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Éléments de statistique humaine ou démographie comparée (1855)

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Achille Guillard

Livre I. Développement numérique de l'espèce humaine

Chapitre IV.

Coefficient du développement numérique

Équation générale des subsistances

Texte intégral

1Nous croyons avec Franklin que les limites de la Population ne sont fixées que par la quantité d’hommes que la » terre peut nourrir et vêtir » Montyon (Moheau, Rech. p. 274).

  • 1 J. des écon. / 53, p. 484.

2Cette proposition a été pressentie depuis longtemps par le bon sens des Peuples, qui dit proverbialement : « Où il y a un pain, il naît un homme ». Elle est applicable non-seulement à l’homme, mais à tous les êtres vivants, animaux et végétaux. C’est pourquoi nous l’avons appelée équation générale des subsistances1 ; et, la considérant au point de vue spécial de la race humaine, nous avons proposé de la formuler en ces termes :

  • 2 Il ne faut pas entendre par subsistances les seuls aliments, non de solo pane vivit homo, sed de om (...)

3P (La population moyenne) se proportionne aux subsistances disponibles2.

4C’est l’article fondamental de la Loi de P. Il importe de l’établir d’une manière irréfragable, soit pour les corollaires d’une fécondité infinie, qui en découlent, soit à cause des contradictions qu’il rencontre encore, et des disputes qu’il suscite parmi les économistes qui ne l’entendent pas clairement. On démontre ce principe par le raisonnement et par l’expérience.

51° par le raisonnement. Si la Population n’était pas adéquate aux subsistances disponibles, elle serait au-dessus ou au-dessous. Elle ne peut pas être au-dessus, car une partie des hommes vivrait sans manger, _ ce qui serait par trop angélique. Elle ne reste pas au-dessous : car une partie des subsistances demeurerait sans emploi, ce qui n’arrive pas. Dans quel temps, dans quel pays s’est-il jamais vu que des subsistances soient péries faute de consommateurs ? « Il est évident que P a été et sera toujours limité par la quantité des subsistances, puisque d’un côté il faut manger pour vivre, et que de l’autre on ne jette jamais de blé à la mer. » (M. Chev. Dict. conv. t. 44, Population).

6D’ailleurs, les auteurs ont parfaitement établi que la Population tend à se multiplier non moins rapidement que les subsistances (Malthus, Princ de pop. ch. 1). Il est vrai que cette tendance est barrée à leur limite et ne peut normalement la dépasser. Cela nous conduit aux démonstrations par les faits.

  • 3 Du Puynode après Malthus : « La population peut être surabondante ; nous peuplons au-delà des subsi (...)

7Nous prions le lecteur de prêter toute son attention à la suite de ce chapitre. Car, il ne suffit point de savoir que la terre ne porte pas plus d’êtres vivants qu’elle n’en peut nourrir. Cette proposition (qui pourtant a été contestée3), semblerait n’avoir pas besoin de démonstration. Mais il faut rechercher en outre par quelles lois naturelles l’équation se constitue dans l’état normal, et se rétablit lorsqu’elle a été altérée par des phénomènes accidentels ; il faut reconnaître quelles modifications dans les mouvements de P répondent aux variations dans l’état des subsistances.

82° Par l’expérience.

92e Démonstration. Les pays les plus producteurs sont les plus peuplés, et réciproquement.

10Il est notoire que les pays de l’Europe les plus producteurs sont la Belgique, la Lombardie, l’Angleterre, la France, la Prusse. Ces peuples laborieux, fécondant la terre par un travail éclairé, tirent d’un hectare ensemencé, 12, 18, jusqu’à 21 hectolitres de blé ; et leur industrie, dirigée par la science, ajoute ses riches dons à ceux que la culture arrache péniblement au sol. (Block Charg.)

la Prusse a...

60 habitants parkilom.c.

la France....

68

la Lombardie...

123

l’Angleterre...

129

la Belgique...

151.

11Mais la Grèce, qui relève à peine de longs siècles d’esclavage et d’inaction, qui tire d’un hectare labouré, à peine 4 ou 5 hectolitres de blé, et qui ajoute peu par l’industrie à la pauvreté du sol, n’a que 21 habitants par kilom. car. L’empire de Turquie, où le fanatisme, la servitude et la paresse combinent leurs ravages, en a moins encore.

12L’empire de Russie n’en a que 3.

13Melchior Gioja observe que, dans les provinces Vénitiennes, où l’industrie manufacturière est à peu près nulle, la Population suit en général le rapport des productions agraires (Scritti, p. 119).

14L’Annuaire du bureau des longitudes, bon livre où la démographie tient trop peu de place, mais une place aussi bien remplie que le permet l’œuvre des bureaux, – répète tous les ans qu’en France « Chaque localité a un nombre d’habitants proportionné à ses produits » (1854, p. 219). En effet, à la tête des départements les plus peuplés, nous trouvons Seine, Rhône, Nord, Seine-Inférieure, Bas et Haut-Rhin, etc. (Ib. p. 226.) N’est-ce pas ceux où le travail offre ses plus abondantes créations ?

15Après la Seine, le Rhône et les deux Rhin, viennent tous les riverains de l’Océan au nord du Morbihan. Ils sont dans la sphère d’attraction de l’activité britannique.

16A l’autre bout de la liste, au contraire, on voit Basses et Hautes-Alpes, Corse, Lozère, Landes, où la nature se refuse à produire : – départements stériles et déserts.

