Chapitre 4
Le recul de la mortalité et ses effets sur le réseau familial des enfants. Comparer données d’enquêtes et simulations
p. 117-138
Texte intégral
1La taille et la composition des réseaux de parenté sont des déterminants clés du développement des enfants, mais ils sont rarement analysés dans les pays à faible et moyen revenu (Case et al., 2004 ; Clark et Hamplová, 2013 ; Lloyd et Desai, 1992). En Afrique subsaharienne, la plupart des études sur l’environnement familial des enfants ont porté sur les orphelin·es, avec une attention particulière sur les pays où les risques de décès aux âges adultes ont augmenté en raison de l’épidémie du VIH-sida (Beegle et al., 2010 ; Hosegood et al., 2007 ; Merli et Palloni, 2006). Comparativement, peu d’études ont été menées en Afrique de l’Ouest (Bocquier et al., 2021 ; Sear et al., 2002 ; voir chapitre 3) où l’épidémie du VIH-sida a été de moindre ampleur. Pourtant, l’environnement des enfants est susceptible d’avoir subi des modifications importantes dans cette région également, sous l’effet de la baisse de la mortalité marquant l’amorce de la transition démographique.
2Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, la mortalité des enfants a considérablement baissé en Afrique de l’Ouest. Au Mali, le risque de décéder avant d’atteindre l’âge de 5 ans a été divisé par deux entre 1965 et 1997 (IGME, 2020). Cette baisse s’est ensuite prolongée et s’est même accélérée à partir du début des années 2000, au point de voir la mortalité infanto-juvénile divisée à nouveau par deux, pour atteindre 94 décès pour mille naissances vivantes en 2019. Comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, cette baisse rapide de la mortalité n’a pas été accompagnée d’une baisse comparable de la fécondité. D’après les estimations des Nations unies (2019), l’indice synthétique de fécondité du Mali est resté stable entre 1950 et 2000, avoisinant 7 enfants par femme, avant de baisser très légèrement pour se rapprocher de 6 enfants par femme aujourd’hui. Le Mali fait ainsi partie des quatre pays ayant la fécondité la plus élevée au monde. Conséquence de ce long décalage entre la baisse de la mortalité et celle de la fécondité, la population malienne a quadruplé entre 1950 et 2020, et elle devrait encore doubler dans les trente prochaines années en passant de 20 millions en 2020 à 44 millions d’habitants en 2050 (Nations unies, 2019).
3Cette évolution, caractéristique de la première phase de la transition démographique, provoque, par simple effet mécanique, une évolution de la taille et de la structure du réseau d’apparenté·es des individus. Les travaux de Lam et Marteleto (2008) ont bien décrit les conséquences de la transition démographique du point de vue des enfants, en trois étapes. Premièrement, la baisse de la mortalité se traduit à la fois par une augmentation de la taille des cohortes et par une augmentation du nombre de frères et sœurs survivants. C’est la situation que connaît le Mali aujourd’hui. Dans une deuxième étape, la baisse de la fécondité joue en faveur d’une réduction de la taille du groupe des frères et sœurs. Néanmoins, la taille des cohortes continue d’augmenter en raison du potentiel d’accroissement démographique associé à la jeunesse de la population. Ce n’est que dans un troisième temps que la baisse de la fécondité dépasse l’effet du potentiel d’accroissement démographique et que la taille des cohortes commence à diminuer elle aussi. Au cours de cette transition, la réduction de la mortalité adulte contribue en parallèle à l’augmentation du nombre de parents et de grands-parents survivants (Pennec et Gaymu, 2015).
4L’évolution de la parentèle façonnée par les changements démographiques ne se répercute toutefois pas directement sur le réseau relationnel immédiat des enfants, appréhendé par exemple à l’échelle des unités familiales1. Elle est modulée par la mobilité des personnes et les éventuelles transformations des unités familiales (création de nouvelles unités, scissions, regroupements). L’environnement familial des enfants résulte ainsi de deux types de déterminants. D’une part, le régime démographique qui produit la parentèle existante : la disponibilité de personnes apparentées (mère et père, sœurs et frères, tantes et oncles, cousins et cousines…), quels que soient leur lieu de résidence et les relations entretenues effectivement avec l’enfant. D’autre part, les institutions et pratiques qui vont organiser le regroupement des personnes (règles de corésidence, mobilité des personnes). Dans les milieux ruraux d’Afrique de l’Ouest, la complexité des unités familiales rend l’articulation entre parentèle « potentielle » et parentèle « effective » plus complexe que dans d’autres régions. L’organisation familiale n’y est pas nécessairement structurée autour de la cellule nucléaire, notamment du fait de la fréquence de la polygamie. Les unités familiales rassemblent souvent des individus liés par des relations généalogiques complexes ou appartenant à plusieurs groupes générationnels. Il existe par ailleurs une très grande mobilité des individus qui « entrent » et « sortent » des unités familiales, ce qui contribue à en rendre les contours flous (Dozon, 1986 ; chapitre 3). Plusieurs études ont souligné la pluralité des lieux et des réseaux investis par les individus en Afrique subsaharienne (Madhavan et al., 2017 ; Randall et al., 2011). En particulier, les enfants circulent souvent entre plusieurs ménages dans le cadre du confiage (Goody 1978 ; Isiugo-Abanihe, 1994). L’intensité et la précocité des migrations peuvent également modifier le nombre d’apparenté·es des enfants au sein de leur ménage. Ces migrations peuvent concerner les enfants pour des raisons scolaires ou professionnelles (Lesclingand et Hertrich, 2017 ; chapitre 8).
