Armée du Peuple, Armée du Roi
| ,Chapitre 5. La politique : une matière trop sérieuse pour être laissée aux civils
Texte intégral
- 239 Suchit Bunbongkarn, The Military in Thai Politics 1981-86, Singapour, ISEAS, 1989, p. 2; Chai-anan (...)
1La science politique, rejoignant en cela le plus élémentaire des sens communs, nous enseigne que toute élite, une fois parvenue au pouvoir, a tout intérêt à maintenir le statu quo dont elle est la première bénéficiaire. En d’autres termes, le maître des règles du jeu politique s’efforcera de limiter tout bouleversement des normes qui l’ont conduit au pouvoir, en limitant les interférences de groupes sociaux susceptibles de le remplacer239.
- 240 Chai-anan Samudavanija et Sukhumbhand Paribatra, « Thailand: Liberalization Without Democracy » dan (...)
- 241 Chai-anan Samudavanija et Sukhumbhand Paribatra, 1993, p. 125.
2Ce fut particulièrement vrai dans l’histoire de la Thaïlande. Les militaires ont longtemps considéré l’élargissement de la participation des civils comme une menace directe à leur domination sur le champ politique. Les acteurs du changement constitutionnel de juin 1932, une alliance hétéroclite de civils et de militaires (ces derniers s’étant rapidement imposés aux premiers), ont rechigné à démocratiser le système politique dont ils ont hérité240. Les militaires étaient alors plus soucieux de renforcer leur emprise sur les structures étatiques que de prendre le risque d’une extension de la participation démocratique241.
- 242 Bernard Ravenel, « Armée et pouvoir », Confluences Méditerranée, L’Harmattan, Paris, Printemps 1999 (...)
3Les bureaucrates et les officiers ont simplement remplacé les princes et les aristocrates du XIXe siècle. Et les Constitutions successives, au lieu d’être les normes d’un jeu politique ouvert à des acteurs sociaux concurrents, sont devenues tout au contraire la justification du maintien du pouvoir entre les mains d’une seule caste. Entre la « révolution » du 24 juin 1932 et les révoltes étudiantes des années 70, le système politique thaïlandais a été dominé de façon quasi exclusive par un groupe fonctionnel immiscé dans toutes les structures de l’Etat. En monopolisant les institutions étatiques, les militaires n’ont tout simplement pas toléré que d’autres acteurs revendiquent un droit à gouverner. En d’autres termes, ils ont considéré l’Etat comme partie de leur « patrimoine242 ».
- 243 On définira la société civile comme un ensemble de groupes sociaux extérieurs à l’Etat et aux struc (...)
- 244 Max Weber, Le savant et le politique, Plon, Paris, 1959, p. 101.
4Comme dans la plupart des pays en développement, en manque de société civile structurée243, les militaires se considèrent comme les uniques garants de la stabilité politique. Pour reprendre un terme cher à Max Weber on dira qu’ils peuvent ainsi revendiquer avec succès « le monopole de l’exercice de la violence244 ».
5En Indonésie, ce sont moins les militaires que l’armée elle-même qui s’est imposée en politique. Et si elle a tiré sa légitimité du prestige de la « lutte révolutionnaire » et de sa participation à la construction nationale, elle a rapidement justifié sa domination par une série de principes doctrinaires.
6Le général A.H. Nasution a développé l’idée de la « voie moyenne » dès 1958 dans l’intention de justifier la prolongation des pouvoirs exceptionnels de la TNI conférés par la loi martiale de 1957. Il s’agissait alors pour l’armée de s’engager dans tous les champs sans être pour autant en position d’en dominer totalement aucun. Aux yeux du commandant en chef, dans un pays dont l’environnement était aussi volatile, il était indispensable que l’armée soit impliquée dans tous les compartiments de la vie nationale.
7Mais c’est surtout après l’élimination de son principal rival, le PKI, en 1965-66, que l’armée a réellement étendu sa suprématie sur le champ politique. Après 1966, la portée de la doctrine de la « voie moyenne » a été largement étendue. C’est en fait un nouveau paradigme qui se met en place : celui de la « double fonction ».
8A côté de son rôle de défense et de maintien de la sécurité intérieure, la TNI doit assumer « un rôle socio-politique ». Il faut comprendre en cela que les militaires doivent participer à l’élaboration de la politique nationale et préserver le régime contre les influences destructrices. La « double fonction » s’appuie à la fois sur la Constitution de 1945 (qui permet à des « groupes fonctionnels » d’être représentés en tant que tels au Parlement) et sur une loi de 1982 qui la définit explicitement. Comme souvent, le droit vient entériner à posteriori une situation de fait, tant il est vrai que l’armée occupe le centre de la vie politique depuis déjà plusieurs décennies.
9Contrairement à leurs homologues thaïlandais, les militaires indonésiens ne sont pas à proprement parler engagés à titre personnel dans le jeu politique. C’est l’armée, en tant qu’institution, qui est politique. Au-delà de la manière dont s’opère la répartition de l’exercice du pouvoir entre civils et militaires, l’histoire des trois dernières décennies a ainsi révélé que l’armée indonésienne était et demeure une institution politique alors que son homologue thaïlandaise, ou plutôt son personnel, a fait de la politique et prétend toujours avoir voix au chapitre dans la conduite des affaires publiques.
5.1 – Décennies 1960-1970 : l’armée cadenasse la société
5.1.1 – L’ambiguïté de la notion d’armée professionnelle : se cantonner à certaines tâches ou simplement « bien faire son travail »
- 245 Voir par exemple Morris Janowitz cité par Muthiah Alagappa, « Military Professionalism and the Deve (...)
10Selon la définition classique245, on reconnaîtrait une armée professionnelle à ce qu’elle connaît les limites de ses fonctions, bornées à la défense du territoire et à la préparation au combat. Les militaires possèdent une expertise et des compétences dans la gestion de la violence, mais doivent se placer sous l’autorité civile légitime, sans droit d’intervention sur la sélection de cette dernière. L’officier ne doit pas être animé par des intérêts économiques ou politiques, mais plutôt motivé par un sens de l’obligation sociale codifiée par des notions telles que l’honneur et la charge.
11Cette conception confère à l’armée une relative autonomie par rapport au reste de la société. Le métier du militaire consiste à se battre ou à se préparer à le faire et en aucun cas à participer à la vie politique d’une nation. C’est cet idéal-type qui est aujourd’hui, bon gré mal gré, en vigueur dans la majorité des pays occidentaux, mais également dans certains pays d’Asie du Sud-Est comme la Malaysia ou Singapour.
12En Thaïlande, depuis l’avènement de la monarchie constitutionnelle et jusqu’au début des années 90, les militaires n’ont jamais accepté de délimitation précise de leur mission, pas plus qu’ils n’ont reconnu l’autorité et le contrôle des civils.
13La « révolution » de 1932 a en fait marqué la fin du professionnalisme classique de l’armée thaïlandaise créée à la fin du XIXe siècle sur un modèle occidental. Depuis lors, la notion même a évolué chez les militaires qui ont participé au pouvoir. Un professionnalisme d’un nouveau type s’est forgé, mêlant missions traditionnelles et interventions dans le champ politique. Le rôle des forces armées s’est justifié par la défense du régime en place, par la nécessité d’ériger un rempart contre le communisme ou de maintenir la stabilité institutionnelle. Pour un officier, être professionnel signifie avant tout bien faire son travail, quelles que soient les tâches qui lui sont assignées. Le champ des matières enseignées dans les académies militaires s’élargit (science politique, économie, littérature…) si bien que les officiers ont le sentiment de pouvoir prétendre exercer des fonctions dans toutes les sphères.
- 246 Muthiah Alagappa, 1988, p. 23.
14Selon la conception thaïlandaise du professionnalisme, l’armée a considéré, depuis les années 50 et jusqu’au début des années 90, que son rôle était à la fois illimité et indéfini246. On l’a vu, les militaires sont chargés d’assurer la stabilité du régime contre les menaces internes (PCT, PULO). L’acception large du terme « sécurité nationale » leur permet de justifier toutes les formes d’intervention dans les champs politique, économique ou social. En thaï, le terme « armée professionnelle » se traduit d’ailleurs par taharn archip qui signifie littéralement « métier » ou « activité militaire ». Le glissement sémantique est d’importance… Les théories classiques selon lesquelles plus une armée est professionnelle, moins elle est impliquée dans le champ politique sont ici inopérantes. Le degré de « professionnalisation » des militaires thaïlandais, c’est-à-dire leur capacité à bien remplir les missions qui leur sont assignées, est proportionnel à leur degré de politisation.
- 247 Cité par Muthiah Alagappa, 1988, p. 23.
15L’ancien commandant en chef de l’armée dans les années 80, le général Arthit Kamlang-ek l’a bien résumé : « La politique c’est du service gouvernemental et le service du gouvernement c’est de la politique. Si l’armée est en charge de missions gouvernementales, comment peut-elle ne pas faire de politique ?247 ».
16En Indonésie, la notion d’armée professionnelle prête pareillement à confusion. Comme en Thaïlande, les militaires considèrent fondamentalement que l’implication politique fait partie de leur « métier ». Le phénomène est d’autant plus prégnant qu’au moment de la décolonisation, l’Indonésie n’a pas hérité d’une démarcation claire entre les missions des civils et celles des militaires.
17La conception du professionnalisme au sein de l’armée est profondément marquée par le rôle et l’expérience des officiers qui ont obtenu par les armes l’indépendance du pays (« génération 45 »). La TNI conçoit son intervention à la lumière du rôle central qu’elle pense avoir joué dans la construction nationale et qui, par ses dimensions politiques et sociales, a largement excédé le champ des fonctions militaires traditionnelles.
- 248 Selon l’expression de Muthiah Alagappa, 1988, p. 25.
18Il y a bien eu, entre 1950 et 1957, pendant la période de la démocratie parlementaire une volonté politique de limiter le rôle de l’armée à des missions purement militaires (voir chapitre 1). A cette époque, les soldats sont théoriquement cantonnés dans leurs casernes. On est alors proche de la notion d’armée professionnelle au sens occidental. Mais les événements du 17 octobre 1952 convainquent les militaires indonésiens qu’ils ne peuvent pas se contenter d’être « l’outil mort du gouvernement248 ».
19C’est ici qu’apparaît le concept de « voie moyenne » qui affranchit l’armée du respect inconditionnel de l’autorité des civils. Le rôle politique de l’armée dans les affaires gouvernementales prend alors toute sa dimension. Cette transgression des fonctions purement militaires au profit de missions politiques et sociales connaîtra son paroxysme au moment de l’écrasement du PKI et au cours des quinze premières années du régime du général Suharto.
- 249 Thèse défendue par le chercheur Harold Crouch en 1985 citée par Muthiah Alagappa, 1988, p. 37.
- 250 Defert, 1992, p. 95-105.
20Pour autant, et contrairement à ce qui s’est passé en Thaïlande, l’armée indonésienne a été victime d’une dégradation de ses capacités de combat à mesure que ses activités non militaires s’élargissaient249. Et au début de l’année 1976, alors que l’invasion du Timor Oriental amorcée au mois de décembre précédent piétinait250, on a reproché aux troupes une inefficacité que l’on mettait sur le compte du manque d’entraînement au combat.
21Au cours des années précédentes, des efforts avaient pourtant été entrepris pour rendre la TNI plus efficace dans ses missions traditionnelles. Les forces armées avaient été réorganisées et restructurées afin d’améliorer la chaîne de commandement. La formation professionnelle au sein d’académies militaires locales et à l’étranger avait également été élargie et les trois Armes s’étaient engagées dans des exercices militaires conjoints…
22Devant l’insuffisance manifeste de ces efforts, certains officiers ont tiré les leçons du fiasco est-timorais (le territoire n’a été véritablement pacifié qu’à la fin de l’année 1978, avant que, deux ans plus tard, la guérilla ne réémerge).
23Dans un environnement international de plus en plus incertain secoué par les victoires communistes en Indochine, le retrait des Américains d’Asie du Sud-Est continentale et bientôt l’invasion vietnamienne du Cambodge, ils prônent alors la séparation entre fonctions militaires et civiles, estimant notamment que seules les performances proprement militaires doivent être facteurs d’avancement au sein de la hiérarchie.
- 251 Muthiah Alagappa, 1988, p. 38.
24Mais si, de fait, dans les années 75-78, l’opérationalité de l’armée s’améliore251, ce mouvement ne s’accompagne pas d’une réduction de son rôle politique. Les deux fonctions « professionnelles » continuent d’être considérées sur des bases équivalentes.
5.1.2 – La toute puissance de l’armée par l’exercice du pouvoir politique et administratif
Protéger la Thaïlande des tentations de la subversion civile
25On se souvient que le maréchal Sarit Thanarat au pouvoir en Thaïlande entre 1957 et 1963 est parvenu à merveille à incarner un régime autoritaire et monarchiste tourné vers le développement et l’ordre. Il justifiait son pouvoir grâce à une philosophie politique où se mêlaient les principes d’autorité, une solide hiérarchie sociale et une forme de paternalisme gouvernemental.
