1À l’image de tous les pays d’Europe, la France est, depuis les années 1960, traversée par un mouvement de diversification des formes de vie commune. Les indicateurs de cette évolution sont à la fois sociologiques, démographiques et juridiques. Des transformations au niveau des comportements ont remis en cause le mariage-institution, modèle fondé sur des rôles sexués et longtemps la seule forme légitime d’organisation de la vie privée. Le recul de la nuptialité (Bozon, 1991), l’essor de la cohabitation (Toulemon, 1996), des naissances hors mariage (Munoz-Pérez et Prioux, 1999) ainsi que l’augmentation du nombre de divorces et de célibataires (Prioux, 2006) sont les principaux indicateurs de la diminution de l’emprise de ce modèle. Sur un plan juridique, les politiques qui encadrent la vie privée, dans leur versant « droit civil » sont également l’expression d’une diversification des formes de vie commune. Les transformations législatives substituent l’autorité parentale à la puissance paternelle (1970) et envisagent le partage de cette dernière (2002) ; elles diversifient les modalités du divorce (1975) et instaurent la possibilité d’une rupture unilatérale (2005) ou encore, organisent la réforme relative au choix du patronyme (2005). Historiquement, la diversification des formes de vie commune s’inscrit dans une redéfinition d’un « contrat de genre plus égalitaire et plus contractuel » (Théry, 1998), qui témoigne d’un processus d’individualisation (de Singly, 2003) et de démocratisation (Giddens, 1992), dans lequel les individus ont une plus grande marge de manœuvre pour définir les termes de leur vie privée et notamment les femmes, qui étaient encore sous la dépendance entière de leur mari, il y a quelques dizaines d’années dans le cadre du mariage-institution1.

2Créé en 1999 et destiné à la fois aux couples de même sexe et aux couples de sexes différents, le pacte civil de solidarité2 – le Pacs –, s’inscrit dans ce mouvement, tant sur un plan juridique qu’en termes de comportements démographiques du fait de son essor quantitatif, très net depuis l’année 2001. En 2008, sur 420000 unions instituées juridiquement, un tiers l’était par le Pacs (sources de l’Insee et du ministère de la Justice, sous-direction de la Statistique, des Études et de la Documentation)

3Symbole de la légalisation du couple de même sexe, il s’inscrit aussi dans l’évolution des rapports sociaux de sexe puisqu’il est caractérisé par la mise en retrait d’une « différence des sexes » qui fondait jusqu’alors la reconnaissance juridique du couple3. De son côté, le mariage est aujourd’hui davantage considéré comme une possibilité que les individus choisissent ou non de mobiliser pour encadrer le couple et la famille, tandis que certains se maintiennent durablement à l’écart de toute forme d’institutionnalisation.

4Dans ce contexte, on peut se demander si les diverses formes d’union renvoient à des rapports distincts à un « ordre sexué » (Sénac-Slawinski, 2007). Par cette expression, on abordera l’adhésion ou le rejet par les personnes enquêtées d’une organisation sociale qui repose sur l’idéologie de la « différence des sexes » et qui assigne aux individus des rôles sociaux distincts en fonction de leur sexe et à celle, qui lui est étroitement liée, de « complémentarité » des sexes. Il s’agit donc de mettre en relation des formes d’union et l’attachement à des positions sexuées. Le fait de se marier ou de l’envisager, rapidement ou non, renvoie-t-il à des manières distinctes d’appréhender les rapports de sexe ? Qu’en est-il du choix du Pacs et de l’union libre, davantage exempts de connotations patriarcales ? On peut, en effet, se demander si le Pacs est le support d’une remise en question d’un ordre sexué qui valorise la dissymétrie entre les sexes. Le Pacs a parfois pu être qualifié de « concubinage amélioré » ou de « sous-mariage » au cours des débats qu’il a suscités. Les individus qui optent pour le Pacs ou l’envisagent, présentent-ils des caractéristiques qui rappellent ceux qui vivent dans une union libre ancrée dans la durée ? Ou se rapprochent-ils davantage de ceux qui choisissent le mariage après une certaine expérimentation de la vie commune ? Ont-ils leurs propres spécificités ? Voici les questions qui sont abordées dans ce chapitre.

5Dans la perspective d’un tel questionnement, Erfi présente un intérêt sociologique évident. Première enquête quantitative d’une telle ampleur à insérer dans son questionnaire des éléments relatifs au pacte civil de solidarité, elle aborde également l’état matrimonial et la cohabitation et tient compte des projets des répondants, donnée qui permet de restituer des rapports distincts des répondants aux formes d’union. Quatre formes d’union qui renvoient à des logiques d’institutionnalisation différentes ont été distinguées. Elles sont nommées Mariage direct ou quasi direct, Mariage standard, Union libre et Pacs. Les principes de construction de ces groupes et leurs caractéristiques sociodémographiques seront décrits dans un premier temps. Puis le rapport à l’ordre sexué sera étudié pour ces formes de vie commune et ce, à deux niveaux. On l’abordera par le travail domestique, domaine qui met tout particulièrement en jeu les rapports de sexe. Erfi fournit l’occasion d’observer si son inégale distribution se retrouve selon des modalités similaires dans les types d’union distingués. Enfin, on se focalisera sur des représentations issues du module « valeurs et attitudes » du questionnaire, à partir de l’hypothèse selon laquelle, la diversité des formes de vie commune exprime une différenciation des sexes plus ou moins forte. Deux types d’indicateurs seront alors étudiés. Les premiers traduisent un rapport à la « différence des sexes » et renvoient à un ordre sexué qui assigne à chaque sexe un rôle distinct dans l’ordre social. Les seconds renvoient à l’idée d’une nécessaire « complémentarité des sexes » en interrogeant le rapport des répondants à la monoparentalité et à l’homosexualité.

