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La population canadienne au début du xviiie siècle

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Jacques Henripin

Deuxième partie. Analyse des caractéristiques démographiques

Chapitre 4.

La natalité

Texte intégral

  • 1  Histoire de la population canadienne française.

1Déjà, M. Georges Langlois1 a montré l’ampleur de la natalité chez les habitants de la Nouvelle-France, et, depuis le XIXe siècle, chez les Canadiens catholiques de la province de Québec.

2Les taux que nous avons calculés (tableau III) ne correspondent pas à ceux que donne M. Langlois et qui sont tirés du "Recensement du Canada, " 1871, vol. IV. Nos taux sont établis en rapportant la moyenne annuelle des naissances d’une décade à la population au milieu de cette période. Ils sont également représentés dans le graphique n° 4.

  • 2  Annuaire statistique de la province de Québec, 1916, p. 125 et Recensement du Canada, 1871, vol IV

TABLEAU III. – TAUX DE NATALITÉ POUR 1.000, CANADA, XVIIe et XVIIIe SIÈCLES2

TABLEAU III. – TAUX DE NATALITÉ POUR 1.000, CANADA, XVIIe et XVIIIe SIÈCLES2

3On peut accepter que la composition de la population par âge et par sexe était à peu près normale vers 1710. L’immigration était, depuis 40 ans, beaucoup moins importante et les perturbations apportées par celle-ci à la pyramide des âges avaient eu le temps de se résorber en grande partie. D’autre part, à mesure que la population croissait, ces déformations de la pyramide, causées par l’immigration, prenaient une importance relative de moins en moins grande. On peut donc admettre que, à partir de 1710, les chiffres donnés dans le tableau ne sont pas gonflés par une importance anormale des éléments procréateurs de la population. De toute façon ce ne sont pas les taux pouvant subir cette anomalie qui sont les plus élevés. Il est probable que la forte proportion de la population en âge de procréer ne pouvait entraîner un gonflement du taux de natalité ; les pyramides des âges font en effet voir un important excès d’hommes par rapport aux femmes à ces âges, réduisant ainsi une grande partie de l’effectif masculin à une impossibilité pratique de procréer.

4C’est pour la période 1761-1770 que le taux est le plus élevé. Cette période suit immédiatement la conquête du Canada par l’Angleterre. Comme les Britanniques établis dans la colonie à ce moment étaient très peu nombreux, ce taux caractérise bien la population française du Canada.

  • 3  F. X. GARNEAU : Histoire du Canada, t. I, pp. 314 à 343.

5La dépression du taux de natalité correspondant aux années 1681-90 est la réplique de celle du taux de nuptialité des années 1671-80. Celle-ci est une conséquence de la forte immigration des années 1663-71. Mais, sans doute, la baisse de la natalité de cette période trouve-t-elle aussi une explication dans le climat continuel de guerre contre les Anglais et les Iroquois qui a caractérisé cette époque et, en particulier, dans les campagnes militaires qui furent entreprises et auxquelles participèrent les Canadiens. Sept cents hommes (sur une population totale d’environ 11.000 habitants) avaient été ainsi mobilisés comme miliciens en 1684 et 900 en 16873. Ces campagnes et les mouvements de troupes causés par les nombreuses alertes ont certainement séparé une grande partie des couples et contribué ainsi à la baisse du taux de natalité. Il faut songer qu’à ce moment, il n’y avait que 2.500 à 3.000 hommes entre 16 et 50 ans dans toute la colonie.

  • 4  L. HENRY : Aspects démographiques d’une région rurale de l’Iran, in Population n° 3, 1953, p. 590  (...)
  • 5  Histoire de la population française avant 1789, t. I, p. 251-2, Paris, 1889.

6Il semble bien assuré que cette population jouissait d’une natalité exceptionnelle. Les taux les plus élevés que l’on ait évalués, jusqu’à maintenant, sont voisins de 55 pour 1.000. Monsieur Henry a déduit un taux de 57 pour 1.000 d’une enquête menée dans une région rurale d’Iran4. Certaines populations musulmanes, comme celles de Palestine, du Pakistan, de l’Egypte, ont des taux compris entre 50 et 55 pour 1.000, mais ces populations ont une nuptialité beaucoup plus précoce que celle des Canadiens au XVIIIe siècle et, cependant nous sommes encore loin du taux de 65 pour 1.000 enregistré au Canada en 1761-70. M. Levasseur5 dit que durant les 20 dernières années de l’Ancien Régime, en France, il y avait une naissance par 25 1/2 ou 25 3/4 habitants, ce qui équivaut à un taux de 39 pour 1.000.

