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États flous et trajectoires complexes

 | 
Philippe Antoine
, 
Éva Lelièvre

Partie I. Les thématiques

Chapitre 3. Regards croisés à partir de la France et de la Côte d’Ivoire

Transitions autour de la grossesse

Annabel Desgrées du Loû, Michèle Ferrand, Hermann Brou, Annick Tijou-Traore et Nathalie Bajos

Texte intégral

1La grossesse, lorsqu’elle se conclut par une naissance, est un moment de transition. Il est particulièrement important dans le cas de la première grossesse qui, en faisant accéder à la parentalité, peut être un marqueur majeur du passage à l’âge adulte. Mais le fait de devenir mère (ou d’avoir un enfant de plus) n’est pas la seule transition que va connaître la femme enceinte. La fin de grossesse s’accompagne également de plusieurs processus « d’arrêt-reprise », moins décrits, moins étudiés. Pourtant, ils peuvent avoir des conséquences importantes, en particulier en ce qui concernent la sexualité et la fécondité : la femme qui vient d’accoucher est non fertile, n’a pas immédiatement de rapports sexuels avec son partenaire. Elle va connaître un certain nombre de transitions successives qui signeront le retour de sa fertilité et le retour à une activité sexuelle. Enfin, l’activité professionnelle de la femme suit ce même schéma : pause en fin de grossesse, puis reprise après la grossesse, selon des modalités variables.

2Ce sont ces transitions multiples autour de la grossesse qui vont être examinées dans ce chapitre.

3La grossesse, si elle concerne en premier lieu une femme, implique le plus souvent un couple (quel qu’il soit : couple stable/non stable, légitime/non légitime…). À ce titre, l’analyse des éléments qui entourent cet événement se situe à un niveau de complexité supérieur à celui qui vise l’étude des transitions que peut connaître un seul individu. Il est donc nécessaire pour cet objet d’étude de prendre en compte les états complexes de deux individus qui, de surcroît, interagissent étroitement. Les intérêts des deux partenaires en la matière peuvent en effet être convergents, comme dans le cas d’un couple stable où les deux conjoints désirent un enfant, ou bien lors d’une liaison temporaire, si les deux partenaires s’accordent sur le caractère occasionnel de leur relation. Ils sont divergents dans beaucoup d’autres cas.

4Travailler sur ces transitions autour de la grossesse implique de tenir compte des systèmes de normes en vigueur en matière de sexualité et de reproduction, systèmes qui varient fortement d’une société à l’autre. En effet, si pour les sociétés industrialisées, la séparation entre sexualité et reproduction apparaît comme l’une des transformations majeures de ces dernières décennies, pour d’autres sociétés, à l’inverse, l’activité sexuelle reste le plus souvent étroitement liée à sa dimension procréative. Deux systèmes de normes divergents coexistent donc aujourd’hui. Dans les sociétés du Sud, la maternité « jeune » est valorisée, elle est la marque du passage au statut de femme adulte. Dans les sociétés du Nord, la grossesse, l’accès à la maternité, n’est une marque du passage vers le statut d’adulte que parmi d’autres étapes : celle de l’indépendance économique, souvent de la résidence séparée de celle de la famille d’origine et de la formation d’un couple – pas forcément marié mais stable (voir le chapitre 5 sur le passage à l’âge adulte). Les modalités de transition adoptées par les individus découlent de la manière dont s’articulent ces différentes étapes au sein de chaque société où prévaut un système de normes particulier, d’où un large éventail des possibles.

5Pour souligner la diversité des situations et des normes en la matière, et leurs implications sur les modalités de ces passages engendrés par la grossesse, ce chapitre bénéficie d’un double regard au Nord et au Sud. En effet, il est le fruit de la collaboration d’une équipe travaillant sur la France (encadré 2 – annexe) et d’une autre présentant des travaux menés en Côte d’Ivoire, à Abidjan, où la fécondité, malgré une baisse depuis 15 ans, est encore forte (indice synthétique de fécondité (ISF) : 3,5 enfants par femme en 1998, enquête Démographique de santé (EDS) de 1998) et les idéaux de fécondité élevés (le nombre idéal d’enfants déclaré en 1998 était de 4 en moyenne, EDS 1998) (encadré 3 – annexe).

1. La grossesse, un événement subi ou choisi ? perceptions complexes du « bon moment » pour être enceinte

6Définir ce qu’est une grossesse désirée, anticipée, attendue et a contrario une grossesse non désirée ou non prévue, est un exercice difficile. La définition même de la façon dont est perçue une grossesse s’inscrit dans les normes en vigueur en matière de maternité, et varie donc selon les sociétés. Dans certains contextes socioculturels, la grossesse est toujours présente en arrière-fond de tout acte sexuel. Elle est perçue comme susceptible de survenir dès qu’il y a des rapports sexuels. En revanche, les sociétés occidentales réaffirment constamment la séparation entre sexualité et procréation, cette dernière relevant de la volonté explicite des partenaires sexuels. L’enquête GINE, qui s’intéresse aux grossesses « non prévues » (Bajos, Ferrand et équipe GINE, 2002) a démontré combien ce qualificatif lui-même est polysémique. Les entretiens rendent compte de récits de certaines femmes dont les grossesses n’étaient pas absolument imprévues, mais déclarées comme telles pour des raisons tactiques : faire accepter aux parents une relation qu’ils refusaient, accéder au statut de mère tout en sachant que cette maternité serait mal admise socialement et ne pouvait donc être présentée comme volontaire, voire programmée, ou encore tester la fiabilité d’un partenaire ou d’une relation en arrêtant de se protéger. C’est dans la trajectoire particulière de chaque femme interrogée qu’il faut alors chercher l’explication de ces réponses atypiques. Cette polysémie est d’ailleurs présente dans l’enquête quantitative Cocon, où il apparaît que le profil sociodémographique, relationnel et contraceptif des femmes déclarant une grossesse « pas du tout prévue » diffère de celui des femmes qui auraient souhaité être enceintes « mais plus tard ». Les premières se trouvent principalement dans une situation où la grossesse ne correspond pas au cadre normé des bonnes conditions pour la naissance d’un enfant. Ce sont en particulier les femmes dont le partenaire n’est qu’occasionnel ou avec lequel la relation n’est que débutante, alors qu’aujourd’hui en France, la majorité des femmes s’accordent sur la nécessité de la stabilité du couple avant de prévoir une grossesse. Cette catégorie de femmes regroupe également celles qui déclarent n’avoir « pas du tout prévu » leur grossesse, celles qui se considèrent comme soit trop jeunes soit trop âgées pour avoir un enfant, ou encore les femmes qui se sentent vulnérables sur d’autres plans (professionnel, financier, etc.). En revanche, une femme en couple stable, qui n’a pas encore terminé la constitution de sa famille et qui se trouve en situation favorable pour l’arrivée d’un premier enfant ou d’un enfant supplémentaire, aura plutôt tendance à qualifier sa grossesse de prévue, voire d’un peu précipitée si elle utilise régulièrement une contraception. Le regroupement de ces différentes catégories de femmes sous une même rubrique « grossesse non prévue » est loin d’aller de soi, mais évite de limiter les grossesses non prévues aux seules femmes qui ne souhaitaient absolument pas être enceintes. La force de cette norme de la naissance dans les meilleures conditions pour l’enfant a pu récemment être mise en évidence (Bajos et al., 2004a). D’ailleurs, la permanence du nombre d’IVG en France s’explique par un double mouvement : la baisse des grossesses non prévues grâce à une meilleure diffusion-utilisation de la contraception, doublée d’une hausse du recours à l’IVG en cas de grossesse non prévue (Bajos et al., 2004b).

7Si l’étude française a permis de mettre à jour l’hétérogénéité de situations que recouvre le terme « grossesse non prévue », l’enquête en Côte d’Ivoire révèle, quant à elle, une autre ambiguïté autour de ce même terme. Dans l’étude menée à Abidjan, une proportion importante des femmes dont une grossesse s’est déclarée pendant le suivi de cohorte ont affirmé qu’elles ne désiraient pas cette grossesse. Pourtant, elles n’avaient pas utilisé les moyens de contraception mis à leur disposition gratuitement par l’équipe de suivi. Par contre, elles ont interrompu cette grossesse « non désirée » (Desgrées du Loû et al., 2002). Cela pose un autre type de question : dans un pays où la fécondité est fortement valorisée, le fait d’être enceinte n’est-il pas, dans certains cas, un moyen d’être rassurée sur sa fertilité, quitte à interrompre la grossesse si on ne veut pas garder l’enfant ? En d’autres termes, le désir de grossesse égale-t-il le désir d’enfant ?

