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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral I. Les « usines à bébés » défrayent la chronique II. Des normes sociales, pratiques clandestines et imaginaires de l’« usine » III. Un vide juridique Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Procréation et imaginaires collectifs

    Ce livre est recensé par

    • Thomas Michaud, Lectures, mis en ligne le 9 novembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/lectures/52049 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.52049
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    Table des matières

    Chapitre 10

    L’imaginaire de l’usine à bébés : gestation pour autrui, adoption et secret au Niger

    Barbara M. Cooper

    p. 125-136

    Texte intégral Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Avec ses taux de fécondité et de mortalité infantile très élevés, la République du Niger est souvent citée par les promoteurs de la régulation démographique. Ses taux de natalité élevés n’empêchent pas l’existence de niveaux également élevés d’infécondité involontaire, importante source d’anxiété sociale (Cooper, 2019). En 2014, le Niger défrayait la chronique avec un « scandale des bébés », renvoyant à un réseau de traite de nouveau-nés organisé entre le Nigéria, le Bénin et le Niger. L’enquête judiciaire visant cette « usine à bébés » fut suscitée par la célébration du baptême des enfants d’un ancien banquier manifestement stérile. On découvrit alors que plusieurs femmes nigériennes célèbres confrontées à l’infertilité avaient accédé à la maternité en s’adressant à une tradipraticienne exerçant dans le pays avoisinant, le Nigéria. Selon leur version, ces femmes auraient bénéficié d’un traitement à base de remèdes traditionnels, puis seraient allées accoucher à l’étranger1. La justice leur reproche d’avoir fait entrer clandestinement des bébés sur le territoire nigérien via le Bénin et d’avoir cherché à se procurer de faux documents censés attester leur maternité biologique.2

    2Le démantèlement de l’entreprise de trafic de nourrissons révélait l’existence d’un marché reproductif illégal destiné à une clientèle d’Africains relativement aisée. Les ressorts sociaux et émotionnels de ces circuits – qui diffèrent de l’adoption et de la gestation pour autrui (GPA) internationales telles qu’on les conçoit habituellement – sont révélateurs des tensions entre normes traditionnelles et évolution des pratiques d’accès à l’enfant.

    I. Les « usines à bébés » défrayent la chronique

    3L’adoption internationale n’est pas seulement le fait de transferts d’enfants de pays à faible niveau de vie vers des pays plus riches : elle existe aussi à l’intérieur de certaines régions du Sud. Plusieurs pays comme le Bénin ont ratifié la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. D’autres États, comme le Nigéria, ont en revanche préféré une législation plus conforme aux normes locales : le Nigéria n’autorise qu’à des Nigérians (y compris en diaspora) d’adopter des enfants nés sur son sol. En outre, dans la majorité des pays d’Afrique, il n’existe pas de réglementation claire de la GPA, mais comme la formalisation de cette pratique implique normalement le transfert de statut parental d’une personne à une autre, elle est considérée comme une variante de l’adoption plénière, avec tout ce que cela suppose de formalisation juridique.

    4Même dans les États où elles sont licites, l’adoption plénière et la GPA réglementée imposent des actes administratifs, des contrats en bonne et due forme et l’intervention d’experts en droit et en médecine3. En outre, elles nécessitent une longue patience, un bon carnet d’adresses et des moyens financiers considérables. De telles contraintes vont à l’encontre de la recherche de confidentialité. Le scandale national survenu en république du Niger en 2014 mettait sous les projecteurs des individus ayant précisément voulu régler hors des regards un problème reproductif. Ils n’étaient évidemment pas les premiers.

    5Ce scandale faisait suite à une série d’efforts politiques très médiatisés pour démanteler des réseaux de trafiquants basés au Nigéria voisin. L’émergence du phénomène des « usines à bébés » débute dans les années 1980 et 1990 avec la volonté de pallier le problème croissant d’« abandon des nourrissons » (baby dumping). Le gouvernement et les ONG encourageaient alors la création de maisons spécialisées offrant un abri discret aux jeunes femmes enceintes hors mariage et permettant de trouver des familles adoptives aux « orphelins » (en réalité des enfants abandonnés). Mais ces centres étaient peu contrôlés et, avec le développement du marché lucratif d’enfants, « maisons » et « orphelinats » sont souvent devenus des structures idéales pour faciliter ce que les médias appellent la « récolte de bébés » (baby harvesting) [Nwaka et Odoemene, 2019]. Aux côtés d’associations caritatives protégeant des jeunes femmes enceintes sont apparues des entreprises abusant de ces personnes pour alimenter un marché clandestin de nouveau-nés.

