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Le développement du lac Tchad / Development of Lake Chad

 | 
Jacques Lemoalle
, 
Géraud Magrin

III. Recommandations du collège

III. Recommandations du collège

Texte intégral

1Les recommandations formulées par le collège des experts sont fondées sur l’ensemble des travaux du collège et plus particulièrement sur le diagnostic du rapport de synthèse. Elles prennent en compte les principes de la gestion intégrée des ressources en eau (Gire), la Vision 2025 de la CBLT, son Programme d’action stratégique pour le bassin du lac Tchad (PAS), ainsi que les orientations de la Charte de l’Eau récemment entérinée. Elles visent à faciliter la mise en œuvre de ces orientations stratégiques, en particulier en ce qui concerne le lac Tchad lui-même. Certaines ont cependant des champs d’application plus larges, comme le Bassin conventionnel.

2Trois séries de recommandations ont été distinguées. Les premières recouvrent des orientations stratégiques pour la CBLT et ses États membres. Les secondes présentent des recommandations opérationnelles en relation avec les différentes thématiques du diagnostic exposé dans le rapport de synthèse. Les dernières traitent de sujets de recherche pour lesquels le besoin de compléter les connaissances en vue de répondre aux défis du développement se fait particulièrement sentir. Ces recommandations sont détaillées à la fin de chacune des contributions intégrales de l’expertise collégiale, disponibles sur la clé USB attachée au présent ouvrage.

1. Recommandations portant sur les orientations stratégiques

3La dynamique institutionnelle actuelle de la CBLT, en particulier en ce qui concerne le Lac lui-même, impose à cette dernière la mise en œuvre de diverses actions visant à améliorer son image et son efficacité.

4 1. Changer la communication sur le Lac, notamment en direction des bailleurs, des médias et du grand public. Au lieu d’un discours évoquant l’actualité d’une crise et l’imminence d’une catastrophe (disparition du Lac, dégradation de l’environnement) appuyé sur un argumentaire fragile qui peut désorienter les bailleurs potentiels, il s’agit de présenter le Lac comme une ressource, un potentiel pour relever les défis de l’alimentation et de l’emploi, un pôle d’émergence rurale à accompagner, un laboratoire de la coopération régionale et internationale et des nouvelles politiques de développement territorial à inventer. Pour introduire ce changement, il convient d’insister sur les risques bien réels (climatiques, équilibre ressources/démographie, conflits) auxquels le Lac est exposé à court et moyen terme, dans un contexte régional marqué par l’insécurité alimentaire et les troubles géopolitiques. La prévention de ces risques implique des politiques de développement ambitieuses.

5 2. Développer une réflexion stratégique sur les différentes options de développement du Lac (et du bassin), afin notamment de mieux étayer l’argumentaire sur le transfert, jusqu’ici discordant. En particulier, une réflexion prospective du type Évaluation environnementale stratégique (EES), orientée sur la réponse aux défis du futur (alimentation, emploi) à partir de la gestion de l’eau dans le bassin, permettrait de faire progresser la réflexion sur le transfert et de conforter les projets de la CBLT.

6 3. Construire un Plan de développement du Lac (PDL) qui incarne l’articulation nécessaire entre la gestion de l’environnement (sur laquelle la CBLT s’est concentrée ces dernières années) et les progrès du développement, tout en intégrant la mise en œuvre de la Charte de l’Eau. En lieu et place des tentatives d’aménagement du territoire menées par certains des États riverains, chacun sur sa portion de Lac, sans vision globale du système lac Tchad, il s’agit de bâtir une vision partagée (entre les quatre États mais aussi au niveau des populations riveraines) du développement du Lac dans son ensemble puis de coordonner sa mise en œuvre.

7Dans le cadre de ce Plan de développement du Lac ou en parallèle, la CBLT doit influencer les États riverains afin que leurs politiques publiques prennent en compte les enjeux suivants.

8 4. Reconnaître pleinement le Lac en tant que système à haute valeur stratégique pour la sécurité alimentaire locale et régionale ainsi que pour l’emploi, grâce à ses potentialités en termes de capital naturel et de savoir-faire des populations.

9 5. Clarifier les règles d’accès aux ressources et des droits liés au foncier selon les principes d’une gouvernance démocratique, avec une contrainte particulière résultant, d’une part, de la variabilité du Lac et, d’autre part, de la multifonctionnalité de ces espaces utilisés successivement pour la pêche, l’agriculture et l’élevage. Cette condition, en réponse à l’accroissement de la population et la pression sur les ressources, est un préalable à l’intensification, mais aussi à la prévention et à la gestion pacifique des litiges pour le contrôle des territoires et du foncier.

10 6. Fournir un appui différencié aux divers modèles d’agriculture et soutenir en priorité la pluriactivité des familles, en particulier sur les terroirs présentant la plus forte variabilité. C’est à cette condition que pourront être valorisés au mieux ce potentiel lacustre et la diversité des contextes environnementaux qui permettent la multifonctionnalité des terroirs dont les ressources évoluent au cours du cycle annuel.

