1Selon que l’on se plaçait du côté de l’Armée de libération nationale (ALN) ou de l’armée française, la guerre d’Algérie et les camps de regoupement présentaient des enjeux et des défis différents pour les deux protagonistes. Pour l’armée française, le dispositif « regroupement de population » était un véritable instrument de guerre œuvrant à dissocier les rebelles des populations rurales dans toutes les zones de montagne, dont celle de Cherchell, située à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Alger. Du côté des unités combattantes de l’ALN, ces regroupements ont imposé des efforts considérables pour assurer le maintien de leurs liens avec des groupes de population nécessaires non seulement à la poursuite des combats mais aussi à leur survie.

I. Les centres de regroupement de population et les « zones interdites »

2La lutte pour l’indépendance de l’Algérie fut engagée sur le plan militaire par les Algériens le 1^er novembre 1954. Les initiateurs de l’action armée contre la domination française étaient, pour la plupart, d’anciens soldats de l’armée française mobilisés au cours de la Seconde Guerre mondiale dans les armées alliées contre l’Allemagne nazie. Ils ont participé notamment à la campagne d’Italie et à la bataille de Monte Cassino1. Conscients de la disproportion des forces en présence, leur objectif principal était d’amener la puissance coloniale à la table des négociations, c’est pourquoi ils ne dissocièrent jamais l’action militaire de l’action politique et diplomatique (voir encadré 2).

3Du côté des autorités françaises, la vision initiale d’une opération de maintien de l’ordre évolue rapidement vers une guerre en bonne et due forme (que les autorités gouvernementales de l’époque refusèrent de nommer) par la mobilisation des différents corps d’armée, avec l’objectif d’un « écrasement total de la rébellion » (selon les termes utilisés à l’époque). La réussite d’une telle stratégie nécessite de couper les groupes armés de leur soutien et de la population. En dehors de la période 1956-1957 qui correspond à la bataille d’Alger, l’essentiel de l’activité militaire se déroule dans les zones montagneuses des Aurès et du Nord de l’Algérie (Nord constantinois, Kabylie, Ouarsenis, Dahra, etc.).

4Ces zones montagneuses, densément peuplées et habitées par des populations algériennes, se situent loin de l’administration coloniale et ayant des contacts limités avec les populations européennes d’Algérie (les populations françaises résident surtout dans les villes et dans les plaines côtières). En dehors de la Kabylie, l’existence de villages en montagne est rare.

5Dès le début de la guerre, cette population des montagnes constitue, la base logistique de la guérilla (approvisionnement, transport, renseignement,…), fait confirmé d’ailleurs par l’ensemble des témoignages recueillis. Elles deviennent donc, militairement, des « zones interdites » définies comme suit : « zone où le séjour et le passage sont interdits et où l’intervention des feux aériens est libre » modifiée ensuite par « où l’intervention des feux est libre »2. Pour faire face au développement de la lutte armée qui s’est étendue sur l’ensemble du territoire, les ordres émanant des plus hauts sommets de la hiérarchie militaire française ne laissent place à aucune équivoque : « en zones interdites, tout stationnement et tout mouvement d’hommes ou d’animaux seront immédiatement, dès leur détection et sans autre ordre, pris à partie par l’aviation et l’artillerie3 ». Les impératifs militaires sont clairement exprimés dans la note de service N° 2892/5/SP 87696 : « La décision de soustraire physiquement les populations rurales à l’emprise FLN et en les déplaçant de leur habitat traditionnel trop dispersé pour les regrouper sous la protection de nos unités de quadrillage, a été prise dans une optique de stricte économie des forces.

6Les regroupements se sont donc faits à proximité des unités ou des SAS4 les plus proches, et c’est ainsi que le dispositif « regroupement » coïncide presque exactement avec le dispositif militaire. Ce faisant, les impératifs opérationnels ont nécessairement pris le pas sur les considérations économiques5 ».

7Les militaires, disposant des pouvoirs spéciaux à partir de mars 1956 (création des SAS en 19556), ont eu à leur disposition une série de dispositifs (rafles, arrestations préventives, détention au-delà de la période légale, etc.) qui conduisent à mettre sous « contrôle » « les ennemis potentiels » par la mise en œuvre de mesures d’éloignement prévues à cet effet (Khiati, 2014b). Un ensemble de « centres » sont ainsi constitués, divisés en 7 catégories :

• centre de regroupement de population (CRP) ;
• centre d’hébergement : destiné à recevoir les personnes placées en résidence surveillée par l’autorité préfectorale ;
• centre de détention administrative ;
• centre d’assignation à résidence surveillée (personnes potentiellement dangereuses sans aucune preuve susceptible d’un passage en justice) ;
• centre d’éducation et de rééducation (concerne des mineurs susceptibles de rejoindre la rébellion) ;
• centre de triage et de transit (ouvert à l’occasion de rafles et d’arrestations d’un grand nombre de personnes) qui reçoit les captifs ou les suspects appréhendés par les forces de maintien de l’ordre ;
• centre militaire d’internement (il détient les personnes membres de groupes armées ou de cellules de soutien arrêtés par l’armée avant leur passage en justice ou qui ne devaient pas être libérés après avoir purgé la peine infligée par les tribunaux de justice).

