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Un panel français

 | 
Emmanuelle Duwez
, 
Pierre Mercklé

Partie III . Explorer : nouvelles méthodologies, nouvelles questions

Chapitre 12

L’Union européenne à la carte

Clarisse Didelon-Loiseau, Claude Grasland et Hugues Pécout

Texte intégral

Introduction

  • 1 Claude Grasland, Clarisse Didelon-Loiseau, équipe GlocalMap, équipe Elipss [auteurs], Hiérarchisati (...)

1L’enquête Hiérarchisation, délimitation et identification des échelles territoriales (GlocalMap1) cherche à comprendre la façon dont les territoires sont habités, pratiqués et imaginés par les habitants, du niveau global (monde, Europe, etc.) au niveau local (région, département, commune, quartier). Son objectif est de dresser un tableau de la relation qu’entretiennent les habitants de France métropolitaine avec les territoires dans un contexte d’accroissement de la complexité territoriale, c’est-à-dire de multiplication des échelons de l’action publique territoriale et des formes de concurrence qui peuvent exister entre eux. Conçue par des géographes, cette enquête s’intéresse spécifiquement à la géométrie des territoires politiques et identitaires, notamment à leurs limites et aux valeurs et sentiments d’appartenance qui peuvent y être attachés. Après avoir situé l’enquête GlocalMap dans l’ensemble des enquêtes déjà produites sur la perception de l’Union européenne (UE), ce chapitre se focalisera sur deux hypothèses qui ont conduit à la mise en place de dispositifs originaux dans la réalisation et l’exploitation du questionnaire.

2La première hypothèse concerne l’interdépendance entre les appréciations portées par les citoyens sur le rôle des maillages territoriaux de différentes échelles en matière de politiques publiques, et plus généralement d’organisation de la vie en société. Un jugement positif ou négatif sur le rôle du niveau européen ne peut être compris de façon isolée, mais doit être confronté aux jugements positif ou négatif portés sur les autres niveaux, qu’il s’agisse du quartier, de la commune, de l’intercommunalité, du département, de la région, de l’État ou du monde. Les débats théoriques suggèrent que l’appréciation des niveaux territoriaux peut dessiner des oppositions entre niveaux locaux et globaux, anciens ou récents, voire mettre à jour des systèmes plus complexes d’alliances et d’oppositions entre niveaux intermédiaires et niveaux extrêmes (Rey, 1984 ; Grasland, 1997 ; Brenner, 1998 ; Brenner, 2004 ; Antheaume et Giraut, 2005 ; Vanier, 2009).

3La seconde hypothèse concerne la variabilité des réponses à la question sur les contours souhaitables d’une entité territoriale, selon qu’elle est posée sous forme sémantique (liste de noms de lieux) ou sous forme géométrique (cartographie d’un espace). Appliquée à la fois aux limites de l’UE et à la réforme territoriale des régions françaises, cette hypothèse a pu être testée grâce aux nouvelles fonctionnalités cartographiques de la tablette du panel* Elipss, qui avaient été mises au point par les ingénieurs de Dime-SHS lors d’une enquête antérieure conduite par Ettore Recchi sur les space-sets (cf. chapitre 11). En partitionnant le panel en deux groupes tirés au hasard, il est possible de tester s’il existe des différences significatives* de rattachement ou d’exclusion des pays de l’UE selon les modalités d’enquête. Il s’agit d’un enjeu théorique et méthodologique important pour les recherches sur les cartes mentales (Gould et White, 1974 ; Kitchin, 1994 ; Lynch, 1960).

I. L’Europe comme objet géographique

4Les enquêtes portant sur le positionnement des citoyens vis-à-vis de l’UE sont nombreuses et menées par différents types d’acteurs, notamment la Commission européenne elle-même, mais aussi les chercheurs issus des sciences politiques et les médias, le plus souvent dans des contextes électoraux ou lorsque l’UE fait face à des crises. Si ces enquêtes sont aussi nombreuses, c’est que la construction de ce niveau territorial pose de singuliers défis, notamment en ce qui concerne l’adhésion de la population et la légitimation de l’action de l’UE. Les enquêtes réalisées sur l’UE sont également très variées selon les manières de considérer cet objet.