2. De l’individuel au conjugal

8Le point précédent mentionne que la perception qu’une femme a de sa grossesse dépend étroitement, non seulement de sa situation individuelle, mais aussi de sa situation conjugale. Ainsi, l’analyse des transitions qui accompagnent la grossesse, en particulier en matière de sexualité et de fécondité, implique de prendre en compte les trajectoires individuelles, mais aussi de considérer un niveau supérieur de complexité : le couple.

2.1. « Le bon moment pour avoir un enfant ». Considérer l’entourage

9Le choix d’avoir un enfant oblige à prendre en compte ce que la femme, son entourage (partenaire et famille) et la société dans laquelle ils vivent, considèrent comme moment adéquat à l’arrivée d’un enfant. Dans les sociétés du Sud, et en particulier en Afrique, la norme est la maternité précoce. Le fait de devenir mère reste en effet l’étape qui confère aux femmes un statut social, qui les valorise dans leur société. La première naissance se produit le plus souvent très rapidement après le mariage, voire le précède lorsque les difficultés économiques retardent le moment où les jeunes peuvent contracter une union formelle (Delaunay, 1994). Dans les sociétés du Nord, et notamment en France, le développement de la norme contraceptive (Bajos, Ferrand, 2004) exige des femmes qu’elles réfléchissent au moment opportun pour être mère. Si la contraception et l’avortement leur permettent de « décider », le bon âge pour être parent ne se décline pas de la même façon au masculin et au féminin, les contraintes biologiques et sociales différant pour les femmes et les hommes.

10Quel que soit le contexte face à la grossesse et à la maternité, la femme doit confronter trois niveaux de réflexion :

  • sa situation personnelle. En France, pour la femme, se pose la question du bon âge « social » pour devenir mère : ni trop tôt, ni trop tard. Ensuite, jouent les arbitrages entre activités professionnelles et charges familiales. La grossesse pendant les études est généralement considérée comme mettant en danger leur poursuite et leur achèvement, mais le risque d’interruption de la vie professionnelle ou de chômage suite à l’arrivée d’un enfant n’a pas le même caractère restrictif que pour le futur père.
    Cette même incompatibilité de la grossesse et des études se retrouve en Côte d’Ivoire, où les étudiantes sont les premières utilisatrices de l’avortement pour éviter d’interrompre leurs études à cause d’une grossesse (Guillaume et Desgrées du Loû, 2001). À l’inverse, en France comme en Côte d’Ivoire, la maternité précoce peut apparaître à certaines jeunes femmes, qui investissent peu dans les études ou une activité professionnelle, comme le moyen d’acquérir un statut et une identité sociale ;

  • la situation du partenaire. D’une façon générale, dans toutes les sociétés, l’accès à la parentalité exige d’un homme qu’il ait les moyens de nourrir son enfant, c’est-à-dire qu’il ait réussi son insertion professionnelle : en France, cela signifie ni étudiant, ni chômeur et de préférence en emploi stable (CDI). À Abidjan, de même que la maternité, la paternité est socialement très valorisée et le désir d’enfant exprimé par l’homme est souvent évoqué comme à l’origine de la grossesse : il est fréquent qu’une femme qui a déjà plusieurs enfants d’un premier conjoint, et qui n’en souhaite pas d’autres, soit de nouveau enceinte parce que son nouveau conjoint n’a pas d’enfant ou considère qu’il n’en a pas « assez » ;

  • la situation du couple. Les conditions matérielles et affectives d’installation, et surtout l’existence sociale de ce couple sont prises en compte (ni les relations occasionnelles, ni les relations trop « jeunes » ne sont favorables à l’arrivée d’un enfant). La norme contraceptive qui fonctionne en France souligne à quel point les femmes ne font pas des enfants pour elles toutes seules. C’est moins la stigmatisation de la maternité célibataire qui les arrête que la conviction (partagée par l’ensemble de la société) qu’un enfant a besoin de ses deux parents. En Afrique de l’Ouest, le type de relation conjugale est aussi déterminant dans le choix d’avoir ou non un enfant supplémentaire : si la sexualité est une question rarement abordée par les conjoints, le nombre d’enfants désirés est par contre un sujet dont les conjoints discutent (Andro, 2001). Avoir des enfants, et en avoir suffisamment, est un facteur de cohésion du couple. Dans les ménages polygames, il y a ainsi une « compétition à la maternité » des coépouses entre elles, pour s’attirer les faveurs et préférences du mari (Antoine, 2002).

2.2. « La conjugalité floue » : le couple, une réalité qui évolue

11Si la prise en compte du couple en tant qu’entité sociale est une démarche pertinente pour la compréhension de la gestion que la femme fait de son éventuel désir de grossesse, la conjugalité reste un état flou, dont les limites sont mal définies (voir le chapitre 2 sur unions et désunions). Le couple est en effet une réalité qui évolue et sa constitution peut être soumise à des changements – y compris durant une même enquête – sans que ceux-ci ne soient pour autant explicités. Par exemple, dans l’enquête à Abidjan sur les comportements face au risque de VIH/sida, on demande aux femmes de parler de leur partenaire sexuel régulier et, le cas échéant, de leur(s) partenaire(s) occasionnel(s). L’enquête quantitative s’attache à recueillir, pour le partenaire régulier, des informations sur ses caractéristiques sociodémographiques (âge, niveau d’étude, la cohabitation avec la femme), la communication établie dans le couple sur la sexualité (discussion sur le sida et les MST, la protection des rapports sexuels), son propre comportement sexuel (relations éventuelles avec d’autres femmes). Si la femme déclare avoir un partenaire « occasionnel », on cherche seulement à savoir si les rapports sexuels avec ce partenaire occasionnel ont été protégés ou non. Pourtant, l’enquête qualitative menée parallèlement révèle qu’un partenaire présenté au début de l’enquête comme occasionnel peut devenir régulier, sans que le questionnaire quantitatif n’ait permis de repérer ce changement de statut d’un même partenaire.

12Ainsi, il importe lorsque l’on interroge un individu (ici, en l’occurrence, la femme) de manière répétée, de vérifier si, quand il (elle) parle de son partenaire, il s’agit bien du même qu’au passage précédent et que le statut de la relation n’a pas changé. Cette vérification à chaque étape du recueil des données – que celui-ci soit d’ordre quantitatif ou d’ordre qualitatif – sur la nature des liens que l’individu entretient avec chacun des partenaires évoqué(e)s doit être systématique afin de dissiper toutes confusions par rapport à leur identité. De qui parle-t-on et quel est précisément son statut par rapport à la personne qui parle ? Par ailleurs, il est tout aussi indispensable d’identifier le ou les événements qui sont à l’origine de ces transitions vers un nouvel « état de couple » pour, non seulement s’assurer de la bonne compréhension du changement d’état, mais pour aussi dégager le sens de cette restructuration du couple. Pour cette recherche du sens des mutations conjugales, l’approche qualitative donne une plus grande place à la parole des enquêtés et à leur syntaxe personnelle, et apparaît donc particulièrement adaptée.

2.3. Comprendre les décisions de procréation des femmes séropositives. Réflexions à partir du cas d’Abidjan

13Dans le cas particulier où un des deux partenaires du couple est infecté par le virus du sida, et le sait, la complexité du contexte dans lequel les décisions autour de la grossesse prennent place augmente encore. Le VIH est un virus qui se transmet par voie sexuelle, ainsi que de la mère à l’enfant (au cours de la grossesse, de l’accouchement et par le lait maternel). Aussi, le fait de se découvrir infecté par ce virus conduit a priori à une remise en question des choix de sexualité et/ou de fécondité des individus. Comme l’individu infecté l’est à vie, la remise en question ne se fait pas sur le court terme, mais va porter sur l’ensemble de sa trajectoire biographique, et par-là même être susceptible d’avoir de fortes conséquences sur le devenir même du couple. De ce fait, les femmes qui apprennent qu’elles sont infectées par le VIH sont partagées entre plusieurs « désirs » : celui de protéger leurs rapports sexuels et d’éviter une nouvelle grossesse pour éviter de transmettre leur infection au bébé et/ou au partenaire, ou, à l’inverse, celui de taire leur infection à l’entourage, et en particulier au partenaire, et de démarrer le plus vite possible une nouvelle grossesse pour « prouver » leur bonne santé et consolider leur couple.