8Les personnes visées par les dispositifs d’éloignement et d’isolement sont les militants des partis nationalistes (MTLD, UDMA, plus particulièrement) du parti communiste (PCA) et de l’association des Oulémas auxquels il faut ajouter les militants syndicaux. Ces organisations ont été interdites et leurs activités suspendues dès 1955. Elles intègrent le FLN (Front de libération nationale) les unes après les autres au cours de l’année 1956. Ces personnes ont été répertoriées depuis des années par les services de police et ont, à des titres divers, fait l’objet de surveillances policières car jugées « potentiellement dangereuses et pouvant porter atteinte à la sécurité de l’État ». Elles étaient par conséquent, selon les services de police, susceptibles de rejoindre les groupes armés ou tout au moins de leur apporter l’assistance nécessaire pour mener à bien leur action. Dans un deuxième temps, le système de tri et d’internement a concerné les individus pris sans discernement sur les lieux d’un attentat ou à proximité.

9Les CRP se distinguent des autres centres cités précédemment par le fait que ce ne sont plus des individus qui sont la cible des mesures préventives mais des groupes de populations résidentes sur un territoire où des activités militaires et la présence de groupes armés ont été signalées. Contrairement aux autres dispositifs (ciblant des personnes engagées politiquement et aptes potentiellement à rejoindre les maquisards), ils ne font aucun discernement d’âge ou de sexe ; les femmes, les enfants, les vieillards sont dirigés vers les camps érigés à leur intention.

II. Les centres de regroupement, un bilan général

10Les centres de regroupement de population se caractérisent aussi par le nombre impressionnant de personnes concernées (près de 26,1 % du total de la population algérienne a été déplacé dans ce cadre, voir Cornaton, 1998) et par leur association aux zones interdites. Si ces dernières sont de vastes zones du territoire algérien soumis aux feux des armes sans sommation, les autres centres, qui sont en réalité plutôt des camps, concernent une minorité d’Algériens organisés au sein des syndicats et partis politiques actifs contre le système colonial, ayant ou non rejoint le FLN au moment de leur interpellation et leur assignation dans l’un des camps, en fonction du diagnostic élaboré à leur encontre par les services de police ou de l’armée chargés de les appréhender certains sans décision de justice, d’autres après avoir purgé une peine de prison suite à leurs activités politiques.

11« Toute personne suspecte appréhendée et non immédiatement remise à la justice fait l’objet d’un arrêté d’assignation à résidence surveillée et est incarcérée temporairement dans un centre de triage et de transit pour une durée maximum de trois mois. Le pouvoir d’assignation est délégué au sous-préfet pour les durées d’assignation n’excédant pas trois mois, aux préfets pour des durées supérieures à trois mois. Après enquête tout assigné doit être :

• soit libéré
• soit assigné à résidence simple
• soit transféré sur un centre d’hébergement
• soit transféré sur un centre militaire d’internés
• soit remis à la justice7 ».

12La population sujette aux déplacements pour cause de résidence dans un lieu considéré comme une zone d’insécurité, relève de trois types distincts :

• Regroupement de population : déplacement en masse d’une population (leurs habitations sont brûlées et détruites par la troupe, les familles ne prennent que les effets qu’ils peuvent porter).
• Resserrement de population : concentration d’habitations dans un même lieu (par exemple, dans l’arrondissement de Fort-National, il y avait 300 villages en 1956, et seulement 135 en 1960).
• Recasement de population : les habitants chassés ou pris de peur devant la violence des combats se dirigent vers la périphérie des agglomérations les plus proches et accroissent le nombre d’habitations précaires.

13D’après M. Cornaton, et sur la base du rapport qui lui a été fourni par le général Georges Parlange, initiateur des premiers CRP et premier responsable de l’inspection des CRP (IGRP), les premiers centres datent de 1955. C’est dans les Aurès, premier bastion des groupes armés contre la domination coloniale, qu’on trouve leur origine : « Les trois premiers regroupements de l’Aurès ont été faits en 1955 dans les trois centres de M’Chounèche, T’Kout, Bou Hamama, car les bandes rebelles exerçaient sur les habitants de ces montagnes difficiles et très boisées une pression ou des exactions que la diminution de nos moyens ne nous permettait plus d’empêcher » (Cornaton, 2006).

