Singapour
Dans l’attente d’un sursaut
Singapore. Waiting for a Start
p. 304-331
Résumé
In Singapore, 2023 confirmed the feeling of a political apathy, passivity, or conformism, across the society—echoing previous works on this topic in literature and political science. The election of the former deputy Prime Minister Tharman as a new president, some unexpected cases of corruption, the hundredth birthday of the founding father Lee Kuan Yew, the official announcement of the transition to a new Prime Minister, and even extramarital affairs among politicians did not contribute in the politicisation of the younger generations.
Similarly, at the international level, the government keeps relying on foreign workers to support its economy, to build its infrastructure, and to help hard-working parents at home. In the same vein, it mainly relies on foreign powers as chaperones, protectors, or close friends.
That said, some windows of opportunity are open to facilitate innovation and to explore some diplomatic “third paths”, besides the two great powers. Stay tuned…
Entrées d’index
Mots-clés : Chine, démocratie, opposition politique, bipolarisation diplomatique, incitations économiques, Singapour
Keywords : China, democracy, political opposition, diplomatic bipolarization, economic incentives, Singapore
Texte intégral

Pour être heureux, soyez conformes. (…) Les gens ont l’esprit ainsi façonné que ce conformisme leur devient facile, naturel, insensible, au point que je ne pense pas qu’il y entre de l’hypocrisie. Sont-ce vraiment ces gens-là qui ont fait la révolution ? Non ; ce sont ceux-là qui en profitent. Chaque matin, la Pravda leur enseigne ce qu’il sied de savoir, de penser, de croire1.
1Ces lignes d’André Gide de Retour de l’URSS (1936) pourraient offrir un provoquant point de départ, quand vient l’heure de se retourner sur l’année 2023 à Singapour. Très tôt, la science politique a tenté d’approfondir cette intuition en évoquant tour à tour la « servitude volontaire » sur son flanc philosophique, via la Boétie, ou le « citoyen passif » cher à l’abbé Sieyès, sur son aile juridique. Mais cette indolence peut aussi être le fruit plus indirect d’un long processus sociopolitique. Ce serait le cas pour le Singapour non des pionniers de l’indépendance mais celui de leurs petits-enfants, un an avant l’accession au pouvoir de la « 4G » (la quatrième génération de dirigeants) prévue pour novembre 2024.
2Même si Gide confessait se perdre dans la forêt « affreusement touffue » des questions sociales soviétiques et si la jungle politique de Singapour est elle aussi encore mal cartographiée, point la tentation de ce qui n’est qu’une hypothèse : Singapour se trouverait au carrefour non seulement d’une tendance globale autour de la Génération Z (les Zoomers) et des réseaux sociaux – qui, paradoxalement, enferment au sein d’une communauté plus qu’ils n’ouvrent au monde – mais aussi d’une tendance plus nationale. À cause de l’éducation axée sur l’anglais pour le commerce et les mathématiques pour l’ingénierie, du fait de l’économie florissante, de l’uniformité des médias2 ou encore des mythes de la vulnérabilité et de la méritocratie : pour toutes ces raisons, les Singapouriens se laisseraient porter. Un fonctionnaire répondait ainsi au titulaire d’un bail emphytéotique curieux de savoir ce qu’il allait advenir de son bien immobilier à sa mort, sur un ton hypnotique : « Nulle inquiétude, le gouvernement s’occupera de vos enfants comme il s’est occupé de vous… ».
3Cette tendance interne se retrouve-t-elle à l’échelle diplomatique ? Déborde-t-elle sur le champ international ? La cité-État s’appuie-t-elle trop sur l’extérieur, à défaut de fortes impulsions domestiques ?
4C’est sous ce prisme de la passivité politique – à valider ou pas – que sera revisitée l’année 2023 : d’une part dans les différents champs de la politique intérieure, d’autre part à l’échelle internationale : aussi bien en tant que « cité-entrepôt » que dans le contexte du « Grand jeu », plutôt que d’une « guerre froide », actuellement en cours en Indo-Pacifique.
Apathie citoyenne
5De force, par dépit ou inconsciemment, les Singapouriens peinent à se montrer acteurs et à contribuer avec vigueur aux destinées du pays, que ce soit dans le cadre précis d’élections, dans la participation à la vie de la société plus généralement, ou dans les affaires économiques nationales.
Calme politique
6À trois reprises, la voix de l’opposition a peiné à se faire entendre. Un débat initié dans une chronique dès fin 2022, puis repris au Parlement en avril 2023, est revenu sur le rôle de l’opposition. Il est apparu que le Parti des travailleurs (Workers’ Party, WP) tenait à camper un groupe d’opposants matures3. Il faut dire que sa posture est inconfortable. D’un côté, la seule option viable pour le Parti d’action populaire (People’s Action Party, PAP, au pouvoir depuis 1959), qui perd des voix malgré ses réalisations, semble consister à dénigrer le WP. Ce dernier doit donc démontrer sa capacité à gouverner le pays de façon responsable. D’un autre côté, en adoptant une posture trop nuancée et équilibrée pour rassurer les élites frileuses, le Parti des travailleurs risque de décevoir un pan d’activistes plus radicaux. Ceux-ci continuent d’ailleurs à payer le prix fort de leur engagement. Le nouveau site d’information indépendant Jom n’aura attendu que quelques mois pour se voir accusé de diffusion de fausses informations4. Quant à Ravi Madasamy, l’avocat des causes perdues, dont celle des condamnés à mort, il a obtenu en novembre le prix des droits de l’Homme de la part de l’Association internationale des barreaux (International Bar Association, IBA), avant d’être condamné à 21 jours de prison pour outrage à magistrat5.
7À leur façon, les élections présidentielles – au suffrage universel et obligatoire depuis 1993, tous les six ans, à un tour – ont-elles illustré pire qu’un risque d’affadissement, la possible dépolitisation de la société singapourienne ? Le candidat principal, Tharman Shanmugaratnam, est apparu soucieux d’avoir l’occasion de débattre avec des opposants. Les rivaux auraient pu s’en réjouir. L’un d’eux, Tan Kin Lian, déjà candidat en 2011, a très vite posé avec des représentants de petits partis d’opposition. Mais justement, ils ne représentaient pas les formations les plus crédibles et, pire, il a dérapé au gré de propos soit sexistes, soit nativistes. Aussi ce visage de l’opposition fut-il rapidement disqualifié. Le second adversaire, quant à lui, Ng Kok Song, proposait un CV solide et de vraies réussites dans les affaires. Toutefois, à la question de savoir pourquoi il se présentait, il répondit tout de go : « Parce qu’il [Tharman Shanmugaratnam] le veut ! » (Because he wants it!)6. Ng Kok Song a donc « fait le nombre » en évitant qu’il ne manque de candidats susceptibles d’animer la campagne et de proposer un choix aux électeurs. Restait Tharman : certes le plus libéral des ministres du PAP, que la majorité silencieuse aurait rêvé en Premier ministre lors des dernières élections générales… s’il n’avait pas été indien7. Dans le passé, il a émis des doutes sur les fondements de l’opération politico-policière Spectrum8, en 1987, après avoir fréquenté des intellectuels du Club socialiste de l’Université de Singapour9 ; enfin, il est marié à une Chinoise et incarne la très officielle « harmonie raciale ». Toutefois, Tharman n’en demeure pas moins un cacique du PAP, ayant gravi tous les échelons jusqu’à celui de vice-Premier ministre. Dans ces conditions, fallait-il pour les opposants se rabattre sur l’abstention (illégale) ou sur des bulletins nuls ? Toujours est-il que Tharman Shanmugaratnam, né en 1957, a été élu le 1er septembre avec 70,41 % des suffrages exprimés10, soit mieux que le score du PAP aux dernières élections.
8Au-delà des candidats et de leurs résultats, la procédure de candidature assez opaque n’incite guère à l’investissement politique. La genèse de ces élections renvoie à la crainte de Lee Kuan Yew, surnommé LKY, de voir sa marge de manœuvre réduite au Parlement, après l’élection du premier député d’opposition au début des années 1980. Aussitôt, il a poussé à l’adoption d’un amendement constitutionnel pour attribuer des pouvoirs de veto au Président dans la gestion des réserves financières et de certaines nominations. De plus, ce sont les six membres du Comité pour les élections présidentielles, non-élus et sans contrôle autre que gouvernemental, qui décident du droit pour les uns ou les autres de candidater. On a par exemple relevé que Tharman avait lui-même eu l’équivalent d’une inscription sur son casier judiciaire à cause de « négligence » dans la divulgation d’informations secrètes en 1992, alors qu’il travaillait à l’Autorité monétaire de Singapour11. Cet épisode n’a cependant pas entaché son dossier, tandis que l’homme d’affaires George Goh n’a pas été autorisé, lui, à concourir12.