  • 6  Recherches et considérations sur la population de la France, p. 78, réédition Paul Geuthner, Paris (...)
  • 7  Population, n° 4, 1951, p. 635-62.

7Moheau donne des chiffres qui se ramènent aussi à 39 pour 1.0006. Un article de M. J. Bourgeois-Pichat : "Evolution de la population française depuis le dix -huitième siècle"7, confirme ce chiffre. La cohérence des résultats trouvés par cet auteur leur confère un degré de certitude remarquable pour la période étudiée. Cependant, les chiffres cités ne permettent pas de calculer le taux de natalité pour une période antérieure à 1770. On sait seulement que le taux brut de reproduction, égal à 2,39 en 1771, avait eu une valeur moyenne de 2,50 avant cette date.

8On a parfois évalué la natalité physiologique à 40 pour 1.000. M. Sauvy, dans le "Traité de démographie" de Landry, dit qu’elle paraît être de l’ordre de 50 à 60 pour 1.000.

9Une telle natalité a permis à la population canadienne, malgré des taux de mortalité relativement élevés (de 23,6 à 39,6 pour 1.000 entre 1700 et 1770), de s’accroître à un rythme étonnant. Pour la période 1761-70, le taux pour 1.000 de l’excédent naturel est 34,0.

10Aussi, la Vénérable Marie de l’Incarnation a-t-elle raison de dire que "les ménages qui sont établis depuis longtemps dans ce pays ont tant d’enfants que cela est merveilleux et que tout en foisonne".

  • 8  La matière existe cependant sous forme de registres paroissiaux. Voir Louis HENRY : Une richesse d (...)

11Cette caractéristique de la population canadienne française vaut que l’on s’y attarde et qu’on pousse plus loin l’analyse. Celle-ci a d’ailleurs un intérêt d’ordre général : les éléments que nous avons trouvés dans le "Dictionnaire" de Tanguay nous ont permis de calculer avec précision la fécondité de cette population vivant en régime naturel. Or ces calculs n’ont pu jusqu’à présent être faits pour des populations aussi anciennes, celles-ci vivant à une époque où les relevés nécessaires n’étaient pas faits sous une forme immédiatement utilisable8.

I.– MOUVEMENT SAISONNIER DES NAISSANCES

12Il faut ici séparer les premières naissances, qui subissent l’Influence du mouvement saisonnier des mariages, des autres naissances.

Naissances autres que les premières.

  • 9  Ces naissances ont eu lieu entre les années 1701 et 1750 environ.

13Le tableau IV donne la répartition mensuelle de ces naissances, au nombre total de 5.4029 . A la troisième colonne du tableau, ces chiffres sont corrigés pour éliminer l’Influence de la tendance de longue durée. Celle-ci peut être représentée par la fonction suivante :

14Nx + 1 – Nx . 1,033

15où N signifie le nombre de naissances et x et x + 1 désignent l’année.

TABLEAU IV. – MOUVEMENT SAISONNIER DES NAISSANCES AUTRES QUE LES PREMIÈRES

TABLEAU IV. – MOUVEMENT SAISONNIER DES NAISSANCES AUTRES QUE LES PREMIÈRES

16A la cinquième colonne, on trouve l’indice du mouvement saisonnier de ces naissances, corrigé pour l’inégalité des mois. On peut lire directement, à l’aide de la dernière colonne, le mois de la conception auquel correspondent les naissances données.

17Il va sans dire que c’est en se référant à la conception, surtout, que l’on peut trouver l’explication de ce mouvement saisonnier. Il est en effet probable que les Canadiens de cette époque ne prenaient aucune disposition spéciale pour que les naissances se produisissent à tel ou tel mois. On peut donc supposer que si les naissances ont eu lieu suivant une telle répartition mensuelle, c’est que, neuf mois auparavant, certaines conditions de l’existence de cette population favorisaient ou limitaient les chances de conceptions, qui conservaient vraisemblablement un caractère de spontanéité.

18La courbe du mouvement saisonnier est représentée sur le graphique n° 5 en termes de conceptions. On note une forte pointe pour les conceptions de juin, un niveau relativement élevé pour les mois qui l’entourent : mai, juillet, août, puis une chute qui maintient le niveau de septembre, octobre, novembre, décembre assez bas, une pointe secondaire en janvier, et des conceptions peu nombreuses en février et surtout en mars.