14Cette initiative fut progressivement étendue à toutes les zones de guerre y compris aux populations nomades du Sud-Ouest algérien. La création de centres de regroupement de populations a connu le développement le plus important entre janvier 1958 et octobre 1960 (carte 1), les populations regroupées ont été multipliées par 5 entre ces deux dates, passant de 365 000 à 1 621 000 personnes (tableau 1) pour atteindre près de 2 millions de personnes à la fin de l’année 1961 (tableau 2).

Carte 1. Population regroupée par arrondissement en pourcentage de la population totale (1960)

Tableau 1. Évolution du nombre de CRP de la population regroupée (archives militaires

Tableau 2. Répartition régionale des centres de regroupement et des populations regroupées

15Toujours selon M. Cornaton, l’organisme officiel qui comptabilisait les centres de regroupement, le Commissariat aux actions d’urgence (l’ex-IGRP) a fourni le chiffre de 2 392 centres et de 1 958 302 regroupés au 1^er avril 19618. Or, dès 1960, le Service de statistiques générales de l’Algérie fixait déjà à 2 157 000 personnes la population regroupée.

16« Après avoir moi-même comparé documents et études sur le terrain, dont les miennes, j’ai pu démontrer que le nombre de regroupés s’élevait, en 1961, à au moins 2 350 000, soit 28 % de la population “musulmane”, évaluée alors à 8 500 000 pour un peu moins d’un million d’Européens. Dans un pays comme la France un tel pourcentage signifierait plus de 15 000 000 de regroupés ! Par ailleurs, on estime en règle générale qu’à deux regroupés correspond un “recasé” ou un “resserré”, soit 1 175 000. Au total, 3 525 000 personnes auraient donc quitté leur domicile, soit plus de 40 % des Algériens, sans compter les assignés à résidence surveillée dans les prisons ou les camps d’internement et centres de transit. » (Cornaton, 2006, p. III, 1222, 123.).

III. L’ALN dans les monts de Cherchell, premiers accrochages

17La zone montagneuse et très accidentée de Cherchell (massif du Dahra) connut les premiers accrochages avec les soldats de l’armée française au mois de juillet 1956.

18« En mars 1956, quelques sabotages de lignes téléphoniques et de récoltes donnent lieu à l’arrestation d’une quinzaine de chefs locaux, qui emprisonnés à la maison d’arrêt de Cherchell s’évadent en avril 1956 après avoir tué l’épouse du gardien de prison. Réfugiés autour du Marabout de Sidi Simiane, peu ou pas armés, ils forment le premier maquis du Cherchellois.

19En juillet 1957, la jeunesse évoluée du Cherchellois rejoint à son tour les montagnes de la région et commence à organiser le maquis proprement dit.

201958-1959, création des fortes bandes organisées : 3 Katibas (Hamdania – Ouysefa – Hoceina), 1 commando zonal et 3 sections sectorales font peser sur la région une menace permanente et permettent à l’OPA de s’organiser en fractionnant l’arrondissement en 3 secteurs.

21Après les opérations (Couronne-Atios, etc.), et la destruction quasi totale de ces unités rebelles, les chefs rebelles réorganisent leur dispositif et avec les groupes échappés aux forces de l’ordre créent de fortes sections sectorales épaulant les groupes de Fidayines9. »

22À la mi-juin 1956, 13 hommes armés arrivés sur les lieux, chargés par le commandement de l’ALN de la zone 4 – qui deviendra plus tard la wilaya IV dans l’organigramme de l’ALN (région centre incluant les arrondissements de Blida et de Médéa du département d’Alger) –  de porter la lutte dans cet espace et de réaliser la jonction avec le maquis déjà actif de Ténès10, à l’ouest, dans le cadre du plan général d’expansion de l’insurrection tracé par l’état-major de cette zone. Les deux chefs du groupe – Ahmed Ghebalou et Ahmed Noufi – chargés de cette mission, sont nés à Cherchell. Les anciens membres du MTLD, bien intégrés parmi les habitants des montagnes, les aidèrent dans leur mission en prenant particulièrement en charge la campagne d’explication des objectifs de l’ALN : la lutte pour libérer le pays de l’occupation coloniale.