14À Abidjan, où la prévalence du VIH est élevée (11 % environ chez les adultes, Msellati et al., 2005), sans pour autant que l’accès au dépistage soit généralisé (Desgrées du Loû et de Béchon, 2001), les individus dépistés sont essentiellement des femmes enceintes à qui le test VIH est proposé dans le cadre d’un programme de réduction de la transmission mère-enfant du VIH. C’est ainsi, dans la majorité des cas, « par la femme » que l’infection par ce virus est apprise dans le couple. Les femmes dépistées dans un tel cadre et qui sont séropositives apprennent donc qu’elles sont infectées par le VIH à la fin d’une grossesse, et la question d’un nouvel enfant, une fois qu’elles connaissent leur infection, se pose quelques mois plus tard. Au cours du programme mené entre 1995 et 1999, on a observé chez ces femmes séropositives abidjanaises une forte incidence des grossesses. Les équipes médicales qui suivent des femmes séropositives leur conseillent d’éviter une nouvelle grossesse à cause du risque de transmission du VIH à l’enfant. Cependant, ce conseil est très peu suivi. Ainsi, à Abidjan, entre 1995 et 1999, on a relevé une forte incidence des nouvelles grossesses dans les deux ans qui ont suivi le dépistage (positif) du VIH et le conseil associé. Ces femmes avaient pourtant déjà au moins un enfant en bas âge et avaient accès gratuitement à des contraceptifs et préservatifs. Les mêmes résultats avaient été observés au Rwanda (Allen et al., 1994) et en France dans un groupe de femmes d’origine africaine (De Vincenzi et al., 1997). Les analyses qualitatives ont permis de comprendre ce résultat paradoxal : loin de tuer le désir de grossesse, le fait de se savoir séropositive renforce chez les femmes le désir d’enfant, en tout cas chez celles qui pensent ne pas avoir encore « suffisamment d’enfants » (le nombre d’enfants considérés comme « suffisant » étant autour de 4 à Abidjan (EDS, 1998)). Un nouvel enfant est synonyme de vie, d’avenir, face à la « menace de mort » que représente le VIH (Aka Dago et al., 1999). Par ailleurs, même si elles se savent infectées par le VIH, les femmes sont tenues de prendre en compte le désir d’enfant de leur partenaire, mais aussi celui de la belle-mère, voire de leur propre mère. En Afrique, encore plus qu’ailleurs, la décision d’avoir un enfant est rarement une décision qu’une femme peut prendre seule…

15Ainsi, hormis le nombre d’enfants déjà présents dans le ménage, deux éléments vont être déterminants dans la décision d’avoir ou non un nouvel enfant pour une femme infectée par le VIH. Tout d’abord, le fait d’avoir parlé ou non de son infection à son partenaire. À Abidjan, moins de la moitié des femmes séropositives osent le dire à leur conjoint, par peur de leur réaction négative (Desgrées du Loû, 2005). Quand elles en parlent, il semble que cela facilite la négociation autour du projet de procréation initial, les hommes apparaissant dans certains cas davantage prêts que les femmes à le remettre en cause (Tijou-Traore, 2006). Le deuxième point déterminant est l’état de santé des enfants présents dans le couple : lorsqu’un des enfants est infecté par le VIH et malade, la mère est à la fois très investie dans la lutte contre la maladie de son enfant et très culpabilisée quand l’enfant a été infecté via la transmission mère-enfant. Le désir d’un nouvel enfant est alors bien moins fréquent que lorsque tous les enfants sont bien portants (quel que soit leur statut sérologique) (Aka Dago et Cacou, 2003).

16Dans l’objectif de mieux tenir compte de la complexité des contextes et, dans ce cas précis d’observations menées auprès de femmes qui apprennent leur séropositivité au cours d’une consultation prénatale et qui sont ensuite accompagnées pendant plusieurs mois dans le cadre d’un suivi de cohorte, il faut prendre en considération ce qu’on peut nommer littéralement « une transition psychologique ». Après le choc de l’annonce de l’infection par le VIH, il existe un temps d’acceptation de cette nouvelle donne, qui peut être plus ou moins long selon les femmes. C’est seulement après cette période de transition, qui passe parfois par le déni de l’infection, que ces femmes vont réellement tenir compte de leur séropositivité dans leurs différents choix de vie. Le fait d’informer son partenaire est un élément parallèle qui peut accélérer, faciliter ou au contraire rendre plus difficile cette phase d’acceptation. L’existence de cette transition psychologique, même si elle ne peut être étudiée en tant que telle que par la psychologie, ne doit cependant pas être laissée de côté dans les interprétations que l’on fera des choix effectués et des pratiques adoptées. Cette dimension supplémentaire peut alors amener le chercheur à penser le temps différemment…

2.4. Quelles informations collecter pour appréhender cette complexité du contexte conjugal ?

17Le type de relation qui existe entre les deux partenaires du couple au sein duquel la décision de débuter ou de garder une nouvelle grossesse va se prendre est une clé majeure de compréhension des comportements adoptés en la matière. Pour analyser les processus autour de la grossesse, il sera utile, quel que soit le contexte sociétal de l’enquête, de collecter non seulement des informations sur la femme et l’homme concernés par cette grossesse, mais aussi de recueillir des informations sur le contexte précis de leur vie sociale, familiale et sexuelle.

18Le type de dialogue qui existe entre les deux partenaires semble être un élément majeur pour appréhender la relation conjugale, éclairer les prises de décisions en matière de procréation et comprendre les comportements qui en découlent (Tijou Traoré, 2006). D’une part, ce dialogue est constitutif du lien conjugal et rend possible – à des degrés divers – la négociation entre les deux membres du couple ainsi que la prise en compte de leurs « complexités respectives ». D’autre part, il peut être considéré comme un vecteur des transitions. En effet, le dialogue, selon qu’il est pensable, souhaité, impossible ou impensable, et selon les modalités diverses qu’il peut prendre, participe du passage vers un/des nouveau(x) état(s). On s’attachera à collecter les données nécessaires à l’analyse de l’existence et des formes que peut prendre la discussion-négociation autour de la décision d’une nouvelle grossesse. Ce qui signifie recueillir non seulement des informations révélant les positions respectives de chacun des membres du couple (notamment à travers les capitaux et les ressources qu’ils peuvent mobiliser), mais aussi des informations permettant de saisir les modalités de l’instauration ou non d’un dialogue entre eux.

19Une partie de ces informations est déjà collectée dans les enquêtes sur la santé sexuelle et reproductive. On citera en particulier :

  • l’histoire génésique et matrimoniale de chacun des partenaires ;

  • les aspirations des deux membres du couple en matière de procréation et dialogue autour de ce désir de grossesse ;

  • les opinions et les comportements en matière de sexualité et de fécondité (pratiques contraceptives, sexuelles, etc.) de chacun des partenaires ;

  • les capitaux sociaux et économiques des deux partenaires ;

  • la répartition des rôles dans le couple (tâches domestiques, éducation des enfants, etc.).

20Dans la perspective d’un approfondissement supplémentaire, il serait fructueux d’appréhender également, et de façon plus fine :

  • les relations conjugales (histoire du couple, dialogue en général, négociations possibles dans le couple, degré d’autonomie de la femme vis-à-vis de l’homme, mais aussi degré d’autonomie du couple vis-à-vis de l’entourage) ;

  • les pressions exercées sur le couple (influences de la mère, de la belle-mère… mais également des pairs) ;

  • les éléments particuliers susceptibles de modifier la relation de couple : par exemple dans le cas de personnes infectées par le VIH, dialogue (ou absence de dialogue) avec le partenaire sur le VIH, attitude du partenaire face au VIH, etc.