9Par ailleurs, l’élection du président de la République se veut rassembleuse, au-delà des clivages politiques. À ce titre, tout discours politique est interdit durant la campagne, ce qui, mécaniquement, ne favorise pas la politisation. La très courte durée de la campagne officielle (22-30 août) n’y contribue guère non plus. Enfin, les pouvoirs limités du Président ont peu poussé à la mobilisation. Tous les candidats ont tenu à mettre en avant leur expérience et leur indépendance13, sans expliquer comment procéder une fois élus et dans quel but. Il faut dire que le président singapourien opère sous la tutelle du Conseil des conseillers du Président (Council of Presidential Advisers, CPA), non élu. Et même en cas de dysfonctionnement du CPA, le Parlement peut reprendre la main avec une majorité des deux tiers, dont dispose le PAP avec l’aide du scrutin uninominal à un tour14.
10Enfin, au printemps 2023, la scène politique singapourienne s’est subitement animée. Tout d’un coup, elle ne paraissait plus fade, mais pas pour les bonnes raisons. Ce regain d’intérêt n’a certainement pas suffi à réconcilier le peuple singapourien avec la politique – au contraire. Tout a commencé par un premier scandale extra-marital entre le désormais ex-speaker Tan Chuan-Jin (président du Parlement, un temps pressenti comme chef de file de la 4G) et une députée : Cheng Li Hui. Promptement, il leur a été enjoint de démissionner. Hasard ou coïncidence, quelques heures après leur départ, une vidéo montrant deux figures de proue du WP (Leon Perera et Nicole Seah) romantiquement attablées a été postée sur les réseaux sociaux. Il était impossible d’identifier l’origine de ces images qui mettaient à jour une autre liaison extra-maritale, cette fois-ci dans l’opposition. Son chef, Pritam Singh, a soigneusement choisi ses mots pour constater une « coïncidence troublante »15. Finalement, peu s’en sont réellement émus et tout a été oublié. Passé cet inattendu pic d’activité, la morne vie politique singapourienne a repris son cours.
Langueur sociale
11Au-delà de la seule arène politique, les Singapouriens peuvent donner l’impression d’être amorphes ou insensibles aux faits de société. Certes, l’appareil policier ainsi que le droit pénal, et non plus constitutionnel, peuvent l’expliquer. Fin octobre 2023, le gouvernement a fixé à 200 000 l’objectif en nombre de caméras de surveillance pour 2030. À titre de comparaison, la sous-préfète de Paris en charge de la sécurité a parlé en décembre 2022 de 4 055 caméras dans la capitale16. De même, la pendaison est toujours promise aux trafiquants de drogue : 16 exécutions depuis mars 2022, cinq en 2023 et trois en l’espace de deux semaines en juillet, dont la première femme depuis 19 ans.
12En parallèle à ce contexte policier, il conviendrait de tester l’idée de « passivité d’atmosphère ». En effet, à force de voir le confort venir à lui, le Singapourien déserte les lieux de vie et d’échange. Il passe moins de temps à deviser au foodcourt, occupé par les seuls retraités, et les libres antennes ou talk-shows brillent toujours par leur absence dans les médias17. La soirée électorale du 1er septembre l’a confirmé : une prise d’antenne tardive, un seul commentateur politique – plus exactement un universitaire constitutionnaliste –, deux présentatrices et un duplex dans un décor austère pour l’annonce officielle.
13Les réactions au centenaire de la naissance de Lee Kuan Yew ont été symptomatiques de ce détachement politique. Étant donné l’épaisseur historique du personnage ainsi que l’amalgame entre son histoire et celle de Singapour, comme en témoigne le titre du second volume de ses mémoires The Singapore Story (1998), un raz-de-marée médiatique était à prévoir. Il n’en fut rien, malgré les efforts du gouvernement pour décliner la vie de Lee Kuan Yew dans les musées (telle l’exposition « The Boy Who Became Prime Minister » au musée des Enfants), dans les bibliothèques et sous tous les formats. Le député de Bukit Batok, choqué de n’avoir trouvé aucun élève capable de lui parler de LKY parmi ceux pourtant primés dans sa circonscription l’année précédente, a fait distribuer des brochures biographiques dans toutes les boîtes aux lettres afin d’entretenir (ou de raviver) la flamme. Il est vrai que la jeune génération se montre quasiment insensible au mythe des pères fondateurs. En revanche, il est à noter qu’une vidéo illustrant la poigne de l’« homme à la hachette » (surnom donné par son opposant historique, Jeyaretnam) et expliquant en 1980 comment il avait mis fin à un conflit social au sein de Singapore Airlines, est devenue virale, en particulier chez les plus âgés des millenials (Génération Y). Cet extrait a témoigné d’une nostalgie des chefs avec du caractère18.
14Dès lors, par manque de débats et de remises en cause, les stéréotypes perdurent. Rares sont ceux qui tentent de sortir des cadres ethno-sociologiques dans lesquels ils sont classés. Certes, le nouveau Président avait tenté d’ouvrir les esprits avant son élection et des campagnes publicitaires se sont poursuivies en 2023 pour afficher : « Ma race n’est pas un critère de compétence »19. Cependant, un racisme latent persiste et a été mis en lumière lorsqu’un policier indien, victime de harcèlement racial, a mis fin à sa vie précisément le jour dédié à l’harmonie raciale (Racial Harmony Day)20. D’ailleurs, le taux de suicide en général inquiète : 476 cas en 2022, le pire chiffre depuis 200021.
15Autres conséquences de ce sentiment de léthargie sociale, à plus long terme : le bénévolat, en particulier pour l’aide auprès des plus âgés, peine à recruter, ce qui a justifié des campagnes, un programme spécial depuis 2018 et un nouvel appel de la présidente Halimah Yacob en juin 2023. Le vice-Premier ministre s’est lui aussi inquiété du taux de volontariat qui est passé de 10 % en 2013 à 35 % en 2016 avant de retomber à 22 % en 202222. Faut-il aussi voir l’augmentation du taux de surpoids chez les 6-18 ans (de 11 % en 2013 à 16 % en 2021) comme un effet indirect de cet immobilisme général, qui ne serait pas que mental23 ? Les mauvais résultats sportifs lors des Jeux asiatiques de 2023 (20e au tableau des médailles, quand Hong Kong pointe à la 12e place) abonderaient dans ce sens. Cette même année, l’équipe de football (155e mondiale) a même dû se fendre d’un match pré-qualificatif contre Guam pour concourir en vue d’une participation à la Coupe du monde 2026. Enfin, autre conséquence induite : un sentiment d’arrogance transpirerait parmi les jeunes générations24, semblables à la queue d’une comète asiatique qui a certes fortement brillé mais doit aujourd’hui se réinventer.
Inertie économique
16Dans ce climat, il n’est guère étonnant de voir que la solidité des finances repose moins sur l’innovation ou la créativité que sur la gestion « de bon père de famille » des réserves estimées au total à 1 640 milliards $ US. Le recours à ce trésor de guerre constitue l’un des sujets les sensibles dans le pays et la décision finale représente l’une des rares prérogatives du Président.
17Néanmoins, l’avalanche de bons (vouchers) et d’aides ciblées, par profession ou par classes d’âges (tel le Majulah Package [« Forfait en avant »] cette année– Majulah renvoie au titre et au refrain de l’hymne singapourien –, destiné à ceux nés en 1973 ou avant), suite au covid‑19 et aux piteux résultats lors des élections de 2020, donne l’impression de la mise en place d’ajustements politiques et d’un État-providence qui ne dit pas son nom et a été longtemps voué aux gémonies par Lee Kuan Yew25. Il y voyait un pas fatal vers l’assistanat. Que dirait-il alors de toutes ces mesures qui semblent autant de perfusions économiques à l’échelle des ménages et sans vision à long terme ? Mais le gouvernement a-t-il le choix ? Anticipe-t-il un réveil de la population, dans la lignée de la motion sur le coût de la vie déposée par l’opposition en novembre 2023 ? Car, loin de l’habituelle macroéconomie chère aux dirigeants, prompts à se gargariser de classements et scores divers, telle la traditionnelle première place en tant qu’environnement propice aux affaires26, il est indéniable que la situation se tend pour les ménages. Le revenu réel médian a baissé de 4,5 % lors du premier semestre 2023, en grande partie à cause de l’inflation, évaluée à 4 % de septembre 2022 à septembre 2023, et alimentée par une fragile croissance du PIB, évaluée à + 0,7 % sur la même période27. Quant au taux de chômage, bien que de 2,8 % pour les citoyens singapouriens, il continue de croître, en même temps que les licenciements. Or, si le travail devait ne plus être un dû ou une évidence, comment vont réagir les diverses générations, peu enclines à courber l’échine, à se diversifier (pour les plus vieux) ou à se retrouver au plus près du terrain (pour les plus jeunes) ? Malheureusement pour elles, c’est précisément ce que leur demande le gouvernement au travers de ses campagnes publicitaires, par exemple pour reconsidérer toute idée trop soudaine de démissionner.
