1Avant la promulgation de la loi financière du 5 mai 1869, l’engagement modeste de l’État a créé un vide dans la gestion administrative du personnel de l’inspection, aucune règle d’avancement, de promotion n’ayant été définies. Le personnel est géré localement, au niveau de la préfecture. Les inspecteurs eux-mêmes ont souligné cette lacune dans leur organisation. À Bordeaux, l’inspecteur de Lamothe s’exprime ainsi : « il n’y a pas de bons services là où il n’y a pas d’émulation et l’émulation exige la perspective d’une position avantageuse. Les règles d’avancement [...] devraient être soumises à des conditions régulières, la durée des services, le zèle déjà employé et la capacité bien constatée au besoin par un examen passé à Paris devant les inspecteurs généraux »1.

2En 1870, le nouveau corps de fonctionnaires est soumis à des règles et des procédures d’avancement qui seront régulièrement modifiées pour répondre aux attentes des fonctionnaires de l’inspection mais aussi pour calquer l’évolution de l’inspection sur celle d’autres corps. Mais la dynamique voulue par l’administration centrale est contrainte par celle des fonctionnaires qui ont une conception propre de leur carrière.

I. – La démographie du personnel

1) Le mouvement du personnel

3Les mouvements du personnel, c’est-à-dire les entrées, les sorties, les promotions, les rétrogradations et les mutations, mettent à jour plusieurs périodes, chacune d’elles étant caractérisée par une même tendance (tableau 1).

Tableau 1. – Les mouvements dans le corps par période*

4Au cours des années 1872-1879, les recrutements d’inspecteurs comblent les postes à pourvoir tandis que les sorties à ce grade sont nombreuses. Sans doute parce que le corps est composé en partie de professionnels déjà en exercice avant 1869, donc potentiellement âgés. De plus, le ministre de l’Intérieur prétend renouveler le corps comme le montre le parcours de l’inspecteur Galot2. Les années 1880-1889 sont caractérisées par une amorce des recrutements de sous-inspecteurs et le maintien des recrutements des inspecteurs. L’expérience des premiers sous-inspecteurs est reconnue par des promotions qui passent de 5 entre 1880-1884 à Il entre 1885-1889. On est en présence d’un corps qui construit son expérience et qui est prêt à fonctionner en vase clos, c’est-à-dire par promotion interne plutôt que par recrutement au niveau supérieur. Au cours de cette période, le nombre de mutations d’inspecteurs montre que le corps est d’ores et déjà entré dans une dynamique où l’opportunité des déplacements est mise à profit. La période 1890-1894 apparaît toute particulière par l’effectif élevé des entrées de sous-inspecteurs : 61 fonctionnaires sont recrutés à ce grade. Le nombre total de fonctionnaires à ce grade s’accroît, conséquence de l’accroissement des attributions de l’inspection après le vote des lois de protection des enfants en difficulté (1889) et la mise en place des services de protection du premier âge. Le dispositif administratif s’étoffe. À partir de 1895 et ce, jusqu’en 1914, le nombre de sous-inspecteurs qui sortent à ce grade augmente : ce groupe vieillit. Les promotions au grade d’inspecteur compensent la diminution des recrutés à ce grade. Le choix de l’administration, qui est de stimuler le zèle des sous-inspecteurs et de tirer profit de leur expérience, est plus marqué. Ces mouvements s’accentuent tout au long de cette période ; le renouvellement du corps se fait désormais par la base. La guerre provoque dans le rythme des mouvements une rupture brutale. On recense 138 mouvements, on en compte 258 au cours de la période précédente. Le corps vit au ralenti. Dès 1920, et ce jusqu’en 1934, les mouvements reprennent. Le retour à la situation antérieure à la guerre est rapide. Dès 1920-1924, les recrutements de sous-inspecteurs retrouvent leur niveau d’avant-guerre, les promotions aussi. Mais ce n’est pas le cas des mutations qui reprennent graduellement jusqu’en 1934. À partir de 1935, le nombre d’entrées au grade de sous-inspecteur s’élève considérablement pour combler les postes vacants des promus, étoffer les services départementaux et intégrer les contrôleurs départementaux des services d’assistance, laissant présumer une nouvelle phase dont l’élan est stoppé par la guerre. Les promotions n’ont jamais été aussi nombreuses.

5Ainsi, depuis les débuts de la Troisième République, les mouvements suivent une même tendance, particulièrement marquée à partir de 1880 et qui s’accélère à partir de la mise en place de l’examen et des nouvelles règles de gestion. De sorte que, globalement, on peut distinguer une première grande phase de l’inspection qui est celle de la génération entrée au cours des années 1880-1905 marquée par une même stratégie gestionnaire administrative. Cette période est celle d’une activité intense de la direction de l’Assistance et de l’Hygiène publiques et du csap. Ceux qui sont entrés au-delà de 1905 apparaissent comme les héritiers de la politique administrative qui s’est forgée au cours des années 1880-1905. Le personnel est désormais géré par une Direction qui a une conception claire de la gestion idéale de ce personnel en accord avec la mission administrative et sociale du fonctionnaire qu’elle a contribué à forger.