    6Depuis les années 2000, les interventions de police visant à démanteler des réseaux de trafiquants se multiplient. Mais très peu d’arrestations aboutissent à des poursuites4, l’Agence nationale spécialisée (NAPTIP) mettant davantage d’énergie dans la lutte contre les enlèvements et la traite des femmes dans le cadre du trafic sexuel international. Lors des arrestations, les médias saluent la « libération » de jeunes femmes captives dont les enfants auraient été mis à la vente. Mais sans le témoignage de ces dernières, la preuve judiciaire de la captivité est difficile à fournir ; en outre, la vente d’un enfant ne peut être démontrée qu’en retraçant a posteriori les origines des enfants vivant au sein des familles. Les parents et les jeunes filles n’ayant aucun intérêt à coopérer, il n’y a souvent pas de preuves suffisantes. Étant donné l’incertitude des indices et la possibilité qu’ont les parents aisés de distribuer des pots-de-vin, les enquêtes peinent à aboutir (Nwaka and Odoemene, 2019 ; Udechukwu, 2019). Les auteurs de trafics exhibés à la une des médias lors de leur arrestation sont donc relâchés et reprennent leurs activités clandestines ailleurs5.

    II. Des normes sociales, pratiques clandestines et imaginaires de l’« usine »

    7Comme le note l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan, ce phénomène d’« achat de bébés » dans la classe moyenne ouest-africaine s’explique avant tout par l’opprobre que suscite la stérilité dans un pays où règne une forte culture nataliste et où l’adoption d’un orphelin reste stigmatisée6. Les couples infertiles d’Afrique de l’Ouest se donnent beaucoup de mal pour cacher leur stérilité ou pour se protéger des reproches de la famille, notamment en invoquant la sorcellerie. C’est l’implication de la famille élargie à rendre l’enfant légitime qui fait que le maintien du secret est impérieux. Le problème qui pousse des couples à recourir à un marché clandestin d’enfants n’est pas l’absence de solutions juridiques, mais la nécessité sociale de cacher les origines bio-sociales de l’enfant pour que sa personnalité morale soit reconnue. Un homme respectable, un chef « viril », doit se montrer capable d’engendrer une progéniture abondante. Il n’existe pas de meilleur moyen d’humilier un opposant politique que d’insinuer que ses enfants ne sont pas les siens (Alzouma, 2019, p. 17). Ce sont là les raisons de fond expliquant que des personnes se tournent vers les filières parallèles pour obtenir des enfants.

    8Au Niger en particulier, l’existence d’un marché informel de nouveau-nés est alimentée par une conception de la famille et une interprétation du droit islamique en vertu desquelles un enfant adopté non apparenté à la famille ne peut pas hériter, l’adoption étant souvent considérée comme une menace pour les héritiers « légitimes » et la famille élargie. Une jurisprudence de 2006 est révélatrice. Un couple d’âge mûr élevant 5 enfants biologiques a adopté une fille illégitime, initialement placée en orphelinat, et avec laquelle il avait tissé des liens affectifs. S’'il s’agissait d’une adoption simple ne modifiant pas la filiation de l’enfant, la décision de justice indique explicitement que l’adoption ne menacerait en aucune façon les droits successoraux des enfants biologiques7. Le fait que les parents adoptifs et l’enfant vivent au Niger n’est pas anodin, car le maintien des liens avec la famille « naturelle » de l’enfant était ainsi relativement facile à gérer. Bien que satisfaisante sur le plan affectif, l’adoption ouverte (permettant l’adoption plénière) ne semble pas être la solution appropriée pour la plupart des Africains en quête d’une descendance reconnue (Davel, 2016, p. 270).

    9Loin de la scène sociale du Niger, l’obsession des médias pour les « usines à bébés » du Nigéria voisin a eu de lourdes conséquences politiques (Alzouma, 2019). Le terme « usines à bébés » est utilisé pour désigner toutes les pratiques frauduleuses d’adoption ou de GPA, renforçant la perception d’un Nigéria baignant dans la criminalité et l’immoralité. L’image même de l’« usine à bébés » renvoie à des origines contre nature et dangereuses. Contrairement aux enfants légitimes, ces bébés sont perçus comme produits en masse par des ouvrières d’une entreprise industrielle capitaliste déshumanisée. La gestation assimilée à un travail industriel subvertit l’image idéale des mères, nourricières altruistes, réduisant la maternité à la production d’un bien marchand. Alors qu’au Nigéria, l’absence de condamnations criminelles résulte, semble-t-il, d’un consensus tacite faisant du transfert d’un enfant illégitime ou issu de GPA à un couple en mal d’enfant, un crime sans victime ; au Niger, c’est le caractère artificiel de la production de l’enfant qui est mis en avant.