17De 1825 à /32, c’est la France de l’Est qui a le plus multiplié les fruits du travail : c’est elle aussi qui a le plus accru sa population (D’Angev. Essai, tabl. 2).

18Le parallélisme est constant : La Nature et l’art rivalisent de fécondité : chaque produit du travail amène un travailleur de plus.

19Cette merveilleuse correspondance nous a induit à poser le problème suivant :

20Etant donnée la production d’un pays, déterminer sa Population, et réciproquement.

21Ce problème nous parait si important, et sa solution si féconde pour la démographie, que nous l’essaierons dans un des chapitres suivants. Bien que les grands nombres aujourd’hui connus ne soient ni assez complets ni assez sûrs pour donner une solution définitive, ils conduiront au moins à une première approximation, qui sera déjà un pas fait pour la science, et qui pourra en appeler d’autres avec de meilleurs documents et des analystes plus habiles.

223e Démonstration. Quand la production des subsistances augmente, P augmente dans le même rapport.

  • 4 Pseud. Moheau, Rech. et cons. sur la Population de la France.

23Pour avoir des termes sérieux de comparaison, on ne peut pas remonter plus haut que la deuxième moitié du dernier siècle. Un savant magistrat, qui écrivait en 1774 (et qui serait célèbre par ses travaux statistiques s’il ne l’était davantage par sa bienfaisance), Montyon4 évaluait pour 1772 la Population de la France à 23 500 000 hab. et sa consommation moyenne annuelle en blé à 47 millions de septiers de 240 livres poids, soit environ 74 millions d’hectolitres.

24Dans la période 1836-40, P étant 34 000 000, la Statistique de France (Agr. 4e partie) évalue à 110 millions d’hectolitres la consommation annuelle des blés de toutes sortes.

  • 5 Selon Expilly (Dict. de la Fr. in f°, 1763), il n’y avait, en valeur, par labours, prés et vignes, (...)

25On voit que la double production, des blés et des hommes, a marché parallèlement et d’un pas sensiblement égal. En 2/3 de siècle, par les défrichements, les dessèchements, quelqu’amélioration dans la répartition du sol et par suite dans la culture5, la production des blés s’est accrue d’environ 49 0/0 ; et par cette seule cause, malgré tant d’obstacles de tout genre, d’épidémies, de guerres sanglantes, de misère non moins meurtrière, la Population s’est accrue de la même quantité.

26Dans les 15 premières années de ce siècle, toutes les nations de l’Europe continentale, courbées sous un système de violence, tournaient forcément leur activité vers les moyens d’attaque ou de défense. Le travail languissait faute de bras et plus encore faute de sécurité ; les sciences étaient presque muettes : la production et la Population se développaient lentement, demeuraient stationnaires ou rétrogradaient. Dans les publications officielles, la Population de la France est évaluée, pour 1806, à 29 107 421, et pour 1811, à 29 092 734 (P. I, p. 212 et 214). Ce ne sont que des évaluations, je l’accorde : mais la dernière est un aveu, venant de gens dont on pouvait attendre plutôt une flatterie.

  • 6 Moins Lombardie.

27Note6

28On peut voir qu’en général l’effet de la compression était d’autant plus marqué, que l’on était plus près de la force qui l’opérait.

29Tout-à-coup le joug est brisé : Les nations impatientes reprennent leur indépendance ; la paix répand ses bienfaits ; les armées dévastatrices deviennent des armées de travailleurs ; le fer ne fournit plus des sabres, mais des socs de charrues et des machines créatrices ; l’activité de l’esprit seconde et dirige celle des bras : l’industrie semble sortir du néant : la production prend aussitôt un essor immense. La Population ne reste pas en arrière : elle s’accroît dans des proportions inconnues jusqu’alors en Europe, et en raison composée de la compression qu’elle avait subie, et du mouvement des sciences appliquées et des arts producteurs chez les divers États.

30Cet accroissement extraordinaire s’est ralenti graduellement, à mesure que les mouvements se sont réglés. Pas un seul de ces États n’a pu le maintenir au-delà de quelques années. Les progrès de l’agriculture n’ont pas suivi ceux de l’industrie manufacturière, parce qu’on s’est trop peu occupé d’éclairer l’ignorance des paysans.

31On trouvera la mesure du ralentissement en comparant ce tableau avec celui de la distribution générale des nations que nous avons donné chapitre I, et avec l’Echelle de densité et d’accroissement actuel, au chapitre II.

32Aux extrémités opposées de l’Europe, deux puissances paraissent n’avoir point participé à ce mouvement régénérateur :

33le Portugal, fief de l’Angleterre, et la Russie qui, systématiquement hostile à toute idée nouvelle, semblait jusqu’alors repousser mieux l’invasion de nos progrès que celle de nos armées.

34Or, si faut-il qu’elle y vienne !

354e Démonstration. Quand la production diminue, la Population diminue d’autant.

36Messance, qui écrivait quelques années avant Montyon, observa qu’à Paris, quand le prix du blé s’élevait, le nombre des décès augmentait (Rech. sur la Pop. des généralités, etc. par Messance, receveur des tailles de l’élection de Saint-Étienne, 1766).

37Il dressa une double échelle, qui comprend quelques années du dix-septième siècle et la plus grande partie du dix-huitième. Nous la reproduisons ici, parce qu’il ne faut jamais laisser vieillir des documents aussi utiles à l’humanité. Nous la complétons par les taxes du pain pour la première moitié du siècle courant. Les décès à Paris sont extraits des Recherches statistiques, publiées par le département de la Seine, vol II, n° 53.