19Quelle explication donner à ce mouvement ? On comprend facilement l’élan des mois de mai et juin ; ces mois correspondent au retour de la belle saison en cette contrée où le printemps ne devait guère produire, avant le milieu du mois de mai, cette "chaleur intérieure et active" dont parle Moheau si savoureusement. Mais le niveau élevé qu’on enregistre en juillet et août peut sembler incompatible avec les durs travaux qui se font durant ces mois et la fatigue qui s’ensuit. Il faut se souvenir que les Canadiens devaient concentrer leurs travaux de culture dans une période de quelques mois (mai à septembre à peu près), la neige recouvrant le sol depuis le milieu du mois de novembre jusqu’au milieu d’avril, et la gelée se faisant sentir dès la fin du mois de septembre.

20Sans doute faut-il en conclure que l’intensité du travail des mois d’été n’était pas un frein à l’ardeur sexuelle de cette population. Quant aux mois d’automne et d’hiver, ils subissent probablement l’effet de la séparation de certains ménages dont le mari partait à la chasse. Cela expliquerait la pointe secondaire de janvier qui correspondrait alors au retour du mari à l’occasion des fêtes de ce mois.

21L’importance du mouvement saisonnier de ces naissances est notable. Le graphique n° 6 permet de comparer l’ampleur des fluctuations de ce mouvement au Canada de 1700 à 1750, en France de 1932 à 1938 et au Canada en 1949, On voit que cette population, pétrie par une nature rude et imposante, était peu affranchie de l’influence que celle-ci exerce sur l’activité reproductrice des êtres vivants.

  • 10  MOHEAU, Recherches et considérations...

22Il est tout à fait vraisemblable que la période où "une sève générale se répand et s’insinue dans tous les corps"10 était, au Canada de cette époque, en retard d’un mois sur la même période en France.

23On a observé déjà que le rythme des naissances s’atténue avec la civilisation. Et cela est confirmé par les oscillations prononcées de la courbe du mouvement saisonnier, au Canada du XVIIIe siècle, beaucoup plus fortes que celles des courbes actuelles des pays dits civilisés.

Premières naissances.

24Le mouvement saisonnier de celles-ci, comme on pourra le constater, est intimement lié à celui des mariages.

25les deux tableaux suivants donnent, pour les premières naissances et les mariages, les renseignements que nous venons de donner plus haut pour les autres naissances :

  1. répartition mensuelle ;

  2. les mêmes données corrigées de la tendance de longue durée ;

  3. l’indice saisonnier, corrigé pour l’inégalité des mois.

26Ici encore, on peut lire pour les naissances, soit le mois où elles se sont produites, soit le mois de conception auquel elles correspondent. Les calculs se rapportent à un total de 836 premières naissances.

27Comparons l’évolution saisonnière des mariages à celle des premières naissances avec un décalage de neuf mois, pour tenir compte de la durée de la gestation. Dans ce cas, pour que les courbes sur le graphique suivent exactement la même évolution, il faudrait que toutes les conceptions se produisent au moment du mariage et que la durée de la gestation soit toujours de 9 mois. Evidemment, il n’en est pas ainsi, mais le décalage de neuf mois est celui qui fait le mieux ressortir la similitude d’évolution des deux courbes. Les tableau et graphique n° 7 illustrent cette comparaison.

28En général, il y a concordance dans l’évolution des courbes, surtout pour les fluctuations modérées. Dans le cas où les fluctuations des mariages sont très amples, (passage d’un niveau très élevé à un niveau très bas), il se produit dans la courbe des premières naissances un certain étalement, une certaine compensation de ces deux poussées contraires. Cela est dû au fait que le temps qui s’écoule entre le mariage et la première naissance n’est pas fixé à 9 mois, mais est susceptible d’une certaine élasticité. Nous allons essayer d’en tenir compte. Notons auparavant que l’ampleur des fluctuations des premières naissances est moins forte que celle des autres naissances, bien que celles-là soient rattachées d’assez près au mouvement saisonnier des mariages qui, lui, présente de très fortes fluctuations.

