biologique, c'est l'histoire de plusieurs signes de qualité en France (Label Rouge, appellations d'origine...), toutes normes constituées à l'origine à l'initiative de professionnels « pionniers ».

Certification « officielle », certification par groupes et certification participative

La certification « Bio » en France et en Europe

26L'agriculture biologique certifiée (au sens du règlement européen) prévoit la certification officielle par un organisme certificateur agréé selon la norme européenne EN 45011. En France, six organismes basés en France métropolitaine sont actuellement agréés.

27En Martinique, les agriculteurs biologiques certifiés regroupés au sein de l'association Bio des Antilles étaient, jusqu'en 2003, contrôlés par l'organisme certificateur « Qualité France ».

28En 2004, cet organisme certificateur ne disposant pas de base aux Antilles s'est désengagé de ces contrats, la certification nécessitant de faire appel à des missions depuis la métropole, ce qui en rend le coût élevé et l'organisation complexe. Les producteurs sont donc dépendants des choix commerciaux de l'organisme certificateur. Ainsi, la certification de l'exploitation biologique « pilote » menée par le Cirad en association avec un lycée agricole ne pourra pas être organisée, ce qui risque d'occasionner un retard de un an dans la certification. Cela retarde d'autant la possibilité de commercialiser les produits en bio, et handicape le développement de l'agriculture biologique sur l'île.

29Le producteur certifié peut utiliser les mentions « agriculture biologique » ou « biologique » et leurs dérivés sur l'étiquette, le logo AB en France, et le logo européen. L'utilisation de ces logos est un avantage certain sur les marchés. En effet, selon le baromètre CSA pour l'Agence Bio, la quasi-totalité des consommateurs de produits biologiques fait référence à l'étiquetage, à l'utilisation du logo AB, des mentions « agriculture biologique », ou de l'organisme certificateur comme moyen de s'assurer de la qualité « Bio » du produit. Le signe de qualité officiel « agriculture biologique » est par ailleurs bien connu des consommateurs en général.

30La certification est obligatoire pour exporter des produits vers la métropole si le producteur entend valoriser le caractère « Bio » du produit, c'est-à-dire utiliser la mention « biologique » ou ses dérivés sur l'étiquetage des produits.

31La certification est aussi obligatoire si le producteur commercialise ses produits, même en Martinique, et utilise la mention « biologique » sur l'étiquetage. La certification est donc obligatoire pour valoriser le caractère « Bio » du produit dans les circuits longs de commercialisation, en particulier les grandes surfaces.

32Elle concerne au premier plan les moyennes et grandes exploitations même si certaines petites exploitations peuvent souhaiter y avoir recours pour accéder à des marchés où elle est indispensable. Cette certification représente un coût difficile à supporter pour de petites exploitations qui doivent la rentabiliser sur de faibles volumes de production (à l'exception de productions de très forte valeur). En contrepartie, elle permet d'assurer le consommateur de la qualité « biologique » du produit, ce qui est indispensable lorsqu'il n'y a plus de relation directe entre producteur et consommateur.

33En fonction des choix faits par les décideurs, le coût élevé de la certification peut être en partie compensé par des aides aux agriculteurs.

La certification pour les petits producteurs

34Dans de nombreux pays en développement, l'agriculture biologique certifiée répond d'abord à la demande des marchés des pays développés. Le processus de certification est donc maîtrisé par les quelques organismes certificateurs de ces pays développés. Par ailleurs, la grande partie de la valeur ajoutée est captée par les acteurs en aval (transformation et distribution), au détriment des producteurs agricoles.

35Pour ces raisons, de nombreux pays en développement créent leur propre système de certification et leurs propres organismes certificateurs. L'IFOAM peut reconnaître ces organismes certificateurs par l'intermédiaire de l'IOAS (Service international d'accréditation pour l'agriculture biologique).

36Par ailleurs, ce système de certification est basé sur un règlement unique, ce qui ne favorise pas la prise en compte de spécificités locales. Il contribue aussi à éloigner du mouvement de l'agriculture biologique une grande partie des petits producteurs, d'une part parce qu'il conduit à des coûts de certification élevés, d'autre part parce qu'il occasionne des contrôles, la tenue de documents complexes, ce qui est souvent inapproprié à la réalité de l'agriculture familiale et de la petite production. Enfin, il ne valorise pas la relation directe entre producteurs et consommateurs.

37Pour ces raisons, l'IFOAM soutient une démarche de « certification par groupe »1. L'IFOAM reconnaît que si les groupes de petits agriculteurs développent un système de contrôle interne (Internal Control System ou ICS), une inspection annuelle par un organisme certificateur tiers assure un système de garantie efficace. En outre, ce système contribue au renforcement de la capacité managériale du groupe.

38Enfin, dans certains pays comme le Brésil, des groupes de producteurs et de consommateurs militent pour une « certification participative ». Les promoteurs de ce type de certification et notamment le réseau Ecovida considèrent que l'agro-écologie et l'agriculture familiale ont un objectif essentiel en matière de rapprochement des producteurs et des consommateurs, alors que l'agriculture industrielle tend au contraire à les éloigner. La certification doit alors être un outil au service du projet social du groupe, et pas seulement un processus visant à l'obtention d'un label pour accéder au marché. Cette certification participative est basée sur la mobilisation de réseaux sociaux liés aux producteurs, mais aussi aux consommateurs, voire aux transformateurs. Il ne nécessite pas moins de travail, d'engagement et de transparence de la part des producteurs, mais ces exigences sont satisfaites différemment : par des réunions avec les consommateurs, l'élaboration de chartes, l'organisation de visites de consommateurs...

39C'est alors l'organisation du contrôle social autour de la « certification participative » qui assure le consommateur de la qualité biologique du produit. Cette forme de certification n'a pas atteint une forme complètement élaborée mais l'IFOAM organise la réflexion sur ces questions. Ce type de certification, qui évite les coûts de certification par un organisme officiel accrédité, concerne au premier plan les petites exploitations, qui commercialisent sur les marchés locaux et conservent des relations avec leurs consommateurs (vente directe, marchés de proximité).