    10L’artificialité apparente du processus remet en cause l’humanité de l’enfant. Quel peut être l’enfant d’une mère qui n’est pas mère ? Les familles se donnent parfois beaucoup de peine pour que la fiancée présentée à la famille étendue provienne d’une famille acceptable, que son milieu d’origine convienne au futur marié et que son éducation garantisse la venue au monde d’enfants honorables. Un enfant aux origines inconnues représente une grave menace pour la famille et pour le groupe. Le fait que les enfants en question soient souvent des jumeaux accentue l’idée d’une production de masse. Les naissances multiples, relativement courantes dans le contexte de la procréation médicalement assistée, ne sont pas inhabituelles non plus dans le Sud du Nigéria : les jumeaux sont souvent considérés avec ambivalence dans la région, parfois bien accueillis mais fréquemment rejetés car perçus comme une menace surnaturelle (Renne et Bastian, 2001).

    11Au Niger, où ces naissances sont plus rares, la gémellité peut être saluée comme un cadeau divin extraordinaire ; toutefois, leur caractère « anormal » se prête aussi à une interprétation moins positive, qu’il s’agisse de présomption d’adultère ou de pratiques occultes de la part de la mère biologique, surtout si cette dernière est morte en couches (Masquelier, 2001). « Donner » des jumeaux, qu’ils proviennent d’une entreprise illégale imaginée ou d’une fécondation artificielle, semble donc assez logique dans cette région. Ces enfants peuvent inquiéter car ils incarnent la force destructive des rivalités fraternelles. La surabondance de bébés « fabriqués en usine » contribue à l’impression que quelque chose de dévastateur et d’occulte est en train de se tramer. À intervalles réguliers, des reportages laissent entendre que ces bébés servent à des sacrifices rituels, réactualisant une longue histoire de rumeurs au Nigéria concernant des meurtres rituels ― rumeurs qui reflètent la méfiance populaire envers le gouvernement et l’indignation face aux inégalités sociales (Bastian, 2003)8.

    12Autrement dit, l’expression même d’« usine à bébés » évoque, au Niger, l’impression d’un monde défait. Les rapports de police et d’ONG, les comptes rendus médiatiques qui relatent régulièrement le « sauvetage » de jeunes femmes rescapées d’« usines à bébés », ont généralement du mal à concevoir la possibilité de GPA volontaires ou d’adoptions fermées, licites ou non. Certes, il n’y a aucun moyen de s’assurer que les jeunes femmes concernées sont parfaitement consentantes ou qu’elles aient conscience de ce à quoi elles s’exposent. Néanmoins, à mesure que les services de fécondation in vitro se développent, la probabilité que certaines « usines » soient en réalité des services de GPA a donné lieu à une multitude de publications sur la gestion de la GPA au Niger comme au Nigéria (Abdou Assane, 2017 ; Adelakun, 2018).

    13Certaines dispositions des textes de loi, rédigés précipitamment pour encadrer la GPA au Nigéria, empêchent en partie la possibilité d’une « production de masse ». Le projet de loi nigérian sur la GPA précise que la femme porteuse doit avoir entre 21 ans et 45 ans et qu’elle ne peut pas porter un enfant pour autrui à plus de trois reprises (Adelakun, 2018, p. 617).

    14Les débats au Nigéria ont également abouti à une recommandation, visant à ce que la législation exige des parents d’intention de procéder à l’adoption formelle de tout enfant issu d’une GPA, même s’ils en sont les géniteurs (Adelakun, 2018, p. 614). L’idée que les « usines à bébés » pratiquent un nouvel « esclavage » a donné lieu à l’établissement d’un cadre juridique qui encourage davantage à considérer la mère porteuse comme la « véritable » mère de l’enfant (Makinde et al., 2016, p. 8). Tout cela montre à quel point il est erroné de voir dans la GPA une solution de substitution à l’adoption, même si les deux sont généralement liées. Au Nigéria, les chercheurs ont constaté que, pour les patientes des cliniques traitant la stérilité, la GPA et l’adoption étaient des solutions tout aussi problématiques (Bello et al., 2014, p. 131-32). Comme le souligne Oluwatobi Joseph Alabi, la GPA est loin d’être perçue comme une panacée (Alabi, 2020).