TABLEAU V. – MOUVEMENT SAISONNIER DES PREMIÈRES NAISSANCES

TABLEAU V. – MOUVEMENT SAISONNIER DES PREMIÈRES NAISSANCES

TABLEAU VI. – MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES

TABLEAU VI. – MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES

TABLEAU VII. – COMPARAISON DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES A CELUI DES PREMIÈRES NAISSANCES AVEC UN DÉCALAGE DE 9 MOIS

TABLEAU VII. – COMPARAISON DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES A CELUI DES PREMIÈRES NAISSANCES AVEC UN DÉCALAGE DE 9 MOIS

29On peut également constater qu’il n’y a à peu près rien de commun entre l’évolution des premières naissances et celle des autres naissances.

  • 11  Nous verrons plus loin d’où vient ce pourcentage de 25 %.
  • 12  Et non seulement sur celles d’octobre, comme le laissait supposer le décalage de neuf mois.

30Nous venons de dire que l’espace de temps qui s’écoule entre le mariage et la première naissance n’est pas fixé avec rigidité à 9 mois. Supposons que les femmes nouvellement mariées ont leur première ovulation post-nuptiale 15 jours après le mariage et voyons ce qui se passe pour les femmes mariées durant le mois de janvier. Celles qui se marient le premier janvier ont une ovulation vers le 15 janvier et celles qui se marient le 31 janvier ont une ovulation vers le 15 février. Parmi ces femmes, 25 %11 environ seront fécondées à cette première ovulation. Comme la fécondation des 75 % qui restent s’étalera sur plusieurs mois, c’est surtout par ces 25 % des femmes que le mouvement saisonnier des mariages se répercutera sur le mouvement saisonnier des premières naissances. On peut donc dire que les mariages de janvier influent surtout sur les premières naissances d’octobre et novembre12. Inversement, les premières naissances du mois de novembre, par exemple, subissent l’influence, non seulement des mariages du mois de février, (décalage de 9 mois), mais également de ceux du mois de janvier.

31Nous allons donc construire une nouvelle courbe du mouvement saisonnier des mariages qui sera une sorte de moyenne mobile et où chacune des douze valeurs correspondant aux divers mois de l’année sera une moyenne de 2 mois consécutifs. Les valeurs successives seront celles des périodes : janvier-février, février-mars, mars avril, etc. On comparera cette nouvelle courbe à celle des premières naissances de la façon suivante : les naissances de novembre seront comparées aux mariages de janvier-février, celles de décembre aux mariages de février-mars, etc.

32Le tableau suivant permet au lecteur de reconstituer ce nouvel indice saisonnier des mariages :

TABLEAU VIII. – CONSTITUTION D’UN INCIDE PONDÉRÉ DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES EN VUE D’UNE COMPARAISON AVEC LES PREMIÈRES NAISSANCES

TABLEAU VIII. – CONSTITUTION D’UN INCIDE PONDÉRÉ DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES EN VUE D’UNE COMPARAISON AVEC LES PREMIÈRES NAISSANCES

33Comparons maintenant, avec le décalage indiqué (par exemple naissances de novembre avec mariages de janvier-février, etc.), ce nouvel indice saisonnier des mariages et l’indice saisonnier des premières naissances. Le tableau suivant et le graphique n° 8 illustrent cette comparaison :

TABLEAU IX. – COMPARAISON DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES (INDICE PONDÉRÉ) A CELUI DES PREMIÈRES NAISSANCES

TABLEAU IX. – COMPARAISON DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES (INDICE PONDÉRÉ) A CELUI DES PREMIÈRES NAISSANCES
  • 13  Inversement les premières naissances d’un mois déterminé sont influencées par les mariages célébré (...)

34On remarque que les deux courbes (graphique n° 8) ont à peu près la même allure. De toute façon, la ressemblance est plus nette que si l’on fait simplement un décalage de neuf mois. Notons que même ici on ne tient compte que de l’influence du nombre de mariages d’un mois déterminé sur les naissances résultant de la première ovulation. En fait, le mouvement des mariages influe de façon sensible sur les naissances résultant de la deuxième ovulation post-nuptiale et même de la troisième et de la quatrième13.

  • 14  Le mouvement contraire des courbes, que l’on perçoit pour les naissances de janvier et février est (...)

35On aurait pu faire une pondération des mariages des 4 ou 5 mois qui ont une influence sensible sur les naissances d’un mois déterminé, pour établir la courbe de l’indice saisonnier pondéré des mariages. Les fluctuations eussent alors été beaucoup moins violentes et certainement plus semblables à celles de la courbe de l’indice saisonnier des premières naissances14 . Cependant, la courbe que nous avons construite montre assez que les premières naissances résultant de la première ovulation post-nuptiale reflètent, dans une très large mesure, les oscillations du mouvement saisonnier des mariages.