18De la même manière, cette passivité mâtinée d’une extrême confiance dans le système mis en place par ceux appelés « pionniers » expliquerait-elle que d’autres, pendant ce temps, en aient profité ? Il est effectivement indéniable qu’en termes de « perception » de la corruption, Singapour montre généralement de bons résultats, malgré des scores en nette baisse ces dix dernières années. L’État était encore considéré comme le cinquième au rang de ceux jugés les moins corrompus en 2022. Néanmoins, cette même année, un ministre de la troisième génération (donc senior), celui des transports, Iswaran, a fait l’objet d’une enquête puis d’une arrestation pour corruption. Très peu de détails ont filtré dans un premier temps, pour ne pas dire aucun, sinon la complicité d’un homme d’affaires, hôtelier de luxe et principal architecte du Grand prix de Formule 128. Cette brusque procédure a réveillé de sa torpeur le Corrupt Practices Investigation Bureau (CPIB) qui, précédemment, n’avait eu affaire à un ministre qu’en 1986. Ces démarches ont aussi jeté la lumière sur un système de contrôle à la neutralité discutable puisqu’entre les mains du PAP, qu’il s’agisse du Premier ministre ou du Président. De même, deux ministres, et non des moindres – Kasiviswanathan Shanmugam (Intérieur et Justice) et Vivian Balakrishnan (Affaires étrangères) – ont dû s’expliquer à propos de la location de leurs biens immobiliers auprès d’un organisme placé sous leur tutelle, d’où un possible conflit d’intérêts.
19Est-ce là le fruit d’un désintérêt de la société civile et de l’absence de contre-pouvoirs ? Ou bien, au contraire, ces affaires provoqueraient-elles le réveil de la population ? Il est un fait qu’en termes de recherche et d’innovation, également, des efforts sont à signaler. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche française, Sylvie Retailleau, a pu s’en rendre compte lors de sa visite à Singapour fin octobre, autour des thèmes de l’intelligence artificielle, de l’économie circulaire et des sciences quantiques. Au rang des innovations et pistes explorées par Singapour, il a même été question, sur la place publique, d’un recours à l’énergie nucléaire29.
20À écouter le discours du Premier ministre Lee Hsien Loong (né en 1952) lors de la grand-messe bisannuelle du PAP en novembre 2023, l’ombre du « Grand inquisiteur » cher à Dostoïevski plane encore. Il y est apparu que la démocratie made-in-Singapore devait se prémunir d’un trop-plein de liberté venue d’Occident. Tandis que le prêtre « se loue d’avoir supprimé la liberté pour rendre les hommes heureux », écoutant le cri du peuple – « des chaînes et du pain ! » –30, le fils du père fondateur Lee a rappelé les contraintes liées à la gestion d’une opposition politique. Lors de cette Convention et de la cérémonie des récompenses du PAP, il a accumulé les propos ambigus sur la démocratie, indiquant par exemple que « plus d’opposition ne fera pas un meilleur gouvernement »31. Toutefois, après un processus de transition plus long que prévu, Lee Hsien Loong devrait céder les rênes du gouvernement d’ici un an, avant le 70e anniversaire du PAP (novembre 2024) et les prochaines élections (novembre 2025, au plus tard). L’objectif est de permettre à la 4G de bénéficier de sa propre légitimité en cas de victoire. Dans son discours, le dauphin Lawrence Wong a promis davantage de connexions avec le terrain et une meilleure communication. Sera-ce suffisant pour contrebalancer l’influence des gardiens du temple fidèles à l’orthodoxie de Lee Kuan Yew (les ministres Kasiviswanathan Shanmugam et Edwin Tong) ? Ou, à son tour, le dauphin se soumettra-t-il, fataliste et aveuglément confiant dans le « système PAP » : au Parlement, à la présidence, dans les associations de quartier à travers les People’s Association (PA) et même dans les crèches Sparkletots, gérées par la PCF (PAP Community Foundation) ?32 À moins que le prochain dirigeant ne s’en remette à l’étranger.
Redéfinition des fondations extrinsèques de Singapour
21Le Lee Kuan Yew des années soixante – car on en a compté bien d’autres – tenait à s’identifier comme « sud-est asiatique » et non « chinois » afin de ne pas expérimenter la posture d’Israël, tel un îlot perdu dans un océan malayo-javanais33. Mais le « petit point rouge » singapourien, ainsi moqué et surnommé par l’ancien président indonésien Habibie car si petit sur les cartes, doit admettre sa vulnérabilité face à des turbulences transnationales. La piraterie et le brigandage maritime perdurent dans le détroit de Singapour (33 incidents en janvier-septembre 2023, contre 31 un an plus tôt et un seul, toujours sur la même période, en 2019)34. En sus, les feux de forêt de Sumatra ont ramené le haze (brouillard dû aux fumées des incendies) sur la cité-État en octobre-novembre 2023. Cependant et plus souvent, l’étranger apporte la main-d’œuvre, les richesses et la sécurité nécessaires pour éviter au pays tout excès d’effort.
Les piliers externes du développement interne
22Dans les écoles primaires publiques comme dans les entreprises, le mythe du travailleur singapourien doit être reconsidéré. Dans les premières, on ne compte plus les journées sans cours ou les professeurs absents. Pour ne rien arranger en termes d’ouverture d’esprit et en écho à l’apathie politique, les élèves accèdent au secondaire sans n’avoir jamais eu un livre à lire en cours et sans d’autres enseignements d’histoire que ceux à propos de Singapour (sauf en sixième et dernière année de primaire). Quant aux secondes, dans le monde privé, l’ardeur au travail doit également y être relativisée. En 2019 – à défaut de chiffres comparables plus récents ou disponibles dans le cas de Singapour – le taux de productivité singapourien s’élevait à 54,55 $ US par heure (19e au monde). Quoique très satisfaisant, il plaçait le pays non sur le podium comme très souvent en économie, mais derrière la France (9e avec 68,63 $ US) et l’Irlande (en première place avec 125,09 $ US)35.
23Cette attitude se prolonge sur le terrain, où les ouvriers sont sud-asiatiques. Peu s’émeuvent de leur omniprésence, donc de la dépendance du pays à leur égard (sinon le gouvernement), ainsi que de leurs conditions de travail. Cette année, Tommy Koh – ancien diplomate, intellectuel souvent sollicité et très actif sur Facebook – est revenu sur l’absence d’équipements pour leur repas ainsi que sur leur transport dans des semblants de bétaillères sans aucune protection – alors que la ceinture de sécurité est obligatoire et vérifiée dans les voitures36. On peut en compter jusqu’à 26 entassés à l’arrière des camions. Comme au Qatar lors de la Coupe du monde de football, le sujet a été soulevé dans le cadre du Grand prix de Formule 1. Mais le bruit des moteurs a couvert celui des éventuelles complaintes. Pour tout de même soigner cette indispensable main-d’œuvre et anticiper d’éventuelles manifestations violentes, comme en 2013, le gouvernement s’évertue à améliorer l’habitat de ces travailleurs, dont la part va croissant dans la population37. En 2023, Singapour comptait 3,611 millions de citoyens, 539 000 résidents permanents et 1,768 million d’étrangers (soit une population totale de 5,918 millions d’habitants). Plus que la fin de la pandémie et les arrivées de Hong Kong, ce sont ces étrangers, en hausse de 13,1 %, qui expliquent la croissance démographique totale de 5 % sur un an, du fait des recrutements dans le domaine du bâtiment et de la construction navale. Parmi ces non-résidents, 24 % disposaient d’un permis de travail standard (work permit) pour rattraper le retard dû au covid‑19 dans les domaines des infrastructures et des industries manufacturières ; 4 % venaient étudier et 15 % détenaient un visa de travailleurs domestiques, dont il va être à présent question38.
