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Dans l’ombre de la réforme sociale, Paul Strauss (1852-1942)

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Catherine Rollet
, 
Virginie De Luca Barrusse

Avant-propos

L’histoire d’un livre

Virginie De Luca Barrusse

Texte intégral

1En décembre 2008, Catherine Rollet notait dans son carnet de recherche : « Je me lance dans l’écriture d’une biographie de Paul Strauss (1852-1942)… Je m’attelle à cette tâche pour reconstituer peu ou prou cet itinéraire exceptionnel à peu près, sauf exception, oublié de l’historiographie ». Catherine est décédée en décembre 2016 sans avoir achevé ce travail de longue haleine. Ses notes recueillies, assemblées en un manuscrit, constituent un document d’un million huit cent mille signes, répartis en dix chapitres. En décembre 2018, Christian Rollet et les responsables du comité des collections de l’Ined, Alain Blum et Éva Lelièvre, m’ont contactée pour permettre à ce projet de voir le jour. Leur confiance m’a profondément émue. Je n’ai pas hésité. Aujourd’hui, sur le point d’introduire ce livre, me penchant sur mes motivations d’alors, je saisis à quel point elles furent portées par mon affection pour ma collègue et amie mais aussi par mon intérêt pour celui dont il s’agissait de finir de mettre en forme la biographie.

2Catherine Rollet a été ma directrice de thèse. Et je dois dire que son accompagnement a été essentiel. Pas seulement pour mon doctorat mais aussi pour trouver ma voie parmi les historiens démographes dont elle était une figure majeure. Mon travail sur les inspecteurs de l’Assistance publique a été suivi avec bienveillance et confiance. Aujourd’hui encore, j’espère n’avoir rien oublié de cet apprentissage lorsqu’à mon tour j’endosse ce rôle de directrice de thèse. Devenue maîtresse de conférences, j’ai continué à travailler avec elle sur maints dossiers qui relevaient de l’histoire de l’enfance, de l’hygiène et de la santé. Puis vint le temps de l’HDR que Catherine a supervisée. Là encore, cette fois sur le thème des politiques de population, nous avons échangé nos idées, eu maintes et maintes discussions. Il n’est pas un de mes sujets de recherche que je n’aie partagé avec elle. Son enthousiasme, sa curiosité mais aussi sa prudence sur l’état des archives, sur les méthodes à explorer furent des moteurs puissants, mais aussi l’assurance que mon intérêt scientifique était justifié et partagé. Je n’ai donc pas hésité.

3C’est au cours de ma thèse soutenue en 1999 que je rencontrai Paul Strauss. Le personnage ne laisse pas indifférent. Ses discours, sa verve ont puissamment suscité l’engouement de modestes fonctionnaires de l’Assistance publique qui se crurent investis de la plus haute mission et qui ont tenté d’y faire face avec zèle. Avant même qu’il ne soit leur ministre (1922-1924), Paul Strauss assurait la visibilité des inspecteurs et sous-inspecteurs de l’Assistance publique dans sa revue créée en 1897, La Revue philanthropique. Il a fait place à leurs articles mais il a aussi rédigé lui-même des notes à leur attention, il a publié les arrêtés de nomination et de promotion de ces hommes, et bientôt de ces femmes, quand il leur a ouvert la porte des concours. Au-delà même de ce cercle, Paul Strauss est omniprésent aux yeux de celles et ceux qui se penchent sur la réforme sociale mais aussi – je le découvrais à la lecture du manuscrit de Catherine –, dans le domaine politique au sens le plus large. Conseiller municipal, sénateur, ministre enfin, Paul Strauss a été à la fois un observateur hors pair des failles de la Troisième République et un acteur de son enracinement. Pour cette raison aussi, je n’ai pas hésité.

4Une fois le manuscrit en main toutefois, je m’interrogeai. Si Catherine Rollet et moi avions maintes fois évoqué son projet, une question était restée en suspens. Et seule, je m’interrogeais : comment peut-on être démographe, se pencher sur les ensembles, être attentive aux grands nombres et se focaliser sur une biographie ? Comment passer du pluriel au singulier ? Comment au fond, rendre compte d’un destin unique qui croise celui, collectif, d’une population, dans un contexte marqué par une modification majeure de ses tendances ? Surtout, comment faire tenir ces questionnements avec une contrainte majeure : celle de la réduction drastique d’un texte fondé sur des archives que je n’avais pas moi-même rassemblées.

  • 1 Alliance d’hygiène sociale, Congrès de Strasbourg, septembre 1923, p. 31-36.
  • 2 Le Radical, 9 février 1911.