II.– NOMBRE D’ENFANTS PAR FAMILLE

  • 15  Nous avons laissé de côté les familles à durée de fécondité inconnue. A toutes fins utiles, voici (...)

36Seules, les fiches dites utilisables (celles sur lesquelles tous les enfants ont leur année de naissance indiquée), seront étudiées ici. Le tableau X donne, suivant leur dimension (nombre d’enfants) la distribution des familles dont on sait que la durée de fécondité a été complète ou incomplète15. On a éliminé les familles formées alors que la femme était âgée de 45 ans et plus.

37Ces moyennes ne paraissent pas extraordinairement fortes, au premier abord, si l’on se rappelle les taux de natalité élevés qui ont été donnés au début de ce chapitre. On imagine facilement qu’il était le plus courant de rencontrer, dans cette population, des familles de 10 à 12 enfants. Deux phénomènes interviennent pour limiter, malgré une forte fécondité, la dimension de ces familles :

  1. une certaine proportion de ces ménages se sont formés à un âge relativement avancé de la femme : 6 % des femmes nouvellement mariées avaient 40 ans et plus, 10 %, 35 ans et plus, et 18 % avaient au-delà de 30 ans à leur mariage ;

  2. la mortalité élevée de cette population venait souvent interrompre brusquement le développement des familles.

38On peut apprécier l’influence du décès des époux sur la dimension des familles en comparant le nombre moyen d’enfants des familles complètes à celui des familles incomplètes. Ces dernières sont interrompues par le décès de l’un des parents alors que les premières ont duré au moins jusqu’à ce que la femme ait atteint l’âge de 50 ans. On voit que, l’influence de la mortalité étant éliminée, le nombre moyen d’enfants par famille est presque doublé : il passe de 4,41 pour les familles "incomplètes" à 8,39 pour les familles "complètes".

TABLEAU X. – RÉPARTITION DES FAMILLES ET DES ENFANTS SUIVANT LA DIMENSION DES FAMILLES

TABLEAU X. – RÉPARTITION DES FAMILLES ET DES ENFANTS SUIVANT LA DIMENSION DES FAMILLES

39On peut encore illustrer l’influence de la mortalité par le grand nombre de familles de petite dimension parmi les familles incomplètes. A ce point de vue la différence avec les familles complètes est due à la rupture précoce du ménage par le décès de l’un des époux.

40Chez les familles ayant duré pendant toute la période de fertilité de la femme, les nombres d’enfants les plus fréquemment rencontrés sont 8 et 9.

  • 16  En fait, il semble y avoir eu une sélection : si, sur le graphique n° 1 on compare le nombre annue (...)

41Si la proportion respective des familles incomplètes et complètes qui composent le tableau n° X est conforme à la réalité, c’est-à-dire si l’élimination des fiches défectueuses n’a pas introduit de sélection, les deux dernières colonnes du tableau sont une image de la dimension des familles canadiennes au XVIIIe siècle16. On voit qu’il y a beaucoup de familles comptant 2 enfants et moins ; cela est dû en grande partie au décès de l’un des parents avant que la famille ne soit complète.

42Celles-ci mises à part, ce sont, en importance décroissante, les familles de 8,5 et 6 enfants que l’on rencontre le plus souvent. Ce sont les familles de 8 enfants qui fournissent la plus forte contribution au développement naturel de cette population (12,4 %).

43La moyenne générale est de 5,65 enfants par famille. 2,8 % des familles seulement ont 15 enfants et plus, alors que chez les familles complètes, cette proportion est de 8 % ; 16 % des familles ont de 10 à 14 enfants ; chez les complètes, on en rencontre 28 %. Le tableau suivant fait voir ces pourcentages pour l’ensemble des familles et pour les familles complètes ainsi que le pourcentage des enfants que fournit chaque catégorie de familles.

44M. Langlois, se basant sur les travaux du R.P. Archange Godbout, dit que "l’on peut affirmer que celle (la fécondité) des familles françaises dont est sortie la population canadienne était 4,5 enfants par couple". On pourrait en déduire que cette fécondité s’est accrue avec l’établissement de ces familles au Canada, puisque c’est 5,65 enfants par couple que nous trouvons. Mais cette interprétation suppose que la nuptialité n’a pas été plus précoce au Canada qu’en France, ce qui semble peu probable.