5Dans ce contexte, les paramètres démographiques ne sont connectés à la composition des ménages que de façon indirecte. Dans son travail comparatif sur les ménages des pays du Sud dans les années 1990, Bongaarts (2001) constate par exemple qu’il existe bien une corrélation positive entre la fécondité et la taille des ménages, mais que le nombre moyen d’enfants par ménage ne représente qu’environ la moitié du nombre d’enfants par femme. Cet écart est possible car le nombre d’enfants par femme est un indicateur se référant à l’ensemble de la vie reproductive, sans considérer la corésidence. Or, à un moment donné, des enfants peuvent ne pas résider avec leur mère, du fait d’une migration, d’un décès, ou pour fonder leur propre ménage. À l’échelle des enfants, l’impact de la transition démographique sur l’évolution de leur réseau familial n’est donc pas immédiat.
6Peu d’études en Afrique ont examiné le réseau relationnel des enfants en prenant en compte à la fois la parenté « potentielle » et la parenté « effective », vraisemblablement parce que la première n’est pas directement observable, et que la seconde est mal représentée dans les données d’enquêtes ou de recensements. Bien qu’elle ne puisse être observée, la parenté « potentielle » peut toutefois être estimée à l’aide de modèles de microsimulations (Masquelier et Pison, 2018). C’est l’approche que nous adoptons ici. Ces modèles permettent de construire une population fictive d’individus en reproduisant la dynamique démographique en vigueur dans une zone d’étude, tout en conservant les liens de parenté entre les individus simulés (Verdery et al., 2020 ; Zagheni, 2011). En revanche, l’analyse du réseau de parenté présent auprès de l’enfant nécessite des données empiriques, précisant les relations de parenté de l’enfant avec chacun des membres de son unité familiale. Or, l’enregistrement de la composition de l’unité familiale, prenant l’enfant comme pivot et détaillant les liens de parenté qui l’unissent à chacun des membres, se heurte aux limites des données existantes. D’une part, le ménage retenu comme unité de collecte dans les recensements et les enquêtes nationales s’avère parfois éloigné de l’unité familiale dans laquelle se reconnaissent les individus. L’utilisation de cette échelle d’analyse induit une représentation centrée sur la cellule nucléaire (Randall et al., 2015 ; Randall et al., 2011 ; chapitre 2). D’autre part, les liens de parenté ne sont saisis dans les recensements et enquêtes qu’en relation avec la cheffe ou le chef de ménage (Tichit et Robette, 2008). Ces contraintes sont particulièrement problématiques pour les études menées sur l’Afrique subsaharienne, pour les raisons évoquées précédemment (arrangements familiaux complexes, groupes domestiques de grande taille, polygamie, circulation des enfants et forte mobilité des personnes).
7Dans cette étude, nous utilisons les données généalogiques et démographiques du programme Slam qui permettent d’identifier précisément les personnes apparentées vivant avec l’enfant (Hertrich, 1996 ; chapitres 1 et 3). En mobilisant un corpus généalogique et des données censitaires, nous cherchons à identifier et à quantifier le réseau de parenté effectif autour des enfants, en définissant de façon précise les liens de parenté qui unissent chaque enfant avec chaque autre membre de son unité familiale. L’accent est mis sur le groupe domestique (zun2) qui est l’unité économique centrale chez les Bwa, le groupe ethnique majoritaire dans cette zone d’étude. À titre comparatif, des statistiques sont également produites pour les ménages délimités par les recensements nationaux. Le réseau relationnel observé à l’échelle de la zun ou du ménage est comparé au réseau généalogique complet (estimé à partir de microsimulations) pour évaluer les individus avec un lien de parenté qui ont le plus de chance de vivre effectivement avec les enfants et pour mesurer les évolutions dans le temps.
8À partir de cette étude de cas sur sept villages en milieu rural malien, notre objectif est de discuter des retombées de la baisse de la mortalité en première phase de transition démographique sur l’environnement familial des enfants. Après avoir présenté la zone d’étude, les données disponibles et les simulations, nous décrirons la composition et l’évolution, de 1988 à 2009, de la parenté des enfants, à trois niveaux : la parenté complète (microsimulée), la parenté présente dans la zun et la parenté présente dans le ménage. Nous examinerons ensuite dans quelle mesure l’évolution de la parenté consécutive à la baisse de la mortalité s’accompagne d’une évolution comparable de la parenté présente autour de l’enfant. Nous discuterons enfin des facteurs concurrents à l’évolution démographique qui modèlent l’entourage de l’enfant, en faisant l’hypothèse que les unités familiales ont pu se modifier en réponse aux pressions démographiques induites par la transition démographique.
I. Contexte : le système de parenté dans l’aire ethnique des Bwa
9La société des Bwa est construite autour d’unités familiales (les zun) pouvant rassembler un grand nombre d’individus. Il s’agit de structures fréquemment polynucléaires et multigénérationnelles. Les enfants évoluent de ce fait dans un milieu familial très étendu (voir chapitre 3).