- 252 David Wyatt, 1984, p. 284.
26Au lieu d’être loyal à une norme constitutionnelle abstraite, le citoyen thaïlandais devait l’être à un monarque que le régime militaire utilisait comme source de légitimité. Le gouvernement devient le bras séculier d’un royaume à moitié sacré252.
27Le régime ne se résume pas à la domination d’une faction militaire parvenue au pouvoir. Il symbolise le triomphe d’une armée qui ne laisse aux civils quasiment aucun espace de revendication.
Thaïlande : Structure de commandement des forces armées
* Internal Security Operqational Command
* En cas de mobilisation, c’est le Commandant en Chef de l’Armée de Terre qui est chargé de la conduite des opérations et non le Commandant Suprême
- 253 Selon les propos d’un colonel rapportés par Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 284.
28A cette époque, les militaires se considèrent comme une caste privilégiée, responsables exclusifs de la bonne marche du pays. Au contraire des civils, ils ne se définissent pas comme des politiciens mais comme des « hommes d’Etat », plus soucieux de l’avenir de la Nation que du pouvoir en tant que tel. Dans les années 60, il ne fait aucun doute pour l’armée, que « le Premier ministre sera toujours un soldat253. »
- 254 Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 300 ; Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1998, p. 222.
29Mais dès la fin de la décennie, la junte militaire de Thanom Kittikachorn (1963-1973) se voit contestée non seulement par la guérilla communiste (voir chapitre 3), mais également par la société civile (ouvriers, paysans, étudiants, classe moyenne) qui comprend de plus en plus mal une main-mise sur le pouvoir seulement justifiée par la « sécurité nationale » et le « souci du bien-être général ». En 1969, le Sénat compte 128 militaires pour 164 sièges et la Constitution assure que les généraux continueront à dominer le gouvernement254.
- 255 Sur la question du développement d’une classe moyenne dans les années 70 en Thaïlande, voir David W (...)
30Devant la montée du mécontentement, le Roi contraint les militaires à organiser des élections législatives. Et même si ces dernières sont remportées par un parti pro-junte, la physionomie du nouveau Parlement traduit l’évolution des aspirations de la société. La classe moyenne, produit de la croissance économique et de l’urbanisation, est mieux représentée que jamais. Les hommes d’affaires comptent pour 46 % des députés auxquels s’ajoutent 20 % d’avocats, d’intellectuels, de journalistes… Les bureaucrates, civils ou militaires, doivent se contenter de 21 % des sièges255.
- 256 Entre 1961 et 1972, le nombre d’étudiants passe de 15 000 à 100 000 et le nombre d’universités de c (...)
31Au début des années 70, la coalition d’intérêts entre militaires, fonctionnaires, milieux d’affaires et aristocrates s’effrite. Mais ce sont les étudiants qui auront raison du régime de Thanom. En une décennie, le nombre d’universités a triplé et le nombre d’étudiants a été multiplié par huit256. Séminaires, publications, associations fleurissent dans les rangs universitaires.
32A partir de juin 1973, alors que l’armée a de nouveau dissout l’Assemblée, les manifestations se multiplient à Ramkhamhaeng et à Thammasat réunissant jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes. En octobre, la contestation finit par précipiter la chute des dictateurs Thanom Kittikachorn et Prapas Charusathien qui fuient le pays.
33Pour la première fois depuis Pridi Banomyong (1946), ce sont des civils qui vont accéder au poste de Premier ministre (successivement Sanya Thammasak, Seni Pramoj et Kukrit Pramoj). Les libertés d’expression, de réunion, de communication sont rétablies. Sur le plan extérieur, le nouveau régime s’emploie à se dégager de la tutelle militaire américaine et à négocier l’ouverture de relations diplomatiques avec la Chine.
- 257 Cité in Sulak Sivaraksa, Loyalty demands dissent, Parallax Press, Berkeley, 1998, p. 140.
34Mais le pouvoir civil ne maîtrise toujours qu’une partie du jeu politique. L’intellectuel Sulak Sivaraksa rappelle dans son autobiographie que la victoire des étudiants est incomplète et que l’armée, si elle adopte un profil bas, est toujours aux commandes ; qu’elle « reste un Etat dans l’Etat » et que « la structure demeure oppressive257 ».
35Comme on l’a vu, c’est à cette époque que, par le biais des différentes milices para-militaires (Nouvelle force, scouts, Gaurs rouges), la lutte anticommuniste atteint son paroxysme de violence physique et verbale. La guérilla et la contestation civile sont traitées sur un même plan. Meurtres, bombes et campagnes de répression se multiplient à l’encontre des étudiants, ouvriers et paysans.
- 258 Selon Puey Ungphakorn, alors recteur de l’université Thammasat, l’armée n’a pas été directement imp (...)
36Le 6 octobre 1976, les Gaurs rouges, les scouts, la police et la Nouvelle force mènent de conserve une attaque contre l’université Thammasat au cours de laquelle une centaine d’étudiants sont tués et plus d’un millier arrêtés. Les interprétations divergent sur l’origine de l’ordre et l’identité exacte des participants à l’attaque258. Ce qui est par contre certain c’est qu’une faction de l’armée (celle de Krit Sivara) en a profité pour conduire un coup d’Etat, avec la bénédiction du Palais dont certains membres apparaissent aux côtés des militaires.
37Une nouvelle Constitution impose une Assemblée entièrement nommée censée siéger pendant douze ans. Un civil, Thanin Kraivichien, est nommé Premier ministre, mais il est renversé en novembre 1977 par un militaire, le général Kriangsak Chomanand, commandant suprême de l’armée.
38Après l’expérience démocratique de 1973-1976, la famille royale et l’armée partagent le sentiment qu’il est nécessaire de revenir à un gouvernement dominé par les militaires. L’armée estime alors qu’elle est la seule garante de la stabilité politique et donc du développement du pays. La société civile a montré ses limites. Si elle a manifesté son existence, elle n’est pas encore assez structurée pour pouvoir prétendre défier la suprématie des militaires sur la scène politique.
Phagocyter l’administration civile indonésienne
39Entre 1965 et 1980, pendant les quinze premières années de l’Ordre nouveau, l’armée indonésienne a véritablement occupé un rôle central sur la scène politique. Le président Suharto apparaît alors comme une parfaite émanation de l’armée unie derrière sa bannière et persuadée qu’il œuvre pour l’intérêt collectif qui rejoint « son » intérêt collectif. Cette cohésion a bien entendu largement contribué à sa puissance politique.
- 259 100 sièges jusqu’en mai 1997, 75 jusqu’en juin 1999, 38 depuis.
- 260 20 % des sièges jusqu’en mai 1997, 10 % depuis.
40Dès mars 1967, une fois Sukarno définitivement écarté du pouvoir, l’armée transforme et étend progressivement les limites de sa sphère d’intervention. Un quota de sièges est désormais réservé pour les militaires au MPR259 et dans toutes les assemblées locales260.
41Si l’armée est alors plus que jamais politique, les militaires sont toujours découragés de l’être. Les personnels en service n’ont le droit ni de voter, ni d’être membres de partis politiques.
42Faute de pouvoir participer au débat public de toute façon factice, les officiers supérieurs se voient offrir de nombreuses opportunités. Ils deviennent ministres, juges à la Cour suprême, ambassadeurs, gouverneurs, chefs de districts, maires, dirigeants d’entreprises d’Etat.
43Ces postes sont très recherchés car ils sont vus à la fois comme des promotions prestigieuses et comme des opportunités d’enrichissement personnel. Ils permettent en tout cas effectivement à l’armée d’exercer un contrôle sur l’ensemble des activités politiques et économiques du pays.
- 261 Cayrac-Blanchard, 1991, Paris ; Schwarz, 1999, p. 271 et suiv.
44Grâce à la « double fonction », les militaires occupent donc de nombreuses positions clefs dans l’appareil d’Etat261. Mais au-delà même de leurs charges civiles, ils utilisent la structure sociopolitique territoriale mise en place à partir de 1962, pour doubler l’ensemble de la pyramide politico-administrative du plus haut niveau national (gouvernement et Parlement) jusqu’à celui de chef de village.
45Cette organisation qui travaille en lien étroit avec les services de renseignements et le Kopkamtib (devenu Bakorstanas et décrit dans le chapitre 3), repose sur le réseau de commandements militaires au niveau des régions (Kodam), des sous-régions (les « résidences » de l’époque hollandaise, Korem), des districts (Kodim), des sous-districts (Koramil) et des villages où quelques soldats (Babinsa) surveillent et supervisent la vie politique et sociale locale.
46Cette structure territoriale, mise en place par le général Nasution près de deux décennies plus tôt, ne répond plus seulement ici aux impératifs de sécurité intérieure. Elle supervise l’ensemble des activités de la communauté et constitue de ce fait l’ossature du pouvoir politique de l’armée. Elle est dirigée au quartier général de la TNI par le chef d’Etat-Major adjoint pour les activités socio-politiques ou Kasospol (devenu depuis peu le chef d’Etat-Major adjoint en charge de la structure territoriale).
47Le message véhiculé par l’ensemble des émanations de l’institution militaire, de l’officier supérieur qui assume les fonctions « civiles » de ministre ou de gouverneur au soldat en charge du contrôle d’un village à travers son Babinsa, est simple. Il s’agit de faire respecter le « consensus » politique, élément du Pancasila et cœur de l’idéal national. Le dit consensus assure tout naturellement la stabilité d’un régime qui débouche sur la préséance de la TNI, seule garante véritable de l’unité nationale et par là même du consensus.
48Dialectiquement le cercle vertueux du pouvoir de l’armée est avéré. Il n’est donc pas étonnant que jusqu’à la fin des années 90, hors des régions rebelles, le rôle politique institutionnel dominant de la TNI n’ait guère été contesté par la population elle-même.
49Au contraire de la Thaïlande où, dès les années 70, on a vu émerger une véritable classe moyenne structurée susceptible à terme d’une mobilisation politique, le peuple indonésien n’est alors guère enclin à remettre en cause la position de l’oligarchie militaire.
5.2 – A l’orée des années 80 : l’érosion du pouvoir militaire ?
5.2.1 – En Thaïlande : fin du monolithisme et émergence du débat parlementaire
La prolifération des factions
50Si, à partir de novembre 1977, l’armée thaïlandaise contrôle à nouveau totalement la sphère politique, elle a d’autres sujets d’inquiétude. On se rappellera d’abord qu’elle se trouve confrontée à une érosion de son influence économique liée aux nouvelles réticences des hommes d’affaires à partager le fruit de leurs activités (voir chapitre 4). Au-delà, elle doit surtout faire face, depuis 1973, aux conséquences du retrait des troupes américaines du Vietnam et donc de la baisse substantielle de l’assistance dont elle jouissait. Entre 1951 et 1972 l’aide militaire américaine a représenté plus de 50 millions de dollars par an.
51L’assistance des Etats-Unis comptait alors pour plus de la moitié du budget de la Défense thaïlandais. Cinq ans plus tard, elle n’en couvre plus que 5 %. Mais en l’occurrence, le problème est moins matériel qu’organisationnel. Les Américains ont laissé derrière eux une armée thaïlandaise profondément marquée par leur emprise, en termes d’équipements comme de formation, et dont la structure s’est considérablement complexifiée.
52Jusque dans les années 60, les données étaient assez simples. La 1ere armée, en charge de la région centrale, dominait les institutions du royaume. Mais grâce à l’aide américaine destinée à la lutte contre les insurrections, les 2e (région Nord-Est), 3e (région Nord) et 4e (région Sud) ont pris de l’importance. Symbole de ce glissement, le général Prem Tinnasulanonda, commandant en chef de l’armée de terre en 1979 qui deviendra Premier ministre en mars 1980, est issu de la 2e armée. Et il a pu imprimer une marque durable sur l’institution militaire.
53Si les généraux de la Première armée continuent à qualifier leurs homologues de « soldats de province » et cherchent à freiner leur ascension, les officiers qui dominent l’état major au début des années 80 (Prem Tinnasulanonda, mais aussi Sant Jitpatima, Arthit Kamlang-ek) sont tous issus des unités provinciales qui se sont battues contre les guérillas séparatistes ou communistes.
54L’armée thaïlandaise n’est plus le bloc monolithique qu’elle était à l’époque de Phibunsongkhram ou de Sarit. Elle est au contraire confrontée à une prolifération des centres de décision, à une multiplication du nombre de généraux et surtout à l’émergence parmi eux de fortes personnalités qui nourrissent d’importantes ambitions personnelles. Les tensions au sein de l’Etat-Major se traduisent notamment par la tentative de coup d’Etat de mars 1977, qui conduit à la mort d’un général et à l’exécution rapide, par l’institution militaire elle-même, de son commanditaire. Cet événement marque profondément les officiers thaïlandais qui, à la fin des années 70, sont de plus en plus politisés, prenant position pour l’un ou l’autre des courants qui traversent l’armée.