« PRIX SUR LE MARCHE DE PARIS, du septier du meilleur bled, mesure de Paris, du poids de 240 livres, calculé à 54 liv. 6 s. le marc, suivant sa valeur en 1765. »

« PRIX SUR LE MARCHE DE PARIS, du septier du meilleur bled, mesure de Paris, du poids de 240 livres, calculé à 54 liv. 6 s. le marc, suivant sa valeur en 1765. »

MOYENNE DES TAXES DU PAIN BLANC de 1re qualité à paris. (Coll. off. ord. de police, t. 3, 817, t. 5 ; Ord. et arrêtés du pr. de pol. Rech. stat. sur Paris, t. 2, n° 53 ; B. des lois, Ann. Long.)

MOYENNE DES TAXES DU PAIN BLANC de 1re qualité à paris. (Coll. off. ord. de police, t. 3, 817, t. 5 ; Ord. et arrêtés du pr. de pol. Rech. stat. sur Paris, t. 2, n° 53 ; B. des lois, Ann. Long.)
  • 7 Ce chiffre comprend tous les Décès militaires, même d’étrangers ; on sait trop pourquoi il fut extr (...)

38Note7

39Sur le premier de ces deux tableaux, on remarque avec Messance qu’en général les années les plus chargées de Décès sont celles où le pain est le plus cher : 1679, 1680, 1681 ; 1709, 1710, 1740, 1741. Il y a de rares exceptions, qui tiennent à l’histoire particulière de la ville de Paris. Quelquefois la mortalité se reporte sur l’année qui suit celle de la cherté : 1726 et 27, 1742,1753 et 54, 1763. Si l’on suit année par année les deux mouvements parallèles, on voit que l’un entraîne l’autre : lorsque le prix s’élève, les Décès s’accroissent ; lorsqu’il s’abaisse, ils diminuent.

40Si l’on prend la moyenne des prix du blé, et la moyenne des Décès annuels, on trouve que, toutes les fois, que le prix est au-dessus de la moyenne, les Décès aussi, et vice versa.

41L’auteur donne les mêmes relevés pour les villes de Londres, de Lyon, de Clermont-Ferrand, et il trouve les mêmes résultats. Il note, sur les tables de la généralité de Rouen, que les années où le blé a été le moins cher sont celles où l’on a fabriqué le plus d’étoffes, et où les hôpitaux ont eu le moins de malades.

42A l’égard du 2e tableau, qui se rapporte au siècle présent, on doit se rappeler que 1803, 1832 et 1849 ont été ravagés par des épidémies. On s’étonnera de ne pas trouver un plus grand accroissement de décès en 1817 et en 1847. Cette anomalie s’explique par les énormes sacrifices que fit l’administration de la ville pour maintenir le pain à un prix modéré. La France elle-même ne témoigna guère de la disette de 1817 que par la diminution des naissances. Au contraire, le royaume des Pays-Bas eut à la fois accroissement de Décès, diminution de Naissances et de Mariages. (Villermé, J. Écon. 1843, t. vi, p. 406).

43Pour se rendre compte de quelques autres anomalies, il faudrait joindre à ces tableaux l’histoire du travail industriel, qui, source unique de subsistance pour l’ouvrier citadin, a aussi ses grandes et dangereuses variations de taux. Mais où trouver cette histoire pure et sincère ?

44Nous nous contenterons donc de remarquer que les années 1850 et 51 closent et couronnent ces laborieux relevés, de la manière la plus heureuse, par les taxes les plus basses du siècle (excepté 1804, où il y eut peut-être abaissement par ordre), et la plus faible proportion des Décès.

45Nicander a constaté dans les Mém. de l’ac. de Stockholm, que la mortalité fut augmentée par la disette,

46en 1762, d’ 1/5, 1763, d’ 1/7, 1772, d’ 1/4,

471773, 1/3, 1799, 1/7, 1800, 1/6.

48Rickman (Abstract, f° 1834) a relevé le prix du froment au marché de Windsor, an par an, 1595-1833 (p. li). Plus loin (p. liii) il donne les sépultures enregistrées de 1780 à 1815. On vérifie que les prix et les décès s’élèvent ensemble, notamment en 1793, 94, 95 et 96, en 1800, /01, /08-10, /12.

49En Belgique, de 1830 à /41, suivant la remarque de A. Quetelet, les années /35 et /36, qui sont celles du plus bas prix des blés, sont aussi celles de la moindre mortalité. (Annu. obs. /44. Bull. C. centr. II, 215). Cette abondance ayant accru les Naissances en /36, les décès de /37 en sont accrus au-delà de l’enchérissement du blé.

50A Turin, en 5 ans de bas prix (1828, 30, 34-6), on n’a que 4638 décès ; en 5 ans de cherté (1829, 31, 32, 33, 37), on en compte 5231 (Inform. stat. iv, 505).

51Il est donc avéré qu’il y a mort de faim ou des souffrances que cause la faim pour la partie la plus imprévoyante du peuple, par l’enchérissement des denrées de première nécessité.

52Ce douloureux effet de la cherté des vivres, qui est si frappant dans les villes, a lieu aussi dans les campagnes : mais il y est moins manifeste, parce que la subsistance y est plus facile, que la pénurie du blé y est allégée par d’autres genres d’aliments, et que le paysan, étant à la source de la production, est plus à portée d’en retenir pour sa nécessité, surtout dans les départements où il est propriétaire ; car alors l’enchérissement des denrées ne l’atteint pas directement dans son alimentation, et répare même la diminution du produit par l’élévation du prix de vente. Ce nonobstant, on peut encore vérifier, sur le tableau qui suit, les observations que nous avons présentées sur celui de Messance.

