1Traditionnellement deux méthodes sont utilisées pour mesurer la fécondité des étrangères. On peut rapporter les naissances de mères de nationalité étrangère, repérées à l’état civil, à la population étrangère, connue par un recensement (méthode dite « de l’état civil »). On peut également utiliser uniquement le recensement, en reconstituant la fécondité à partir du comptage des jeunes enfants résidant avec leur mère (méthode dite « décompte des enfants au foyer », DEF, own children method en anglais). Dans les deux cas, on calcule des taux de fécondité par âge que l’on additionne pour construire un indice conjoncturel de fécondité des étrangères (Desplanques, 1993 ; Legros, 2003).

2Ces deux types de mesures souffrent de limitations importantes :

• le rapprochement des données de l’état civil et du recensement pose la question de l’homogénéité des données. On sait par exemple que près de 3 % des enfants qui naissent en France ne sont pas « retrouvés » au recensement, les parents étant soit repartis du territoire soit non recensés ;

• les étrangers sont le plus souvent des personnes arrivées récemment en France, dont on décrit la fécondité entre le moment de leur entrée et celui de leur naturalisation ou de leur départ. Si la fécondité des immigrants varie avec la durée de séjour sur le territoire (Andersson, 2001), tout comme la fécondité légitime varie fortement avec l’âge au mariage et la durée de mariage (Pressat, 1973, chapitres 2 et 11), il serait alors justifié de prendre en compte la durée de migration dans l’estimation de leur fécondité ;

• les données de l’état civil ne distinguent pas les enfants de parents « Français de naissance » et ceux dont les parents sont « Français par acquisition », et seule la méthode DEF permet de décrire la fécondité de l’ensemble des immigrés, qu’ils soient étrangers ou devenus français. Mais cette méthode est limitée aux enfants très jeunes (nés peu avant le recensement), qui ont le plus de chances de vivre avec leur mère, et donc aux années précédant immédiatement chaque recensement.

3L’enquête EHF permet plusieurs avancées majeures :

• les informations portent sur l’ensemble des enfants des personnes interrogées, qu’ils soient morts ou vivants, qu’ils résident dans le ménage ou ailleurs. De plus l’information sur la date d’arrivée en France permet de séparer les enfants qui sont nés avant l’arrivée du parent en France de ceux qui sont nés après l’installation et, plus largement, de replacer la naissance de chaque enfant par rapport à l’arrivée du parent en France ;

• l’enquête a été réalisée auprès d’hommes et de femmes. On sait que les modalités de migration sont très différentes pour les hommes et les femmes, le regroupement familial étant un motif de délivrance d’un titre de séjour plus fréquent pour les femmes que pour les hommes (Thierry, 2001). La comparaison entre hommes et femmes est également possible avec la méthode DEF et celle de l’état civil, cependant 6 % des enfants ne sont pas reconnus par le père dans l’année de leur naissance (Beaumel, Kerjosse, Toulemon, 1999), et ces enfants ne sont a fortiori pas recensés à leur domicile ;

• l’information sur la date d’arrivée permet d’analyser la fécondité en fonction de l’âge à l’arrivée et de la durée de séjour en France, limitant ainsi les biais des méthodes classiques1.

4Ce travail a pour but d’analyser précisément la variation de la fécondité selon l’âge à l’arrivée en France et la durée depuis l’arrivée en France2, d’en déduire les biais des méthodes couramment utilisées pour produire des indicateurs synthétiques et de proposer un nouvel indicateur synthétique qui tienne compte de l’âge à la migration et qui permette de distinguer les enfants nés avant ou après la migration. La comparaison entre les hommes et les femmes sera utilisée systématiquement pour proposer un éclairage différent de l’impact des migrations sur la fécondité et pour mettre à l’épreuve les hypothèses faites sur les différents indicateurs possibles.

5Par convention nous distinguerons parmi les personnes résidant en France métropolitaine en 1999 les individus nés en France métropolitaine de ceux nés ailleurs, à l’étranger ou dans un département ou territoire d’outre-mer. Nous appellerons les premiers « natifs » ou « nés en France » et les seconds « immigrants ». L’assimilation des ressortissants des Dom à des immigrants, et l’absence de distinction entre immigrants français de naissance et immigrés (nés à l’étranger, nés de nationalité autre que française) se justifiant ici par le point commun entre tous ces immigrants : ils sont nés hors de France métropolitaine et sont arrivés en France métropolitaine à une date qui est précisée dans le recensement. Leur hétérogénéité sera donc dans cet article négligée, ce travail se focalisant sur l’âge à l’arrivée en France métropolitaine et les variations de la fécondité avec la durée de séjour. Considérer l’arrivée en France métropolitaine comme facteur de définition de notre population « immigrante » découle de l’hypothèse générale selon laquelle le fait de migrer est un élément-clé dans le parcours biographique d’un individu, indépendamment d’autres caractéristiques individuelles3.

6Après avoir donné quelques résultats longitudinaux comparant la fécondité des hommes et femmes immigrants à celle des natifs, nous nous attacherons à décrire les variations de fécondité des immigrants selon l’âge à l’arrivée et la durée de séjour. Nous proposerons enfin un nouvel indicateur synthétique.