10La parenté paternelle joue un rôle central dans l’univers familial des enfants. La filiation y est de type patrilinéaire, la résidence est patrilocale (les enfants vivent dans le village du père) et virilocale (les femmes rejoignent le village de leur mari). La polygamie y existe principalement sous forme de bigamie. Elle concerne, en coupe transversale, environ un cinquième des hommes mariés et un tiers des femmes en union (Hertrich, 2006). Les ruptures d’union sont fréquentes : environ un tiers des premières unions sont rompues par divorce dans les dix premières années (Hertrich, 2014). Ces ruptures causent souvent le déménagement de l’épouse vers une autre localité et un remariage rapide. À moins d’être en bas âge et encore allaité, les enfants vont rester auprès de leur parenté paternelle, ou éventuellement rejoindre leurs grands-parents maternels si ceux-ci en demandent la garde temporaire pour faciliter l’organisation familiale perturbée par la rupture.
11Les enfants bwa évoluent dans un système dont les relations sociales et de parenté sont structurées par des rapports de genre, de génération et d’âge. Pour décrire le système de parenté, on recourt à une terminologie classificatoire dite « générationnelle » (Ghasarian, 1996 ; chapitre 3). L’importance du réseau de parenté et son fonctionnement par rang générationnel le rendent particulièrement sensible aux modifications induites par les évolutions démographiques connues de cette population.
II. Données et méthodes
12Pour évaluer les retombées des changements démographiques sur l’environnement familial des enfants, notre approche consiste à comparer la parentèle présente autour des enfants, décrite par les données empiriques collectées dans les sept villages de l’étude, à la parentèle « potentielle » (présente ou non dans les villages) estimée par un modèle de microsimulation. Nous détaillons dans cette section les données disponibles et les méthodes d’analyses pour chaque approche.
1. La parenté observée : recensements et généalogies au Mali
13Le programme Slam s’appuie sur un dispositif de collecte mixte, centré sur une démarche démographique combinant une « enquête renouvelée », des enquêtes biographiques, et les recensements nationaux (voir chapitre 1). Un recueil généalogique a été intégré à l’enquête renouvelée afin de retracer les relations de parenté entre les membres des zun. Il s’agit d’un enregistrement ciblé sur la composition de la zun au recensement considéré : la collecte comprend les individus recensés, ainsi que les autres individus (ceux décédés ou vivant ailleurs) qui interviennent dans la définition de la chaîne de parenté entre membres de la zun. Des questions sont posées sur ces personnes apparentées (sur les liens de filiation ou d’alliance) pour permettre de reconstituer complètement la généalogie au travers de diagrammes de parenté.
14En parallèle, une base de données généalogiques a été constituée, enregistrant tout individu apparaissant sur les diagrammes de parenté, avec les informations disponibles sur les identifiants de ses deux parents et de ses conjoint·es3. Celle-ci permet de retracer le « chemin » de parenté au travers des différents individus intervenant dans la relation entre deux personnes. C’est cette base que nous exploitons ici afin de permettre l’identification précise des relations de parenté entre chaque enfant et chaque autre membre de son unité familiale. Pour établir ces relations de parenté, nous avons utilisé le logiciel d’analyse généalogique Puck (Program for the use and computation of kinship data). Celui-ci identifie les individus par lesquels passent les relations de parenté entre deux personnes (Hamberger et al., 2009, 2010, 2014). Il permet d’obtenir une définition précise de la relation généalogique sans se limiter à certains types de relations de parenté prédéterminés. Ceci permet par exemple de distinguer les frères du même père et de la même mère, et ceux n’ayant que le père ou la mère en commun. Autre exemple, les cousins du côté paternel (fils du frère du père ou fils de la sœur du père) peuvent être distingués des cousins maternels (fils du frère de la mère ou fils de la sœur de la mère). Des relations de parenté très éloignées et complexes peuvent donc être retracées. Ce processus nécessite néanmoins de poser des bornes à l’algorithme d’identification proposé par le logiciel dans sa recherche des chemins de parenté reliant les individus les uns avec les autres (voir encadré 1). Dans le cadre de cette étude, nous avons limité la recherche des liens de parenté à ceux représentés dans la figure 1. Trois niveaux générationnels sont distingués : celui des grands-parents (G2), celui des parents (G1) et celui des collatéraux de l’enfant (G0). Les personnes dont la relation de parenté avec l’enfant dépasse ce cadre sont classées dans une catégorie « autres liens ». Ces données nous permettent d’analyser un certain nombre de relations de parenté (tableau 1), avant d’examiner, à une échelle agrégée, l’évolution du poids des individus apparentés en fonction de leur rang généalogique respectif.
Figure 1. Délimitation des relations généalogiques recherchées et conservées pour l’analyse

Lecture : les enfants servant de base à nos analyses sont symbolisés par la case ego. Font partie de son rang générationnel (G0) l’ensemble de ses frères et sœurs, cousins et cousines ayant en commun un arrière-grand-parent paternel ou maternel. L’ensemble des enfants de ces arrière-grands-parents d’ego constituent le rang généalogique G2. Il s’agit donc des grands-parents d’ego ainsi que des frères et sœurs des grands-parents d’ego. L’ensemble des enfants et des conjoints des enfants des personnes de la génération G2 constitue la génération G1. Il s’agit donc de la génération du père et de la mère d’ego, mais également de ses oncles et tantes au premier et second degré.