21L’approche qualitative et l’approche quantitative apparaissent alors comme très complémentaires dans ce cadre. L’approche quantitative permet, notamment, de déterminer l’influence du nombre d’enfants de chacun des partenaires, ou de l’âge de la femme ou de l’homme sur la décision d’une nouvelle grossesse dans le couple. En revanche, la prise en compte du dialogue existant au sein d’un couple, et surtout son impact sur les pratiques réelles, est davantage du ressort de l’approche qualitative.

22Enfin, le couple étant une réalité qui évolue sans cesse, et non un « état stable », une approche optimale des processus conjugaux menant à la décision de grossesse demanderait de récolter les mêmes informations de façon répétée dans le temps (cela est possible dans un suivi de cohorte), pour appréhender les évolutions au sein du couple et leurs répercussions en matière de choix de procréation. On n’oubliera pas dans cette analyse prospective que, socialement, les trajectoires masculines et féminines ne se construisent pas de façon symétrique. Si, pour les femmes, le pouvoir de séduction, de procréation et les probabilités de mariage ont tendance à diminuer avec l’âge, pour les hommes, avancer en âge peut au contraire être facteur d’une meilleure assise sociale propice au mariage, et ne remet pas en cause leur capacité à être père, en particulier dans les sociétés où peuvent exister de forts écarts d’âge entre conjoints.

3. Analyse des processus imbriqués, la recherche d’une origine

23Sexualité, nouvelle grossesse, sevrage sont des processus qui s’inscrivent dans le temps et dont le début est difficile à dater. À partir de trois exemples précis, nous allons dans cette partie montrer à quel point l’origine de ces processus n’est pas évidente à caractériser, que plusieurs choix peuvent être faits et, qu’en définitive, c’est la question de recherche que l’on se pose qui va permettre de déterminer l’événement choisi par le chercheur comme initiateur d’un processus ou d’un changement d’état.

3.1. Dater un début de grossesse

24La grossesse est un processus marqué par un début biologique qui reste ignoré par la femme pendant un certain laps de temps. L’existence de déni de grossesse chez certaines femmes, quelles qu’en soient les raisons, en fait preuve. Dans la recherche sur les grossesses non prévues et sur le recours à l’IVG, la prise de connaissance par la femme de son état est un élément temporel important puisque l’interruption de grossesse n’est possible aujourd’hui en France que jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée.

25Dans une perspective plus large, quelle que soit la société considérée, on peut s’interroger sur la date significative à retenir, qui soit la plus pertinente pour le chercheur en sciences sociales : la date clinique de début de grossesse, selon les possibilités techniques du moment (existence dans les pays du Nord de tests de plus en plus précoces) ; on pourrait éventuellement recueillir la date des dernières règles. Mais cet indicateur n’a pas forcément de sens pour les femmes interrogées, surtout quand elles ont un cycle irrégulier ou qu’elles se pensent protégées (contraception, allaitement). La date à laquelle la femme s’aperçoit qu’elle est enceinte paraît essentielle. Mais il faut également retenir comme significatives l’annonce à son partenaire et la distance temporelle entre cette date et la précédente. Dans la perspective de l’IVG, la date à laquelle elle décide de garder la grossesse peut aussi importer, bien que les résultats de l’enquête qualitative précisent que les femmes prennent très rapidement cette décision. La date à laquelle elle entre en contact avec les services médicaux, associée à celle de l’interruption, peut permettre de juger des difficultés d’accès au système de soins, au Nord, et d’accès aux réseaux souvent clandestins, au Sud. Enfin, chaque société organise les conditions sociales de l’annonce de la grossesse. Elle est très précoce au Nord, et beaucoup plus tardive en Afrique de l’Ouest, où l’annonce ne se fait à l’entourage élargi qu’à partir du moment où la grossesse devient visible.

26Lors d’une enquête quantitative, l’intérêt du recueil de ce type de donnée est la comparabilité temporelle et le sens particulier de chaque date. Globalement, retenir une succession de dates apparaît alors particulièrement pertinent : la date clinique, si elle est connue précisément, est sans doute à retenir spécifiquement, permettant ensuite d’avoir des précisions sur la durée de la gestation avant la naissance ou l’avortement. Toutefois, cette date n’est pas évidente à identifier dans toutes les sociétés, ni celle d’ailleurs des dernières menstruations (pas toujours possible à repérer, comme dans le cas d’une grossesse sous allaitement sans retour de couches datable). En revanche, la date où la grossesse est annoncée à l’entourage, soit à la famille, soit à la société (déclaration de grossesse obligatoire dans certains pays), peut aussi s’avérer porteuse de sens, en permettant des comparaisons intersociétales intéressantes. La grossesse est un processus qui a un déroulement temporel perçu en lui-même par la femme, et la question « à partir de quel moment vous êtes-vous “sentie” enceinte ? » apporte un éclairage sur la nature à la fois individuelle et sociale de ce processus temporel.

3.2. Dater la reprise des relations sexuelles après une naissance

27Plusieurs thèmes de recherche peuvent conduire à chercher à définir avec précision la date à laquelle une femme reprend les rapports sexuels après un accouchement. Si l’on s’intéresse à la fécondité et à la planification familiale, de cette date de reprise des rapports sexuels dépend la date à laquelle la femme qui vient d’avoir un enfant est de nouveau « soumise au risque de grossesse » (risque qui dépend bien sûr aussi de ses pratiques contraceptives et d’allaitement du nourrisson). Dans le cas des femmes participant à un programme de prévention de la transmission mère-enfant du VIH et qui ont appris à la fin d’une grossesse qu’elles étaient infectées par le VIH, la reprise des relations sexuelles va aussi définir le moment de la reprise de rapports potentiellement contaminants s’ils ne sont pas protégés par le préservatif.

28Or, il apparaît que cette datation de la reprise des rapports sexuels durant le post-partum n’est pas évidente. Dans une enquête menée à Abidjan en 1997-1998, de nouvelles grossesses ont été observées chez des femmes qui avaient répondu négativement à la question « Avez-vous repris les rapports sexuels depuis l’accouchement ? » dans un questionnaire quantitatif. Une enquête qualitative a permis d’expliciter ces observations contradictoires (Desgrées du Loû et Brou, 2005). Il apparaît qu’à Abidjan la reprise de la sexualité après un accouchement est régie par plusieurs normes, contradictoires entre elles. Selon la norme islamique, il est nécessaire que le couple ait un rapport sexuel 40 jours après l’accouchement, pour la santé de la femme et de l’enfant. Les normes traditionnelles visant à espacer les naissances dans de nombreuses sociétés d’Afrique de l’Ouest consistent, quant à elles, à éviter les rapports sexuels tant que la mère allaite l’enfant (Van de Walle, 1988) ou tant que l’enfant n’est pas « suffisamment grand ». Cette notion de « suffisamment grand » restant floue, basée sur des indicateurs aussi peu précis que le fait que l’enfant « tienne sa nuque » ou marche (Bledsoe et Hill, 1998). Dans ce contexte africain urbain, les individus composent avec ces multiples normes traditionnelles dans un nouveau contexte marqué par le développement de la contraception et l’avortement (Guillaume et Desgrées du Loû, 2002) et la peur du sida. Ils s’appuient sur certaines de ces normes pour légitimer leurs choix, choix qui peuvent varier fortement d’un couple à l’autre et qui dépendent de nombreuses caractéristiques démographiques (nombre d’enfants du couple, âge des partenaires, corésidence, existence d’une coépouse) et comportementales (utilisation ou non de contraceptifs ou préservatifs) ou culturelles (avis des mères et belles-mères, conseils des pairs, prescriptions religieuses ou traditionnelles, etc.). C’est pourquoi une multitude de cas peut être observé : abstinence sexuelle post-partum stricte pendant 18 mois, avec une reprise de l’activité sexuelle ensuite ; rapport sexuel isolé à 40 jours (selon la tradition islamique), suivi de nouveau d’aucun rapport pendant plusieurs mois, avant de reprendre une activité sexuelle régulière 12 mois après l’accouchement ; quelques rapports isolés, très espacés les uns des autres, puis au bout de quelques mois une reprise de la sexualité de façon plus régulière. Les femmes déclarent fréquemment « ne pas avoir repris » leur activité sexuelle, tant que celle-ci n’est pas redevenue régulière, mais consiste seulement en des rapports isolés.