2) L’âge et l’ancienneté des fonctionnaires

a) La structure par grade et âge

6Des tableaux d’ancienneté publiés par le ministère de l’Intérieur permettent de reconstituer la structure par âge de l’ensemble des agents en exercice (figures 1, 2, 3, 4).

Figure 1.– Pyramide des âges des fonctionnaires selon le grade au 15 mai 1909

Figure 2.– Pyramide des âges des fonctionnaires selon le grade au 1^er avril 1913

Figure 3.– Pyramide des âges des fonctionnaires selon le grade au 1^er juillet 1917

Figure 4.– Pyramide des âges des fonctionnaires selon le grade au 1^er mars 1926

7De 1909 à 1913, on observe un net rajeunissement (quatre ans en moyenne) des sous-inspecteurs tandis que la structure par âge des inspecteurs évolue assez peu3. Mais la tendance s’inverse entre 1913 et 1917 : inspecteurs et sous-inspecteurs sont plus âgés, les premiers d’un an de plus, les seconds de deux ans en moyenne. C’est surtout la part des fonctionnaires âgés dans les deux grades qui vieillit le corps4. À l’inverse, entre 1917 et 1926, l’âge moyen des fonctionnaires a diminué : celui des inspecteurs est passé de 53,8 ans à 50 ans, celui des sous-inspecteurs de 42,3 ans à 40,2 ans5.

8Ainsi, la structure par âge s’est profondément modifiée. L’après-guerre est marquée par un net rajeunissement des cadres de l’inspection. Les recrutements de sous-inspecteurs, jeunes diplômés, souvent sans expérience professionnelle, ont conduit à l’abaissement de la part des sous-inspecteurs plus âgés dans le corps tandis que les promotions massives de sous-inspecteurs ayant exercé les fonctions d’inspecteurs au cours de la guerre diminuent la part des sous-inspecteurs les plus âgés tout en augmentant celle des inspecteurs les plus jeunes.

b) La structure par grade et ancienneté

9La répartition des fonctionnaires selon leur ancienneté permet de pointer la part des plus expérimentés et celle des moins rompus à l’exercice de leur grade. Elle témoigne ainsi de la dynamique de l’inspection à travers son expérience (figures 5, 6 et 7, p. 156-157).

10En définitive, jusqu’en 1890, le corps vieillit, son expérience s’accroît mais les entrées de sous-inspecteurs commencent à rajeunir le grade à sa base. Entre 1890 et 1895, on observe de profonds bouleversements dus aux départs des inspecteurs les plus anciens et au recrutement de sous-inspecteurs plus nombreux. Les promotions contribuent à rajeunir l’expérience du groupe. Entre 1895 et 1900, la diminution des recrutements de sous-inspecteurs et des sorties d’inspecteurs après le départ des plus anciens contribue à vieillir l’expérience du corps. Au cours des dix années suivantes (1900-1909), les évolutions sont peu marquées. En 1910-1915 s’amorce un rajeunissement des deux grades qui s’explique par la sortie des professionnels les plus anciens. La guerre marque un net renversement de tendance : le corps vieillit à sa base comme à son sommet du fait du maintien des fonctionnaires les plus expérimentés dans le corps et de la diminution des recrutements. Les années 1920-1930 sont celles d’un rajeunissement des deux grades à leur base. Les tendances s’expliquent par les forts recrutements de sous-inspecteurs et le grand nombre de promotions qui rajeunit le grade d’inspecteur. Entre 1930 et 1935, la tendance s’inverse, le corps vieillit : les sorties d’inspecteurs sont moins nombreuses et les recrutements des sous-inspecteurs diminuent. À partir de 1935, les deux grades rajeunissent à la base du fait de la reprise des recrutements d’inspecteurs et des promotions mais aussi des forts recrutements de sous-inspecteurs en 1937.

11Les tendances observées s’expliquent par la politique de recrutement et de promotion qui est du seul ressort de l’administration, même si elle est en partie induite par les sorties du corps, donc par le vieillissement « naturel » du corps. La rupture des années de guerre, l’absence de linéarité dans les recrutements, les promotions qui peuvent intervenir à des moments différents dans la carrière des sous-inspecteurs, la part des non-promus qui vieillissent ce grade : autant d’éléments qui composent des situations où se succèdent rajeunissement et vieillissement.

c) Des contraintes possibles des effets d’âge et de génération dans les services

12L’observation des âges des fonctionnaires en exercice invite à s’interroger sur la composition des services du point de vue des générations en présence et de ses conséquences sur la répartition des tâches entre fonctionnaires mais aussi sur les relations qu’ils ont pu nouer. Car des tensions nées, semble-t-il, de la confrontation de générations plus ou moins touchées par la guerre sont apparues dans les bureaux de l’inspection.