    15Les femmes qui espèrent nouer des liens solides avec leur époux et leur belle-famille ne voient pas non plus l’adoption comme une solution : l’origine des enfants disponibles à l’adoption en fait des « bâtards » dont la loyauté et la personnalité sont sujettes à caution (Bonnet, 2014, p. 776 ; Barraud, 2008). Un enfant adopté risque de mettre encore davantage à l’épreuve les liens conjugaux. Comme la sorcellerie se transmet par la mère, l’enfant adoptif introduit un risque dans le foyer, surtout en cas de jalousie envers l’un des autres enfants. Au Niger, on considère que le travail de production d’un enfant réussi et respectueux commence bien avant la naissance : le comportement de la mère avant et pendant la grossesse façonne l’enfant et détermine son comportement futur (Cooper, 2019, p. 106 et p. 150-69). La GPA comme l’adoption exposent la famille étendue au risque d’un enfant « mal conçu » et « mal porté ».

    16Cette aversion pour l’adoption est aggravée par les abus attestés auxquels l’adoption internationale a donné lieu, en particulier depuis le scandale de « L’arche de Zoé » en 2007, lorsque les membres de cette association caritative française avaient été arrêtés au Tchad pour avoir menti sur les origines d’orphelins du Darfour qu’ils comptaient faire venir en France (Leblic, 2009 ; Guillermet, 2008). Certains de ces enfants n’étaient pas des réfugiés du Darfour et la plupart n’étaient même pas orphelins. Cet incident met en lumière l'existence d’« orphelins » fictifs par des ONG et des intermédiaires locaux (Guillermet, 2008, p. 2). Ce genre de scandale explique la surveillance étroite à laquelle est soumise l’adoption internationale et les obstacles administratifs qui l’accompagnent, visant à freiner le départ d’enfants hors d’Afrique (Davis, 2011 ; Mahéo, 2016). Le scepticisme relatif quant aux motivations des parents adoptants complique aussi l’adoption dans les pays et entre les pays d’Afrique. Ces précautions sont destinées à limiter non seulement le trafic mais aussi les parentalités « contre nature » (hors mariage, célibataires et homosexuelles) et les activités occultes fantasmées d’adoptants amoraux.

    17En fait, sinon en droit, au Niger, l’adoption simple, qui établit la tutelle sans impliquer de changement de nom automatique ni de droits à l’héritage, est réservée aux citoyens ; et les enfants adoptés dans ce cadre conservent la nationalité nigérienne. L’adoption plénière, en revanche, qui est irrévocable, est réservée aux étrangers et l’enfant est supposé acquérir une nouvelle nationalité. À certains égards, l’adoption simple s’apparente à la kafâla, concept islamique désignant l’engagement à élever un enfant mineur, sans créer avec lui de lien de parenté légal. Les contrats de kafâla sont utilisés en Afrique du Nord pour résoudre le problème des enfants illégitimes, abandonnés et confiés, dans la mesure où l’adoption plénière n’est pas considérée comme conforme à l’islam (Barraud, 2010).

    18Les Africains sont bien conscients du fait que les enfants des orphelinats sont rarement dénués de toute attache. Ils ont une famille qui ne peut pas ou ne souhaite pas les élever. C’est le processus de l’adoption plénière lui-même qui exige un récit d’abandon (Carle et Bonnet, 2009). Il est difficile d’imaginer que les origines d’un enfant nigérien adopté pourraient être définitivement effacées.

    19Aux yeux d’un couple nigérien stérile, l’illusion que l’enfant est biologiquement lié à ses parents est centrale pour la logique de la vie familiale. Le statut d’adulte à part entière et la reconnaissance en tant que chef masculin du ménage ne s’acquièrent pas simplement en élevant des enfants, la masculinité se fonde sur l’insémination et la naissance d’héritiers dans le cadre du mariage (Dyer et al., 2004 ; Inhorn, 2006). L’adoption sur le territoire national ne satisfait tout simplement pas à ces exigences. Pour les couples nigériens stériles, une convention de GPA secrète ou une adoption transnationale illégale ont le mérite d’être plus discrètes que le processus d’adoption formel au Niger.

