Chapitre 7
De l’évolution des facteurs de la scolarisation à l’école primaire
p. 183-204
Texte intégral
1Parmi les transformations de fond susceptibles d’affecter durablement les sociétés africaines, figure assurément l’avènement de l’école, introduite par la colonisation. Au nom des principes de « l’Éducation pour tous » (EPT) adoptés lors de la Conférence mondiale sur l’éducation pour tous de Jomtien en 1990, puis des « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) adoptés en 2000, États africains et instances internationales se sont fortement mobilisés pour atteindre notamment la scolarisation primaire universelle en 2015. Il s’en est suivi une progression sans précédent des taux de scolarisation. Si l’Afrique subsaharienne présente encore les niveaux de scolarisation au niveau primaire parmi les plus faibles du monde, c’est aussi la région où les progrès ont été les plus rapides au cours des années 2000. Selon les données de l’Institut de statistique de l’Unesco, pour l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne le taux net de scolarisation ajusté pour l’enseignement primaire est passé de 61 % en 2000 à 80 % en 2015. À l’échéance fixée en 2015 pour l’atteinte des objectifs, force est donc de constater que nombre de pays d’Afrique subsaharienne n’ont pas réalisé la scolarisation primaire universelle, avec près d’un cinquième des enfants non scolarisés (Unesco, 2015).
2Comme l’a souligné Jacques Hallak à la suite de la conférence de Jomtien, les politiques éducatives furent essentiellement axées sur une extension de l’offre scolaire, postulant qu’une offre satisfaisante (en quantité comme en qualité) suffirait à assurer la scolarisation de tous les enfants, sans prendre en compte la demande d’éducation (Hallak, 1994, p. 14). Cette orientation n’a pas véritablement changé à l’occasion du Forum mondial sur l’éducation tenu à Dakar en 2000 : « Ce qui se passe au niveau des familles, en termes de contraintes, de logiques ou de stratégies apparaît largement ignoré » (Gérard, 1999, p. 5-6).
3Le Mali s’inscrit dans ce contexte global avec un accroissement de la scolarisation à partir des années 1990 et surtout 2000, mais sans avoir permis celle de tous les enfants : selon les données de l’Institut de statistique de l’Unesco, le taux net ajusté de scolarisation au primaire est ainsi passé de 44 % en 1999 à 61 % en 2015 ; à cette date, près de 40 % des enfants d’âge scolaire demeurent donc « hors de l’école », n’ayant jamais été à l’école ou l’ayant quittée. Une synthèse publiée en 2001 des recherches portant sur les déterminants de la scolarisation au Mali (Diarra et al., 2001), qui reste assurément d’actualité2, avait mis en lumière une diversité des facteurs de scolarisation : socioculturels, avec la « résistance des familles à l’école » (Diarra et al., 2001, p. 161) et la discrimination envers les filles ; économiques, en termes de coût de la scolarisation et de travail des enfants ; institutionnels, à travers les insuffisances de l’offre scolaire et les pratiques du corps professoral ; politiques, avec l’impact des conflits. Cette synthèse avait aussi souligné la concentration des recherches sur quelques régions du Mali, au détriment des plus éloignées de la capitale, alors qu’elles étaient généralement les moins scolarisées. Telle est la situation des villages bwa, situés à près de 500 kilomètres au nord-est de Bamako.
4La mise en place d’un dispositif d’enquête en 1987 dans sept villages bwa, actualisé tous les cinq ans (jusqu’en 2009) et articulé aux données des recensements nationaux (voir chapitre 1), offre la possibilité d’apporter des éclairages inédits sur la dynamique de scolarisation dans cette région, et plus particulièrement sur les facteurs de la fréquentation scolaire au primaire. Au Mali, comme dans les autres pays africains, les études portant sur les facteurs de la scolarisation restent fondées sur une approche transversale. À travers une approche comparative dans le temps et pour une même population, il s’agit ici de questionner l’évolution de différents facteurs (individuels, familiaux et liés à l’offre scolaire), et ce dans un contexte de scolarisation croissante. En d’autres termes, les facteurs qui expliquaient « hier » la scolarisation, sont-ils les mêmes « aujourd’hui » ? Comment se diffuse l’école ? La progression de la scolarisation touche-t-elle de manière identique les familles ? Est-on passé d’une pratique scolaire limitée à certaines familles pionnières à une véritable « démocratisation » de l’école ?
5Après une revue de la littérature relative aux facteurs de la scolarisation au primaire en Afrique, nous présentons les données utilisées et la méthodologie suivie. L’évolution de la scolarisation dans les villages bwa est ensuite retracée avant de présenter et discuter les principaux résultats des analyses des facteurs de la scolarisation chez les enfants de 7 à 12 ans. L’analyse s’attache notamment à mettre en lumière les changements intervenus dans les facteurs de la fréquentation scolaire entre 1998 et 2009, années des deux derniers recensements.
I. Les approches statistiques des facteurs de la scolarisation au cycle primaire en Afrique
6En partie impulsée par les organismes internationaux à partir des années 1990, en rapport avec l’agenda international relatif à l’Éducation pour tous, la recherche en sciences sociales (principalement en sociologie, économie et démographie) a porté un intérêt croissant à l’étude des facteurs de scolarisation en Afrique, plus précisément sur la fréquentation scolaire, au primaire essentiellement3 ; ce fut notamment le cas en ce qui concerne les travaux mettant en lumière la sous-scolarisation des filles (Lange, 1998).
