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L’Asie du Sud-Est 2009 : les évènements majeurs de l’année

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Arnaud Leveau

Troisième partie. La région

Cambodge

Des augures favorables

Denis Gambade

Volltext

1L’année avait plutôt bien commencé. Début 2008, le Cambodge sortait de plusieurs années de croissance économique soutenue portée par le développement continu de certains secteurs économiques. Le pays attirait autant les donateurs internationaux que les investisseurs privés qui voyaient là un marché très peu développé offrant d’importantes marges de croissance. Cimenteries, téléphonie mobile, assurances, internet, importations de biens d’équipement : les opportunités semblaient rattraper les besoins de ce pays, pour maintenir son taux de croissance économique à deux chiffres.

2Début 2007, à la fin d’une législature, le pays présentait quelques belles réussites. Un des pays de la région les plus mal classés quant à ses indicateurs de développement, le Cambodge laissait aussi présager de belles perspectives de croissance.

3La mise en place du tribunal khmer rouge, attendue et retardée pendant des années, se présentait plus comme un devoir historique que comme un enjeu politique : condition certainement nécessaire au développement serein du dossier sur la scène intérieure.

4La question de la reconnaissance et du respect des frontières avait bien avancé, avec l’accord signé avec le Viêt Nam. Pouvait-on prévoir que la question allait s’envenimer à ce point avec la Thaïlande ?

1- L’économie

5Pour l’industrie textile, la construction, le tourisme, l’agriculture, on pouvait prévoir quelques écueils à venir, mais les indicateurs étaient au beau fixe.

6Avec 300 000 employés, le textile est un important pourvoyeur de devises du Cambodge. L’industrie exporte sa production vers les marchés occidentaux, parfois via des réseaux régionaux. Malgré quelques moments difficiles, notamment le dernier trimestre 2007 où les exportations avaient baissé de 46 %, le secteur avait toujours su ménager une marge de progression et ne s’était pas effondré après la fin des quotas textiles et la mise en concurrence directe avec la Chine notamment. Le Cambodge a fait le choix voilà plusieurs années de promouvoir une politique sociale forte dans ce secteur industriel. Cette production « responsable » garantit aux grandes marques de ne pas se faire attaquer sur leurs marchés pour exploitation de la main-d’œuvre, et cela séduit les donneurs d’ordre. Malgré tout, face au Viêt Nam, à la Chine et au Bengladesh, cela reste un avantage bien fragile.

7Le secteur du bâtiment était un autre atout de cette économie : le besoin en infrastructures est réel, de même que le besoin d’extension et de rénovation du tissu urbain : entre nouveaux quartiers et avenues prisées, Phnom Penh se préparait un horizon fait de gratte-ciel et de tours de bureaux. Siem Reap, la ville touristique qui dessert les temples d’Angkor, n’a pas été épargnée par des vagues successives d’investissements hôteliers. Les besoins paraissaient tellement énormes, et la conjoncture favorable, que les Thaïlandais de Siam Cement avaient prévu d’investir dans deux cimenteries. Le secteur du bâtiment est aussi un gros pourvoyeur d’emplois journaliers pour la main-d’œuvre du monde rural.

8Qui a vu Angkor sait que le tourisme est une des chances du Cambodge. Avec deux millions d’entrées sur le territoire national, le tourisme est devenu un des atouts économiques du pays. La beauté des plages de la côte et le projet de mise en service d’un aéroport international au bord de mer à Sihanoukville permettaient d’espérer la diversification de cette activité : plus d’emplois, plus de revenus directs, plus d’investissements dans les années à venir. Avec les chiffres de la fréquentation au beau fixe, certaines limitations du secteur pouvaient presque paraître comme des opportunités, en poussant les investisseurs à s’engager.

9L’agriculture enfin, qui fait vivre 80 % de la population, montrait des potentiels prometteurs, avec notamment un taux de mécanisation très faible, pour le travail des champs comme pour la préparation du riz, peu de structures d’irrigation pour la riziculture, et malgré tout 2 millions de tonnes de riz exportées en 2007. L’élevage repose encore largement sur des structures familiales.