- 262 Comme on l’a vu, les changements de gouvernement ont bien plus souvent été le fruit de coups d’Etat (...)
55Via des groupes de discussions ou des journaux, les officiers s’interrogent sur leur place dans la société thaïlandaise, sur l’absence de leadership unificateur et sur le rôle que peut jouer l’armée sur la scène politique. C’est à cette époque qu’émergent trois factions qui vont profondément marquer la décennie 1980 et le début des années 90, alimentant ce que l’on peut qualifier de tradition thaïlandaise du coup d’Etat262.
56Au milieu des années 70, les 90 officiers de la Classe 7 de l’académie militaire (promotion 1960) apparaissent comme les « Jeunes Turcs » de l’armée thaïlandaise. Discrètement formés à la lutte contre la subversion pendant la période démocratique 19731976, ils ont été très influencés par la présence américaine, la guerre du Vietnam et les insurrections marxistes. Ils se méfient de la montée en puissance des milieux d’affaires et rejettent toute forme de parlementarisme.
- 263 Le général Arthit (futur commandant en chef et commandant suprême en 1983), opposé au Coup, organis (...)
- 264 Le chercheur thaïlandais Chai-Anan Samudavanija, estime que les « Jeunes Turcs » se sont précisémen (...)
57Désireux de s’appuyer sur le monde rural, les « Jeunes Turcs » se considèrent comme les artisans du développement social et condamnent les ambitions politiques et économiques des hiérarques militaires. Leur influence devient vite considérable. Ils fomentent le coup d’Etat d’octobre 1977 qui renverse le gouvernement civil de Thanin Kraivichien. Ils permettent ensuite au général Prem Tinnasulanonda d’arriver au pouvoir (février 1980), avant de se retourner contre lui le 1er avril 1981. Leur coup d’Etat échoue263. Neutralisés, écartés, puis revenus en grâce, ils tentent un dernier coup d’Etat en septembre 1985 qui avorte en quelques heures grâce à l’action coordonnée des deux factions rivales (« Soldats démocratiques » et « Classe 5 »)264.
58La deuxième faction est connue sous le nom de « Soldats démocratiques ». Ces officiers (Classe 1 – promotion 1954) ont contribué aux opérations de contre-insurrection conduites par l’ISOC dans les années 70. Ils se font les avocats du développement des villages pour contrer l’influence de la guérilla. Conduits par le général Chavalit Yongchaiyudth, les Soldats Démocratiques sont à l’origine des fameux Ordres 66/2523 et 65/2525 qui consacrent la politisation de la lutte anticommuniste par l’invention du concept de « sécurité nationale » (voir chapitre 3).
- 265 Suchit Bunbongkarn, 1989, p. 15.
59Tout comme les « Jeunes Turcs », les « Soldats démocratiques » ne s’appuient pas sur une philosophie politique précise. Tout juste plaident-ils pour une « réforme démocratique » et même une « révolution démocratique », pour résoudre les difficultés de la Thaïlande, lutter contre la subversion et assurer le développement du pays265. Ils ne parviendront jamais à définir ce qu’ils entendent par « démocratie », se contentant de souhaiter un « élargissement du système politique ». Ils ne sont pas opposés au système parlementaire mais promeuvent des amendements constitutionnels (1983) destinés à pérenniser la prééminence de l’armée au Sénat et à lui assurer la main mise sur le poste de Premier ministre.
- 266 Cité in Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 330.
60Dans leur journal interne, les « Soldats démocratiques » estiment au début des années 80 que « les faits, la logique et les études ont prouvé que les politiques des forces armées sont parvenues à résoudre les problèmes de la Nation [alors que] jusque-là, les politiques des partis n’ont rien résolu du tout266. »
61Bien qu’ils soient en concurrence, les « Jeunes Turcs » comme les « Soldats démocratiques » ont contribué à rationaliser le rôle des militaires sur la scène politique et leur domination continue sur les civils au sein du gouvernement. Comme les promoteurs de 1932, ou les architectes du coup d’Etat de 1947, ils incarnent le triomphe d’une caste militaire insérée dans le jeu politique.
62Le troisième groupe, connu sous le nom de « Classe 5 » (promotion 1958), émerge au début des années 80. Au contraire des « Jeunes Turcs » et des « Soldats démocratiques », il est essentiellement constitué d’officiers de la 1ere armée qui ont été moins confrontés aux opérations de contre guérilla des années 70. Leur leader, le général Suchinda Kraprayoon, a bénéficié d’une bourse aux Etats-Unis et sert dans les années 80 à l’ambassade de Thaïlande à Washington comme attaché militaire adjoint. Des trois factions, la « Classe 5 » se veut la plus proche de la Couronne, défendant le trinôme « Nation-Religion-Roi ». Elle exprime sa réticence à favoriser toute forme de développement social et se montre en général dénuée de sensibilité populaire.
- 267 Suchit Bunbongkarn, 1989, p. 23-24.
63La « Classe 5 » gagnera en influence à mesure que les « Jeunes Turcs » perdront du terrain. En octobre 1984, les membres de la « Classe 5 » occuperont la quasi-totalité des postes de commandements stratégiques à Bangkok (11 sur 14267). Ils seront alors particulièrement puissants et aucune intervention politique ne pourra être décidée sans leur aval.
64L’existence même des factions est un signe tangible de l’extrême politisation des personnels militaires dont le vernis idéologique cache mal les ambitions individuelles. Qu’ils appartiennent aux « Soldats démocratiques », aux « Jeunes Turcs » ou à la « Classe 5 », ces militaires font d’abord de la politique, avant d’être réellement politisés, c’est-à-dire porteurs d’une idéologie particulière. Ils représentent des groupes d’intérêts, s’insèrent dans un jeu et remplissent le vide laissé par des partis eux-mêmes incapables de servir de lieu d’expression aux acteurs sociaux.
65Dans les années 80, à cause de la multiplication des postes de commandements et de la personnification de l’Etat-Major, les ambitions se sont multipliées. Mais si la prévalence des factions a continué à constituer le trait caractéristique de l’armée thaïlandaise, elles sont généralement parvenues à s’entendre lorsqu’il s’est agi de confirmer la préséance de l’armée dans son ensemble.
66Il y a à cette époque, un lien direct entre les postes de commandant en chef de l’armée de terre et de commandant suprême et l’accès à la tête du gouvernement. Prem Tinnasulanonda fut commandant suprême avant de devenir Premier ministre ; Arthit Kamlang-ek (commandant en chef de 1983 à 1986) ambitionnait de remplacer Prem. Et Chavalit Yongchaiyudth a pu devenir Premier ministre en 1996, parce qu’il avait été chef des armées et commandant suprême entre 1986 et 1989…
67Une fois que l’officier le plus influent, émanation de la faction la plus puissante, s’est imposé au sein de l’armée, il s’impose encore presque automatiquement à la Nation.
Multipartisme et jeux parlementaires
68Bien que la période démocratique des années 70 ait été rapidement et brutalement interrompue par le pouvoir militaire, la société thaïlandaise est restée marquée par cette parenthèse. Pendant trois ans, les militaires ont été exclus de la sphère politique et leur retour au pouvoir en 1977 ne pouvait rimer avec une domination sans partage. L’alliance avec les hommes d’affaires sino-thaïlandais s’était étiolée. Les partis politiques créés entre 1973 et 1976 ont tenté d’élargir leur base sociale à mesure que se développait une classe moyenne urbaine. A partir de 1979, le parlementarisme thaïlandais a fonctionné à plein (quatre scrutins ont lieu en 1979, 1983, 1986 et 1988).
- 268 C’est l’un des textes de l’histoire constitutionnelle thaïlandaise qui aura la vie la plus longue. (...)
69Le rôle institutionnel de l’armée semble alors précarisé. La Constitution de 1978268 consacrait l’influence des militaires en politique. Et des « dispositions provisoires » facilitaient leur accès aux fonctions de ministre ou de Premier ministre. Mais à partir de 1983, les militaires ne parviennent plus à imposer au Parlement la prorogation des « dispositions provisoires ». Par trois fois, les militaires soumettent la question aux députés (1983, 1985 et 1987)… sans succès. La prétention de l’armée à monopoliser le système politique connaît alors ses premiers échecs retentissants.
70A la fin des années 80, les militaires politiciens sont de plus en plus concurrencés par des députés, des hommes d’affaires civils en passe de devenir des hommes politiques professionnels. Mais le soutien implicite du Palais et la faiblesse intrinsèque du système politique donne encore à l’armée des arguments de poids. Les formations politiques, simples conglomérats de groupes d’influence (klum), ne sont souvent que des machines électorales sans couleur idéologique et sans ancrage institutionnel. Ce sont des lobbies qui prolifèrent à l’approche des scrutins, qui se vendent et s’achètent des candidats et qui révèlent en conséquence la faiblesse du système parlementaire. Leur incurie permet à l’armée de continuer à prétendre occuper la place centrale. C’est ainsi qu’en 1986, le commandant en chef, le général Chavalit Yongchaiyudth, peut se plaindre de ne pas pouvoir placer l’armée en retrait du champ politique puisque les partis ne sont, selon lui que des sociétés commerciales.
71Les années 83-86 seront celles des échanges de services, des renvois d’ascenseurs entre le Premier ministre Prem Tinnasulanonda et la hiérarchie militaire. Lors de la crise politique qui, en novembre 1984, suit la dévaluation du bath, le Roi soutient le chef du gouvernement contre les ambitions du commandant en chef Arthit Kamlang-ek. Cela n’empêche pas ce dernier, moyennant l’attribution à l’armée des portefeuilles de la Défense et des Finances, de soutenir le Premier ministre contre les ambitions de députés civils qui menacent le gouvernement d’une motion de censure. Là encore, les militaires ont su dépasser leurs rivalités pour faire front contre l’adversité.
72Dans le même ordre d’idée, la reconduite de Prem Tinnasulanonda, en juillet 1986, à la tête du gouvernement, a certes bénéficié du soutien opportuniste du Parti d’action sociale, des Démocrates et du Chat Thai (Nation thaïlandaise). Mais elle s’explique surtout par le soutien concordant du Palais et de factions de l’armée (Soldats démocratiques et Classe 5) opposés à l’essor des hommes d’affaires des grandes villes qui sont venus grossir les rangs des partis politiques et du Parlement.
5.2.2 – En Indonésie : Au-delà du théâtre d’ombres parlementaire, une dépolitisation de l’armée orchestrée par Suharto
- 269 Tutut (Siti Hardijanti Rukmana pour l’état civil) est alors, entre autres, à la tête du groupe Citr (...)
73Au début des années 80, certains officiers supérieurs de la TNI commencent à juger que le maintien de Suharto au pouvoir ne sert plus la cause de la stabilité politique, du développement économique et de l’unité indonésienne. Concrètement, le mécontentement prend pour cible principale la famille du Président dont l’emprise sur le monde des affaires commence à menacer le pouvoir de l’armée. Tutut, Bambang et Tommy, trois des six enfants du Président supplantent les militaires dans le domaine du commerce des hydrocarbures, du transport aérien et de l’exploitation forestière, constituant bientôt les groupes industriels non-chinois les plus puissants du pays269.
74De son côté, Suharto, solidement installé au pouvoir, éprouve de moins en moins le besoin de s’appuyer sur l’armée. Il s’assure, d’une part, une maîtrise totale de l’institution par le biais des promotions et, d’autre part, il dilue, à partir de 1983, l’influence des militaires au sein du parti gouvernemental Golkar. A partir de cette date, Suharto renforce le rôle des groupes fonctionnels civils, au détriment de la faction militaire.
75Le chrétien Benny Murdani, commandant en chef des forces armées de 1983 à 1988 – à l’époque le plus sérieux rival politique de Suharto – pousse les représentants militaires au Parlement à libérer leur esprit critique vis-à-vis du chef de l’Etat. Suharto contre-attaque en révisant la liste des candidats du Golkar à l’Assemblée consultative populaire (MPR) en 1991.
76En 1993, même si l’armée contrôle encore 70 % des branches provinciales du parti, Suharto impose pour la première fois un civil à sa tête (le ministre de l’Information Harmoko) et un comité exécutif totalement loyal à la présidence. Murdani parvient tout de même à placer son candidat, Try Sutrisno, à la viceprésidence (1993), mais c’est là son chant du cygne. Il n’est plus depuis longtemps à la tête des forces armées et, en 1994, Suharto démantèle le service de renseignements militaires (BAIS), qui constituait la base de son pouvoir. Tous les officiers fidèles à Murdani sont alors mutés.
- 270 La différenciation entre l’islam moderniste et l’islam traditionaliste n’est pas l’objet de notre d (...)
77La campagne de « dé-Bennysation » est confiée à des officiers musulmans santri (partisans d’un islam moderniste270) notamment le général Feisal Tanjung, nommé commandant en chef des forces armées en mars 1993 et le général Hartono, commandant de l’armée de terre. C’est à cette époque que l’on commence à parler d’une opposition entre une faction « verte » proche des milieux islamistes et une faction supposée plus séculaire dite « rouge et blanche ».