13L’un des deux protagonistes de l’histoire présentée, Joseph Bonneric, est nommé sous-inspecteur dans le Vaucluse, en septembre 1920. Le chef du service, Pélissier est en exercice dans ce département depuis 1911. Pour le préfet, « c’est un chef de service parfait, actif et d’une moralité irréprochable »6. Jusqu’en 1924, les renseignements que donne l’inspecteur Pélissier sur son subordonné sont élogieux : « intelligent et actif, il met son amour-propre à faire consciencieusement tout son devoir »7. L’année suivante, il donne un avis favorable à une éventuelle promotion de classe de Bonneric car « par son zèle et son travail consciencieux ce fonctionnaire mérite toujours l’estime de ses chefs »8. En 1926 cependant, le ton change et Bonneric devient « brouillon et querelleur, d’une susceptibilité aggravée par des habitudes d’intempérance notoires. Il manque totalement de tact et de pondération si nécessaire dans ses délicates fonctions »9. Que s’est-il passé qui explique ce changement radical d’opinion ?

Figure 5.– Évolution des quartiles de la structure par ancienneté dans le grade des sous-inspecteurs

Figure 6.– Évolution des quartiles de la structure par ancienneté totale des inspecteurs

Figure 7.– Évolution des quartiles de la structure par ancienneté dans le grade d’inspecteur

14L’affaire a éclaté le lundi 12 octobre 1925 quand l’inspecteur, rencontrant son sous-inspecteur dans son bureau, s’inquiéta de ce qu’il n’avait toujours pas commencé sa tournée d’inspection du troisième trimestre. Comme le sous-inspecteur rétorque « avec arrogance » qu’il n’avait pas eu le temps de faire ses tournées, Pélissier lui fit alors remarquer ses absences « en des termes aussi durs qu’immérités », selon Bonneric. L’inspecteur lui reprocha même d’être resté quelques temps auparavant une dizaine de jours chez lui pour soigner sa femme. Bonneric avait profité en effet de l’absence de son supérieur hiérarchique pour prendre ces quelques jours de congé. « Si les fonctionnaires restent chez eux chaque fois qu’un membre de leur famille est malade, les bureaux seront souvent déserts pendant la mauvaise saison ! », vitupère Pélissier.

15La rencontre entre les deux hommes tourna vite à l’affrontement car « M. Bonneric prit fort mal ces observations et, très excité, perdant toute mesure, vociféra pendant 10 minutes dans [le] cabinet, comme le personnel put s’en rendre compte ». Ce que vocifère Bonneric, c’est sa surcharge de travail, l’énumération de ses tâches multiples et lourdes. « Ayant été mis à la porte, M. Bonneric quitta [le] bureau en disant que [l’inspecteur] le paierait cher ». C’est en écrivant au préfet qu’il entend marquer son indignation :

« J’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous signaler l’emploi de certains crédits votés par le Conseil général. Je vous demande de voir en l’exposé des chiffres que je vais vous faire non pas une œuvre de délation mais simplement le désir qu’a un de vos modestes collaborateurs de continuer à mériter la confiance que vous lui avez témoignée jusqu’ici »10.

16Il cite les chiffres suivants : en 1924 et 1925, les frais de déplacement des pupilles demandés par Pélissier s’élèvent à respectivement 2087 et 2934 francs ; pour Bonneric, ils sont de 576 francs et 319 francs. Les frais de timbres sont anormalement élevés compte tenu de la rare correspondance avec les nourriciers. Mais, c’est Paulette, une pupille placée en gage chez l’inspecteur qui devrait retenir toute l’attention du préfet. Les frais de son trousseau, payés par le service, sont démesurés. En un an, elle s’est vu remettre six paires de chaussures, une paire de sandalettes et une paire de pantoufles. De plus, Paulette, qui n’a pas son certificat d’études, « est installée dans le bureau de l’inspecteur et signe quelquefois, sur l’ordre du Chef de service sans doute, les bulletins d’entrée ou de sortie des pupilles de l’hospice dépositaire »11.

17Le rapport « venimeux » de Bonneric est remis à Pélissier. Ce dernier est invité à y répondre, ce qu’il fait le 22 octobre, rappelant au passage que « la délation envers un chef est un acte qui manque totalement de noblesse »12. L’inspecteur ne semble guère inquiet par les propos de son sous-inspecteur. Il ne relève pas les graves accusations qui concernent les budgets. Les seules réelles explications qu’il donne concernent Paulette :

« Cette pupille – que nous avons vu naître – était placée dans mon quartier, lorsque ma femme, prise de pitié devant l’état de misère physiologique dans lequel elle se trouvait s’en chargea [...]. La profonde affection que nous avons pour elle nous a seule déterminés à la garder, malgré son état de santé et nous l’avons probablement sauvée de la déchéance physique [...]. J’ignore les raisons pour lesquelles il est parlé de l’habillement de cette pupille qui ne pouvait être évidemment vêtue avec le trousseau des enfants placés dans une ferme. Une pupille élevée chez son inspecteur doit avoir une tenue correcte »13.