I. Comparer les formes d’union

6Les quatre logiques d’institutionnalisation sur lesquelles s’appuient nos quatre groupes traduisent des positionnements individuels distincts vis-à-vis des cadres institutionnels de la vie privée. Elles reposent sur la pratique effective des formes d’union (le fait d’être marié, d’être pacsé, ou de vivre en union libre), mais aussi sur les intentions exprimées à leurs égards. C’est pourquoi elles prennent en considération les projets, pour les trois années à venir, des personnes se déclarant en couple ou déclarant une relation amoureuse stable.

1. Quatre groupes étudiés : principes de construction

a. Le mariage direct ou quasi direct

7Si les mariages directs, c’est-à-dire non précédés de cohabitation, se sont raréfiés, ils demeurent et les configurations dans lesquelles le mariage correspond à la mise en couple représentent près de 10 % des mariages pour la période 1995-2004 (Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005). Pour cette raison, un premier groupe a été construit, fondé sur une dynamique qui inscrit le mariage très rapidement dans l’union. Elle renvoie, de ce point de vue, à la logique d’institutionnalisation qui se rapproche le plus du mariage-institution et d’un mariage que l’on peut qualifier de « classique », enclin à faire l’objet d’une ritualisation « traditionnelle » (Bozon, 1992). Ce groupe rassemble les mariages directs et quasi directs, intervenant moins d’un an après le début de la cohabitation et, dans tous les cas, après la mise en place du Pacs en 1999. Il inclut un autre type de profil : celui de répondants qui, en couple depuis peu, envisagent fermement le mariage à court terme. Dans tous ces cas, ce qui cimente ce groupe, c’est le choix d’un mariage rapide dans un contexte où celui-ci est devenu une forme d’union possible, mais non obligatoire, intervenant de plus en plus tard dans les trajectoires conjugales4. Au regard de tous ces critères, ce groupe rassemble 248 des 1714 répondants qui sont concernés par notre analyse.

b. Le mariage « standard »

8À côté de cette première dynamique, on distingue une autre configuration qui s’inscrit dans le mariage mais, désormais, le rapport à celui-ci est plus distant. Par contraste avec le groupe précédent, il s’agit d’unions matrimonialisées de manière moins rapide (plus d’un an de cohabitation). Il est question ici d’un mariage « standard ». Cette expression renvoie au fait que cette dynamique constitue aujourd’hui le modèle dominant. L’ensemble représente de manière révélatrice près de la moitié de la population étudiée (822 répondants sur un total de 1714). Ce groupe rassemble des unions dont le mariage est l’aboutissement d’une relation non instituée, plus longue que dans le groupe précédent. Des répondants déclarant une intention de mariage ont aussi été ajoutés à ce groupe dans deux autres situations : lorsque celle-ci est formulée après une relation courte, mais avec moins de fermeté que dans la logique précédente, ou lorsque les répondants expriment fermement l’intention de se marier, mais ont vécu en union libre plus d’un an5. Dans ces deux cas, les individus ont un rapport au mariage plus distant que dans le groupe Mariage direct ou quasi direct.

c. L’union libre

9Un troisième groupe rassemble des répondants qui sont inscrits dans une relation à l’écart de tout cadre juridique et vouée à le rester. Il contraste de ce point de vue avec les deux précédents, et surtout le premier. Plus précisément, il s’agit de répondants en couple depuis plus d’un an (deux ans si les conjoints ne sont pas cohabitants) et qui se situent sans ambiguïté hors de toute volonté d’institutionnaliser la relation à moyen terme. Les répondants de ce groupe n’envisagent aucun recours à un cadre juridique dans les trois années à venir. L’ensemble représente un peu plus d’un quart de la population étudiée dans cet article (467 sur 1714).

d. Le pacte civil de solidarité

10Enfin, le dernier groupe est le plus « inédit » : il rassemble les répondants qui se situent dans une dynamique qui mobilise le Pacs, soit de manière effective, soit en l’envisageant dans les trois années. Si ce groupe est de taille restreinte au moment de la première vague (177 sur 1714 répondants) de l’enquête, il pourrait gagner en importance relative dans les prochaines vagues, compte tenu de l’évolution du Pacs depuis son entrée en vigueur (encadré 1).

11Les personnes étudiées ont, le cas échéant, contracté un Pacs ou un mariage à partir de novembre 1999, date de son entrée en application. Mais leur relation a commencé avant leur Pacs ou leur mariage dans la quasi-totalité des cas. L’intervalle moyen entre la mise en cohabitation et un mariage étant de près de cinq ans, nous avons choisi d’étudier les enquêtée-s qui ont déclaré une union cohabitante ayant débuté en 1995 au plus tôt (soit cinq années avant la création du Pacs). Les unions non cohabitantes retenues peuvent débuter en 1994. Ce décalage tient au fait que le questionnaire renseigne (seulement) sur la date du début de la cohabitation pour les cohabitants et celle de début de relation pour les non-cohabitants. La durée moyenne des relations avant cohabitation étant d’environ un an (un peu plus selon Toulemon, 1996), nous avons appliqué ce délai supplémentaire aux relations non cohabitantes. Ce point de départ de 1994-1995 est utilisé pour tous les groupes sauf celui des Mariages directs ou quasi directs. Les répondants qui composent ce dernier groupe ont nécessairement formé une union à partir de 1998 au plus tôt.