- 271 On estime que 50 % des officiers au-dessus du rang de colonel étaient en contact direct avec Benny (...)
78Le débat, voulu par le Président, peut paraître surprenant au sein d’une institution qui avait toujours vu le radicalisme musulman comme la principale menace contre l’unité du pays. Au-delà, en éliminant l’homme fort de l’armée et en marginalisant les think tanks (parmi lesquels le fameux Centre for Strategic and International Studies de Jakarta) sur lesquels il se reposait271, Suharto a considérablement affaibli le versant politique de la dwi fungsi. A la fin de son règne, l’armée comme le Golkar, ne sont plus que des organes d’exécution de sa volonté.
79Si contrairement à la Thaïlande, l’Indonésie n’a pas de souverain, elle entretient avec son président une relation à bien des égards équivalente. La personnalisation du pouvoir y est tout aussi forte, tout comme l’est l’assimilation de la Nation à une structure familiale. Le Président est le « père » et les citoyens sont ses « enfants ».
80Dans ce contexte, l’alternance politique n’a guère lieu d’être et elle ne peut intervenir que dans des circonstances exceptionnelles, pour peu que le président soit déjà très « usé » par le pouvoir (Sukarno a exercé son autorité sur le pays pendant plus de vingt cinq ans et Suharto restera trente ans au pouvoir). Mais la similitude entre les deux pays objets de notre étude s’arrête là. En Thaïlande, le monarque n’est plus aujourd’hui que le garant des institutions et laisse à d’autres l’exercice du pouvoir. Le jeu politique est donc ouvert aux ambitions personnelles.
81En Indonésie, le président exerce lui-même le pouvoir et tend à voir les personnalités émergentes comme des concurrents. Il n’y a donc de place ici que pour des ambitions politiques limitées que le chef de l’Etat se charge de rogner régulièrement. Rien ne peut pousser bien haut à l’ombre du Banian.
5.3 – Thaïlande 1991-1992 et Indonésie 1998 : deux crises qui marquent le reflux de l’armée de la scène politique
Les civils de la junte face aux militaires démocrates : la fin des manichéismes à Bangkok
82Le gouvernement Chatichai Chunhawan (août 1988 – février 1991) est marqué en Thaïlande par un conflit ouvert entre les militaires et les hommes d’affaires qui peuplent alors les rangs de l’Assemblée nationale. Grâce au système parlementaire et au renforcement des partis politiques, ces députés élargissent leurs prérogatives et grignotent celles des militaires en contestant les amendements constitutionnels, les orientations de la politique étrangère de l’armée, l’allocation du budget de la Défense, les achats d’armements et les commissions.
83Au début des années 90, beaucoup se félicitent de l’essor continue de la classe moyenne urbaine qui conteste depuis près de vingt ans le monopole politique de l’armée. De fait, aucun coup d’Etat n’a abouti depuis 1977 et la Thaïlande a vécu, entre 1980 et 1988, une période exceptionnellement longue de stabilité parlementaire. En outre, 35 des 43 ministres que compte le gouvernement Chatichai sont des civils. On juge alors que le royaume se dirige vers le club des démocraties libérales.
84Les militaires n’en continuent pas moins d’exercer une influence déterminante, en particulier la « Classe 5 » dont les membres se distinguent par leur prospérité et leur puissance. En 1989, alors que les conflits économiques avec les milieux d’affaires de Bangkok se multiplient, Chatichai Chunhawan, lui-même ancien général, tente de s’attirer les bonnes grâces du commandant en chef Chavalit Yongchaiyudth en le nommant également ministre de la Défense et en l’autorisant à superviser la liste des promotions au sein de l’Etat-Major. Mais coincé entre les pressions de la « Classe 5 » et le gouvernement civil, Chavalit renonce rapidement.
- 272 L’expression popularisée à l’époque traduit bien l’atmosphère de cocktail et de « table ouverte » q (...)
- 273 Pour une description colorée de la scène politique thaïlandaise et en particulier de l’atmosphère q (...)
85La plupart des observateurs estiment à l’époque que l’armée est devenue « professionnelle » (dans l’acception occidentale du terme) pour la seule raison qu’elle n’a pas renversé de gouvernements depuis 1977. Dirigée depuis 1990 par Suchinda Kraprayoon (commandant en chef) et Sunthon Khongsomphong (commandant suprême), elle n’en commence pas moins à attaquer de front l’administration Chatichai, qualifiée de buffet cabinet272, en raison d’une corruption endémique273.
86Cet argument, pour malvenu qu’il soit dans la bouche des putschistes (voir chapitre 3), sert de prétexte au coup d’Etat du 23 février 1991. En quelques heures, la Classe 5 de Suchinda et de Sunthon neutralise le gouvernement civil et s’installe au pouvoir sous la bannière d’un Conseil national pour le maintien de la paix (National Peace Keeping Council – NPKC).
87Deux interprétations ont été avancées pour expliquer ce qui apparaît, à ce jour, comme le dernier coup d’Etat de l’histoire politique thaïlandaise ; deux lectures qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre. On peut y voir d’abord une opposition structurelle entre deux groupes sociaux constitués. D’un côté, une classe moyenne urbaine née du boom économique des années 80, force de soutien au gouvernement Chatichai de 1988 et qui a cassé la domination de la haute fonction publique civile et militaire. Face à elle, une caste de généraux qui n’a pas renoncé à ses ambitions politiques et à la préservation de ses intérêts économiques.
88Mais en renvoyant trop simplement dos à dos civils et militaires, on oublie que l’intervention de la Classe 5 bénéficia, dans un premier temps, d’un large soutien de l’opinion publique (au moins tacitement), ulcérée par la corruption du gouvernement civil. Une autre explication renvoie aux luttes internes à l’armée, dont la Classe 5 est sortie victorieuse. Pour la première fois dans l’histoire de l’institution, une promotion unique liée par une expérience et un dessein commun est parvenue à supplanter des factions adverses et renverser ainsi un gouvernement élu.
- 274 Chai-anan Samudavanija, 1997, p. 52 ; Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 348 et suiv. ; Du (...)
89Quelle que soit l’explication du coup d’Etat de 1991, l’armée a une nouvelle fois fait la démonstration de sa capacité logistique à s’emparer du pouvoir. Mais elle a dû, pour ce faire, s’assurer d’une alliance objective avec les hauts fonctionnaires et certains milieux d’affaires (essentiellement provinciaux) qui se sentaient menacés par l’élargissement de la démocratie participative à des acteurs sociaux concurrents, regroupés sous la bannière de partis politiques274. Ainsi, on retiendra surtout que la séparation conceptuelle entre civils et militaires est plutôt floue. Chatichai a porté l’uniforme de général avant de diriger un gouvernement civil. Son successeur sera un civil, mis en place par une junte militaire.
90En choisissant Anan Panyarachun, ancien ambassadeur aux Nations unies et homme d’affaires respecté, les militaires font la démonstration qu’ils sont conscients de la nécessité de ménager la société civile. Et lorsqu’en mars 1992, les partis politiques opposés au pouvoir politique de l’armée se mobilisent, ils présentent bien souvent, pour lutter contre les civils en treillis, d’anciens militaires en costume de ville. C’est le cas du parti palang tham (Force du Dharma) créé par le général Chamlong Srimuang, ancien « Jeune Turc » de la Classe 7, qui a quitté l’armée en octobre 1985 pour concourir au poste de gouverneur de Bangkok. C’est aussi celui du khwamwang mai (Nouvel espoir) fondé par le général Chavalit Yongchaiyudth, ancien « Soldat démocratique », qui avait quitté l’institution militaire en 1989 pour se lancer en politique.
91La perméabilité entre la scène politique et l’institution militaire est évidente. Chavalit et Chamlong, baptisés les « soldats idéologiques », faisaient de la politique depuis le début des années 80. Mais face à la concurrence des partis civils, ils sont véritablement devenus des politiciens professionnels. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les réseaux cultivés au sein de leurs factions respectives, mais aussi sur leurs liens avec le monde des affaires, les milieux syndicaux, universitaires et journalistiques. L’armée thaïlandaise reste au début des années 90, un fantastique lieu de sécrétion du personnel politique, mais en se politisant, les officiers supérieurs sont bien souvent amenés à se démilitariser.
- 275 Cités in Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 358.
92Les acteurs sont si peu cristallisés dans des postures corporatistes ou idéologiques qu’aux élections de mars 1992, les partis kit sangkhom (Action sociale) et chat thai (Nation thaïlandaise), deux formations qui avaient soutenu le gouvernement Chatichai, se rangent de bon gré au côté de la junte qui l’a renversé. Mieux, ils assurent ainsi le triomphe de cette dernière, permettant au général Suchinda Kraprayoon, leader de la Classe 5, d’avoir l’impression de « tout contrôler, à l’exception de la lune et des étoiles275 ».
93Et de fait en 1992, la Classe 5 domine le commandement suprême, l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et la police. La junte dispose aussi de relais au ministère de l’Intérieur, dans les administrations provinciales et dans les entreprises publiques.
94Ce succès explique peut-être ce que l’on doit considérer à posteriori comme une grave maladresse. Au lieu de continuer à superviser les affaires du pays à travers un gouvernement civil élu et institutionnellement docile, Suchinda, qui avait pourtant fait la promesse de ne pas briguer le poste de chef du gouvernement, s’attribue la charge de Premier ministre en avril 1992. Ce manquement à la parole donnée provoque une levée de boucliers qui débouche sur un évènement politique majeur : les manifestations de mai 1992.
95Ce mouvement de trois jours réprimé dans le sang reste l’événement le plus tragique et le plus sensible de l’histoire récente de la Thaïlande. Dix ans après, et malgré les rapports de deux commissions d’enquête (publiés en 2000), on ne sait toujours pas précisément pourquoi et comment l’armée en est venue à tirer sur la foule. Les principaux « acteurs » militaires de mai 1992 ont tous été identifiés et ils sont régulièrement fustigés par la presse. Mais l’amnistie générale votée immédiatement après la répression les protège de toute poursuite.
96Les associations de victimes n’en continuent pas moins de contester le bilan officiel qui fait état de 85 victimes et cherchent à déterminer les commanditaires du massacre. A l’époque, les putschistes, Suchinda en tête, furent en tout cas désavoués par le Roi, ouvrant la voie au retour du pouvoir civil.
- 276 Chai-anan Samudavanija, 1997, p. 52.
- 277 William Callahan, Imagining Democracy: Reading the Events of May in Thailand, ISEAS, Singapour, 199 (...)
97Est-ce l’opinion publique, incarnée par les classes moyennes dont parlent tant les analystes occidentaux qui triomphe en mai 1992 ? De fait, contrairement aux manifestations relativement spontanées du 14 octobre 1973 et du 6 octobre 1976, celles de 1992 ont été le fruit d’un mouvement politique organisé, structuré par l’alliance de factions militaires opposées à la « Classe 5 » (réseaux de Chamlong Srimuang et de Chavalit Yongchaiyudth), de partis politiques, d’universitaires, d’ONG et d’hommes d’affaires276. Mais contrairement à ce que voudraient y voir certains analystes occidentaux, il ne symbolise pas pour autant les idéaux démocratiques d’une classe moyenne urbaine structurée, homogène, forcément opposée au pouvoir des militaires277.
- 278 Duncan Mc Cargo, 1997, p. 11.
98La contestation s’est avant tout concentrée sur la personne de Suchinda, considéré comme un parjure politique. En faisant tomber la junte militaire, grâce à l’intervention du Roi, la classe moyenne urbaine est surtout parvenue à renforcer son pouvoir politique. Et si le Parti démocrate a remporté les élections de septembre 1992, le concept de « démocratie » apparaît autant comme un engagement que comme un outil pour justifier sa légitimité à accéder au pouvoir278. Le nouveau salariat et les milieux d’affaires ont simplement contesté l’emprise historique maintenue depuis 1932 par la bureaucratie militaire sur le système politique.
- 279 Le seul politologue thaïlandais marxiste déclaré, Jil Ungpakorn, estime que la bourgeoisie et la cl (...)
99Si l’on estime que rien ne permet d’affirmer qu’en Asie du Sud-Est l’élargissement d’une classe moyenne est automatiquement corrélé à la démocratisation et à l’élargissement du système politique279, alors 1992 et les années qui suivent traduiraient surtout un conflit sociologique entre militaires et civils pour la revendication de l’exercice du pouvoir politique. La bataille a commencé au début des années 70 et une partie de la société civile semble en être, au moins provisoirement, sortie vainqueur.
Relâchement de l’autorité et résurgence des individualités au sein de l’armée indonésienne
- 280 Takashi Shiraishi, « The Indonesian military in politics », in The politics of post Suharto Indones (...)