29Ainsi, l’effort de datation de la reprise des relations sexuelles après une grossesse laisse apparaître une étape transitoire qui commence par le premier rapport sexuel après l’accouchement et prend fin avec la reprise « régulière ». Cette étape transitoire peut enregistrer seulement un ou deux rapports sexuels. Sa durée diffère d’un couple à l’autre, et peut être longue (plusieurs mois) ou très courte (2 à 3 semaines), voire inexistante (lorsque le premier rapport sexuel marque effectivement la reprise « régulière » des rapports sexuels). Elle semble répondre à divers besoins : rassurer le ou la partenaire, contenir ou satisfaire partiellement le ou la partenaire impatient(e) ou répondre à des habitudes culturelles. Elle peut également être un moment de négociation plus large au sein du couple, comme dans le cas de cette femme qui refusait de reprendre les rapports sexuels de façon régulière tant que son partenaire n’avait pas rompu avec une maîtresse qu’il fréquentait (Desgrées du Loû et Brou, 2005).

30Dans les sociétés occidentales, il semble qu’il n’y ait guère de prescriptions autorisant ou interdisant le retour à une vie sexuelle après un accouchement ou après un avortement (Bajos, Ferrand et al., 2002). La norme implicite semble être celle d’un consensus entre les partenaires : c’est-à-dire quand la femme se « sent prête ». Mais l’enquête GINE a révélé que plusieurs femmes se sont retrouvées enceintes sans l’avoir voulu après une naissance, soit parce qu’elles se croyaient protégées par l’allaitement, soit parce que leur médecin ne les avait pas informées de ce risque et des moyens de s’en protéger. Il semble bien, en matière de prescriptions contraceptives médicales immédiatement après une naissance, que les médecins voient dans leur patiente davantage une mère qu’une femme et font « naturellement » passer au second plan les risques courus dans des rapports sexuels, qu’ils jugent eux-mêmes, consciemment ou non, quelque peu prématurés. Ici, comme dans les enquêtes précédemment mentionnées, un seul rapport isolé peut s’avérer fécond, alors que le couple n’a pas l’impression d’avoir repris son rythme de vie sexuelle précédant la naissance.

31Il importe donc de recueillir les données qui identifient cette période transitoire (premier rapport et rapports réguliers) afin de pouvoir ensuite retenir l’indicateur le plus pertinent selon la question de recherche. C’est ainsi que pour définir la reprise des rapports sexuels, dans une enquête par passages répétés auprès de femmes après un accouchement, non pas une, mais deux questions ont été posées :

Q1. Depuis la dernière visite (dans le cadre du programme d’enquête), avez-vous repris les relations sexuelles de façon régulière ? si oui, combien de temps après l’accouchement ?

Q2. Si non, avez-vous eu au moins un rapport sexuel depuis la dernière visite ? si oui, combien de temps entre l’accouchement et ce rapport sexuel ?

32Se pose ensuite la question de quel indicateur utiliser : la date du premier rapport après l’accouchement ou la date de reprise régulière ? Il faut en outre tenir compte du caractère souhaité ou non de ce(s) rapport(s) sexuel(s). Ici encore, la question de recherche va définir le choix de l’indicateur : dans une optique de prévention de la transmission du VIH, la première date (celle du tout premier rapport sexuel) sera pertinente puisque, dans le cadre de la transmission du VIH, chaque rapport peut être à risque. De même, le premier rapport peut être déterminant pour l’estimation du moment de l’infection (la contamination). Dans une optique de choix d’une méthode contraceptive adaptée aux besoins de la femme, les deux indicateurs seront combinés : en effet, la méthode contraceptive à adopter ne sera pas la même selon que la femme a quelques rapports sexuels isolés ou selon qu’elle a repris une activité sexuelle « régulière ».

33Les enquêtes prospectives (ou de suivi de cohortes), bien que coûteuses et difficiles à réaliser, sont cependant idéales pour identifier le(s) rapport(s) isolé(s) et apprécier la « régularité » de la reprise. D’une part, parce qu’elles minimisent les biais de mémoire et, d’autre part, parce que l’étude de la régularité suppose une série d’observations dans le temps.

34Notons là encore, l’importance de l’approche qualitative pour étudier le moment de « transition » que constitue la reprise plus ou moins progressive de l’activité sexuelle après une naissance. En effet, elle permet de mettre au jour les processus de négociation à l’œuvre dans le couple durant ce moment de transition, processus qui renseignent beaucoup sur la nature des rapports conjugaux. L’entretien peut également apporter des informations sur la manière dont la femme interrogée articule sa vie de femme et sa vie de mère, et quelle place elle va accorder à la sexualité maintenant qu’elle est entrée dans la maternité.

3.3. Sevrage de l’enfant allaité au sein

35D’après le dictionnaire de langue française (Le Petit Robert, nouvelle édition 2002), le « sevrage » est l’action de sevrer (un nourrisson), c’est-à-dire l’action de « cesser progressivement d’allaiter (un enfant), pour donner une nourriture plus solide ». Dans le langage courant, le sevrage peut aussi correspondre à la substitution du lait maternel par du lait artificiel, substitution elle aussi progressive. Il apparaît à la lumière de ces définitions que le sevrage est un « processus ». On pourrait le qualifier, pour les besoins de l’enquête, de « transition de l’état d’enfant allaité au nouvel état d’enfant qui n’est plus allaité ». Le processus est délimité dans le temps par un début et une fin. Lorsqu’on s’intéresse à la date à laquelle un enfant est sevré, on se heurte aux critères qui participent à la définition de cette datation : un enfant est-il sevré dès que le processus est engagé ou seulement lorsqu’il est terminé ? À partir de là, on identifie trois temps dans ce processus : le sevrage est commencé, il est en cours et il est terminé. Parler du moment du sevrage sans explicitation supplémentaire renvoie à une réalité floue, puisqu’elle peut correspondre à chacun de ces trois temps.

36Cette situation floue entraîne trois problèmes spécifiques :

  • le premier problème pose la question du sens que les femmes peuvent mettre derrière le mot « sevrage ». Il faut alors s’attacher à prendre en compte la formulation de la question telle qu’elle peut être posée. Une femme peut en effet considérer que l’enfant est sevré à partir du moment où la transition est engagée. Une autre, au contraire, pourrait le considérer comme tel seulement une fois que la transition est terminée. Pallier ce flou nécessite de connaître l’alimentation de l’enfant depuis sa naissance jusqu’au moment de l’enquête, tout en demandant à la femme d’expliquer chacun des changements évoqués ;

  • le second problème concerne le choix de l’étape à retenir par le chercheur pour définir le sevrage. Faut-il retenir le début, l’action en cours ou la fin ? Ne retenir qu’une étape au moment du recueil d’informations réduit l’intérêt que peut présenter l’étude du sevrage en lui-même, comme processus interagissant avec d’autres transitions vécues par la femme nouvellement mère (reprise des relations sexuelles, retour des règles, retour à l’activité professionnelle, possibilité de confier l’enfant). On s’appliquera donc à identifier chacun des moments, ainsi que les indicateurs appropriés pour chacun d’entre eux. Le choix ultérieur d’une (des) étape(s) sera déterminé par la question de recherche.
    Par exemple, dans le cadre d’une étude sur les pratiques contraceptives traditionnelles en Afrique, on optera pour le début du processus, l’intensité de l’allaitement conditionnant la durée de l’infécondabilité de la femme durant le post-partum immédiat. Par contre, si l’on s’intéresse aux déterminants de la reprise des relations sexuelles après l’accouchement, le choix de la fin du processus paraît plus pertinent, étant donné qu’il s’agit du moment où le « tabou de lactation » disparaît (croyance traditionnelle selon laquelle une femme qui allaite ne doit pas avoir de relations sexuelles, car il ne peut y avoir coexistence en son corps du sperme et du lait, le sperme risquant de « gâter le lait » (Van de Walle, 1988)). Pour les pays du Nord, la liaison lactation-reprise de la sexualité semble moins corrélée, surtout avec l’existence de pilules compatibles avec l’allaitement. Le sevrage, partiel ou total, renvoie davantage à la volonté de la mère, de se consacrer à d’autres activités, y compris sexuelles. Dans le cas particulier des mères séropositives qui allaitent, le type de sevrage a des conséquences importantes en termes de risque de transmission du VIH. Les recommandations de l’OMS sont les suivantes : « Lorsque l’alimentation de substitution est une solution acceptable, possible, d’un coût abordable, sûre et durable, il est recommandé à toutes les mères infectées de ne pas allaiter leur enfant au sein. Dans le cas contraire, l’allaitement exclusif au sein est recommandé pendant les premiers mois de vie. Il devra être ensuite interrompu dès que possible » (Who, 2003). Une étude en Afrique du Sud a en effet démontré que les enfants exclusivement allaités au sein seraient moins infectés par le VIH que les enfants recevant un allaitement mixte (lait maternel-lait artificiel) (Coutsoudis et al., 1999). Il est donc préconisé aux femmes séropositives allaitantes de faire un sevrage (très) rapide pour limiter et/ou réduire le risque de transmission du VIH. On ne saurait dans ce cas prendre en compte uniquement la date de fin du sevrage comme indicateur puisqu’il ne renseigne pas sur la durée du processus, pourtant déterminant chez les mères séropositives. La prise en compte de l’ensemble du processus s’impose donc dans ce cas ;