53Il faut, comme nous avons déjà fait, mettre à part les années qui ont été ravagées par des épidémies, 1779 à 84, 1803 à 5, 1819 ? 1832 à 35, 1849.

MOYENNE ANNUELLE du prix du blé en francs, depuis 1772.

MOYENNE ANNUELLE du prix du blé en francs, depuis 1772.

(Ch. Dupin, ctes r. ac. sc. 1836, II, p. 585. Legoyt, Fr. stat. p. liii. Monbrion, Dict. comm. 1838. Ann. Guilln. 1848 et 51. P. II. 369).

  • 8 37 fr. 98 c. en mai.

54Note8

55Ch. Dupin s’étonne que l’accroissement de la mortalité dans les années de cherté ne soit pas plus sensible (ac. sc. ctes. r. t. 2, p. 585 (1836). J’ai déjà noté que cette augmentation est souvent prorogée à l’année suivante. Il faut remarquer aussi qu’en 1816 et 17 les plus cruels effets de la cherté furent paralysés en France par la prodigieuse impulsion que donnait au travail le rétablissement de la paix et de la liberté. Toutefois ils se reconnaissent à la diminution des Mariages et des Naissances, comme l’auteur cité l’a remarqué au même lieu, après Villermé.

56Les provinces vénitiennes, n’ayant pas recouvré leur indépendance, mais restant inféodées à l’industrie allemande, subirent en toute rigueur la schlague de la disette : en 1817, le nombre proportionnel des Décès y fut de 0.96 au-dessus, celui des Mariages de 0.36 au-dessous des nombres de 1815 (Melchior Gioja, Scritti, p. 120).

  • 9 Addison avait remarqué que, lorsque la récolte des blés surpasse d’1/10 la consommation ordinaire, (...)

57Au reste, je reconnais volontiers avec l’économiste français que les progrès de la science administrative, de la liberté du commerce et de la publicité, ont considérablement atténué la terrible influence des disettes, si meurtrières dans tous les siècles précédents. Peut-on craindre de voir en nos jours des hommes « disputer aux animaux leur nourriture « immonde et manger l’herbe des prés, » comme un grave magistrat témoigne l’avoir vu en France, au siècle dernier ? Peut-on craindre des besoins si furieux que les morts soient déterrés et la chair des cadavres vendue au marché ? (Moh. Rech. p. 263.) Non ! grâce à la paix, qui associe les ressources des nations, à la libre circulation des denrées, que facilitent et accélèrent les chemins de fer, aux habitudes de prévoyance et aux notions plus vraies que les gouvernements ont aujourd’hui de leurs devoirs envers les peuples, le spectre hideux de la famine, on peut l’espérer, a disparu pour jamais. Il n’y a même plus de disette en France ; il y a parfois cherté, cherté causée moins par le manque de grains que par la crainte de manquer, et par l’empressement de la spéculation à exploiter cette crainte9. C’est à l’Administration publique de prévenir ou d’amortir ce sentiment funeste, en se faisant informer en temps utile de l’état ou même de l’attente des récoltes, et en abaissant avec une prévoyante promptitude les barrières qui arrêtent l’importation... jusqu’à ce que l’on obtienne enfin qu’elles soient enlevées pour toujours.

58Résumons les trois périodes qui appartiennent à l’empire : l’influence de la cherté est flagrante, surtout si l’on tient compte de l’omission, qui ne peut être contestée, d’une partie des Décès militaires en 1811,1812 et 1813.

59Le docteur Bertillon, comparant les deux premières périodes, fait remarquer qu’il y a « 62 000 D de plus, soit plus de 1/13 pour la période de cherté : et comme cette cause n’a pu agir avec quelque intensité que sur le tiers de la Population au plus, il en résulte que, pour les pauvres, la cherté a augmenté la mortalité de près de 1 /4. Car, quand on veut apprécier un effet, il ne faut compter que ceux qui y ont été soumis. » C’est ainsi qu’il s’exprime dans une thèse inaugurale, qui appartient à la science encore plus qu’à la Faculté, et qui doit rester comme le meilleur résumé des principes de la démographie hygiénique.

60Mêmes remarques sur les deux dernières périodes de la Restauration :

61Quetelet et Smits, dans leurs Recherches, p. 68, ont relevé les Décès des Pays-Bas, pour 1815-1826, en les mettant en rapport avec le prix des grains. Leurs relevés montrent comment le chiffre des morts croît ou décroît selon les années de disette ou d’abondance (Voyez aussi la Statistique nationale d’Ed. Smits).

62Pendant les deux dernières périodes de Louis-Philippe, le prix du blé n’éprouve que de médiocres variations : il reste à un état assez élevé, qui devient presque normal ; et il en est de même des Décès, si ce n’est aux années 1846 et 47, où l’un et l’autre chiffres s’exhaussent brusquement et de front.