5Il a fallu faire des choix. Ce ne fut pas chose aisée tant il m’est apparu difficile, presque inconvenant je dirais, de détricoter ce qui avait commencé à l’être. Pour y arriver, je décidai de choisir une ligne directrice qui présentait le mérite d’éclairer un pan de l’histoire démographique. Ce choix permettait de nouer trajectoire individuelle et destin collectif, celle de Paul Strauss et celui de la population française dans le contexte de la transition démographique. C’est donc le parcours et l’action d’un homme devenu un expert et même un porte-drapeau de la réforme sociale que vous avez entre les mains. Ce choix répondait au demeurant au projet de Catherine Rollet. Lisez son introduction et il vous apparaîtra que c’est cet homme de la réforme sociale, celui des grands projets de santé et d’hygiène publique qui a été le moteur de sa recherche. En outre, ce choix répond aussi à mon propre questionnement sur le paradoxe du démographe biographe. Car Paul Strauss a porté son action en faveur de l’hygiène sociale. En septembre 1923, lors du Congrès de l’Alliance d’hygiène sociale qui se tient dans la capitale alsacienne, il précise son objet : « L’hygiène sociale est à proprement parler un art de gouvernement. Il doit être placé au premier plan des préoccupations gouvernementales ; la preuve en est que partout, dans quelque champ d’investigation que se produisent ces recherches en vue de contribuer à la vitalité nationale, c’est vers ces mesures, ces moyens, ces réalisations, ces résultats d’hygiène sociale qu’on se tourne1 ». L’hygiène sociale recouvre des champs pluriels, lesquels impriment leurs effets sur la santé, le bien-être et la mortalité. Les mesures prises sur lesquelles Paul Strauss – mais aussi les autres réformateurs sociaux –, pose son empreinte, participent de la transition démographique. « Il n’y a pas de petites réformes2 », affirmait Paul Strauss. S’il plaidait pour de grandes refontes en matière de santé publique, de logement, d’assistance, de retraite, il a été aussi le défenseur des « petites réformes pratiques » utiles, voire « vitales et essentielles ». Certaines mesures d’envergure ont été retenues par l’historiographie, d’autres moins visibles n’en ont pas moins contribué à l’amélioration des conditions de vie et de santé des populations. Un échantillon représentatif de ces réformes, oserait-on dire, a été conservé : des grandes mesures aux propositions annexes, de belles réussites ou en demi-teintes, mais aussi des échecs cuisants ; la variété des domaines d’intervention a été respectée. Ce n’est pas Paul Strauss et la « nébuleuse » des réformateurs qui ont guidé l’ouvrage, c’est plutôt la contribution d’un homme à la « nébuleuse » des mesures réformatrices et les préoccupations qui l’ont guidé (Topalov, 1999). Celles qu’il a partagées avec d’autres conduisent à un ensemble hétérogène de mesures dans maints domaines touchant au bien-être des populations. À cet égard, on peut affirmer que la réforme sociale a contribué à la modification du régime démographique. Mais l’inverse est tout aussi vrai. En France à tout le moins. Le contexte de la transition démographique, si singulière dans l’Hexagone, et l’attention portée aux indicateurs démographiques, ont amplifié les préoccupations des réformateurs sociaux et confirmé l’urgence des mesures à prendre. L’argument démographique fut un puissant moteur d’action en matière de réforme (Rosental, 2007). Le sénateur devenu ministre n’est pas resté à l’écart des discours angoissés sur la prétendue dépopulation, mais ses propositions pour combattre les tendances démographiques mettaient la focale sur la lutte contre la mortalité – à contre-courant du discours nataliste, donnant ainsi la part belle à la réforme sociale. La biographie de Paul Strauss lève le voile sur un moment singulier de la transition démographique et sur les efforts faits pour l’accompagner. C’est cet aspect qui a été retenu.

6Restait un défi à relever : celui de la convergence des points de vue. J’avais pris le parti, avant même de lire le manuscrit, de relever nos avis divergents. Des notes de bas de page seraient venues proposer une autre vision des propos exprimés : les miens. Ce ne fut pas nécessaire. Il est vrai que la masse impressionnante des documents consultés, pour pallier l’absence des archives privées de Paul Strauss, a permis de lever le doute sur bien des questions même si quelques hypothèses ont dû être formulées pour combler de rares lacunes.

7Il aura fallu presque un an pour revoir ce manuscrit. J’ai pensé que le temps aidant, mon habitus de chercheuse prendrait le pas sur l’émotion. Il n’en a rien été. La singularité du livre est restée. Intacte.

8Pour introduire ce livre, j’ai décidé de laisser la parole à Catherine Rollet. Je ne saurais mieux dire les motivations de cette biographie. Qui mieux qu’elle pouvait faire le récit de cette recherche dans bien des centres d’archives et celui de ses rencontres ? Celles et ceux qui ont contribué à ce livre en la guidant sur telles ou telles pistes sont évoqués dans les notes du texte. Je me suis associée aux remerciements que Catherine a formulés, sans les connaître moi-même bien souvent car, eux aussi, ont contribué à cet ouvrage.

9Cette introduction n’était peut-être pas celle que Catherine Rollet destinait à la publication. Mais elle rend compte du contexte de l’élaboration de cette biographie et, à ce titre ne saurait être tenue à l’écart ni même modifiée ou raccourcie. Je vous la livre telle qu’elle est. En la lisant, je voudrais que vous puissiez entendre comme moi la voix chaleureuse de son auteure justifier ses questionnements, s’enthousiasmer de ses découvertes mais regretter l’absence d’archives privées. Sans nul doute celles et ceux qui l’ont connue la reconnaîtront dans ces lignes. J’ose aussi espérer qu’ils retrouveront dans le livre qui suit son style fluide et alerte et que les interventions que j’ai faites n’ont pas altéré cette dimension essentielle de la lecture. La confiance qui m’a été accordée a assuré mes pas.

Notes

1 Alliance d’hygiène sociale, Congrès de Strasbourg, septembre 1923, p. 31-36.

2 Le Radical, 9 février 1911.

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