40En Martinique, les agriculteurs développant une production pour la vente directe, ou les agriculteurs du groupe Orgapeyi qui pratiquent déjà une politique de rapprochement avec l'association de consommateurs « Capable », pourraient développer des outils dans le cadre d'une certification participative.

41Le tableau 7 résume les principales formes d'agriculture et les modes de certification accessibles, par ordre d'importance décroissant de leur investissement pour la préservation de l'environnement.

Tableau 7 - Propositions de désignation des modes de production agricoles selon leur investissement dans le respect de l'environnement

Application des principes techniques de l'AB à la Martinique

Utiliser les cycles naturels au profit de l'agriculture

42En limitant fortement le recours aux intrants chimiques de synthèse2, l'agriculture biologique requiert de l'agriculteur qu'il utilise de façon optimale les ressources naturelles à sa disposition sur l'exploitation. Connaître ces ressources naturelles, évaluer leur potentiel et savoir les valoriser avec un système agricole, tout cela réclame souvent plusieurs années d'expérience. Par rapport à l'AC, la « conversion » à l'AB exige un changement des modes de raisonnement agronomiques, de l'organisation de l'exploitation, depuis la nature des produits cultivés ou d'élevage, jusqu'aux filières de commercialisation.

43Un agriculteur familiarisé à l'AC doit mobiliser des compétences différentes pour maîtriser la même exploitation conduite en AB ; mais il doit aussi compter avec des réseaux différents, impliquant tant des fournisseurs, des techniciens, que des circuits commerciaux.

• La gestion de la fertilité des sols et de la santé des plantes et des animaux repose sur des pratiques agronomiques différentes et souvent plus complexes que celles de l'AC.

• Les intrants utilisés en AB sont différents de ceux utilisés en AC. Leur mise à disposition suppose la mise en place de filières spécifiques.

• L'introduction de rotations suppose la production, et donc la commercialisation, de plusieurs produits, voire de produits de culture et d'élevage, soit au sein d'une même exploitation, soit par accord entre plusieurs exploitations.

• Le conseil technique en AB est le fait de réseaux de compétences spécifiques, et aujourd'hui assez rares.

44En la matière, il est donc essentiel que l'agriculteur soit compétent et motivé car ce type d'agriculture nécessite à la fois une bonne compétence agronomique et une bonne connaissance des caractéristiques de l'exploitation afin d'en tirer parti. L'acquisition de cette connaissance prend souvent plusieurs années pour une exploitation. Ce potentiel ne peut s'exprimer que dans le cadre d'une stabilité du foncier, avec des garanties d'exploitation à plus ou moins long terme, la gestion de la fertilité du sol n'étant en effet possible que sur plusieurs années.

La rotation : une pratique fondamentale en agriculture biologique

45Parmi les pratiques utilisées en AB, celle des rotations culturales arrive en tête dans la gestion des problèmes de parasitisme, de maladie, et d'adventices, principal problème rencontré par les agriculteurs. Elles jouent également un rôle dans le maintien de la fertilité des sols. C'est dire l'importance des rotations culturales en AB.

46La diversité des systèmes racinaires superficiels ou profonds, des rythmes de prélèvement, de la nature des exigences des plantes en éléments fertilisants et de la composition des résidus de culture permet la gestion de la fertilité du sol par la rotation des cultures.

47L'alternance des espèces, voire des variétés sur la parcelle, contribue à la gestion préventive des problèmes phytosanitaires.

48La diversité des cultures, l'alternance des semis, l'introduction de prairies artificielles en système polyculture sans élevage, d'une céréale ou de la canne à sucre en Martinique dans un système maraîcher, sont des éléments importants pour maîtriser de façon préventive les adventices.

49C'est le métier de l'agriculteur d'associer ces données, pour arriver à des rotations optimales. La recherche peut proposer des indications sur les options les plus avantageuses en général. L'AB préconise des rotations longues, ce qui implique, en dehors du maraîchage et des jardins créoles, une taille minimale d'exploitation, ou, selon des modalités à étudier, des accords entre exploitations.

Travailler le sol en préservant sa qualité Bio

50Le travail du sol en AB (comme en AC) vise à désherber, à ameublir le sol et à fragmenter la couche superficielle pour permettre l'enracinement des plantules et l'incorporation de résidus de récolte et fertilisants. Ce faisant, le travail du sol permet aussi d'augmenter la perméabilité superficielle, ce qui rend l'irrigation plus efficace, d'amorcer la minéralisation pour libérer les nutriments du pool organique et de stimuler l'activité biologique. Une bonne structure du sol est un des éléments importants pour la garantie de cultures saines.

51Pour préserver les propriétés du sol, l'agriculture biologique recommande de travailler le sol en surface, avec des outils spécifiques à ce type d'agriculture, procédant en arrachement. Deux contraintes doivent impérativement être levées dans le cadre du développement d'une agriculture biologique en Martinique : d'une part, le déficit en conception et réalisation endogène d'outils adaptés aux contraintes et objectifs de l'agriculture martiniquaise et d'autre part le recours fréquent au labour par des entrepreneurs (l'agriculteur ne pouvant effectuer les façons culturales que lorsque l'entrepreneur est disponible, il n'a donc pas d'autonomie de décision).

À propos de l'utilisation de semences biologiques

52L'agriculture biologique utilise le plus souvent des semences et plants issus de l'agriculture conventionnelle. Depuis le 1^er janvier 2004, obligation est faite par la réglementation d'utiliser des semences et plants biologiques. Une dérogation à cette disposition du 1^er janvier 2004 a été élaborée et un règlement prend d'ores et déjà en compte cette situation. En l'absence d'inflexion de la politique, il faudrait s'attendre, pour certaines espèces, à une forte réduction du choix variétal (maraîchage, semences fourragères), et même pour d'autres espèces à une quasi-absence de variétés biologiques. Des dérogations exceptionnelles seront certainement encore nécessaires dans les prochaines années pour ne pas trop pénaliser le marché des produits biologiques.

