1La nécessité d’étudier les modes de transmission de l’infection au VIH et l’épidémie de sida ont entraîné dans les années quatre-vingt un intérêt renouvelé pour l’étude des comportements sexuels, en particulier homosexuels. Les homosexuels eux-mêmes ont revendiqué une visibilité destinée à lutter contre les discriminations dont ils sont victimes, puis un statut protecteur par l’état, sous forme d’une reconnaissance légale des unions homosexuelles. Aujourd’hui la vie en couple homosexuel apparaît comme une nouvelle forme de comportement familial, et les questions juridiques portent sur la possibilité pour les couples d’homosexuels d’adopter des enfants. Pourtant leur observation statistique reste difficile en France : les statistiques de formation et de dissolution des Pacs ne renseignent pas sur les sexes des conjoints, le recensement ne permet pas d’identifier les couples homosexuels1.

2En revanche, l’enquête EHF permet de compter les couples homosexuels recensés dans le même logement et dont les deux conjoints se déclarent en couple l’un avec l’autre. Elle permet également, grâce à la très grande taille de son échantillon, de décrire ces couples en termes de lieu de résidence, de niveau de diplôme, de mode de vie (avec ou sans enfant), etc. Le faible nombre de couples ainsi repérés conduit cependant à mettre en cause l’efficacité de cette procédure, certains couples homosexuels, même s’ils vivent ensemble, ayant probablement échappé à l’observation, soit parce que les conjoints ont été recensés dans deux logements différents, soit parce qu’ils ne se sont pas déclarés dans l’enquête comme « vivant en couple ».

I. – Une prise en compte implicite des couples homosexuels

3L’estimation du nombre de couples homosexuels est en pratique très difficile à partir des enquêtes en population générale, en raison de leur rareté et de l’imperfection des informations contenues dans les enquêtes (Black et al. 2000). L’information sur les couples homosexuels provient d’enquêtes spécifiques sur les comportements sexuels (Hubert et al. 1998) ou sur des enquêtes auprès de volontaires, comme les enquêtes « presse gaie » (Bochow et al. 2003). Dans les pays qui disposent d’un statut légal spécifique pour les couples homosexuels associé à un enregistrement, une étude démographique des couples de même sexe est possible, au moins pour les couples légalisés (Andersson et al. 2004). En France, les Pacs ne donnent pas lieu à un recueil d’information statistique incluant le sexe des deux partenaires (Festy 2001), et le recensement ne contient aucune question spécifique sur la vie en couple homosexuel. Seule l’étude des couples corésidents est possible à partir des enquêtes en population générale.

1) Qu’est-ce qu’un couple ?

4La notion de couple n’est pas une notion simple, et l’engagement conjugal ne se repère pas de manière immédiate dans les enquêtes ou le recensement. Les processus de formation et de dissolution des couples peuvent être progressifs, créant des situations ambiguës. Ainsi, un tiers des personnes seules vivent « une relation amoureuse stable », fort peu différente d’une vie « en couple non cohabitant » (Villeneuve-Gokalp, 1997), près de 10 % des couples débutent par une période de « vie en couple sans résidence commune » qui peut durer plus d’un an (Toulemon 1996). Parmi les couples homosexuels, le fait de conserver deux logements est beaucoup plus fréquent (de l’ordre de 50 % dans les enquêtes auprès des lecteurs de la « presse gaie ») et la notion de « couple corésident » est donc davantage réductrice.

5Au recensement, les conjoints d’un couple peuvent utiliser le terme d’« ami » qui n’implique pas nécessairement le sentiment de vivre en couple. On ne peut donc pas savoir si deux personnes qui se disent « amis » et sont recensées ensemble dans le même logement se considèrent comme vivant en couple. À l’inverse, une personne qui déclare vivre en couple mais n’a pas de conjoint recensé dans le logement doit-elle être considérée comme vivant en couple ? Et une paire dont une personne déclare vivre en couple, tandis que l’autre se déclare « ami(e) » ?