12Toutes les unions concernées par la période étudiée n’entrent donc pas dans notre champ d’analyse. Le propos vise à étudier sociologiquement des attachements-types à des formes d’institutionnalisation et leur rapport à l’ordre sexué et non à rendre compte de la démographie des formes d’union. Ainsi, les répondants en couple depuis moins d’un an (deux s’ils ne sont pas cohabitants) qui ne déclarent aucune intention dans les trois années, ont été exclus, leur situation ne permettant pas d’affirmer d’adhésion à une union libre inscrite dans la durée. De même, les individus qui déclarent une relation de plus d’un an (deux si elle n’est pas cohabitante) et font part d’une incertitude sur leur intention de mariage ne sont pas intégrés à nos groupes. Exclues ici pour des raisons théoriques, ces configurations font évidemment autant partie de la réalité sociale que celles qui sont étudiées.

2. Unions de même sexe et ordre sexué

13Une analyse reposant sur la diversité des formes de vie commune a engendré un questionnement sur la prise en compte des répondants déclarant un partenaire de même sexe dans notre étude. La démarche ne revêt pas les mêmes enjeux selon le volet concerné. En ce qui concerne le travail domestique, notre approche repose sur le questionnement suivant : les termes de l’inégale répartition du travail domestique et la prise en charge, par les femmes, des principales tâches domestiques varient-ils selon la forme d’union des répondants qui vivent en couple ? Dans la mesure où c’est l’observation d’une asymétrie homme/femme qui recueille notre attention, les personnes en couple de même sexe ont été exclues. Il serait certes intéressant de savoir si l’asymétrie entre deux partenaires de même sexe est plus ou moins marquée et de mettre en évidence les facteurs qui entrent en compte. Mais cette démarche fonderait un autre objet de recherche et les effectifs constatés dans l’étude des relations familiales et intergénérationnelles sont trop faibles pour établir une telle comparaison, même s’ils sont en nette augmentation au regard d’enquêtes antérieures (encadré 2).

14Les enjeux sont quelque peu différents en ce qui concerne l’exploitation des questions du module « valeurs et attitudes » du questionnaire, puisqu’il s’agit d’examiner dans quelle mesure les individus expriment un attachement ou un rejet de l’idéologie de la différence des sexes. Si le fait d’être en couple de même sexe est en soi un indicateur objectif d’une distance vis-à-vis d’un ordre sexué, cela ne signifie pas que les individus sont en rupture systématique et homogène avec les principes de complémentarité et de différence des sexes. Par exemple, dans la perspective de constitution d’une famille homoparentale, des femmes en couple de même sexe optent pour un modèle qui associe un géniteur ayant vocation à jouer un rôle parental et à incarner un « référent » masculine, et devant exercer des fonctions de père ; d’autres choisissent l’insémination avec donneur anonyme, exprimant ainsi une distance plus grande au principe de la « différence des sexes » (Descoutures, 2008).

15Les couples de même sexe ont donc été insérés au volet de la réflexion relatif aux représentations sociales. Ils n’ont pas été étudiés de manière spécifique, mais la « variable partenaire de même sexe » a été introduite dans les régressions logistiques7.

3. La population des quatre groupes étudiés

16Les caractéristiques sociodémographiques des quatre groupes sont précisées dans le tableau 1, p. 66. Elles diffèrent assez sensiblement selon les quatre types d’union. En ce qui concerne l’âge, notre population est majoritairement jeune puisque nous nous intéressons à des unions formées et éventuellement instituées dans une période récente. Les groupes Union libre et Pacs comportent plus d’individus âgés de moins de 25 ans que les deux autres. On note également que les plus de 45 ans sont davantage représentés dans le groupe Union libre. À part dans ce groupe où les effectifs des quatre classes d’âge distinguées sont assez équilibrés, la classe d’âge des 25-34 ans est majoritaire, constituant respectivement 58 % du groupe Mariage « standard », 51 % du groupe Mariage direct ou quasi direct et 47 % du groupe Pacs.

Tableau 1. Caractéristiques des quatre groupes étudiés

17Les diplômes sont étudiés en considérant trois modalités, « inférieur au Bac », « Bac » et « diplôme supérieur ou égal à Bac + 2 ». Deux groupes sont particulièrement contrastés, les Union libre sont majoritairement peu diplômés (55 % d’entre eux ont moins du Bac), tandis qu’à l’inverse, le groupe Pacs apparaît plus souvent diplômé que les autres groupes : près d’une personne sur deux appartenant à ce groupe possède un diplôme supérieur ou égal à Bac + 2.

18Les personnes des groupes Mariage direct ou quasi direct et Mariage « standard » vivent plus souvent avec un enfant que les autres. Ceci concerne environ une personne sur deux dans ces groupes et respectivement 38 % et 31 % pour les Union libre et les Pacs, et corrobore le constat démographique selon lequel on est d’autant plus enclin à être marié que l’on a des enfants. Conformément aux données déjà connues sur le Pacs, la répartition par type d’unité urbaine des quatre groupes montre que le groupe Pacs est un peu plus souvent représenté dans les grandes agglomérations, la majorité des personnes de ce groupe vivant dans une agglomération de plus de 200000 habitants ou dans l’agglomération parisienne. Cependant la répartition par unité urbaine du groupe Mariage direct ou quasi direct montre également que ceux qui appartiennent à ce groupe vivent aussi souvent dans de grandes agglomérations (plus de 53 %), davantage que ceux des groupes Mariage « standard » (40 %) et Union libre (42 %). Le revenu étant lié au diplôme, on retrouve pour cette variable les différences constatées sur les diplômes. On observe notamment que les personnes du groupe Pacs sont plus fréquemment que les autres dans la plus haute catégorie de revenu du couple : près de 40 % d’entre elles appartiennent à un couple dont le revenu est supérieur ou égal à 3200 euros, alors que ceci concerne moins du quart des personnes des autres groupes. Les quatre groupes étudiés présentant des différences importantes, ces variables seront prises en compte dans les régressions effectuées8.