7Une analyse détaillée de la fécondité (à partir des données de l’enquête EHF) selon le lieu de naissance, la date d’arrivée en France, la profession des parents, le niveau de diplôme et les caractéristiques du conjoint est l’objet d’un travail en cours, permettant de remettre en cause l’hypothèse d’homogénéité des immigrants retenue dans ce travail exploratoire.

I. – Approche longitudinale : l’histoire féconde de générations d’immigrants

8La comparaison entre immigrants et personnes nées en France peut se faire de manière simple, pour les personnes âgées de plus de 50 ans. Le tableau 1 présente le nombre moyen d’enfants des hommes et des femmes âgés d’environ 50 à 55 ans.

9Les femmes nées entre 1948 et 1952 ont eu en moyenne 2,09 enfants ; les femmes nées en France métropolitaine en ont eu 2,01 en moyenne, soit 0,59 de moins que les immigrantes, qui en déclarent 2,60, dont 1,99 né après l’arrivée en France métropolitaine et 0,61 né avant.

Tableau 1. – Nombre moyen d’enfants à 45 ans des hommes et des femmes ayant environ 50 et 55 ans à la date de l’enquête, selon leur année de naissance et leur lieu de naissance

10Les hommes des mêmes générations ont eu un peu moins d’enfants que les femmes (1,98 enfant en moyenne par homme avant 45 ans), mais, comme pour les femmes, les immigrants ont eu 0,6 enfant de plus (2,48 contre 1,89). Par contre, le nombre d’enfants que les immigrants ont eu avant leur arrivée en France est moitié moindre que pour les femmes (0,28 contre 0,61), et les hommes immigrants ont eu après leur arrivée en France davantage d’enfants que les hommes nés en France au cours de leur vie.

11D’une génération à l’autre, la différence entre immigrants et natifs diminue. Les immigrantes nées vers 1945 ont eu 0,8 enfant de plus que les natives, soit une différence supérieure de 0,2 enfant par femme à celle observée dans la génération née cinq ans plus tard. Le même phénomène se retrouve, atténué, pour les hommes : les immigrants nés vers 1945 ont 0,65 enfant de plus que les hommes nés en France, ceux nés en 1950, 0,58 de plus.

12Ces différences concernent des générations nées à la fin des années quarante, et qui sont arrivées en France dans les années soixante et soixante-dix. Le contraste entre immigrants et natifs diminue pour les générations plus jeunes (figure 1)4, mais elles auront encore des enfants après la date de l’enquête et, pour les personnes nées après 1955, il est trop tôt pour conclure définitivement que la différence de fécondité entre immigrants et personnes nées en France diminue, d’autant plus que pour les générations récentes certains (futurs) immigrants ne sont pas encore arrivés en France (Toulemon, Mazuy, 2004).

Figure 1. – Différence entre le nombre moyen d’enfants en 1999 des immigrants et des natifs selon le sexe et l’année de naissance. Hommes et femmes nés entre 1920 et 1980

13Le recours à des indices transversaux s’impose, mais se heurte à une difficulté très particulière pour les immigrants : par définition, les immigrants ne sont « observables » qu’après leur arrivée en France.

II. – Les variations de la fécondité avec l’âge, la durée de séjour et l’âge à l’arrivée

14Avant de voir comment construire des indices transversaux synthétiques permettant une comparaison entre immigrants et personnes nées en France, nous allons tout d’abord décrire les variations de la fécondité selon l’âge des personnes et leur durée de séjour en France, à l’aide de modèles de régression, différents pour chaque sexe, afin de comparer l’impact de la migration sur la fécondité des hommes et des femmes.

15Pour distinguer les effets d’âge et de durée depuis l’arrivée en France, nous avons construit des modèles de régression dans lesquels le taux de fécondité est supposé dépendre de l’âge, de la durée depuis l’arrivée en France, et de la période d’observation56.

16Par souci de simplicité, nous n’utilisons pas ici l’information sur le lieu de naissance des enfants, bien que cette information soit disponible dans l’enquête7.

1) La surfécondité féminine est forte dans les années qui suivent la migration…

17Le premier modèle confirme la forte surfécondité des femmes dans les années qui suivent l’arrivée en France (Desplanques, Isnard, 1993). Par rapport aux femmes de même âge nées en France, le taux de fécondité des femmes immigrantes est maximal au cours de l’année qui suit l’arrivée en France. Le rapport des chances8 (odds ratio) dépasse la valeur très élevée de trois (figure 2a).

18La migration à l’âge adulte pour les femmes est souvent liée au regroupement familial, ce qui explique la forte fécondité pour les années qui suivent la migration. Au fur et à mesure que l’arrivée en France est plus ancienne, la fécondité diminue jusqu’à devenir très proche de celle des femmes nées en France, pour les femmes arrivées depuis une vingtaine d’années.

19Cette surfécondité des femmes est davantage marquée pour les années postérieures à 1975 : à toutes les durées après l’arrivée en France, la surfécondité des immigrantes est plus marquée au cours des années récentes que pour les années plus anciennes. Cela peut s’expliquer par la baisse de la fécondité en France, qui a eu pour effet d’accentuer les écarts entre immigrantes et natives. La comparaison avec les femmes nées en France ne doit pas faire oublier la forte baisse de la fécondité à la fin du baby boom : un même odds ratio correspond à des différences plus faibles en termes d’enfant par femme si la fécondité des femmes nées en France est elle-même plus faible.

