1Les caractéristiques professionnelles des recrutés dans l’inspection invitent à s’interroger sur les motivations qui ont poussé ces hommes à intégrer une fonction publique dans le domaine de l’assistance sociale mais aussi sur les conséquences tant sociales que professionnelles de l’entrée dans l’inspection. Nous tenterons d’apporter quelques éléments en dépit du fait que ces questions ne trouvent pas des réponses directes dans les sources consultées.

I. – L’origine sociale des inspecteurs

2La question qui guide notre observation du milieu d’origine des inspecteurs est celle de la mobilité sociale. Entrer dans l’inspection est-ce accéder à un niveau social supérieur à celui de son milieu d’origine ? Nous avons confronté le vivier social dans lequel les fonctionnaires sont recrutés et le milieu auquel ils appartiennent quand ils rentrent dans l’inspection. Pour appréhender la situation d’origine des recrutés, on s’est appuyé sur la situation professionnelle de leurs pères mentionnée dans leur acte de naissance. Ces observations montrent que les inspecteurs sont issus de milieux modestes (annexe 5). Marchands, boutiquiers, cultivateurs sont les plus représentés. Mais compte tenu de la faiblesse de ces informations, la profession des témoins présents lors de l’enregistrement de l’enfant à l’état civil a été repérée1^. Ces personnalités témoignent du cercle de relations des parents du futur inspecteur et donc caractérisent un milieu (tableau 1).

Tableau 1. – La profession du père et des témoins mentionnée sur l’acte de naissance du futur fonctionnaire

3Le milieu des artisans et boutiquiers se précise. Ainsi, le boulanger, une forte figure locale2, côtoie l’épicier et le boucher. Quant aux cultivateurs dont les historiens ont décrit la diversité et l’étendue du milieu, ils fréquentent des fonctionnaires qui parcourent la campagne tels les géomètres ou les gardes champêtres ou encore des artisans du monde rural comme les forgerons ou les chaudronniers. L’importance de la figure de l’instituteur s’explique par le fait qu’il exerce souvent les fonctions de secrétaire de mairie, sans doute est-ce à ce titre qu’il est présent lors de l’établissement de l’état civil en l’absence d’un deuxième témoin. Les fonctionnaires de l’inspection sont donc issus du milieu rural et du milieu urbain de la petite boutique, de l’artisanat. Si les deux univers ne se confondent pas, si les représentations que les contemporains en donnent opposent tradition et modernité, ils jouissent de la même considération au xix^e siècle. Ce milieu, sans être homogène, se confond avec la classe moyenne.

4Même s’il est délicat de traiter la question de la mobilité sociale en se fondant sur la comparaison entre la situation du père à la naissance et celle du fils, trente, quarante ou cinquante ans plus tard, en raison de l’évolution de l’ensemble des structures socio-économiques, on peut toutefois affirmer que s’il y a eu ascension sociale pour les recrutés dans l’inspection, c’est qu’ils ont intégré une fonction publique, prisée en cette fin de xix^e siècle et au xx^e siècle. Sans doute, la mobilité sociale a-t-elle été plus marquée pour les fonctionnaires issus du monde rural que pour ceux de la ville. Les retraites dont jouissent les fonctionnaires depuis le Second Empire, les logements de fonction dont certains bénéficient, la certitude d’un traitement font d’eux des privilégiés.

II. – Les moyens d’être inspecteur

5La profession, l’activité exercée est un élément fondamental de la position sociale sous la Troisième République. Le fonctionnaire particulièrement doit « tenir son rang ». Or, être fonctionnaire de l’inspection c’est dépendre des ressources de l’État mais aussi du crédit accordé par les assemblées départementales à l’Assistance publique et à la solidarité sociale3.

1) Des traitements reconnus insuffisants

6Le décret du 31 juillet 1870 fixe le traitement des fonctionnaires de l’inspection. Les émoluments annuels des inspecteurs varient selon la classe à laquelle ils appartiennent de 2 500 à 5 000 francs. Le traitement des sous-inspecteurs, quant à lui, est compris entre 2000 et 3 000 francs. C’est sur la base du traitement des inspecteurs et sous-inspecteurs en exercice que ces montants ont été fixés. Mais le législateur admet qu’ils constituent « une rémunération bien modeste encore, si on la compare à la multiplicité et à l’importance des devoirs qui incombent à l’inspecteur départemental »4.