53Ce débat est particulièrement important en Martinique, car les exploitations s'apparentant au « jardin créole » cultivent une grande variété de plantes, façon de procéder qui est à la base de leur efficacité technique (faibles attaques par les ravageurs du fait de la biodiversité). Or, le nombre de variétés disponibles en Bio risque d'être restreint. Il est donc important que les agriculteurs de la Martinique fassent valoir la spécificité de leur situation pour pouvoir continuer à cultiver en AB la grande diversité des plantes vivrières adaptées à leur terroir, en l'absence de semences Bio certifiées. Ce débat est en cours notamment en lien avec la FNAB (Fédération nationale de l'agriculture biologique).

54Il n'existe pas, aujourd'hui, de filière de production ou de distribution de semence et plants Bio à la Martinique. Cependant, des plants de variétés rustiques locales et/ou introduites depuis longtemps sont auto-produits sur l'exploitation ou échangés commercialement entre agriculteurs biologiques. A défaut de pouvoir trouver des semences Bio, les producteurs doivent utiliser en priorité des semences conventionnelles non traitées et, s'ils n'en trouvent pas, des semences conventionnelles ayant reçu au maximum deux matières actives. En Europe, certaines semences sont disponibles en Bio (plantes potagères, maraîchage, céréales), pour d'autres la production Bio est délicate (pépinière viticole). Les recherches doivent se poursuivre sur plusieurs thèmes, notamment sur des procédés de désinfection des semences compatibles avec le cahier des charges de l'AB.

Les intrants de l'AB garants de la fertilité des sols

55Le maintien des bilans de fertilité des sols en agriculture biologique passe par des restitutions organiques en cycle aussi fermé que possible. Cette fertilité des sols repose sur la matière organique, l'azote, le phosphore et les cations basiques (potassium, magnésium, calcium).

56La matière organique joue un rôle déterminant dans la fertilité des sols. Sa gestion est donc primordiale dans le cadre d'une agriculture écologique, qu'elle soit de type agriculture biologique certifiée ou organique non certifiée. Les sols de Martinique, sauf les sols peu évolués sur cendres et ponces, sont naturellement riches en matière organique (jardins créoles agro-forestiers, vivriers associés et rotations avec prairies pâturées par animaux à l'attache).

57Le concept d'amendement organique à effet à moyen terme (notamment le compost très utilisé en agriculture biologique en climat tempéré) est à reconsidérer sous les tropiques car les cinétiques de minéralisation sont très rapides. Dans ce contexte climatique, la seule manière de remonter le stock organique et azoté d'un sol consiste à mettre en rotation des cultures sarclées et des cultures pérennes couvrantes recevant un apport d'azote ou mieux fixant l'azote (légumineuses).

58Les plantes non fixatrices de l'azote atmosphérique cultivées en association (plantes à tubercules comme le dachine, l'igname, les malangas, la patate douce) ont un cycle suffisamment long pour que l'intensité des prélèvements azotés soit faible. Mais beaucoup de cultures, en particulier maraîchères, demandent des apports azotés exogènes ou devront être mises en place en rotation avec d'autres types de cultures (dont vivrières).

59Cette gestion des stocks organiques et de l'azote se heurte en Martinique à deux contraintes : d'une part, la mise en rotation pluriannuelle suppose que l'exploitant dispose d'une surface suffisante, et d'autre part qu'il pratique l'élevage en plus des spéculations sarclées ou qu'un accord entre plusieurs exploitants soit trouvé. Par ailleurs, les ressources organiques, pourtant potentiellement multiples à la Martinique (pour peu qu'elles soient agréées en agriculture biologique), ne sont pas organisées en filières de préparation et distribution (boues de stations d'épuration, compostage de déchets verts, bagasse, fumier, déchets ménagers).

60Les boues d'épuration urbaine sont interdites en agriculture biologique. Certains experts pensent qu'il est nécessaire d'étudier les moyens d'obtenir une dérogation prenant en compte la qualité exceptionnelle de ces boues en Martinique, et ce afin de ne pas gaspiller cette ressource riche en azote et phosphore. D'autres soulignent l'image très négative que ces boues ont auprès des consommateurs, ce qui risquerait, si elles étaient employées, de ternir l'image de la production Bio aux yeux des consommateurs.

61En Martinique, le principal problème tient aux déficiences, notamment en potassium et en phosphore, qui sont observées de manière générale. Les sols les plus anciens ou acides comportent des pools très limités de phosphore et potassium assimilables par les plantes. Pour les sols jeunes, et les andosols et ferrisols ayant bénéficié d'apports dans le cadre de l'AC, les quantités pourraient être suffisantes pour assurer les besoins des plantes pour plusieurs années. Les ressources limitées en ces deux éléments risquent pourtant d'être un des facteurs limitants pour le développement de l'AB en Martinique, car les sources locales de ces éléments sont réduites (cendres de combustion des végétaux, boues d'épuration urbaines) et les sources exogènes agréées par l'AB sont lointaines.

Santé des plantes en agriculture biologique

62En AB, les rotations longues, les associations de culture et les assolements adaptés contribuent à contenir les bio-agresseurs, notamment grâce au maintien ou à la promotion d'une biodiversité régulatrice.

63La résistance variétale est une voie élégante de contrôle des bio-agresseurs, mais les variétés ne sont pas forcément disponibles pour la majorité des espèces cultivées et en regard de la diversité des bio-agresseurs susceptibles de les affecter. En outre, les semences utilisables en AB devront êtes produites en conformité avec le cahier des charges de l'AB, et la question de l'existence de semences certifiées en Bio pour les variétés locales vivrières en Martinique reste pendante.

64Si l'intervention curative est nécessaire, l'AB utilise les pyréthrines naturelles, les roténones, des méthodes de lutte biologique (Bacillus thuringien-sis), la confusion3 par usage de phéromones pour le contrôle des insectes.

65Il est nécessaire d'accroître les connaissances sur le fonctionnement des agro-écosystèmes afin de générer dans l'avenir de nouvelles méthodes de lutte. Des recherches complémentaires pour élargir la panoplie des produits phytosanitaires seraient également utiles. Ce type de recherche serait utile pour l'AB mais également pour l'agriculture en général. En effet, l'usage de pesticides de synthèse n'est pas exempt d'inconvénients pour les produits et les agriculteurs qui les appliquent ; les produits phytosanitaires naturels pourraient apporter des solutions nouvelles plus efficaces et plus respectueuses de l'environnement.