19Au-delà de ces caractéristiques, on observe une variable qui nourrit l’hypothèse d’asymétries distinctes selon les formes d’union : les écarts d’âge entre conjoints. Caractéristique du mariage-institution qui dominait dans les années suivant la seconde guerre mondiale, l’hétérogamie par l’âge a connu des transformations (Vanderschelden, 2006) à partir des années 1960, des écarts moindres étant observés pour les couples en union libre (Bozon, 2006). Dans un contexte de diversification des formes de vie commune, l’examen de nos quatre groupes conforte l’hypothèse d’une concomitance entre le type d’union et des écarts d’âge différents. Un clivage se dessine nettement entre individus selon qu’ils relèvent d’une dynamique matrimoniale (Mariage direct ou quasi direct et Mariage « standard ») ou non (Union libre ancrée et Pacs). Les premiers affichent un écart entre hommes et femmes supérieur aux seconds. Les formes d’union ne sont donc pas porteuses dans les mêmes termes d’asymétries entre conjoints, dans ce domaine. Le modèle du Mariage direct ou quasi direct est marqué par une différence plus nette, puisque l’écart moyen entre conjoints est de 3,7 ans contre 1,9 et 2 ans pour les groupes Union libre et Pacs. Il apparaît davantage que les autres comme l’héritier du mariage-institution dans lequel existait un fort décalage entre les partenaires sur ce point. Le pôle Pacs tend plus vers le groupe de l’union libre ancrée que vers le modèle du Mariage « standard ». L’hypothèse d’une nouvelle forme de vie commune qui irait de pair avec une « symétrisation » des caractéristiques des conjoints est consolidée sur ce point. Dans une moindre mesure, cette spécificité relative du groupe Pacs vaut également pour d’autres ressources des conjoints, notamment le revenu et le diplôme : le revenu de l’homme est moins souvent supérieur à celui de la femme que pour les autres groupes. De même, s’il est plus fréquent que la femme soit plus diplômée que son conjoint que l’inverse, ce décalage en faveur de la femme est un peu plus prononcé dans les groupes Pacs et Mariage standard que dans les groupes Mariage direct ou quasi direct et Union libre.

20La question de l’articulation entre le rapport des individus aux logiques d’institutionnalisation et l’hétérogamie par l’âge peut être approfondie en s’intéressant à leur attachement à cette différence (tableau 2). Au-delà des écarts objectifs dans ce domaine, on peut se demander si cet attachement varie selon les quatre groupes et suivant le sexe des répondants.

Tableau 2. « Dans un couple, c’est mieux quand l’homme est plus âgé que la femme ». Proportion de personnes « d’accord » ou « plutôt d’accord »

21Le souhait que l’homme soit plus âgé que sa partenaire est minoritaire dans tous les groupes étudiés. Toutefois, la forme d’institutionnalisation la plus « classique » apparaît bien comme celle qui adhère le plus à une conception traditionnelle du couple dans laquelle les hommes sont plus âgés que les femmes, puisque 38 % des répondants sont attachés à ce principe alors qu’ils sont moins de 20 % dans les autres groupes. Ni la dynamique Pacs (19 %) ni la dynamique Union libre (17 %) ne se distinguent spécifiquement du Mariage « standard » (17 %). De ce point de vue, le mariage apparaît comme hétérogène, ce qui conforte notre démarche initiale consistant à décomposer la catégorie mariage en deux groupes.

22L’attachement à l’hétérogamie par l’âge, signe d’une « domination masculine consentie » (Bozon, 2006) est-il réparti selon le sexe de manière homogène dans les quatre formes d’union étudiées ? On peut en effet faire l’hypothèse que les points de vue des hommes et femmes sont plus proches dans les trois groupes où la différence d’âge entre conjoints est en moyenne moins élevée (tableau 1). Au regard des données d’Erfi, l’asymétrie qui caractérise cet attachement perdure quel que soit le groupe concerné. Les femmes continuent d’être en moyenne plus attachées à ce principe que les hommes et ce, quelles que soient les formes d’union9. Si le groupe Pacs se distingue, c’est parce que les hommes y sont plus rares à adhérer à cette norme (environ 9 %, soit trois fois moins que les femmes du même groupe). Est-ce à dire que les hommes de ce groupe font davantage part d’un attachement à une logique égalitaire ? Cette observation invite à aborder des activités où l’inégalité est susceptible de s’exprimer tout particulièrement.

II. Le partage du travail domestique selon les formes d’union

23Le travail domestique est un objet habituel des recherches en sciences sociales sur les rapports sociaux de sexe. Les recherches dans ce domaine aboutissent à deux types de conclusion qui révèlent la permanence d’une inégalité. En dépit d’une progression de la norme égalitaire dans les discours, l’asymétrie entre la participation des femmes et celle des hommes aux tâches domestiques demeure, toutes choses égales par ailleurs. Elle apparaît à deux niveaux étroitement liés : une asymétrie quantitative – les femmes en font plus, mais aussi qualitative, puisque le partage, quand il existe, est circonscrit à certaines tâches (Brousse, 1999). Cinq activités domestiques exercées majoritairement par les femmes10 ont été retenues afin de saisir si la distribution de ce travail domestique varie selon les formes d’union. L’indicateur a été construit à partir d’un tableau de répartition. Le tableau 3 fait ainsi état du nombre de tâches (sur les cinq étudiées : les courses d’alimentation, les repas quotidiens, la vaisselle, passer l’aspirateur et repasser le linge) qui sont prises en charge exclusivement ou majoritairement par les femmes.