63Époque désastreuse, inscrite en caractères funèbres dans les annales de l’humanité ! Un tubercule altéré enlève près de deux millions d’habitants à l’Irlande, qui reproduisait trop vite, et qui, dans sa détresse horrible, tend vainement les bras vers l’opulente Angleterre. En France, le prix du blé s’élève un moment à 0.77 au-dessus de la moyenne des dix années précédentes (de 21 fr. 46 à 38 fr.) ; il est vrai que l’enchérissement moyen en 1847 n’est que de 0.35. C’est assez pour que 21 départements soldent en perte leur mouvement de P ; c’est assez pour que les Décès s’élèvent au chiffre le plus haut qu’ils eussent atteint depuis dix ans, pendant que les Naissances descendent au taux le plus bas des 35 années précédentes. En Bavière, c’est en 47 et 48 que les Décès s’aggravent, que les Naissances diminuent, par comparaison à la moyenne des six années précédentes (Beitr.). En Belgique, les Décès se multiplient, l’accroissement de P s’arrête, N s’affaisse, par la même cherté, qu’aggrave encore le déplacement du travail dans l’industrie linière. Aussi, qui pourrait lire sans en être troublé les pages déchirantes où l’académie belge de médecine expose cet immense désastre ? (V. la thèse précitée.)

64Nous pensons donc que le célèbre économiste a dû revenir de son étonnement, et se convaincre que la misère et la faim n’avaient point abdiqué leur pouvoir homicide.

65La disette tue les faibles, et pousse les forts au mécontentement, aux murmures et à la révolte. La disette a joué un rôle dans toutes les révolutions populaires. C’est un bon soin, bien digne de toutes les investigations de la science et de tous les encouragements du pouvoir, que de trouver l’art de reporter les subsistances alimentaires, des années où elles abondent, sur celles où elles manquent. Les comices feraient plus de bien en poursuivant ce but qu’en tâchant d’augmenter la production agricole, ce qui peut bien accroître la Population sans accroître son bien-être. On a fait diverses propositions, oubliées aussitôt qu’énoncées. Est-il bien sûr qu’aucune ne méritât l’essai public ? Un médecin démographe propose de conserver les grains dans l’acide carbonique, gaz que l’on obtient à très-peu de frais. Pour conserver et renouveler 12 à 15 millions d’hectolitres, ce seraient 25 à 30 millions de francs qu’il en coûterait annuellement à la France. Ne peut-elle faire ce sacrifice pour équilibrer ses approvisionnements, assurer son alimentation et conserver tant de millions d’hommes que toute crise alimentaire moissonne avant le temps ? Bouchardat et Luynes ont affirmé, il y a plus de vingt ans, que l’on obtient un excellent pain en pétrissant ensemble partie égale de blé et de fécule torréfiée et moulue (Ann. hyg. xi. 463). Puisque la fécule se conserve indéfiniment, le procédé Bouchardat et Luynes, s’il est vérifié, ce n’est rien moins que la disette à jamais vaincue. Il faut croire que ces savants, qui pourtant ne sont pas des théoriciens, se sont trompés, puisqu’on n’a pas fait d’immenses magasins de fécule dans tous les arrondissements. Resterons-nous toujours imprévoyants, comme aux temps de notre ignorance ? Devions-nous attendre qu’une cherté désastreuse et prolongée nous vînt secouer, pour nous occuper de la panification en commun (Waet), du riz allié au froment et au seigle (A. Petetin), de la décortication du blé (Bresson), etc. ? Serait-ce trop demander aux pouvoirs publics que l’institution d’une commission permanente, composée d’économistes, d’agriculteurs et d’administrateurs, qui serait chargée de traiter ce grand problème, d’accueillir toutes les ouvertures, d’expérimenter tout projet raisonnable, en un mot de poursuivre l’étude théorique et pratique de cette question capitale, jusqu’à sa complète solution ?

665e Démonstration. Si la Population est frappée accidentellement et de manière que la source des subsistances n’en soit pas fortement altérée, il y a aussitôt après recrudescence de procréation.

67En Prusse, les épidémies de 1709 et de 1710 avaient quadruplé et décuplé les Décès. Le nombre des Mariages double en 1711, les Naissances s’élèvent de 23 977 à 32 572. Après les épidémies de 1736 et 37, l’augmentation de ces deux fonctions, M et N’, a lieu en 1739 (Suessmilch, Gottl. Ord. I, tab. xxi. Ann. hyg. ix, 49.) Le même fait se répète après le choléra de 1831 et 32, bien qu’atténué par la régularisation des mouvements. Les Naissances s’élèvent, en 1834, de 0.11 au-dessus de la moyenne de 15 années, et offrent le chiffre maximum de cette période.

68En France, des épidémies aussi nombreuses, aussi destructives, amenaient les mêmes recrudescences. L’année 1779 clôt en déficit son compte de Population ; les Naissances s’accroissent en 1780, de 33 618. En 1784, effet semblable, après les épidémies qui, en 83, ravagèrent plus de la moitié des généralités.

69Si la violence du fléau est telle que les Naissances ne suffisent pas à combler rapidement les vides qu’il a faits, l’immigration leur vient en aide pour que force reste à la loi. La peste de 1721 avait réduit la Population de Toulon, de 26 ou 30000, à 10 493. En 1762, Messance y trouva, par calcul, plus de 30 000 habitants. Dans l’espace de 40 ans, la faible Population échappée à la mort avait triplé ; elle était remontée même au-dessus du niveau qu’elle tenait avant le passage du fléau destructeur. Marseille, Aix et toute la Provence, encore plus ravagées par la même peste, reproduisent de même leurs habitants, (Relation du consul d’Entrechaux, p. 45, 341 ; Mess. Rech. p. 188, 191, 258).