Typologie des exploitations et possibilités de conversion en AB

66Le tableau 8 résume les atouts et contraintes techniques générales relatifs à la mise en œuvre d'une AB dans le contexte de l'agriculture martiniquaise.

67Il résulte de ce schéma général que les petites exploitations de moins de 5 hectares, basées sur des techniques traditionnelles, et les exploitations moyennes (5 à 20 hectares) basées sur des rotations longues et éventuellement la polyculture-élevage sont a priori celles pour lesquelles la conversion pourrait être la plus aisée. Les grands domaines pourraient être avantagés en raison de leur capacité d'investissement, mais il leur sera sans doute difficile de modifier leur système commercial.

68Les petits exploitants dont les systèmes agricoles sont proches des pratiques traditionnelles utilisent de fait des techniques et des raisonnements valorisés par l'agriculture biologique : rotations, associations de l'agriculture et de l'élevage pour la gestion de la fertilité, diversification des espèces cultivées, faibles apports d'intrants. C'est en particulier le cas de certains petits exploitants dont les systèmes sont proches des « jardins créoles » à la Martinique.

69Cependant, les modes de transmission traditionnels de ces pratiques agricoles adaptées au terroir ne véhiculent pas les déterminants agronomiques de ces pratiques qui permettraient à ces agriculteurs d'innover. Les organismes de développement s'y intéressant peu, il y a un risque réel de perte de savoir-faire. La recherche n'y pourvoyant guère également, des systèmes qui rendraient compatibles l'innovation et la tradition ne sont pas mis au point aussi vite qu'il le faudrait. On doit cependant noter que ces types d'exploitations correspondent peu aux schémas socio-économiques agricoles actuels, avec beaucoup de pluriactivité, un statut du foncier précaire, une viabilité incertaine, des circuits commerciaux parfois informels voire parallèles.

Tableau 8 - Atouts et contraintes techniques pour l'AB en Martinique

70Les exploitations moyennes sont dotées de la surface suffisante pour organiser de longues rotations, la stabilité du foncier y est en général assurée sur le long terme. Le professionnalisme de cet exploitant qui, de plus, travaille en général à plein temps le situe favorablement pour pratiquer une agriculture nécessitant une grande compétence agronomique et de la disponibilité pour la surveillance des cultures et des animaux.

71Pour les exploitations qui se convertissent à l'AB, une fois la « conversion » effectuée, le nouveau système agronomique fonctionne sur de nouvelles bases. Il peut être très stable, mais la période de « conversion » et d'apprentissage requiert de la part de l'agriculteur, outre des compétences agronomiques solides, un réseau d'appui efficace en termes de conseils techniques opérationnels et une capacité à gérer les conséquences économiques en termes de perte de revenu. Cette perte de revenu est souvent inéluctable pendant la période de conversion, car la production est moindre et les prix sont inférieurs à ceux d'une production certifiée en AB. Cette perte de revenu est théoriquement compensée par les aides à la conversion.

72Pour les grandes exploitations, comme pour les plus petites, les systèmes restent à mettre au point.

Conséquences des principes techniques pour les principales productions en AB

La banane biologique

73Jachères et vitroplants sont à la base du système actuel de culture de banane export. La monoculture a pratiquement disparu. La pratique de la jachère (permettant d'assainir le sol des nématodes et charançons) et du vitro-plant (qui n'en porte pas) a permis de développer un système « matériel sain implanté sur un sol sain ou assaini », et de produire de la banane dans des conditions plus satisfaisantes de protection de l'environnement avec des systèmes de culture et itinéraires raisonnes. La technique du vitroplant n'est pas à l'heure actuelle clairement autorisée en AB4, ce qui est un handicap au développement d'une filière Bio en Martinique. La culture de la banane biologique est techniquement possible en Martinique, comme dans les pays voisins qui en produisent déjà. Elle peut se concevoir à titre de production de diversification, dans la partie sud de l'île, ce qui impose une irrigation à partir du barrage de la Manzo, avec des difficultés prévisibles d'accès à l'eau. La disponibilité du foncier dans la zone rend difficile la création de nouvelles plantations sans réduction des plantations actuelles, à moins d'inciter ces dernières à une conversion.

74La production de banane Bio doit s'inscrire dans un cadre qui dépasse la propre filière banane afin d'intégrer les principes de rotation culturale et des cultures associées, y compris avec des espèces à débouché local. Ces pratiques existent déjà dans une partie des exploitations qui appliquent des techniques plus respectueuses de l'environnement.

75On devra aussi faire face à des défis structurels parmi lesquels il ne faut pas hésiter à ranger le scepticisme des principaux opérateurs de la filière banane. Toutefois, il faut souligner qu'une coopérative rencontrée dans le cadre de l'expertise collégiale est prête à s'engager dans des essais de production et commercialisation de banane Bio. La tendance au tassement des prix sur les marchés est un facteur défavorable dans un contexte où les coûts de main-d'œuvre sont, en Martinique, supérieurs à ceux des concurrents, les pays ACP (Afrique Caraïbe Pacifique) et les pays d'Amérique centrale et du Sud (« zone dollar »), et notamment la République dominicaine. À terme, un positionnement sur des produits à haute valeur ajoutée serait donc particulièrement avisé.

76Les débouchés pour la banane dessert pourraient être l'exportation, sous réserve de trouver une niche de marché, et de respecter le seuil minimal d'existence sur le marché de 300 t/ an, compatible avec les capacités de production en Martinique. Les débouchés sur le marché local permettent de compléter le dispositif de commercialisation et de sécuriser l'écoulement de la production.

77La banane plantain biologique pourrait être produite dans le cadre de petites exploitations de polyculture, essentiellement pour le marché local. Actuellement, le bananier plantain est essentiellement cultivé par de petits exploitants sur des surfaces rarement supérieures à 1 ou 2 hectares.