24À partir de cette construction, on peut considérer que les configurations dans lesquelles la femme effectue au moins les quatre cinquièmes des tâches ménagères de manière exclusive ou majoritaire (en italique dans le tableau 3) sont révélatrices d’un partage des tâches fortement sexué. Sur cette base, de nombreuses disparités apparaissent : dans les groupes Mariage direct ou quasi direct et Union libre, quatre cinquièmes des tâches ou plus sont dites effectuées par la femme par au moins un tiers des répondants (respectivement 33 % et 37 %). Ces résultats sont moindres dans les autres groupes : 26 % des répondants pour le Mariage « standard », et moins d’un cinquième (17 %) pour le Pacs. La part des couples où la femme prend en charge au moins les quatre cinquièmes des tâches domestiques analysées est deux fois plus faible dans le groupe Pacs que dans les groupes Mariage direct ou quasi direct et Union libre.

Tableau 3. Proportion de couples exerçant « toujours » ou « le plus souvent » n tâches (% cumulés)

25À première vue, le groupe Pacs montre, à travers les activités domestiques quotidiennes, une distance plus grande vis-à-vis de la répartition sexuée des tâches qui repose sur une double asymétrie quantitative et qualitative dans ce domaine. Mais cette observation est nuancée par une autre : les réponses sont plus clivées selon le sexe des répondants que dans les autres groupes puisque l’écart est de 15 points contre moins de 6 points dans les autres groupes. Cet écart est presque nul (0,5 point) dans le groupe Union libre où les réponses entre hommes et femmes sont convergentes.

26En ce qui concerne ce groupe, on peut d’ailleurs s’étonner qu’il apparaisse comme le plus inégalitaire à partir de ce critère, alors que le maintien à l’écart de l’institution du mariage est historiquement lié au rejet d’une forte sexuation des rôles comme l’a souligné Sabine Chalvon-Demersay (1983). Elle observait toutefois que cette posture était surtout celle des femmes, et qu’elle ne donnait pas lieu à une redéfinition concrète des rôles de chacun dans le domaine des tâches domestiques. On peut ainsi faire l’hypothèse que, désormais, ce sont les pacsé-e-s qui expriment davantage ce point de vue.

27Afin de préciser quels sont les facteurs ayant une influence sur la probabilité que la femme réalise au moins quatre cinquièmes des tâches domestiques étudiées (ou plutôt qu’il ait été dit que c’est toujours elle ou le plus souvent elle qui effectue au moins quatre des cinq tâches), des régressions logistiques ont été réalisées. Elles prennent en compte les variables du tableau 1 ainsi que le fait, pour chacun des membres du couple, d’avoir une activité, d’avoir vécu en couple avant l’union actuelle, la présence dans le foyer d’enfants d’une union antérieure, la présence du conjoint au cours de l’entretien11 et le recours à une aide ménagère.

28Ces régressions ont d’abord été effectuées sur l’ensemble des couples, puis par sexe (tableau B en annexe). La régression qui concerne l’ensemble des couples montre en premier lieu que les avis des hommes et des femmes divergent. Lorsqu’une femme a répondu au questionnaire, la probabilité qu’il soit dit que, dans le couple, c’est surtout la femme qui effectue au moins quatre des cinq tâches étudiées est augmentée. L’examen de nos quatre groupes montre que, par rapport au groupe Mariage direct ou quasi direct, la probabilité que le couple soit très inégalitaire est diminuée pour les groupes Mariage « standard » et Pacs. L’effet de l’âge est significatif, pour toutes les tranches d’âge des moins de 45 ans, la probabilité que le partage des tâches soit très inégalitaire est plus faible que pour les plus de 45 ans. Mais l’activité de chacun, et plus particulièrement celle de l’homme, est déterminante. Quand celui-ci travaille ou est étudiant, apprenti ou en stage, la probabilité que la femme réalise au moins les quatre cinquièmes du travail domestique est très augmentée. À l’inverse, le fait que la femme travaille diminue cette probabilité, mais l’influence du travail de la femme est proportionnellement moins importante que celle du travail de l’homme.

29Concernant les diplômés par rapport aux non-diplômés, la probabilité que le partage des tâches soit inégalitaire est diminuée pour ceux qui possèdent un diplôme supérieur ou égal à Bac + 2. La taille de l’unité urbaine d’habitation influence également cette répartition qui apparaît moins inégalitaire à Paris que dans des communes de moins de 5000 habitants. Le fait de recourir à une aide ménagère rémunérée diminue également cette probabilité, tout comme le fait d’avoir déjà vécu en couple avant l’union en cours.

30La régression réalisée sur les femmes ne permet pas de mettre en évidence de différences entre les quatre groupes. On retrouve l’influence de l’âge : la probabilité que le couple soit très inégalitaire étant diminuée surtout pour les deux classes d’âge les plus jeunes. Les effets de l’activité de chacun et de la taille de l’unité urbaine sont comparables à ce qui est mis en évidence sur l’ensemble. Sur les femmes, l’effet du diplôme disparaît. En revanche, le fait de recourir à une aide ménagère, d’avoir déjà vécu en couple et d’avoir des enfants d’une union précédente diminuent la probabilité que la femme fasse au moins les quatre cinquièmes des tâches domestiques.

31Chez les hommes, la régression réalisée montre une influence du groupe d’appartenance sur la répartition des tâches. Par rapport au groupe Mariage direct ou quasi direct, la probabilité que le couple soit très inégalitaire est particulièrement diminuée pour le groupe Pacs, et est également abaissée dans le groupe Mariage « standard ». On n’observe aucune différence entre Mariage direct et Union libre. On retrouve l’influence de l’âge, mais de manière nettement moins marquée que chez les femmes, ainsi que l’influence de l’activité de chacun et des hauts niveaux de diplôme. Enfin, au regard des réponses des hommes, la probabilité que leur conjointe prenne en charge une grande majorité des tâches est plus faible à Paris qu’en zone rurale.