24Dans la cellule familiale, aussi, la loi du moindre effort s’impose. Le plus simple reste, tout d’abord, de ne pas avoir d’enfant. En 2022, le taux de fertilité est tombé à 1,04. Ensuite, demeure le recours aux employées domestiques (maids ou helpers), qui n’est pas limité aux classes les plus aisées. La plupart des tâches leur sont déléguées, qu’elles soient ménagères ou affectives à l’égard des enfants, ce qui interroge, dans certains cas, à propos de la « résilience » des parents, selon le lexique gouvernemental quand il s’agit de la capacité à résister, à s’adapter et à faire face aux éventuelles difficultés. À plus court terme, le sort de ces travailleuses domestiques a soulevé deux questions principales en 2023. D’une part, Channel News Asia s’est penchée sur le cas des mineures venues illégalement vendre leur service, souvent aux ménages les moins fortunés à cause de leur inexpérience et de leur faible niveau d’anglais. Leur nombre est toutefois en baisse depuis 2018 grâce aux efforts du gouvernement, qui multiplie par ailleurs les messages et rappels des cadres législatifs à l’attention des maids, par exemple sur les écrans publicitaires disposés dans les ascenseurs (et typiques des barres ou tours de logements pour environ 80 % de la population)39. D’autre part, l’activiste Jolovan Wham s’est certes félicité dans un post que le gouvernement veille à ce que ces employées ne soient pas déshumanisées par le biais de slogans tels que « satisfaisantes ou remplacées » ou au travers de qualificatifs subjectifs comme « intelligentes et obéissantes ». Néanmoins, il craignait y voir un double-jeu étant donné la pression mise insidieusement sur ces femmes pour ne pas trop protester. Car il est vrai que des droits existent. Par exemple en 2013, un jour de congé hebdomadaire a été instauré, 35 ans après le Plan pour les employées domestiques étrangères (Foreign Maids Scheme, FMS). Mais à croire les associations actives auprès de ces populations, revendiquer ces acquis peut se révéler autrement plus difficile. Cette pause dominicale pouvait être renégociée et il a finalement fallu attendre 2023 pour qu’un jour de congé mensuel soit obligatoire, mais sans être défini comme couvrant « 24 heures ». Plus grave : il doit encore résulter d’un accord « mutuel » entre employeurs et employées, d’où l’inquiétude des associations face à cette ambiguïté persistante40.
25Ces éléments ne doivent pas éclipser les ressources principales et non-humaines de Singapour : le pétrole à raffiner (qui place les installations de Jurong à la sixième place mondiale), les containers à traiter (en tant que deuxième port au monde) et les flux financiers (comme troisième place financière mondiale)41. De façon générale, le commerce singapourien demeurait en excédent de 3,6 milliards $ US en septembre 2023 bien que, sur la période septembre 2022-septembre 2023, le commerce total (importations et exportations) eût baissé de 12,3 %42.
26En plus de s’en remettre à l’étranger pour soutenir l’économie (infrastructures et commerce) aussi bien que les ménages, le gouvernement semble perpétuer l’idée de hedging diplomatique pour répartir ses risques (selon l’origine boursière de l’expression) ou, plus exactement, pour multiplier les protecteurs. Le cabinet (les 19 principaux ministres) ne fonctionnerait-il pas sur la scène internationale comme il le conseille à ses administrés sur la scène domestique afin de ne pas être accablé « sous le poids de ce fardeau terrible, le libre choix » ? Aussi, quels que soient les sujets géopolitiques, s’efforce-t-il de ne pas prendre parti ni de se prononcer ; « Avais-tu donc oublié que l’homme préfère la paix à la liberté ? », continuait malignement le Grand inquisiteur43.
Les multiples pilotis extérieurs de la sécurité nationale
27« Alliés », « protecteurs », « parrains », « tuteurs », « puissances tributaires », « hégémons » (« bienveillants » ou pas) : il s’avère difficile de qualifier le regard de Singapour à l’égard des grandes puissances. En 2023 comme avant, le pays ne veut pas choisir de camp. Il préfère rester l’ami de tous et de « tout au monde », dans le souci de privilégier le statu quo sécuritaire sur la scène extérieure, comme c’est déjà le cas à l’intérieur de ses frontières.
28Une telle posture minimaliste a été difficile à tenir après l’attaque du Hamas le 7 octobre, en général, et dans le contexte malais en particulier. Tandis que le soutien à la Palestine résonnait en Malaisie, en Indonésie, ainsi que chez les 15,1 % de Malais singapouriens très actifs sur les réseaux sociaux, le gouvernement a tenté de maintenir le cap. Il a rappelé les relations anciennes et étroites nouées avec Israël pour la formation des forces armées singapouriennes. Depuis, des experts israéliens, militaires ou spécialisés dans le contre-terrorisme, visitent fréquemment la cité-État. Il était même question d’une ambassade à Tel-Aviv dès 2022, dans la lignée des accords d’Abraham de 2020. L’ouverture a été effective en 2023, mais sur un mode beaucoup plus discret que la décision. Finalement, aucune manifestation de soutien à la Palestine n’a été autorisée. Vive était la crainte au sein du gouvernement de voir la société singapourienne se fracturer – à croire qu’il ne la considérait pas assez mûre pour de tels débats ? Quant aux députés, tous se sont entendus pour qualifier les actes du Hamas de terroristes. En dernier lieu et pour compléter, rappelons les liens solides entretenus avec les pays musulmans : visite d’une délégation singapourienne (Présidente, deux ministres et parlementaires) au Qatar en juin ; visite du Premier ministre du Qatar à Singapour en août dernier, pour le 8e Comité conjoint de haut niveau bilatéral ; et visite du Premier ministre Lee Hsien Loong en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis dix jours après l’attaque du Hamas, dans le cadre du sommet ASEAN-Conseil de coopération du Golfe. À cela s’ajoute la formation des ustazah et ustaz (enseignant-e-s religieux musulmans), sous la tutelle du ministère des Affaires musulmanes, au Maghreb, au Proche-Orient et même en Turquie.
29De façon plus générale, Singapour maintient le profil bas, quitte à se laisser porter par les événements. Côté Chine, les connexions sont maintenues. Outre la tenue d’un exercice naval bilatéral fin avril 2023 (le deuxième depuis son lancement en 2015), l’officier de liaison chinois a regagné l’Information Fusion Centre (hébergé par la marine singapourienne, dédié à la sûreté et à la sécurité maritimes) après une longue absence. Dans le domaine des affaires, il a été signalé une augmentation des millionnaires chinois ayant acheté des appartements dans des condominiums de luxe (+ 5 %, soit 10 % du total des condominiums de luxe vendus à Singapour en janvier-mars 2022), sachant que la moitié des sociétés spécialisées dans la gestion de patrimoine attachées à une seule famille est au service de clients venus de Chine44.
30Sur le plan diplomatique, les relations sont entretenues par plusieurs visites, à commencer par le vice-Premier ministre, qui a assuré ses derniers réglages avant sa prise de pouvoir l’année prochaine. Le ministre de la Défense Ng s’est aussi rendu à Pékin. Son discours prononcé lors du 10e Xiangshan Forum (sorte de Shangri-La Dialogue chinois) constitue un modèle d’équilibrisme. Il a nuancé chacune de ses injonctions à la Chine s’agissant du développement économique, du multilatéralisme ou de ses responsabilités en tant que grande puissance. De plus, à en croire une enquête de la correspondante du Washington Post, le quotidien en chinois du groupe SPH (Singapore Press Holdings) Lianhe Zaobao privilégierait l’accès au marché de la RPC (République populaire de Chine) plutôt qu’une approche critique ; l’ancienne ambassadrice chinoise à Singapour aurait même demandé aux journalistes de se tenir à l’écart des sujets liés au Tibet et au Xinjiang pour se concentrer sur des récits positifs45. Enfin, d’anciens très hauts fonctionnaires, comme l’ex-ministre George Yeo (1990-2011, notamment aux Affaires étrangères), contribuent à maintenir le lien : lors d’un discours introductif en Italie, celui-ci a tenu à relativiser les exactions commises contre les Ouïghours46. Il a publié cette année ses mémoires en trois volumes, sous forme d’entretiens, avec un chapitre intitulé « Love China, Love Hong Kong », où il travaille à présent.
31En même temps, Singapour entretient une relation fidèle avec Taipei, comme l’illustre la campagne publicitaire sur les bus à propos du tourisme à Taïwan. Certes, le traitement du 30e anniversaire de la rencontre sino-taïwanaise à Singapour a donné lieu à de prudents articles dans The Straits Times, comme celui narrant l’histoire d’un père chinois et de son fils taïwanais47. De son côté, le Premier ministre a indiqué qu’à son sens jamais Pékin n’envisagera une soudaine attaque contre Taïwan48. Néanmoins, le pays n’a pas pu rester totalement indifférent aux pressions de Pékin sur la République de Chine, avec qui les liens remontent aux premiers jours de l’indépendance. Un conflit rendrait sa position de funambule « plus difficile » et même « chancelante » : en posant par exemple la question de son rôle logistique, tout comme durant la guerre au Viêtnam49. De même, la spécificité de l’identité chinoise de quelque 74 % de Singapouriens a une nouvelle fois été rappelée au Parlement, le 19 avril 2023, en mandarin, par la ministre d’État aux Affaires étrangères Sim Ann : ceux-ci sont citoyens singapouriens dotés d’une « ethnicité chinoise » (huaren) mais pas « Chinois d’outre-mer » (huaqiao), selon le vocable utilisé par les autorités de Pékin pour raccrocher la diaspora à la RPC, en particulier par le biais de visas de cinq ans50.