10Sur ces bases, qui présentent des défis parfois de taille mais qui ont assuré au pays plusieurs années consécutives de croissance à deux chiffres, on se prenait à rêver de diversification : voir s’installer un tissu industriel, s’étoffer les offres de service, se moderniser les agglomé rations…

11Déjà, le climat des affaires connaît de constantes améliorations. La plupart des textes et codes ayant été perdus pendant la période khmère rouge, un énorme chantier de production est en route depuis plusieurs années. Ce sont chaque année plusieurs textes qui sont promulgués, améliorant à chaque fois la visibilité sur l’environnement des affaires. En 2008, la promulgation d’une loi sur les faillites, la proposition d’un projet de loi sur les tribunaux de commerce, mais aussi la réforme des procédures douanières, ont valu au Cambodge de remonter du 150e au 135e rang, dans un classement effectué par la Banque Mondiale.

12Dans un contexte fait de confirmation des atouts, le Cambodge de 2008 s’est développé sans complexe, permettant même au magazine Forbes Asia de titrer en couverture : un pays qui n’a pas de temps à perdre (A land with no time to lose). Cette conjoncture a donné à l’annonce de toute nouvelle perspective de développement un retentissement particulièrement important. La découverte de gisements de pétrole, de bauxite, d’or, la publication des potentiels du pays en hydro-électricité et le début de la construction des barrages, les investissements importants dans les nouvelles technologies et les infrastructures de transport ont alimenté toute l’année cette idée que le Cambodge était aux prémices d’une phase de développement majeure. Les projets pharaoniques déposés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, avec des quartiers entiers à faire sortir de terre, la multiplication des zones industrielles et zones économiques spéciales s’ajoutent encore à cet inventaire à la Prévert.

13Deux mil huit a été l’année des fonds d’investissements au Cambodge, avec l’installation simultanée de plusieurs d’entre eux, pour un total d’investissement envisagé d’un demi-milliard de dollars.

La première bourrasque

14Tableau idyllique ? Quelques craquelures se laissaient voir, malgré tout. Déjà en 2007, l’inflation avait été problématique, avec par exemple un taux de 20 % sur les produits alimentaires. En 2008, elle est montée tellement haut que le Fonds monétaire international n’a plus publié ses chiffres pendant quelque temps. Le volume de crédit inquiète aussi, avec un envol des sommes accordées au cours de l’année. C’est la spéculation qui transparaît derrière ce phénomène : la certitude que l’économie du développement et de la croissance est solidement installée, et la volonté d’en profiter vite.

15La crise internationale sur le cours des matières premières, durant l’été 2008, n’arrange rien. Les prix s’envolent brusquement, rendant inaccessibles certaines denrées sur le marché local. Les cours du riz s’enflamment quelques jours et le gouvernement est obligé d’en interdire les exportations pour rassurer la population qui craint que des spéculateurs n’aillent jouer les stocks cambodgiens sur les cours mondiaux. L’interdiction dure deux mois. Des ajustements sont rendus nécessaires, et le gouvernement augmente les salaires des fonctionnaires de 20 % et modifie la taxation sur les produits pétroliers en optant pour une taxe unique. Les patrons du textile acceptent de verser une prime mensuelle de six dollars aux ouvrières.

16Autre mesure : l’aide au monde rural et au secteur agricole. Dès avril, le Premier ministre Hun Sen annonce une série de mesures pour aider à dynamiser ce secteur : la levée des taxes sur l’importation de machines agricoles et celles destinées à l’agro-industrie, la prise en charge par l’Etat de la TVA sur ces produits, la baisse de 35 % à 7 % des tarifs douaniers sur les engrais.