32Si les formes de vie commune distinguées ici présentent des différences non négligeables dès lors que l’on appréhende l’ordre sexué à travers des activités, elles ne témoignent pas de clivages radicaux. Et ce, d’autant moins que les réponses entre hommes et femmes ne sont pas concordantes.

33Cette observation signifie-t-elle que le clivage entre les groupes étudiés réside surtout dans l’adhésion à des principes distincts ? Une manière de poursuivre la réflexion consiste à déplacer le raisonnement sur le terrain des représentations.

III. Formes d’union et représentations des rapports de sexe

34Croiser les quatre groupes étudiés avec certains indicateurs de valeurs du questionnaire Erfi peut permettre d’observer si les différences entre groupes sont concomitantes avec des systèmes de valeurs et de représentations distincts quant à la place accordée aux principes d’une différence entre les sexes et de leur complémentarité. Ces questions ont été posées à la fois aux personnes ayant un conjoint cohabitant ou non. Cette variable (vivre ou non avec son conjoint) est prise en compte dans les régressions logistiques.

1. Sphère publique, sphère privée : représentations de la division sexuée du travail

35L’importance attachée à une forte différenciation des rôles peut être appréhendée par les questions qui portent explicitement sur cet aspect. Ces questions ont été choisies parce qu’elles renvoient à des indicateurs de la dichotomie public-privé qui caractérise un ordre sexué asymétrique. Le premier indicateur articule masculinité et sphère publique et interroge l’adhésion des individus à l’idée selon laquelle, les hommes devraient être prioritaires par rapport aux femmes sur le marché de l’emploi en période de crise. Le second indicateur est complémentaire du premier, il articule féminité et espace privé. Ainsi, le positionnement des répondants vis-à-vis de l’idée selon laquelle « un enfant en âge préscolaire risque de souffrir si sa mère travaille » peut être considéré comme une posture individuelle sur la différence des sexes et le rôle assigné à chacun. Répondre « oui » à un tel questionnement manifeste un attachement à l’idée selon laquelle une mère d’un enfant d’âge préscolaire a vocation à être au foyer12.

36Un premier constat s’impose à la lecture du tableau 413 : les deux indicateurs sont fortement convergents, la seconde assertion ayant toutefois un taux d’accord beaucoup plus fort que la première. Les dynamiques du Mariage direct et du Pacs sont opposées : c’est dans le groupe Mariage direct et quasi direct que l’attachement à des rôles sexués apparaît le plus marqué : 18 % d’entre eux adhèrent à la première idée, 52 % à la seconde. À l’inverse, les membres du groupe Pacs se distinguent par une adhésion nettement plus faible (respectivement 8 % et 35 % des répondants de ces groupes) que les autres à ces positionnements axiologiques. Entre les deux, les groupes Mariage « standard » et Union libre sont relativement proches. L’hypothèse d’un clivage entre formes d’union et valeurs relatives à la différenciation des sexes est confirmée ici. Pour aller plus loin, il est utile d’observer comment ces variations sont structurées en fonction du sexe du répondant. Pour les deux groupes les plus opposés, l’effet du sexe joue dans deux directions contraires. Alors que le fait d’être un homme accentue l’attachement à des rôles sexués pour les Mariages directs et quasi directs (ils sont 22 % à estimer que les hommes doivent être prioritaires sur le marché de l’emploi en cas de crise, 61 % qu’un enfant d’âge préscolaire risque de souffrir du fait que sa mère travaille), il l’atténue encore pour les individus du groupe Pacs (respectivement 6 % et 33 %). Ces tendances corroborent les observations antérieures : non seulement il existe une concomitance entre l’attachement à ce principe de « différence des sexes » et les formes d’union, mais les contrastes sont plus marqués pour les hommes que pour les femmes, à l’image de l’adhésion à la différence d’âge par exemple, et des déclarations relatives au travail domestique.

Tableau 4. Opinions sur la division sexuée du travail

37Les régressions permettent de préciser si les différences entre groupes persistent « toutes autres choses prises en compte dans le modèle égales par ailleurs » (tableau C, annexe). Dans la régression effectuée sur l’ensemble, par rapport au groupe Mariage direct ou quasi direct, la probabilité d’adhérer à l’idée selon laquelle les hommes devraient être prioritaires sur le marché de l’emploi en période de crise est uniquement diminuée pour les groupes Union libre et Pacs. Plus encore que le groupe d’appartenance, l’âge influence la probabilité d’adhérer ou non à cette opinion. Toutes les classes d’âges inférieures à 45 ans ont moins de chances de l’accepter que les autres. Le diplôme et le revenu jouent également un grand rôle : plus on est diplômé, plus on appartient à un couple aisé et moins on tend à y être favorable.

38Dans les régressions par sexe, quelques différences apparaissent quant à l’effet des variables. Chez les femmes d’abord, ce sont celles du groupe Union libre qui ont le moins de chances d’être d’accord avec cette déclaration, ainsi que les femmes de moins de 35 ans. En outre, la probabilité est particulièrement diminuée pour les femmes très diplômées. Chez les hommes, ceux du groupe Mariage « standard » et plus encore du groupe Pacs ont plus de chances de ne pas adhérer à cette idée que ceux du Mariage direct ou quasi direct, mais il n’y a pas de différence entre les groupes Mariage direct ou quasi direct et Union libre. Les hommes de moins de 45 ans y sont moins favorables que les 45 ans et plus et le niveau de revenu du couple ainsi que le diplôme ont une grande influence, les catégories les plus aisées et les plus diplômées ayant une moindre probabilité d’être d’accord que les autres (le fait que l’homme soit en activité ou non ne modifie pas ce résultat). Enfin, alors que ce n’est pas le cas pour les femmes, la présence d’enfants augmente beaucoup la probabilité que les hommes considèrent que lorsque l’emploi est en crise, ils devraient être prioritaires sur les femmes pour obtenir un emploi. On peut voir dans ce résultat la persistance d’une intériorisation plus forte d’une fonction instrumentale14 masculine de breadwinner.