20Un autre résultat paraît important à noter : la fécondité des immigrantes dans les années qui ont précédé l’arrivée en France est très proche de celle des natives, soit probablement plus faible que dans le pays d’origine. On comprend bien les raisons qui induisent une brusque hausse de la fécondité à la suite de l’arrivée en France, mais il peut sembler paradoxal que la fécondité des immigrantes avant l’arrivée en France soit proche de la fécondité des femmes nées en France, tandis que leur fécondité après l’arrivée en France lui est supérieure, et probablement plus proche de celle des pays d’origine des immigrantes. On peut proposer différentes explications à cette basse fécondité des immigrantes avant l’arrivée en France : soit les femmes sans enfant migrent davantage (hypothèse de sélection), soit elles attendent l’arrivée en France pour avoir des enfants (hypothèse d’anticipation).

21Une première limite doit être évoquée ici : seules sont observées les femmes qui sont encore en France au moment de l’enquête. Si le départ de France dépend du nombre d’enfants, l’observation rétrospective est biaisée. Par exemple si les femmes les moins fécondes (notamment celles qui n’ont pas eu d’enfant) ont davantage tendance à quitter le territoire, la fécondité passée sera surestimée, d’autant plus que les années sont anciennes. À l’inverse si les femmes ayant conservé un comportement « traditionnel » lié à une forte fécondité repartent plus souvent, les mesures de la fécondité à partir de l’observation des seules femmes restées en France conduiront à sous-estimer la fécondité de l’ensemble des immigrantes.

Figure 2. – Fécondité relative des femmes et hommes immigrants par rapport aux femmes et hommes nés en France, à âge et année comparables

2) … alors que pour les hommes, elle est plus tardive et étalée

22La même comparaison faite pour les hommes montre des contrastes très différents : la fécondité augmente progressivement après l’arrivée en France, le rapport des chances étant maximal longtemps après l’arrivée en France, pour des durées entre 5 et 15 ans. À partir de 7 ou 8 ans de séjour en France, la surfécondité des immigrants devient plus prononcée pour les hommes que pour les femmes (figure 2b).

23On sait que pour les hommes les années qui suivent l’arrivée en France sont souvent des années d’accumulation de capital, la mise en couple survenant après quelques années de séjour. Le croisement des années de mise en couple et d’arrivée des deux conjoints permet de repérer des couples formés alors que l’un des conjoints (l’homme) vivait déjà en France tandis que sa conjointe vivait encore à l’étranger, cette dernière arrivant en France pour avoir les enfants du couple. Néanmoins, l’inclusion de la situation de couple dans le modèle ne modifie que très peu les résultats présentés sur les figures 2a et 2b : la surfécondité des immigrants et ses variations selon la durée de séjour se retrouvent pour les immigrants vivant en couple. Pour les hommes comme pour les femmes, la fécondité avant migration est proche de celle des personnes nées en France.

24Pour les hommes comme pour les femmes, la surfécondité après 20 ans de séjour (pour la période postérieure à 1975) n’est pas négligeable, et elle augmente même pour les femmes. Cette surfécondité se produit à des âges élevés, où la fécondité est faible. En termes relatifs le contraste apparaît alors plus important, même si en termes absolus les différences sont faibles.

25Les figures 2a et 2b présentent des contrastes estimés dans le cadre d’un modèle « sans interaction » entre l’âge et la durée de séjour en France : nous avons fait l’hypothèse que la surfécondité des immigrants variait avec le sexe et la durée de séjour, mais qu’elle était la même à tout âge. Cette hypothèse, si elle est utile pour une première approche, ne résiste cependant pas à une analyse plus approfondie.

26Tout d’abord, elle peut être testée, et elle est fortement rejetée par un test statistique. Ensuite, les variables « âge », « âge à l’arrivée en France » et « durée depuis l’arrivée en France » sont liées par une relation fonctionnelle, la dernière étant calculée comme la différence des deux premières. Enfin, le champ de définition de ces variables est limité : par exemple, on ne pourra observer la fécondité d’une personne arrivée en France à l’âge de 5 ans qu’à des durées de séjour en France de 10 ans ou davantage (entre 10 et 55 ans de séjour), tandis qu’une personne arrivée à 35 ans n’aura plus guère d’enfant 25 ans après son arrivée, et sa fécondité se sera déroulée à des « durées de séjour » situées entre -20 et 15 ans.

27Pour résoudre ces difficultés, nous avons effectué un certain nombre de régressions selon l’âge d’arrivée en France. Huit groupes d’immigrants d’effectifs comparables sont ainsi construits selon l’âge lors de l’arrivée en France : de 0 à 4 ans, de 5 à 13, de 14 à 19, de 20 à 22, de 23 à 25, de 26 à 30, de 31 à 35, à 36 ans ou plus9. Pour chaque groupe d’immigrant(e)s, les personnes nées à l’étranger sont comparées à celles nées en France à l’aide d’une régression spécifique incluant la durée depuis l’arrivée en France, ce qui permet de décrire des différences de fécondité variables avec la durée de séjour. Nous avons restreint l’observation aux années 1975 et suivantes, pour nous affranchir partiellement de la sélection différentielle par départ de France.