7Le décret du 8 mars 1887 modifie les cadres de l’inspection mais le maximum des traitements n’a pas été relevé. La position de l’inspecteur est proche de celle d’un rédacteur principal de l’administration centrale et celle du sous-inspecteur est comparable à celle de rédacteur. Au regard de l’ensemble de la hiérarchie des employés du ministère de l’Intérieur, la position des fonctionnaires de l’inspection est donc modeste. D’ailleurs en 1898, Henri Monod reconnaît que ces inspecteurs « sont fort peu payés, pour des fonctions qui exigent des qualités de premier ordre, un dévouement de tous les instants »5. Le traitement des inspecteurs est même « notablement » inférieur à celui des autres chefs de service du département alors qu’il est devenu « l’un des plus importants chefs de service du département »6. Au début du siècle, les inspecteurs d’Académie, par exemple, reçoivent des traitements variant de 6 500 à 8 000 francs là où les inspecteurs de l’A.P. bénéficient de 4000 à 6000 francs. Les traitements des fonctionnaires de l’inspection sont cependant plus élevés que ceux des instituteurs qui débutent leur carrière avec un traitement annuel de 1 200 francs et la terminent avec 1 800 francs. Prenons un sous-inspecteur qui entre dans le corps, son traitement annuel est de 2000 francs, soit 167 francs bruts par mois auquel on soustrait 5 % de retenue pour la retraite : il dispose de 158 francs là où l’instituteur n’a que 95 francs. Sa position sans être confortable n’est pas mauvaise ; elle explique d’ailleurs qu’instituteurs et autres fonctionnaires de préfecture l’ont convoitée. Cependant, elle n’est pas mise sur un pied d’égalité avec d’autres fonctions semblables qui relèvent d’autres ministères. Il faut attendre 1906 pour que soient fixés de nouveaux émoluments. Ils resteront inchangés jusqu’au décret du 26 juin 1918. Le traitement des inspecteurs s’étend de 4000 à 6000 francs pour les inspecteurs ; de 2800 à 4000 pour les sous-inspecteurs.

8En 1911, l’association des inspecteurs compare la situation qui lui est faite du point de vue des traitements à celle des directeurs et médecins-adjoints des asiles d’aliénés. Les émoluments des premiers varient entre 5 000 et 9 000 francs ; celui des seconds de 3 000 à 4500 francs. Or, les origines des fonctionnaires sont identiques, le mode de recrutement est basé sur un concours technique, le ministère de tutelle est le même ; on exige « les mêmes garanties morales et professionnelles ». L’association insiste « sur l’étroite parenté qu’il y a entre ces situations et [la leur], avec cette seule distinction qu’[ils] sont les parents des pauvres »7. En 1922, alors que leurs traitements ont été réévalués, l’association des fonctionnaires de l’inspection interpelle une nouvelle fois l’administration centrale : bien que les avancements soient rendus possibles par l’inscription des fonctionnaires au tableau et par les disponibilités financières dès le début d’une année civile, ils ne sont prononcés qu’à la fin extrême de l’année. « Ne croyez pas qu’il soit indifférent à un inspecteur comme à un commis de recevoir le plus tôt possible quelques dizaines de francs de plus chaque mois ; nos traitements ne sont pas tels que nous puissions attendre sans émotion une mesure de simple équité dont nos familles doivent retirer un peu de mieux être »8. Les émoluments modestes des fonctionnaires de l’inspection confirment leur appartenance à la classe moyenne administrative. Leur fonction, valorisante au regard de son sens et de sa justification politique, est financièrement peu prestigieuse.

2) Une compensation à l’insuffisance des salaires : primes, gratifications et frais de tournées