7À partir des sources de données existantes4, notamment les Enquêtes démographiques et de santé (EDS), les enquêtes à indicateurs multiples de l’Unicef (MICS) et les diverses enquêtes ménages, plus rarement à partir de données censitaires ou d’autres types de collecte (observatoires de population et enquêtes spécifiques), de nombreuses analyses statistiques ont cherché à appréhender les facteurs susceptibles d’agir sur la scolarisation, à en quantifier les effets respectifs (souvent par le recours à la régression logistique). Si la prise en compte de l’offre scolaire, notamment en termes d’existence ou non d’une école, paraît devoir s’imposer, les approches se sont principalement focalisées sur les facteurs relatifs à la demande. En fait, la plupart des sources de données mobilisées, et pour lesquelles la scolarisation n’est pas l’objectif principal (Pilon, 1995), ne comportent pas d’informations relatives à l’offre scolaire. Les recherches qui ont pu la prendre en compte confirment sans surprise son impact sur la scolarisation : l’insuffisance de l’offre scolaire réduit les chances de fréquentation scolaire (Rakoto-Tiana, 2011). Cette insuffisance peut se traduire de différentes manières, en termes d’absence d’une école à proximité, de problème d’accessibilité physique (éventuels obstacles naturels) ou économique (coût de la scolarité), ou encore de « qualité » (absentéisme des enseignant·es, manque de matériels, etc.). En effet, l’existence même d’une école ne suffit pas forcément à garantir la scolarisation, comme en témoigne le cas des écoles, surtout en milieu rural, en manque d’élèves (Pilon et Yaro, 2001). Les approches historiques et qualitatives, traitant des rapports à l’école et des représentations, ont montré à ce propos tout leur intérêt afin de mieux décrypter les logiques familiales en matière de scolarisation (Bonini, 2003 ; Deleigne, 2016 ; Gérard, 1997 ; Lange, 2006).
8Pour l’essentiel, une littérature scientifique désormais abondante s’est surtout attachée à mettre en lumière, de manière quantitative, les facteurs individuels et familiaux d’ordre économique, social, culturel, religieux et politique, susceptibles d’influencer la fréquentation scolaire à une date donnée ; des facteurs dont le poids respectif et les combinaisons varient selon les sociétés et les contextes, notamment entre les milieux urbain et rural. Sans bien sûr pouvoir le faire de manière exhaustive, il est intéressant de dresser la liste des variables habituellement retenue dans les analyses statistiques multivariées. À quelques variantes près, les variables individuelles relatives aux enfants sont le plus souvent le sexe, l’âge, le lien de parenté avec le ou la chef·fe de ménage, la survie et la résidence des parents (père et mère) dont est parfois issue une variable sur le statut d’enfant confié·e, la religion et l’ethnie. Au niveau du ménage, unité de collecte généralement retenue, les analyses prennent souvent en compte quelques caractéristiques du chef de ménage (telles que le sexe, l’état matrimonial et le niveau d’instruction), mais aussi du ménage lui-même : taille totale, effectif de catégories d’âges et de sexe spécifiques (les tout jeunes enfants, celles et ceux d’âge scolaire, les jeunes femmes adultes célibataires, les personnes âgées, etc.) et structure familiale (types de composition, nombre de générations présentes, etc.). Une variable proxy du niveau de vie du ménage est quasiment toujours utilisée, calculée à partir des caractéristiques de l’habitat et des biens possédés.
9Cette revue des variables généralement prise en compte dans les analyses statistiques de la scolarisation appelle deux remarques. D’une part, au sujet des caractéristiques du ou de la chef·fe de ménage, le statut d’emploi et surtout la profession (ou la catégorie socioprofessionnelle) sont très rarement considérés (Kobiané, 2006a ; Moguerou, 2006). D’autre part, on peut regretter qu’au-delà des caractéristiques de la personne qui dirige le ménage, ne soient pas élaborées des variables qui appréhendent certains phénomènes plutôt au niveau des ménages, que ce soit en termes de profil éducatif (nombre de membres du ménage étant allés à l’école ou ayant atteint tel niveau d’instruction) ou religieux (par exemple, la religion majoritaire).
10De nombreux travaux se sont intéressés aux relations entre famille et scolarisation, sous des angles divers, concernant notamment l’influence de la taille de la famille, de la structure familiale et des réseaux familiaux (Anderson, 2003 ; Bougma et al., 2014, 2015 ; Eloundou et al., 2006 ; Kravdal et al., 2013 ; Monserud et Elder, 2011) ou le rôle des parents (Lloyd et Blanc, 1996 ; Zoller, 2003). En regard de résultats parfois divergents, Bougma et ses collègues ont rappelé à juste titre, à propos du contexte africain, qu’« une littérature grandissante sur le lien entre le nombre d’enfants et leur scolarisation souligne la nature fondamentalement contextuelle de cette relation » (Bougma et al., 2014, p. 435). Ont également été mis en lumière l’effet négatif des ruptures d’union (Gnoumou Thiombiano et al., 2013) et l’importance des grands-mères pour les orphelin·es (Parker et Short, 2009). Souvent en lien avec le statut d’orphelin·e, l’impact du VIH-sida sur la scolarisation a fait l’objet de nombreux travaux (Yaro et Dougnon, 2006). La dimension économique est également souvent abordée, mettant notamment en avant l’importance de la contrainte financière pour les ménages les plus pauvres (Grimm, 2011 ; Mabika et Shapiro, 2012). Elle l’est aussi via la problématique du travail des enfants (Kobiané, 2006b), souvent en articulation avec le genre, la pratique du confiage des enfants et la mobilité dans l’enfance (Deleigne et Pilon, 2011). Les liens entre migration enfantine, genre et scolarisation s’avèrent complexes et parfois ambivalents, et varient selon les contextes : des enfants (le plus souvent les garçons) sont confiés afin d’être scolarisés, quand d’autres (surtout des filles) sont confiées, voire placées, non pas pour aller à l’école mais pour devenir domestiques auprès de familles urbaines. Les inégalités liées au genre ont historiquement surtout été abordées en termes de sous-scolarisation des filles (Lange, 1998), plus rarement en lien avec le sexe du ou de la chef·fe de ménage ; pourtant des résultats montrent une meilleure scolarisation des enfants au sein des ménages dirigés par une femme en Afrique (Pilon, 1996 ; Wayack-Pambè et Pilon, 2011).