6Dans les enquêtes sur les situations familiales, on pose directement la question « vivez-vous en couple ? », sans référence ni à la situation légale (marié(e), pacsé(e)…) ni à la corésidence entre partenaires, ni à l’existence de relations sexuelles, bref sans imposer de contrainte sur le lien qui unit les conjoints du couple. On ne demande même pas si l’autre conjoint se considère lui-même comme vivant en couple. Dans le recensement, les couples sont constitués à partir des informations figurant sur la feuille de logement. Un couple est composé de deux personnes recensées dans le même logement, de sexes différents, qui se déclarent « conjoints » ou « partenaires ». Ces contraintes excluent par définition les couples homosexuels, qui sont reclassés comme « amis » et sont donc regroupés avec l’ensemble des « paires d’amis de même sexe » recensées dans le même logement, paires dont on ne peut savoir si elles sont conjugales (Digoix, Festy, Garnier 2004).

7Dans les enquêtes de l’Insee, deux extensions récentes permettent de mieux cerner les couples : d’une part, pour les couples dont les deux conjoints résident dans le même logement, on repère pour chacun le numéro du conjoint dans la liste des personnes vivant dans le logement (et non plus seulement le fait que la personne répond vivre en couple), ce qui renseigne sur ce conjoint (son sexe, son âge…) et permet d’étudier les caractéristiques des couples à partir des informations recueillies sur les deux conjoints ; d’autre part, on accepte que des personnes déclarent vivre en couple avec une personne qui ne vit pas dans le même logement (à l’exception de l’enquête Emploi, où l’on « corrige » l’information en considérant que la personne ne vit pas en couple).

2) Les couples homosexuels sont trop rares pour être comptés facilement

8Les couples homosexuels sont difficiles à identifier dans les enquêtes car ils se confondent d’une part avec des « faux couples » et, d’autre part, avec des couples « faussement homosexuels ». Ainsi, des paires de personnes de même sexe peuvent déclarer vivre en couple, mais sans vivre en couple l’une avec l’autre. Le cas le plus visible correspond à des femmes qui se disent en couple, et sont mariées. Cette situation correspond à des paires de femmes dont les maris vivent ailleurs (le plus souvent pour raisons professionnelles, par exemple sur des chantiers) et dont les deux familles partagent le même logement. Ces « faux couples » seront maintenant identifiés dans les enquêtes de l’Insee, grâce à une question nouvelle qui précise le numéro du conjoint parmi les habitants du logement.

9Les couples homosexuels resteront cependant peu visibles, car aucune vérification n’est faite sur l’information concernant le sexe des personnes, même en cas de couple homosexuel. On estime les erreurs sur les variables des enquêtes à environ 1 à 5 pour mille. Avec une personne sur 1 000 dont le sexe est erroné dans une enquête, un couple sur 500 apparaît comme homosexuel après une erreur sur le sexe de l’un ou l’autre des conjoints ; on « construit » ainsi à partir de 15 millions de couples 30 000 couples « faussement homosexuels », pour lesquels l’information sur le sexe d’un des conjoints est inexacte. Comme les couples homosexuels ne peuvent être mariés ensemble, on peut exclure les couples dont les deux conjoints sont mariés. Restent cependant 2,5 millions de couples cohabitants, dont 5 000 couples faussement homosexuels. Or on évalue l’ordre de grandeur du nombre de couples homosexuels corésidents à environ 30 000 (Spira, Bajos et le groupe ACSF, 1993). La sensibilité de l’estimation du nombre de couples homosexuels à la qualité du codage et de la saisie de l’information sur le sexe des individus est donc trop forte pour que l’on puisse utiliser ces enquêtes.

10La solution consiste à faire confirmer par l’enquêteur les réponses concernant le sexe de chacun des conjoints en cas de couple homosexuel. Cette solution est facile à mettre en œuvre dans les enquêtes réalisées par ordinateur, ce qui est maintenant le cas le plus fréquent. Elle n’a pas (encore ?) été adoptée par l’Insee, et les estimations reposent donc sur des enquêtes spécifiques2. Les enquêtes comme l’enquête ACSF aboutissent à des estimations assez imprécises, malgré leur large échantillon. Avec un échantillon de départ de l’ordre de 20 000 personnes âgées de 18 à 69 ans, 16 hommes et 2 femmes ont répondu vivre en couple homosexuel corésident3, ce qui conduit à l’estimation de 27000 couples homosexuels (25000 couples d’hommes et 2 000 couples de femmes), que l’on peut considérer comme un ordre de grandeur : l’intervalle de confiance4 montre une fourchette de 15 000 à 45 000 couples (entre 13 000 et 40 000 couples homosexuels masculins et entre 2 000 et 5 000 couples féminins). Ces estimations peuvent être considérées comme minimales, en plus d’être imprécises. Les personnes ayant répondu à l’enquête de 1992 étaient probablement réticentes à se déclarer en couple homosexuel, mode de vie rare et fortement stigmatisé (Messiah, Mouret-Fourme, 1993). De plus, on peut supposer que le nombre de couples homosexuels corésidents a augmenté depuis cette date.