78Une mise au point avec la recherche de référentiels techniques adaptés en AB (rotations, associations avec l'élevage...) reste à faire dans les deux cas.

La canne à sucre biologique

79La canne à sucre connaît peu d'affections par les maladies, et les méthodes de lutte intégrée existent si l'on constate une infestation importante par les insectes. La question de la gestion des adventices et celle de la nutrition de la plante peuvent trouver une solution avec une culture intercalaire légumineuse pour l'azote, et des cultures de service dans l'inter-rang (patate douce ou pois d'Angole). En canne de repousse, le paillage avec les résidus de l'année précédente assurerait une solution aux problèmes. Les contraintes techniques à la production de canne Bio sont donc faibles, en dehors de la question de la lutte contre les rongeurs. Les raticides anticoagulants utilisés en culture conventionnelle ne sont pas autorisés en Europe, et les raticides biologiques employés dans les Caraïbes ne sont pas autorisés à l'importation car ils sont basés sur une bactérie potentiellement pathogène pour l'homme (Salmonella). Il conviendrait de trouver une autre solution ou d'obtenir une dérogation. Le passage de la canne à sucre en AB implique la proscription du brûlage à la récolte.

80Produire du sucre Bio exige ensuite d'organiser la collecte et l'usinage sans interférence avec les mêmes processus conduits en non Bio. Le procédé de transformation doit également éviter les floculants chimiques, ce qui est techniquement possible mais conduit à des pertes de rendement. Il est possible d'utiliser la même sucrerie pour produire du sucre Bio ou non Bio, en traitant par exemple le sucre Bio en début de campagne. Mais la récolte de la canne ne se faisant que pendant une période de l'année bien définie (de février à juin à la Martinique), et la canne ne supportant pas de retard dans le traitement sous peine de déficit de rendement, ce type d'organisation induit souvent des pertes importantes. On assiste donc plutôt, dans d'autres pays producteurs, à des démarches de spécialisation : certaines unités sucrières se spécialisent dans la transformation Bio.

81Actuellement, la canne est cultivée en Martinique pour le sucre, pour le rhum et pour la canne de bouche, dans des filières distinctes, sur des surfaces qui le sont aussi.

82La canne de bouche cultivée sur tout le territoire est difficile à comptabiliser. Elle est vendue pour la fabrication de jus et la confection de bâtonnets à mâcher. Cette production relève de la diversité des plantes cultivées dans les jardins créoles et petites exploitations. La canne de bouche pourrait être produite en Bio par de petites exploitations de polyculture.

83La transformation en rhum est assurée par des distilleries, avec une démarche récente de reconnaissance en « Appellation d'origine ». La production de rhum Bio n'est pas le premier créneau à viser compte tenu d'une valorisation déjà attestée du produit avec l'AOP (« Appellation d'origine protégée »), ce qui ne signifie pas qu'il faut en exclure l'éventualité.

84La transformation en sucre est assurée dans une seule usine, celle du Galion, dont le fonctionnement est déjà subventionné. L'alimentation en canne de l'unité sucrière du Galion est assurée par un réseau particulier de fournisseurs au sein duquel l'Exploitation agricole du Galion représente plus de 40 % du volume de livraison, soit 36 000 à 38 000 tonnes/an. L'usine produit 6 000 à 8 000 tonnes de sucre, ce qui ne couvre pas les besoins de la Martinique (équivalant à 14 000 tonnes par an). Bien souvent, le sucre roux (de bouche) produit dans cette usine ne satisfait pas pleinement les exigences de qualité pour le secteur industriel ce qui se traduit par un recul de la demande des industriels. Pour la production de sucre Bio, il faut modifier les principes de production de la canne, le procédé de fabrication du sucre (et du rhum industriel) et s'assurer d'un marché. Deux scénarios peuvent être proposés (qui concernent aussi la production de rhum industriel).

85Une production exclusive de sucre Bio nécessite que l'on s'assure que toutes les cannes provenant à l'usine sont certifiées Bio. Les contraintes sont ensuite essentiellement d'ordre technique dans la mesure où l'usine doit pouvoir produire du sucre sans floculants chimiques, ce qui entraîne des coûts plus importants, mais c'est techniquement possible et déjà pratiqué dans les autres pays producteurs de sucre Bio.

86La production mixte de sucre Bio et non Bio au sein d'une même sucrerie est également possible. Comme dans les autres secteurs industriels, les cahiers des charges imposent de séparer chronologiquement ou physiquement le traitement du sucre Bio et conventionnel, ce qui engage des coûts et des pertes de rendement (traitement des cannes Bio en tête de campagne par exemple).

87Compte tenu de la situation actuelle de la sucrerie du Galion, il peut être intéressant d'envisager, à terme, de la spécialiser en Bio. Comme elle est déjà déficitaire et subventionnée, il y aurait avantage à justifier ces financements par un projet fondé sur une valeur éthique et environnementale, de même que cela permettrait de rendre visible un plan de développement de l'AB, aussi bien pour les habitants de l'île qu'auprès des touristes qui apprécieraient le punch constitué pour tout ou partie d'ingrédients Bio. Cette décision devrait s'accompagner d'un plan de communication pour valoriser le produit et la démarche de respect de l'environnement qui y est associée.

88Du point de vue de la production de canne, une typologie des producteurs de canne à sucre distingue quatre groupes de planteurs qui se distinguent selon la taille de leurs exploitations et leurs pratiques culturales. Les petits planteurs (groupe A) gèrent eux-mêmes leur récolte, selon un mode de coupe à dominante manuelle. Ce mode de récolte mobilise les planteurs plusieurs mois, et leur activité est très centrée sur la canne. Ce groupe des petits planteurs intègre les métayers de l'exploitation agricole du Galion, localisés dans la région de Trinité et adhérents à la seule Cuma (Coopérative d'utilisation de matériel agricole) de canne, celle de « Malgré-Tout ». Les parcelles exploitées ont en moyenne de 2,5 hectares. Les planteurs du groupe B font appel à la location de service pour la récolte. Le reste de l'année est investi dans d'autres cultures, banane, cultures maraîchères et vivrières, élevage, ou pluriactivité. Les planteurs du groupe C ont investi dans du matériel agricole qu'ils louent. Leur activité est déterminante pour les autres exploitants. Le groupe D réunit les moyennes et grandes exploitations qui ont une exploitation en canne très stable, avec un débouché commercial assuré par exemple par couplage avec la transformation en rhum.