18L’inspecteur est sûr de lui ; Léon Mirman avait suivi de près son travail de réorganisation du service de l’A.P. de Maine-et-Loire. Mission délicate s’il en était : des luttes politiques violentes et incessantes se livraient autour de ce service. Le député royaliste, rapporteur au Conseil général, qui avait contraint les fonctionnaires précédents à quitter le département, « s’ingérait presque quotidiennement dans les affaires du service, ce qui rendait l’existence intolérable »14. Pélissier resta trois ans dans ce département avant que soit acceptée sa mutation pour le sud de la France, sa famille étant du Gard. Sa tâche accomplie, Léon Mirman le fait nommer « au choix » à la deuxième classe de son grade. Pourtant rompu aux relations conflictuelles, l’inspecteur se dit surpris. « Les raisons de l’attitude hostile et même provocante que [Bonneric] a adoptée à son égard [lui] échappent totalement car [il n’a] cessé [...] de lui témoigner de la bienveillance »15. C’est bien l’incompréhension qui semble caractériser les relations entre les deux hommes.

19Ses diverses expériences, son ancienneté, la bienveillance du directeur de l’Assistance et de l’Hygiène publiques, sont pour l’inspecteur la garantie de son intégrité ce qui explique sans doute qu’il ne justifie pas les dépenses critiquées par son subordonné, ce dont le préfet ne peut se satisfaire. Il sollicite l’intervention de l’inspection générale des services administratifs. Pélissier est mis à la retraite au 31 décembre 1925 avant d’être convoqué à Paris, par le Directeur de l’Assistance et de l’Hygiène publiques pour « régler les incidents qui ont motivé [son] admission à la retraite »16.

20La rivalité qui oppose les deux fonctionnaires du Vaucluse, en 1925, peut être lue comme un effet de l’âge et de la génération d’appartenance. Appartenir à des générations différentes à ce moment-là c’est avoir fait ou non l’expérience de la guerre. Bonneric est entré en fonction dans l’inspection en qualité de commis, en mai 1917, après avoir été réformé pour des blessures de guerre qui le laissent boiteux à 28 ans. Pélissier, trop âgé pour être mobilisé – il a 46 ans en 1914 – est maintenu en exercice en Avignon durant les hostilités. Au moment où éclate la querelle entre les deux hommes, le chef de service se plaignait d’« un certain flottement dans le service de M. Bonneric, qui consacrait une partie de son temps à recevoir au bureau les membres des associations dont il fait partie (mutilés, ligue des familles nombreuses, pupilles de la Nation) »17. Au-delà de ses blessures de guerre, Bonneric est marqué par ces épreuves que lui-même et ceux de sa génération ont traversées. Les associations dont il est membre actif entretiennent ces souvenirs douloureux et créent un réseau de solidarité entre celles et ceux qui les ont en commun. Cette remarque de l’inspecteur a peut-être été ressentie comme une incompréhension injurieuse d’un fonctionnaire a priori peu marqué par le conflit dans ce département méridional. À cela il faut ajouter le fait que ce fonctionnaire de 57 ans, qui a gravi rapidement les classes de son grade – et qui aime à le rappeler – s’adresse à un autre fonctionnaire, père de quatre jeunes enfants, qui a huit ans d’ancienneté dont cinq dans le même grade. Aussi le sous-inspecteur se croit-il en droit de répondre à son supérieur hiérarchique. Mal lui en a pris. Il attendra, en vain, une promotion, jusqu’à sa mort en février 1927.

3) La gestion des postes vacants : le reflet d’une logique ?

21L’activité des fonctionnaires de l’inspection au sein de leurs départements respectifs implique des contacts, que le législateur souhaite soutenus, avec les populations assistées. Le suivi des populations, et plus particulièrement des enfants, n’autorise guère la mobilité du personnel, pas plus que l’image paternelle attachée au fonctionnaire de l’inspection. Ces discours sont particulièrement prégnants avant la Première Guerre mondiale. Nos interrogations portent sur un hiatus possible entre ces représentations de l’inspection et la gestion concrète des carrières individuelles. Elles nous ont conduit à analyser, d’une part, les mouvements consécutifs à une vacance de poste dans l’inspection et, d’autre part, à analyser les mutations qui ponctuent la carrière des fonctionnaires. Dans un premier temps, on a cherché à caractériser les bouleversements qu’entraînait une vacance de poste dans l’inspection et les choix qui ont été ceux de l’administration pour combler cet emploi vacant.

22Le processus des chaînes de vacances peut être ainsi décrit : quand il se produit une vacance à un grade, consécutive à une création de poste ou à un départ de l’inspection, elle est comblée par un recrutement à ce grade, par une mutation d’un fonctionnaire du même grade ou par une promotion à ce grade. Ces deux derniers mouvements entraînent à leur tour une vacance de poste, soit au même grade que précédemment dans le cas de la mutation, soit au grade inférieur s’il y a promotion. Il s’ensuit une chaîne de mouvements consécutifs à la première vacance. Cette chaîne est stoppée lorsque la dernière vacance est comblée par une embauche ou une suppression de poste. La chaîne de vacances peut être décomposée en type de mobilité de personnes (modèle en annexe 6)18. La figure 8 donne la longueur moyenne de la chaîne selon le grade où se produit la vacance.