3) La surfécondité selon la durée de séjour dépend de l’âge d’arrivée

a) Pour les femmes : une surfécondité très marquée juste après l’arrivée en France

28La hausse de la fécondité dans l’année qui suit l’arrivée en France s’observe quel que soit l’âge à l’arrivée, mais la chute aux durées supérieures à 1 an ne concerne que les femmes arrivées entre 14 et 22 ans. Les femmes arrivées avant 14 ans ont une fécondité très proche de celles des natives ; celles arrivées après 22 ans ont une surfécondité moins marquée la première année, mais qui se prolonge aux durées plus longues, comme si c’était l’âge, plutôt que la durée depuis l’arrivée en France, qui déterminait leur spécificité (figure 3a)10.

29Quel que soit l’âge à la migration, la fécondité est faible avant l’arrivée en France, sauf aux âges très jeunes où les contrastes ne concernent que des fécondités très basses. La surfécondité aux âges élevés, après l’arrivée en France, est d’autant plus marquée que l’arrivée en France est tardive.

30Nous obtenons un schéma global relativement simple : la surfécondité qui suit immédiatement l’immigration est la plus marquée pour les femmes arrivées entre 14 et 22 ans ; elle diminue ensuite tout en restant non négligeable jusqu’à dix ou quinze ans après l’arrivée en France. Pour les femmes arrivées après 22 ans, la fécondité est augmentée par le fait que les femmes ont en France les enfants qu’elles n’ont pas eus avant l’immigration, et ce « rattrapage » a lieu sans grande relation avec la fécondité des natives. Une différence de fécondité à peu près constante ou diminuant lentement avec la durée de séjour se traduit par une augmentation du « risque relatif » avec la durée (ou l’âge) dans le modèle logistique.

31La baisse de la surfécondité des immigrantes avec la durée de séjour, observée sur la figure 2, provient donc en grande partie de la corrélation entre durée de séjour et âge à l’arrivée en France : les femmes observées à de longues durées de séjour en France sont plus souvent arrivées jeunes. Comme les femmes arrivées jeunes n’ont pas une fécondité supérieure à celle des natives, on observe une baisse de la fécondité avec la durée de séjour en France. Quel que soit l’âge à l’arrivée en France, et en particulier pour les femmes arrivées après 25 ans, la différence de fécondité avec les femmes nées en France diminue lentement, et le rapport de leur fécondité à celle des natives augmente avec la durée de séjour.

Figure 3. – Fécondité relative des femmes et hommes immigrants par rapport aux femmes et hommes nés en France, à âge et année comparables pour divers âges à l’arrivée en France. Années 1975 à 1998

32La comparaison de la fécondité des immigrantes à celle des femmes nées en France nous conduit donc à quatre conclusions :

• avant l’arrivée en France, les immigrantes ont une fécondité très proche, voire inférieure, à celles des femmes nées en France ;

• dans l’année qui suit l’arrivée en France, la fécondité des immigrantes est très élevée ;

• cette surfécondité se prolonge pendant une durée assez longue. Les modèles logistique ou log-linéaire conduisent à considérer la surfécondité aux durées longues (ou aux âges élevés) comme très importante, la modélisation additive (par différence) rendant mieux compte du comportement des immigrantes, au moins pour les dix premières années de séjour ;

• les femmes arrivées avant 13 ans, dont nous pouvons supposer qu’elles sont arrivées en France avec leurs parents, et sans perspective de mise en couple immédiate, ont un comportement de fécondité très proche de celui des femmes nées en France.

33La fécondité des immigrantes est représentée plus concrètement à l’aide des taux estimés de fécondité selon l’âge, pour chaque groupe repéré par l’âge à l’arrivée en France (figures 4a).

b) Pour les hommes : une surfécondité plus progressive après l’arrivée en France

34La fécondité avant la migration apparaît souvent inférieure à celle des hommes nés en France : c’est le cas pour les hommes arrivés entre 26 et 30 ans ou entre 31 et 35 ans. La fécondité augmente progressivement après l’arrivée en France au fur et à mesure que la durée de séjour augmente (figure 3b). Les hommes arrivés entre 14 et 19 ans font exception à cette règle, mais la fécondité des hommes nés en France étant très faible avant 20 ans cet effet n’a guère d’impact sur leur fécondité totale. Comme pour les femmes, la surfécondité aux âges élevés est d’autant plus marquée que l’arrivée en France est tardive. La baisse de la surfécondité avec la durée de séjour n’apparaît pas du tout pour les hommes :

35Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés en décrivant le comportement des femmes migrantes se retrouvent partiellement pour les hommes :

• plus encore que les femmes, les hommes immigrants ont une fécondité faible avant leur arrivée en France. La fécondité des hommes immigrants augmente progressivement après l’immigration, la différence avec les hommes nés en France restant élevée pour des durées de séjour situées entre 5 et 15 ans. Ce phénomène s’explique sans doute également par le regroupement familial qui peut intervenir pour les hommes plusieurs années après leur arrivée en France, quand ils ont les moyens d’accueillir leur famille sur le territoire ;

• les hommes arrivés avant 13 ans ont, comme les femmes, un comportement de fécondité très proche de celui des personnes nées en France.