11 7. Développer les grands aménagements ou l’agriculture d’entreprise dans les espaces les plus favorables à une maîtrise de l’eau, comme les polders.

12Par ailleurs, il importe de renforcer l’action de la CBLT envers les États membres, les institutions régionales (Cedeao, Uemoa, Cemac) et leurs institutions spécialisées (Cebevirha, Cilss) dans les domaines suivants.

13 8. Améliorer les échanges entre pays riverains.

14 9. Harmoniser les réglementations et taxes en matière de santé animale et de sûreté des produits agricoles, d’élevage et de la pêche.

15 10. Mieux intégrer les questions de sécurité intérieure et transfrontalière. La CBLT doit se positionner sur la gestion de l’information sur les ressources naturelles et la prévention des conflits qui y sont liés.

16 11. Mieux faire connaître l’action de la CBLT auprès des populations afin de permettre la mobilisation sociale et politique requise pour que la CBLT atteigne ses objectifs. Développer des approches participatives permettant d’intégrer davantage les populations riveraines et les organisations de la société civile dans la gestion environnementale transfrontalière et la planification du développement du Lac. En ce sens, les outils EES et PDL recommandés ci-dessus peuvent fournir des cadres pour expérimenter de nouvelles approches participatives. Pour y parvenir, la CBLT gagnerait à nouer un partenariat avec des organisations expérimentées dans ce domaine, comme par exemple l’UICN, dont le Dialogue régional piloté par la Cedeao sur les grandes infrastructures hydrauliques en Afrique de l’Ouest présente un bilan intéressant.

2. Recommandations opérationnelles

17Les recommandations opérationnelles qui suivent sont davantage techniques et ciblées. Elles concernent des points thématiques et s’adressent aux diverses directions de la CBLT.

Renforcement institutionnel

18 1. Alimenter l’Observatoire de la CBLT récemment créé en favorisant dans les pays riverains la collecte des données nécessaires pour générer des options de développement pertinentes.

19 2. Renforcer les capacités des personnels d’encadrement technique des différents États membres en charge de la gestion des ressources de l’environnement, en utilisant les expériences acquises et les forces présentes dans les services des quatre pays riverains.

Hydrologie

20 3. Réinstaller un système de suivi convenable des débits et/ou des niveaux à N’Djaména et dans les deux cuvettes, partager et diffuser les informations (entre États membres et Observatoire de la CBLT).

21 4. Mettre en place un système d’alerte (prévision des risques et communication) vers les populations permettant d’anticiper les impacts des variations de niveau sur les activités et le peuplement.

22 5. Améliorer et utiliser le modèle de simulation hydrologique CBLT pour étudier des scénarios de gestion sous diverses hypothèses (par exemple aménagement de la Grande Barrière).

23 6. Rétablir une végétation sur les berges des fleuves pour limiter l’érosion.

Eau souterraine

24 7. Mettre en œuvre un suivi qualitatif et quantitatif régulier de la ressource en eau souterraine à l’échelle du Lac et du bassin.

25 8. Utiliser et valoriser davantage la nappe profonde pour l’alimentation en eau potable.

Biodiversité

26 9. Classer le lac Tchad, collecteur des polluants du bassin, comme zone à haute vulnérabilité environnementale. Pour le Lac et autour, dans un rayon à définir, ceci implique, d’une part, l’interdiction de l’emploi de produits phytosanitaires dangereux et d’autre part, l’interdiction de toute activité pétrolière y compris la prospection.

Systèmes d’activités

27 10. Appuyer en priorité l’agriculture familiale (crédit, intrants, formation, vulgarisation, recherche) en veillant à maintenir l’équilibre entre les différentes composantes des systèmes agricoles (agriculture, élevage, pêche).

28 11. Réaliser des études tirant les enseignements des leçons du passé avant la mise en œuvre de projets agro-industriels au Lac, et envisager de manière centrale les impacts (fonciers, sociaux, etc.) et interactions avec les systèmes d’activités paysans.

29 12. Promouvoir les projets pilotes d’élaboration de conventions locales pour la gestion des ressources naturelles et la prévention des conflits.

Agriculture

30 13. Promouvoir des aménagements hydro-agricoles adaptés aux besoins et capacités des sociétés locales.

31 14. Réaliser une étude régionale sur la stratégie de mécanisation à l’échelle du lac Tchad, en utilisant les méthodes bien maîtrisées par la FAO.

32 15. Tenir compte de la variabilité du Lac à l’échelle décennale avant de programmer d’éventuels grands projets basés sur un investissement fort en capital.

Élevage

33 16. Valoriser la complémentarité entre élevage mobile et sédentaire.

34 17. Prendre en compte les enjeux sanitaires spécifiques aux zones humides.

Pêche

35 18. Promouvoir dans les quatre pays riverains une réglementation cohérente de la pêche, basée sur une gestion participative encadrée.

Ressource en bois

36 19. Implanter un mode de gestion de la ressource avec participation des populations pour un double objectif de reboisement et d’exploitation.