  • enfin, le troisième problème est lié à la difficulté de définir certaines étapes du processus de sevrage. S’il est facile d’identifier la fin du sevrage par l’arrêt complet de l’allaitement, il est cependant parfois plus difficile d’identifier le début du processus. En effet, l’intensité de l’allaitement (fréquence, durée des tétées) peut progressivement diminuer sans que cela ne soit lié à une intention de sevrage. Elle dépend de la capacité d’allaitement de la mère, de l’âge de l’enfant et de l’environnement socioéconomique de la mère ou des parents. Le début de la diversification de l’alimentation de l’enfant peut, en effet, amorcer de manière non délibérée la diminution de la production du lait maternel et donc le début d’un processus de sevrage, qui n’est pourtant pas perçu comme tel par la mère, même s’il sera plus tard voulu et orienté selon cette logique. L’indicateur le plus facile à mesurer est donc la fin du sevrage.

3.4. Prendre en compte l’anticipation d’un processus

37Pour tous les processus donnés en exemple ci-dessus, – la grossesse, la reprise des relations sexuelles après une naissance, le sevrage –, le point de départ et le déroulement (conditions-rapidité) dépendent de l’anticipation qui a pu être faite de ce processus, par la femme ou par le couple. Cette anticipation peut se traduire par une étape préalable réalisée en vue du processus final. En Afrique, où perdure parfois le « tabou de lactation », précédemment cité, une femme peut sevrer son enfant plus tôt qu’elle ne l’avait prévu initialement et ce, pour pouvoir reprendre une activité sexuelle, parfois sous la pression de son partenaire.

38Dans un autre cas de figure, une femme qui apprend au cours d’un dépistage prénatal qu’elle est infectée par le VIH et qui n’ose pas en informer son mari, peut être conduite à le faire parce qu’elle désire sevrer son enfant très tôt pour limiter les risques de transmission postnatale du VIH.

39De la même façon, les femmes qui n’ont pas confié à leur partenaire qu’elles étaient séropositives, ni au cours de la grossesse, ni juste après la naissance de l’enfant, peuvent être conduites à le faire lorsque arrive le moment de la reprise des rapports sexuels, pour légitimer le port du préservatif qui leur a été conseillé par l’équipe médicale.

40Dans ces trois exemples, on voit comment l’anticipation d’un événement peut accélérer la survenue d’un autre événement (le sevrage dans le premier cas, l’information du partenaire sur l’infection par le VIH dans les deux derniers cas).

41L’analyse de ces différents processus ne devra donc pas se faire de façon disjointe, et il est nécessaire de réfléchir aux meilleures méthodes pour caractériser ces phénomènes d’anticipation (voir le chapitre 9 de Philippe Bocquier sur la fonction de l’espoir).

4. L’après-grossesse à envisager comme une « trajectoire post-partum »

42La période dite post-partum, qui suit la fin d’une grossesse, est un temps de multiples transitions. Après un accouchement, une femme passe progressivement d’un état post-partum, où elle n’a pas de relations sexuelles, où elle allaite éventuellement, où elle est en aménorrhée, où elle est en congé de maternité, à un état où elle aura repris plus ou moins rapidement les relations sexuelles, où son bébé sera totalement sevré, où elle sera de nouveau réglée, signe du retour de sa fertilité, et où elle aura éventuellement repris son activité professionnelle. Le passage d’un état à l’autre suppose quatre transitions qui peuvent d’ailleurs être simultanées : la reprise des relations sexuelles, le sevrage de l’enfant, le retour des règles, la reprise d’activité. La sortie de l’état de grossesse et de ses suites (allaitement, aménorrhée et abstinence sexuelle post-partum, activité professionnelle), en raison de sa complexité, doit être analysée sous la forme d’une trajectoire. Les différentes transitions repérées par cette trajectoire du post-partum interagissent les unes avec les autres, selon des mécanismes biologiques (le processus de sevrage adopté a des conséquences sur la durée de l’aménorrhée, la capacité de lactation durant l’allaitement) ou culturels (la reprise des rapports sexuels peut dépendre du retour des règles ou du sevrage de l’enfant ; dans certains contextes culturels, il est difficile de continuer à allaiter quand on travaille). Il est donc impératif de trouver les outils méthodologiques adéquats pour analyser cette « trajectoire de sortie d’état de grossesse » en analysant l’enchaînement des transitions, les déterminants de cet enchaînement et la priorité accordée à l’une ou l’autre de ces déterminants.

43Comme dans l’exemple évoqué sur la reprise des rapports sexuels en Côte d’Ivoire, il apparaît que, dans un tel cas de transitions multiples, les individus peuvent invoquer les normes sociales existantes, multiples et parfois contradictoires, pour justifier leur trajectoire individuelle, plutôt que de construire leur trajectoire selon le schéma de comportement dominant.

44À cette complexité « minimale » d’une fin de grossesse ordinaire, peuvent s’ajouter des niveaux de complexité supérieurs, des transitions supplémentaires. C’est le cas lorsque la grossesse donne lieu à la découverte d’une nouvelle infection ou maladie. Dans les pays en développement, où le dépistage du VIH est mené à large échelle chez les femmes enceintes dans le cadre des programmes de prévention de la transmission mère-enfant du VIH, c’est l’occasion pour de nombreuses femmes de découvrir qu’elles étaient infectées par le VIH. La période post-partum est donc pour elles une période de prise en compte de cette nouvelle réalité de l’infection par le VIH, et deux transitions (la reprise des relations sexuelles – si elles avaient été interrompues pendant ou après la grossesse –, le sevrage de l’enfant) vont être fortement influencées par cette prise en compte de l’infection par le VIH et le choix que la femme va faire d’en parler ou non avec son partenaire. On observe ainsi, qu’à Abidjan, le fait d’être infectée par le VIH devient le facteur prépondérant pour expliquer le calendrier de reprise des rapports sexuels après l’accouchement : les femmes séropositives reprennent leur activité sexuelle beaucoup plus tardivement que les autres, alors qu’elles allaitent moins longtemps que les femmes séronégatives (suivant en cela les conseils qui leur sont donnés pour limiter les risques de transmission du VIH par le lait) et que, de ce fait, elles ont une aménorrhée plus courte. L’élément majeur ici est en effet la difficulté de gérer leur sexualité dans ce contexte d’infection VIH. Face à la difficulté que les femmes rencontrent à informer leur conjoint, mais aussi à lui proposer (voire le convaincre) d’utiliser des préservatifs, une des stratégies qu’elles utilisent est de différer le moment où ces problèmes se posent, donc retarder la reprise des rapports sexuels (Desgrées du Loû et al., 2002). La complémentarité quantitatif-qualitatif est ici évidente : si le quantitatif permet, par la comparaison des rythmes, de détecter les changements de calendrier respectifs, c’est au cours des entretiens qu’on collecte les éléments nécessaires à la compréhension fine de ces changements de trajectoire.