Figure 4. – Fécondité des hommes et des femmes immigrants et des hommes et des femmes nés en France, à année comparable pour divers âges à l’arrivée en France. Années 1975 à 1998

36Nous avions émis l’hypothèse selon laquelle l’observation de la fécondité des étrangères (qui sont souvent des immigrantes récentes), comme la pratique l’Insee (Legros 2003), serait biaisée si la fécondité était surtout élevée dans les années qui suivent l’arrivée en France. En fait, c’est plutôt le résultat selon lequel la fécondité diminue avec la durée de séjour en France qui peut être remis en question. La méthode de décompte des enfants au foyer permet de distinguer au recensement les femmes selon qu’elles résidaient déjà en France métropolitaine au recensement précédent ou non, information présente de longue date dans les recensements. Elle permet de mettre en évidence une fécondité plus élevée pour les femmes arrivées récemment, et plus faible pour les femmes résidant déjà en France lors du recensement précédent. Mais cette différence doit beaucoup au fait que ce dernier groupe inclut des femmes arrivées plus jeunes, y compris des femmes arrivées enfants, dont la fécondité est très proche de celles qui sont nées en France11.

III. – Vers un nouvel indicateur synthétique de fécondité des immigrants

37La prise en compte de l’âge à l’arrivée en France permet donc non seulement de décrire les variations de la fécondité avec la durée de séjour, mais surtout de séparer des groupes aux comportements de fécondité très différents. De plus, elle permet de distinguer les enfants nés avant ou après l’immigration. Nous allons voir maintenant comment construire un indicateur synthétique de fécondité qui tienne compte de cette distinction et qui inclue explicitement l’âge à la migration et la durée depuis la migration, en plus de l’âge.

38Pour cela nous allons distinguer des grandes périodes de 8 ans, de 1959- 1966 à 1991-1998. Nous allons présenter en détail notre méthode sur les données de la dernière période, 1991-1998.

1) Enfants nés avant la migration, enfants nés après

39Pour les enfants nés après la migration, il est possible de construire des taux de fécondité qui tiennent compte de la durée depuis la migration et de l’âge à l’arrivée en France métropolitaine. Par contre, on ne peut pas calculer d’indicateurs transversaux pour les enfants nés avant la migration, car on ne connaît pas les futurs immigrants. Une solution consiste à observer les migrants au moment de leur arrivée et à compter le nombre d’enfants déjà nés jusqu’à la migration, selon l’âge à la migration. On peut ensuite additionner les enfants nés avant l’arrivée en France et ceux nés après pour définir une fécondité totale des immigrants, pour chaque âge à la migration. Enfin, la comparaison avec les personnes nées en France se fait à partir d’un indicateur synthétique qui reconstruit une cohorte d’immigrants associée à une distribution des âges à la migration, et un groupe de personnes nées en France de même structure par âge que les immigrants au moment de leur arrivée en France.

40Le schéma 1 résume le raisonnement sur un diagramme de Lexis, où le temps est placé en abscisse et l’âge en ordonnées : pour les personnes arrivant en France à l’âge x en t, on connaît le nombre d’enfants qu’elles ont eus avant la migration (segment en trait épais continu sur le schéma 1). Pour les âges x₁ supérieurs à x, on peut estimer la fécondité après l’arrivée en France en observant la fécondité à l’âge x₁ à la date t des immigrants arrivés en France à l’âge x avant la date d’observation, à la date t₁ = t + x – x₁ (segment en trait épais pointillés). Les futurs immigrants ne sont pas connus. On ne connaît donc pas la fécondité qu’ont à la date t les futurs immigrants âgés de x₂ (et qui entreront en France à l’âge x à la date t₂ = t + x – x₂), ce qui interdit de construire un indice transversal de fécondité avant migration. L’indicateur proposé est donc hybride, longitudinal jusqu’à l’âge x et transversal pour les âges supérieurs à x.

Schéma 1. – Comment mesurer la fécondité des immigrants arrivés en France à l’âge x à la date t

2) Les enfants nés avant la migration selon l’âge à l’arrivée en France

41La première étape consiste donc à observer les immigrants au moment de leur arrivée en France et à compter le nombre d’enfants qu’ils ont déjà eus à ce moment-là. La figure 5a représente le nombre d’enfants déjà eus au moment de la migration, des femmes arrivées en France au cours des années 1991, selon leur âge à la migration. Sur ce graphique figure également, à titre de comparaison, le nombre d’enfants des femmes nées en France, observées au cours des années 1991 à 1998 à chaque âge (descendance partielle jusqu’à l’âge considéré)12. À tout âge entre 22 et 36 ans les femmes immigrantes ont moins d’enfants au moment de leur arrivée en France que les femmes de même âge nées en France. Cette fécondité moindre des immigrantes est d’autant plus remarquable que certaines d’entre elles viennent de pays où la fécondité est supérieure à celle de la France. Les explications déjà évoquées (difficulté de migration pour les mères, anticipation de la migration qui incite à ne pas avoir d’enfants) pourraient être affinées en décrivant la fécondité au sein de groupes plus homogènes d’immigrantes. Pour les femmes arrivées à 37 ans ou après, à l’inverse, le nombre d’enfants déjà nés au moment de la migration est supérieur à celui des femmes de même âge nées en France.