9Toutefois, primes et allocations de frais de tournées viennent compenser l’insuffisance des émoluments. Deux faits rendent compte des difficultés financières auxquelles sont confrontés certains inspecteurs. Le docteur Brochard rapporte qu’un sous-inspecteur place les pupilles qui lui paraissent aptes à faire de bons ouvriers dans une usine du département où il exerce, « moyennant une rétribution annuelle qui lui serait, dit-on, payée directement par le chef de l’établissement et qui augmenterait ainsi ses émoluments »9. Dans un autre département, un inspecteur fait mettre dans le journal local l’annonce suivante : « on demande des agents pour chaque canton. S’adresser à M. X, inspecteur des enfants assistés ». Un curé, qui rapporte l’histoire au docteur Brochard, croyant qu’il s’agissait de surveillance des enfants assistés, propose son concours à l’inspecteur. « Il fut très surpris d’apprendre qu’il s’agissait non d’assurances sur la vie des enfants trouvés mais d’assurances ordinaires. [L’inspecteur] était le représentant d’une compagnie d’assurance »10. Dans ces conditions, les gratifications des Conseils généraux sont primordiales pour relever le niveau de vie des fonctionnaires. Et puisque le traitement des fonctionnaires de l’inspection est insuffisant, la tentation est grande de considérer l’allocation de frais de tournée comme un traitement d’appoint. À tel point qu’il n’est pas rare de trouver l’explication suivante : « le traitement des inspecteurs se compose de deux éléments : un traitement fixe et des frais de tournées »11. Pourtant cette circulaire du 23 novembre 1885 rappelle le caractère de ces indemnités qui ne sont « qu’un dédommagement des sacrifices pécuniaires que s’impose le personnel de l’inspection, en allant visiter les pupilles dans les communes de placement »12. Mais en 1906, l’inspection générale constate que malgré les mesures prises, « les indemnités de frais de tournées ont continué à passer pour des suppléments de traitement »13. En outre, l’inspecteur reçoit 1 000 francs tandis que son subordonné reçoit 600 francs pour indemniser ses tournées, ce qui contribue à cette assimilation. Pour certains membres du CSAP, « c’est le contraire qui devrait avoir lieu, car, l’inspecteur chargé de la gestion du service est plus retenu au chef-lieu que son subordonné et ne pouvant ni fréquemment, ni longtemps se déplacer, il ne peut avoir la possibilité de dépenser toute l’indemnité »14. Des sous-inspecteurs, qui ne reçoivent que la somme allouée à ce grade pour les tournées, ont été contraints d’interrompre leurs visites après avoir épuisé leur crédit. Or, ces tournées sont au cœur de leur mission. Jugés en partie sur la qualité de leurs observations au cours de ces visites, la multiplication des inspections s’imposait à eux à condition toutefois qu’elles ne dégrèvent pas leurs traitements.

10À côté des frais de tournées, des primes et des gratifications départementales viennent compenser l’insuffisance des traitements, et ce dès l’entrée du corps dans la fonction publique. Elles varient selon les Conseils généraux. En 1912, l’inspection générale constate une grande variété des situations dans l’attribution d’indemnités départementales : certaines sont des compléments de traitements, d’autres correspondent au rattachement à l’inspection de services annexes. Très faibles dans certains départements, elles doublent le traitement des fonctionnaires de l’inspection dans d’autres. Ces allocations présentent un double inconvénient :

« On peut craindre tout d’abord que le personnel de l’inspection n’ait pas toute l’indépendance nécessaire vis-à-vis des Conseils généraux [...]. Ils ont le droit de les augmenter, de les réduire ou de les supprimer suivant que les fonctionnaires auront su se faire bien voir des membres de l’assemblée départementale [...]. On peut donc dire qu’actuellement la situation du personnel de l’inspection dépend au moins autant des conseils généraux que de l’administration supérieure ; or ce personnel est et doit rester un personnel d’État.
Le deuxième inconvénient peut-être plus grand encore que le premier vient de la difficulté dans laquelle se trouve l’administration supérieure pour nommer dans tel ou tel département le fonctionnaire qui lui paraît avoir les qualités nécessaires. Dans quelques départements qui ont des services de l’enfance très chargés ou bien qui présentent des difficultés particulières en raison de circonstances locales, il faudrait des inspecteurs et sous-inspecteurs actifs et expérimentés. On ne peut cependant pas y nommer des fonctionnaires ayant ces qualités mais qui, bien que se trouvant dans des services moins importants, bénéficient d’indemnités plus élevées. Il faudrait alors se résoudre à nommer à ces postes des fonctionnaires médiocres ou débutants dans leur grade »15.

11Par exemple, dans le Calvados, de l’avis des inspecteurs, les tournées, pénibles en raison de l’étendue du département et de la dispersion des pupilles, sont limitées par les crédits alloués par l’État. En 1912, l’inspecteur Mérat se plaint de ne pouvoir faire « des visites aussi fréquentes qu’il serait nécessaire de le faire ». Le tableau 2, qui appuie sa demande d’augmentation des indemnités départementales indique celles qui ont été attribuées aux fonctionnaires de l’inspection dans les départements voisins du Calvados.

Tableau 2. – Les indemnités allouées au service de l’inspection en 1911 par quelques départements

12Nos propres observations ont permis d’établir l’échantillon suivant d’indemnités départementales qui confirme la grande variété des situations (tableau 3, p. 136).

13Ce sont surtout les services annexes à celui des enfants assistés qui ont permis aux fonctionnaires de l’inspection de recevoir primes et gratifications. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, qu’ils aient sollicité l’extension de leurs attributions en dépit de discours sur l’ampleur de leurs missions et la nécessaire augmentation des effectifs de sous-inspecteurs par département. On comprend aussi, au regard de la disproportion entre les primes départementales, la difficulté qu’éprouve l’administration centrale à muter des fonctionnaires dans quelques départements parcimonieux.