45La période du post-partum dans les sociétés du Nord se pose d’une toute autre manière. Ce n’est pas tant le sevrage (même si l’on constate aujourd’hui un retour en force de l’allaitement maternel et un désir – sinon une volonté des femmes – de prolonger cet allaitement au-delà des trois mois de congé légal de maternité), ni même le retour à une vie sexuelle « habituelle » qui caractérise la temporalité des femmes après une naissance, que le retour sur le marché du travail qui apparaît comme une étape décisive. Sur ce point, l’approche quantitative permet de mieux cerner l’ampleur du phénomène que représente un enfant supplémentaire sur l’activité des femmes. Les nombreux travaux sur la question (Barrère-Maurisson, 2003 ; Commaille, 1993 ; Fagnani, 2000 ; Ferrand, 2004 ; Garner et al., 2004 ; Singly, 2003 ; Testenoire, 2001) ont précisé qu’un certain nombre d’éléments doivent impérativement être repérés pour évaluer l’impact de la maternité dans les trajectoires féminines. La date de reprise du travail est certes un marqueur premier, mais il reste tout à fait insuffisant. Il est également nécessaire de saisir le nouvel état de « mère travailleuse » et les tensions que la charge supplémentaire que cet enfant entraîne. La femme reprend-elle le même emploi ? Les conditions de travail sont-elles les mêmes que celles qui précèdent le congé de maternité ? Ou, au contraire, change-t-elle d’horaires, de poste, de type de travail (moins de responsabilités, moins de mobilités, etc.) ? Change-t-elle de lieu de travail pour se rapprocher de son domicile ou pour trouver une entreprise lui permettant d’avoir accès à une crèche, etc.? Des données sur une modification des conditions de travail du père sont aussi à recueillir, sous une forme simple : ont-elles changé ? En quoi ? De la même façon, il est nécessaire de recueillir le mode de garde de l’enfant qui termine réellement le post-partum, en identifiant aussi les dates d’entrée dans ce mode de garde et ses modalités (temps plein, temps partiel, adaptation).

46Mais ces données, même très précises, ne peuvent en elles-mêmes expliquer les modalités du changement d’état de femme active en mère travailleuse. L’entretien seul permettra de comprendre quels enjeux la femme met dans la réussite de sa maternité confrontée à celle qu’elle peut espérer professionnellement, ainsi que les arbitrages qu’elle a dû opérer dans un champ de contraintes temporelles ainsi que les négociations éventuellement mises en œuvre avec son conjoint. Les entretiens issus de la recherche GINE précisent que la plupart du temps, l’identité maternelle l’emporte sur l’identité professionnelle, sauf cas très particuliers (Bajos, Ferrand, 2006). L’exemple des facilités offertes par les politiques familiales françaises souligne l’impact des modes de garde sur la définition identitaire de la mère. Ainsi, on peut parler d’une identité qui se construit à travers le passage de la « professionnelle » qui devient mère, pour les femmes qui choisissent le recours à une aide rémunérée à domicile (AGED) ou d’une identité qui se construit par la priorité du passage au statut de mère sur le statut d’active, pour les femmes qui décident d’interrompre leur emploi pour élever leur enfant grâce à l’allocation parentale d’éducation (APE). Des travaux récents (Meda et al., 2003) semblent indiquer que ce dernier choix s’avère lourd de conséquences pour l’avenir professionnel de la femme qui croit se retirer momentanément du marché du travail, mais qui n’a aucune garantie (et encore moins en période de chômage élevé) de retrouver un emploi. Un passage, considéré comme temporaire, risque en réalité de lui faire franchir le seuil de l’inemployabilité, c’est-à-dire la transformer en inactive continue (Daune-Richard, 2001).

Conclusion

47Ce chapitre a tenté de dévoiler comment « l’entrée en grossesse » ou même « la sortie de grossesse » sont des phases de transition complexes à étudier pour plusieurs raisons. Tout d’abord, car elles font intervenir non pas seulement une femme, mais bien souvent un couple, voire une famille autour de ce couple. À ce titre, le contexte au sein duquel la grossesse prend place doit être clairement identifié. Les modalités de communication et d’accord qui existent entre l’homme et la femme à propos et autour de cette grossesse doivent être en particulier prises en compte. D’où l’importance, dans ce domaine d’étude, de la double approche quantitatif-qualitatif. On peut en outre souligner, sur un tel sujet, la pertinence qu’il y aurait à considérer non seulement le point de vue des femmes, mais aussi celui des hommes, malheureusement encore peu collecté dans la plupart des enquêtes autour de la grossesse.

48D’autre part, le processus de la fin d’une grossesse (dans ce chapitre, ont seulement été évoquées les grossesses non dystociques et les naissances d’enfants nés à terme) s’accompagne de plusieurs autres processus : l’aménorrhée post-partum, l’allaitement puis le sevrage du nourrisson, l’arrêt momentané des relations sexuelles après l’accouchement puis leur reprise, ainsi que la question de l’activité professionnelle de la mère. Ils interagissent de façon plus ou moins étroite les uns avec les autres. Ainsi, l’étude de l’un de ces processus ne peut se faire sans analyser les autres. Il est alors pertinent d’analyser cet ensemble de transitions qui entourent la grossesse, à travers la reconstitution d’une trajectoire multidimensionnelle, plutôt que d’analyser chacun des processus de façon isolée. Cela demande un recueil de données sociodémographiques et sanitaires, qui permettra entre autres une datation des événements, datation qui peut être complexe en elle-même. Parallèlement, l’approche qualitative et le recueil de données socio-anthropologiques sont indispensables pour appréhender les contextes conjugaux, familiaux, professionnels, sociaux mais aussi affectifs, voire psychologiques, qui expliquent l’enchaînement des processus au cours de cette trajectoire complexe induite par l’état de grossesse et ses suites.

Annexes

ENCADRÉ 2. ENQUÊTE GINE (INSERM, 2002) ET ENQUÊTE COCON (INSERM-INED, 2000)
Les matériaux utilisés dans ce texte sont issus de deux enquêtes coordonnées autour d’une problématique commune, comprenant un volet qualitatif et un volet quantitatif.
Le volet qualitatif, ou enquête GINE (grossesses interrompues, non prévues ou évitées), qui portait sur les échecs de contraception en France a été mené sous la direction de Nathalie Bajos, de l’unité Inserm-Ined (U569) et de Michèle Ferrand du CNRS (CSU), en collaboration avec Annie Bachelot, Christine Bove, Sandrine Durand, Rim Turki, Florence Vatin de l’Inserm, ainsi que Claudine Philippe, Dominique Cèbe (CRESP), Pascale Donati (université de Saint Quentin en Yvelines) et Danielle Hassoun (gynécologue clinicienne de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis). Le travail s’est appuyé sur la réalisation, en 1999 et 2000, d’entretiens approfondis auprès de 73 femmes rencontrées en Région parisienne et en province, ayant connu une grossesse accidentelle dans les 5 dernières années, et dont 51 se sont terminées par une IVG (interruption volontaire de grossesse). Les femmes ont été recrutées par des annonces dans la presse féminine et par l’intermédiaire de médecins et de centres de planification familiale. Une attention particulière a été portée aux femmes mineures, aux femmes ayant dépassé le délai légal de recours à l’IVG et aux femmes appartenant à des familles d’origine étrangère. L’échantillon est diversifié du point de vue de l’âge, du nombre d’enfants, de la situation familiale, professionnelle, du milieu social et de la zone de résidence. Les entretiens, d’environ une heure et demie ont été intégralement retranscrits.
Les résultats de cette recherche sont présentés dans l’ouvrage paru en 2002 : De la contraception à l’avortement, sociologie des grossesses non prévues, Bajos N., Ferrand M. et l’équipe GINE, Éditions Inserm, Paris.
Le volet quantitatif, ou enquête Cocon (cohorte sur la contraception), est une étude socio-épidémiologique de cohorte prospective réalisée dans les années 2000-2004, par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs de l’Inserm, de l’Ined et du CNRS (Nathalie Bajos et Nadine Job-Spira (responsables), Hélène Goulard, Jean Bouyer, Béatrice Ducot, Michèle Ferrand, Danielle Hassoun, Monique Kaminski, Nathalie Lelong, Henri Leridon, Caroline Moreau, Pascale Oustry, Nicolas Razafindratsima, Clémentine Rossier, Josiane Warszawski). Les objectifs sont de décrire et d’analyser les pratiques contraceptives des femmes françaises, l’efficacité pratique des méthodes utilisées, les circonstances de survenue des échecs contraceptifs, les processus décisionnels sur l’issue d’une grossesse non prévue, les conditions d’accès au système de santé pour la contraception et l’IVG. La cohorte de l’enquête Cocon a été établie par tirage aléatoire, dans la France entière, à partir de la liste téléphonique des abonnés au téléphone filaire de France Télécom, pour constituer un échantillon représentatif de la population féminine française en âge de procréer. Il comporte 2 863 femmes âgées de 18 à 44 ans. Cette cohorte a été suivie annuellement pendant une durée de cinq ans, depuis l’automne 2000 jusqu’à l’automne 2004.
Une présentation de l’enquête est proposée dans l’article de Bajos N., Leridon H., Goulard H., Oustry P., Job-Spira N. and Cocon Group, 2003, « Contraception : from accessibility to efficiency », Human Reprod. vol. 18, n° 5, pp. 994-998, et dans un dossier de la revue Population consacré à cette enquête (Population-F, vol. 59, n° 3-4, 2004).