3) Les enfants nés après la migration selon l’âge à l’arrivée en France

42Considérons les femmes arrivées en France à un âge x à la date t. Pour les âges x₁ qui suivent l’immigration, nous pouvons calculer des taux de fécondité par âge des immigrantes arrivées à l’âge x et observées à la date t à l’âge x₁ (soit à la durée d = x₁ – x). En additionnant ces taux nous définissons un nombre d’enfants à naître après une migration à l’âge x (schéma 1). C’est cette fécondité à naître après la migration qui est présentée sur la figure 5b, également pour les années 1991 à 1998. Pour chaque âge nous avons également représenté le nombre d’enfants à naître d’après les taux de fécondité par âge des femmes nées en France (somme partielle des taux à partir de l’âge considéré et jusqu’à 50 ans).

43Les immigrantes arrivées l’année de leur naissance (à l’âge 0) ont une fécondité très proche de celle des femmes nées en France. Puis, pour les femmes arrivées avant 13 ans, la fécondité est légèrement supérieure à celle des natives (de l’ordre de 0,3 enfant en moyenne). Pour les femmes arrivées en France à 13 ans ou davantage, la fécondité est nettement plus élevée : la différence avec les femmes de même âge nées en France s’établit à environ 0,8, puis diminue pour les femmes arrivées après l’âge de 31 ans.

44La figure 6 rassemble les courbes des figures 5a et 5b, et présente également la somme des enfants déjà nés et à naître des femmes immigrantes selon l’âge à l’arrivée en France. Cette somme représente le nombre total d’enfants qu’ont les immigrantes au cours de la vie, enfants déjà nés au moment de la migration ou à naître après. Nous avons rajouté les indices équivalents pour les femmes nées en France : enfants déjà nés, enfants à naître et nombre total d’enfants pour des femmes nées en France de chaque âge.

45Pour les femmes nées en France, la somme des enfants déjà nés et des enfants à naître varie de 1,6 enfant par femme pour les femmes de moins de 15 ans à 2,1 enfants pour les femmes de 50 ans. Cette variation tient au caractère hybride de cet indice : pour les âges jeunes la plupart des enfants sont encore à naître et l’indice est transversal, il correspond à un indice conjoncturel de fécondité fondé sur les taux de la période d’observation. À l’inverse, pour les âges élevés la plupart des enfants sont déjà nés, et l’indice se rapproche donc de la descendance finale, qui mesure le nombre d’enfants nés au cours des années passées.

Figure 5a. – Nombre d’enfants des femmes immigrantes au moment de leur arrivée en France (Immigrantes avant) et nombre d’enfants des femmes nées en France de même âge (Natives avant). Années 1991 à 1998

Figure 5b. – Fécondité des femmes immigrantes après leur arrivée en France (Immigrantes après) et nombre d’enfants à naître des femmes nées en France de même âge (Natives après). Années 1991 à 1998

Figure 6. – Fécondité des femmes immigrantes selon l’âge à l’arrivée en France et des femmes nées en France. Années 1991 à 1998

46Pour les immigrantes, la fécondité varie avec l’âge à l’arrivée en France selon une autre logique plus directement liée aux conditions de l’arrivée en France : la distinction principale sépare les femmes, arrivées avant 13 ans, dont la fécondité s’établit aux alentours de 1,9 enfant, à celles arrivées plus tard pour lesquelles l’indice vaut environ 2,3 enfants par femme.

47Les contrastes entre immigrantes selon l’âge à l’arrivée en France et femmes nées en France apparaissent mieux sur la figure 7 qui présente à chaque âge les différences entre d’une part les indices de fécondité avant migration, après migration et totale pour les immigrantes et, d’autre part, les indices équivalents pour les femmes nées en France. Quel que soit l’âge à l’arrivée en France, les immigrantes ont une fécondité totale supérieure à celle des femmes nées en France, mais la différence varie considérablement avec l’âge à l’arrivée en France. Faible pour les femmes arrivées avant 13 ans, la différence avec les femmes nées en France est maximale pour les femmes arrivées à 18 ans (entre 14 et 21 ans), et dépasse 0,8 enfant par femme en moyenne ; pour les âges à l’arrivée en France plus élevés, la fécondité après la migration reste largement supérieure, mais la fécondité avant la migration est plus faible, et la fécondité totale se rapproche de celle des femmes nées en France ; enfin, pour les femmes arrivées après 35 ans, surfécondité avant et après la migration s’ajoutent, la différence totale variant autour de 0,3 enfant en plus, avec des fortes variations dues aux faibles effectifs (les immigrantes étant rares à ces âges).

Figure 7. – Différence entre la fécondité des femmes immigrantes selon l’âge à l’arrivée en France et des femmes nées en France de même âge. Années 1991 à 1998

4) Une surfécondité plus marquée pour les hommes

48Le schéma est très similaire pour les hommes, la différence avec les natifs étant plus importante et répartie sur davantage d’âges à l’arrivée en France : près d’un enfant en plus en moyenne pour les hommes arrivés entre 17 et 37 ans (figure 8). Par rapport aux périodes précédentes, la différence entre la fécondité des immigrants et celles des personnes nées en France diminue, surtout aux âges élevés (Toulemon, Mazuy, 2004). Nous allons maintenant voir comment construire une synthèse de ces courbes pour proposer un indice de fécondité des immigrant(e)s.

5) Des immigrants plus âgés dans les années quatre-vingt-dix ?