11Sans pouvoir passer en revue l’effet de tous les facteurs possibles sur la scolarisation, on peut souligner que les variables prises en compte dans les analyses varient selon les sources de données et les problématiques retenues, mais aussi selon les contextes ; leurs effets peuvent différer, sans pour autant s’avérer contradictoires. Dans son ouvrage sur les facteurs de la scolarisation au Burkina Faso, Jean-François Kobiané a par exemple bien mis en avant l’effet différencié des facteurs de la fréquentation scolaire, plus précisément la « hiérarchisation des variables selon le pouvoir de prédiction » (Kobiané, 2006a, p. 179) en fonction du milieu de résidence (rural, capitale et autres villes).
12Une limite de la plupart des approches statistiques des facteurs de la scolarisation basées sur des données d’enquête et de recensements, concerne la référence au ménage, à travers la prise en compte des caractéristiques du ou de la chef·fe de ménage et du ménage en termes de taille et de structure. Or, une littérature abondante questionne la pertinence, sociologique et économique, du ménage comme unité d’analyse de nombreux phénomènes, dont la scolarisation (Amira, 1987 ; Gastellu et Dubois, 1997 ; Peatrik, 1997 ; Pilon, 1995 ; chapitre 2).
II. Données et méthodologie
13Les analyses qui suivent utilisent les données de l’enquête renouvelée du programme Slam (voir chapitre 1). Les recensements locaux ne collectent pas d’informations sur la scolarisation. En revanche, les deux derniers recensements généraux de la population du Mali de 1998 et 2009 renseignent sur la fréquentation scolaire et le niveau d’instruction atteint par chaque membre du ménage5. L’appariement des recensements locaux de 1999 et 2009 et des recensements nationaux de 1998 et 2009 permet de rattacher chaque ménage (et chacun de ses membres) tel qu’appréhendé par les recensements nationaux à leur groupe domestique d’appartenance (zun6). En effet, en regard du mode d’organisation socio-économique des Bwa (voir chapitre 1), les types de données collectées sur les villages enquêtés offrent la possibilité de dépasser la référence au ménage (ou au/à la chef·fe de ménage), unité de collecte utilisée par les recensements, mais qui ne s’avère pas pertinente, socialement et économiquement, dans le contexte boo (voir chapitre 2), notamment pour l’étude de la scolarisation. En effet, c’est bien au niveau de la zun, groupe domestique qui peut regrouper plusieurs ménages, que se prennent les décisions en matière de scolarisation.
14Les analyses portent sur la fréquentation scolaire au moment du recensement, chez les enfants de 7 à 12 ans, groupe d’âge officiel pour l’enseignement primaire.
15En outre, l’offre scolaire a pu être prise en compte selon la présence, ou non, d’une école dans le village de résidence des enfants, mais nous ne disposons pas d’information sur la distance entre le lieu de résidence et l’école pour les villages qui n’en sont pas pourvus.
16Au titre des caractéristiques individuelles des enfants, nous avons retenu le sexe, la présence (ou non) des parents dans le village et la relation de parenté avec le zunso, responsable du groupe domestique. À l’échelle de la zun, nous avons retenu la structure familiale (mono ou polynucléaire, soit un ou plusieurs hommes mariés), le nombre d’enfants de 0 à 4 ans et de 7 à 12 ans, le nombre de personnes adultes passées par l’école7 et le type de lignage de la zun. Ce dernier traduit la position sociale des zun, distinguant les lignages bwa d’agriculteurs et d’agricultrices, les plus nombreux, et les groupes sociaux des forgerons·nes et des griot·tes. Ces derniers constituent des groupes minoritaires, endogames et « ne sont pas considérés comme des Bwa à part entière dans la mesure où ils occupent des fonctions sociales spécifiques et des activités artisanales qui leur sont réservées en plus de la pratique de l’agriculture » (Hertrich, 1996, p. 60). Dans une population où le développement de la scolarisation est récent, prendre en compte le niveau d’instruction du responsable de la zun (le plus souvent l’aîné des hommes de la zun), comme facteur de scolarisation des enfants, n’aurait guère d’intérêt, la plupart des zunso appartenant à des générations peu ou pas scolarisées. Il a donc été préféré un indicateur à l’échelle de la zun, plus à même de rendre compte de l’effet potentiel de l’environnement éducatif des enfants au sein de la zun sur leur scolarisation : le nombre d’adultes ayant été à l’école. Cet indicateur traduit d’une certaine façon le « passé scolaire » de la zun, et le degré d’investissement de ses membres dans l’école.
17Les variables sélectionnées sont disponibles pour les recensements de 1998 et 2009, ce qui permet une comparaison de leurs effets sur la scolarisation entre deux dates dans les sept villages. S’il ne s’agit pas d’une approche de type biographique, reposant sur le suivi scolaire des mêmes enfants, la présente approche s’avère néanmoins plus riche qu’une comparaison plus habituelle de données transversales concernant des échantillons différents.