70Dans le 19e siècle, les soubresauts sont moins brusques, l’effet de la loi moins apparent. Cependant : si l’an 1814 inscrit 98 000 Décès de plus que 1813, ce vide est rempli en 1815 et 16 par 130 000 Naissances de surplus. (Nous ne comptons pas les Naissances de 1814, qui sont surchargées accidentellement par les Mariages forcés de 1813, ou si l’on veut, Mariages à prime d’exemption).

71De 1832 à 35, une terrible mortalité, due principalement au choléra, enlève 227 000 têtes de plus que dans les 4 années précédentes. Les Naissances de 1833-36 dépassent de 75 000 celles de 1829-32. Isolément 1835 donne le chiffre le plus haut que l’on ait inscrit dans ce siècle, excepté en l’année factice 1814.

72Dans le Wurtemberg, en 1834, les Naissances s’accroissent brusquement de 0.16 (Jahrb. Jahrgang).

73Le choléra sévit à Gênes en 1829 : les Naissances de /30 et /31 s’élèvent au-dessus de la moyenne de la période (Balbi Scrilti, I, 128).

74En France, après la mortalité de 1846 et /47, les Naissances s’élèvent, de 38 000 en /48, et encore de 35 000 en /49, où elles arrivent au chiffre le plus haut qu’elles aient atteint depuis 1835.

75On peut suivre cette curieuse loi jusque dans le détail des départements. En 1818, le Finisterre solde en perte par un excès de 5 000 Décès : 1819 lui rend 4 600 Naissances de surplus. En 1832, le Nord perd 8 000 sur son chiffre de Population ; en /33, il gagne 3 000 Naissances. Au même temps la Marne, qui perd 6 000 habitants, gagne seulement 1 000 Naissances. Après cette désastreuse année /47, les départements qui ont essuyé la plus grosse perte, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne, Gers, Eure, Seine-et-Oise, Aube, Oise, Jura, Allier, Finisterre, accroissent en /48 leurs Naissances de 0.050 à 0.110, tandis que l’accroissement moyen de la France n’a été que de 0.033.

76Il est donc bien constant que tout déficit accidentel dans la Population ravive l’énergie de la reproduction ; que toute place vacante est aussitôt remplie ; que toutes subsistances devenues disponibles appellent de nouveaux consommateurs.

77On a pu remarquer que les Naissances qui surviennent en plus atteignent rarement le nombre des Décès qui les ont appelées. Ainsi, en /48 et /49, il n’y a que 57 000 N de surplus pour couvrir P d’un excès de 156000 morts. De même, en /33-36, il n’y avait eu que 75 000 N pour combler 227 000 D. Et cependant P augmente toujours.

78En Prusse, après le choléra de 1831 et /32, qui a augmenté les Décès de 0.30 au-dessus de la moyenne des 10 années précédentes, les Naissances s’augmentent, en 1834, de 0,11.

79De même encore, à Gênes quand une variole épidémique a doublé en 1829 le nombre des Décès, les Naissances ne s’élèvent en 1830 que de 0.0416 au-dessus de la moyenne (Balbi, scritti, I, 130).

80L’explication de ce fait admirable se trouvera plus loin (Liv. III).

816e Démonstration. N est < où la vie est plus longue, et réciproquement.

82Il y a des pays où P s’accroît continûment par ses seules forces, sans accroissement de N : il faut en conclure que cet accroissement de P y est dû à l’accroissement de Vm. Or, l’accroissement de P amènerait naturellement celui de N, si celui-ci n’était arrêté par la limite des subsistances. Il en résulte donc invinciblement qu’il y a une loi naturelle qui arrête l’accroissement de N, ou, ce qui est la même chose, qui diminue le rapport P/N, lorsque le progrès de Vm augmente P. C’est pour cela que nous n’avons pas dit P est proportionné, mais P se proportionne aux subsistances disponibles. C’est la force vitale qui agit sur elle-même pour se contenir. C’est la plus consolante démonstration de l’équation générale des subsistances.

83En France, comme on l’a vu plus haut, p. 47, N oscille depuis au moins 3/4 de siècle autour d’un million. Le nouvel ordre de choses que la grande révolution a légué au xixe siècle, permettant un accroissement continu de la production, surtout depuis que la paix eut rendu au travail toutes les forces vives de la nation, N s’est élevé graduellement jusqu’en 1826 : mais depuis lors il décroît ou se maintient sans accroissement. La dernière période quinquennale, celle qui atteint le milieu de notre siècle, reste au-dessous de ce que nous connaissons de la moyenne du siècle précédent.

84On trouvera au chapitre xi les preuves directes de l’accroissement de Vm, et avec elles le complément de la présente démonstration.

85Cette tendance que nous révèle le mouvement collectif de la France se vérifie aussi sur ses départements. De 1836 à /50 (P. II. n° 43), Jura, Tarn-et-Garonne et plusieurs autres, maintiennent leur Population tout en diminuant N. Une foule d’autres ne cessent de l’accroître nonobstant la même diminution : Hérault, Isère, Haute-Loire, Lot, Seine-et-Marne, Somme, Tarn, Var, Haute-Vienne, Vosges, etc., etc.

86On peut faire la même vérification sur les classes de citoyens : car, les démographes ont depuis longtemps observé que les gens aisés sont à la fois ceux qui vivent le plus longtemps et qui ont le moins d’enfants, tandis que chez les pauvres la mort est plus rapide et les naissances plus nombreuses (Montyon, Messance, Deparcieux, Villermé, Benoiston, Ducpétiaux, Casper).