32Pour ne pas avoir à trancher, Singapour choisit donc tout le monde, dont les États-Unis. Comme chaque année, Singapour héberge très professionnellement leur annuel exercice SEACAT (Southeast Asia Cooperation and Training). Singapour appelle aussi à plus de commerce avec Washington. Enfin, quand les écoles primaires anticipent sur les grandes vacances, les élèves ont droit à des diffusions télévisées à la place des cours : non pas des programmes chinois mais America’s got a talent. Il n’en demeure pas moins que cette relation semble d’autant plus perfectible que Joe Biden a snobé les sommets de l’ASEAN en septembre. À défaut, Anthony Blinken a visité la région en novembre, mais sans s’arrêter en Asie du Sud-Est, préférant privilégier des partenaires du Quad, en l’occurrence Japon et Inde, en plus de la Corée du Sud. Cette attitude a confirmé les avertissements détaillés dans un article sur cette complexe relation bilatérale d’« amis, de partenaires mais non d’alliés »51.
33Pour Singapour, ce type d’ambiguïté stratégique, en jouant sur les mots, permet de se préserver toutes les options, en guise d’éléments d’alternative au-delà de la bipolarisation sino-américaine en cours. Par le biais de l’ASEAN et de sa centralité, en sursis face à AUKUS et au Quad, Singapour a participé à des sommets 10+1 avec la Chine, l’Inde et même la Russie. Ces contacts ne l’ont pas empêché de participer à deux exercices militaires de l’ASEAN : l’un naval, en mai, dans les eaux philippines et un autre conjoint, en septembre, aux abords des îles indonésiennes des Natuna, toujours au plus près des eaux disputées en mer de Chine du Sud. Avec 13,34 milliards $ US alloués au budget de la défense en 2023, soit le plus important d’Asie du Sud-Est, Singapour cherche à maintenir une sorte de dissuasion conventionnelle. Son outil militaire participe aussi de cette diplomatie tous azimuts, comme l’illustre la nationalité des élèves à l’École de guerre (Goh Keng Swee Command and Staff College), qui inclut des Occidentaux tout comme des Chinois. Ses officiers sont eux-mêmes envoyés en formation en Asie du Sud-Est, Australie, Europe et Amérique du Nord. Quant aux équipements, que ce soit pour des entraînements ou pour offrir un semblant de profondeur stratégique, ils sont déployés en Australie, au Brunei et même en France. Sur ce dernier point, rien d’étonnant : le discours sur la « troisième voie », telle que confirmée par Emmanuel Macron lors de son discours estival aux ambassadeurs, séduit les diplomates singapouriens.
34Pour preuve, la cité-État veille à creuser son sillon dans des directions rarement mises en lumière. Le fonds souverain GIC (Government of Singapore Investment Corporation) a ainsi décidé de diversifier ses investissements au-delà de la seule Chine, par exemple en Inde, en Indonésie et au Viêtnam. De même, l’Afrique ne se situe jamais loin des visées singapouriennes et année après année, la cité-État tente de s’y positionner. En 2023, le Premier ministre a visité le Kenya, l’Afrique du Sud et le Rwanda, avant la tenue de l’Africa Singapore Business Forum en septembre. À ce jour, quelque 100 sociétés singapouriennes sont impliquées dans 40 pays africains, notamment pour la création de 123 villes nouvelles, avec le soutien du fonds souverain Temasek52.
Conclusion : passifs mais pas sans attentes…
35Qu’il s’agisse d’une part de profil bas sur la scène extérieure, pour éviter vagues et troubles, d’autre part d’indolence sur la scène domestique, dosage à définir d’indifférence, de passivité et d’arrogance, teintées d’un soupçon de fatalisme à cause du mythe de la vulnérabilité interne (heurts raciaux) autant qu’externe (menaces terroristes, voire malaisiennes53) : quelle voie emprunte Singapour ? Le pays s’inscrit-il dans le sillage d’États-rentiers à la population sevrée et blasée, sous perfusion en ressources financières et humaines ? À moins que les turbulences du moment, sociales, politiques et diplomatiques, ne poussent à un regain d’attention, voire à une reprise en main ? En caricaturant, quel modèle promouvoir entre ceux du Qatar et de l’Estonie, entre l’impression d’un engourdissement social ou la patrie de Skype et Wise, longtemps érigée en modèle à Singapour ? Est-ce un indice pour contrebalancer les nombreux déplacements ministériels à Doha ? Tallinn vient d’ouvrir son ambassade au cœur du quartier des affaires, en juin 2023, afin d’approfondir la coopération dans le domaine de la cybersécurité, entre autres.
36À moins que l’analogie ne vaille davantage avec la jeunesse française des « Trente glorieuses », qui, elle, a également profité de la reconstruction et d’un fort développement économique. Les mots de Jacques Brel pour la décrire s’appliqueraient pareillement à la population singapourienne, elle aussi « gentille », si peu capable « de s’indigner pour grand-chose » ou de « prise de position », qui « essaye de tuer le temps » à cause « du confort » et d’« une vie matérialiste » ; « on leur a dit d’être prudents, on leur a dit d’être sages, on leur a dit que tout était bien fragile ; et voilà qu’ils l’ont cru »… Avant de conclure : « ils vont bien se rendre compte que tout ça n’est pas vrai »54.
37La réponse ne devrait pas tarder, avec la remise du rapport Forward SG fin octobre 2023, au terme d’un an et demi de consultations. Ce patient labourage politique prépare la voie au changement de génération de dirigeants. Fort de ses nets accents « post-matérialistes », pour davantage d’« inclusion », de connexions avec la population et de « sens », gageons, à la manière de Gide, que Singapour « n’a pas fini de nous instruire et de nous étonner »55.
Annexe
Fiche Singapour
Nom officiel : République de Singapour
Capitale : Singapour
Superficie terrestre : 734,4 km²
Population (département des statistiques de Singapour, 2023) : 5,92 millions d’habitants, dont 3 610 700 citoyens, 538 600 résidents permanents et 1 768 300 non-résidents
Langues officielles : anglais, malais, mandarin, tamoul
Langue nationale : malais
Données politiques
Nature de l’État : république unitaire
Nature du régime : parlementaire autoritaire monocaméral
Suffrage : universel et obligatoire (à partir de 21 ans)
Cheffe de l’État : Halimah Yacob, puis Tharman Shanmugaratnam (depuis septembre 2023)
Premier ministre : Lee Hsien Loong (depuis août 2004)
Ministre des Affaires étrangères : Vivian Balakrishnan (depuis octobre 2015)
Ministre de la Défense : Ng Eng Hen (depuis mai 2011)
Président (speaker) du Parlement : Tan Chuan-Jin, puis Seah Kian Peng (depuis août 2023)
Échéances : pas d’échéance (à court terme)
Indicateurs démographiques et sociologiques
Principaux groupes ethniques (pour les citoyens et résidents permanents ; département des statistiques de Singapour, 2021) : Chinois (74,3 %), Malais (13,6 %), Indiens (8,9 %), autres (3,2 %)
Religions (citoyens et résidents permanents âgés de plus de 15 ans ; département des statistiques de Singapour, 2021) : bouddhisme (31,1 %), athéisme (20 %), christianisme (18,9 %), islam (15,6 %), taoïsme et autres religions traditionnelles chinoises (8,8 %), hindouisme (5 %), autres (0,6 %)
Chronologie
JANVIER 2023
1er Ÿ L’Union européenne et Singapour adoptent un accord commercial numérique (EUSDP) visant à faciliter le commerce numérique, les flux des données ainsi que la protection numérique.
13 Ÿ Singapour lève les restrictions liées au covid‑19. Désormais, le masque n’est plus obligatoire dans les transports en commun. Les autorités considèrent que la situation pandémique locale et mondiale s’est stabilisée.
14 Ÿ Dans le cadre d’un programme gouvernemental visant à encourager l’innovation, certaines entreprises disposeront d’avantages fiscaux. L’investissement dans quatre types d’activités liées à l’innovation, dont la recherche et le développement, permettront aux sociétés de bénéficier de déductions fiscales allant jusqu’à 400 %, au lieu de 250 % à l’heure actuelle.
FÉVRIER 2023
14 Ÿ Le vice-Premier ministre et ministre des Finances, Lawrence Wong, annonce un réaménagement du budget visant à pallier l’augmentation du coût de la vie.