18L’enquête locale de 2009 fournit des données complémentaires utiles pour l’étude des facteurs de scolarisation à l’échelle des zun, à savoir les ressources économiques et l’appartenance religieuse. Une analyse spécifique est donc menée, pour l’année 2009, qui prend en compte ces facteurs. Si l’on s’en tient aux critères habituellement retenus pour mesurer le niveau de vie (conditions d’habitat et biens possédés), la société boo s’avère assez fortement homogène, et, traditionnellement, elle s’attache plutôt à dévaloriser et entraver les démarches de distinction individuelle et familiale » (Hertrich, 1996). Les données recueillies en 2009 ont permis de produire un indicateur de ressources, plus adapté aux Bwa, fondé sur les moyens agricoles (charrue, multiculteur, bœuf), de transport (charrette, cheval, âne, vélo, moto/mobylette) et de communication (radio, télévision, téléphone mobile). Cet indicateur est calculé au niveau des zun (voir le mode de calcul dans Traoré et Hertrich, 2015) et situe chaque zun relativement à l’ensemble des zun pour chaque village (par quartile). En ce qui concerne la religion, comme pour le niveau d’instruction, plutôt que de l’appréhender au niveau du zunso, un indicateur de profil religieux de la zun a été calculé, en termes de religion majoritaire8, avec les modalités suivantes : seulement chrétienne, majoritairement chrétienne, seulement « traditionnelle », majoritairement « traditionnelle ». Dans les villages étudiés, les catéchistes (exclusivement des hommes) ont été parmi les premiers scolarisés dans les villages (Hertrich, 1996), et l’on peut penser que cette antériorité de la scolarisation des villageois chrétiens contribue encore aujourd’hui à distinguer les profils scolaires des zun selon la part de chrétiens qui les compose.
19En regard des travaux existants et à partir des variables qui ont été considérées, le cadre d’analyse retenu conduit aux hypothèses suivantes :
- La première hypothèse renvoie au statut familial de l’enfant (sexe et relation de parenté au zunso) au sein du groupe domestique. Elle considère que les adultes se mobilisent davantage en faveur de la scolarisation de leurs propres enfants qu’en faveur de celle des enfants de parenté éloignée, et que la sous-scolarisation des filles s’est estompée au fil du temps avec la diffusion de la scolarisation primaire.
- La deuxième hypothèse concerne la taille et la structure de la zun. Elle considère que dans les grandes familles, réunissant un nombre important d’enfants de 7 à 12 ans et souvent plus aisées économiquement, l’envoi à l’école des enfants serait favorisé par une pression moindre à leur mise au travail, du moins pour une partie d’entre eux. La présence de jeunes enfants (0-4 ans) a également été retenue, car elle est souvent considérée comme facteur de non-scolarisation des enfants d’âge plus avancé, sollicité·es pour s’occuper des plus jeunes.
- Une troisième hypothèse est relative à la position économique et sociale de la zun (ressources et lignage/caste). Les familles les mieux dotées, économiquement et socialement, investiraient davantage dans la scolarité des enfants de la zun, de même que les familles d’agriculteurs et agricultrices, comparées aux groupes minoritaires des forgeron·nes et griot·tes. Sans être marginalisées ou exclues, on peut considérer que ces derniers revêtent sans doute un caractère plus traditionnel et émettre l’hypothèse qu’ils seraient moins enclins à scolariser leurs enfants.
- On peut aussi penser que les familles qui ont des attributs signifiant leur ouverture, sinon leur adhésion, à des valeurs non traditionnelles, vont également miser sur un projet scolaire pour leurs enfants. Il est ainsi attendu que le nombre d’adultes de la zun ayant été à l’école et la religion chrétienne, contrairement à la religion traditionnelle, influent positivement sur la scolarisation des enfants.
- Enfin, la dernière hypothèse considère que l’offre scolaire joue sur la scolarisation des enfants et que la présence d’une école dans le village devrait augmenter la probabilité d’être scolarisé·e.
III. Une scolarisation récente, en forte progression, bien qu’encore faible
20Avant le début des années 1990, aucun des villages bwa enquêtés ne disposait d’école. Selon les données du recensement national de 1987, dans les sept villages, 7 % des garçons résidents âgés de 7 à 12 ans étaient passés par l’école9, et seulement 2 % des filles. Les enfants ne pouvaient être scolarisé·es qu’en se rendant dans les villages disposant d’une école, donc en parcourant des distances comprises entre 5 et près de 20 kilomètres selon les cas. Les migrations scolaires, essentiellement pour les garçons, furent un autre moyen de mise à l’école en confiant les enfants à des familles dans les villages dotés d’une école.
21Dans les villages bwa, comme dans l’ensemble du Mali, le processus de scolarisation s’est véritablement enclenché à partir des années 1990 avec la chute de la dictature de Moussa Traoré et l’avènement d’un régime démocratique. Il fut ensuite favorisé par le contexte international de « l’Éducation pour tous » (EPT) et des « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD) adoptés en 2000. Cela s’est traduit au Mali par la mise en place, au début des années 2000, du Programme décennal de développement de l’éducation (Prodec), dans le but d’atteindre, à l’horizon 2015, la scolarisation primaire universelle (Diallo et Cissé, 2012).
22Dans la zone d’étude, les premières écoles primaires ne sont apparues qu’en 1994, dans les deux villages les plus peuplés, qui se sont saisis, au début des années 1990, de la possibilité d’ouvrir leurs propres écoles, dites « communautaires10 ». Deux autres villages se sont dotés d’une école : l’un en 2004, l’autre en 2008 avec trois classes chacune. Au moment du recensement de 2009, trois des sept villages n’avaient toujours pas d’école.
23L’évolution de la proportion d’individus qui sont ou ont été scolarisés dans chaque génération confirme ce « tournant » des années 1990-2000 (figure 1). Il apparaît particulièrement marqué dans les sept villages enquêtés qui, au cours des années les plus récentes, présentent un « vécu scolaire » (le fait d’être ou d’avoir été à l’école) supérieur à la moyenne observée pour l’ensemble du milieu rural malien ; et avec une situation qui s’avère désormais plus favorable pour les filles.