2. La parenté complète : estimation par microsimulations
15L’enregistrement des généalogies a fait l’objet d’une attention particulière dans ce suivi de la population, comme c’est le cas également dans certains observatoires de population au Sénégal (Pison et al., 2014) et en Afrique du Sud (Madhavan et al., 2017). Mais même dans ces situations d’exception, les protocoles adoptés et les limites de la mémoire des personnes enquêtées conditionnent l’enregistrement et génèrent des biais sélectifs sur les individus apparentés identifiés. Pour analyser les réseaux de parenté sans ces biais, les démographes recourent régulièrement à des microsimulations, afin de reproduire les caractéristiques démographiques d’une population et de pouvoir quantifier le réseau relationnel complet des individus (Howell, 2008 ; Mason, 2014 ; Murphy, 2011 ; Zagheni, 2011).
16Les microsimulations démographiques consistent à soumettre une population fictive d’individus à des risques compétitifs exprimés sous forme de taux de mortalité, fécondité, migration et nuptialité, et à faire transiter ces individus entre différents sous-groupes (parité atteinte, statut matrimonial, régions, etc.). La probabilité d’occurrence de chacun de ces évènements est délimitée par une série de risques prédéfinis. Ces risques varient selon les caractéristiques individuelles (âge, groupe d’appartenance, statut matrimonial, etc.), qui peuvent être fixes ou variables dans le temps. La dynamique démographique est donc décomposée en une série de processus aléatoires qui s’appliquent aux individus eux-mêmes qui, ensemble, constituent la population fictive.
17Nous utilisons ici le programme de microsimulations Socsim, développé par l’Université de Berkeley (Mason, 2014 ; Zagheni, 2015). Une liste d’individus fictifs, dotés d’un numéro d’identification unique et d’une date de naissance sert de point de départ. Les risques d’événements démographiques auxquels elles ou ils sont soumis sont établis à partir des paramètres démographiques de la zone d’étude, ou d’autres estimations relatives au Mali (voir encadré 2).
18Au cours de la microsimulation, les différents taux sont traduits en événements (naissances, décès, (re)mariages et divorces), et ces événements modifient les caractéristiques des individus (telles que leur parité et leur statut matrimonial). La base de données générée par simulation conserve l’identifiant des deux parents et des époux. Les structures de parenté peuvent donc être entièrement reconstruites, car le programme de microsimulations Socsim procède par simulation dans une population fermée. En d’autres termes, aucun individu n’entre dans la population autrement que par la naissance. En cas de mariage, une recherche de partenaires est conduite parmi la population déjà simulée et le premier individu qui remplit certaines conditions (relatives par exemple à l’écart d’âge entre partenaires) est retenu comme conjoint. La migration n’est pas intégrée dans nos simulations, puisque nous cherchons à reconstituer la parentèle complète autour des enfants, indépendamment des lieux de résidence des personnes apparentées.
19Nous analysons donc l’environnement familial des enfants sous différents angles. Premièrement, la population fictive générée par simulation reprend l’ensemble de l’environnement familial des enfants tel qu’il est défini par la dynamique démographique locale. Cette population fictive permet de cerner les contours de la parenté complète à différents moments dans le temps. Deuxièmement, les données d’enquêtes de la population locale délimitent l’environnement réellement observé autour de l’enfant. Pour analyser ces données, nous retenons deux points dans le temps : 1987-1988 et 2009. Pour chacune de ces deux dates, nous disposons à la fois des données d’une vague d’un recensement local (avril 1988 et janvier 2009) et des extraits du recensement national couvrant la zone (avril 1987 et avril 2009). Ces opérations permettent d’aborder l’environnement familial de l’enfant d’un point de vue différent, celui de la zun dans le cas du recensement local, et celui du ménage censitaire dans le cas du recensement national. Pour chaque angle de vue offert par ces différentes sources, nous analysons les mêmes types de relations de parenté via le logiciel Puck.
III. Résultats
1. Croissance de la population et part de la population des enfants de 0 à 12 ans
20La population suivie dans le cadre du programme Slam a connu une croissance démographique très importante sur la période d’étude. Entre 1988 et 2009, la population de la zone a augmenté de 53 %, passant de 2 804 à 4 293 individus. Comme dans toute population en première phase de transition démographique, les enfants représentent une part très importante de la population totale. Leur effectif a beaucoup augmenté, passant de 1 310 en 1988 à 2 045 en 2009. Mais le poids relatif des enfants dans la population totale est resté stable, variant de 47 % à 48 % sur la période. Cette apparente stabilité s’observe également lorsque l’on analyse l’évolution du nombre moyen de personnes résidant dans les ménages et les zun auxquelles appartiennent les enfants. Ce nombre moyen n’a que peu augmenté sur l’ensemble de la période, passant de 12,8 personnes en 1988 à 13,5 en 2009 pour les zun. Les ménages identifiés dans les recensements nationaux ont également conservé une taille moyenne comparable, passant de 5,7 à 5,1 personnes (voir chapitre 3).