16 Ÿ L’Agence nationale de l’environnement (AEN) lance son plan de transformation de l’industrie des services environnementaux. Il vise à améliorer la productivité et à renforcer l’innovation tout en relevant les normes dans le secteur des services environnementaux d’ici 2025.
30 Ÿ Lors de la visite d’Anwar Ibrahim à Singapour, trois protocoles d’accords sont signés sur la coopération en faveur du développement de l’économie verte et de l’économie numérique, ainsi que sur la cybersécurité. Singapour et la Malaisie représentent réciproquement le deuxième partenaire commercial de l’un et l’autre.
MARS 2023
16 Ÿ La retraite des dirigeants Indonésie-Singapour se conclut par la signature de six accords couvrant en partie les domaines de l’économie numérique, de la transition énergétique, de la santé et des finances.
29 Ÿ Lors de sa rencontre avec le secrétaire du comité provincial de Guandong du Parti communiste, Huang Kunming, le Premier ministre Lee Hsien Loong proclame vouloir renforcer les relations bilatérales avec la Chine. Les deux hommes abordent les perspectives de collaboration dans les domaines du transport maritime, du développement économique et de la planification urbaine.
MAI 2023
08 Ÿ Le ministère des Affaires intérieures propose une loi autorisant le gouvernement à ordonner le retrait de sites Web et comptes en ligne soupçonnés d’être utilisés pour des escroqueries. Sont également visés la distribution de matériel pédopornographique et les délits liés à la drogue.
15 Ÿ La ministre du Développement social et familial annonce qu’à compter de juillet 2023 Singapour autorisera la congélation des ovocytes pour les femmes de 21 ans à 37 ans. L’âge limite était auparavant 35 ans.
JUIN 2023
1er Ÿ La Chine et Singapour annoncent qu’elles travailleront ensemble à la mise en place d’une ligne directe de communication de haut niveau en matière de défense dans un contexte de concurrence stratégique croissante entre Pékin et Washington.
16 Ÿ La police annonce que Singapour va progressivement déployer davantage de robots policiers dans la ville-État, après plus de cinq ans d’essais à petite échelle. Ces robots de patrouille visent à renforcer les opérations de la police à Singapour, dont la faible population et le très bas taux de natalité obligent à recourir à la technologie.
16 Ÿ Le ministre des Affaires étrangères singapourien Vivian Balakrishnan annonce le renforcement de la coopération avec les États-Unis dans les domaines de la cybersécurité, le changement climatique et l’espace, à la suite d’une rencontre organisée par le Secrétaire d’État Antony Blinken.
22 Ÿ Selon un sondage IPSOS, 32 % des Singapouriens soutiennent la légalisation du mariage homosexuel, tandis que 27 % s’opposent à toute forme de reconnaissance légale des couples homosexuels. Les autres ne se prononcent pas (19 %) ou soutiennent une forme de reconnaissance autre que le mariage (23 %).
JUILLET 2023
03 Ÿ Le ministre des Affaires étrangères singapourien Vivian Balakrishnan annonce que neuf des 47 entités identifiées par le Rapporteur spécial des Nations unies en Birmanie comme jouant un rôle dans le flux de matériel pour l’armée birmane ne peuvent plus légalement opérer dans le pays. Toutefois, la cité-État n’imposera pas une interdiction totale du commerce avec la Birmanie afin de ne pas aggraver la souffrance du peuple birman.
06 Ÿ Le Comité consultatif sur les rapports de durabilité (Sustainability Reporting Advisory Committee) singapourien propose une liste d’amendements visant à rendre obligatoire la publication d’informations sur le climat pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel d’au moins un milliard $ SG (près de 750 millions US $). Une telle modification de la loi permettrait à Singapour de s’aligner sur les normes mondiales.
10 Ÿ Le ministre coordinateur pour la Sécurité nationale Teo Chee Hean rencontre les dirigeants israéliens et palestiniens à l’occasion d’un voyage dans la région. Il réaffirme l’engagement de Singapour pour une solution négociée fondée sur la coexistence de deux États. Se félicitant de l’ouverture concomitante d’une ambassade à Tel-Aviv et d’un Bureau de représentation de Singapour à Ramallah pour le développement de la coopération, le ministre réitère le soutien de Singapour à l’Autorité palestinienne. Il affirme que le pays versera 50 000 $ US à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
AOÛT 2023
1er Ÿ Entrée en vigueur du National Symbols Act, qui assouplit les règles régissant l’utilisation du drapeau singapourien afin d’encourager les manifestations de fierté nationale. Des garanties plus solides seront parallèlement mises en place pour éviter l’utilisation abusive des symboles nationaux.
27 Ÿ Lors de sa visite au Vietnam, le Premier ministre singapourien annonce que les deux pays se sont mis d’accord sur un partenariat stratégique global, soit un échelon au-dessus de leur partenariat stratégique actuel.
SEPTEMBRE 2023
1er Ÿ Début d’un exercice militaire conjoint de deux semaines entre les armées chinoise et singapourienne sur le thème des opérations d’anti-terrorisme urbain. L’exercice, le cinquième de ce genre depuis 2009, souligne les relations amicales qu’entretiennent les deux institutions de défense.
02 Ÿ L’ancien vice-Premier ministre de Singapour, Tharman Shanmugaratnam, est élu président de la cité-État, après avoir remporté 70,4 % des voix lors des élections de la veille.
02 - 17 Ÿ Environ 800 soldats de l’armée singapourienne et de l’armée américaine participent à l’exercice annuel « Lightning Strike » au Centre national d’entraînement en Californie.
13 Ÿ Un nouveau programme de recherche interdisciplinaire de 50 millions $ US, piloté par l’Université technologique de Nanyang (NTU), examinera divers aspects du changement climatique.
27 Ÿ Singapour se hisse à la cinquième place de l’indice mondial de l’innovation (IIG) 2023, en tête de la région Asie du Sud-Est, Asie de l’Est et Océanie (SEAO).
OCTOBRE 2023
1er Ÿ Le vice-Premier ministre Lawrence Wong occupe le poste de vice-président du GIC. Le GIC, créé en 1981, est un fonds souverain de Singapour qui gère les réserves de change du pays.
24 Ÿ La Hinrich Foundation publie son rapport annuel concernant la capacité de trente grandes économies mondiales à participer efficacement et durablement au commerce, sur la base de 71 indicateurs économiques, sociétaux et environnementaux. Singapour occupe la troisième place du classement.
27 Ÿ Selon une étude du Secrétariat national du changement climatique (NCCS), les émissions de gaz à effet de serre de Singapour en 2021 ont atteint leur niveau le plus élevé à ce jour, avec 57,7 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone, ce qui représente une augmentation d’environ 9 % par rapport aux niveaux de 2020.
29 Ÿ Singapour soutient une résolution des Nations unies appelant à une trêve humanitaire immédiate et durable à Gaza.
NOVEMBRE 2023
06 Ÿ Le ministère de l’Intérieur (MHA) annonce que l’affichage public ou le port d’emblèmes nationaux étrangers liés à la guerre entre Israël et le Hamas sans permis constitue une infraction.
07 Ÿ Selon le dernier rapport du Global Talent Competitiveness Index publié par l’INSEAD (Institut Européen d’Administration des Affaires), Singapour est classée deuxième, derrière la Suisse, dans la liste des pays les plus compétitifs pour attirer et garder les « travailleurs talentueux ».
22 Ÿ Le parlement modifie la Constitution afin de valider le contrôle du gouvernement sur les activités du président de la République en dehors de ses fonctions officielles. Cet amendement était nécessaire à cause des responsabilités du nouveau président Tharman, notamment au sein de l’ONU, du G30 et du Forum économique mondial.
DÉCEMBRE 2023
02 Ÿ Un gigantesque projet de poldérisation face à East Coast est dévoilé. Baptisé « Long Island », son objectif sera principalement de lutter contre la montée des eaux.
19 Ÿ Dans le cadre de transferts d’argent gelés depuis Singapour vers la Chine, 670 plaintes sont déposées. Le même jour, preuve de ces tensions bilatérales sur le front financier, un résident permanent singapourien mais vivant en Chine est condamné à trois ans de prison pour blanchiment d’argent depuis la RPC, via des entreprises factices dans la cité-État.