5Une première grande famille d’enquêtes, sans doute la plus importante numériquement, porte sur l’adhésion au projet européen et l’émergence d’une identité européenne. Ce type de questionnement s’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur la légitimité de l’UE et, plus généralement, sur le processus politique d’européanisation (Featherstone et Radaelli, 2003). Les études sur l’identité européenne permettent également d’analyser le processus de construction d’une identité commune, comme le fait par exemple Jacques Beauchard (2007). Dans cette perspective, les chercheurs s’interrogent sur l’apparition d’individus déclarant une identité supranationale. L’UE est alors considérée comme un projet ou comme un référent identitaire, mais sa dimension géographique est rarement prise en compte. Elle est le plus souvent étudiée de façon isolée, indépendamment des autres échelons territoriaux de niveau supérieur (monde) ou inférieur (État, région, etc.). En outre, le vocabulaire utilisé dans les questions confond souvent l’espace flou aux frontières fluctuantes associé au terme « Europe » et le territoire institutionnel concret et borné de l’Union européenne. C’est le cas dans les enquêtes de l’Eurobaromètre, mises en place depuis les années 1970 et qui sont l’un des matériaux les plus employés dans ces analyses.

6Une deuxième grande famille d’enquêtes correspond davantage à la première hypothèse, puisqu’elle interroge sur l’appréciation de l’UE en tant que maille territoriale confrontée à d’autres niveaux scalaires de gouvernance ou d’identité, en particulier les États. Ici, la question a souvent un caractère plus explicitement spatial, puisque l’objectif énoncé est de comparer le poids des différents niveaux géographiques dans les représentations des individus enquêtés. C’est le cas par exemple de l’enquête Eurobaromètre 87.12, commanditée en 2017 par le Parlement européen. Il était demandé aux personnes enquêtées d’indiquer leur degré d’attachement à quatre niveaux territoriaux labellisés ainsi : ville ou village, région, pays et Union européenne. Si ce type d’enquêtes est fondé sur des questionnements identiques à ceux présentés ici, il s’intéresse le plus souvent à la concurrence entre les mailles de manière implicite, puisque les questions sont posées de façon séquentielle et non pas simultanée. De fait, les résultats sont le plus souvent analysés en positionnant les réponses obtenues par échelon dans les différents pays européens et tentent d’apporter des éléments d’explication en lien avec l’organisation politique des États (fédéralistes ou centralisés) ou leur histoire politique et économique. À partir des résultats de ces enquêtes, certains auteurs développent des théories sur des identités emboîtées qui se renforceraient les unes les autres (Medrano et Gutiérrez, 2001), tandis que d’autres y voient le signe d’une compétition et d’un rééchelonnement des niveaux d’attachement territorial sous l’impact de la mondialisation néolibérale (Brenner, 2004).