Figure 1. Proportion d’individus qui sont ou sont allés à l’école, par groupe d’âges

Sources : Slam (Suivi longitudinal au Mali)/Enquête renouvelée 2009-2010 et recensement général de la population et de l’habitat du Mali, 2009 pour le Mali rural.
24Le taux net de scolarisation au niveau primaire (cycle fondamental 111) a doublé entre 1998 et 2009, passant de 24 % à 48 %. Malgré cette progression, le niveau de scolarisation demeure très faible : en 2009, moins de la moitié des enfants d’âge scolaire pour le primaire va effectivement à l’école.
25L’analyse de l’évolution de la scolarisation, appréhendée à l’échelle des enfants à travers les taux de scolarisation, ne doit pas faire oublier que les décisions en matière scolaire se prennent au sein des zun. Ainsi, pour un taux de scolarisation donné, comment se répartissent les enfants qui vont (ou sont allés) à l’école, entre les zun ? Comment l’accroissement de la scolarisation observé entre 1998 et 2009 s’est-il traduit au niveau des zun ? La progression se réalise-t-elle de façon homogène, au profit de toutes les familles ?
26Afin de raisonner en termes d’engagement familial dans le processus de scolarisation, il apparaît plus pertinent de considérer non seulement la population des enfants scolarisés au moment du recensement, mais aussi celle, toujours d’âges scolaires (7-12 ans), qui est allée à l’école mais n’y va plus, quelle qu’en soit la raison ; la variable ainsi prise en compte est le nombre total d’enfants « passé·es par l’école ».
27On peut tout d’abord observer qu’entre 1998 et 2009 (tableau 1), la répartition des zun selon le nombre d’enfants de 7 à 12 ans a peu évolué, si ce n’est une légère progression des zun n’en comportant qu’un·e seul·e (de 34,1 % à 36,9 %), au détriment des zun en ayant au moins trois (de 28,7 % à 25,9 %).
28En 1998, près de la moitié des zun n’avaient pas d’enfant ayant été à l’école. Si un quart les avaient tous, la moitié d’entre elles ne comportaient qu’un·e seul·e enfant d’âge scolaire. Le cas le plus fréquent demeurait celui des zun avec un·e seul·e enfant d’âge scolaire et n’ayant pas été scolarisé·e (21,3 %).
29En 2009, la situation scolaire des enfants des zun diffère sensiblement. Le cas le plus fréquent (45,7 %) concerne désormais les zun ayant tous leurs enfants ayant été à l’école12. Par ailleurs, il n’y a plus qu’une zun sur quatre (23,6 %, contre 45,5 % en 1998) n’ayant pas d’enfant qui soit allé à l’école. Ainsi, alors qu’en 1998 juste un peu plus de la moitié (54,5 %) des zun étaient engagées dans la scolarisation de leurs enfants, elles sont un peu plus des trois quarts (76,4 %) dans ce cas en 2009.
30L’ensemble de ces chiffres illustre bien que la progression de la scolarisation au primaire, mesurée au niveau des enfants, s’est aussi accompagnée d’une véritable diffusion de la scolarisation à l’échelle des zun.
Tableau 1. Répartition (%) des zun avec au moins un·e enfant de 7-12 ans selon le nombre d’enfants dans la zun et le nombre d’enfants passé·es par l’école, en 1998 et 2009

IV. L’évolution des facteurs de la diffusion de la scolarisation au primaire entre 1998 et 2009
1. En 1998, une situation scolaire marquée par une très faible offre scolaire et une forte sous-scolarisation des filles
31Dans ce contexte de scolarisation croissante, bien que restant à des niveaux faibles, comment ont évolué les facteurs de la fréquentation scolaire entre 1998 et 2009 ? Deux modèles de régression logistique, un pour chacune des dates, estiment l’effet des caractéristiques des enfants et des zun sur le fait qu’un·e enfant soit scolarisé·e au moment de l’observation13. Nous avons ajouté un sous-modèle à chaque date qui intègre la présence d’une école dans les villages, de manière à analyser d’abord les facteurs familiaux de la scolarisation, puis y ajouter dans un second temps un facteur lié à l’offre scolaire.
32En 1998, sans prendre en compte la variable relative à la présence d’une école dans le village, quatre variables s’avèrent significatives : le sexe, le groupe social, le nombre d’enfants de 7-12 ans et le profil éducatif de la zun (tableau 2). Les garçons ont deux fois et demie plus de chances d’être à l’école que les filles, confirmant ainsi le constat d’une sous-scolarisation féminine marquée (15 % de filles contre 31 % pour les garçons, tableau A1 en annexe), qui caractérise du reste de nombreuses sociétés rurales africaines. Alors qu’un quart des enfants relevant des lignages bwa de cultivateurs et cultivatrices sont scolarisé·es, c’est le cas d’à peine un·e sur dix dans les familles des autres groupes sociaux ; indépendamment des autres variables, ces enfants ont trois fois moins de chances d’aller à l’école, témoignant d’une moindre adhésion de ces familles à l’institution. De 10 % quand la zun ne comporte qu’un·e seul·e enfant d’âge scolaire, la part d’enfants scolarisé·es passe à 22 % avec deux enfants, puis à 29 % avec au moins trois enfants ; mais ce n’est qu’à partir de trois enfants que l’effet s’avère statistiquement significatif, avec une probabilité de fréquentation scolaire trois fois plus élevée que lorsque la zun ne comporte qu’un·e enfant d’âge scolaire. Dans cette population vivant d’une agriculture de subsistance, pour laquelle les enfants sont volontiers sollicité·es, un plus grand nombre d’enfants dans ce groupe d’âge des 7-12 ans offre ainsi la possibilité de permettre à certain·es d’aller à l’école. Enfin, la fréquentation scolaire des enfants qui appartiennent à des zun comportant au moins deux adultes ayant été à l’école s’avère deux fois plus élevée que lorsque la zun ne comprend aucune ou une seule personne adulte dans ce cas (40 % et 21 %) ; écart confirmé par l’analyse multivariée avec une chance d’aller à l’école un peu plus de deux fois plus élevée. Résultat qui, sans surprise, traduit la plus forte adhésion à l’école dans les groupes domestiques où une partie significative des adultes a elle-même été scolarisée.