II. – Les couples homosexuels dans l’enquête EHF

11L’enquête EHF n’a pas été conçue pour compter les couples homosexuels. D’une part, l’Insee ne souhaitait pas introduire une question sur l’orientation sexuelle, réputée « sensible » par la Cnil, dans une enquête associée au recensement général de la population5. D’autre part, la notion de couple utilisée pour le recensement, fondée sur la résidence commune, ne semblait pas adaptée à l’étude des couples homosexuels, qui peuvent unir des conjoints qui ont gardé chacun une résidence, et qui sont donc recensés dans deux logements différents. Enfin, les arguments utilisés dans les discussions précédant la création du Pacs ne se fondaient pas uniquement sur la nécessité pour les homosexuels de disposer d’un contrat qui leur soit propre et leur offre une protection légale et une reconnaissance sociale, mais plutôt sur la création d’un statut utile pour tous les couples non mariés, homosexuels ou hétérosexuels. Le contexte général n’était donc guère favorable à une opération volontariste de comptage des couples homosexuels.

12Cependant, les conditions particulières de réalisation de l’enquête permettent d’identifier avec un très faible risque d’erreur les couples homosexuels corésidents. Dans chaque logement participant à l’enquête, toutes les personnes d’un sexe donné remplissent un bulletin contenant des informations sur eux-mêmes et sur leur conjoint.

1) Les questions posées supposent que les conjoints sont de sexe différent

13Le bulletin de l’enquête EHF contient des questions sur la situation conjugale au moment de recensement (question C13) puis sur l’histoire conjugale. Quelques questions sont posées sur le conjoint actuel ou le dernier conjoint. Aucune de ces questions ne porte sur le sexe du conjoint. Dans un premier temps, le bulletin contenait des questions sur « le conjoint », pour les hommes comme pour les femmes. Les tests ont montré que les hommes en couple hétérosexuel ne comprenaient pas le terme « conjoint » dans son acception neutre, et nous l’avons remplacé dans les bulletins destinés aux hommes par le terme féminin « conjointe ». Cette formulation contient une orientation hétérosexuelle explicite : les questions sur « votre conjointe » peuvent difficilement être comprises par les hommes vivant en couple homosexuel comme les concernant, eux et leur conjoint masculin. Pour les femmes vivant en couple homosexuel, le terme « votre conjoint » employé dans les questionnaires destinés aux femmes renvoie peut-être moins spécifiquement au masculin, puisqu’il peut être considéré comme neutre et correspondant à leur « conjoint » féminin.

2) Mais les conditions de collecte permettent de repérer les couples homosexuels recensés dans le même logement

14Dans les formations des agents recenseurs, ceux qui distribuaient les bulletins de l’enquête EHF comme les autres, consigne était donnée d’accepter les couples homosexuels comme des couples, même si les règles de codage du recensement ont imposé dans la définition des couples utilisée pour le codage le fait que les conjoints doivent être de sexes différents. Pour les personnes déclarant vivre en couple sans que le conjoint ne réside dans le logement, aucune question ne permet de connaître le sexe du conjoint. En revanche, si les deux conjoints de même sexe ont été recensés dans le même logement, ils (ou elles) ont rempli chacun(e) un bulletin. Il est alors possible de procéder à une double validation. Tout d’abord, le recensement permet de vérifier que les personnes sont effectivement de même sexe ; ensuite, la confrontation des deux bulletins permet de confirmer que les deux personnes sont en couple l’une avec l’autre. Ainsi, à condition que les personnes en couple homosexuel se soient bien identifiées comme vivant en couple et aient été recensées dans le même logement, on peut les décrire sans erreur.