Portraits

Ja Ian Chong
Aux heures de bureau, Ian Chong enseigne à la National University of Singapore (NUS). Son parcours académique l’a emmené aux États-Unis (master à Georgetown, doctorat en 2008 à Princeton, puis chercheur invité à Harvard). Aujourd’hui, ses travaux portent sur les questions sécuritaires, principalement en Asie et en mer. Au bas de son CV, sa maîtrise du « singlish » (un anglais mâtiné de langues asiatiques et typique de Singapour), en tant que langue à part entière, donne un indice sur ses revendications et ses activités parallèles – mais pas extra-universitaires. Avec d’autres chercheurs, il a en effet monté en 2020 une plateforme en ligne – Academia.sg – pour encourager les publications sur Singapour, sans être affilié à une quelconque organisation. Preuve des possibles difficultés face à cet investissement associatif : seuls deux des six membres du bureau sont basés sur place. Cette initiative était partie d’une pétition d’universitaires inquiets de la loi sur les fake news et la manipulation de l’information en 2019. En 2023, la vigilance reste de mise : Singapour est classée 114e dans l’Index de la liberté académique56, ce qui dénote avec les rangs de NUS et NTU (Nanyang Technological University), respectivement 8e et 26e meilleures universités au monde, selon QS cette même année.

Desmond Lee Ti-Seng
Desmond Lee, 47 ans, n’en finit pas de gravir les échelons, suivant l’habituel balisage de l’élite singapourienne. Son parcours scolaire (Raffles Junior College, NUS, Oxford) l’a préparé à une carrière de juriste au sein du ministère public, de différents ministères puis du fonds souverain Temasek. C’en était assez pour suivre les traces de son père en devenant député en 2011. Il a continué à grimper en devenant secrétaire d’État pour le Développement national en 2013, puis ministre pour le Développement social et familial en 2017. Cette promotion lui a permis d’intégrer le « cabinet », de plus en plus près du pouvoir. Lors d’un remaniement en 2020, son portefeuille s’est même enrichi de l’Intégration des services sociaux. Enfin, il a intégré le Comité exécutif central du PAP fin 2020, en témoignage de la confiance accordée.
À l’aube de l’accession au pouvoir de la 4G, cette ascension impressionne d’autant plus qu’elle se double d’une rare vigueur politicienne quand il faut s’en prendre soit au frère du Premier ministre, qui dénonçait en 2023 un conflit d’intérêts au sein du gouvernement57, soit aux chefs de file du WP, lors de leur mise en cause dans la gestion de leur circonscription en 2014.
Arrêt sur image

« Attention, personnes âgées ». Panneau de signalisation
dans le quartier de Bukit Batok, sur un trottoir partagé avec les vélos
© Eric Frécon, 2023
À Singapour, le danger ne vient pas de la traversée d’animaux sauvages (chevreuils, kangourous), mais… de personnes âgées. Il est vrai que les « 65 ans et plus » représentent aujourd’hui 19,1 % de la population, contre 11,7 % dix ans plus tôt. Ils devraient peser 24,1 % en 2030 (pour 19,3 % de « 19 ans et moins »)58, ce qui explique les initiatives annoncées lors du Rally Speech 2023, sorte de discours annuel de politique générale. Le Premier ministre a ainsi lancé le programme « Age Well SG » dans le but de veiller à la santé des plus âgés ainsi qu’à l’accessibilité des logements et autres infrastructures.
Notes de bas de page
1 André Gide, Retour de l’URSS, Paris, Gallimard, 1936, p. 48-49.
2 Début 2023, Singapour pointait au 129e rang du classement de Reporters sans frontières sur la liberté d’expression et au 168e rang si l’on ne considère que le critère législatif. Voir aussi Martine Bulard, « Singapour, l’envers d’un décor futuriste », Monde diplomatique, septembre 2023, p. 4-5.
3 Han Fook Kwang, « Battle lines drawn for next Singapore GE », The Straits Times, 18 décembre 2023, p. A23 ; Jean Lau, « No place for populism, political opportunism in S’pore: DPM Wong », The Straits Times, 22 avril 2023, p. A4.
4 Sudhir Vadaketh, « Our response to POFMA orders », Jom, 16 juillet 2023 (https://www.jom.media/response-to-pofma-orders/). Comme indiqué sur le site internet, « jom » signifie « allez ! » en malais : www.jom.media/about-us
5 Association basée à Londres et regroupant 190 barreaux ou associations d’avocats dans 170 pays ; « Singapore: Ravi Madasamy receives IBA Human Rights Award 2023 », International Bar Association, 2 novembre 2023 (https://www.ibanet.org/Ravi-Madasamy-receives-IBA-Human-Rights-Award-2023).
6 Tham Yuen-C, « Ex-GIC investment chief Ng Kok Song on his firm, his motivations and the reserves », The Straits Times, 26 juillet 2023.
7 Tan Tam Mei, Rei Kurohi, « Singapore GE2020: Police reports made against DPM Heng for remarks on non-Chinese PM; AGC says no offence committed », The Straits Times, 8 juillet 2020.
8 Cette opération a officiellement déjoué une conspiration marxiste contre Singapour ; plus d’une vingtaine de catholiques, hommes de lettres et travailleurs sociaux ont été détenus sans jugement. Cette opération rappelle celle baptisée Coldstore, en 1963, également en réaction à une menace communiste contre la sécurité du pays.
9 Voir la note 12 dans Christopher Tremewan, « Winds of democratic change: interrupted but not extinguished? », Academia.sg, 15 juillet 2023 (https://www.academia.sg/academic-views/winds-of-democratic-change/).
10 93,41 % du corps électoral s’est exprimé malgré l’obligation de voter, soit une baisse de 1,39 % depuis la dernière élection présidentielle en 2011 – sachant que l’ancienne présidente Halimah Yacob n’avait pas eu de rival lors de son « élection » en 2017, dès lors surnommée « sélection » par les opposants au PAP.
11 Chan Cheow Pong, « 25 years ago, an OSA case involved future DPM Tharman Shanmugaratnam », Mothership, 21 décembre 2017 (https://mothership.sg/2017/12/1992-osa-tharman-shanmugaratnam-dpm/).
12 Il lui a été reproché de manquer d’expérience car il dirigeait cinq petites entreprises et non une grande.
13 Sudhir Vadaketh, « Nobody’s independent: Singapore’s presidential election », Jom, 30 août 2023 (https://www.instagram.com/p/Cwjrwx3yWgt/?igshid=MTc4MmM1YmI2Ng%3D%3D&img_index=1).
14 Eugene Tan, « Perfecting Singapore’s system of political governance: Privileging elites in the quest for good governance », Research Collection-Yong Pung How School of Law: Singapore Management University, vol. 12, 2019, p. 88-121. Schéma explicatif distribué au parlement en 2016 et partagé par Kirsten Han sur Facebook, 31 août 2023 (https://www.facebook.com/kixes/posts/pfbid0DnM8CJjBSFSbTjDshPeh9eXYh3ywABMz8MYEY1BzZny3f9ux8HZSzZ4nZHfDHjdUl).
15 Kimberly Lim, « Uncanny Coincidences and Things Left Unsaid at the Workers’ Party Media Conference », Rice Media, 19 juillet 2023 (https://www.ricemedia.co/wp-uncanny-coincidences-things-unsaid-conference/).
16 Louisa Tang, « Tender launched to double number of police cameras in Singapore to over 200,000 by mid-2030s », Channel News Asia, 30 octobre 2023 (https://www.channelnewsasia.com/singapore/police-cameras-tender-launched-double-number-200000-mid-2030s-3882691?cid=internal_sharetool_androidphone_30102023_cna) ; S. Bo, « Paris : 320 nouvelles caméras de vidéosurveillance d’ici 2026 », BFM, 14 décembre 2022 (https://www.bfmtv.com/paris/paris-320-nouvelles-cameras-de-videosurveillance-d-ici-2026_AD-202212140640.html).
17 Jeremy Au Yong, « Why don’t we hang out anymore? The case for spending time together doing nothing with friends », The Sunday Times, 14 mai 2023, p. A17.
18 Channel News Asia, 15 septembre 2023 (https://www.instagram.com/reel/CxMi-ZWBspO/).
19 Angela Tan, « “Don’t let stereotypes hold you back”: Good prospects in supply chain management », The Straits Times, 11 juillet 2023, p. A18. Le mot « race » à Singapour n’a pas le même sens qu’en français. Il fait partie du lexique gouvernemental et permet de diviser la population en quatre groupes ethno-raciaux principaux : Chinois, Malais, Indiens et Autres.
20 Laavanya Kathiravelu, « Doubly minoritised: Indianness in Singapore and xenophobia as racism », Academia SG, 12 octobre 2022 (https://www.academia.sg/academic-views/indianness-in-singapore/) ; Ian Cheng, « Police to look into claims of racial discrimination, other allegations after officer’s death: Shanmugam », The Sunday Times, 23 juillet 2023, p. A17.
21 Jared Ng, « Suicide: Not as simple as mind over matter », The Straits Times, 11 juillet 2023, p. B3.
22 Natasha Ann Zachariah, « President Halimah calls on more people to volunteer », The Straits Times, 1er juillet 2023, p. A6 ; « DPM Lawrence Wong at the Singapore Volunteer Management Conference 2023 », Prime minister Office, 11 avril 2023 (https://www.pmo.gov.sg/Newsroom/DPM-Lawrence-Wong-at-the-Singapore-Volunteer-Management-Conference-2023).