89Il résulte de cette typologie que les producteurs du groupe A sont ceux qui sont majoritairement concernés par la production de sucre dans l'usine du Galion. Ils sont déjà organisés collectivement. Les terres sur lesquelles ils cultivent sont susceptibles d'être indemnes de pollution par les organochlorés. Autant de facteurs favorables pour une conversion en AB.

90La décision de tout producteur de produire du sucre Bio implique un calcul de coût et de rentabilité, incluant le coût de la conversion, compensé en partie par un coût réduit d'intrants dû à la non-utilisation d'intrants synthétiques, prenant en compte une baisse, éventuellement provisoire, des rendements, un déclin éventuel des rendements de traitement, des coûts de travail supplémentaire lié à la culture manuelle et aux travaux de récolte. Une fois la conversion effectuée, le prix auquel il peut valoriser la canne Bio doit couvrir ses coûts de production.

91Par ailleurs, la culture de la canne en Bio et sa transformation produisent aussi des intrants pour l'agriculture biologique : écumes et composts fabriqués avec des matériaux de sucrerie : bagasse, écumes, vinasses, cendres, etc. Ainsi, la canne peut être considérée comme un élément « pivot » dans les rotations pour l'agriculture biologique en général (rotations incluant canne et banane par exemple). L'existence d'un outil de transformation de la canne en sucre Bio offrirait aussi un débouché aux agriculteurs biologiques en dehors des actuels planteurs de l'usine du Galion.

92Enfin, la présence d'une bonne structure d'encadrement de la production et d'organismes de recherche milite pour une conversion en AB de la sole en canne, destinée à la transformation en sucre dans l'usine du Galion, mais aussi pour la certification de la sucrerie. Cela aurait en outre l'avantage de permettre la production d'intrants pour les autres agriculteurs biologiques et, le cas échéant, ouvrirait un débouché pour les agriculteurs (ne livrant pas actuellement de canne à l'usine du Galion) développant des rotations dont la canne serait partie prenante.

93La première étape consisterait à réaliser une étude de faisabilité technico-économique précise, incluant les avis des producteurs sur cette opportunité, des modalités d'encouragement pour les producteurs, une analyse économique de la production de canne Bio, de sa transformation en sucre Bio, et de la communication qui pourrait y être associée.

Les cultures vivrières, le maraîchage et les fruits biologiques

94La production de tubercules Bio en Martinique est techniquement possible. Les contraintes techniques qui s'y attachent relèvent surtout de la production de semences indemnes d'agents pathogènes telluriques. La pratique généralisée de l'usage de la culture précédente ou de l'importation sans contrôle présente un risque sérieux de propagation d'agents pathogènes. La production de tubercules Bio doit donc s'accompagner de la mise en place d'un dispositif de semences assainies.

95Les bio-agresseurs de ces cultures sont d'incidence variable, toutes ne justifiant pas un traitement. Le parasitisme tellurique occasionne des dégâts aux récoltes de tubercules, et rend nécessaire la rotation de cultures (par exemple avec de la canne à sucre). Les pertes occasionnées lors des récoltes peuvent être énormes (plus de 50 %) mais on peut les diminuer en combinant diverses solutions, depuis l'association des cultures et des rotations jusqu'à l'utilisation de clones résistants mis au point par la recherche.

96L'igname, le dachine et la patate douce sont, avec la banane plantain, les trois premières productions vivrières selon le recensement agricole. D'abord cultivées pour l'autosubsistance, ces plantes à tubercules sont retrouvées dans les jardins créoles, en mélange d'espèces ou de cultivars pour l'igname, associées avec des légumineuses et des cucurbitacées. Progressivement, dans les années 1960, ces cultures sont devenues des cultures de rente, qui sont réalisées en monocultures ou en association ou en rotation (notamment après canne à sucre). Les techniques culturales en cours à la Martinique utilisent, même de façon restreinte, des éléments intéressants du cahier des charges de l'agriculture biologique (rotations, associations, amendements, etc.). Il existe une base qui, mieux organisée et rendue systématique, pourrait conduire à l'amélioration de la productivité des surfaces cultivées. Toutefois, l'igname, même de culture conventionnelle, est un produit onéreux en Martinique, et sa culture régresse, tandis que les importations sont en progression constante depuis plusieurs années. Cela laisse entrevoir, additionné au fait que l'igname est vendu plus cher que la pomme de terre même en non Bio, une tension sur les prix des tubercules Bio.

97Le maraîchage biologique est aussi techniquement possible. En Martinique, certains agriculteurs de l'association Bio des Antilles se sont lancés dans cette production. Toutefois, les contraintes sanitaires (bio-agresseurs et adventices) occasionnent des coûts de production élevés. Le développement de ces cultures est souhaitable dans un cadre de polyculture, et si possible de polyculture-élevage, pour réduire la pression phytosanitaire et améliorer la gestion de la fertilité des sols.

98La production de fruits biologiques en arboriculture, en vergers, semble difficile car les maladies des plantes constituent un obstacle sérieux au développement d'une production fruitière biologique. Connaissant la difficulté de mise en place d'une lutte raisonnée, encore en grande partie basée sur l'arsenal des produits phytosanitaires, les experts privilégient le développement de la production fruitière Bio tablant sur la participation des arbres fruitiers à différents systèmes de culture plutôt que sur la production en vergers biologiques. La production de plants biologiques ne semble pas devoir poser de problèmes pour les espèces et variétés locales, mais sans doute davantage pour les espèces comme les agrumes qui sont produites avec des matériels sélectionnés sans virus, et préservés des recontaminations par des abris anti-insectes.