23Pour le petit groupe de l’ALN, arrivé dans la région dans les premiers mois de l’année 1956, tout commença à Adouiya, un lieu escarpé très difficile d’accès, situé sur l’axe Carnot-Dupleix, à 50 kilomètres au sud-ouest de Cherchell, loin des centres de colonisation de Marceau et de Zurich. Son installation fut facilitée par l’imam Sid Ahmed, un homme de culture doté de la confiance de la population. Les gens de Adouiya sont connus dans l’histoire du mouvement national pour avoir porté les candidats de la liste démocratique à la Djemaa, en 1946. Mustapha Saadoun, alors militant du Parti communiste algérien, fut pour beaucoup dans ce succès électoral. C’est d’Adouiya que fut lancée l’opération de jonction avec le maquis de Ténès, à l’ouest.

24La deuxième étape de l’extension de la guérilla dans la région fut Hayouna, un ensemble d’habitats dispersés au sommet d’un plateau très élevé, entre Oued Sebt et Oued Messelmoun. Située sur le versant de Gouraya, à mi-chemin entre la mer, au nord, et Oued Chéliff, au sud, cette fraction du vaste douar de Bouhlal (4 000 habitants), offrait par son relief accidenté toutes les commodités pour l’implantation de l’ALN.

25Le commando de l’ALN s’appuya sur l’organisation clandestine du MTLD présente au douar depuis longtemps. Ainsi, rapidement, les refuges furent trouvés pour servir de relais aux groupes armés en constants déplacements. Des caches pour le stockage du ravitaillement furent aménagées chez des hommes sûrs, dotés de la confiance de la population, tels que Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaïdi, Mohamed Hamdine, M’Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenech.

La population était acquise à la cause. De cette société montagnarde sortirent les fida et les moussebiline dont le groupe armé avait besoin. Les femmes préparaient la nourriture. Nous étions comme un poisson dans l’eau, témoigna le doyen du maquis, Mustapha Saadoun.

26Dans cette partie orientale du massif du Dahra, l’occupation du sol par les troupes de l’armée française, venues de France renforcer les forces répressives, se fit par étapes. Elle débuta à l’est du massif montagneux. Le 17 juillet 1956, le 3^e bataillon du 22^e régiment d’infanterie s’installa au centre de colonisation de Zurich puis fixa un poste de commandement (PC) réduit au centre de colonisation de Marceau. Les maisons forestières lui servirent de postes avancés dans les montagnes. Le bataillon était rattaché sur le plan opérationnel au secteur Est dont le PC se trouvait à Miliana. Pour les stratèges de l’armée française, la vraie guerre se jouait dans ces montagnes farouches. Il fallait « pacifier » ce territoire, c’est-à-dire tout soumettre à leur contrôle.

27Le premier accrochage entre le commando de l’ALN et des éléments de l’armée française eut lieu le 18 juillet 1956, au maquis d’Aghbal, à 6 kilomètres au sud de Gouraya. Le commando, renforcé par de nouvelles recrues arrivées de la ville, notamment des joueurs de l’équipe de football du Mouloudia de Cherchell conduits par Ali Bendifallah, leur capitaine, venait de recevoir des armes de guerre sorties du lot capturé le 4 avril 1956 par Henri Maillot11.

28Ce premier accrochage eut lieu sur le plateau de Saadouna, au pied d’un des plus hauts sommets du Dahra oriental, Iboughmassen, dans un lieu enclavé au sein d’une épaisse forêt. L’embuscade fut tendue au col, à la fin d’une pente raide, boisée, caillouteuse. La 6^e compagnie du 3^e bataillon du 22^e RI, accrochée alors qu’elle menait une opération de bouclage du djebel Gouraya, perdit plus de 50 hommes. En se retirant, l’ALN emporta de nombreuses armes de guerre.

29Douze jours après, le 31 juillet 1956, sur la piste qui borde l’oued Messelmoun, l’armée française fut une nouvelle fois accrochée. Là aussi, l’ALN récupéra des armes lourdes12.

IV. Les CRP de la région de Cherchell

30Les témoignages recueillis parmi les enquêtés des centres de regroupement de population concordent avec les témoignages d’anciens militants nationalistes recueillis par M. Rebah pour la réalisation de son ouvrage (Rebah, 2009). En effet, dans la zone montagneuse très accidentée de la région de Cherchell, la guerre dans la région commença avec l’arrivée, au début de l’été 1956, d’un groupe de 13 hommes armés (dont les deux chefs étaient natifs de la ville de Cherchell) chargés par le commandement de l’ALN de la Wilaya IV (Blida-Médéa) d’organiser la lutte armée dans cet espace montagneux qui borde la Méditerranée et qui trouvèrent sur les lieux une quinzaine d’activistes, évadés de la prison de Cherchell le 16 avril 1956. Le premier objectif assigné au groupe était de réaliser la jonction avec le maquis déjà actif de Ténès, à l’ouest, dans le cadre du plan général d’expansion de l’insurrection. Ce groupe compte de nombreuses actions armées à son actif comme rapporté dans les informations consignées dans les différents entretiens.