TABLEAU XI. – PROPORTION DES FAMILLES SUIVANT LA DIMENSION ET DES ENFANTS QUI EN SONT ISSUS

TABLEAU XI. – PROPORTION DES FAMILLES SUIVANT LA DIMENSION ET DES ENFANTS QUI EN SONT ISSUS
  • 17  Moheau : Recherches et considérations..., p. 78.

45Le chiffre de 4,5 enfants mentionné par Langlois est d’ailleurs le même que ce que l’on peut déduire de l’assertion suivante de Moheau : "... d’après la comparaison du nombre des mariages à celui des naissances, nous trouvons qu’en France 5 mariages donnent environ 24 enfants, ou, en retranchant un excédent pour les unions illégitimes, 2 mariages donnent 9 enfants"17.

TABLEAU XII. – NOMBRE D’ENFANTS PAR FEMME MARIÉE (PROVINCE DE QUÉBEC, 1941)

TABLEAU XII. – NOMBRE D’ENFANTS PAR FEMME MARIÉE (PROVINCE DE QUÉBEC, 1941)

46On peut se demander quelle-est aujourd’hui la dimension des familles qui descendent de cette population du XVIIIe siècle. Le tableau n° XII donne le nombre moyen d’enfants par femme mariée ayant atteint un certain âge, en 1941. Il est tiré de chiffres donnés dans l’"Annuaire statistique de la province de Québec" de 1950, (page 104). Les femmes sont réparties en trois catégories : celles des régions rurales, celles des "localités urbaines" (1.000 à 30.000 habitants), et enfin celles des villes de plus de 30.000 habitants.

  • 18  Sous cette réserve qu’ici, une même femme peut s’être mariée deux fois, ce qui n’est pas le cas de (...)

47Les taux des deux premières lignes sont à peu près comparables à ceux des familles complètes de notre échantillon18. Les femmes de la deuxième ligne n’ont cependant pas toutes terminé leur période de fertilité. Le chiffre actuel des régions rurales, 7,67, est au-dessous de celui que nous avons trouvé pour les familles complètes du XVIIIe siècle (8,39). On voit que la dimension des familles diminue très sensiblement avec l’accroissement de l’urbanisation.

48En 1941, 1.024 femmes mariées de plus de 45 ans sur 286.489, dans la province de Québec, avaient eu au cours de leur vie au moins 20 enfants, soit une proportion de 0,36 % des femmes mariées de cet âge. On voit qu’il reste encore des traces de la performance passée.

III.– QUESTIONS DIVERSES RELATIVES A LA NATALITE

Âge des mères à la naissance de leurs enfants.

49Le graphique n° 9 donne la distribution de l’âge des mères à la naissance de leurs enfants pour les familles complètes et incomplètes dont les fiches sont utilisables, et pour l’ensemble de ces deux catégories.

50Pour les familles complètes, l’âge moyen est 32,25 ans et l’âge modal 35 ans. 613 naissances se rapportent à cette catégorie de familles.

51Pour les familles incomplètes, (711 naissances), l’âge moyen est 28 ans et l’âge modal 26 ans.

52La moyenne de l’ensemble de ces familles est 30 ans, sans valeur modale marquée.

53En ce qui concerne la distribution de l’âge des mères à la naissance de leur dernier enfant, on constate une notable différence entre les deux catégories de familles : l’âge moyen est 41 ans pour les familles complètes, avec une faible dispersion, et 31 ans pour les familles incomplètes, avec une très forte dispersion.

54Vers 1930, l’âge moyen des mères était 27 ans 9 mois en Bulgarie, 27 ans 11 mois au Mexique, 28 ans 2 mois en France, 30 ans en Suède.

Répartition des sexes à la naissances.

55Les chiffres donnés ici ont été établis d’après les fiches utilisables suivantes : familles complètes, incomplètes et inconnues sédentaires, l’ensemble concernant 3.063 naissances. Voici comment elles se répartissent :

  • sexe féminin : 1.488

  • sexe masculin : 1.537

  • sexe inconnu : 38

56Le taux de masculinité est de 103,2 % ce qui est normal. Cependant, étant donné le nombre relativement petit de ces chiffres, le taux réel peut être légèrement différent de la valeur trouvée.

57Dans son "Dictionnaire", Mgr Tanguay donne la répartition suivante des sexes à la naissance :

  • naissances légitimes : 1018,5 garçons pour 1.000 filles,

  • naissances illégitimes : 890 garçons pour 1.000 filles.