Population et démographie

37 20. Mettre en place des méthodologies légères à partir de sondages coordonnés dans les quatre pays riverains, pour améliorer les connaissances sur la démographie du Lac.

Services aux populations et infrastructures

38 21. Adapter les services publics aux particularités du Lac (mobilité de l’environnement et des populations, espace transnational) dans le cadre du Plan de développement du Lac (PDL).

39 22. Désenclaver les zones les plus productives du Lac (construction de routes, mais aussi entretien des pistes rurales clés et des chenaux lacustres).

40 23. Implanter des infrastructures post-récolte pour produits frais (chambres froides, usines de glace, séchoirs solaires).

41 24. Appuyer l’organisation de filières régionales et lever les entraves aux échanges en définissant et en harmonisant des normes de qualité.

Participation

42 25. Développer un dialogue régional sur l’avenir du lac Tchad avec les organisations existantes, en s’inspirant de l’expérience ouest-africaine.

43 26. Créer une Radio Lac Tchad pour la circulation d’informations sur l’environnement et l’économie régionale, la sensibilisation à la biodiversité, l’animation de débats, etc.

3. Recommandations en matière de recherche utile au développement

44La gestion des ressources d’un système nécessite deux types d’informations. Il faut d’abord des données, dont l’acquisition a été en partie développée dans les recommandations opérationnelles. Il faut aussi une compréhension des mécanismes en jeu pour interpréter convenablement les données et mieux définir les observations nécessaires. L’objectif doit être de favoriser l’action à différentes échelles (CBLT, États riverains, collectivités locales et organisations de producteurs, etc.) en produisant et fournissant une information utile, utilisable et utilisée. Ce sont donc des démarches transversales de politique de recherche qui sont proposées ici, ainsi qu’une liste de thèmes paraissant particulièrement importants pour développer des connaissances en vue de la gestion.

Dans le domaine institutionnel et sociétal

45 1. Renforcer les liens entre systèmes nationaux de recherche et services techniques pour la collecte des données (environnementales, socio-économiques et agricoles). Étudier les possibilités de partenariat de la CBLT avec d’autres réseaux internationaux (type OSS, Agrhymet, Cilss, etc.) pour financer la collecte des données.

46 2. Mettre en place un fonds compétitif pour la recherche chargé notamment des projets de recherche d’accompagnement impliquant des usagers (associations de riverains, maires, pouvoirs coutumiers) comme des acteurs et des bénéficiaires du projet, avec un double objectif : renforcer leur capacité de compréhension des enjeux à différentes échelles et leur capacité de négociation par l’accès à une meilleure information, et accroître le sentiment d’appartenance au territoire.

47 3. Construire des démarches de recherche-action visant à développer la participation des usagers à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, et favoriser l’utilisation des connaissances et informations sur l’environnement (diffusion des prévisions).

48 4. Étudier la manière dont la CBLT pourrait mieux conseiller les États membres sur les enjeux transfrontaliers de sécurité liés aux ressources naturelles (droits d’accès, frontières, pétrole, etc.).

49 5. Étudier des mécanismes de réponse financière aux crises climatiques (crédit, assurance) et le rôle d’interface de la CBLT entre bailleurs, États membres et collectivités locales.

50 6. Encourager des recherches en forme de prospective sur les différents enjeux clés qui conditionnent l’avenir du Lac et du bassin : saisonnalité et variabilité des prix agricoles ; analyse des scénarios climatiques en lien avec les scénarios de transfert ; étude des différentes combinaisons entre modèles d’agriculture capitaliste et familiale.

Dans le domaine de l’environnement et des activités productives

51 7. Eau souterraine : développer les recherches sur les relations entre le Lac et les nappes bordières, avec comme objectif une modélisation fiable qui permettrait d’envisager un usage durable et éventuellement étendu à l’agriculture ou à l’agroforesterie de la ressource en eau souterraine.

52 8. Sédimentologie : étudier les processus de sédimentation dans les fleuves et le Lac afin de déterminer s’il y a ensablement des fleuves et comblement du Lac, ce qui permettra d’évaluer la pertinence d’entreprendre d’éventuelles mesures correctives.

53 9. Paléohydrologie : poursuivre les recherches sur la variabilité à long terme pour mieux interpréter les variations actuelles et contribuer à la validation des modèles de prédiction hydro-climatique.

54 10. Agriculture et élevage : rechercher des modèles d’intensification adaptés aux sociétés et à l’environnement local pour permettre un développement « écologiquement intensif ».

55 11. Pollution : évaluer l’utilisation actuelle et les risques futurs liés aux produits phytosanitaires dans le bassin et le pourtour du Lac.

56 12. Biodiversité : rechercher des indicateurs appropriés et simples si possible (présence/absence d’espèces), permettant de suivre les évolutions de la biodiversité lacustre ainsi que celle des zones refuges, en particulier pour les poissons.

57 13. Pêche : mettre au point un système de suivi et de protection de la ressource, adapté au Petit Tchad.

58 14. Natron : rechercher des solutions in situ accessibles aux exploitants pour purifier le natron et générer une plus value en diminuant le coût de transport.

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