2. Nombre moyen des personnes apparentées les plus fréquentes autour des enfants
21Le tableau 1 représente, pour les enfants de 0 à 12 ans, l’évolution entre 1988 et 2009 du nombre moyen de différents types de personnes apparentées. Cette sélection représente, pour trois rangs généalogiques, les types de relations les plus fréquentes (figure 3). Trois indicateurs sont proposés : les nombres moyens d’apparenté·es (1) présent·es à l’intérieur du ménage de l’enfant, (2) présent·es au niveau de la zun, et (3) potentiellement en vie, tel qu’estimé via les microsimulations.
Tableau 1. Nombre moyen de personnes apparentées à l’enfant (0-12 ans) par type de relation généalogique, selon l’unité familiale et les microsimulations

22Au sein du rang généalogique des grands-parents des enfants (G2), on observe une augmentation sensible du nombre de personnes apparentées potentielles sur la période. Entre 1988 et 2009, le nombre moyen de grands-pères paternels potentiels a presque doublé, passant de 0,18 à 0,33. Cette augmentation est moins importante pour les grands-mères, qui sont par ailleurs plus nombreuses à être toujours en vie au moment des recensements. Cette moindre mortalité des grands-mères (par rapport aux grands-pères) s’explique à la fois par un âge plus précoce au mariage des femmes et par la surmortalité masculine à tous les âges. L’augmentation de la disponibilité des grands-parents ne se transpose toutefois pas au niveau des zun, ni à l’échelle des ménages. On observe de façon paradoxale une diminution ou une stagnation du nombre moyen de grands-parents entourant les enfants dans ces unités familiales, ce qui va dans le sens opposé de l’évolution rendue possible par le potentiel démographique dont les simulations rendent compte. Le nombre moyen de grands-parents maternels est resté à un niveau bas et stable, alors que les grands-parents paternels tendent à être de moins en moins nombreux à l’échelle des ménages et des zun. On note également qu’en 1988, le nombre moyen de grands-mères et de grands-pères du côté paternel toujours en vie selon les simulations est trop faible : il y a davantage de grands-parents de ce type observés empiriquement dans les unités familiales des enfants. Ceci reflète sans doute une mortalité dans la zone plus faible aux âges élevés que dans les simulations (pour lesquelles il a été nécessaire de faire des hypothèses sur le schéma par âge de la mortalité). On notera que le différentiel entre « parenté potentielle » et « parenté observée » est plus fort pour les grands-mères que pour les grands-pères. Cet écart est à mettre en relation avec le système d’alliance virilocal en vigueur dans la zone d’étude : les femmes rejoignant le village de leur mari après l’union, il semble logique de trouver moins de personnes apparentées du côté maternel, une sous-représentation que l’on retrouve pour tous les rangs générationnels.
23Au rang générationnel des parents (G1), on peut faire le même constat. Le nombre moyen de pères et de mères biologiques des enfants potentiellement présent·es auprès des enfants est resté relativement stable sur la période. L’impact de la baisse de la mortalité sur le nombre potentiel de pères et de mères est en effet limité, la survie des parents étant assurée au moins jusqu’à la naissance de l’enfant. Au contraire, le nombre potentiel d’oncles et de tantes augmente de façon très importante. Ici, la survie de ce type d’apparenté·es dépend de la baisse de la mortalité sur l’ensemble du cycle de vie, et pas uniquement aux âges adultes. La baisse de la mortalité se traduit sur la période par une augmentation de plus de deux oncles en moyenne et d’environ une tante. Mais là encore, ce gain ne se répercute pas au niveau des ménages (du fait de leur petit nombre), ni au niveau des zun. Au niveau des ménages, tels qu’ils sont définis par le recensement, ceci est attendu étant donné que, par construction, si un oncle est marié, il ne sera pas inclus dans le ménage de son neveu. Au niveau de la zun, la situation est plus surprenante puisqu’il s’agit de structures polynucléaires et que la présence d’oncles et de tantes y est fréquente. En d’autres termes, bien que la baisse de la mortalité ait engendré pour les enfants une augmentation forte du nombre d’oncles et de tantes, cette dernière ne s’est pas répercutée sur l’entourage familial immédiat des enfants.
24Au rang générationnel des collatéraux de l’enfant (G0), on constate via les microsimulations une augmentation du nombre moyen de frères et de sœurs de mêmes père et mère, qui reste toutefois modeste. Les enfants résident par ailleurs avec une proportion très importante de leur adelphie4 potentielle, que ce soit au niveau des ménages ou des zun. Le plus gros écart entre parenté potentielle et effective s’observe pour les fils et filles de frères du père (cousins et cousines du côté paternel), dont le nombre théorique augmente sans évolution comparable à l’échelle des zun et des ménages. Cette hausse de l’effectif théorique s’explique par un double impact de la baisse de la mortalité : la survie plus importante des oncles se combine en effet avec celle de leurs enfants et conduit à une augmentation très importante du nombre potentiel de cousins et de cousines.