  • 19  Dictionnaire généalogique... t. IV, à la fin.

58Il ajoute que dans 1 % des cas, le sexe n’est pas donné (enfants ondoyés)19.

Naissances illégitimes.

  • 20  Ibid. p. 607-8. Les naissances illégitimes sont rapportées au total des naissances vivantes.

59Mgr Tanguay a fait un relevé des naissances illégitimes, en Nouvelle-France, puis pour les catholiques de la province de Québec. On trouvera dans le tableau n° XIII les taux qu’il donne20 (pour 1.000 naissances vivantes).

60Sous le régime français, les taux vont toujours croissant, passant de 2,04 pour 1.000 en 1701-10 à 12,21 pour 1.000 en 1751-60. On enregistre une brusque poussée pour la décade 1721-30. Il serait intéressant de savoir pourquoi.

61Pour la décade durant laquelle la colonie est passée aux mains de l’Angleterre (1761-70), le taux s’abaisse à 5,57 pour 1.000, de 12,21 qu’il était en 1751-60. Cette baisse est sans doute due, du moins en partie, au départ des troupes militaires et au retour des combattants canadiens dans leurs foyers.

TABLEAU XIII. – NAISSANCES ILLÉGITIMES POUR 1.000 NAISSANCES VIVANTES.

TABLEAU XIII. – NAISSANCES ILLÉGITIMES POUR 1.000 NAISSANCES VIVANTES.

62Sous le régime anglais, les taux, après avoir atteint 4,8 pour 1.000 en 1791-1800, reprennent leur croissance pour atteindre 17,15 pour 1.000 en 1861-70.

63Dans la province de Québec, de nos jours, le taux des naissances illégitimes est d’environ 30 pour 1.000.

64Après avoir donné les taux qu’on vient de reproduire, Mgr Tanguay constate qu’il s’agit d’une faible illégitimité, "en dépit des nombreux voyages dans les pays d’en haut et de la présence des soldats sur différents points du pays qu’il fallait attaquer ou défendre. Disons aussi que la marine d’outremer, en se développant, devait contribuer pour une large part à la démoralisation".

65Voici, dans le même ordre d’idées, la proportion des ménages pour lesquels le premier enfant a été conçu avant le mariage : sur 725 ménages ayant eu au moins un enfant, 33 ont eu leur premier enfant au cours des 5 premiers mois après leur mariage, soit 4,5 %. Ce pourcentage des conceptions anténuptiales est un minimum car il n’inclut pas celles qui ont donné lieu à une naissance pendant les 6ème, 7ème et 8ème mois après le mariage. Une évaluation de 8 % ne doit pas être trop fantaisiste.

Accouchements multiples.

66Les fiches utilisables des familles complètes, incomplètes et inconnues sédentaires contiennent l’inscription de 3.063 naissances dont 102 gémellaires (ou 51 accouchements doubles). Cela fait 1,7 accouchements doubles pour 100 accouchements ou 3,3 naissances gémellaires pour 100 naissances.

  • 21  Parce qu’ils permettent peu de recoupements, étant donné leur forte mortalité précoce.

67Ces taux sont plus élevés que ceux qu’on rencontre habituellement. Cependant, les données que l’on a sur ces jumeaux sont spécialement défectueuses21. De plus, on a parfois pris comme jumeaux des enfants nés la même année et dont on ignorait la date exacte de la naissance de l’un d’eux. Même si l’interprétation de naissance double était vraisemblable, il se peut que ce calcul soit basé sur une certaine proportion de naissances non-gémellaires.

68Le rang de naissance moyen de ces accouchements doubles est 6,3, ce qui laisse entendre que ces accouchements se produisaient plutôt vers la fin de la période de fertilité. L’âge moyen de la mère, aux naissances multiples, est 33 ans, ce qui est plus élevé que l’âge aux naissances ordinaires.

69Ces naissances sont survenues, en moyenne, après 10 ans de mariage.