15L’enquête fournit donc une estimation minimale des couples homosexuels corésidents. La principale source de sous-estimation provient de la réticence des partenaires corésidents à se déclarer en couple, par refus de dévoiler une situation privée considérée comme sensible, ou par sentiment de n’être pas concernés par des questions perçues comme destinées aux hétérosexuels ; par ailleurs, les couples homosexuels recensés dans deux logements différents ne sont pas repérables ici.

16La taille très importante de l’échantillon permet d’obtenir une estimation assez précise : l’intervalle de confiance autour de 30 000 couples serait ainsi de plus ou moins 5 000. De plus, l’enquête doit fournir des informations sur les quelque 190 couples attendus (sexe et âge des conjoints, présence d’enfants, lieu de résidence, etc.).

17Enfin, une autre possibilité consiste à identifier des couples qui ne se seraient pas déclarés comme tels dans leurs réponses aux questions sur la vie en couple, mais dont les deux conjoints auraient déclaré élever des enfants, l’un des conjoints les décrivant comme ses propres enfants et l’autre comme les « enfants du conjoint ».

III. – Le nombre de couples homosexuels d’après EHF

18On compte dans l’enquête 30 142 ménages ordinaires dans lesquels deux bulletins EHF au moins ont été remplis. Dans 13 226 de ces ménages, seuls les hommes ont été enquêtés ; 16 916 sont des ménages d’enquêtées femmes. Les 39 251 paires construites dans ces ménages se répartissent en 17 525 paires d’hommes et 21 060 paires de femmes ; dans les 666 autres paires, il existe un doute sur le sexe de l’un au moins des membres de la paire, car le sexe imputé à EHF diffère du sexe déclaré au recensement. Ces paires sont le plus souvent des paires « père-fils », « mère-fille » ou « frère-frère » ou « sœur-sœur ». En partant d’une définition très restrictive des couples permettant d’éliminer le plus de « faux couples homosexuels », on assouplit progressivement les critères pour délimiter la frontière entre paires probablement constituées de conjoints d’un couple homosexuel et paires probablement non conjugales (Vitrac, 2002).

1) Beaucoup moins de couples que dans l’enquête ACSF, surtout pour les hommes

19Les paires ont été considérées comme des couples homosexuels « certains » si elles remplissent les conditions suivantes :

• les deux membres de la paire, rappelons-le, ont été recensés dans le même logement et sont donc « corésidents » au sens du recensement ;

• le sexe déclaré au recensement est le même que celui déclaré à EHF, pour chacun des membres de la paire ;

• les deux membres de la paire sont de même sexe ;

• chacun des membres de la paire déclare vivre en couple dans EHF ;

• chacun des membres de la paire indique une date de naissance du conjoint correspondant à celle de l’autre membre (au RP comme à EHF) ;

• il n’existe aucun autre conjoint possible dans le ménage considéré (pas d’individu du sexe opposé ayant une date de naissance correspondant à celle donnée par l’enquêté comme date de naissance de son conjoint) ;

• les membres de la paire ne sont pas mariés ensemble (s’ils sont ou ont été mariés leurs dates de mariage diffèrent).

20L’application stricte de ces critères permet d’identifier 55 couples homosexuels : 24 couples d’hommes et 31 couples de femmes.

21Ces 55 couples sont bien moins nombreux que ce qu’on pouvait attendre au vu des résultats de l’enquête ACSF. On pouvait espérer environ 160 couples d’hommes, au lieu de 24. Pour les femmes, on pouvait s’attendre à en trouver environ 30 dans EHF ; on en a trouvé 31. Par comparaison avec ACSF, dans l’enquête EHF les hommes vivant en couple homosexuel semblent donc s’être moins bien déclarés que les femmes.