33En revanche, la présence des parents, le lien de parenté avec le zunso et le caractère mono ou polynucléaire de la zun n’ont pas d’influence statistiquement significative sur la fréquentation scolaire.
34La prise en compte de l’existence ou non d’une école dans le village modifie sensiblement les effets observés14. Sans surprise, l’existence d’une école dans le village s’avère déterminante, en multipliant par six la probabilité d’aller à l’école ; l’effet est d’autant plus marqué qu’en 1998, seuls deux des sept villages disposent d’une école depuis 1994. À l’avantage des garçons, l’effet du sexe demeure très significatif et se renforce même légèrement (2,7 au lieu de 2,4). Parmi les trois autres variables précédemment significatives, seul le nombre d’enfants de 7 à 12 ans le demeure, tandis que le fait de résider avec ses deux parents devient significatif (au seuil de 10 %), multipliant presque par deux (1,7) la probabilité d’aller à l’école. En revanche, les effets du groupe social et du profil éducatif de la zun disparaissent, une fois la présence d’une école prise en compte dans le modèle.
35Ainsi en 1998, les enfants les plus à même d’être scolarisé·es sont les garçons résidant dans un village doté d’une école, avec leurs deux parents dans leur zun, et les enfants vivant dans des zun comportant un nombre élevé d’enfants d’âge scolaire.
Tableau 2. Facteurs associés à la scolarisation des enfants de 7 à 12 ans en 1998 (odds ratios)

2. En 2009, une offre scolaire plus importante et des filles autant scolarisées que les garçons
36En 2009, le schéma diffère quelque peu (tableau 3). Pour le premier modèle (sans la variable sur l’offre scolaire), l’effet du sexe des enfants disparaît, confirmant le rattrapage des filles pour la scolarisation au niveau primaire ; deux fois moins scolarisées que les garçons en 1998, elles le sont autant, voire très légèrement plus, en 2009 (50 % et 49 %, tableaux A1 et A2 en annexe). L’évolution du rapport de féminité15 chez les enfants de 7-12 ans, passé de 76 en 1998 à 99 en 2009, traduit les changements intervenus dans les dynamiques migratoires affectant les filles et les garçons. À partir des années 1990, les migrations des filles s’avèrent plus fréquentes que celles des garçons ; chez les jeunes filles, « L’expérience migratoire devient quasi universelle et démarre de plus en plus tôt. Parmi les générations 1985-1989, un tiers des femmes ont migré pour travailler avant 14 ans, contre moins d’une sur dix parmi les générations 1970-1974 » (Lesclingand et Hertrich, 2017, p. 79). Même avant 12 ans, des filles partaient en ville, notamment à Bamako, pour y travailler comme « domestiques », « petites bonnes » (Lesclingand, 2004). En 2009, la situation a changé : de plus en plus scolarisées, les jeunes filles continuent certes de partir en ville, mais à des âges plus avancés, si possible après avoir achevé le cycle primaire (Lesclingand et Hertrich, 2007). Par conséquent, le rapport de féminité s’est rééquilibré aux âges de scolarité.
37Contrairement à la situation en 1998, l’effet du lien de parenté s’avère significatif, au détriment des enfants de parenté éloignée, qui présentent trois fois moins de chances de fréquenter l’école que les propres enfants du zunso notamment. Ainsi, l’accroissement de la scolarisation n’a pas profité également à tous les enfants.
38L’effet positif d’une appartenance aux lignages bwa et celui du nombre de personnes adultes passées par l’école demeurent, alors que l’effet du nombre d’enfants d’âge scolaire disparaît. L’introduction de l’offre scolaire (modèle 2) modifie à nouveau, mais différemment qu’en 1998, les effets des différentes variables. Si la présence d’une école dans le village se révèle également positive, cela joue moins qu’en 1998, les autres variables significatives en 1998 (la relation avec le zunso, le groupe social, le nombre d’adultes passés par l’école) demeurent en 2009.
39En 2009, si la prise en compte supplémentaire, dans le modèle 3, de la religion majoritaire dans la zun et du niveau des ressources, révèle en premier lieu l’absence d’effet significatif des ressources, elle met également au jour un effet très important de la religion : les enfants des zun ne comportant que des personnes chrétiennes ont quatre fois plus de chances d’aller à l’école que lorsque seule la religion traditionnelle est représentée dans la zun. Par ailleurs, les variables qui apparaissaient significatives dans le modèle 2 de 2009, le sont toujours : la relation avec le zunso, le groupe social, le nombre d’adultes passé·es par l’école et la présence d’une école au village ; les effets de ces variables s’avèrent cependant légèrement plus faibles.