Notes

1  Histoire de la population canadienne française.

2  Annuaire statistique de la province de Québec, 1916, p. 125 et Recensement du Canada, 1871, vol IV.

3  F. X. GARNEAU : Histoire du Canada, t. I, pp. 314 à 343.

4  L. HENRY : Aspects démographiques d’une région rurale de l’Iran, in Population n° 3, 1953, p. 590 à 592.

5  Histoire de la population française avant 1789, t. I, p. 251-2, Paris, 1889.

6  Recherches et considérations sur la population de la France, p. 78, réédition Paul Geuthner, Paris 1912.

7  Population, n° 4, 1951, p. 635-62.

8  La matière existe cependant sous forme de registres paroissiaux. Voir Louis HENRY : Une richesse démographique en friche : les registres paroissiaux, in Population, n° 2, 1953.

9  Ces naissances ont eu lieu entre les années 1701 et 1750 environ.

10  MOHEAU, Recherches et considérations...

11  Nous verrons plus loin d’où vient ce pourcentage de 25 %.

12  Et non seulement sur celles d’octobre, comme le laissait supposer le décalage de neuf mois.

13  Inversement les premières naissances d’un mois déterminé sont influencées par les mariages célébrés, 9, 10, 11, 12 mois avant ces premières naissances.

14  Le mouvement contraire des courbes, que l’on perçoit pour les naissances de janvier et février est facilement explicable : les naissances baissent, alors que les mariages montent, parce, que celles-là ressentent encore l’effet de la baisse des mariages aux périodes mars-avril et février-mars, cette baisse l’emportant sur l’influence (croissante) d’avril-mai.

15  Nous avons laissé de côté les familles à durée de fécondité inconnue. A toutes fins utiles, voici le nombre moyen d’enfants de celles de ces familles qui ont été fécondes : 6,85.

16  En fait, il semble y avoir eu une sélection : si, sur le graphique n° 1 on compare le nombre annuel des naissances au nombre annuel des mariages, avec un décalage convenable, on trouve environ 6 naissances par mariage. Or le tableau X donne 5,65 enfants. Il est possible que l’échantillon représenté par ce tableau contienne un nombre anormalement élevé de ménages ayant eu peu ou pas d’enfant. En effet ce caractère ne leur laisse que peu de chances d’être éliminés, avec les fiches défectueuses, parce qu’un enfant n’a pas d’année de naissance.

17  Moheau : Recherches et considérations..., p. 78.

18  Sous cette réserve qu’ici, une même femme peut s’être mariée deux fois, ce qui n’est pas le cas de notre échantillon.

19  Dictionnaire généalogique... t. IV, à la fin.

20  Ibid. p. 607-8. Les naissances illégitimes sont rapportées au total des naissances vivantes.

21  Parce qu’ils permettent peu de recoupements, étant donné leur forte mortalité précoce.

Table des illustrations

Titre TABLEAU III. – TAUX DE NATALITÉ POUR 1.000, CANADA, XVIIe et XVIIIe SIÈCLES2
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Titre TABLEAU IV. – MOUVEMENT SAISONNIER DES NAISSANCES AUTRES QUE LES PREMIÈRES
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Titre TABLEAU V. – MOUVEMENT SAISONNIER DES PREMIÈRES NAISSANCES
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Fichier image/jpeg, 48k
Titre TABLEAU VI. – MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES
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Fichier image/jpeg, 42k
Titre TABLEAU VII. – COMPARAISON DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES A CELUI DES PREMIÈRES NAISSANCES AVEC UN DÉCALAGE DE 9 MOIS
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/17662/img-5.jpg
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Titre TABLEAU VIII. – CONSTITUTION D’UN INCIDE PONDÉRÉ DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES EN VUE D’UNE COMPARAISON AVEC LES PREMIÈRES NAISSANCES
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Fichier image/jpeg, 40k
Titre TABLEAU IX. – COMPARAISON DU MOUVEMENT SAISONNIER DES MARIAGES (INDICE PONDÉRÉ) A CELUI DES PREMIÈRES NAISSANCES
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/17662/img-7.jpg
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Titre TABLEAU X. – RÉPARTITION DES FAMILLES ET DES ENFANTS SUIVANT LA DIMENSION DES FAMILLES
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/17662/img-8.jpg
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Titre TABLEAU XI. – PROPORTION DES FAMILLES SUIVANT LA DIMENSION ET DES ENFANTS QUI EN SONT ISSUS
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/17662/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 36k
Titre TABLEAU XII. – NOMBRE D’ENFANTS PAR FEMME MARIÉE (PROVINCE DE QUÉBEC, 1941)
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/17662/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 24k
Titre TABLEAU XIII. – NAISSANCES ILLÉGITIMES POUR 1.000 NAISSANCES VIVANTES.
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/17662/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 25k

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