23Entre 1880 et 1884, une vacance au grade d’inspecteur a entraîné en moyenne 1,8 mouvement. Le nombre de déplacements consécutifs à une vacance à ce grade augmente jusqu’en 1905-1909 où il atteint 4,75 mouvements. En revanche, l’indicateur est plus stable pour une vacance partie du grade de sous-inspecteur, surtout à partir de 1895-1899 et ce, jusqu’en 1920. Entre 1910 et 1919, le nombre de mouvements consécutifs à une vacance d’inspecteur se stabilise autour de 4,25 et de 2,4 déplacements consécutifs à une vacance de sous-inspecteur. À partir de 1920, les deux indicateurs chutent brutalement d’un déplacement pour ensuite augmenter progressivement. Ils atteignent leur maximum entre 1930-1934 : cinq déplacements suivent une vacance à un poste d’inspecteur, et c’est pratiquement trois mouvements qui sont consécutifs à une vacance de sous-inspecteur. À partir de 1935, les indicateurs retrouvent des niveaux proches de ceux des années 1920-1930.

Figure 8.– Longueur moyenne de la chaîne de vacance par période quinquennale et selon le grade

24La figure 9 décompose la longueur moyenne de la chaîne de vacance partie d’un poste d’inspecteur en type de mobilité19.

Figure 9.– Longueur moyenne et décomposition de la chaîne de vacance au grade d’inspecteur

25Le nombre moyen de déplacements dû à une promotion augmente régulièrement jusqu’en 1910-1914. Il diminue légèrement entre 1915-1919 et s’élève ensuite pour se maintenir au niveau d’une promotion en moyenne. Autrement dit, à partir des années 1910-1914, le système se renouvelle de l’intérieur : une vacance au grade d’inspecteur entraîne une promotion. Quant aux mutations, le nombre moyen de celles qui résultent d’une vacance d’inspecteur est inférieur à un entre 1880 et 1884, augmente entre 1885 et 1899 et se maintient autour de 2,3 jusqu’aux années 1905-1909 où il s’accroît sensiblement. Mais après une diminution au cours de la décennie suivante, il est à son maximum entre 1930 et 1934 : une vacance d’inspecteur entraîne trois mutations à ce grade. Les mutations expliquent alors les trois cinquièmes de l’ensemble des mouvements.

26Ici, les seules logiques de l’administration sont mises en évidence puisque ces mouvements relèvent de sa seule intervention. Or, la longueur des chaînes est plutôt élevée. La décomposition de ces chaînes en type de mobilité de personnes montre que les mutations sont particulièrement nombreuses. Il n’y a donc pas d’adéquation entre le discours sur le nécessaire maintien des fonctionnaires dans leur département et la réalité de la gestion. L’administration s’est trouvée là confrontée aux stratégies propres des fonctionnaires qui ont sollicité leurs mutations dans des départements soit financièrement attractifs soit qui présentaient pour eux une attraction particulière.

27L’observation des pratiques de la gestion du personnel suggère donc les contraintes nées de la vision qu’ont les fonctionnaires de leur carrière. Il est toutefois un domaine où les fonctionnaires semblent avoir assez peu de prises, sauf à manifester leur zèle : c’est celui de la promotion. Leur étude suggère d’autres logiques administratives que celles jusqu’ici évoquées.

II. – La promotion : dans les textes et en pratique

28Des propos de certains inspecteurs laissent penser qu’entre les chances théoriques et les chances réelles de promotion, l’écart était grand. C’est cet écart que nous tentons de mesurer ici.

1) La promotion dans les textes

29En vertu du décret du 31 juillet 1870, le cadre du personnel comprend six classes d’inspecteurs et de sous-inspecteurs et un nombre de fonctionnaires maximal par classe est prévu. Les inspecteurs ne peuvent être promus à une classe supérieure qu’après trois ans au moins d’exercice dans la classe immédiatement inférieure. Les sous-inspecteurs doivent attendre un délai de deux ans. Un sous-inspecteur nommé dans la sixième classe de son grade peut donc attendre huit à dix ans sa promotion. Le rapport à l’appui de ce décret précise que « l’avancement n’est pas de droit ; il reste subordonné, non seulement à la situation des cadres, mais aussi à l’examen des titres personnels de chaque candidat »20. C’est donc un avancement au choix parmi des fonctionnaires ayant acquis un minimum d’expérience dans leur grade et leur classe.

30Les cadres de l’inspection sont modifiés par le décret du 8 mars 1887. Chaque grade se réduit à quatre classes. Le tiers des vacances d’inspecteurs au moins est réservé aux sous-inspecteurs, ce qui marque une évolution de la conception des deux grades envisagés désormais dans la continuité. Cette disposition restera en vigueur jusqu’en 1906. Comme précédemment, les inspecteurs et les sous-inspecteurs ne pourront être promus à une classe supérieure qu’après un délai de trois ans pour les inspecteurs et de deux ans pour les sous-inspecteurs. En vertu de ce décret c’est donc six années au minimum que les sous-inspecteurs attendent leur promotion.

31Le décret du 28 juillet 1906 marque une réelle modification de la politique gestionnaire. Il établit que les trois quarts au moins des vacances d’inspecteurs sont réservées aux sous-inspecteurs tandis que le quart au moins des vacances de sous-inspecteurs est réservé aux commis d’inspection. L’effectif maximal des sous-inspecteurs comme celui des commis de chaque classe est déterminé par un pourcentage. Ces dispositions contribuent à refermer le corps sur lui-même au moment où est mis en place l’examen d’entrée. La sélection à l’entrée conduit à ces dispositions favorables aux recrutés. Elles autorisent un projet de carrière. C’est désormais sept ans au minimum que les sous-inspecteurs attendent leur promotion ; la hors classe n’étant pas un passage obligé.