25Le graphique de la figure 3 mesure l’évolution, entre 1998 et 2009, du nombre moyen de personnes apparentées par rang généalogique présents dans les ménages et les zun des enfants de 0 à 12 ans, et l’évolution de leur nombre potentiel tel qu’estimé dans les simulations. Il s’agit des effectifs moyens pour l’ensemble des individus appartenant aux différents rangs générationnels tels que présentés sur la figure 15.
Figure 3. Nombre moyen de personnes apparentées à chaque enfant (0-12 ans), par rang généalogique

Source : Slam (Suivi longitudinal au Mali)/Recensement national de la population et de l’habitat du Mali, 1987 ; données généalogiques et enquête renouvelée 1988-2009.
26Le groupe généalogique des grands-parents classificatoires (G2) est logiquement celui qui voit son potentiel démographique croître le moins rapidement, car la baisse de la mortalité a été concentrée dans l’enfance. D’après les microsimulations, le nombre moyen de grands-parents classificatoires encore en vie des enfants de 0 à 12 ans connaît une hausse de 53 % sur la période. A contrario, le nombre d’individus apparentés aux enfants appartenant à ce groupe générationnel diminue sur la période au sein des ménages (–42 %) et au sein des zun (–8 %). Cette évolution antagoniste entre parenté potentielle et parenté observée engendre donc une diminution de la part de la parenté potentielle effectivement présente autour des enfants, que ce soit au niveau des ménages (–62 %) ou des zun (–40 %).
27Au niveau du groupe généalogique des parents classificatoires (G1), le nombre de parents, d’oncles et de tantes survivantes connaît une augmentation nettement plus importante (+70 %). Ces générations ont en effet déjà largement bénéficié de la baisse de la mortalité dans leurs jeunes âges. Mais là aussi, leurs effectifs dans les ménages et les zun des enfants connaissent une légère baisse de 1988 à 2009. Les enfants comptent ainsi 13 % d’apparenté·es de ce groupe généalogique en moins au niveau des ménages et 5 % de moins au niveau des zun. La parenté au niveau G1 présente autour des enfants diminue ainsi de 9 % à 6 % au niveau des ménages et de 17 % à 13 % au niveau des zun.
28Les collatéraux des enfants (G0) sont ceux qui connaissent l’augmentation la plus notable au niveau des effectifs simulés, avec une augmentation de plus de 72 %. Mais ici, deux tendances différentes apparaissent entre ménages et zun. L’effectif de collatéraux diminue de 9 % au sein des ménages quand il augmente de 4 % au niveau des zun. Dans les deux cas néanmoins, la part de la parenté potentielle effectivement présente autour des enfants diminue sur la période. Elle passe de 10 % à 7 % au niveau des ménages et de 20 % à 6 % à l’échelle des zun.
29En considérant maintenant la parenté potentielle de type nucléaire (parents biologiques et frères et sœurs biologiques), on constate une augmentation de 28 % dans les simulations, alors qu’elle diminue de 7 % à l’échelle des ménages et qu’elle reste quasiment stable à l’échelle des zun.
30Que retenir alors de l’évolution comparée du nombre de personnes apparentées potentielles et présentes entourant les enfants ? Pour les trois groupes généalogiques G1, G2 et G3, l’importante augmentation du nombre de personnes apparentées potentielles permise par la baisse de la mortalité ne s’est pas traduite par un élargissement du nombre de relations familiales entourant les enfants au niveau des ménages et des zun. Au contraire, ce réseau s’est sensiblement contracté.
3. La contribution des reconfigurations des unités domestiques et de la migration aux évolutions observées
31La transition démographique en cours dans les zones rurales du Mali reste peu avancée. La mortalité a fortement diminué, mais la fécondité se maintient à des niveaux extrêmement élevés. Les résultats des microsimulations démontrent que ces changements ont engendré un élargissement très important du réseau familial potentiel des enfants. Néanmoins, cela ne s’est pas traduit, dans les mêmes proportions, par une augmentation de la taille de leur zun ou de leur ménage. Que ce soit au niveau des ménages ou des zun, l’entourage des enfants reste composé d’un nombre relativement stable d’individus apparentés. Le poids des différents rangs générationnels est resté remarquablement constant et les relations de parenté les plus fréquentes autour des enfants ont peu évolué. Nos résultats mettent en lumière la déconnexion quasiment complète entre l’évolution de la parenté potentielle et l’évolution de la parenté effectivement présente autour des enfants. Mais comment interpréter et expliquer ces évolutions divergentes entre parenté potentielle et effective ? Deux hypothèses peuvent être émises.
32Premièrement, la structure pyramidale de la population peut favoriser la stabilisation (ou la baisse) du nombre moyen de personnes appartenant à la génération des grands-parents (G2) au niveau des ménages et des zun, si le nombre de ménages et/ou de zun augmente. Logiquement, le nombre moyen de grands-parents par enfant diminue si le nombre de ménages auxquels ils peuvent se rattacher augmente. Or le nombre de ménages et de zun a effectivement beaucoup augmenté sur la période (tableau 2).