17Les paysans, qui venaient de profiter de la hausse des prix pour la revente de leur dernière récolte, voyaient donc leur horizon se dégager, avec la possibilité de produire moins cher, plus facilement. Toutefois, de la même manière qu’une taxe unique sur les carburants avantage surtout les gros consommateurs d’essence, ces mesures de facilitation risquent d’être favorables surtout aux paysans peu endettés, propriétaires de rizières suffisamment grandes, qui peuvent avoir accès à des activités plus sophistiquées.

18Le secteur textile cambodgien a bâti sa réputation sur un mélange de bas salaires et de conditions de travail encadrées et respectueuses des ouvrières. Cela vaut à l’industrie locale un certain nombre de clients fidèles, soucieux de leur image. Mais l’inflation met ce schéma à risque, en présentant comme alternative soit l’augmentation des salaires et la perte de compétitivité, soit le gel des salaires face à l’inflation et la perte des standards sociaux.

19En fait, un séminaire d’acheteurs qui s’est tenu à la fin de l’année a montré qu’ils sont encore assez nombreux à faire confiance à l’image du Cambodge dans ce domaine et sont toujours prêts à envoyer leurs donneurs d’ordre. Ce qui n’empêche pas les faillites, beaucoup d’usines cambodgiennes étant en fait des investissements délocalisés de Chinois qui privilégient leurs usines en Chine ou n’ont tout simplement plus les commandes nécessaires pour faire travailler leurs autres centres de production.

La crise

20La crise financière américaine commence déjà à avoir de sérieuses répercussions au Cambodge. Tarissement du crédit, mais aussi de la demande au départ des marchés d’Europe et des Etats-Unis traditionnellement clients du Cambodge. Avec le tarissement du crédit, les investisseurs étrangers rapatrient leurs fonds chez eux et les projets en cours au Cambodge en souffrent. C’est particulièrement évident dans le secteur du bâtiment où les investisseurs coréens sont très présents.

21Dans une volonté de limiter la spéculation sur la construction et de se prémunir des risques que pourraient prendre quelques entrepreneurs en comptant trop sur la commercialisation de leur projet, le gouvernement a voulu imposer le dépôt d’une caution de 2 % du montant total du projet. Face au mécontentement des investisseurs coréens, qui allaient jusqu’à évoquer de retirer leurs capitaux pour les engager dans des pays moins contraignants, l’obligation de caution a vite été retirée.

22D’une manière générale toutefois, l’inflation a recommencé à baisser sur la fin d’année 2008. Les hausses de certains prix en fin d’année ont été limitées par la frilosité induite par la crise : dans certains secteurs qui se sont tendus très rapidement, comme le marché de l’immobilier locatif, les prix n’ont pas autant augmenté que c’était prévisible. La raréfaction de l’argent n’a pas permis de conserver le niveau de valorisation atteint au plus fort de la poussée inflationniste.

23L’inflation reste problématique dans le monde rural, dont l’accès aux revenus monétaires est souvent restreint à la vente de la récolte. Toute tension inflationniste après ce moment est directement ressentie alors : cette population représente 80 % de la population cambodgienne.

24Les activités du secteur du tourisme souffrent aussi de la conjoncture, par la baisse de la fréquentation autant que par la baisse du volume des investissements. La saisonnalité très marquée du tourisme cambodgien, avec un pic qui s’étend de novembre à mars, le rend vulnérable aux mauvaises annonces de fin d’année. Aujourd’hui, déconcentration et diversification sont rendues encore plus nécessaires pour générer de nouveaux revenus. Le gouvernement travaille depuis quelque temps déjà sur le thème de l’écotourisme ou sur la promotion de nouvelles destinations.

2- Le procès des Khmers Rouges

25Initié depuis plusieurs années, le procès des Khmers rouges est un serpent de mer de la vie politique cambodgienne.

26Depuis 1997, date à laquelle le gouvernement cambodgien a officiellement demandé l’assistance des Nations unies pour ouvrir un procès qui permette de juger les principaux responsables khmers rouges, les questions de compétence de juridiction, d’ampleur des poursuites en justice, de financement du tribunal, ont occupé le devant de la scène. Les comparutions des prévenus, elles, commencent tout juste.