100On se souvient que, dès le début des années 90, Suharto a entrepris d’émasculer politiquement l’armée indonésienne. Le rythme rapide des rotations au sein de la hiérarchie a empêché les officiers supérieurs de rester suffisamment longtemps en poste dans une province pour se bâtir la clientèle nécessaire à une éventuelle carrière politique280. Après la mise à l’écart de Benny Murdani en 1993, la TNI n’est plus qu’un outil entre les mains de Suharto qui limite encore sa marge de manœuvre politique en attisant les rivalités entre les officiers musulmans souvent antichinois et les militaires séculaires héritiers du nationalisme laïque.
101Le gendre du Président, le général Prabowo Subianto appartient au premier groupe. En février 1998, il est nommé à la tête du Kostrad alors que le général Subagyo, son allié, prend la tête de l’armée de terre. Mais dès le mois de mars, pour contrebalancer l’influence de la « faction verte », Suharto nomme le général Wiranto, considéré comme le leader de la « faction rouge et blanche », ministre de la Défense.
102Ainsi fractionnée, la TNI ne pourra agir de manière unifiée et cohérente pendant la crise de mai 1998. Même dans les dernières semaines du régime Suharto, les militaires n’arriveront pas à se mettre d’accord sur l’attitude à adopter vis-à-vis des manifestants. Au groupe de Prabowo qui prônera une répression sans nuance, s’opposera la majorité des officiers du quartier général, menés par les généraux Wiranto et Susilo Bambang Yudhoyono (en charge des « affaires socio-politiques » de la TNI), qui favoriseront une approche conciliante.
103La légitimité du régime autocratique de Suharto se fondait sur les taux de croissance économique qu’affichait l’archipel depuis les années 80. Sukarno avait été le « père de la Nation », Suharto s’était voulu le « père du développement ». Mais en septembre 1997, la crise économique, qui a frappé la Thaïlande au début de l’été, atteint l’Indonésie.
- 281 Un dollar pour 17 000 rupiah le 22 janvier 1998 contre un dollar pour 2 400 rupiah six mois auparav (...)
104Le budget irréaliste présenté par le président à l’Assemblée consultative populaire le 9 janvier 1998 accentue le mécontentement de la population urbaine lassée de l’archaïsme des méthodes de Suharto et excédée par les privilèges exorbitants dont bénéficient ses enfants dans la compétition économique. Les conséquences seront désastreuses pour le régime autocratique. Quand il devient clair que le président souhaite nommer le ministre de la Recherche et de la technologie, B.J. Habibie, très craint par les occidentaux comme vice-président, la rupiah s’effondre281. La population panique et se rue dans les magasins pour stocker riz et huile de cuisson.
105Malgré le marasme économique et les manifestations étudiantes qui se multiplient, Suharto s’envole le 9 mai pour Le Caire où il doit participer à une conférence sur le développement. Quelques jours après son départ, le 12 mai, l’assassinat de quatre étudiants de l’université Trisakti par des tireurs d’élite enclenche un processus qui va mener, en moins de dix jours, à sa démission.
- 282 Adam Schwarz, 1999, p. 355.
106L’incident de Trisakti mérite qu’on s’y attarde dans la mesure où c’est bien cette tuerie, à l’évidence préparée avec une minutie toute militaire, qui a fait basculer les événements. Les snipers, revêtus d’uniformes des Brigades de police mobile (Brimob), ont utilisés des fusils Steyr, armes dont ne sont équipées que quelques unités d’élite de la TNI. Quelques semaines auparavant, des uniformes de Brimob avaient été « volés » dans une caserne de Jakarta. Il n’en faut pas plus pour pousser certains analystes à soupçonner les Kopassus, l’unité d’élite sur laquelle Prabowo avait imprimé sa marque, d’avoir orchestré la répression282. La suite semblerait bien leur donner raison.
107Dès le lendemain des évènements, des manifestations massives sont organisées, qui tournent rapidement à l’émeute. Le 13 et surtout le 14, Jakarta est livrée à des bandes qui bombardent de pierres les policiers, pillent et brûlent les supermarchés et s’en prennent systématiquement aux citoyens d’origine chinoise. Le bilan de ces deux journées est de 1 300 tués, dont une grande majorité brûlés dans les incendies des magasins. Les émeutiers ont fait preuve d’une organisation tout à fait remarquable et à l’évidence bien peu spontanée. Les troupes du général Syafrie Syamsuddin, un proche de Prabowo qui occupait la position stratégique de commandant militaire de Jakarta, n’ont guère réagi.
- 283 On se reportera notamment à Cayrac-Blanchard, 1991, p. 92-95 et p. 164-166.
108Les motivations des « organisateurs » prêtent à conjectures. Ces évènements ont en tout cas montré qu’aussitôt la chape suhartiste allégée, l’armée reprenait en partie sa respiration politique. Les personnalités ambitieuses, soutenues par leurs propres unités, ont pu concrètement manifester leur existence. On n’est peut-être pas véritablement ici en face de factions. Les dissensions peuvent aussi être lues comme une compétition d’ego entre officiers qui rivalisent pour grimper dans la hiérarchie. Le phénomène n’est pas nouveau. Sous le seul Ordre Nouveau, l’histoire de l’armée indonésienne a été ponctuée d’ambitions individuelles (de Nasution à Murdani en passant par Sarwo Edhie, Sumitro283 ou Rudini). Mais elles ont été d’autant plus facilement contrariées par le pouvoir que la notion de promotion ou de groupe d’influence est bien moins enracinée qu’en Thaïlande où les klum et les solidarités organiques sont une réalité sociologique.
109Une étude menée récemment par deux universitaires soulève toutefois une hypothèse inédite parmi les indonésianistes. Partant du postulat qu’il ne faut pas interpréter les initiatives des militaires par des facteurs externes, Siddharth Chandra et Douglas Kammen ont analysé le parcours de l’ensemble des promotions de l’académie militaire depuis 1960, date de la sortie de la première classe. Ils en arrivent à la conclusion que, par le jeu de redistribution des postes par les « seniors » aux « juniors », certaines promotions monopolisent l’accès aux positions les plus élevées et que d’autres en sont privées.
- 284 Douglas Kammen et Siddharth Chandra, « Generating reforms and reforming generations: military polit (...)
110Selon cette lecture, l’armée a peut-être renoncé à défendre le président Suharto en mai 1998, mais elle a clairement défendu le statu quo pour une simple raison : la classe 10 (diplômée en 1970) occupant les postes de commandement, elle avait peur, en cas de réforme profonde, d’être forcée à la retraite à un moment où peu d’emplois civils adaptés étaient disponibles. On verra plus loin comment cette grille d’analyse permet de lire l’opposition entre divers groupes d’officiers pendant la présidence d’Abdurrahman Wahid284.
5.4 – Vers des armées dépolitisées ?
5.4.1 – Une TNI toujours politique et des officiers en réserve d’un destin national
La lenteur des réformes de structure
- 285 Voir en particulier les déclarations de l’amiral A. S. Widodo, chef des forces armées (Associated P (...)
111Depuis la démission de Suharto le 21 mai 1998, l’armée s’est engagée à quitter la scène politique285. Bien que cette promesse ait été maintes fois réitérée, peu de signes concrets témoignent d’une dépolitisation effective. Le démantèlement de la structure territoriale, l’élément clef d’une réforme en profondeur, qui doit commencer par l’abolition des Babinsa (pour les villages) et des Koramil (à l’échelle des sous-districts), devait débuter en septembre 2000. Un semestre plus tard, il n’avait toujours pas été entamé.
- 286 Entretien du 16 août 2000.
112La réforme est vitale si l’on veut dépolitiser la TNI, car, comme on l’a vu, c’est par le truchement de ce vaste réseau de commandements que les militaires ont pu s’immiscer dans tous les aspects de la vie politique, économique et sociale. L’abolition brutale de la structure territoriale serait néanmoins dangereuse pour l’équilibre du pays, ne serait-ce que parce que des milliers d’officiers et de soldats se retrouveraient soudain désœuvrés. Selon le général Agus Widjojo, chef de la structure territoriale de la TNI, le démantèlement de l’ensemble de la structure, qui disparaîtra au gré des départs en retraite et du renforcement des institutions civiles alternatives, devrait donc prendre « entre sept et dix ans286. »
113Au plan national, un amendement à la Constitution unanimement voté par les parlementaires civils en août 2000 a garanti à la TNI le maintien de son quota de 38 sièges à l’Assemblée consultative populaire (MPR) jusqu’en 2009. La raison invoquée peut prêter à sourire. Selon les promoteurs de cet amendement, les candidats militaires élus, peu habitués au jeu politique civil, risqueraient de succomber à la tentation de vilaines combines électoralistes, provoquant des divisions au sein de l’institution militaire.
- 287 « Armée indonésienne, amie ou ennemie ? », Van Zorge Report, 5 octobre 2000.
114Seul signe concret de désengagement institutionnel, les 4 000 militaires détachés ont été forcés de choisir depuis novembre 1998 entre conserver leur poste civil ou réintégrer l’armée287. Et encore ces départs n’ont-il pas toujours été obtenus de bon gré. En janvier 2000, le président Wahid a dû quelque peu forcer la main au général Wiranto, alors ministre coordinateur pour la Défense et la Sécurité, afin qu’il quitte le service actif.
- 288 C’est également le point de vu défendu par l’ex-ministre de la Défense Juwono Sudarsono (Associated (...)
115Tout se passe comme si les militaires ne faisaient pas confiance aux civils pour gérer le pays, comme s’ils craignaient que leur désengagement précipité n’aboutisse au chaos288. L’armée considère que les politiciens civils et les bureaucrates sont incapables de diriger l’Indonésie sans mettre en danger son unité. Ils se réfèrent à la période de la démocratie constitutionnelle (1950-1959), lorsque les rivalités entre les différents partis politiques provoquèrent une instabilité chronique, qui permit notamment l’émergence d’un courant islamique fondamentaliste. Selon eux, le pays n’est pas prêt pour la « démocratie libérale », car en raison d’un développement économique limité et du peu d’éducation de la majorité de la population, un simple relâchement peut suffire pour que resurgissent les « pulsions primordiales ».
116Les militaires utilisent une fois encore la permanence de ces conflits sociaux, ethniques et religieux, donc en fait leur incapacité à les régler de façon durable, pour justifier leur rôle politique dominant. La confusion reste entretenue entre le maintien de la sécurité intérieure et les fonctions politiques, révélant, si besoin était, que l’armée n’est pas encore tout à fait prête à réintégrer ses casernes.
117Pour opportuniste qu’elle soit, l’analyse faite par l’armée des risques qui pèsent sur la Nation ne saurait être totalement récusée. La situation indonésienne actuelle s’apparente en effet à bien des égards à celle des années 50 : instabilité politique, intensification des conflits ethniques et religieux et résurgence du fondamentalisme islamique. S’y ajoutent les velléités séparatistes qui mettent en danger l’intégrité territoriale.
118Il est difficile de savoir à partir de quel niveau d’instabilité les militaires se sentiraient fondés à occuper le devant de la scène, remplaçant les responsables civils taxés « d’irresponsabilité » et « d’incompétence ». Contrairement à la Thaïlande, l’Indonésie n’est pas familière des coups d’Etat militaires. Dans la tradition établie par Sudirman et Nasution, la TNI semble estimer qu’il ne lui revient pas de prendre le pouvoir directement en main. L’armée indonésienne est politique, mais elle aime à rester derrière l’écran, comme le fait le dalang (marionnettiste) qui manipule les silhouettes du wayang kulit (théâtre d’ombres javanais).
119Comme en témoignent les évènements récents, les militaires accordent un caractère sacré à la Constitution de 1945 née dans la lutte anti-coloniale et rechignent à renverser un président constitutionnellement élu.
120En mai 1998, alors que la position de Suharto était devenue des plus précaires, les chefs militaires n’en ont pas profité pour s’emparer du pouvoir. Bien au contraire, alors qu’Harmoko, le responsable civil du Golkar qui passait pour être un fidèle parmi les fidèles appelait le président à démissionner, le général Wiranto, alors commandant en chef des forces armées s’y est opposé.
121De même, lorsqu’en janvier 1999, B. J. Habibie, honni par les militaires, a ouvert la voie à l’indépendance du Timor Oriental, l’armée n’a pas réagi. Il s’agissait pourtant pour elle d’une profonde humiliation, tant le gain du territoire et son maintien dans le giron indonésien symbolisait la contribution de la TNI à la grandeur nationale. Nouvelle preuve du respect de l’armée pour les institutions : quand Abdurrahman Wahid, mis en difficulté au Parlement pour deux affaires mineures de corruption, a demandé en janvier 2001, la déclaration de l’état d’urgence, l’Etat-Major ne l’a pas suivi.
122Dire que la TNI se refusera toujours à intervenir directement au cœur de la vie politique nationale serait néanmoins aller un peu vite en besogne.
123Même si elle a refusé d’appuyer la volonté du président Wahid de déclarer l’état d’urgence, l’armée a néanmoins joué un rôle crucial dans la destitution de ce dernier et dans son remplacement par la vice-présidente Megawati Sukarnoputri le 23 juillet 2001.