23 Lee Li Ying, « New standard offers guidance on safe, proper food for kids », The Straits Times, 1er juin 2023, p. A1.
24 André Gide se souvenait lui du « complexe de supériorité » en URSS : Op. cit., p. 53. Lily Kong, « Young Singaporeans abroad and their misguided sense of superiority towards S-E Asia », The Straits Times, 22 novembre 2022, p. B2.
25 Kelvin Seah, « Commentary: Singapore has long resisted unemployment benefits, so why the change of heart? », Channel News Asia, 19 octobre 2023.
26 « Singapore retains its position as the world’s best business environment for 15 consecutive years », Economist Intelligence Unit, 13 avril 2023 (https://www.eiu.com/n/eius-business-environment-rankings/).
27 David Tham, « Real median income in Singapore falls 4.5% in first half of 2023 due to inflation, weaker outlook », Channel News Asia, 7 novembre 2023.
28 Goh Yan Han, « Why $8,500 and not no-pay leave: 6 key questions from MPs on CPIB’s Iswaran probe », The Straits Times, 3 août 2023.
29 « Deputy Prime Minister and Minister for Finance Lawrence Wong’s Meetings in Washington DC, USA, 11 to 13 October 2023 », Ministry of Foreign Affairs, 15 octobre 2023 (https://www.mfa.gov.sg/Newsroom/Press-Statements-Transcripts-and-Photos/2023/10/20231015-DPM-Wong-Meetings-in-US).
30 Dostoïevski, « Les frères Karamazov », Tome 1, Paris, Plon, 1941 (1880), p. 217.
31 Louisa Tang, « PM Lee to hand over leadership to DPM Lawrence Wong by November 2024, before next General Election », Channel News Asia, 5 novembre 2023 ; Juliette Pietraszewski, « Singapour : passation de flambeau à la tête de la Cité-État », RFI, 5 novembre 2023.
32 C’est la question que posait cet ouvrage : Cherian George et Donald Low, PAP v. PAP: The Party’s Struggle to Adapt to a Changing Singapore, Singapour, Epigram, 2020, 170 p.
33 Ou malais, ou insulindien : dans une zone recouvrant Brunei, de l’Indonésie, de la Malaisie et une partie des Philippines.
34 International Maritime Bureau, Piracy and Armed Robbery against Ships – Report for the Period, 1 January-30 September2023, Londres, International Chamber of Commerce, p. 6.
35 « 2019 productivity ($/hr) », World Population Review, 2023 (https://worldpopulationreview.com/country-rankings/most-productive-countries).
36 Sur son compte Facebook, le 2 août, en réaction à cet article : Sarah Koh, « Business groups flag “complexities” amid calls to ban lorries ferrying workers », The Straits Times, 2 août 2023.
37 Oscar Korbosli, « À Singapour, la face cachée du Grand-Prix de Formule 1 », Challenges, 15 septembre 2023.
38 Prime Minister’s Office, Populations trends – Overview, juin 2023 (https://www.population.gov.sg/our-population/population-trends/overview/).
39 Louisa Tang, « Why do underage maids risk working illegally in Singapore, and how do they slip through the cracks? », Channel News Asia, 29 juillet 2023.
40 D’autant plus que Singapour n’a pas signé la Convention des travailleurs domestiques (C 189) de l’Organisation internationale du travail, bien qu’un ménage sur cinq y ait recours : « #RestDayAllDay Campaign: Towards 24-Hour Rest Days for Singapore’s Migrant Domestic Workers », Home, 30 juin 2023.
41 Offshore Technology, Top ten active oil refineries in Asia, 6 juin 2023 (https://www.offshore-technology.com/data-insights/top-ten-active-oil-refineries-asia/) ; James Raman, « 25 of the World’s Largest Shipping Ports in 2023 », SCF, 8 novembre 2023 ; Z/Yen, Global Financial Centres Index 34, 2023 (https://www.longfinance.net/programmes/financial-centre-futures/global-financial-centres-index/gfci-34-explore-the-data/gfci-34-rank/).
42 CEIC, Singapore Trade Balance, septembre 2023 (https://www.ceicdata.com/en/indicator/singapore/trade-balance) ; Enterprise Singapore, Singapore’s External Trade – September 2023, 8 novembre 2023 (www.enterprisesg.gov.sg/resources/media-centre/media-releases/2023/october/mr04723_singapore-external-trade-for-september-2023).
43 Dostoïevski, op. cit., p. 219-220.
44 Amy Hawkins, « China’s billionaires looking to move their cash, and themselves, out », The Guardian, 30 octobre 2023.
45 Shibani Mahtani, « In Singapore, loud echoes of Beijing’s positions generate anxiety », The Washington Post, 23 juillet 2023.
46 George Yeo, « Keynote speech: China in Europe’s Future and Europe in China’s Future », European University Institute, 23 mai 2023 (https://www.youtube.com/watch?v=Jea5wBu2glA).
47 Yip Wai Yee, « When Father is “Chinese” and son is “Taiwanese” », The Straits Times, 22 avril 2023, p. B6.
48 Jono Thomson, « Singapore PM says sudden invasion of Taiwan unlikely », Taiwan News, 10 novembre 2023.
49 Fermantes Lailari, « Southeast Asian Reactions to a Taiwan Strait Crisis », Jewish Policy Centre, été 2023 ; Benoît de Tréglodé, « Les États d’Asie du Sud-Est face à l’éventualité d’une guerre à Taiwan », Revue de la défense nationale, 2023, vol. 7, n° 862, p. 84-90.
50 Propos rapporté par le chercheur Dylan Loh sur les réseaux sociaux : « 新加坡华人十分清楚:他们是新加公民,也是新加坡华人,不是”华侨 » (vidéo supprimée sur Youtube « par l’utilisateur qui l’a mise en ligne »). L’idée est de ne pas apparaître comme faisant uniquement partie de la « diaspora » chinoise (de RPC) mais comme étant une nation en tant que telle, « chinoise » seulement par son ethnicité.
51 Blake Herzinger, « Friends, Partners, But Not Allies », U.S. Naval Institute – Proceedings, vol. 149, n° 5/1, mai 2023, p. 443.
52 Nommé ainsi d’après l’ancien nom de l’île, jusqu’au xive siècle.
53 Émoi lors du défilé de la fête nationale, lorsqu’un hélicoptère malaisien, civil, a survolé l’aéroport de Changi et déclenché le décollage immédiat de F16 singapouriens. Moins d’un mois plus tard, un pêcheur malaisien agitait les chancelleries en s’égarant dans les eaux singapouriennes avant d’emmêler ses filets dans le moteur d’un patrouilleur singapourien.
54 INA, Jacques Brel sur la violence et la sagesse des jeunes – Discorama, 15 septembre 1963 (https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00008556/jacques-brel-sur-la-violence-et-la-sagesse-des-jeunes).
55 André Gide, op. cit., p. 92.
56 Katrin Kinzelbach, Staffan I. Lindberg, Lars Pelke, Janika Spannagel, Academic Freedom Index 2023 Update, Erlangen-Nuremberg, V-Dem Institute, 2023, p. 3.
57 Terry Xu, « Desmond Lee’s attack on L’est Hsien Yang: The irony of PAP’s selective outrage », The Online citizen, 26 juillet 2023 : https://www.theonlinecitizen.com/2023/07/26/desmond-lees-attack-on-lee-hsien-yang-the-irony-of-paps-selective-outrage/.
58 Prime Minister’s Office, Populations trends – Overview, juin 2023 (https://www.population.gov.sg/our-population/population-trends/overview/).
Auteur
Éric Frécon est docteur en science politique, basé à Singapour depuis 2017. Il est actuellement chercheur associé à l’IRASEC, à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire ainsi qu’à l’École navale (Brest), où il a enseigné durant six ans. Il donne aussi des cours à l’Universiti Brunei Darussalam. Précédemment, il avait coordonné l’Observatoire Asie du Sud-Est à Asia Centre (2012-2019) et fut chercheur à la Rajaratnam School of International Studies à Singapour (2008-2011). Récemment, il a publié entre autres « L’ASEAN face à la redéfinition de sa centralité – diplomatique, opérationnelle et géographique », Hérodote, n° 176 (2020) et « L’influence sécuritaire chinoise à Singapour », Études de l’IRSEM, n° 85 (août 2021). Il a également codirigé avec Benoît de Tréglodé « Diplomatie des garde-côtes en Asie du Sud-Est », Étude de l’IRSEM, n° 73 (mars 2020).
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