Tableau 2. Évolution du nombre de zun et de ménages

33Depuis 1987, le nombre de ménages et de zun a suffisamment augmenté pour compenser l’augmentation de la population résidente et permettre une stabilité de leur taille moyenne. Cette évolution touche principalement les unités de grande taille. Entre 1988 et 1999, 57 % des zun de plus de 15 personnes ont ainsi connu une scission, avec une accentuation du phénomène depuis 1976 (Hertrich, 2009). Ce phénomène induit par ailleurs une diminution de l’âge moyen auquel les hommes deviennent chef d’unité domestique (zunso). L’augmentation du nombre de ménages et de zun sur la période peut donc expliquer la diminution du nombre moyen de grands-parents et de grands-parents classificatoires. Là où en 1988, les grands-parents partageaient la zun de plusieurs de leurs enfants marié·es et de leurs petits-enfants, en 2009 une partie plus importante d’entre eux a vu leurs enfants fonder leur propre zun. N’étant pas dans la zun où sont restés les grands-parents, les petits-enfants (ego pour nous) se retrouvent ainsi dépourvus de personnes de ce rang générationnel. En moyenne, ce mécanisme peut donc expliquer que le nombre moyen de grands-parents par enfant ait diminué malgré une augmentation de leur survie sur la période.
34La relative stabilité du nombre moyen de personnes apparentées composant le noyau nucléaire de l’enfant (frères, sœurs et parents) ne peut cependant totalement s’expliquer par l’augmentation du nombre de ménages et de zun. En effet, il n’y a pas moins de raisons de penser que les adelphies (voir note 4), notamment celles des jeunes enfants (0 à 12 ans), soient séparées lors des scissions. Cela peut tout de même arriver quand des frères et sœurs plus âgé·es partent fonder leur propre unité familiale. Mais ce cas de figure ne peut intervenir que pour des frères et sœurs avec lesquels ego a un intervalle d’âge important.
35Une autre hypothèse peut être évoquée ici : celle de changements survenus en matière de migrations. Trois évolutions peuvent jouer sur l’entourage familial des enfants, et plus spécifiquement sur la présence de frères et sœurs biologiques : l’intensification du phénomène migratoire, un rajeunissement de l’âge à la première migration et/ou une augmentation de la durée passée en migration. L’enquête renouvelée utilisée précédemment ne permet pas de calculer les indicateurs relatifs à ces évolutions, notamment pour les individus nés avant 1988. Le programme Slam dont sont issues ces données présente néanmoins l’avantage de disposer, pour deux des sept villages, d’une enquête biographique enregistrant l’intégralité des itinéraires migratoires des individus recensés au moins une fois entre 1988 et 2009. C’est à partir de cette base de données que Marie Lesclingand et Véronique Hertrich (2017) ont calculé les données représentées à la figure 4.
36La migration des jeunes est un phénomène ancien très commun chez les Bwa du Mali (Hertrich, 1999). C’est particulièrement vrai chez les jeunes qui quittent les villages pour le travail ou pour des raisons scolaires (voir chapitre 8). Dans les deux cas, la migration ne représente pas une réelle charge financière pour le ménage et la zun des parents. La pratique du confiage limite en effet le coût des migrations scolaires, et les migrations de travail sont au contraire une source potentielle de revenus. Historiquement, les garçons partaient effectuer une transhumance chez les Peuls quand les jeunes filles partaient à Bamako. Mais dans les dernières décennies, les migrations des garçons vers Bamako se sont intensifiées.
37Les graphiques suivants dressent l’évolution des pratiques migratoires depuis les générations 1970 et s’arrêtent à la génération 1989, la dernière pour laquelle les indicateurs sont calculables. La proportion d’individus ayant réalisé au moins une migration avant 20 ans est relativement stable sur la période, comprise entre 90 et 95 % chez les garçons et en hausse chez les filles pour atteindre près de 100 %. L’expérience migratoire est donc un phénomène de jeunesse devenu quasiment universel dans cette population. Il s’agit par ailleurs d’une expérience qui commence très tôt : l’âge médian à la première migration est inférieur à 15 ans pour toutes les cohortes. S’il reste relativement stable pour les garçons, il baisse de façon constante pour les filles. Enfin, il s’agit d’une expérience relativement longue. Le temps passé en migration augmente de façon importante au fil des générations : 15 % des générations 1970-1974 ont passé entre 10 et 20 ans en migration, contre respectivement 25 % et 35 % pour les générations masculines et féminines les plus récentes. Ces trois indicateurs convergent donc pour mettre au jour une intensification du phénomène migratoire des jeunes au sein de cette population. Ceci permet d’expliquer la stabilité de la taille des adelphies qui entourent effectivement les enfants que nous observons : si ces enfants, grâce à la baisse de la mortalité, ont davantage de frères et sœurs, ces derniers migrent aussi davantage.
Figure 4. Intensité, âge médian et durée passée hors de l’aire ethnique des Bwa pour les individus de moins de 20 ans, par génération

Source : Lesclingand et Hertrich, 2017.
Conclusion
38L’impact de la transition démographique sur le réseau familial potentiel des enfants résidant dans les villages bwa couverts par le programme Slam est très important. La baisse de la mortalité et la stabilité des niveaux de fécondité ont avant tout favorisé l’augmentation du nombre de collatéraux des enfants (frères et sœurs, cousins et cousines). Bien que moins importante, l’augmentation du nombre de personnes apparentées de générations identiques à celles des parents et des grands-parents est également sensible.