49Pour chaque âge à l’arrivée en France, nous disposons d’un indicateur de fécondité totale, somme des enfants déjà nés au moment de la migration et des enfants à naître après la migration, et d’indices comparables pour les personnes nées en France. La construction d’un indice synthétique repose alors sur une moyenne de ces indices, chaque âge à l’arrivée étant affecté d’un certain poids. Nous proposons ici de pondérer ces indices par la distribution des immigrants de chaque période considérée selon l’âge à l’arrivée.

Figure 8. – Différence entre la fécondité des hommes immigrants selon l’âge à l’arrivée en France et des hommes nés en France de même âge. Années 1991 à 1998

50Comme seuls sont observés les immigrants de chaque période qui sont encore présents en France au moment de l’enquête, nous ne connaissons que la structure par âge de ceux qui sont restés en France jusqu’à la date de l’enquête. Les changements observés doivent donc être interprétés avec la plus grande prudence. Les femmes récemment arrivées en France (entre 1991 et 1998) sont arrivées plus âgées en moyenne que celles qui sont arrivées avant 1990, et il en va de même pour les hommes (Toulemon, Mazuy, 2004). On pourrait comparer les femmes arrivées avant 1990 observées aux recensements de 1990 et de 1999, pour étudier le risque de départ entre deux recensements et la manière dont il varie avec diverses caractéristiques des femmes. On sait que les femmes arrivées jeunes restent plus souvent en France que celles qui sont arrivées à des âges plus élevés (Mesrine, Thave, 1999). Mais en l’absence d’études plus précises sur les comportements de « retour » des immigrants nous ne pouvons que faire l’hypothèse selon laquelle les immigrants présents en 1999 ont eu le même comportement de fécondité que ceux qui ne sont pas restés en France13.

6) Vers un indicateur synthétique

51En appliquant les structures par âges des hommes et femmes immigrants au cours de la période d’étude (Toulemon, Mazuy, 2004) aux nombres d’enfants nés avant ou après la migration (représentés pour les femmes sur la figure 6), nous obtenons des nombres moyens d’enfants nés avant et après la migration pour les immigrants et des indicateurs comparables pour les non-migrants, qui correspondent aux nombres d’enfants déjà nés et encore à naître pour un groupe de personnes nées en France et de même structure par âge que les immigrants. La figure 9 montre que la fécondité des immigrants a décru pour les hommes comme pour les femmes, pour s’établir à 2,2 enfants par femme immigrante et 2,3 enfants par homme immigrant, à comparer à 1,7 enfant par femme née en France et 1,6 enfant par homme. Le nombre d’enfants nés avant la migration est très proche de celui qu’ont au même âge les personnes nées en France, et à peu près constant, 0,4 pour les hommes et 0,6 pour les femmes. Pour ces dernières, le nombre moyen d’enfants nés avant la migration diminue malgré l’âge croissant à l’immigration.

52La baisse de la fécondité des immigrants porte surtout sur les enfants nés après l’arrivée en France, et au total les femmes arrivées en France entre 1991 et 1998 auraient 2,2 enfants en moyenne, contre 3,3 pour les femmes arrivées en 1959-1966. Cette baisse de la fécondité des immigrantes a été plus progressive que la baisse de la fécondité des femmes nées en France ; ainsi la différence entre immigrantes et femmes nées en France a été maximale pour les femmes arrivées entre 1975 et 1982, tandis que pour les hommes la différence entre immigrants et nés en France a culminé en 1983-1990. Pour la période 1991-1998, la fécondité des femmes immigrantes dépasse celle des femmes nées en France de 0,5 enfant en moyenne, la différence pour les hommes atteignant 0,7 (figure 10).

7) Comparaison de trois méthodes fondées sur les mêmes données

53Le tableau 2 présente trois estimations de la fécondité des immigrants issues des deux méthodes décrites en introduction auxquelles nous avons rajouté la méthode proposée ici. Toutes trois sont fondées sur les données de l’enquête EHF pour les années 1991-1998. Aucune ne tient compte du fait que les immigrants ne restent pas tous en France, et toutes utilisent les réponses des personnes présentes en France en 1999. La première, fondée sur les taux par âge, estime la fécondité à chaque âge comme le rapport du nombre de naissances au nombre de « personnes années » vécues en France. Nous avons comptabilisé ici uniquement les naissances survenues après la migration, sans utiliser l’information sur le lieu de naissance, pour renforcer la cohérence du calcul des taux, tandis que dans la méthode habituelle aucune cohérence n’est assurée entre les données sur les naissances (qui proviennent de l’état civil) et celles sur les populations (qui découlent du recensement)14.

Figure 9. – Indice conjoncturel de fécondité des immigrants et des personnes nées en France. Nombre d’enfants nés avant l’arrivée en France (Immigrants avant), à naître après l’arrivée en France (Immigrants après) et total (Immigrants total), et nombres équivalent pour des personnes nées en France, de même âge que les immigrants (Natifs avant, Natifs après Natifs total). Années 1959-1966 à 1991-1998

Figure 10. – Différence de fécondité entre immigrants et natifs. Années 1959-1966 à 1991-1998

54La deuxième, correspondant au décompte des enfants au foyer, se fonde sur l’ensemble des années 1991 à 1998, qu’elles aient été vécues en France ou ailleurs avant l’arrivée en France. Contrairement aux calculs fondés habituellement sur cette méthode, qui comptent uniquement les enfants présents dans le ménage, nous incluons ici l’ensemble des enfants nés au cours de cette période15.