32Si jusqu’alors les avancements se font au choix, c’est-à-dire sur des critères subjectifs, le décret de 1906 introduit une profonde modification en établissant des avancements à l’ancienneté. L’avancement du personnel se fait toujours au choix pour les promotions de grade mais, pour les promotions de classe dans un même grade, trois quarts des vacances sont réservés aux promotions au choix, un quart à l’ancienneté. L’ancienneté introduit un critère objectif dans l’évaluation des compétences des fonctionnaires. L’avancement au choix se fait parmi les fonctionnaires inscrits au tableau d’avancement établi pour l’année par une commission de quinze membres élus par le csap. Pour être inscrit au tableau, le fonctionnaire doit satisfaire aux conditions requises pour bénéficier d’un avancement, c’est-à-dire avoir effectué un temps minimum dans chaque classe. L’institution de ce tableau d’avancement doit conduire à l’émulation entre les fonctionnaires et à la publicité de leurs compétences respectives.

« D’abord, l’inscription au tableau sera déjà une récompense et partant un stimulant à bien faire. D’autre part l’existence de ce tableau aura pour effet de bien indiquer aux fonctionnaires dont l’ancienneté ou les services n’auraient pas paru justifier l’inscription, qu’ils ne sont pas en ligne pour l’avancement, et dès lors, on peut espérer qu’ils cesseront de fatiguer l’administration supérieure de leurs sollicitations »21.

33La question de l’avancement au choix ou à l’ancienneté a retenu depuis longtemps l’attention des administrations centrales. De la Monarchie de Juillet jusqu’en 1914, elles ont cherché à établir les règles de l’avancement et à garantir aux fonctionnaires le droit à la promotion. Depuis 1840 au moins, les deux procédures d’avancement au choix ou à l’ancienneté coexistent mais l’administration privilégie la deuxième. Guy Thuillier montre que la coutume bureaucratique limitait les avancements au choix et, lorsque de tels avancements avaient lieu, « le choix » cachait bien souvent l’ancienneté, même si coexistaient des pratiques de favoritisme22. Au début de la Troisième République, on reconnaît qu’une trop grande part faite à l’avancement à l’ancienneté contribue à vieillir les services. Au même moment, les carrières qui stagnent, les difficultés d’avancement provoquent un malaise dans la fonction publique qui conduit à une désaffection vis-à-vis de l’entrée dans l’administration. En 1883-1884, la question des procédures d’avancement est à l’honneur au moment où le Conseil d’État examine les projets de règlements des ministères. Cependant, il ne tranche pas. L’ancienneté reste la règle de l’avancement, ce qui décourage les plus zélés.

34Dans le cadre de l’inspection de l’A.P., en 1909, Léon Mirman estime trop grande la part faite à l’avancement au choix dans la promotion de classe et plaide en faveur de l’ancienneté. Il propose que sur trois promotions de classe la première soit faite au choix et les deux suivantes à l’ancienneté. Ferdinand Dreyfus, membre de l’Union républicaine, rapporteur du projet soumis au csap à la demande de Mirman explique :

« Nous avions à préparer des tableaux d’avancement sur lesquels trois sur quatre inspecteurs ou sous-inspecteurs seraient destinés à être promus de classe dans le même grade [...]. Nous n’avons pas la certitude morale, qui convient en matière aussi délicate, de posséder sur tous les candidats des renseignements réellement suffisants. Sans doute, il y a un petit nombre de fonctionnaires dans chaque classe qui sont particulièrement brillants, au sujet desquels nous avons tout un ensemble de renseignements concordants, ne laissant place à aucun doute, de sorte que ces fonctionnaires devraient être inscrits en tête au tableau.
Mais, étant donné qu’il était nécessaire de faire un tableau plus étendu, nous avons dû nous contenter de demi certitudes et en ces matières, les demi certitudes sont choses dangereuses. D’autre part, ces tableaux étant étendus, les fonctionnaires non inscrits sur le tableau se sont dit : « je n’ai qu’une chance sur quatre places. De longues années peuvent s’écouler sans que je sois promu. On a pris à mon égard une mesure disciplinaire » [...].
Il faut que l’inscription au tableau apparaisse comme une récompense de haute valeur réservée au petit nombre de sujets d’élite qu’il faut faire avancer en dehors des règles de droit commun. Il faut que les autres fonctionnaires qui ne sont pas aussi brillants, mais qui sont le nombre, puissent avec moins d’inquiétude envisager la place à laquelle l’ancienneté peut donner droit »23.

35Finalement, en vertu du décret du 21 août 1909, la moitié des avancements de classe se fait selon l’ancienneté alors que la question de la procédure d’avancement est toujours d’actualité au sein des administrations centrales. Au tournant du siècle, la question est au centre des préoccupations des associations des fonctionnaires. Ainsi, en 1910, l’Union des Associations professionnelles du personnel civil des ministères élabore un projet qui établit que l’avancement de classe à l’intérieur d’un grade est exclusivement à l’ancienneté tandis que l’avancement de grade est au choix.