39Mais malgré cette augmentation de la parenté « potentielle », la parenté effectivement présente autour des enfants, au sein de leur ménage ou de leur zun, reste étonnamment stable au fil du temps. L’augmentation a été quasiment parfaitement compensée par les scissions de zun et l’intensification du phénomène migratoire.
40L’équilibre général des structures familiales entourant les enfants semble donc insensible aux évolutions portées par le régime démographique. La taille, la structure et la composition des relations familiales entourant les enfants sont restées quasiment stables au cours des vingt années couvertes par cette recherche.
41Ces résultats ouvrent une série de perspectives. L’augmentation du nombre d’apparenté·es, et tout particulièrement celle du nombre de collatéraux des enfants, est souvent présentée comme un facteur impactant négativement les enfants, en raison de la compétition pour l’attention parentale et les ressources (Desai, 1995 ; Öberg, 2015) et de la plus grande exposition à certaines maladies infectieuses. Mais qu’en est-il si cette augmentation ne se répercute pas à l’échelle du ménage ou de la zun ? Bien évidemment, la part de parenté ne résidant pas au sein des ménages et/ou des zun peut également avoir de l’importance sur la vie des enfants. Mais c’est à l’échelle de l’espace de vie des enfants que se décide un certain nombre d’arbitrages sociaux et économiques les concernant (scolarisation, dépenses diverses, etc.), et que s’opèrent les interactions qui font, de fait, l’expérience de vie des enfants. Des études complémentaires devraient être menées sur l’impact de l’augmentation du nombre des frères et sœurs sur la santé et le bien-être des enfants, en distinguant les frères et sœurs qui co-résident et celles ou ceux ne vivant pas avec l’enfant de référence.
42Nos résultats ont également des implications sur le lien souvent établi entre l’augmentation de la taille des familles et le contrôle de la fécondité qui peut en découler. Dans le cadre de la théorie de la transition démographique, la pression démographique induite par l’augmentation de l’effectif d’enfants et, plus spécifiquement à l’échelle des ménages, l’augmentation de la taille des adelphies, est considérée comme un stimulus clé devant engendrer une évolution des préférences de fécondité. Dans le contexte de la population des Bwa, cette pression démographique est clairement contrebalancée par l’évolution des processus de constitution et de scission des zun et par l’intensification des migrations des jeunes. Il est possible de voir ici un mécanisme pouvant limiter la pression sur la baisse de la fécondité engendrée par la baisse de la mortalité. Les évolutions migratoires et la recomposition des unités familiales pourraient ainsi être des éléments réduisant l’incitation au contrôle de la fécondité au sein de cette population. Ces résultats cadrent avec ceux proposés par la théorie des réponses démographiques multiphasiques de Davis (1963). Ce dernier présente en effet la migration comme l’une des réponses des populations à la croissance démographique liée à la diminution de la mortalité. Il suggère notamment que la baisse plus tardive de la fécondité en Irlande est à mettre en relation avec la forte émigration.
43Mais les observations sur notre zone d’étude en milieu rural malien ne sont pas nécessairement généralisables. Notre comparaison s’appuie également sur des simulations qui pourraient mal refléter les conditions démographiques locales. En particulier, une part importante de modélisation est nécessaire pour alimenter la microsimulation (par exemple, les données locales ne permettent pas de mesurer l’ampleur de la baisse de la mortalité par âge). Ces résultats offrent toutefois une bonne illustration du fait que la transition démographique, en particulier la baisse de la mortalité pour le cas étudié, ne produit pas nécessairement ses effets à l’échelle des unités familiales, que ce soit une hausse de leur taille ou une augmentation du nombre de frères et sœurs notamment. Ils devraient inciter au développement de recherches permettant de mesurer l’impact de la transition là où les arbitrages se font : au niveau de l’unité familiale et non de la population dans son ensemble.
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Notes de bas de page
1 L’espace familial peut être abordé au travers de différentes unités familiales, selon que l’accent est mis sur des critères résidentiels, des critères économiques ou des critères de parenté. Selon les populations, ces critères se rejoignent ou renvoient au contraire à des configurations différentes. Dans ce chapitre, nous considérons deux unités familiales : d’une part, la zun qui correspond à l’unité économique familiale et à l’exploitation agricole dans les populations rurales en Afrique de l’Ouest (voir détail dans le chapitre 1) et, d’autre part, le ménage des recensements nationaux dont la définition classique repose sur la corésidence, mais inclut fréquemment d’autres critères (voir le chapitre 2). Le terme « unité familiale » est utilisé lorsque nous traitons des groupes familiaux à titre générique.
2 Voir le détail dans le chapitre 1.
3 Cette base généalogique est également alimentée par des informations obtenues sur d'autres sources que les diagrammes de parenté des zun, comme l’enquête biographique ou les généalogies des patrilignages recueillies dans deux villages. Elle compte, dans sa version actuelle, un peu plus de 19 000 observations.
4 Ensemble des frères (fratrie) et sœurs (sororie).
5 Les données du tableau 1 et de la figure 3 ne sont pas directement comparables. Le tableau 1 est une sélection des relations les plus fréquentes par rang générationnel. La figure 3 représente le nombre moyen de l’ensemble des relations de chaque rang générationnel tel que présenté dans la figure 1.
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