Hommage à Véronique Hertrich
p. 11-14
Texte intégral
1Véronique Hertrich, Directrice de recherche, avait 55 ans lorsqu’elle nous a quittés en 2019.
2Véronique avait rejoint l’Ined en 1992. Elle terminait alors sa thèse sur les Bwa du Mali, une population qu’elle allait suivre pendant plus d’un quart de siècle. Elle tirera de ses observations une analyse très fine des changements matrimoniaux et familiaux préludant à l’entrée dans la transition démographique. En 1996, elle publie Permanence et changements de l’Afrique rurale. Dynamiques familiales chez les Bwa du Mali, un ouvrage remarquable à la croisée des questions ethnologiques, démographiques, économiques et sociales. Sa carrière va être jalonnée de séjours au Mali pour y poursuivre des observations répétées de la société boo, qui vont donner une vision dynamique des prémices de la transition démographique dans une population rurale africaine. Les villages bwa deviennent ainsi un « Observatoire démographique du changement », qui aboutira par la suite au projet « Suivi longitudinal au Mali » (Slam), combinant données quantitatives et qualitatives collectées localement et données du recensement.
3Au cours de ces séjours, elle développe également des collaborations fructueuses avec ses collègues maliens, membres des institutions académiques et de la statistique publique. En 2003, elle organise avec eux un séminaire national à Bamako sur les questions de population au Mali et coordonne la publication d’un ouvrage collectif. En outre, parallèlement à son travail d’enquête, Véronique a toujours eu à cœur de restituer auprès des populations étudiées ses résultats scientifiques, dans une démarche éthique qui fait loi aujourd’hui. Elle a ainsi organisé avec les villageois et les villageoises des petits sketchs de théâtre les impliquant.
4Dans les années 2000, elle a plus particulièrement étudié l’influence de la migration de travail des jeunes filles sur l’évolution de leurs comportements matrimoniaux et féconds. En 2012, elle a rassemblé une quinzaine de chercheur∙es pour travailler autour de la « Dynamique de la parentalité et de l’enfance » et dont les principaux résultats sont présentés dans cet ouvrage.
5Bien que très attachée à ce travail en profondeur sur une population particulière, Véronique a toujours eu aussi le souci d’observer la diversité des situations nationales et internationales. Elle a, en particulier, rassemblé une grande base de données africaines sur la nuptialité qui lui a permis d’établir nombre d’analyses sur les spécificités des comportements matrimoniaux en Afrique et leur évolution depuis 1950. Elle publie ainsi, en 2017, l’article « Trends in age at marriage and the onset of fertility transition in sub-Saharan Africa », dans le numéro spécial de Population and Development Review sur la transition de la fécondité en Afrique subsaharienne. Ces données sont aujourd’hui intégrées à la World Marriage Database des Nations unies.
6Mais Véronique n’a pas étudié que le contexte africain et s’est notamment intéressée à la mortalité en Russie et dans les pays baltes. Dans un domaine nouveau pour elle, elle a su appliquer sa rigueur et ses qualités de démographe à des données historiques imparfaites sur les causes de décès. Là encore, elle nous laisse un précieux héritage.
7Elle s’est aussi constamment attachée à prendre en compte les questions de genre dont l’étude est essentielle à la compréhension des comportements démographiques. Véronique a ainsi substantiellement contribué au développement de cet axe de recherche à l’Ined et au-delà. Elle a ainsi contribué à la définition et l’intégration des questions de genre dans la formation des élèves ingénieur·es de l’École nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (Ensea) en Côte d’Ivoire.
8Au cours de sa carrière, Véronique Hertrich a bâti des collaborations étroites et fructueuses avec ses interlocuteurs et partenaires. Celles-ci ont souvent dépassé le cadre professionnel et sont pour beaucoup devenues des amitiés au long cours, avec son grand sens de l’hospitalité et son plaisir à partager des moments conviviaux, en particulier autour d’un bon repas !
9Parallèlement à son activité scientifique, elle a constamment œuvré pour donner toute sa place à la recherche sur les pays du Sud au sein de l’Ined. Responsable de l’unité de recherche Population et développement de 2006 à 2008, elle crée, en 2009, le pôle méthodologique Pôle Suds et organise de nombreuses journées scientifiques confrontant souvent les expériences des pays du Nord et des pays du Sud, ainsi que des modules de formation. En 2015, elle obtient la refondation d’une unité de recherche dédiée à la démographie des populations du Sud, Demosud, qu’elle animera puis co-animera jusqu’à fin 2018, malgré la maladie qui l’atteint gravement.
10Véronique Hertrich était une organisatrice hors pair. Pour l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population (UIESP), elle fut la coordinatrice du Comité national d’organisation du Congrès international de la population de 2005 dont elle fut la cheville ouvrière. Son dynamisme, son sens des contacts et son management énergique ont fait merveille. De l’avis de tous les participants (2 200 !), ce congrès fut une prodigieuse réussite avec un mémorable programme de festivités.
11Sans surprise, elle fut brillamment élue au Conseil de l’UIESP en 2009. Durant son mandat (2010-2013), elle a principalement œuvré à encourager les recherches démographiques collaboratives, notamment en Afrique, à la défense du plurilinguisme et à la préparation du Congrès international de la population de 2013 à Busan.
12En 2010, Véronique a souhaité soutenir plus concrètement les populations rurales maliennes qu’elle a côtoyées dans son travail de terrain en contribuant au développement de la scolarisation et en les aidant à faire face à de graves crises alimentaires. Avec plusieurs collègues et amies, elle a créé l’association Bwatû 2010 qui lui a permis de conserver le contact avec les villageois et villageoises alors que le contexte politique malien empêchait toute possibilité de se rendre sur place. Véronique avait été baptisée Ha’iri par une vieille femme d’un des villages étudiés, ce qui signifie « bon cœur, bon esprit ».
13Véronique était une chercheuse passionnée et talentueuse dont le travail a profondément rénové l’étude démographique des populations africaines. Elle a beaucoup contribué à l’animation de la recherche sur ces sujets, aussi bien au sein de l’Ined qu’au niveau international. Elle a aussi beaucoup enseigné et toujours eu à cœur de former des jeunes collègues.
14Sa disparition prématurée a laissé un vide tant scientifique qu’humain – son caractère entier ne laissait personne indifférent ! Les nombreux témoignages qui nous sont parvenus de ses nombreux collègues, montrent qu’elle a inspiré beaucoup de monde, par sa passion d’une recherche fouillée, éthique et utile.
15Nous sommes reconnaissants aux contributeurs et contributrices de cet ouvrage et aux Éditions de l’Ined d’avoir mené à bien ce projet : partir en ayant laissé un projet inachevé ne lui ressemblait pas.
16Géraldine Duthé, Seydou Keïta, Thérèse Locoh, France Meslé, Koffi N’Guessan et Jacques Vallin

Véronique Hertrich lors d’un voyage au Mali, 2010 © Amandine Stephan.

Case et greniers à grains en banco, 2011 © Amandine Stephan.

Photo du haut : école en banco et sa cloche (jante). Photo du bas : intérieur d’une classe en dur, 2011 © Amandine Stephan.

Photo du haut : villageoises confectionnant des ruches. Photo du bas : la préparation du beurre de karité par des villageoises, 2011 © Amandine Stephan.

Récolte du sorgho, 2011 © Amandine Stephan.
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