ENCADRÉ 3. PROJET DITRAME (INSERM, 1995)
Annabel Desgrées du Lou, Hermann Brou et Annick Tijou-Traore tirent les réflexions présentées dans ce chapitre de la recherche qu’ils conduisent dans le cadre des programmes Ditrame (1995-1999) et Ditrame Plus (2000-2005) menés à Abidjan, Côte d’Ivoire.
Le projet Ditrame (diminution de la transmission mère-enfant du VIH a été mené entre 1995 et 2000 à Abidjan et à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), sous la coordination générale de l’Inserm U330 de Bordeaux (France), et avec le soutien financier de l’ANRS. La coordination à Abidjan était assurée par Philippe Msellati (IRD). Il s’agissait d’évaluer la tolérance et l’efficacité d’un régime court d’AZT dans la prévention de la transmission mère-enfant du VIH dans une population où l’allaitement maternel est prédominant. Trois enquêtes sociodémographiques ont été menées au sein de ce projet, sous la direction d’Annabel Desgrées du Loû :
– une enquête rétrospective sur la fécondité des femmes séropositives et séronégatives, auprès d’environ 1 250 femmes enceintes à l’occasion de la visite de consultation prénatale où le test de dépistage du VIH leur était proposé, entre juillet 1997 et janvier 1998 ;
– une enquête transversale, menée en 1999 auprès de 150 femmes séropositives suivies dans le projet Ditrame, sur les événements de la vie génésique (aménorrhée, reprise et protection des relations sexuelles, incidence et devenir des grossesses, pratiques contraceptives) de ces femmes entre la naissance de l’enfant pour lequel elles étaient suivies dans le cadre du projet et la date de l’enquête ;
– une enquête exploratoire qualitative menée en mai 1998 auprès de 21 femmes séropositives suivies dans le cadre du projet Ditrame sur le sevrage de l’enfant, les relations avec le mari face au VIH et sur les projets de procréation de la femme et du couple.
Une synthèse des résultats de ces enquêtes est présentée dans l’article : Desgrées du Loû A., 2005, « Le couple face au VIH/sida en Afrique subsaharienne : information du partenaire, sexualité, procréation », Population-F, vol. 60, n° 3, p. 221-242.
Le projet Ditrame Plus a été mené entre 2000 et 2005. C’est un programme coordonné par François Dabis et Valériane Leroy (Inserm 593) et financé par l’ANRS qui évalue l’efficacité d’interventions périnatales pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Dans le cadre de ce programme, le test de dépistage du VIH est systématiquement proposé aux femmes enceintes lors des sept consultations prénatales de quartiers populaires à Abidjan. Ce projet comporte un volet de sciences sociales dirigé par Desgrées du Loû (IRD/LPED). Il étudie les différentes implications de la mise en place d’un tel dépistage prénatal en termes de changements des comportements face au risque de VIH/sida, tant chez les femmes qui apprennent qu’elles sont infectées par le VIH, que chez celles qui apprennent qu’elles ne sont pas infectées. Une cohorte de 746 femmes séropositives et une cohorte de 400 femmes séronégatives, recrutées dans deux quartiers populaires d’Abidjan, Côte d’Ivoire, ont ainsi été suivies deux ans après la grossesse au cours de laquelle le dépistage du VIH a été proposé. Les conditions de recrutement dans ces cohortes étaient d’avoir accepté le test de dépistage du VIH dans un des centres de dépistage du projet entre le 1er janvier 2001 et le 30 juin 2003, d’être âgée de 18 ans au moins, d’accepter de venir aux visites trimestrielles du suivi longitudinal jusqu’aux deux ans de l’enfant. Les femmes séropositives étaient prises en charge dans le programme de prévention de la transmission mère enfant du VIH (Dabis et al., 2005 ; Becquet et al., 2005). Dans les deux cohortes, des informations sur la communication avec le partenaire autour des MST (maladies sexuellement transmissibles) et du VIH, sur la reprise des rapports sexuels, l’utilisation des préservatifs, de contraceptifs et la survenue de grossesses ont été collectées de façon prospective et quantitative par questionnaire répété (trimestriel la première année, puis semestriel), et des entretiens approfondis répétés une fois ont été menés au sein d’un sous-groupe de 20 femmes et de leurs partenaires dans chaque cohorte. Les analyses de ces données sont toujours en cours. Les premiers résultats ont été présentés dans les articles suivants :
Brou H., Agbo H. et Desgrées du Loû A., 2005, « Le dépistage du VIH en prénatal : impact chez des femmes séronégatives à Abidjan, Côte d’Ivoire. Approche quantitative et qualitative. Projet Ditrame Plus 3, ANRS 1253 », Cahiers Santé, vol. 15, n° 2, p. 81-91.
Tijou-Traore A., 2006, « Pourquoi et comment en parler ? Dialogue conjugal autour de l’annonce de la séropositivité dans des couples sérodiscordants à Abidjan (Côte d’Ivoire) », Sciences sociales et santé, vol. 24, n° 2, p. 43-68.

Bibliographie

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Auteurs

Démographe, chargée de recherche à l’IRD, est membre du laboratoire Population, environnement, développement, UMR151 IRD-université de Provence. Ses travaux de recherche portent sur les comportements sexuels et reproductifs face au VIH/sida en Afrique subsaharienne. Elle coordonne au Ceped le champ Sociétés, famille et genre. Contact :

Sociologue, directrice de recherches au CNRS, appartient au laboratoire Cultures et sociétés urbaines (CSU) et est associée à l’unité Démographie, genre et sociétés de l’Ined. Elle travaille sur l’analyse des rapports sociaux de sexe et sur les modalités de leur reproduction dans différents champs sociaux : santé de la reproduction, famille, école. Elle participe actuellement à deux recherches, la première sur la sexualité en France, et la seconde sur l’impact de la contraception d’urgence dans quatre pays africains (Burkina Faso, Ghana, Maroc, Sénégal). Contact :

Doctorant en démographie (LPED UMR151 IRD) à l’université René Descartes, Paris 5. Ses travaux de recherche portent sur les comportements sexuels et de procréation dans un contexte de prévention de la transmission mère-enfant du VIH, en Côte d’Ivoire. Il assure la supervision du projet Ditrame Plus 3, projet ANRS 1253, à Abidjan. Contact :

Anthropologue, post-doctorante Sidaction, Projet ANRS 1253 Ditrame Plus 3, ENSEA (Abidjan), est rattachée au laboratoire ADES/SSD, UMR 5185 CNRS, université de Bordeaux 2. Ses travaux portent sur la compréhension des conceptions, des processus décisionnels et des pratiques de prévention en matière VIH/Sida en Côte d’Ivoire auprès d’adolescents et de couples. Contact :

Socio-démographe, chargée de recherche à l’Inserm, responsable de l’équipe Santé sexuelle et reproductive (Inserm-Ined U569). Ses travaux de recherche portent sur les comportements sexuels, la contraception et l’avortement en France, dans les pays industrialisés et en Afrique. Contact :

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