- 289 Rajiv Chandrasekaran, « Jakarta’s crisis nears a showdown », International Herald Tribune, 23 juill (...)
124Ainsi, la veille de l’ouverture de la session spéciale de l’Assemblée consultative populaire (MPR), qui devait statuer sur la question, le commandement militaire de Jakarta a positionné une centaine de chars d’assaut et d’automitrailleuses face au palais présidentiel. Comme pour signifier clairement le camp choisi, la plupart de ces véhicules blindés avaient leurs canons tournés vers le palais289.
125Sans l’appui de la TNI et de la police, la proclamation de l’état d’urgence par le président Wahid dans la nuit qui a suivi était dès lors purement rhétorique. Il convient de rappeler dans ce contexte que le président de la République d’Indonésie est, selon la Constitution de 1945, le commandant suprême des forces armées ; le refus d’obtempérer des commandants militaires relevait donc juridiquement de l’insubordination.
126Une situation chaotique, qui verrait par exemple des émeutes massives embraser Jakarta, pourrait peut-être provoquer une intervention directe de l’armée pour peu que le pouvoir civil paraisse vacant. De même, il ne fait pas de doute qu’une nouvelle atteinte à l’intégrité territoriale indonésienne serait difficilement tolérée par les chefs militaires.
- 290 Entretien avec Agus Widjojo, 5 octobre 1999 ; entretien avec Fachrul Razi, 12 octobre 1999.
127Comme nous l’ont fait savoir les généraux Agus Widjojo et Fachrul Razi (ex-numéro deux de l’armée de terre), il est hors de question d’envisager la perte d’Aceh ou de l’Irian Jaya290. Saper ainsi le fondement même de l’Indonésie, empire multiethnique mal déguisé en Etat unitaire, serait assurément la meilleure raison pour les militaires d’assurer directement la responsabilité du pouvoir politique.
128Au-delà de ses possibles interventions institutionnelles, il est aujourd’hui difficile de dire si l’armée peut, comme en Thaïlande, représenter une pépinière fertile de personnel politique. Jusqu’à maintenant, les projections carriéristes semblent s’être effacées derrière la puissance de l’institution militaire et celle, non moins écrasante, de la présidence. La TNI a produit peu de grands leaders politiques, parce que, comme on l’a vu, Suharto est parvenu à circonvenir toute ambition personnelle pour mieux asseoir son propre pouvoir. Autant la génération des officiers des années 50 avait été formée à l’action politique, autant les suivantes ont été privées de tout conditionnement dans ce domaine. Cela pourrait expliquer l’échec des généraux Hartono et Try Sutrisno désireux de créer un parti après la chute de Suharto.
129De même, la façon très habile avec laquelle, en février 2000, le président Wahid a évincé le général Wiranto de son poste de ministre coordinateur pour la Défense et la Sécurité, n’a pas vraiment froissé les leaders de la TNI. Une fois sorti du service actif, Wiranto a d’ailleurs perdu rapidement ses soutiens au sein des forces armées. Il était de plus considéré comme le leader du groupe Suhartiste (celui des anciens aides de camp et gardes du corps de l’ex-président) mal vu de la majorité des officiers qui ont gagné leurs galons sur le terrain et non dans les états-majors.
130L’intervention directe de Wahid dans les deux premiers cycles de promotion de la TNI qui ont marqué sa présidence a en revanche été ressentie par les officiers supérieurs comme une violation de leur prérogative. Le fait est que les chefs militaires indonésiens ne se sont jamais sentis très à l’aise avec Gus Dur (surnom populaire du président) qu’ils ne s’attendaient pas à voir devenir chef d’Etat en octobre 1999. Ils l’ont trouvé difficile à cerner, imprévisible et trop excentrique. Surtout, il leur est apparu moins facile à contrôler que la vice-présidente d’alors, Megawati Sukarnoputri qui, traumatisée par le souvenir de son père évincé du pouvoir par la force militaire, s’est toujours efforcée d’entretenir un lien harmonieux avec l’armée.
- 291 Tempo, 6 février 2001.
131Les relations entre le président Wahid et les forces armées se sont encore détériorées lors de l’adoption au Parlement en janvier 2001 d’une motion de censure à l’encontre du président, prélude à une procédure de destitution. Lors de deux petits déjeuners successifs, Wahid a annoncé au chef des forces armées, l’amiral A.S. Widodo, et aux leaders des trois Armes qu’il souhaitait dissoudre le Parlement et instaurer l’état d’urgence291. Par deux fois, le chef de l’armée de terre, le général Endriartono Sutarto s’est opposé verbalement au président. Les 38 représentants de la faction militaire ont d’ailleurs voté, avec la quasi-unanimité de l’Assemblée, la censure à l’encontre de Wahid, puis sa destitution le 23 juillet 2001.
Trois options pour l’avenir ou trois options qui hypothèquent l’avenir ?
- 292 « Armée indonésienne, amie ou ennemie ? », Van Zorge Report, 5 octobre 2000.
132Quel type de rôle politique peuvent jouer les militaires à l’avenir ? L’armée est de nouveau fortement divisée. Le fait qu’un marin, l’amiral A.S. Widodo, ait été nommé à la tête de la TNI par le président Wahid a bel et bien écorné la toute puissance de l’armée de terre. Il a en tout cas conduit à une sorte de vide de pouvoir au sommet de l’institution. Aujourd’hui, comme se fut le cas en Thaïlande dans les années 80, l’armée indonésienne est traversée par trois tendances. Leur confrontation est conçue par certains comme la cause principale des violences à travers l’archipel292.
133La première, majoritaire, est celle des « conservateurs réformistes » qui veulent le retour à une armée politiquement puissante, mais dans un environnement démocratique. Les généraux les plus représentatifs de cette tendance sont sans doute Agus Widjojo et Susilo Bambang Yudhoyono. Leurs positions sont en fait très similaires à celles du PDI-P. Ils ont voulu destituer Wahid pour permettre à Megawati Sukarnoputri de devenir présidente, ce qu’ils ont mis en application en juillet 2001.
134Il ne s’agit pas pour eux de provoquer un coup de force politique, mais un processus constitutionnel. Le conservatisme de Megawati, sa fidélité à la Constitution de 1945 et son nationalisme en font un chef d’Etat idéal aux yeux de généraux comme Susilo, un temps ministre coordinateur pour la Sécurité sous la présidence Wahid, et auquel on promet une brillante carrière politique.
135La deuxième tendance qui traverse l’armée est constituée de ceux que l’on pourrait appeler les « militaires dévoyés », groupe d’officiers proches de l’ancien régime qui, alliés à des gangs criminels et à des hommes d’affaires peu scrupuleux, souhaitent rétablir un régime autocratique.
136Pour réussir, ce groupe doit discréditer le gouvernement légitime de manière à ce qu’un changement majeur puisse intervenir par, ou hors du champ parlementaire. Cette tendance dispose des moyens et des réseaux nécessaires pour créer ou entretenir des troubles dans les provinces instables.
- 293 « Armée indonésienne, amie ou ennemie ? », Van Zorge Report, 5 octobre 2000.
137A l’autre extrémité du spectre, les « réformistes radicaux » veulent dépolitiser totalement la TNI et la cantonner à un rôle de défense. Emmenée par les généraux Agus Wirahadikusumah et Saurip Kadi (très critiques à propos de la corruption au sein des fondations économiques de la TNI), cette tendance a eu les faveurs d’Abdurrahman Wahid jusqu’à provoquer de sérieuses frictions entre la présidence et l’Etat-Major293.
138En novembre dernier, 45 généraux ont ainsi présenté une pétition pour s’opposer à la nomination d’Agus Wirahadikusumah à la tête de l’armée de terre. Flairant le danger, Wahid a préféré faire marche arrière.
139Si l’on reprend la grille de lecture de Siddharth Chandra et Douglas Kammen (voir supra), l’opposition entre les « conservateurs réformistes » et les « réformistes radicaux » peut apparaître simplement comme la tension entre deux classes de l’académie de Bandung : la classe 10 (Agus Widjojo, Fachrul Razi, diplômés en 1970) qui occupait en 2000-2001 tous les postes clefs de l’armée de terre et la classe 13 (Agus Wirahadikusumah, Saurip Kadi, diplômés en 1973), écartée jusque-là des postes prestigieux. Cette dernière ne pouvait espérer accéder à des postes élevés qu’en se rangeant aux côtés du président Wahid et en encourageant une réforme radicale de l’institution militaire.
- 294 Kammen et Chandra, juillet 2001.
140En continuant d’appliquer cette grille de lecture, Chandra et Kammen estiment hautement improbable l’hypothèse d’un coup d’Etat par les officiers qui détiennent actuellement le rang de colonels (classe 15, diplômée en 1975) « car les perspectives de carrières pour ces officiers sont exceptionnelles ». On ne devrait donc pas voir les changements au sein de la TNI « comme des manœuvres hautement politisées », mais « comme le résultat d’intérêts carriéristes à court terme294 ».
141Quelles que soient les turbulences politiques qui ne manqueront pas d’agiter l’archipel ces prochaines années, la persistance de « tendances » est clairement préjudiciable à la TNI. Pour réunifier l’institution, beaucoup souhaitent l’émergence d’un nouveau commandant en chef qui puisse concentrer moyens, stature personnelle, loyauté des troupes et pouvoir politique : un faisceau de qualités que les Javanais résument par le terme de pusaka (littéralement « patrimoine »).
142C’est par ce biais que, même si la TNI doit abandonner ses attributs politiques formels, elle pourra conserver un rôle politique effectif dont le principe directeur sera la protection de l’intégrité territoriale et la défense d’une idéologie nationale remaniée plus ou moins basée sur le Pancasila.
143La TNI se retrouverait ainsi dans une position similaire à celle de l’armée turque, aujourd’hui dégagée du jeu politique quotidien mais qui veille à ce que les fondements de la Nation (la laïcité et l’Etat républicain dans le cas de la Turquie ; la Constitution de 1945, l’intégrité territoriale et le Pancasila dans le cas de l’Indonésie) ne soient pas menacés.
5.4.2 – Sur la scène politique thaïlandaise, les militaires délaissent l’uniforme pour le costume-cravate
Confusion des genres
144En Thaïlande, au contraire de l’Indonésie, la politisation de l’armée n’a pas de visage institutionnel. Elle ne prend pas la forme d’une structure territoriale ou d’un quota parlementaire. Elle tient plus aux ambitions personnelles des généraux, qu’à une véritable conceptualisation de leur fonction. C’est pourquoi, malgré le souhait clairement exprimé par l’opinion publique (ou du moins celle des citadins favorisés), l’après 1992 ne s’est pas traduit par un basculement immédiat du pouvoir militaire vers un pouvoir civil.
145Les élections de septembre 1992 n’ont pas seulement opposé des partis anciennement alliés à la junte de Suchinda Kraprayoon (Chat thai, Parti de l’Action sociale,) à un bloc hostile au pouvoir politique des militaires (Parti démocrate, Nouvel espoir, Force du Dharma). Cette vision simpliste d’une confrontation entre les partis du « diable » et ceux des « anges » peut plus pertinemment se résumer à la confrontation des ambitions personnelles de quatre dirigeants politiques – Chavalit, Chamlong, Chatichai et Chuan – dont les trois premiers sont d’anciens généraux.
- 295 Certains d’entre eux deviendront d’ailleurs ses ministres comme Supachai Panitchpakdi ou Tarrin Nim (...)
146En confiant le poste de Premier ministre à Chuan Leekpai entre 1992 et 1995, le système politique thaïlandais s’est offert pour la première fois un chef de gouvernement totalement extérieur à la fonction publique civile ou militaire. Juriste et dessinateur, Chuan s’est attelé pendant trois ans à juguler l’influence politique de l’armée en poursuivant l’œuvre amorcée par Anan Panyarachun quelques années plus tôt et en favorisant la classe d’hommes d’affaires et de financiers qui l’a porté au pouvoir295. Mais en 1994, alors que le discours porte sur la « dépolitisation » de l’armée, les militaires réaffirment leur influence en se montrant menaçants lorsque le débat s’ouvre à l’Assemblée sur l’opportunité des achats d’armements qu’ils envisagent.
147Des partis compromis avec la junte, comme le Chat Thai de Banharn Silapa-archa, continuent en outre de représenter une force politique non négligeable (comme le montre sa victoire électorale en juillet 1995). Et, fin 1996, c’est un ancien « soldat idéologique », le général Chavalit Yongchaiyudth, qui devient Premier ministre. L’ascension de ce dernier montre bien que les passerelles entre l’Etat-Major et la scène politique n’ont pas disparu. Chavalit avait quitté l’armée à la fin des années 80 pour fonder son parti Nouvel Espoir (phak khwamwang mai).
148En s’appuyant sur les réseaux établis lorsqu’il était ministre de la Défense (1995), il contrôle désormais le remaniement de l’Etat-Major, se bat pour l’augmentation du budget militaire et contre le contrôle parlementaire des achats d’armements. Comme Premier ministre, il plaide de nouveau pour qu’à l’avenir le poste de chef du gouvernement soit réservé à un militaire. Il se déclare en outre admirateur du parti indonésien Golkar parce qu’il constitue le canal politique des militaires en retraite.
