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Présentation
p. 335-336
Texte intégral
1L’individu recherche une époque tout agréable, où il soit le plus libre et le plus aidé. Il la trouve vers le commencement de la fin d’un système social. Alors, entre l’ordre et le désordre, règne un moment délicieux. Tout le bien possible que procure l’arrangement des pouvoirs et des devoirs étant acquis, c’est maintenant que l’on peut jouir des premiers relâchements de ce système. Les institutions tiennent encore. Elles sont grandes et imposantes. Mais sans que rien de visible soit altéré en elles, elles n’ont guère plus que cette belle présence ; leurs vertus se sont toutes produites ; leur avenir est secrètement épuisé ; leur caractère n’est plus sacré ou bien il n’est plus que sacré ; la critique et le mépris les exténuent et les vident de toute valeur prochaine. Le corps social perd doucement son lendemain. C’est l’heure de la jouissance et de la consommation générale. Paul Valéry
2Les deux premières parties de ce travail se limitaient à la présentation des données : données statistiques qui mesuraient les comportements démographiques et marquaient comme des repères dans leur évolution ; données d’opinion qui, à une date précise, toujours récente, traduisaient les attitudes déclarées des Français sur le mariage. Certes, il n’avait pas été toujours possible de s’en tenir à la « matière brute » et, en particulier, dans les deux « vues d’ensemble », des synthèses provisoires étaient proposées qui comportaient déjà une part d’interprétation. Pour l’essentiel, il s’agissait pourtant de présenter des données.
3À tout le moins faut-il montrer que les deux séries de résultats sont compatibles et en particulier qu’une correspondance existe bien entre les opinions déclarées et les comportements mesurés. La démonstration ne peut d’ailleurs porter que sur les résultats relatifs à la période contemporaine, puisqu’aussi bien on ne dispose que pour elle de véritables données d’opinion.
4On ne s’attardera pas à faire longuement la preuve d’une telle convergence. On a noté à plusieurs reprises, dans la deuxième partie, qu’elle existait bien et, quand on ne l’a pas fait, le lecteur aura de lui-même enregistré l’ajustement des deux types de données. On reprendra seulement quelques points fondamentaux.
5Les statistiques de la nuptialité avaient révélé le rajeunissement, depuis quelques décennies, de l’âge au mariage, rajeunissement plus important pour les garçons que pour les filles. On pouvait alors avancer l’hypothèse d’un changement plus général portant sur le seuil de l’âge adulte, d’une certaine précocité de la majorité de fait, et de l’émergence probable d’un type de mariage plus égalitaire que dans le passé.
6Les enquêtes d’opinion ont effectivement vérifié que les attitudes de la population correspondaient bien à ces tendances. Elles ont montré que les adultes estimaient que leur contrôle sur les relations et les activités de leurs enfants pouvaient cesser avant 21 ans. La revendication d’un statut d’adulte est d’ailleurs apparue comme aussi forte chez les jeunes filles que chez les jeunes gens. D’une manière plus générale, une forte tendance à l’égalité des droits et des responsabilités, avant et durant le mariage, semble caractériser les jeunes ménages contemporains. Le rapprochement des âges au mariage suivant le sexe constituait une donnée morphologique. L’attitude égalitaire, observée dans les enquêtes, donne sa signification à ce comportement.
7À travers l’analyse de l’intensité de la nuptialité, on avait montré que le mariage gardait tout son prestige et qu’il demeurait, aux yeux de l’ensemble de la population, le cadre normal de la vie sexuelle et affective. Les enquêtes d’opinion, celles de Sigusch en particulier, témoignent que la revendication d’une plus grande liberté par les jeunes ne dément pas leur intention de se marier.
8Enfin, les statistiques révélaient la brusque augmentation de la fréquence du divorce vers 1965. Les enquêtes de leur côté montrent une certaine évolution de l’opinion vis-à-vis du divorce : celui-ci ne constitue plus un scandale en soi : l’opinion se montre plus sensible aux conséquences probables pour les individus qu’à la rupture d’un lien traditionnellement indissoluble. Le divorcé a désormais cessé d’être « au ban de la société ».
9Ainsi observe-t-on, entre les informations des deux premières parties, une véritable convergence, là où les thèmes étudiés se recoupent. Pour reprendre le vocabulaire de Durkheim, la « physiologie des représentations collectives » s’ajuste bien aux données de la « morphologie ». Chacune à sa manière renvoie à un même état du corps social.
10Si précieux que soit ce constat de convergence, il ne concerne qu’une partie des résultats. Au-delà de la zone d’intersection des données, il reste tant du côté des statistiques administratives que dans l’ensemble des opinions exprimées, une somme d’informations considérable. Que les deux séries ne se recoupent pas tient au décalage dans le temps des informations ou encore à la spécificité des deux systèmes de données.
11On a montré, à la fin de la deuxième partie, la cohérence interne de l’ensemble des données d’opinion. Il ne paraît donc pas possible de conclure ce travail sans prendre en compte la totalité de ces données. On pourrait le faire sous la forme d’un bilan brut recensant simplement, terme à terme, les résultats acquis. On a préféré se demander si tous les matériaux rassemblés ne pouvaient se rejoindre en un dessin intelligible, autrement dit s’il n’était pas possible de trouver une idée qui leur donnât unité et sens.
12Il s’agit là, on le comprend bien, non plus d’une analyse objective des faits, mais d’une interprétation des données. De la première à la seconde démarche, il existe, de par leurs natures mêmes, un inévitable « saut ». L’interprétation, disons l’hypothèse explicative, n’est pourtant pas arbitraire : elle fonde sa légitimité sur l’exigence qu’elle doit remplir d’assurer l’unité idéale de toutes les données présentées et d’en être pour ainsi dire le lieu géométrique. Elle demeure hasardeuse dans la mesure où d’autres hypothèses qui ont échappé à l’auteur pourraient jouer, entre toutes les données connues, ce même rôle unificateur. La « théorie » enfin reste provisoire, dans la mesure où des données nouvelles viendront sans cesse la remettre en question pour l’infirmer ou la préciser. En attendant elle représente, une première synthèse cohérente des résultats et une hypothèse de travail utile pour les recherches ultérieures. Ce double titre, s’il est mérité, suffit à la justifier.
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Le mariage dans la société française contemporaine
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