99Si, techniquement, la production d'ananas Bio semble possible à la Martinique, cette culture devrait s'effectuer dans un cadre plus diversifié que la monoculture actuelle. D'un point de vue agronomique, les pratiques de substitution en termes de fertilisation et de protection des cultures en conduite biologique sont encore expérimentales et vont nécessiter encore de nombreuses recherches et des adaptations. Parmi ces difficultés, on peut citer la disponibilité d'une grande quantité de matière organique, les problèmes liés au désherbage (disponibilité de la main-d'œuvre), l'impossibilité de l'hormonage et ses conséquences sur l'étalement de la floraison et la variabilité de la qualité. Cet ensemble de difficultés risque, pour des raisons économiques, d'éloigner les producteurs traditionnels d'ananas de la conduite en AB pour le marché d'export et de transformation. En revanche, d'autres exploitants agricoles, fortement diversifiés et déjà investis dans l'agriculture biologique, pourraient sans aucun doute ajouter l'ananas biologique à leur gamme de produits frais, dans un premier temps pour le marché local, et pourquoi pas ensuite pour l'exportation si la qualité et la régularité de la production étaient confirmées.

Développer l'élevage biologique en association avec la production végétale

100L'élevage en Martinique regroupe sous un même terme des éleveurs professionnels, des éleveurs-cultivateurs et des propriétaires, souvent pluriactifs, de quelques animaux.

101Le secteur de l'élevage bovin comprend ainsi 200 éleveurs professionnels, 2 250 éleveurs-cultivateurs et 2 900 propriétaires d'animaux. La filière bovine est celle où la part de la production locale assurée par de petits éleveurs est la plus importante.

102L'élevage ovin et caprin ne relève pas, en général, d'une activité principale pour la famille. Il est associé à l'élevage bovin, et/ou aux productions végétales, et/ou à une activité extra-agricole. Il existe pourtant quelques grands élevages, conduits sur savane naturelle sans complément d'alimentation et appartenant en majorité à la coopérative Scacom5.

103Les élevages familiaux de porcs comprennent deux ou trois truies de races locales (porc créole ou cochon planche) ou métissées, alimentées par les résidus des cultures et les déchets domestiques. Les élevages spécialisés sont polarisés autour de la Coopmar6. L'alimentation des animaux se compose alors de céréales achetées dans la seule usine de l'île, et des écarts de triage de banane, montrant une possibilité concrète d'association agriculture-élevage.

104La production locale de poulets est peu développée en raison du coût prohibitif de l'alimentation qui doit être importée. Bien que la consommation de volaille augmente fortement et représente plus de la moitié de la consommation de viande en Martinique, la production locale de poulets de chair ne couvre que 5 à 10 % de la consommation. La contrainte d'importation de l'alimentation animale compromet également le développement d'élevages intensifs de poulets biologiques ou d'œufs de consommation.

105Tous les élevages bovins rencontrent des problèmes sanitaires (tiques et strongles). Dans les petits élevages ovins et caprins, la santé animale est souvent négligée, les éleveurs n'utilisant ni vermifuge ni acaricide.

106Les races bovines créoles ont une faible production mais ce sont des races adaptées aux conditions environnementales locales. Une meilleure valorisation de ces races par un schéma de sélection, ou le croisement avec d'autres races, semble la voie la plus appropriée pour les éleveurs. Les races locales ovines et la race « mouton martinik » mise au point avec l'Inra sont adaptées aux conditions martiniquaises, tout comme le porc créole ou cochon-planche.

107Dans toutes les filières, la vente directe sans passer par l'abattoir est pratique courante : pour les ovins, par exemple, le circuit direct (éleveurs/bouchers/consommateurs ou éleveurs/consommateurs) sans passer par l'abattoir représente 90 % de la production, la coopérative commercialisant environ 10 % des volumes sur le marché local. Pour les porcs d'élevage familial, l'abattage est fait le plus souvent à la ferme et la production est destinée à l'autoconsommation et à une clientèle de proximité. L'absence de contrôle vétérinaire est un problème pour ce mode de commercialisation.

108La place des animaux (petits ruminants, porcs, bovins, volailles) dans des schémas de production biologique ne doit pas être négligée (races adaptées, viande festive très appréciée des consommateurs, intérêt de la recherche pour les races locales). En dehors de la conversion possible en production Bio de grands élevages déjà extensifs au sud de l'île, l'élevage biologique est à développer prioritairement en complément d'une production végétale Bio. L'intérêt de l'animal est alors double : il produit de la viande et est un facteur positif pour la fertilisation du sol.

109Mais la certification Bio au sens du règlement européen, pour une commercialisation en dehors des circuits de vente directe, risque d'être difficile, de même que le fait de vendre la viande Bio plus cher que la viande locale qui est déjà très appréciée. La certification en agriculture agro-écologique sous référentiel pourrait constituer une solution. La conférence annuelle sur la recherche en agriculture biologique en Amérique centrale et dans les Caraïbes y concourt. Elle a été organisée en 2004 par l'INCA (Instituto Nacional de Ciencias Agrícolas) de Cuba sous l'intitulé « Il encuentro mesoa-mericano y del caribe de agricultores experimentadores y técnicos en producción orgánica » (www.inca.edu.cu).

110Des solutions intégrées au niveau des exploitations et entre exploitations sont aussi à rechercher. Dans ces schémas, on produirait localement tout ou partie de l'alimentation des animaux (manioc, banane...) et les animaux produiraient à leur tour du compost très recherché pour certaines productions locales.

Conséquences des définitions de l'agriculture biologique

Des référentiels techniques pour l'agriculture biologique

111La réglementation européenne ne l'interdit pas, et de nombreuses exploitations biologiques se développent sur la base de monocultures ou d'élevages spécialisés. Toutefois, les contraintes existant en Martinique en matière de gestion de la fertilité des sols, des adventices, de la santé végétale et animale, conduisent à recommander la mise au point de systèmes de production où interviennent plusieurs cultures en rotation, en cultures associées, éventuellement associées à de l'élevage ou de l'arboriculture.

112Dans la littérature, peu de références décrivent des systèmes agrobiologiques tropicaux en situation comparable à celle de la Martinique. Les producteurs qui cherchent actuellement à produire en AB, rencontrés dans le cadre de l'expertise collégiale, soulignent tous le manque cruel de références techniques accessibles. Ils sont donc souvent réduits à l'expérimentation individuelle, sans soutien par un réseau technique structuré.