27La structure du tribunal est entièrement mixte, avec des représentants de la communauté internationale siégeant systématiquement aux côtés des juges, procureurs, avocats cambodgiens. Ainsi, Khieu Samphan est défendu par le célèbre avocat français Jacques Vergès. L’instruction est mené par les co-juges M. Marcel Lemonde et M. You Bunleng.

28Depuis la mort du chef historique de l’appareil khmer rouge Pol Pot, en 1998, il ne reste qu’une poignée de hauts responsables, âgés et malades. Seuls cinq d’entre eux comparaitront devant le tribunal : Duch, qui fut le chef de la prison connue comme S-21, Nuon Chea, Khieu Samphan, Ieng Sary et Ieng Thirith.

29Le procès de Duch aurait dû commencer le premier, dès 2008. La prison qu’il a dirigée pendant les années du régime khmer rouge, véritable centre de torture, est célèbre à plus d’un titre : laissée en l’état après que les Khmers rouges eurent quitté Phnom Penh, elle se visite aujourd’hui comme un musée. Elle est aussi au centre d’un documentaire tourné par le metteur en scène cambodgien Ritthy Panh.

30L’acte d’accusation rédigé par les co-juges retenait « les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ». Les co-procureurs en ont demandé l’amendement pour y inclure « les crimes d’homicide et de torture… et de retenir comme mode de responsabilité la perpétration de crimes par la participation à une entreprise criminelle commune à l’intérieur de S-21 ». Le procès s’en trouve retardé jusqu’au début 2009.

31Les retards de ce type s’ajoutent aux lenteurs causées par la traduction des dizaines de milliers de pages des dossiers, notamment pour être accessibles aux défenseurs étrangers. L’avocat Jacques Vergès s’est saisi de ce problème au cours de l’année, exigeant la traduction intégrale en français des pièces versées aux dossiers, ce qui avait été refusé par une ordonnance.

32Mais les plus gros problèmes qui pèsent sur le tribunal sont d’ordre financier et budgétaire : c’est un véritable gouffre d’argent. Les appels aux donateurs pour combler les déficits sont nombreux et ont fini par faire jour à des accusations de corruption. L’organisation Open Society Justice Initiative (OSJI), financée entre autres par Georges Soros, a ainsi recommandé aux donateurs de « conditionner toute aide future au tribunal ou versement des dons déjà promis à la résolution des problèmes de corruption ». OSJI avait déjà dénoncé en 2007 les pratiques d’embauche du tribunal, qui forçait les Cambodgiens recrutés à reverser une partie de leurs salaires.

3- La crise frontalière avec la Thaïlande

33De mi-octobre à mi-novembre, la situation frontalière entre les deux royaumes du Cambodge et de Thaïlande s’est envenimée, débouchant sur une escalade de la violence et une crise qui est allée jusqu’à l’affrontement militaire localisé autour du temple frontalier de Preah Vihear.

34Le temple, perché sur un éperon rocheux à la frontière thaïlandaise et qui surplombe la plaine cambodgienne, doit à son site et à sa situation d’être au cœur d’une longue dispute territoriale. Dans les années 1960, le prince Sihanouk avait fait confirmer la propriété cambodgienne de ce temple par la cour internationale de justice de La Haye.

35En juillet dernier, le dossier déposé par les Cambodgiens pour voir inscrire le temple au patrimoine mondial de l’humanité a été accepté par l’Unesco, ce qui occasionna à Phnom Penh une série de réjouissances orchestrées par le gouvernement. Quelque temps plus tard, l’annulation d’un voyage du Premier ministre thaïlandais au Cambodge a précédé de peu une série de déclarations quant à la souveraineté sur le temple, et les premiers rassemblements de troupes.