14Ainsi, la position des inspecteurs est modeste au regard des traitements dont ils ont bénéficié mais des indemnités et des gratifications diverses ont contribué à relever le niveau de leur rémunération même si cela les engage dans une négociation avec le Conseil général qui compromet leur indépendance sur le terrain. Négociation et légitimation de l’action menée par l’inspection apparaissent clairement dans les rapports d’inspection qui montrent le souci de l’inspecteur d’être agréé par l’assemblée départementale. De plus, la grande variété des situations du point de vue des gratifications départementales crée une hiérarchie des départements avec laquelle l’administration doit composer pour l’affectation des fonctionnaires mais elle aboutit aussi à une inégalité de la situation des fonctionnaires d’un même grade. Cette situation explique l’ancrage de ce corps d’État au niveau du département.

Tableau 3. – Les indemnités et gratifications par service dans quelques départements

III. – Carrières dans l’inspection

15Pour qu’elle soit carrière, l’inspection doit être encadrée par des règles et procédures qui autorisent l’avancement du personnel, sa progression hiérarchique marquant la reconnaissance de la place que le fonctionnaire a au sein de l’institution. Elle nécessite aussi un ensemble d’hommes ayant les capacités et le désir de faire carrière dans l’inspection. S’il est impossible de connaître le dessein des fonctionnaires, on peut tenter de saisir l’existence ou non de stratégies sur le long terme. La question mérite d’être examinée car l’inspection envisagée comme une carrière rend possible et nécessaire l’implication des fonctionnaires dans leurs activités ainsi que la professionnalisation du corps.

1) L’âge des fonctionnaires

16L’âge à l’entrée de 334 fonctionnaires de l’inspection ayant exercé entre 1872 et 1929 est connu. Leur analyse permet de vérifier si on s’engage dans l’inspection en début de vie professionnelle et si les recrutés qui présentent déjà une expérience professionnelle restent longtemps dans l’inspection ou s’il s’agit de la consécration d’une carrière administrative. Les figures 1 et 2 (p. 138) donnent, selon la période d’entrée et le grade, l’âge moyen des recrutés.

17Pour ceux qui entrent directement au poste d’inspecteur, l’âge moyen oscille entre 36 et 44 ans ; la tendance est globalement à l’augmentation surtout à partir de la période 1885-1889. Cette élévation sensible de l’âge moyen à l’entrée suggère que les candidats sont plus avancés dans leur carrière quand ils sollicitent un poste d’inspecteur – l’inspection pourrait dès lors être un tremplin dans l’administration ou la consécration d’une carrière – ou que l’administration est de plus en plus exigeante quant à l’expérience requise à l’entrée directe au grade inspecteur. Ces deux possibilités ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Les nombreuses candidatures à un poste dans l’inspection laissent présumer l’augmentation de l’expérience minimale requise.

18Pour ceux qui entrent au grade de sous-inspecteur, l’âge moyen à l’entrée fluctue entre 28 et 38 ans. La tendance est à l’augmentation pour les cohortes recrutées entre 1885 et 1904, comme pour ceux qui entrent directement au grade d’inspecteur. Globalement, jusqu’en 1904, le corps vieillit par sa base ; ce qui tend à confirmer l’hypothèse selon laquelle l’expérience minimale requise à l’entrée s’élève aux deux grades. Puis à partir de 1905, l’âge moyen à l’entrée des sous-inspecteurs chute rapidement : il passe de 38 ans pour la cohorte 1900-1904 à 33 ans pour la cohorte 1905-1909 et atteint 28 ans pour les recrutés de 1910-1914. Au cours de la décennie qui suit la guerre, l’âge moyen à l’entrée est proche de 30-31 ans. Cette fluctuation des âges moyens à l’entrée des sous-inspecteurs est le résultat de la modification des conditions d’entrée dans le corps qui a conduit au recrutement d’un plus grand nombre de diplômés plutôt que des professionnels. L’introduction du concours s’est donc accompagnée d’une diminution nette des âges à l’entrée. En effet, l’âge moyen des recrutés au poste de sous-inspecteur avant l’introduction du concours en 1909 est de 35,1 ans ; après cette date, il est de 29,8 ans.