149Pour beaucoup, le succès de Chavalit fut une sorte de coup d’Etat d’un nouveau genre, loin des interventions brutales du passé, mais tout aussi efficace. La dichotomie est cependant plus que jamais marquée entre l’institution et les individus qu’elle a fait émerger.
150Alors que les militaires sont toujours très présents en politique, tout se passe comme si l’armée avait observé un retrait scrupuleux du devant de la scène. Elle semble avoir digéré les leçons de la répression de mai 1992 et s’est depuis lors bien gardée d’intervenir publiquement.
Le Conseil National de Sécurité
Un organisme administratif omniscient
Créé par une loi de 1959 ; le Conseil National de Sécurité est l’un des derniers avatars de la période de la guerre froide, du temps de la présence américaine et de la lutte anticommuniste en Thaïlande. Dirigé par un secrétaire général et présidé par le Premier ministre, le CNS compte également parmi ses membres, les ministres de la Défense, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Finances et de la Communication, ainsi que le Commandant suprême des forces armées. C’est une institution administrative décisionnelle aux pouvoirs élargis qui a vocation à définir et à mettre en œuvre le fameux concept élastique de " sécurité nationale".
D’après son statut légal, le CNS a pour mission de " conseiller le gouvernement en matière de politique étrangère, militaire et économique et sur toute autre question relevant de la sécurité nationale". Son devoir de conseil et de recommandation se couple à une fonction de coordination et de prise de décision au plus haut niveau de l’Etat. Considéré par la plupart des politologues et juristes thaïlandais comme un organisme conservateur, pour ne pas dire réactionnaire, le CNS continue d’intervenir aujourd’hui dans de multiples dossiers politiques ; économiques, sociaux ou culturels, tels que les démarcations de frontières, la lutte anti-drogue ou encore le développement des zones rurales.
La crise économique de 1997 et les incertitudes qu’elle a fait naître ont redonné de la vigueur au CNS. Il est en tout cas l’une des dernières institutions thaïlandaises qui permettent aux militaires d’avoir voix au chapitre sur des matières relevant traditionnellement de l’autorité civile.
151Lors du cataclysme financier qui suit la dévaluation du baht, la monnaie locale, le 2 juillet 1997, ce décalage entre le rayonnement du général qui occupe, en son nom propre, le poste de Premier ministre et la discrétion de l’institution militaire trouve une expression concrète.
152Les perturbations économiques incitent en effet Chavalit à demander à l’armée l’instauration de l’état d’urgence. Mais cette requête lui est platement refusée par le général Chettha Thanajaro commandant suprême de l’époque. Le rejet de l’armée, certainement encouragé par les réticences du Palais, repose surtout sur son sentiment, alors tout à fait nouveau, qu’il n’est plus de son ressort d’assumer ouvertement la conduite des affaires gouvernementales. Dans la foulée, l’armée prend même position en faveur de la nouvelle Constitution d’octobre 1997, héritière du mouvement hétéroclite de 1992, censée débarrasser le royaume de la corruption politique et des interférences militaires.
153Outre des dispositions inspirées des Constitutions allemande et française, le texte établit l’incompatibilité entre mandat électif et poste dans la fonction publique civile ou militaire. Il est également établi que le Premier ministre doit être issu des rangs du Parlement, ce qui exclut de fait les militaires d’active.
- 296 Entretien, novembre 2000.
154Pour reprendre les termes d’un diplomate occidental, depuis la promulgation de cette Constitution, la plus démocratique de l’histoire de la Thaïlande, l’armée semble en « voie de normalisation296. » Traditionnellement nommé, le Sénat a pour la première fois été élu en mars 2000 ; la majorité des militaires qui le composaient ont dû quitter leur siège. Pour plus de sécurité, le président du Parlement (réunion des deux chambres) n’est plus le porte-parole du Sénat mais celui de la Chambre des représentants.
155Le reflux institutionnel de l’armée ne se fait pas seulement sous les effets de la pression juridique, mais aussi grâce à l’habileté de deux hommes : le général Surayud Chulanond, nommé en octobre 1998 commandant en chef de l’armée (voir encadré) et le dirigeant historique du parti Démocrate, Chuan Leekpai, Premier ministre (mais aussi détenteur du portefeuille de la Défense) de novembre 1997 à janvier 2001.
- 297 A chaque fois qu’il a été interrogé sur cette question, le général Surayud a confirmé le processus (...)
156Dès sa prise de fonctions, Surayud s’engage publiquement à dépolitiser l’institution qu’il dirige, à réduire ses intérêts économiques et appliquer un vaste programme de professionnalisation visant à supprimer la conscription et à réduire le personnel militaire (de 236 000 à 190 000 hommes d’ici dix ans et jusqu’à 170 000 hommes en 2013). Il réaffirme la soumission de l’armée au pouvoir civil, promet de lutter contre toutes les interférences sur la scène politique et, en gage de bonne volonté, démissionne immédiatement de son siège de sénateur297.
157A la question rituelle de la possibilité d’un nouveau coup d’Etat, les généraux thaïlandais assurent depuis trois ans que ce mode d’intervention politique appartient dorénavant au passé. Mais l’interrogation tient moins aux rémanences de l’histoire qu’aux raisons pour lesquelles les officiers supérieurs ont adopté cette nouvelle posture « démocratique ».
- 298 Entretien avec un officier supérieur, 15 janvier 2001.
158L’armée thaïlandaise, profondément marquée par la force concurrentielle des factions dans les années 70 et 80, semble aujourd’hui moins sujette aux courants contraires. Il reste, dit-on, de « très bons amis et de moins bons amis298 », mais la génération des Classes 5 et 7, tout comme les « Soldats démocratiques » a passé la main à des promotions moins enclines aux positionnements idéologiques. Le mouvement avait été amorcé dès la Classe 9 de Chettha et de Mongkol Ampornpisit, mais il a pris depuis lors un tour beaucoup plus marqué.
159Surayud Chulanond est issu de la Classe 12, tout comme le commandant suprême Sampao Chusri et le commandant de la 3e armée (Nord), Wattanachai Chaimuanwong. Ces trois hommes, âgés d’une cinquantaine d’années, sont unanimement considérés comme des militaires professionnels, au sens occidental du terme. Même si Surayud est réputé proche des Démocrates, on ne lui connaît pas d’ambition politique.
160Plus fondamentalement, les parois entre l’armée et la scène politique semblent s’être imperméabilisées. Dans l’esprit de séparation des pouvoirs incarné par la Constitution d’octobre 1997, le poste de commandant en chef débouche moins aisément sur un portefeuille ministériel. La compétition entre généraux est de ce fait moins aiguë que par le passé.
Surayud Chulanond
Le réformateur
Si la dépolitisation de l’armée thaïlandaise devait avoir un visage, elle adopterait certainement celui de Surayud Chulanond. Nommé commandant en chef en octobre 1998, à l’âge de 55 ans, ce général incarne le nouveau visage de l’institution militaire, retirée de l’avantscène politique, tentant d’abandonner ses bastions économiques et engagée sur la voie de ce qu’on appelle la professionnalisation.
Fils d’un ancien maquisard du Parti communiste de Thaïlande (PCT) mort en exil au Laos, Surayud a en quelque sorte été une victime de la dictature militaire. En 1973, il était déjà soldat, mais partageait les aspirations réformatrices d’une partie de l’intelligentsia thaïlandaise. Près de vingt ans plus tard, lors des manifestations démocratiques de mai 1992, il occupait un poste de commandement important. Et s’il n’a pas directement pris part à la répression sanglante du mouvement, il a accepté que son nom apparaisse dans un rapport d’enquête rendu public en 2000.
Avec son partenaire de la Classe 12, le commandant suprême Sampao Chusri, le général Surayud a eu la chance d’accéder à la haute hiérarchie militaire au moment où les factions étaient faibles et où, par conséquent, le poste de commandant en chef ne constituait déjà plus une rampe de lancement vers celui de Premier ministre. Son accession au poste le plus important de l’armée constitua néanmoins une surprise au sens où elle rompait avec le principe traditionnel de cooptation et de séniorité.
Nommé par le Premier ministre de l’époque, Chuan Leekpai, qui était aussi détenteur du portefeuille de la Défense, il est unanimement considéré comme un démocrate et un réformateur sincère, un « gentleman en uniforme », comme le décrit l’un de ses proches.
- 299 Entretien avec un officier supérieur, 1er février 2001.
161Si l’armée thaïlandaise se professionnalise, il en va d’une certaine façon de même pour la classe politique. Les officiers reconnaissent aujourd’hui que la politique est un métier, qu’elle requiert compétences et expertise. De fait, entre 1997 et 2001, les militaires actifs ont évité soigneusement de commenter publiquement les orientations du gouvernement. Plusieurs officiers soulignent que leur métier consiste à « défendre le pays et non plus à l’administrer299. » L’armée laisse désormais le devant de la scène politique à d’autres acteurs sociaux.
De la perte de la prépondérance à la préservation d’une influence
162Retraits annoncés et prises de distance avérées ne signifient évidemment pas que les généraux thaïlandais aient perdu tout pouvoir d’influence politique. Le général Prem Tinnasulanonda, aujourd’hui conseiller du Roi, continue d’être régulièrement consulté et écouté. De même Suchinda Kraprayoon, amnistié en 1992, reçoit chaque année pour son anniversaire la visite de ses camarades de promotion. Les connections entre généraux et hommes d’affaires de Bangkok tel l’influent Dhanin Chearavanont, président du conglomérat agro-industriel Charoen Phokphand, restent intactes.
163Les acteurs des années 80 et du début des années 90 se sont engagés dans des carrières politiques, parfois avec succès. Viroj Sangsanit est par exemple membre du parti Thai rak thai (les Thaïlandais aiment les Thaïlandais) de Thaksin Shinawatra. L’ancien « Jeune Turc » Manoonkrit Roopkachorn, instigateur avec plus ou moins de bonheur de nombreux coups d’Etat (1977, 1981 et 1985) a été élu en mars 2001, président du Sénat.
164A défaut d’être prépondérants, les militaires restent politiquement prestigieux et influents, comme s’ils étaient encore porteurs d’une culture politique vieille de 70 ans. Car en Thaïlande, la politisation de l’armée apparaît bien moins liée à sa structure qu’à la formation de ses officiers. Contrairement à leurs homologues indonésiens, les militaires thaïlandais n’ont jamais réussi à véritablement incarner l’unité nationale. Ce statut, on l’a vu, n’a été acquis qu’au prix de l’invention d’un concept élastique, « la sécurité nationale », sésame politique qui, tant il est lié au contexte, peut sembler bien fragile. Aucun événement historique fondateur, aucune lutte d’indépendance, aucun trait populaire ne viennent auréoler les militaires thaïlandais d’un prestige politique. L’armée apparaît tout au plus comme une sorte de « nurserie » pour futurs politiciens.
- 300 Entretien avec un officier supérieur, 1er février 2001.
165D’ailleurs, même si les passerelles entre l’Etat-Major et les institutions gouvernementales sont moins directes que par le passé, certains jeunes officiers diplômés dans les années 90 se déclarent toujours « attirés » par la carrière politique300. Ils reconnaissent certes que le champ politique s’est professionnalisé. Mais ils estiment toujours que le moment venu, ils pourraient y faire valoir leurs compétences.
166De fait, leurs positions leur permettent de cultiver des réseaux, de s’imposer comme des notables locaux, de se voir reconnaître une expertise… autant d’atouts indispensables à une insertion dans le jeu politique. De surcroît, en province, bien plus qu’à Bangkok, est resté intact le maillage des relations étroites entre militaires, hommes d’affaires locaux et ces personnages centraux de la vie sociale thaïlandaise que sont les jao pho.
167Ces parrains locaux représentent des puissances financières et électorales, en particulier dans les campagnes déshéritées du Nord-Est du royaume. En dehors de la capitale, la Thaïlande a gardé certains attributs de la féodalité et la démocratie, selon un adage populaire, n’y est donc « qu’à demi-cuite. »
168La professionnalisation du jeu politique concerne surtout la scène nationale, les luttes de pouvoir et d’influence dans les ministères et les rangs du Parlement. Bien loin en fait de la politique locale, où les commandants régionaux sont parfois restés de véritables seigneurs de la guerre. Que représente le général Surayud Chulanond, commandant des forces armées dans les districts du nord de la Thaïlande, le long de la frontière birmane, où le trafic de drogue prospère grâce au bon vouloir de certains officiers ? Ces derniers supplantent le plus souvent les représentants de l’administration de Bangkok (gouverneurs, chefs de districts ou de villages), dans un pays qui ne s’est guère engagé sur la voie de la déconcentration administrative et à fortiori sur celle de la décentralisation.