36En octobre 2008, s’accusant mutuellement d’empiètement et de militarisation de l’endroit, Thaïlandais et Cambodgiens se sont livrés à un face à face dangereux, qui a dégénéré en combats sporadiques. Il y a eu des tués, des blessés, du matériel militaire perdu. Des témoins ont rapporté des échanges de tirs à l’arme lourde.

37Par crainte que la situation ne dégénère plus avant, et se souvenant des émeutes anti-thaïlandaises de 2003 à Phnom Penh, les Thaïlandais ont évacué leurs ressortissants. En 2003, des propos prêtés à une actrice thaïlandaise qui aurait déclaré que le fameux temple d’Angkor Vat était en fait thaïlandais avaient conduit à plusieurs jours d’émeutes à Phnom Penh. Particulièrement visés, les intérêts thaïlandais dans la capitale cambodgienne et aux environs avaient été en grande partie saccagés, le pic ayant été l’incendie de l’ambassade de Thaïlande.

38Les événements de 2008 sont restés contenus à Preah Vihear, au temple principal et à quelques sites annexes. La tension a tout de même été prétexte à des déploiements de troupes inusités, le face à face opposant aux plus forts moments plusieurs centaines de soldats des deux côtés, à distance de tir d’armes légères, sur un site lourdement miné.

39En Thaïlande, les voix de Wassana Nanuam du Bangkok Post et de Panitan Wattanayagorn de l’université Chulalongkorn s’accordent pour dire que la situation politique interne est propice à la mise en exergue de problèmes annexes, susceptibles de reléguer les questions intérieures au second plan.

40Discussions et négociations ont été entamées dès les premiers jours de la confrontation. Elles ont consisté d’abord en rencontres de responsables militaires, sur le terrain, avant que le personnel politique ne reprenne langue. Jusqu’à présent, elles n’ont pas permis d’aboutir à un règlement de la situation et le face à face des troupes est maintenu.

4- Les élections législatives de juillet

41Au terme d’une législature de cinq ans marquée par la croissance économique et une certaine surenchère dans les projets de développement, mais aussi par l’isolement sur la scène politique des principaux opposants au pouvoir en place, les élections s’annonçaient intéressantes à plus d’un titre : jusqu’où le Parti du peuple cambodgien (PPC), au pouvoir, allait-il pousser l’omniprésence ? Quelle place resterait-il pour quelle opposition ?

42Les moyens déployés pour cette élection ont largement dépassé ceux attribués précédemment et la campagne en a été plus intense : rallyes, cortèges, réunions ont sillonné le pays dans des proportions inusitées lors des précédents scrutins. Le PPC a largement utilisé les moyens à sa disposition. Des véhicules de l’administration ont souvent été vus dans les cortèges de campagnes. Les candidats sortants n’ont pas hésité à s’adjoindre des moyens dépendants de leurs affectations dans l’administration. Des intimidations ont été signalées, mais les irrégularités qui ont été le plus largement commentées portent sur les listes électorales.

43Le Comité national électoral n’a pas été exempt de critiques, pointé pour certains manques de rigueur dans la gestion de l’enregistrement des votants. Il est apparu qu’un certain nombre d’électeurs n’avaient pas pu voter, faute de trouver leurs noms sur les listes électorales. L’opposition a dénoncé l’effacement des noms de milliers d’électeurs sur les listes de circonscriptions où elle aurait pu avoir un avantage. L’utilisation des chefs de commune pour la distribution d’informations aux votants a aussi été questionnée, de même que le niveau de préparation des comités électoraux chargés des dépouillements, apparemment vite débordés.

44Un PPC comme un poids lourd, des services électoraux à l’indépendance questionnée : l’opposition avait d’autant plus à faire qu’elle partait désunie. Suite à une campagne orchestrée sur le thème de la légitimité des membres de la famille royale à occuper des responsabilités politiques, le prince Norodom Ranarriddh avait dû quitter son parti du Funcinpec, pour finalement recréer une formation à son nom : le Parti Norodom Ranarriddh (PNR). Si douze partis ont pu s’inscrire pour le scrutin, trois ténors ont occupé le devant de la scène de l’opposition : Sam Rainsy pour le Parti Sam Rainsy (PSR), le prince Norodom Ranarridh (PNR) et Kem Sokha pour le Parti des droits de l’homme (PDH).