19Ainsi, jusqu’en 1904, les âges à l’entrée des fonctionnaires s’élèvent puis diminuent rapidement pour les sous-inspecteurs. Malgré cette tendance au vieillissement jusqu’au tournant du siècle, ces âges, qui demeurent relativement bas, particulièrement après la mise en place du concours d’entrée, montrent que les inspecteurs comme les sous-inspecteurs peuvent entrer dans l’inspection et y faire carrière ; le projet de carrière peut s’étendre sur un assez long terme.

Figure 1. – Inspecteurs : âge moyen et écart type des âges à l’entrée selon la période d’entrée

Figure 2. – Sous-inspecteurs : âge moyen et écart type des âges à l’entrée selon la période d’entrée

20Les figures 3 et 4 (p. 140) distinguent les âges moyens à la sortie selon le grade à l’entrée et la période d’entrée de 334 fonctionnaires afin de vérifier si les fonctionnaires recrutés ont fini leur carrière dans l’inspection.

21Sur l’ensemble de la période, l’âge moyen à la sortie des fonctionnaires entrés au grade d’inspecteur fluctue entre 60 et 66 ans. Jusqu’à la cohorte 1890-1894, il est relativement stable, proche de 63-64 ans. Il chute de trois ans pour les inspecteurs entrés au cours des années 1895 et 1899 ; se maintient à 60 ans dans la cohorte 1900-1904 alors que les inspecteurs sont entrés plus tard. L’âge moyen à la sortie atteint son maximum pour ceux entrés entre 1905-1909 : il est de 66 ans. C’est d’ailleurs en 1909 que Léon Mirman évoque des inspecteurs qui « sont presque dans l’impossibilité d’exercer leurs fonctions et cependant ne peuvent être mis à la retraite. On les garde par charité et on attend avec impatience qu’ils débarrassent l’administration »16. Il est vrai que la cohorte 1905-1909 est celle qui est entrée en moyenne à un âge plus élevé, proche de 44 ans. Aussi le CSAP établit que nul ne peut être admis dans le service de l’inspection qu’à la condition d’être mis à la retraite comme les autres fonctionnaires publics à 60 ans. L’âge moyen à la sortie chute à 61 ans pour la cohorte 1910-1914.

22Pour les fonctionnaires entrés sous-inspecteurs, l’âge moyen à la sortie passe de 64 ans pour ceux recrutés au cours des années 1880 et 1884, à 60 ans pour la cohorte 1885-1889. Il varie ensuite d’un à deux ans jusqu’à la cohorte 1895-1899. Les sous-inspecteurs entrés au cours des années 1900-1904 sont sortis en moyenne à 58,6 ans. Cet âge moyen diminue ensuite rapidement à partir de la cohorte 1905-1909 malgré une légère augmentation pour les entrants en 1915-1919. Le rajeunissement de l’âge à l’entrée, surtout après l’introduction du concours, est allé de pair avec une diminution des âges à la sortie.

23On ne peut donc pas affirmer que les fonctionnaires de l’inspection ont fini leur carrière dans l’inspection, surtout pour ceux entrés par examen ou concours. L’observation des durées d’exercice permet de déterminer la part de ceux qui sont restés suffisamment longtemps dans l’inspection pour qu’elle marque l’ensemble de leur carrière professionnelle.

2) La durée d’exercice

24L’évolution des durées moyennes d’exercice par cohortes d’entrée selon le grade est présentée dans les figues 5 et 6 (p. 141)17.

Figure 3. – Inspecteurs : âge moyen et écart type des âges à la sortie selon la période d’entrée

Figure 4. – Sous-inspecteurs : âge moyen et écart type des âges à la sortie selon la période d’entrée

Figure 5. – Inspecteurs : durée moyenne d’exercice selon la période d’entrée

Figure 6. – Sous-inspecteurs : durée moyenne d’exercice selon la période d’entrée

25La durée moyenne d’exercice selon la période d’entrée oscille entre 10 et 15,8 ans pour les inspecteurs entrés avant 1904. Elle est plus élevée pour les recrutés des années 1905-1914, proche de 22 ans. À l’exception peut-être de la cohorte 1900-1904, entrée assez tardivement, vers 44 ans, les durées d’exercice sont assez longues pour être constitutives d’une carrière. Les deux dernières cohortes montrent un allongement de la durée d’exercice mais les effectifs de fonctionnaires qui entrent directement au grade d’inspecteur à partir de 1905 sont trop faibles pour véritablement conclure.

26Pour les fonctionnaires entrés au grade de sous-inspecteur, les durées moyennes d’exercice varient entre 19,2 et 24,2 ans quel que soit le grade atteint en fin d’activité. Une telle longévité dans l’inspection en fait l’élément central d’une carrière. L’indicateur est relativement stable pour les cohortes entrées entre 1895-191418.