113La mise au point de référentiels techniques pour la production en AB est une priorité pour la recherche, et doit se concevoir dans le cadre de systèmes de culture biologiques et non dans le cadre de cultures individuelles. La gestion des adventices, de la fertilisation et des bio-agresseurs devra tenir compte des rotations, des techniques agronomiques à appliquer (paillage par des résidus végétaux tels que bagasse ou autres, désherbage thermique ou solarisation, barrières végétales entre les parcelles, variétés résistantes, production de plants sains), des produits autorisés en agriculture biologique.

114Dans le contexte martiniquais, la culture de la canne à sucre Bio pourrait présenter une opportunité technique centrale. C'est une culture pivot dans les rotations pour bien des systèmes qui pourrait être mise au point. La culture biologique pose techniquement peu de problèmes et fournit des intrants susceptibles aussi d'être valorisés en AB. L'exploitation agricole du Galion et la sucrerie, sur laquelle l'intervention publique est possible puisqu'elle est déjà subventionnée, autorisent des marges de manœuvre pour une initiative publique. Celle-ci pourrait comprendre en particulier, par une politique volontariste d'appui aux producteurs, la conversion de la sucrerie du Galion en production Bio, la valorisation des sous-produits dans des filières martiniquaises d'intrants autorisés en AB, la valorisation de cette politique par une communication adaptée auprès de la population de l'île et des touristes. Les éléments d'analyse recueillis dans le cadre de l'expertise collégiale conduisent à recommander d'étudier en détail cette possibilité, en commençant par effectuer une étude précise sur la faisabilité technico-économique d'une telle option. La canne serait alors le fer de lance d'une politique sur l'agriculture biologique, qui lui assurerait au travers d'un produit emblématique une bonne visibilité pour les touristes comme pour la population.

Une dynamique de réseau « pour l'agriculture biologique en Martinique »

115Le travail réalisé pendant l'expertise collégiale montre qu'il existe pourtant de nombreuses connaissances scientifiques à valoriser pour le développement de l'agriculture biologique, mais aussi que des personnes (qui sont autant de ressources) disposent de compétences mobilisables et qu'il est possible de rejoindre des réseaux de recherche et d'innovation actifs. Pour le moment, ces ressources potentiellement utiles au développement de la production biologique en Martinique sont dispersées, et elles ne sont donc pas organisées pour être mises efficacement au service du développement de la production.

116Une dynamique de réseau « pour l'agriculture biologique en Martinique » pourrait être à l'origine de la conception des systèmes de production adaptés :

• Les sources bibliographiques peuvent fournir des éléments de réflexion et pourraient être mises à disposition des chercheurs, des autres acteurs des filières, voire des consommateurs intéressés, par un centre de ressources virtuel sur Internet et/ou physique. Le CD-Rom réalisé dans le cadre de cette expertise pourrait constituer une première base en vue de cette action.

• Les résultats de recherche partiels obtenus en Martinique ou dans la région Caraïbe, notamment en Guadeloupe (par exemple santé des plantes...) et les chercheurs qui auraient développé ces recherches pourraient être systématiquement recensés, et associés pour la définition de programmes de recherche-développement sur l'agriculture biologique.

• Les résultats de recherche et d'innovation obtenus dans la station expérimentale du département à la Seci, et ceux obtenus par le Cirad en collaboration avec des lycées agricoles, pourraient être capitalisés sous forme de documents et de formations à destination des agriculteurs.

• Les agriculteurs qui développent actuellement la production Bio en Martinique pourraient systématiquement être invités à présenter leurs résultats, et les difficultés techniques qu'ils rencontrent, aux techniciens, aux chercheurs et enseignants pour envisager ensemble des solutions possibles et/ou des actions de recherche nécessaires.

• Le jardin créole, encore présent en Martinique, bien qu'ayant subi de fortes évolutions, constitue également une source importante de renseignements. Mis au point à l'origine sans recours aux intrants, le jardin créole, adapté depuis très longtemps à l'écologie locale, répond dans sa forme traditionnelle aux exigences de l'agriculture biologique et en porte les valeurs principales. Même s'il ne constitue pas un « modèle bio » qui serait aujourd'hui reproductible, car il a lui aussi évolué, une action de recherche pourrait être menée pour en capitaliser ses déterminants agronomiques qui risquent sinon de disparaître. Il s'agirait de capitaliser les acquis du jardin créole (recenser les variétés cultivées, les associations, les techniques employées...), de les décrire en associant chercheurs et paysans. En utilisant les connaissances de l'agronomie d'aujourd'hui, il deviendrait possible ensuite de se baser sur cette tradition pour la faire évoluer, et générer des innovations agricoles portées par ce patrimoine technique et culturel martiniquais.

• Les réseaux pour l'agriculture biologique existent au niveau national (Fnab, Crab avec l'Inra, Maapar), au niveau de la Caraïbe, au niveau mondial avec l'IFOAM. Le développement de l'agriculture biologique en Martinique peut se nourrir de la participation à ces réseaux, y faire entendre et reconnaître ses spécificités. En particulier, une réflexion pourrait être engagée en Martinique sur l'opportunité de développer une forme de certification adaptée pour les petits producteurs : certification par groupes et/ou certification participative.

• Les producteurs de l'association Bio des Antilles développent eux-mêmes, dans une démarche de production de savoir dans l'action, une série de solutions techniques qui leur permettent effectivement de produire en AB et d'en vivre. Les producteurs de l'association Orgapeyi ont une démarche comparable avec leur production non certifiée. La recherche peut également se nourrir de ces systèmes mis au point dans l'action, et chercher à les améliorer, par exemple par le développement d'un réseau d'exploitations biologiques basées sur des logiques variées, mises en réseau, et bénéficiant d'appuis techniques. Le rôle de la recherche est alors de produire des référentiels techniques et d'accompagner les innovations mises en place par les producteurs. Ce type d'initiative a déjà été développé par le Cirad en Martinique dans le cadre du soutien aux productions agricoles de diversification, ou l'Inra pour les productions animales.