1 L’évolution de l’inspection est le résultat de l’interaction entre les discours sur cette fonction et les textes législatifs qui reflètent les motivations de l’État républicain et les perceptions propres de ses agents sur ce que doit être l’action sociale. La question de la construction du corps, les rapprochements entre des discours et des pratiques invitent à s’interroger sur les voies de sa professionnalisation. L’analyse de ce processus au moment où il est le plus perceptible, c’est-à-dire entre 1880 et 1914, est l’objet de la présente partie. C’est en effet à partir des années 1880-1885 que les inspecteurs multiplient les références à leur « profession ». Le processus de professionnalisation se caractérise par la mise en place de signes de reconnaissance propres à l’inspection et qui la structurent. Ces signes sont autant l’élaboration de pratiques de terrain communes qui créent l’expérience de l’inspection que la manifestation d’opinions communes qui fonde la physionomie du corps. En examinant les prises de position des inspecteurs, les arguments qu’ils avancent dans leur exercice quotidien et la justification qu’ils donnent à leurs activités, on peut ainsi définir les contours de l’élaboration d’un mode de pensée et d’action propre aux inspecteurs et montrer ce qu’est raisonner en professionnel de l’Assistance publique.

2 Cette question de la professionnalisation entraîne plusieurs interrogations sur ses modalités : existe-t-il un langage commun de l’inspection et quels mécanismes assurent la cohésion du groupe ? Peut-on repérer une méthode commune, une sorte d’orthodoxie de l’activité professionnelle qui définirait les compétences des professionnels et tracerait les frontières de la profession ? À travers l’intervention des professionnels dans le débat sur la dépopulation, il apparaît que la professionnalisation des inspecteurs est allée de pair avec la construction d’une position d’expertise des questions d’assistance. En outre, les inspecteurs affirment des valeurs communes et ont des représentations similaires des personnes assistées et des politiques d’assistance qu’ils expriment dans leurs travaux et leurs correspondances. La communauté d’intérêts ne masque pas cependant des façons de faire particulières fondées sur des cultures multiples.