27Cette grande variabilité des durées d’activité moyennes des fonctionnaires entrés aux deux grades de la hiérarchie conduit à recentrer les observations sur les durées extrêmes d’exercice, c’est-à-dire les petites et les longues durées. Elles donnent une certaine idée de la stabilité des fonctionnaires. Le tableau 4 donne la proportion pour dix entrants de ceux qui sortent après quatre ou six ans d’exercice, selon le grade19. Il fournit également la proportion pour dix entrants des fonctionnaires qui ont quitté le corps après une durée d’exercice de plus de vingt ans ou vingt-cinq ans selon le grade.

Tableau 4. – Proportion des fonctionnaires sortis après des durées d’exercice inférieure ou supérieure à x années, selon le grade et la période d’entrée. pour dix recrutés d’une cohorte

28La proportion des recrutés sous-inspecteurs dont l’ancienneté à la sortie est particulièrement élevée est forte pour les cohortes entrées au cours des années 1880-1899. Ce sont plus de quatre fonctionnaires sur dix qui restent en exercice plus de vingt-cinq ans ; plus de six pour la cohorte 1880-1884. La proportion diminue ensuite mais reste proche de trois pour dix. Dans la cohorte d’entrée 1910-1914, plus de six recrutés en qualité de sous-inspecteurs sur dix resteront en exercice plus de vingt-cinq ans. Le constat est proche pour ceux qui sont entrés directement au grade d’inspecteur au cours des années 1880-1894. Trois inspecteurs sur dix restent plus de vingt ans dans le corps. Cette proportion diminue ensuite pour remonter brutalement à partir de la cohorte 1905-1909 où un inspecteur sur deux reste plus de vingt ans dans le corps. Six inspecteurs sur dix de la cohorte 1910-1914 sont restés plus de vingt ans dans le corps.

29En revanche, la proportion des inspecteurs qui quittent le corps après de faibles durées d’exercice est plutôt basse. Trente-trois inspecteurs sont concernés sur l’ensemble de la période. La proportion des sous-inspecteurs qui quittent le corps avant d’avoir atteint leur sixième anniversaire de service est également faible. Parmi les 23 fonctionnaires concernés, quatre sont morts prématurément. Deux ont démissionné. Ce sont les sous-inspecteurs entrés au cours des années 1910-1914 qui sont sortis prématurément en plus grand nombre. Mais, aucun d’entre eux n’est sorti au cours de la Grande Guerre. Elle n’explique donc pas ces sorties prématurées.

30Par conséquent, les fonctionnaires restés longtemps dans le corps sont nombreux même si la fluctuation de leur proportion dépend de l’âge à l’entrée. Les fonctionnaires qui n’ont fait qu’un bref passage dans l’inspection sont rares à l’exception des inspecteurs entrés au cours des années 1895-1904 sans doute parce qu’ils sont entrés plus tard.

3) Quitter l’inspection

31Les modalités de sortie de 311 fonctionnaires ayant quitté le corps au grade d’inspecteur et de sous-inspecteur sont connues. Elles permettent de distinguer les sorties contraintes et les sorties volontaires.

32La durée moyenne d’exercice dans l’inspection des retraités de ce corps est suffisamment longue pour conclure qu’ils ont fait carrière dans l’inspection. Ce qui confirme les résultats précédents. En effet, pour les fonctionnaires entrés inspecteurs, la durée moyenne d’exercice varie entre 19 et 28 ans selon la cohorte d’entrée ; elle fluctue entre 20 et 30 ans pour ceux entrés sous-inspecteurs.

33Parmi les 67 décédés, les inspecteurs sont plus nombreux (39) en raison de leur âge à l’entrée plus élevé que celui des sous-inspecteurs. Les anciennetés inférieures à six ans sont rares (5). La répartition de ces décès selon la période où ils se produisent montre qu’ils ont été particulièrement nombreux au cours de la guerre (21). Ces décès ont touché des fonctionnaires entrés sous-inspecteurs ayant une ancienneté totale moyenne peu élevée (11,5 ans). À l’effet de période se mêle un effet d’âge pour les fonctionnaires entrés inspecteurs qui atteignent une ancienneté élevée au cours de la guerre. Il apparaît donc que les années de guerre ont finalement ponctionné le corps d’hommes des deux grades et d’anciennetés diverses.

34La mise en disponibilité concerne dix-sept fonctionnaires de l’inspection. Huit femmes ont bénéficié d’un tel congé ; la moitié d’entre elles sont mariées. Les motivations des fonctionnaires ne sont pas connues même si, parfois, des raisons de santé motivent la demande de mise en disponibilité.