    III. Un vide juridique

    20En janvier 2018, les services de l’état civil du Nigéria, qui ne voulaient pas délivrer des passeports nigérians aux deux enfants d'un couple adoptif, ont demandé à l’État du Niger de leur fournir le test ADN de leur mère adoptive et des enfants qu’elle revendiquait comme les siens, afin d’établir officiellement leur filiation. Il paraît évident que si les enfants lui étaient génétiquement liés, elle serait leur mère, en particulier parce que personne au Nigéria ne les a réclamés. Mais, en l’espèce, en quoi le test ADN de la mère établirait-il la paternité de son conjoint ? Pour que les enfants soient les héritiers légitimes d'un homme, il suffit d’établir qu’ils sont nés de sa femme. Dans la logique musulmane, l’ADN n’a pas sa place : le père d’un enfant est l’époux de sa mère au moment de sa naissance. Dans les faits, jusqu’à ce que la question de la maternité ait été résolue d’une manière ou d’une autre, les enfants sont apatrides : ils ne sont ni Nigériens ni définitivement Nigérians9. À notre connaissance, aucun test n’a été effectué, donnant à penser que la mère adoptive n’est pas leur mère biologique. Dans un contexte musulman, le test ADN pourrait inciter à tester aussi le père putatif, brouillant considérablement l’hypothèse de paternité au regard de l’islam. Les avocats du couple leur ont conseillé dès le début de ne pas se soumettre au test.

    21Nationalité et légitimité ne sont pas synonymes, malgré l’imbrication de ces deux notions quand il est question de GPA. Les enfants nés hors de France dans le cadre d’une GPA sont des « fantômes de la République », car la GPA est illégale en France (Courduriès, 2018, p. 50). Les fonctionnaires français sont généralement réticents à fournir un certificat de naissance français à ces enfants, qui risquent dès lors de ne pas pouvoir hériter d’un de leurs parents ou des deux. Le Niger a fait preuve de la même réticence dans le cadre de l’affaire de l’« usine à bébés ». Le problème de la citoyenneté revient fréquemment en matière de GPA, reflétant le conflit entre, d’un côté, l’intérêt de l’État à faire appliquer les lois interdisant la GPA et/ou la traite d’enfants et, de l’autre, l’obligation pour ce même État d’agir dans l’intérêt de l’enfant (Bradley, 2018). Dans la tradition juridique française, la priorité tend à être donnée au respect de la loi.

    22Le phénomène des « usines à bébés » est la résultante des options limitées dont disposent les jeunes femmes et les jeunes filles. L’« offre » abondante de femmes enceintes ou fertiles susceptibles de travailler dans ces lieux s’explique pour beaucoup par la résistance à promouvoir le contrôle des naissances. Mais la forte « demande » de telles travailleuses reflète l’urgence de produire des héritiers pour les épouses sans enfants, surtout mâles. À certains égards, cette situation rappelle « l’arbitrage du travail reproductif » en vertu duquel les caractéristiques génétiques et les ventres de femmes d’Europe de l’Est se vendent sur un marché européen régional façonné par l’hétérogénéité des réglementations relatives à la PMA (Waldby, 2012, p. 294). En Afrique de l’Ouest, toutefois, le marché n’est pas seulement informel, il est clandestin. Ces observations nous invitent de considérer les contraintes sociales entamées par des règles islamiques en matière d’adoption et d’héritage dans les régions sahéliennes. Paradoxalement, les obligations sociales prétendues islamiques poussent les couples à se livrer à des activités illégales. Comment résoudre ce problème d’infertilité quand la GPA et l’adoption sont écartées pour des raisons à la fois juridiques et sociales ?

    23Une solution tient au renforcement de l’offre de fécondation in vitro au Niger, déjà entamée à l’hôpital général de référence de Niamey au Niger. Mais cela ne résout pas le problème sociodémographique structurel d’une surfécondité des jeunes femmes dénuées de moyens, faisant face à une sous-fertilité des femmes mariées.

    24Les enjeux sont extrêmement importants, compte tenu de tout ce qu’implique le fait de faire passer pour un héritier légitime un enfant issu de l’adoption ou d’une GPA. Cette dimension de « fraude aux liens du sang » dessine un tableau des risques qui a peu d’équivalents dans la majeure partie du monde euro-américain. Pour parvenir à leurs fins, les couples doivent s’en remettre à des arrangements leur garantissant le secret, ce qui alimente un marché clandestin des services d’adoption et de GPA, et suscite toutes sortes de fantasmes sur ce qui se trame derrière les murs des cliniques et des foyers de jeunes filles. Dans leur volonté de procréation, certains couples fortunés peuvent choisir des stratégies clandestines dont les victimes sont des jeunes filles privées de ressources et d’un réseau social suffisant pour les protéger. Ces stratégies aboutissent également à ce que certains enfants se retrouvent ensuite orphelins et apatrides. Mieux régler la GPA et l’adoption ne changera rien si l’on n’affronte pas l’impératif de non-divulgation des origines de l’enfant.