169A ces composantes socio-politiques s’ajoute la défiance toujours bien présente dans l’esprit de la plupart des militaires à l’égard du pouvoir civil. Tous les officiers supérieurs ne sont pas convaincus de la compétence des civils pour gérer les affaires publiques. Certains se sont plaints, en 1997, que le portefeuille de la Défense soit attribué à Chuan Leekpai, même si en pratique ce fut son ministre adjoint, un militaire, qui assuma la gestion du quotidien et des rapports avec l’Etat-Major.
- 301 Entretiens, janvier et février 2001.
170Lors de la campagne électorale pour le scrutin législatif de 2001, certains militaires ont exprimé publiquement leur sentiment sur le système parlementaire thaïlandais, le qualifiant de véritable pagaille, au moment précis où le vainqueur désigné, le milliardaire Thaksin Shinawatra, était accusé de fraude financière par une commission anti-corruption. Plusieurs officiers continuent à se qualifier de garde-fous, rappelant qu’ils seront là, si la situation l’exige. De jeunes officiers déclarent continuer de ressentir « un certain mépris pour des politiciens civils corrompus », même si « les choses vont progressivement évoluer grâce à la Constitution de 1997301. »
171Il est encore trop tôt pour savoir si l’administration Chuan Leekpai (1997-2001) fut une simple parenthèse ou si elle a inauguré une ère durable de dépolitisation de l’armée. A observer les premières déclarations du ministre de la Défense, le général Chavalit Yongchaiyudth, on pencherait volontiers vers la première hypothèse. Dès sa prise de fonctions, il s’est engagé à rétablir le principe de « séniorité » pour les nominations au sein de la hiérarchie militaire. En clair, le ministre, qui est aussi vice-Premier ministre, entend casser le principe de méritocratie instauré par son prédécesseur pour lui préférer le rétablissement d’un système de patronage, d’un esprit de « camaraderie », de classe et de « fraternité ». Les critiques y voient le risque d’un retour des cliques et des factions, propice à toutes les interférences.
172Les plus optimistes noteront cependant que l’arrivée du nouveau gouvernement, en avril 2001, ne s’est pas soldé par une chasse aux sorcières. Le général Surayud est resté en place tout comme Wattanachai Chaimuanwong, le bouillant commandant de la 3e armée, en conflit ouvert avec son ministre de tutelle sur la gestion des troubles à la frontière birmane.
173Reste en suspens la question la plus sensible et la plus complexe du système politique thaïlandais : la position de la monarchie. Ces dernières années, il semble que le Roi ait assez clairement manifesté, lors de ses interventions publiques, son opposition à toute forme d’ingérence de l’armée sur la scène politique. Et plus que l’absence d’une faction dominante ou la concurrence de politiciens civils professionnels, c’est bien la crainte d’un désaveu royal qui pourrait empêcher les militaires de fomenter un nouveau coup d’Etat. A contrario, on peut s’interroger sur le rôle que pourra avoir l’Etat-Major au moment de la succession. Même si le Prince héritier devrait être logiquement amené à succéder à son père, certains constatent qu’une majorité des officiers, ici en phase avec le reste de la société, se sentent plus proches de la princesse Sirindhorn qui enseigne d’ailleurs depuis plusieurs années à l’académie militaire.
Notes
239 Suchit Bunbongkarn, The Military in Thai Politics 1981-86, Singapour, ISEAS, 1989, p. 2; Chai-anan Samudavanija, 1997, p. 42-43.
240 Chai-anan Samudavanija et Sukhumbhand Paribatra, « Thailand: Liberalization Without Democracy » dans James W. Morley, Driven by Growth. Political Change in the Asia-Pacific Region, Armonk, New York et Londres, 1993, p. 125.
241 Chai-anan Samudavanija et Sukhumbhand Paribatra, 1993, p. 125.
242 Bernard Ravenel, « Armée et pouvoir », Confluences Méditerranée, L’Harmattan, Paris, Printemps 1999, p 13.
243 On définira la société civile comme un ensemble de groupes sociaux extérieurs à l’Etat et aux structures gouvernementales mais exerçant une influence sur eux. Les milieux d’affaires, la paysannerie, le monde ouvrier, la presse, les syndicats, les associations, les ONG, les groupes religieux peuvent être considérés comme ses composantes.
244 Max Weber, Le savant et le politique, Plon, Paris, 1959, p. 101.
245 Voir par exemple Morris Janowitz cité par Muthiah Alagappa, « Military Professionalism and the Developmental Role of the Military in South East Asia », dans J. Soedjati Djiwandono et Yong Mun Choeng (dir.), Soldiers and Stability in Southeast Asia, ISEAS, Singapour, 1988, p 23. Voir aussi la théorie de Samuel Huntington cité par Duncan Mc Cargo, Chamlong Srimuang and the New Thai Politics, Hurst and Company, Londres, 1997, p. 22.
246 Muthiah Alagappa, 1988, p. 23.
247 Cité par Muthiah Alagappa, 1988, p. 23.
248 Selon l’expression de Muthiah Alagappa, 1988, p. 25.
249 Thèse défendue par le chercheur Harold Crouch en 1985 citée par Muthiah Alagappa, 1988, p. 37.
250 Defert, 1992, p. 95-105.
251 Muthiah Alagappa, 1988, p. 38.
252 David Wyatt, 1984, p. 284.
253 Selon les propos d’un colonel rapportés par Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 284.
254 Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 300 ; Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1998, p. 222.
255 Sur la question du développement d’une classe moyenne dans les années 70 en Thaïlande, voir David Wyatt, 1984, p. 290 et suivantes.
256 Entre 1961 et 1972, le nombre d’étudiants passe de 15 000 à 100 000 et le nombre d’universités de cinq à dix-sept.
257 Cité in Sulak Sivaraksa, Loyalty demands dissent, Parallax Press, Berkeley, 1998, p. 140.
258 Selon Puey Ungphakorn, alors recteur de l’université Thammasat, l’armée n’a pas été directement impliquée dans la répression sanglante des manifestations étudiantes d’octobre 1976, même si les ordres ont émané du gouvernement Seni Pramoj lui-même (cité par Duncan Mc Cargo, 1997, p. 35).
259 100 sièges jusqu’en mai 1997, 75 jusqu’en juin 1999, 38 depuis.
260 20 % des sièges jusqu’en mai 1997, 10 % depuis.
261 Cayrac-Blanchard, 1991, Paris ; Schwarz, 1999, p. 271 et suiv.
262 Comme on l’a vu, les changements de gouvernement ont bien plus souvent été le fruit de coups d’Etat (17 réussis ou avortés entre 1932 et 1991) que d’exercices électoraux (seules cinq législatures sont allées à leur terme). Sur le rythme effréné des coups d’Etat, voir Chai-anan Samudavanija, The Thai Young Turks, ISEAS, Singapour, 1982, p. 1.
263 Le général Arthit (futur commandant en chef et commandant suprême en 1983), opposé au Coup, organise la fuite du Premier ministre à Khorat. Ce dernier est alors accompagné de la Reine.
264 Le chercheur thaïlandais Chai-Anan Samudavanija, estime que les « Jeunes Turcs » se sont précisément réunis pour tuer le « factionnalisme » au sein de l’armée : thèse citée par Suchit Bunbongkarn, 1989, p. 11-12.
265 Suchit Bunbongkarn, 1989, p. 15.
266 Cité in Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 330.
267 Suchit Bunbongkarn, 1989, p. 23-24.
268 C’est l’un des textes de l’histoire constitutionnelle thaïlandaise qui aura la vie la plus longue. Il ne sera abrogé qu’en 1991 après le coup d’Etat militaire.
269 Tutut (Siti Hardijanti Rukmana pour l’état civil) est alors, entre autres, à la tête du groupe Citra Lamtoro Gung. Bambang Trihatmodjo a fondé le groupe Bimantara (dont les avoirs avoisinent le milliard et demi de dollars en 1993) et Tommy (Hutomo Mandala Putra) a créé, en 1984 (il n’est alors âgé que de 22 ans), le groupe Humpuss, de loin le plus agressif sur le plan des affaires.
270 La différenciation entre l’islam moderniste et l’islam traditionaliste n’est pas l’objet de notre débat ici. Qu’il nous suffisent de retenir que les tenants du premier, d’une manière générale plus urbains et « éduqués » sont partisans d’un retour à la lettre de l’islam (on peut ainsi également les qualifier de « fondamentaliste ») ; les adeptes du second, mieux représentés dans le milieux rural indonésien, sont plus syncrétiques et pratiquent un islam plus « local » et moins rigoriste.
271 On estime que 50 % des officiers au-dessus du rang de colonel étaient en contact direct avec Benny Murdani.
272 L’expression popularisée à l’époque traduit bien l’atmosphère de cocktail et de « table ouverte » qui régnait au sommet de l’Etat où chacun venait se servir sans retenue. L’administration Chatichai, en pleine euphorie économique, est considérée comme la plus corrompue et la plus haute en couleur de l’histoire récente de la Thaïlande.
273 Pour une description colorée de la scène politique thaïlandaise et en particulier de l’atmosphère qui prévalait à la fin des années 80, voir Guido Franco « La guerre est finie », dans Guido Franco (dir.), « Thaïlande : les larmes du Bouddha », Autrement, Paris, février 1990, p. 56 et suiv.
274 Chai-anan Samudavanija, 1997, p. 52 ; Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 348 et suiv. ; Duncan Mc Cargo, 1995, p. 8 et suiv.
275 Cités in Pasuk Phongpaichit et Chris Baker, 1995, p. 358.
276 Chai-anan Samudavanija, 1997, p. 52.
277 William Callahan, Imagining Democracy: Reading the Events of May in Thailand, ISEAS, Singapour, 1998, p. 5; Sur la période 1973-76: David Wyatt, 1984, p. 290 et suiv.; Duncan Mc Cargo, 1997, p. 10.
278 Duncan Mc Cargo, 1997, p. 11.
279 Le seul politologue thaïlandais marxiste déclaré, Jil Ungpakorn, estime que la bourgeoisie et la classe moyenne de Bangkok ne furent en rien les moteurs des événements de mai 1992, initiés plutôt par un mouvement hétéroclite de paysans et d’ouvriers. Voir en particulier: Jil Ungpakorn, The struggle for democracy and justice in Thailand, Arom Pongpangan Foundation, Bangkok, 1997.
280 Takashi Shiraishi, « The Indonesian military in politics », in The politics of post Suharto Indonesia, Adam Schwarz et Johnatan Paris (dir.), SNP editions, Singapour, 1999, p. 73 et suiv.
281 Un dollar pour 17 000 rupiah le 22 janvier 1998 contre un dollar pour 2 400 rupiah six mois auparavant.
282 Adam Schwarz, 1999, p. 355.
283 On se reportera notamment à Cayrac-Blanchard, 1991, p. 92-95 et p. 164-166.
284 Douglas Kammen et Siddharth Chandra, « Generating reforms and reforming generations: military politics in Indonesia’s transition to democracy », document présenté lors du séminaire The politics of Indonesian military, université Thammasat de Bangkok, 19 juillet 2001.
285 Voir en particulier les déclarations de l’amiral A. S. Widodo, chef des forces armées (Associated Press, 21 avril 2000).
286 Entretien du 16 août 2000.
287 « Armée indonésienne, amie ou ennemie ? », Van Zorge Report, 5 octobre 2000.
288 C’est également le point de vu défendu par l’ex-ministre de la Défense Juwono Sudarsono (Associated Press, 11 avril 2000). Voir aussi M. Fajrul Falaakh, 1999, p. 60-69.
289 Rajiv Chandrasekaran, « Jakarta’s crisis nears a showdown », International Herald Tribune, 23 juillet 2001.
290 Entretien avec Agus Widjojo, 5 octobre 1999 ; entretien avec Fachrul Razi, 12 octobre 1999.
291 Tempo, 6 février 2001.
292 « Armée indonésienne, amie ou ennemie ? », Van Zorge Report, 5 octobre 2000.
293 « Armée indonésienne, amie ou ennemie ? », Van Zorge Report, 5 octobre 2000.
294 Kammen et Chandra, juillet 2001.
295 Certains d’entre eux deviendront d’ailleurs ses ministres comme Supachai Panitchpakdi ou Tarrin Nimmanhaeminda.
296 Entretien, novembre 2000.
297 A chaque fois qu’il a été interrogé sur cette question, le général Surayud a confirmé le processus de « dépolitisation » de l’armée. Voir en particulier The Nation, 5 novembre 1998 et Bangkok Post, 19 octobre 1998.
298 Entretien avec un officier supérieur, 15 janvier 2001.
299 Entretien avec un officier supérieur, 1er février 2001.
300 Entretien avec un officier supérieur, 1er février 2001.
301 Entretiens, janvier et février 2001.
Table des illustrations
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Titre | Thaïlande : Structure de commandement des forces armées |
Légende | * Internal Security Operqational Command* En cas de mobilisation, c’est le Commandant en Chef de l’Armée de Terre qui est chargé de la conduite des opérations et non le Commandant Suprême |
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Titre | Indonésie : Structures d’encadrement militaire et « civil » |
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