45Une fois les résultats annoncés, et le PPC ayant annoncé sa victoire avant même la fin des dépouillements, le Funcinpec comme le PNR ont finalement tu leurs accusations de fraude et accepté de reconnaître les résultats : 72 sièges pour le PPC, 27 pour le PSR, 8 pour le PDH, 7 pour le PNR, 6 pour le Funcinpec. Bien que vidé d’une partie de sa substance, c’est ce dernier qui sera retenu pour entrer au gouvernement aux côtés du PPC. Cela, à une condition particulière, émise par le PPC majoritaire : le remplacement des dirigeants Keo Puth Reasmey et son épouse la princesse Arun Reasmey par le général Nhiek Bun Chhay. Les trois autres partis, rejetés dans l’opposition, ne parviennent pas à s’allier.

46De manière assez anachronique, l’alliance PPC-Funcinpec qui prévaut depuis le scrutin de 1993 est donc maintenue, avec un Funcinpec considérablement diminué. Pour la première fois depuis sa création par le prince Norodom Sihanouk, le parti n’a plus de dirigeants issus de la famille royale. L’opposition repose pour beaucoup sur un PSR fort de ses 27 sièges, mais qui n’a que peu de moyens d’actions.

47La communauté internationale, par la voix notamment des observateurs européens du scrutin, a souligné les irrégularités constatées, notamment quant au problème des inscriptions sur les listes électorales. Statuant sur les irrégularités du scrutin, les observateurs ont malgré tout déclaré les résultats recevables, et le rapport rendu indique des axes de progression pour les scrutins à venir.

48Deux mil huit, année de transition où le Cambodge emporté par la crise mondiale de la fin de l’année est passé de l’engouement à la morosité, aura aussi été une année politique importante. Sur ce dernier point, le paysage a été profondément remodelé par le retrait des membres de la famille royale des positions politiques de premier rang. Aujourd’hui, la légitimité du Funcinpec comme partenaire gouvernemental ne vient plus de la personnalité de son dirigeant.

49Les événements de l’année ont aussi rappelé que le Cambodge est encore très fragile aux secousses causées par ses voisins. Le royaume, loin de pouvoir contenir les ambitions régionales, doit louvoyer en permanence pour en éviter les impacts les plus dommageables. Manque de structure de la scène intérieure, manque de connections et d’intérêts communs avec les voisins aussi, voilà quelques faiblesses qui arrêtent encore le Cambodge dans la mise en place de stratégies dissuasives. Ces dernières années, les intérêts toujours croissants des investisseurs, leurs attentes vis-à-vis de la croissance de ce marché semblaient avoir supplanté toute autre considération. Une partie importante de ces intérêts ayant disparu dans la tourmente financière, le Cambodge va sûrement devoir travailler à se trouver un autre rôle dans la région.

Abbildungsverzeichnis

Titel Le Cambodge
URL http://books.openedition.org/irasec/docannexe/image/2245/img-1.jpg
Datei image/jpeg, 234k

Autor

Denis Gambade vit au Cambodge depuis 8 ans. Diplômé en cambodgien à l’Institut des Civilisations et Langues Orientales (INALCO), il est aussi titulaire d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en géographie et aménagement à la Sorbonne Paris IV. Spécialisé sur les questions cambodgiennes depuis le début des années 1990, notamment celles liées au bassin fluvial du Mékong, il a parcouru les provinces du pays à plusieurs reprises avant de s’installer à Siem Reap en 2001. Actuellement directeur de la Chambre de Commerce Franco Cambodgienne à Phnom Penh, il est un observateur attentif du développement de ce pays.

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