35Parmi les 311 dont on connaît la cause de sortie, cinq fonctionnaires ont démissionné. On peut distinguer au moins trois figures de démissionnaires. En premier lieu, il y a le démissionnaire sorti peu de temps après son entrée dans le corps. L’inspecteur Le Petit n’est resté qu’un an avant de démissionner à 38 ans ; Levy sous-inspecteur démissionne en 1913 après deux années d’exercice seulement. Il est probable que l’inspection n’a pas correspondu à leurs attentes même si leur motivation initiale dut être grande, compte tenu de l’examen ou du concours d’entrée. Le docteur Brulet, quant à lui, caractérise la figure du démissionnaire tardif : son âge explique probablement son choix et la démission équivaut à une retraite. Nommé à 52 ans inspecteur en Côte-d’Or, il y reste treize ans jusqu’à sa démission en janvier 1914 ; il a 65 ans. Ne disposant pas du nombre d’années nécessaires pour être admis à faire valoir ses droits à la retraite de la fonction publique, il quitte le corps. Le cas de l’inspecteur Guinnebert, qui démissionne à 54 ans, est moins clair. Entré sous-inspecteur en 1892, il est promu inspecteur douze ans plus tard, à 49 ans. Compte tenu de son âge, il peut réorienter sa carrière professionnelle, à moins qu’un problème de santé ne l’ait contraint à quitter ce service actif. C’est cette dernière raison sans doute qui a conduit Blanc à démissionner en 1937 après dix-sept ans d’exercice marqué par un long congé pour raisons de santé. Ainsi, deux fonctionnaires sur cinq ont quitté l’inspection après une brève période d’essai. Pour les trois autres fonctionnaires, sans connaître exactement leur motivation, leur ancienneté (comprise entre 13 et 17 ans) montre que le passage dans l’inspection est constitutif de l’ensemble de leur carrière professionnelle.

36Quatre fonctionnaires ont rejoint l’Assistance publique de la Seine en qualité d’inspecteur. Le prestige de cette administration est grand comme l’autorité dont est investi l’inspecteur de l’Administration de la Seine qui s’étend sur un plus grand nombre de fonctionnaires que celle de l’inspecteur départemental ; les avantages financiers se mesurent surtout en termes de frais de tournées et indemnités. Cambillard entre dans l’inspection en juillet 1888. Sous-inspecteur de l’Oise, il est promu, en 1897, inspecteur de la Manche. Il est honoré de nombreuses médailles dont celle d’argent de l’Assistance. En 1914, il passe dans l’inspection de la Seine. Il a 52 ans. L’inspecteur Cambillard est en outre l’auteur de plusieurs articles parus dans la Revue Philanthropique, il participe activement aux congrès d’Assistance. L’inspection de la Seine équivaut pour lui à une nouvelle promotion alors qu’il a fait dans l’inspection départementale une carrière rapide et remarquée. Le docteur Pigot est nommé sous-inspecteur en 1904. Promu inspecteur du Cantal en 1910, il est muté deux ans plus tard en Indre-et-Loire. Il reste dans ce département jusqu’en 1928, date à laquelle il passe dans l’inspection de la Seine. Il a 56 ans. En Indre-et-Loire, il est le supérieur hiérarchique de Barbary. Celui-ci est employé des services départementaux de l’A.P. avant d’être nommé commis d’inspection en 1906. À partir de septembre 1910, Barbary est successivement sous-inspecteur du Maine-et-Loire, puis du Cher. En février 1914, il est muté en Indre-et-Loire où il côtoie le docteur Pigot. En 1921, Barbary est promu inspecteur dans le Bas-Rhin, à la disposition du commissaire général de Strasbourg. En 1923, à 39 ans, il est inspecteur de l’Assistance publique de la Seine. Cinq ans plus tard, Pigot rejoint Barbary20. L’un a eu une carrière géographiquement stable, le second est plus mobile et a diversifié ses activités. Quant au docteur Bire, il est médecin-inspecteur chargé du service de Protection du premier âge de l’Orne lorsqu’il entre dans l’inspection en 1907 comme sous-inspecteur. Deux ans plus tard, il reçoit la médaille de bronze de l’A.P. pour ses fonctions dans le service d’assistance aux vieillards dans les Pyrénées-Orientales. En janvier 1914, il est promu inspecteur dans l’Ardèche. Il rejoint l’inspection de la Seine en juin 1921. Il n’a que 46 ans. L’inspection de la Seine est alors une voie ouverte à une promotion plus rapide et à une compétence reconnue. L’administration de la Seine semble offrir une chance nouvelle de promotion pour des inspecteurs qui ont gravi rapidement les échelons de l’inspection ou lentement, mais en présentant des compétences reconnues soit que des médailles leur aient été attribuées (Cambillard, Bire), soit qu’ils aient su diversifier leurs activités (Barbary). Pour un faible nombre de fonctionnaires, le cadre de l’inspection départementale est trop étroit pour « faire carrière », mais elle a été un tremplin. La carrière de Mlle Choquet confirme nos propos. Entrée dans l’inspection de l’Eure en 1930, elle gravit rapidement les diverses classes de son grade. En juillet 1937, elle passe dans le Nord où elle est mise à la disposition de l’Assistance publique de la Seine pour la surveillance des établissements de bienfaisance privée. En octobre 1938, elle est la première femme nommée inspectrice. L’administration de la Seine a bien joué son rôle promotionnel comme en témoigne l’accession à l’inspectorat départemental.