39La question concernant l’influence du travail de la mère sur un enfant d’âge préscolaire met au jour de grandes divergences d’opinion entre les quatre groupes. Les régressions par sexe montrent que les disparités observées sur l’ensemble sont imputables aux hommes. Les trois groupes autres que le groupe Mariage direct ou quasi direct ont moins de chances de penser qu’un enfant d’âge préscolaire risque de souffrir du fait que sa mère travaille, le groupe Mariage « standard » étant toutefois moins éloigné de cette catégorie que les autres. Plus l’enquêté(e) est jeune, moins la probabilité qu’il (elle) soit d’accord avec cette affirmation est grande. Les titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à Bac + 2 ont moins de chances d’être d’accord que les non-diplômé(e) s. Par rapport aux personnes appartenant aux couples les moins aisés, les catégories à haut revenu ont une probabilité diminuée d’être en accord avec cette assertion. Mais si de grandes divergences d’opinion sont mises en évidence parmi les hommes des différents groupes étudiés, on ne constate aucun effet du groupe d’appartenance pour les femmes. En revanche, l’âge et le diplôme comptent tout particulièrement chez elles : plus elles sont jeunes et diplômées, plus elles rejettent cette idée. Enfin, le fait d’avoir eu une mère au foyer augmente en revanche significativement l’adhésion à cette opinion chez les femmes, alors que ceci n’influence pas l’opinion des hommes.

2. L’adhésion au principe de la nécessaire « complémentarité des sexes »

40Désormais, ce n’est plus l’ordre sexué comme assignation du féminin à la sphère privée et du masculin à la sphère publique qui nous intéresse, mais le degré d’attachement des individus à l’idéologie d’une « complémentarité des sexes » nécessaire à l’ordre social. Dans cette optique, les réponses à deux autres questions d’opinion ont été mobilisées :

41« Une femme peut avoir un enfant et l’élever seule si elle n’a pas envie d’avoir une relation stable avec un homme » : toute réponse favorable à cette affirmation exprime un attachement moindre ou nul à la « complémentarité des sexes » comme devant être essentielle à toute forme familiale.

42« Les couples homosexuels devraient avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels » : le fait d’envisager les unions de même sexe sous un angle égalitaire s’inscrit à contre-courant de l’idée de nécessaire complémentarité des sexes.

43Si l’hypothèse initiale d’une concomitance entre forme d’union et attachement plus ou moins développé à un ordre sexué se vérifie, on s’attend alors à ce que les réponses obtenues soient différentes selon les groupes.

44Les disparités observées quant au degré d’attachement à un principe de la « nécessaire complémentarité des sexes » (tableau 5) sont similaires à celles apparues autour de la thématique « privé/public ». Les deux groupes Pacs et Mariage direct ou quasi direct s’opposent encore plus nettement que précédemment. Considérer la monoparentalité comme une forme de vie acceptable et souhaiter l’égalité de droits des couples homosexuels avec les couples hétérosexuels sont des opinions nettement majoritaires au sein du groupe Pacs (respectivement 60 % et 62 % des répondants y sont favorables), alors qu’elles sont minoritaires chez les répondants du groupe Mariage direct (37 % dans les deux cas). De nouveau, les groupes Mariage « standard » et Union libre sont dans une position intermédiaire qui se distingue nettement des deux groupes extrêmes. Mais contrairement aux indicateurs relatifs à l’assignation à des sphères distinctes, les indicateurs qui abordent le principe de la nécessaire complémentarité des sexes ne sont pas investis de la même manière dans ces deux groupes. Le groupe Mariage « standard » rejette davantage la monoparentalité féminine volontaire que le groupe Union libre, 44 % des premiers étant d’accord avec l’affirmation questionnée contre 58 % des seconds. Sur cette question de la monoparentalité, le clivage s’opère surtout entre ceux qui adhèrent au mariage et les autres (Pacs ou Union libre), les premiers étant plus souvent hostiles à cette idée que les seconds.

Tableau 5. Formes d’union et opinions sur une nécessaire complémentarité des sexes

45De manière assez flagrante, on retrouve des disparités qui s’expriment différemment selon le sexe. Et comme précédemment, un effet sexe redouble l’effet du groupe d’appartenance pour les hommes. Dans la dynamique du Mariage direct ou quasi direct, ces derniers semblent plus attachés à la nécessité d’une complémentarité des sexes (seuls 33 % approuvent l’idée de monoparentalité et 31 % l’égalité de droits entre couples homosexuels et hétérosexuels contre respectivement 42 % et 41 % des femmes du même groupe). À l’inverse, les hommes du groupe Pacs le sont moins que les femmes (62 % des hommes de ce groupe sont favorables à la monoparentalité et 67 % à l’idée d’égalité de droits entre couples homosexuels et hétérosexuels contre respectivement 58 % et 56 % des femmes du même groupe).

46Les régressions (tableau D, annexe) confirment une plus forte adhésion des groupes Union libre et Pacs que Mariage direct ou quasi direct à l’idée selon laquelle une femme peut avoir un enfant et l’élever seule si elle n’a pas envie d’une relation stable avec un homme. Les personnes en couple de même sexe et celles ayant le plus haut niveau de revenu sont plus souvent favorables à cette idée. Mais, toutes choses égales par ailleurs, les plus diplômés y sont moins favorables.