2) Peu de cas douteux

22La faiblesse du nombre de couples d’hommes qui se sont déclarés comme tels dans EHF n’est pas due à une définition trop stricte des critères d’identification d’une paire d’individus comme couple homosexuel. En effet, même en « assouplissant » largement les critères initialement retenus, on n’accroît pas de façon importante l’estimation du nombre de couples homosexuels. Plusieurs types « d’élargissements » ont été tentés :

• Assouplissement sur les dates de naissance : on peut considérer qu’une paire est un couple à partir du moment où l’ensemble des conditions initialement fixées sont remplies, mais qu’on admet que la date de naissance donnée pour le conjoint corresponde uniquement à la date de naissance de l’autre membre de la paire au RP ou à EHF (et non plus aux deux ; on admet alors qu’une erreur se soit produite sur la date de naissance du conjoint supposé dans l’un des questionnaires).

• Assouplissement sur les déclarations de vie de couple : on peut également admettre qu’une paire constitue un couple lorsque l’ensemble des critères initiaux sont remplis, même si les membres de la paire ne se déclarent pas en couple (ils donnent alors des dates de naissance du conjoint correspondant à celle de l’autre membre de la paire, tout en répondant « non » à la question « vivez-vous actuellement en couple ? »).

• Assouplissement sur la concordance des déclarations : partant du principe que les deux membres d’un couple pouvaient ne pas se percevoir ou ne pas souhaiter se déclarer de la même façon, on a également estimé le nombre de « couples » en n’imposant pas la réciprocité des déclarations. Ainsi, pouvait être considéré comme couple une paire dans laquelle l’un des membres reconnaissait l’autre comme conjoint (en donnant sa date de naissance) alors que l’autre disait ne pas vivre en couple.

23L’augmentation du nombre de couples identifiés en utilisant ces critères assouplis est très limitée : 18 couples supplémentaires au grand maximum ont été repérés de cette façon. En acceptant une erreur sur les dates de naissance, ou le fait de ne pas se déclarer en couple, on rajoute 6 couples supplémentaires. Des critères plus lâches conduisent à 12 couples supplémentaires, mais ces élargissements conduisent à considérer comme des couples des paires très probablement non conjugales.

24Les paires comprenant au moins un membre pour lequel le sexe déclaré au RP était différent de celui imputé à EHF n’ont pas été traitées de la même façon que les autres. On souhaitait en effet écarter la possibilité de considérer comme couple homosexuel un couple hétérosexuel dont chacun des membres avait rempli (par erreur) un questionnaire EHF. Une fois écartées les paires pour lesquelles on peut supposer que les membres sont mariés ensemble et celles pour lesquelles on trouve un autre conjoint possible dans le ménage, aucune des paires restantes n’est réellement susceptible de constituer un couple homosexuel : dans aucune de ces paires l’un des membres ne reconnaît l’autre comme conjoint. L’hypothèse selon laquelle dans certains ménages les deux membres d’un couple hétérosexuel auraient rempli un bulletin EHF n’est donc pas vérifiée.

25Dans le questionnaire EHF, les individus sont interrogés sur les enfants qu’ils ont élevés. Ces enfants peuvent être déclarés comme enfants ou comme beaux-enfants de l’enquêté (enfants d’un conjoint ou d’un ancien conjoint) ; dans les deux cas, l’enquêté doit indiquer la date de naissance de l’enfant et son sexe. On a trouvé 58 paires d’enquêtés EHF de même sexe qui ont au moins un enfant « en commun », c’est-à-dire qu’un membre élève un enfant (ou bel enfant) ayant la même date de naissance et le même sexe qu’un enfant (ou bel enfant) élevé par l’autre membre de la paire. On peut envisager que ces paires forment des « couples homoparentaux », les conjoints ne s’étant pas déclarés en couple mais déclarant élever des enfants en commun.

26Pour deux paires, il existe un doute sur le sexe de l’un des membres. Les autres paires parentales correspondent le plus souvent (43 cas) à une paire composée d’un père et de son fils, ou d’une mère et de sa fille, l’enfant élevé étant soit respectivement petit-enfant et enfant des deux membres de la paire parentale, soit enfant et frère ou sœur. Dans 9 autre cas, l’un des membres de la paire est en couple avec quelqu’un d’autre. Restent quatre paires, dont deux ont déjà été identifiées comme couples homosexuels, l’une de manière certaine et l’autre de manière douteuse. Pour les deux paires restantes, on ne peut trancher, puisque aucun lien – autre que les enfants – ne relie les membres de la paire parentale. Finalement, une à trois paires pourraient s’ajouter aux couples déjà repérés à partir des questions sur la situation conjugale. On retient, outre les 55 couples repérés dans un premier temps, les 8 correspondant à un assouplissement des contraintes de dates de naissance du conjoint, et le couple douteux mais qui élève des enfants en commun, ce qui conduit à 62 couples homosexuels, 29 couples masculins et 33 couples féminins.