40Non significative en 1998 et en 2009 pour les modèles 1 et 2, la relation de parenté avec le zunso le devient en 2009 dans le modèle 3, avec l’ajout de deux variables supplémentaires (religion et ressources), et de manière très nette : ainsi, les propres enfants du zunso ont quatre fois plus de chances d’aller à l’école que les enfants dont le lien de parenté est le plus éloigné, l’effet étant légèrement moindre pour les autres enfants avec un lien de parenté. Si les données révèlent un pourcentage croissant d’enfants confié·es au sein des villages, passant de 9,6 % en 1998 à 13 % en 2009, et parmi ces enfants une proportion nettement plus croissante de scolarisé·es (de 13 % à 44 %), il n’en demeure pas moins que l’accès à l’école concerne avant tout les propres enfants des zunso. Au cours de la période, les motifs de confiage d’enfants de 7 à 12 ans au sein des villages ont évolué. D’un côté, le développement de la scolarisation s’est traduit par une augmentation du confiage pour motif scolaire (Lesclingand et al., 2016). D’un autre côté, avec la mise à l’école d’un nombre croissant d’enfants des villages enquêtés, l’accueil d’enfants venant d’autres villages a permis de continuer d’assurer le gardiennage des petits animaux, habituellement exercé par les premiers.
41L’absence d’effet significatif des ressources économiques de la zun, à l’inverse de la religion et du nombre d’adultes passés par l’école, incite à penser que dans les villages bwa concernés, la contrainte financière ne constitue pas un véritable obstacle à la scolarisation des enfants, contrairement à ce qui peut être observé dans la plupart des autres sociétés rurales africaines. Dans cette population agricole, manifestement encore peu différenciée d’un point de vue économique, les facteurs favorables à la scolarisation se situent plutôt sur le plan socioculturel. On peut rappeler ici que les premiers enfants scolarisés (exclusivement des garçons), le furent parmi les zun chrétiennes. Le statut social moins valorisant des groupes minoritaires se traduit par un moindre engagement dans la scolarisation de leurs enfants. Par ailleurs, la priorité accordée aux propres enfants du zunso en matière de scolarisation, dont l’effet apparaît renforcé avec la prise en compte de la religion, traduirait-elle un processus de « nucléarisation » du fonctionnement des zun, se manifestant par un certain repli sur la famille nucléaire ? Enfin, il convient de souligner le rattrapage scolaire des filles, du moins au niveau de l’enseignement primaire ; elles y sont désormais autant scolarisées que les garçons.
42L’effet de la présence d’une école dans le village est moindre en 2009 par rapport à 1998, attestant que l’accroissement de l’offre scolaire a effectivement contribué à augmenter la scolarisation et donc à réduire les inégalités d’accès à l’école (notamment entre filles et garçons). Mais cette variable reste statistiquement significative en 2009, ce qui indique que l’accroissement de l’offre reste encore insuffisant. Ainsi, en 2009, trois des sept villages n’avaient toujours pas d’école.
Tableau 3. Facteurs associés à la scolarisation des enfants de 7 à 12 ans en 2009 (odds ratio)

Conclusion
43À l’instar de ce qu’il s’est passé dans la plupart des pays africains, la scolarisation à l’école primaire chez les Bwa de la zone étudiée au Mali a connu son véritable essor à partir des années 1990 et surtout des années 2000. Cette évolution est à resituer dans le contexte des nouvelles politiques éducatives impulsées dans le cadre de « l’Éducation pour tous » (EPT). Si la scolarisation a fortement progressé, il faut cependant rappeler qu’en 2009, encore moins d’un enfant sur deux d’âge scolaire pour le primaire est effectivement scolarisé, et que trois des sept villages enquêtés étaient toujours sans école. Un progrès majeur concerne le rattrapage des filles qui, au niveau du primaire, s’avèrent désormais autant scolarisées que les garçons.
44L’analyse comparée entre 1998 et 2009 des facteurs individuels et familiaux influant sur la fréquentation scolaire au primaire, confirme la disparition de différence entre garçons et filles et met en lumière l’effet prédominant de trois variables : l’existence ou non d’une école, le type de lignage et le nombre de personnes adultes passées par l’école. Un·e enfant a ainsi d’autant plus de chances d’aller à l’école si elle ou il relève des lignages d’agricultrices ou d’agriculteurs bwa, comparé à un·e enfant appartenant aux groupes sociaux minoritaires (griot·tes et forgeron·nes). Ses chances augmentent aussi quand sa zun comporte un nombre élevé d’adultes ayant été à l’école. En 2009, la prise en compte supplémentaire du profil religieux de la zun et du niveau des ressources économiques, confirme l’effet des trois facteurs précédents et révèle l’importance de la dimension religieuse, qui renvoie à l’histoire de l’implantation de la religion chrétienne dans les villages bwa et son rôle dans les débuts de la scolarisation, à travers l’apparition des premières écoles. Les premiers Bwa passés par l’école, des garçons, étaient tous des chrétiens. Contrairement à ce qui est souvent observé, l’absence d’effet du niveau des ressources économiques des zun atteste de la faible différenciation économique qui caractérise encore la société boo (voir chapitre 6 pour un résultat analogue concernant la mortalité des enfants). Ainsi, plus que la question du coût de la scolarisation, ce sont des facteurs d’ordre social, culturel et religieux qui semblent agir sur les stratégies familiales de scolarisation.
45En définitive, l’écart entre enfants dans l’accès à l’école concerne aujourd’hui principalement des groupes minoritaires : d’un côté du spectre (scolarisation plus élevée), les familles qui se distinguent par un engagement fort et déjà ancien dans des structures et logiques extracommunautaires (christianisme et école) ; de l’autre (scolarisation rare), des familles et des enfants occupant des positions sociales marginales dans les espaces sociaux traditionnels (les groupes sociaux minoritaires et les enfants sans relation de parenté ou en relation éloignée avec le zunso). Cependant, pour la majorité des enfants, la probabilité d’aller à l’école est indépendante de la configuration et des caractéristiques du groupe domestique, tout comme de la place occupée. Comme pour d’autres phénomènes (notamment le recul de la mortalité dans l’enfance), les progrès ont profité à la grande majorité des enfants. Le fait que la scolarisation primaire repose, presque exclusivement, sur des projets villageois et que la population soit fortement homogène du point de vue socioéconomique, en sont certainement des facteurs explicatifs. Mais qu’en sera-t-il après la phase de démarrage : la scolarisation pour toutes et tous n’est qu’à mi-chemin, l’essor se poursuivra-t-il au même rythme et avec la même homogénéité pour la seconde moitié du chemin et pour la scolarité au-delà du primaire ?