Tableau 2. – Nombre moyen d’enfants des immigrants arrivés au cours des années 1991 à 1998 et comparaison avec les personnes nées en France. Estimations fondées sur trois méthodes différentes

55Enfin, la troisième méthode, celle que nous préconisons ici, tient compte explicitement, en plus de l’âge, de l’âge lors de l’arrivée en France (ou, ce qui revient au même, de la durée de séjour en France). Elle n’est pas uniquement « transversale » puisqu’elle se fonde, pour les enfants nés avant l’arrivée en France, sur une estimation longitudinale. Mais la plupart des enfants d’immigrants naissent après l’arrivée en France (plus des trois quarts même pour les immigrants récents, et davantage pour les immigrants plus anciens, figure 9) et la principale différence avec les méthodes précédentes porte bien sur la prise en compte de l’âge à l’arrivée en France, qui permet de reconstituer une cohérence globale en termes d’histoire migratoire, tandis que les autres méthodes construisent des « générations fictives » d’immigrantes qui passent leur vie à arriver en France : à chaque âge se rajoutent de nouveaux immigrants, dans des proportions inconnues.

56Pour les femmes nées en France métropolitaine, les deux premières méthodes sont identiques, et conduisent à une estimation de 1,62 enfant par femme. Avec la troisième méthode, qui additionne les enfants à naître et les enfants déjà nés d’un groupe de même structure par âge que les immigrantes de ces années-là, nous estimons la fécondité des femmes à 1,73. Pour les femmes nées hors de France métropolitaine et arrivées entre 1991 et 1998, la méthode des taux fournit une estimation de 2,34 enfants par femme en moyenne ; avec la méthode du décompte des enfants au foyer, qui inclut les années passées avant l’arrivée en France, l’estimation n’est plus que de 2,21, soit 0,13 enfant de moins en moyenne. Enfin, la méthode par âge à l’arrivée en France fournit une estimation très proche, 2,20 enfants par femme. D’une part l’inclusion de l’âge à l’arrivée en France diminue l’estimation, puisqu’elle tient compte du fait que les femmes ne sont pas toute leur vie des « immigrantes récentes » et, d’autre part, l’aspect partiellement longitudinal de cette méthode relève l’estimation, comme pour les femmes nées en France.

57D’après ces trois méthodes, les femmes immigrantes ont une fécondité plus élevée que les femmes nées en France. La différence, estimée à 0,47 enfant de plus avec la méthode par âge à l’arrivée, apparaît comme plus importante avec la méthode du décompte des enfants au foyer (0,58) et, surtout, avec la méthode des taux : 0,72 enfant de plus en moyenne, soit une surestimation de moitié de la différence avec les femmes nées en France, en considérant que la méthode par âge à l’arrivée est celle qui estime le mieux la surfécondité des immigrantes.

58La fécondité est beaucoup moins fortement liée à la migration pour les hommes que pour les femmes, au sens où la fécondité des hommes augmente progressivement après l’arrivée en France. Il en résulte que les estimations de la fécondité des hommes immigrants sont moins variables d’une méthode à l’autre. Pour les hommes nés en France, nous observons les mêmes différences d’une méthode à l’autre que pour les femmes et, au total, l’estimation de la surfécondité des hommes est moins sensible que celle des femmes à la méthode employée. Elle est aussi plus importante : de 0,69 à 0,80 enfant de plus pour les hommes immigrants, par rapport aux hommes nés en France.

59Cette différence entre hommes et femmes doit être interprétée avec précaution, en l’absence d’information sur les départs de France et la manière dont ils sont influencés par la fécondité. Supposons par exemple que les personnes sans enfant soient plus nombreuses à « retourner » dans leur pays d’origine que celles qui ont eu des enfants en France, qui s’installeraient plus fréquemment définitivement en France. Il en résulterait une surestimation de la fécondité des « immigrants » à partir des enquêtes rétrospectives. Si l’infécondité était plus fréquente parmi les hommes immigrants que parmi les femmes, ou si les hommes immigrants sans enfant quittaient le territoire plus souvent que les femmes immigrantes sans enfant, relativement aux autres immigrants, la fécondité des hommes serait davantage surestimée.

60Mais beaucoup d’autres facteurs incitent à la prudence dans l’interprétation. Tout d’abord, la population immigrante est très hétérogène, et l’on peut effectuer de tels calculs en fonction du pays de naissance, de la profession des parents, deux variables disponibles dans l’enquête. Une autre étude de la fécondité des femmes immigrées selon le pays de naissance a été effectuée (Toulemon, 2004). Ensuite, il faudrait tenir compte de l’histoire conjugale et des caractéristiques des deux conjoints, et repérer la place de la naissance des enfants par rapport à la date d’arrivée en France – ou les dates d’arrivée en France – des deux parents.

61Le travail présenté ici porte sur une variable particulière, l’âge à l’arrivée en France (ou la durée de séjour) dont la prise en compte paraît nécessaire, en plus de l’âge, pour décrire la fécondité des immigrants. En ne l’intégrant pas dans la construction des indicateurs synthétiques de fécondité, les méthodes habituelles conduisent à surestimer la fécondité des immigrants. Mais les immigrants forment un groupe très divers, et l’année d’arrivée en France est une variable parmi les nombreuses informations disponibles dans l’enquête.