31À la suite de l’activité militaire qui s’en est suivie, au cours de l’été 1958, un plan de regroupement de la population des zones montagneuses de la région de Cherchell fut mis en œuvre systématiquement. Il entrait dans la stratégie de l’armée française de faire évacuer les zones montagneuses où elle affrontait l’armée de libération nationale (ALN) afin d’isoler celle-ci et arriver à l’asphyxier :

32« Nouvelles directives parvenues d’Alger en matière de centre de regroupement :

• Les autorités militaires décident.
• Les autorités civiles fournissent les moyens.
• Des liaisons constantes et en plein accord entre les deux parties sont nécessaires.

33Sauf en cas d’urgence, les enquêtes préalables doivent être effectuées avant l’établissement d’un nouveau centre13. »

34Ce plan concernait les sept douars (conglomérats d’habitations éparses) de l’ancienne commune mixte de Cherchell14, un espace de 108 943 hectares où se déroulaient les combats : El Gourine, Sidi Semiane, Bouhlal, Aghbal, Béni Bou Mileuk, Larhat et Zatima.

35Treize centres de regroupement de la population furent recensés par les services administratifs de l’arrondissement de Cherchell en 195915. Ainsi, selon les statistiques de l’administration, 21 996 personnes ont été regroupées, pour une population totale de l’arrondissement évaluée par le dénombrement de 1960 à 72 458 soit 30,35 % du total. La monographie de 1959 dénombrait, parmi les regroupés, 3 173 travailleurs prenant en charge 15 570 membres de leur famille alors que 3 248 « relèvent totalement de l’assistance » (tableau 2). En d’autres termes, ces personnes n’avaient aucun autre moyen de subsistance que celui fourni par l’armée française et éventuellement des voisins compatissants.

36Les camps de regroupement de population de la région de Cherchell peuvent être classés en deux grands groupes :

• Les camps de montagne (Tamloul, Ghardous, les deux camps de Sidi Semiane, Bouzerou, Tazrout et Beni Bouhennou) sont pratiquement des resserrements au sens de la typologie des militaires, hormis Bouzérou (témoins Bouhaddi Brahim et Cherifi Cherif), dont la particularité était d’avoir été installé sur un terrain forestier inoccupé auparavant. À l’exception de cette dernière, toutes les aires des camps des montagnes étaient donc des terres privées appartenant à des autochtones.
• Les camps du littoral (Cherchell, Novi, Fontaine-Du-Génie, Messelmoun, Boukhelidja et Villebourg-les-Oliviers) sont des CRP édifiés de toutes pièces pour l’implantation des populations déplacées, à l’exception des deux derniers qui sont des resserrements. Pratiquement tous les camps du littoral sont érigés près des agglomérations où les colons sont propriétaires terriens, à l’exception de Messelmoun, installé loin de toute agglomération, sur les terres d’un colon (Sitges) qui a abandonné sa ferme une année auparavant (1957). Le village le plus proche (Fontaine-du-Génie) du CRP de Messelmoun se situe à plus de 4 kilomètres.

37Nos deux cas atypiques (Messelmoun et Bouzerou), sont devenus des agglomérations après l’indépendance. Messelmoun a été érigé en commune en 1984 et Bouzerou (rebaptisé Bouhriz) est aujourd’hui une agglomération secondaire de la commune de Messelmoun16.

38Le village de Messelmoun s’est étalé vers le sud et le sud-ouest, sur une longueur de plus 2,5 kilomètres. Il est classé par les services statistiques comme agglomération semi-urbaine, sa population s’est élevée au recensement de 2008 à 6 338 habitants. La commune de Messelmoun (agglomération principale, secondaire et espace rural) comptait en 2008, 7 564 habitants avec un taux de croissance intercensitaire de 1,4 % (tableau 3).

39L’importance en nombre de la population présente dans les différents centres n’obéissait à aucun critère prédéfini. Les conditions locales devaient être prééminentes. Ainsi, il y existait deux centres de plus de 3 000 personnes, trois regroupant entre 2 000 et 3 000 personnes, deux autres d’un peu moins de 800 individus et les six derniers regroupés entre 1 000 et 2 000 personnes.

Tableau 3. Population de l’arrondissement de Cherchell regroupée du fait de la guerre, en 1959