46En raison d’effectifs insuffisants, l’approche statistique n’a pas permis de traiter séparément l’analyse des facteurs de la scolarisation pour chacun des deux sexes. Or, si en termes de fréquentation scolaire au primaire, les filles ont rattrapé les garçons, il serait intéressant, d’une part, de parvenir à comparer les facteurs de la scolarisation en fonction du sexe et, d’autre part, de poursuivre l’analyse au-delà du niveau primaire.
47Enfin, sur un plan méthodologique, il conviendrait de pouvoir approfondir l’analyse à l’échelle des groupes domestiques, articulant approches quantitative et qualitative, en termes de biographies scolaires familiales, la seule démarche à même de véritablement appréhender les logiques familiales en matière de scolarisation, de même que leur évolution au cours du temps.
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Annexe
Annexe
Tableau A1. Proportion des 7-12 ans scolarisés en 1998, selon les caractéristiques individuelles des enfants et de leur zun

Tableau A2. Proportion des 7-12 ans scolarisés en 2009, selon les caractéristiques individuelles des enfants et de leur zun

Notes de bas de page
2 Depuis une dizaine d’années, la recherche sur la demande d’éducation s’est sensiblement raréfiée. Au vu de ce qui s’observe dans les pays voisins, les facteurs de scolarisation n’ont pas dû fondamentalement changer, à l’exception notoire de l’accroissement de l’offre scolaire.
3 La revue de littérature présentée dans ce chapitre ne prend pas en compte les recherches portant sur les parcours scolaires et sur les performances ou les acquis scolaires.
4 À la fin des années 1990, des chercheurs ont mis en place, au sein de l’Union pour l’étude de la population africaine (UEPA), un réseau international de recherche intitulé « Famille et scolarisation en Afrique » (Fasaf), avec entre autres objectifs celui de promouvoir les analyses statistiques des sources de données existantes (7e réseau UEPA, 1999 ; Fasaf et al., 2004) ; ce réseau a également produit une synthèse des recherches sur la « demande » d’éducation en Afrique francophone subsaharienne (Pilon et Yaro, 2001).
5 Le recensement national de 1987 ne comprenait pas de question sur la fréquentation scolaire, mais une variable relative au niveau d’instruction. D’après celle-ci, seuls 5 % des enfants de 7 à 12 ans des sept villages bwa avaient un niveau d’instruction à une époque où aucune école n’y était implantée. Lors des recensements de 1998 et 2009, la question relative à la fréquentation scolaire était la suivante : « Est-ce que (NOM) a déjà fréquenté ou fréquente l’école actuellement ? », avec comme modalités de réponse : « N’a jamais fréquenté », « Oui, a déjà fréquenté », « Oui, fréquente actuellement ».
6 Voir le détail dans le chapitre 1.
7 Passé par l’école signifie avoir été scolarisé au moins une fois dans sa vie, quelle que soit la durée de cette scolarisation ; une question sur la « dernière classe fréquentée » permet d’identifier les personnes étant, ou ayant été, scolarisées.
8 La population du Mali est majoritairement musulmane (à 90 %, chrétienne à 8 %). Mais les Bwa des villages enquêtés présentent un profil religieux très différent : 52 % se déclarent de religion traditionnelle, 31 % catholiques, 16 % protestant·es et 1 % musulman·es (Dasré et Hertrich, 2020).
9 Faute de question spécifique sur la fréquentation scolaire, celle relative à la « dernière classe fréquentée » permet d’identifier les personnes étant ou ayant été scolarisées.
10 Il s’agit d’écoles créées, gérées et souvent entièrement financées par les parents d’élèves. La loi d’orientation sur l’éducation n° 94-010 du 24 mars 1994 leur a conféré un statut officiel. Depuis 2010, ces deux écoles sont devenues des écoles publiques, prises en charge par l'État.
11 Au Mali, le niveau primaire est intitulé « cycle fondamental 1 », il concerne les élèves âgés entre 7 et 12 ans. Il est suivi du « cycle fondamental 2 », entre 13 et 16 ans (l’équivalent du collège), puis du lycée entre 16 et 18 ans.
12Parmi ces zun, en 2009 comme en 1998, la moitié n’ont qu’un·e enfant âgé·e de 7 à 12 ans (22,2 % parmi 45,7 %). Cependant, alors qu’en 1998 dans la majorité des cas, le ou la seul·e enfant n’était jamais passé·e par l’école, en 2009, dans la majorité des cas, c’est l’inverse (22,2 % parmi 36,9 %).
13 Les tableaux A1 et A2 en annexe fournissent les résultats relatifs à une analyse bivariée, indiquant les pourcentages d’enfants scolarisé·es et les effectifs de référence.
14 Il y a peu de migrations scolaires vers ces villages (par exemple des enfants confié·es pour être scolarisé·es) au niveau de l’école primaire ; par conséquent, cette variable reflète un effet sur les enfants des villages (ou sur celles et ceux résidant à proximité), et non une augmentation de la probabilité de la scolarisation qui serait due à des enfants extérieur·es venu·es pour être scolarisé·es.
15 À savoir, le nombre de filles pour 100 garçons.
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