87La même hâte de tous les mouvements de P a été remarquée chez les habitants des localités marécageuses, la Bresse, la Brenne, la Sologne, la plaine du Forez, les plaines de Hollande, les atterrissements aux bouches des fleuves, etc. (Bossi, Stat. Ain. D’Ivernois, Bibl. univ. litter., t. 52, p. 217. Villermé, Ann. d’hyg. ix). En général, partout où l’espèce humaine est rapidement moissonnée, M et N s’accélèrent à l’envi de D : les adultes passent, et sont remplacés bien vite par des enfants, dont une petite partie seulement parvient à l’âge du travail. C’est pourquoi l’on pourrait ajouter au Catéchisme de Say, comme résumé de la loi des mouvements de Population, cette demande avec sa réponse :

88D. Quelle est la localité où l’on trouve le plus d’enfants ?

89— R C’est celle où ils meurent le plus vite.

90En Belgique, l’accroissement continu de P n’est pas moins constaté ; le tableau des mouvements n’est pas moins instructif (Bull. Comm. centr. II. 208. Exp. sit.).

91N est en diminution, de 1815 à 1835 ; entre /36 et /40, la fièvre industrielle le rehausse, le force, comme disent les jardiniers, depuis lors il décroît continûment. Mais P s’accroît toujours.

92Nous voudrions pouvoir assurer la même diminution de N chez les autres nations : ce nous serait un gage certain de leur progrès dans l’art de vivre. Si M.-Jonnès était homme à citer ses sources, nous répéterions avec lui (Élém. p. 225) que cette diminution a été :

93mais comme il n’indique ni les bases de ses calculs ni les dates auxquelles ils se rapportent, nous ne donnons son assertion que pour ce qu’elle vaudra aux yeux du lecteur. Si les faits officiels viennent lui donner quelque démenti, si, par exemple, en Angleterre ou en Prusse et dans quelques autres pays allemands où le Zollverein fait ses plus grosses levées, on trouve que N s’accroît au lieu de diminuer, on reconnaîtra sans peine que c’est l’effet de l’excitation aveugle de l’industrie dans un état social étouffant, excitation et étouffement qui font renaître les hommes plus vite, précisément parce qu’ils les laissent vivre moins longtemps. Par ce trait notre 6e démonstration se lie à la précédente et ne fait qu’un corps avec elle.

947e Démonstration. Si une compression accidentelle refoule le développement du travail, N décroît brusquement.

95Vous avez vu, p. 47, ce qu’il est arrivé de N sous la compression napoléonienne. Vous avez vu, au même lieu, quel essor lui a imprimé la restauration de la paix, du travail et de la liberté. Résumez, tout le mouvement de N en 4 périodes quindécennales :

96Quelle est celle où la Population, violemment détournée de son but, asservie, découragée, était le moins livrée au travail producteur ? C’est celle où, malgré le fauchage incessant des batailles, il y a eu le moins de Naissances.

97Si l’on nous donnait, ce qui serait facile, l’histoire exacte des villes de grande industrie, quelle précieuse source d’enseignements sur les nécessités respectives du travail et des travailleurs, sur les effets irrésistibles de la concurrence et du chômage, sur les desiderata de la législation !

98Dans le Nouveau-Monde, l’activité humaine, ne trouvant point d’entraves, s’exerce dans toute son amplitude ; l’instrument de travail y est jusqu’à présent à la portée de tous : aussi la fécondité dépasse l’imagination. On ne doit plus s’en étonner quand on en a reconnu la cause ; et l’on peut aisément prévoir le terme où cette fécondité commencera à rétrograder.

998e Démonstration. Dans les pays où P s’accroît encore, l’accroissement diminue à mesure que la densité augmente, sans que pour cela P/D devienne pire.

100La Population s’accroît moins à mesure qu’elle est plus serrée (chap. ii) : ce n’est pas que la mortalité s’accroisse, c’est que les naissances se règlent, — sur la disponibilité de l’instrument de travail.

101La série presque entière des périodes françaises révèle cette heureuse loi (p. 47). L’accroissement de P devient plus lent, notamment après 1825, lorsque la grande fougue de l’essor industriel commence à se calmer. Mais la mortalité, loin de s’aggraver, s’allège.

102Que nous sommes loin, même dans la dernière période quinquennale, si cruellement éprouvée, que nous sommes loin de cette mortalité du 18e siècle, qui dépassait 1 sur 30 !

103Voyez aussi le mouvement belge (p. 76 ci-dessus) :

104Nous ne savons comment A. Quetelet, que nous tenons pour le prince des démographes vivants, a pu écrire que la mortalité ne diminue pas dans son pays. C’est une distraction, qui l’a fait glisser sur le terrain des tables de survie (V. ci-après ch. vii).

1059e Démonstration. La valeur échangeable du blé reste invariable, malgré ses fréquents changements de prix.

106Si la Population s’accroissait plus rapidement que les subsistances, la substance qui est la base universelle de l’alimentation étant de jour en jour plus demandée, subirait un enchérissement inévitable et progressif. Si, au contraire, les subsistances s’accroissaient plus vite que la Population, la valeur réelle du blé s’abaisserait graduellement et continûment, — sauf les variations accidentelles des récoltes, qui disparaissent dans la série des périodes.

  • 10 J. écon., t. xxxiv, p. 321 ; Dict. écon. Rente.

107Quant au fait principal sur lequel s’appuie cette démonstration, il résulte de longues recherches sur la valeur respective des monnaies et des produits qu’elles représentent. Nous n’avons pas fait ces recherches. C’est sous la responsabilité d’H. Passy10 que nous en rapportons la conclusion.