27Notons que ces couples sont repérés au recensement comme des paires regroupant la « personne de référence » du ménage et un « ami de la personne de référence », pour tous les couples à l’exception d’un couple masculin et de deux couples féminins, où le partenaire est codé comme « autre parent » de la personne de référence. Mais de telles paires sont très nombreuses, et rien ne dit qu’elles regroupent les conjoints d’un couple : 461 ménages contiennent uniquement deux personnes formant une « paire corésidente de même sexe », dont seuls 52 sont repérées dans l’enquête EHF comme formant un couple homosexuel6. D’après l’échantillon au 20^e du recensement, Digoix, Festy et Garnier (2004) estiment à 76 000 le nombre de ces paires regroupant la « personne de référence » et un(e) ami(e).

IV. – Quelques caractéristiques des couples homosexuels

28Malgré la faiblesse des effectifs, on peut tenter une brève description de ces couples.

1) Presque autant de femmes que d’hommes

29Compte tenu des pondérations de l’enquête, on aboutit à une estimation finale de 10500 couples homosexuels corésidents, dont 6500 couples d’hommes et 4 000 couples de femmes. Chaque couple comprenant deux personnes, on estime donc à 21 000 le nombre de personnes majeures vivant en couple homosexuel, c’est-à-dire recensées dans le même logement et se déclarant en couple l’un(e) avec l’autre à l’enquête EHF.

30Ces 21 000 personnes se répartissent en 13 000 hommes et 8 000 femmes. Pour les femmes, on retrouve l’ordre de grandeur de l’estimation de l’enquête ACSF, mais pour les hommes l’estimation est quatre fois plus faible. La « masculinisation » de la partenaire dans la formulation des questions pourrait être plus acceptable, représenter une violence symbolique moindre que la « féminisation » pour les hommes, le terme « conjoint » étant neutre. Par ailleurs, pour des personnes vivant en couple homosexuel, le fait de se déclarer « en couple » dans une enquête sur les histoires familiales correspond à des enjeux qui ne sont pas nécessairement identiques pour les hommes et pour les femmes. Il est possible que les femmes se sentent davantage concernées que les hommes par une enquête centrée sur la famille, qu’elles fassent passer par ce biais la revendication de reconnaissance d’une certaine normalité sociale. Enfin et surtout, peut-être les couples d’hommes corésidents ont-ils plus souvent deux logements (par exemple si chacun a conservé son logement bien que le couple vive ensemble), ce qui les peut les rendre invisibles à l’enquête EHF, si chaque conjoint a été recensé dans un logement.

2) Des couples plutôt jeunes, le plus souvent sans enfant

31Les membres des couples homosexuels identifiés ont en moyenne 36,5 ans. La différence entre hommes et femmes est faible, environ 0,5 année, mais les hommes ont des âges plus variés que les femmes, nombreuses à être âgées de 30 à 39 ans (tableau 1). La différence d’âge entre les membres d’un couple est d’en moyenne 4,7 ans.

Tableau 1. – Répartition par sexe et âge des personnes vivant en couple homosexuel (%)

32Tous les couples d’hommes repérés dans EHF vivent dans des ménages de deux personnes seulement : ce sont donc des couples isolés, qui n’élèvent pas d’enfants (tableau 2). Seuls 4 % des hommes vivant en couple homosexuel corésident ont élevé par le passé des enfants ou des beaux-enfants (enfants d’un conjoint ou ex-conjoint). À la différence des hommes, il n’est pas rare que les couples de femmes accueillent au sein de leur ménage un ou plusieurs enfants de l’une d’elles (16 %). Les femmes en couple homosexuel vivent cependant beaucoup moins souvent avec des enfants que les femmes en couple hétérosexuel (53 %, et 67 % à âge comparable aux couples homosexuels). L’enquête permet d’estimer à 1 300 le nombre de femmes vivant en couple avec enfant (soit 650 couples sur les 4 000 couples homosexuels féminins).