36En vertu du décret du 26 juin 1918, inspecteurs et sous-inspecteurs sont à leur nomination placés dans la quatrième classe de leur grade. Pour être promus à une classe supérieure, ils doivent avoir exercé au moins deux ans dans la classe occupée. C’est donc six ans au minimum qu’attendent les sous-inspecteurs pour être promus inspecteurs.

37En dehors des dispositions relatives aux femmes, les statuts et règles d’avancement restent inchangés jusqu’au décret du 24 août 1938 qui précise que le nombre de sous-inspecteurs et commis dans les départements est fonction du nombre d’enfants assistés, mais aussi de l’importance du service de contrôle sur place. Désormais les inspecteurs et inspectrices sont recrutés parmi les sous-inspecteurs et sous-inspectrices comptant six ans de service et inscrits au tableau d’avancement. L’avancement du personnel se fait toujours selon les mêmes modalités qu’en 1909.

38Ainsi, l’évolution des procédures d’avancement montre l’importance de l’avancement au choix qui est la règle pour les promotions de grade même si des critères d’objectivité, comme l’ancienneté, s’imposent dans les promotions de classe. Les implications des deux procédures sont différentes. L’avancement à l’ancienneté dispense d’une évaluation du fonctionnaire. Il n’y a dans le parcours du fonctionnaire qu’une ascension régulée par les années de service indépendante de ses performances et des jugements portés sur lui par son supérieur hiérarchique. L’avancement au choix est censé marquer la reconnaissance des compétences et des capacités reconnues du fonctionnaire. Partagée entre ces deux options, l’administration de la Troisième République se donne toute la latitude possible pour promouvoir les hommes de son choix mais concède aux fonctionnaires la possibilité, pour les moins zélés d’entre eux, d’évoluer dans leur carrière. Or, jusqu’en 1914 au moins, l’avancement du personnel dans les administrations centrales se fait quasi exclusivement à l’ancienneté. Deux explications à ces différences sont probables. La proximité de l’administration centrale avec le pouvoir politique impose sans doute la prudence aux gestionnaires qui, pour ne pas mécontenter des candidats à la promotion selon des critères qui peuvent apparaître subjectifs et donc renouant avec le favoritisme qu’ils dénoncent, sont conduits à privilégier un mode de promotion basé sur un critère objectif et qui dispense d’un jugement. L’autre explication vaut pour l’inspection. L’avancement au choix des inspecteurs autorise l’intervention du préfet dans la gestion d’un corps profondément ancré dans la préfecture et dont les services intéressent directement les finances départementales. C’est le préfet qui sollicite ou non la promotion du fonctionnaire. Cependant, ce pouvoir consenti au préfet place l’inspecteur dans une position de dépendance puisque sa promotion dépend du bon vouloir du haut fonctionnaire, mais aussi des pressions éventuelles du Conseil général.

2) La promotion en pratique

39En dépit de procédures d’avancement clairement définies, dans certaines circonstances, pour quelques fonctionnaires, l’administration a dérogé aux règles fixées. Dans le Rhône, le recrutement d’un inspecteur met en évidence le poids du politique dans l’avancement. Le 26 août 1881, un arrêté ministériel nomme Favre inspecteur du Rhône en remplacement de Bramas admis à faire valoir ses droits à la retraite.

« Cette décision, juste du point de vue des aptitudes professionnelles et de l’honorabilité de M. Favre, ne laissa pas de surprendre les membres du Conseil général alors en session et, par une délibération en date du 2 septembre, ils émirent le vœu que M. Bramas fût maintenu dans ses fonctions. C’est à la suite de cette réclamation que M. le Ministre de l’Intérieur a rapporté son arrêté et appelé M. Favre en Savoie.
Cette assemblée en effet considérait que M. Favre était à peine depuis 18 mois sous-inspecteur de 6^e classe et elle craignait de ne pas trouver chez ce fonctionnaire une assez bonne expérience pour remplacer dignement M. Bramas dont elle avait pu apprécier depuis longtemps la haute capacité et les éminents services. L’avancement rapide de M. Favre n’était pas complètement immérité et s’expliquait en un sens par ses aptitudes professionnelles et son attachement à la République »24.

40Les pouvoirs de l’assemblée départementale sont donc forts puisque le ministre revient sur sa décision. Mais quel inspecteur eût pu exercer son activité en conflit ouvert avec le Conseil général ? Le déplacement de Favre s’imposait donc. Les circonstances du recrutement de ce fonctionnaire montrent les forts appuis dont il bénéficie et qui rendent possible cette promotion pour le moins rapide !

41La figure 10 (p. 168) représente l’ancienneté moyenne à la promotion des fonctionnaires selon la cohorte d’entrée, de sorte que l’on peut déterminer si cette dérogation aux règles fixées est exceptionnelle ou fréquente.