(V. la Correspondance à la fin du volume, la lettre au professeur J. Garnier, les deux lettres à l’économiste Du Puynode, docteur en droit ; voy. surtout la lettre du docteur A. Bertillon, qui étudie la mesure des consommations, l’influence de leur mouvement et de leur progrès sur la durée de la vie, et fixe le sens du mot disponibles dans la formule de l’équation des subsistances.)

108Nous ne rapporterons pas ici les observations zoologiques très-connues, qui généralisent la loi que nous venons de démontrer pour la race humaine. Chez les animaux, la lenteur de l’accroissement est proportionnelle à la durée de la vie, et la fécondité des espèces est en raison directe de leur abaissement sur l’échelle animale. On en retrouve même une image chez les végétaux. L’arbre, qui doit vivre plusieurs années, ne fleurit ni la première ni la seconde, et sa fleur n’a qu’un nombre de graines fort limité. Les carpels à graines très-nombreuses appartiennent surtout aux plantes herbacées, humbles êtres qui chargent et épuisent la terre beaucoup moins que les princes du règne, et dont la vie ou au moins la tige ne dure qu’une saison (pavot, réséda, solanées, caryophyllées). Enfin personne ne peut dénombrer les milliards de sporules émanant des feuillets d’un champignon, qui se développe dans une heure d’humidité, et succombe au premier rayon de soleil.

scholie qui résume le chapitre iv

109La Population est, par rapport aux récoltes annuelles, comme une plante aquatique de belle venue, une Algue, un Potamot, qui occupe entièrement l’eau d’un bassin à niveau mobile et inconstant, et qui, selon la loi de végétation, remplace chaque année par de nouveaux bourgeons ceux qui ont accompli leur évolution. Quand le niveau de l’eau s’élève, la plante, incessamment vigoureuse, donne avec plus d’abondance des pousses nouvelles, qui garnissent en peu de temps l’eau surajoutée. Quand le niveau s’abaisse, les rameaux qui restent à nu, se dessèchent, périssent et ne sont pas remplacés.

110N’est-il pas manifeste que l’institution de la société et de son gouvernement, si elle est conforme aux vœux de la nature, de la morale et de l’humanité, a pour but essentiel, peut-être pour but unique, d’affaiblir graduellement les inconstances du niveau, et, s’il est possible, de le fixer ?

Notes

1 J. des écon. / 53, p. 484.

2 Il ne faut pas entendre par subsistances les seuls aliments, non de solo pane vivit homo, sed de omni verbo quod procedit ex ore Dei. On doit prendre ce mot plus au large, et l’appliquer à toutes les conditions au moyen desquelles l’homme subsiste, ce qui comprend, outre l’alimentation et les boissons, le vêtement, le couvert, l’air même que l’on respire. Et l’on n’en doit pas exclure les conditions morales, qui, elles aussi, concourent à sustenter l’homme, et au premier rang desquelles il faut compter la vertu, la joie des bonnes actions, la sécurité que donne l’ordre public appuyé sur la liberté.

3 Du Puynode après Malthus : « La population peut être surabondante ; nous peuplons au-delà des subsistances ; il est prouvé que la production des aliments ne suit pas celle de P. » J. écon. /54. t. 4. p. 11, 21, 29, 32. Voy. les lettres à la fin de ce volume.

4 Pseud. Moheau, Rech. et cons. sur la Population de la France.

5 Selon Expilly (Dict. de la Fr. in f°, 1763), il n’y avait, en valeur, par labours, prés et vignes, que 37 600 000 arpents = 128 000 kilom. c. Aujourd’hui il y a 230 000 k. car. (Stat. Fr. ibid.) La production a gagné moitié moins que la mise en valeur, soit parce que l’art de cultiver, a peu progressé chez les petits propriétaires, qui sont les plus nombreux, soit surtout parce que les terres anciennement en valeur étaient les meilleures.

6 Moins Lombardie.

7 Ce chiffre comprend tous les Décès militaires, même d’étrangers ; on sait trop pourquoi il fut extraordinairement grossi cette année.

8 37 fr. 98 c. en mai.

9 Addison avait remarqué que, lorsque la récolte des blés surpasse d’1/10 la consommation ordinaire, le blé tombe à moitié prix (Spectateur, n°200). Il est encore plus vrai que, lorsque la récolte est de 1/10 au-dessous de la consommation ordinaire, le prix s’élève de moitié. Rapprochez des listes que nous venons de donner le tableau Céréales, p. liii de la Fr. stat., par A, Legoyt.

10 J. écon., t. xxxiv, p. 321 ; Dict. écon. Rente.

Table des illustrations

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Titre « PRIX SUR LE MARCHE DE PARIS, du septier du meilleur bled, mesure de Paris, du poids de 240 livres, calculé à 54 liv. 6 s. le marc, suivant sa valeur en 1765. »
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Titre MOYENNE DES TAXES DU PAIN BLANC de 1re qualité à paris. (Coll. off. ord. de police, t. 3, 817, t. 5 ; Ord. et arrêtés du pr. de pol. Rech. stat. sur Paris, t. 2, n° 53 ; B. des lois, Ann. Long.)
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Titre MOYENNE ANNUELLE du prix du blé en francs, depuis 1772.
Légende (Ch. Dupin, ctes r. ac. sc. 1836, II, p. 585. Legoyt, Fr. stat. p. liii. Monbrion, Dict. comm. 1838. Ann. Guilln. 1848 et 51. P. II. 369).
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