    Bibliographie

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    Notes de bas de page

    1 « Nigeria : bébés à tout prix, un scandale ouest-africain », Jeune Afrique, 4 mai 2015.

    2 « “Usines à bébés” : une vingtaine de personnes arrêtées au Niger, Jeune Afrique, 26 juin 2014.

    3 Aujourd’hui la GPA règlementée se pratique principalement en Ukraine, en Russie, en Grèce et dans quelques États des États-Unis. Ni le Niger ni le Nigeria ne sont parties contractantes de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale de la Conférence de La Haye.

    4 NAPTIP (National Agency for the Prohibition of Trafficking in Persons), 2019, Details of convictions from 2004 to may 2019.

    5 « Nigeria frees 16 in “baby factory” raid », News 24 (South Africa), 20 June 2013.

    6 « Soupçon de trafic de bébés au cœur du pouvoir nigérien », Libération, 25 novembre 2014.

    7 Niger, tribunal de première instance de Niamey, jugement civil 12, le 18 janvier 2006, numéro d’arrêt 2006, TPI 12 (JN).

    8 Research Directorate, Immigration and Refugee Board of Canada, 2005, Nigeria: Prevalence of ritual murder and human sacrifice and reaction by government authorities (March 2000-Julyı2005), Response to Information Request, NGA100384.E

    9 Namalka Bozari, « Rebondissement dans l’affaire des bébés importés : la justice nigériane exige un test ADN pour les enfants de Hama Amadou », Tamtaminfo, 23 janvier 2018.

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    Barbara M. Cooper

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    1 « Nigeria : bébés à tout prix, un scandale ouest-africain », Jeune Afrique, 4 mai 2015.

    2 « “Usines à bébés” : une vingtaine de personnes arrêtées au Niger, Jeune Afrique, 26 juin 2014.

    3 Aujourd’hui la GPA règlementée se pratique principalement en Ukraine, en Russie, en Grèce et dans quelques États des États-Unis. Ni le Niger ni le Nigeria ne sont parties contractantes de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale de la Conférence de La Haye.

    4 NAPTIP (National Agency for the Prohibition of Trafficking in Persons), 2019, Details of convictions from 2004 to may 2019.

    5 « Nigeria frees 16 in “baby factory” raid », News 24 (South Africa), 20 June 2013.

    6 « Soupçon de trafic de bébés au cœur du pouvoir nigérien », Libération, 25 novembre 2014.

    7 Niger, tribunal de première instance de Niamey, jugement civil 12, le 18 janvier 2006, numéro d’arrêt 2006, TPI 12 (JN).

    8 Research Directorate, Immigration and Refugee Board of Canada, 2005, Nigeria: Prevalence of ritual murder and human sacrifice and reaction by government authorities (March 2000-Julyı2005), Response to Information Request, NGA100384.E

    9 Namalka Bozari, « Rebondissement dans l’affaire des bébés importés : la justice nigériane exige un test ADN pour les enfants de Hama Amadou », Tamtaminfo, 23 janvier 2018.

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    Cooper, Barbara M. « L’imaginaire de l’usine à bébés : gestation pour autrui, adoption et secret au Niger ». In Procréation et imaginaires collectifs, édité par Doris Bonnet, Fabrice Cahen, et Virginie Rozée. Paris: Ined Éditions, 2021. https://doi.org/10.4000/books.ined.17264.
    Cooper, Barbara M. « L’imaginaire de l’usine à bébés : gestation pour autrui, adoption et secret au Niger ». Procréation et imaginaires collectifs, édité par Doris Bonnet et al., Ined Éditions, 2021, https://doi.org/10.4000/books.ined.17264.

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    Bonnet, Doris, Fabrice Cahen, et Virginie Rozée, éd. Procréation et imaginaires collectifs. Paris: Ined Éditions, 2021. https://doi.org/10.4000/books.ined.17119.
    Bonnet, Doris, et al., éditeurs. Procréation et imaginaires collectifs. Ined Éditions, 2021, https://doi.org/10.4000/books.ined.17119.
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