37Le service dans lequel ont été détachés onze fonctionnaires sur les treize observés est connu. Dix fonctionnaires sur treize ont été détachés en 1920, dans des services qui ont souffert de la désorganisation des années de guerre. Ces détachements ont lieu après 13 ans d’ancienneté et avant 23 ans. Ces dates constituent peut-être les bornes de l’expérience en matière d’action sociale. Avant 13 ans, l’expérience est considérée comme insuffisante, après 23 ans, le fonctionnaire est peut-être trop familier avec l’inspection pour envisager un changement d’activité. On a peut-être là une période charnière dans la carrière de l’individu et vécue comme telle.

Tableau 5.– Fonctions exercées après un détachement pour onze fonctionnaires

38Le champ de l’application des politiques sociales dans lequel ils demeurent pour la majorité est-il un réel choix ou est-il rendu possible par les contacts professionnels noués au cours de la carrière ? Les deux possibilités ne sont pas incompatibles : le professionnel immergé dans un domaine, y demeure. Mais, dans ces conditions, il est difficile de parler de ce qui pourrait apparaître comme un « militantisme » social. Plusieurs fonctionnaires ont obtenu le titre tant convoité de directeur. Le détachement apparaît comme une opportunité de carrière, le plus souvent pour des professionnels dont la carrière stagne. La proportion de fonctionnaires qui ont réintégré le corps après un détachement (trois sur treize détachés) confirme les avantages du détachement.

39Donc, les fonctionnaires ont pu faire carrière dans l’inspection et pour la plupart d’entre eux, particulièrement pour ceux entrés au grade de sous-inspecteur, leur expérience dans le corps est suffisamment longue pour pouvoir être considérée comme constitutive d’une carrière professionnelle. S’ils se réorientent, ils demeurent fréquemment dans le champ de l’application des politiques sociales. Pour eux, l’inspection départementale a constitué un tremplin.

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40En conclusion de cette étude sur la signification et le sens de l’entrée dans l’inspection, il apparaît qu’issus des milieux commerçants ou agricoles, les fonctionnaires de l’inspection sont restés au sein d’une classe moyenne administrative qui, par les privilèges qu’elle accorde à ses membres, constitue une voie de la promotion sociale. Les revendications des inspecteurs relatives à l’alignement de leurs traitements avec ceux de leurs homologues des académies, leurs allusions à l’autorité dont jouissent certains fonctionnaires par rapport à la leur, montrent qu’au sein de cette classe moyenne administrative, ils se situent à un niveau intermédiaire et qu’ils ont eu conscience d’appartenir à cette sphère.

41Le statut social du fonctionnaire d’État, les privilèges plus que les traitements, lesquels sont plutôt modestes, positionnent le fonctionnaire de l’inspection, l’inspecteur surtout, parmi les petits notables locaux. La faveur dont jouit l’assistance publique au moins jusqu’en 1914 participe de cette même promotion des membres du corps. Au sein des commissions qui réunissent des personnalités locales de la philanthropie privée, parmi les membres des comités comme ceux de la Protection du premier âge, l’autorité du fonctionnaire est certaine car il est la cheville ouvrière de leur fonctionnement. Sa proximité avec le préfet tend à confirmer le pouvoir d’exécution que l’inspecteur représente. Entrer dans l’inspection, c’est donc représenter une autorité plus que la posséder. Car pour tenir son rang l’inspecteur est tributaire des primes et gratifications que lui alloue le Conseil général dont il dépend, en dépit de sa position de fonctionnaire d’État.