47Les différences d’acceptation selon les groupes sont beaucoup plus marquées chez les hommes que chez les femmes. Chez les premiers, on observe également une différence entre les groupes Mariage « standard » et quasi direct. En outre, les autres paramètres qui influent sur cette opinion diffèrent chez les femmes et chez les hommes. Chez les femmes, la probabilité d’accepter cette idée est moindre chez les moins de 25 ans (pas rapport aux 45 ans et plus) et chez les plus diplômées. Chez les hommes en revanche, à part le groupe d’appartenance, seul compte le niveau de revenu du couple : ceux appartenant à la plus haute catégorie de revenu sont significativement plus favorables à cette idée que les autres.

48La question portant sur une égalité des droits entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels est sans aucun doute celle qui suscite les plus grands désaccords entre le groupe Mariage direct ou quasi direct et les autres groupes (tableau D, annexe). En effet, par rapport à ce groupe, la probabilité d’être favorable à une égalité des droits est très augmentée dans les trois autres et de manière particulièrement accentuée dans le groupe Pacs. De manière assez attendue, les personnes qui ont un ou une partenaire du même sexe sont massivement plus favorables à cette opinion. Bien que de manière moins marquée, l’âge et le diplôme ont aussi une influence, les plus jeunes et les plus diplômés étant davantage favorables à cette égalité de droits entre couples homosexuels et hétérosexuels. En revanche, le fait d’avoir eu une « mère au foyer » diminue cette probabilité, comme si le vécu dans l’enfance de la division sexuelle du travail, elle-même expression d’un attachement à la différenciation des sexes, se prolongeait par une plus forte hétéro-normativité. Les régressions effectuées par sexe corroborent le constat initial de plus grandes divergences d’opinion entre les groupes chez les hommes et l’effet marqué de l’absence d’activité professionnelle de la mère durant l’enfance. À l’exception de cette dernière variable, qui produit un effet similaire quel que soit le sexe, les paramètres dont l’effet est déterminant ne sont pas tout à fait identiques pour les femmes et les hommes. Chez les femmes, l’âge joue un rôle, les plus jeunes étant davantage susceptibles d’adhérer à cette affirmation que les 45 ans et plus. Les plus diplômées ont également un peu plus de chances d’être d’accord. Chez les hommes, l’âge ne semble pas avoir d’influence. L’effet du diplôme est en revanche plus prononcé que chez les femmes, les titulaires d’un diplôme supérieur ou égal au Bac ayant plus de chances d’être pour une égalité des droits entre les couples homosexuels et hétérosexuels. Enfin, le type de commune joue également : les hommes résidant à Paris se prononcent davantage en faveur de l’égalité des droits que ceux vivant en milieu rural.

Conclusion

49L’examen des valeurs associées à la différenciation des sexes permet de mettre en évidence des différences sensibles selon les formes d’union. Les écarts sont nets entre le groupe Mariage direct ou quasi direct dans lequel est exprimé plus fréquemment un attachement à un ordre « traditionnel » reposant sur une forte sexuation des rôles et le groupe Pacs, qui rejette davantage cet ordre. Ce clivage est particulièrement flagrant entre les hommes, les différences sont moins accentuées chez les femmes. Au-delà de la seule question de la corrélation entre des valeurs exprimées et l’appartenance à telle ou telle dynamique d’union, certaines observations corroborent et contredisent à la fois notre hypothèse. C’est le cas en ce qui concerne la spécificité apparente du groupe Pacs, dès lors que l’on s’intéresse à ce que les hommes expriment. D’un côté, les valeurs et la moindre exclusivité féminine en matière de tâches domestiques témoignent d’une assimilation de la norme égalitaire et d’une plus grande difficulté à faire part de l’asymétrie (et donc de la forte différenciation). La participation masculine est estimée plus importante par les hommes de ce groupe que par ceux des autres. Cette observation peut laisser penser qu’ils se représentent les tâches domestiques comme relevant moins d’une sphère exclusivement féminine. En même temps, la persistance d’un décalage homme-femme et un étiquetage différent de la participation masculine (les hommes du groupe Pacs semblent avoir une définition plus extensive de leur participation que les femmes) montrent que concrètement, si le groupe Pacs apparaît davantage comme un lieu de symétrie, les contrastes fortement sexués demeurent et nuancent l’hypothèse initiale.

50Enfin, les disparités qui apparaissent dans cette étude soulèvent plusieurs questionnements sur l’évolution des formes de vie commune invitant à renouveler la démarche dans le cadre d’autres enquêtes avec des indicateurs distincts et dans les vagues ultérieures d’Erfi. Les travaux existants tendent à montrer que l’« exigence d’égalité s’avère essentiellement opératoire en début d’union conjugale, puis s’efface progressivement au profit d’un principe de réalité domestique fondé sur la spécialisation des compétences et la constitution de territoires personnels » (Blöss, 2001, p. 57). Il sera possible d’observer si, à mesure que l’on s’éloigne de la mise en couple, les termes du rapport à cette différenciation évoluent et dans quel sens. Le renouvellement de la démarche permettra également d’aborder le phénomène Pacs de manière plus précise. Au regard des chiffres disponibles à son sujet, le pacte civil de solidarité est de plus en plus choisi par les couples de sexes différents. Cette tendance signifie-t-elle que les individus qui rejoindront à l’avenir le groupe afficheront aussi ces spécificités ? Ou bien, à l’inverse, celles-ci sont-elles amenées à s’atténuer ? La question se pose d’autant plus que le précédent de l’union libre indique que l’évolution n’a rien d’évident. Si, dans un tout premier temps, durant les années 1970, le choix de l’union libre reposait sur une opposition au mariage qui incarnait, entre autres, un lieu de reproduction de rôles sexués, sa spécificité s’est atténuée, tandis que le mariage a également évolué et ne renvoie pas à une forme d’organisation de vie commune homogène. Il pourrait en être de même pour le Pacs : ses premiers partisans s’inscrivent dans une logique de distinction par rapport aux autres formes d’union qui apparaîtra peut-être moins chez leurs successeurs.