42La fluctuation de l’ancienneté moyenne à la promotion est importante : entre 9,7 ans et 15,3 ans. Les anciennetés à la promotion sont particulièrement élevées pour les cohortes 1890-1899 où les promus ont en moyenne entre 13,5 et 15,5 ans d’ancienneté. Au-delà, les indicateurs se situent entre 9,7 et 12 ans. On est assez loin du minimum requis pour être promu inspecteur (six années) et les promotions très rapides sont marginales.

43Le changement de grade dans l’inspection rend compte de réelles modifications de la situation du fonctionnaire qui, lorsqu’il est promu, se trouve à la tête du service départemental. La rapidité ou la lenteur de l’accès des sous-inspecteurs d’une même cohorte d’entrée au grade d’inspecteur donne une autre perspective de la dynamique du groupe. La figure 11 (p. 169) compare, par période, les sous-inspecteurs non promus selon leur ancienneté.

44Plus la courbe décroît rapidement plus l’accès à la promotion par le plus grand nombre est rapide. Deux cohortes ont été peu favorisées : 1890-1894 et 1895-1899. Ces promotions peu rapides et peu fréquentes s’expliquent par des recrutements directs au grade d’inspecteur. Pour 100 sous-inspecteurs recrutés en 1890-1894, 26 resteront à ce grade ; ils seront 33 non promus de la cohorte 1895-1899. D’autres courbes se détachent particulièrement : celles des cohortes comprises entre 1900 et 1914. Ce sont entre 85 et 97 sous-inspecteurs qui sont promus. Les années qui précèdent l’introduction du concours ont été particulièrement favorables aux sous-inspecteurs qui sont promus plus rapidement que ceux des autres cohortes. En revanche, si la courbe relative à la cohorte 1915-1919 décroît assez rapidement, elle s’arrête brutalement à 14 ans. Au cours de cette période, 45 sous-inspecteurs sur 100 entrés quittent le corps sans être promus. C’est l’intensité de non-promotion la plus forte constatée. La courbe relative à la cohorte 1920-1924 est proche de celle de 1900-1904 : elle décroît sensiblement de la même façon et la part des promus (85 %) est identique.

Figure 10.– Ancienneté moyenne à la promotion des sous-inspecteurs par cohorte d’entrée (en années)

45Finalement, la promotion du personnel est une combinaison des critères de choix et d’ancienneté et cette dernière a sans doute été un élément déterminant du choix. Les promotions immédiates après la durée minimale en qualité de sous-inspecteurs sont peu nombreuses tandis que les promotions après de nombreuses années dans ce grade ne le sont pas. Quelques rares fonctionnaires qui n’ont pas péché par excès de zèle finissent par être promus mais un résidu de non-promus existe. Une observation confirme encore ce constat : 73 promotions de classe au choix au grade de sous-inspecteur sont connues. Les anciennetés à la promotion de grade de ce groupe montre qu’il n’y a pas d’accélération nette de la promotion de grade après une promotion de classe au choix. L’avancement au choix ne perturbe pas la progression hiérarchique de la majorité du personnel25. Finalement, l’ancienneté reste le critère d’appréciation des compétences du fonctionnaire comme dans l’administration centrale. Le pouvoir consenti au préfet, qui propose une promotion au choix, masque donc une pratique qui fait la part belle à l’objectivité d’une sélection selon le critère de l’ancienneté.

Figure 11.– Nombre de sous-inspecteurs non promus selon l’ancienneté pour 100 sous-inspecteurs entrés au cours d’une même période

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46La présente étude suggère l’existence de logiques de gestion du personnel de l’inspection de l’A.P. Ainsi, des pratiques mises en évidence se dégage une logique de corps. À partir des années 1895, l’administration se prononce en faveur d’une progression des sous-inspecteurs rendue possible par la limitation des recrutements au niveau du grade d’inspecteur. Après la guerre, la politique des recrutements et des promotions, qui relève de cette même logique de corps, conduit à un net rajeunissement des cadres de l’inspection. Le recrutement de diplômés, plus nombreux que celui de professionnels, se conjugue avec des promotions plus systématiques de sous-inspecteurs, rendues elles-mêmes possibles par de nombreux départs d’inspecteurs. L’action du Conseil supérieur de l’A.P. est primordiale dans cette définition de la politique gestionnaire de l’inspection puisqu’elle contribue à fixer les règles de recrutement et d’avancement du personnel. Toutefois, les procédures mises en place et les choix pris ont été contraints par la dynamique propre du corps et la conception que chaque fonctionnaire a eue de sa carrière.

47Les politiques de recrutement et de promotion sont en théorie du seul ressort de l’administration, toutefois elles sont induites par les sorties du corps qui lui échappent, par l’évolution des attributions du corps qui nécessitent la création de nouveaux postes qui doivent être autorisés par le Parlement. Ainsi, les logiques de l’administration sont contrariées par l’inertie du corps mais aussi par sa dynamique propre. Un exemple de cette contrainte exercée par le corps lui-même est celui des conditions de remplacement d’un poste vacant. La nécessaire stabilité du personnel n’est pas observée : les déplacements consécutifs à une vacance de poste sont nombreux. L’administration a en partie satisfait aux demandes de mutation des fonctionnaires. L’intérêt du service, tel qu’il est décrit dans les discours, laisse place dans ce cas à l’intérêt du personnel.