Tableau 2. – Répartition des couples homosexuels selon la présence d’enfants au sein du ménage (%)

33Dans les couples féminins qui élèvent un ou plusieurs enfants, l’enfant présent est déclaré comme enfant par l’une des femmes, et rarement (une fois sur quatre) comme « enfant du conjoint » par l’autre. On estime à 160 seulement le nombre de couples dans lesquels les femmes déclarent que les enfants présents dans le ménage sont des enfants du couple, c’est-à-dire que les enfants de l’une sont les beaux-enfants de l’autre (et réciproquement, lorsque chacune des femmes a un ou plusieurs enfants).

3) Des couples citadins, des niveaux d’éducation élevés

34Les couples homosexuels vivent plus fréquemment dans les grandes villes (tableau 3) ; la différence semble plus marquée pour les couples masculins, très rares dans les communes rurales et dont la moitié vivent dans l’agglomération parisienne.

Tableau 3. – Répartition selon le lieu de résidence des personnes vivant en couple homosexuel (%)

35Les hommes et les femmes vivant en couple homosexuel ont un niveau d’éducation plus élevé que les personnes vivant en couple hétérosexuel : la moitié des hommes, et les deux tiers des femmes, ont suivi des études supérieures, contre un quart des personnes en couple hétérosexuel (tableau 4). À âge comparable, la différence reste importante : 56 % des personnes en couple homosexuel ont suivi des études supérieures, contre 31 % des personnes de même âge vivant en couple hétérosexuel.

Tableau 4. – Répartition selon le niveau d’études des personnes vivant en couple homosexuel (%)

Conclusion

36Le constat principal réside dans la grande difficulté de compter les couples homosexuels à partir de l’enquête EHF. Tout d’abord le champ est restreint aux couples recensés dans le même logement. Or on sait que les couples stables non cohabitants sont fréquents parmi les couples homosexuels, peut-être aussi nombreux que les couples corésidents (Schiltz 1998, Bochow et al. 2003), alors qu’ils restent très rares parmi les hétérosexuels. De plus des couples corésidents peuvent avoir conservé deux domiciles, chacun des conjoints étant recensé dans un domicile, et cette situation est probablement plus fréquente parmi les couples homosexuels.

37L’enquête confirme des résultats déjà connus sur les couples homosexuels : couples plutôt jeunes, souvent sans enfant, citadins, très diplômés (Spira, Bajos et al. 1993). Cependant, le faible nombre de couples repérés (62) et le fait que l’on ait compté beaucoup moins de couples masculins que prévu interdisent une étude plus poussée, même si les couples féminins semblent moins mal identifiés par l’enquête. Pour le reste, les couples homosexuels corésidents repérés dans l’enquête ne représentent qu’une partie de l’ensemble des couples stables, et les caractéristiques de ces couples traduisent, au moins en partie, une propension à se déclarer dans une telle enquête certainement différenciée socialement. Ainsi l’idéal de vie en couple, revendiqué comme une possibilité concrète surtout par les conjoints homosexuels les plus armés socialement (Adam 1999), est peut-être exprimé plus facilement dans l’enquête par les personnes les plus diplômées, vivant en milieu urbain7.

38La diffusion du Pacs a probablement modifié la légitimité des couples homosexuels corésidents à se déclarer comme tels dans une opération de comptage public comme le recensement. À défaut de statistiques sur le sexe des nouveaux pacsés comme il en existe dans les autres pays légalisant les unions de même sexe (voir par exemple Andersson et al., 2004) l’introduction d’une question spécifique dans le recensement permettrait de repérer les couples homosexuels comme au Canada (Turcotte 2004), avec un risque d’erreur négligeable8. En attendant, seules des enquêtes sur les comportements sexuels permettent de compter les personnes vivant en couple homosexuel. Elles souffrent d’une précision limitée par la taille de l’échantillon, mais elles permettent d’observer également ceux qui échapperaient à une statistique fondée sur la corésidence ou le statut légal, car vivant en couple sans partager un unique logement ou sans être pacsés.