7La troisième grande famille d’enquêtes porte plus spécifiquement sur la dimension spatiale de l’UE. Ces enquêtes – ou, plus souvent, ces questions au sein d’enquêtes plus larges – s’inscrivent généralement dans le contexte de l’élargissement de l’UE et portent sur l’acceptabilité, pour les citoyens de différentes nationalités, de l’entrée de nouveaux pays membres. Elles sont généralement posées par les chercheurs en sciences politiques (Rupnik, 2004), mais aussi par des géographes (Drevet, 2004). La plupart privilégient l’interrogation en mode sémantique (« Souhaitez-vous que le pays X [ne] fasse [pas] partie de l’Union européenne ? ») et ne cartographient les résultats qu’a posteriori. La dimension cartographique, lorsqu’elle est présente, concerne surtout la représentation de la variabilité des réponses au sein de l’espace européen, plutôt que les limites ou l’extension spatiale de l’Europe telles qu’elles semblent acceptables pour les populations. Il existe cependant d’autres enquêtes qui introduisent explicitement une dimension spatiale dans la question des représentations des villes (Gould et White, 1974 ; Lynch, 1960) ou du monde (Saarinen, 1988). Appliquées au cas de l’Europe, de telles analyses cartographiques permettent de mesurer à la fois le degré de connaissance, à travers des cartes tracées à main levée (Sudas et Gokten, 2012), et la variabilité de la perception de l’Europe, à travers le tracé de ses limites sur un fond de carte préexistant (Didelon, 2010 ; Didelon, 2011). On peut alors recouper ces perceptions spatiales avec d’autres dimensions des représentations, telles que l’attraction-répulsion des pays du monde ou le choix des mots associés à l’Europe (Didelon-Loiseau et Grasland, 2014).

8Cet inventaire non exhaustif des enquêtes portant sur les représentations de l’UE vise surtout à souligner la diversité des approches possibles et de mieux situer les enjeux des deux hypothèses testées à travers l’enquête GlocalMap : d’une part, il s’agit d’élargir le champ d’analyse des systèmes de niveaux territoriaux du local au global, en ne se focalisant pas sur les oppositions binaires UE-État ou local-global ; d’autre part, il s’agit d’examiner la dimension spatiale des représentations de l’Europe, non pas en tant que variables* interprétatives mais en tant qu’objet même du questionnement.

II. L’union européenne au sein d’un système de mailles

9Le dispositif d’enquête choisi pour évaluer l’interdépendance des appréciations sur les différents échelons territoriaux supposait de maximiser les interactions systémiques entre les choix faits par la personne enquêtée, que ces interactions aboutissent à des associations (« Je porte le même avis sur les niveaux A et B ») ou à des oppositions (« Je donne des avis opposés sur les maillages A et C »). La question relative au renforcement, au statu quo, à la diminution ou à la suppression de 8 niveaux territoriaux couvrant toute la gamme des échelons territoriaux français est donc posée sur un seul écran. On peut discuter le motif retenu (« Pour une meilleure efficacité de l’action publique ») et objecter que les 2 échelons extrêmes (quartier et monde) n’ont pas le même statut ou la même légitimité que les 6 autres en matière de production concrète de politiques publiques. Il existe néanmoins des actions politiques réalisées à ces niveaux extrêmes. Surtout, il apparaissait plus opportun, si on voulait mettre au jour des systèmes d’opposition partisane sur des sujets concrets, de questionner la perception des maillages du point de vue de l’action plutôt que du point de vue de l’attachement ou de l’identité. En effet, les questions suivantes de l’enquête GlocalMap déclinent des thèmes spécifiques de politique publique (alimentation, sécurité, environnement, etc.) pour lesquels les personnes enquêtées précisent les 3 niveaux d’action qu’elles jugent les plus pertinents, ce qui permet d’affiner le jugement global porté dans la question initiale.

  • 3 Il serait intéressant, dans une enquête ultérieure, de scinder le panel en deux échantillons aléato (...)

10La disposition des modalités des choix peut sembler, de prime abord, contre-intuitive, puisqu’elle brise l’ordre attendu (figure 1). Mais elle force les personnes enquêtées à réfléchir davantage et évite que le jugement porté se fasse sur une échelle ordinale continue allant du plus négatif au plus positif. Il est en effet très important, dans le cas du fameux « mille-feuille territorial » français, de bien distinguer les réponses visant à une simple évolution graduelle de la situation existante (« renforcé » ou « diminué ») et celles qui impliquent soit une prise de position radicale (« supprimer »), soit un maintien du statu quo (« gardé en l’état »). Cette inversion de l’ordre habituel des modalités de réponse a sans doute aidé à mieux mettre en valeur l’opposition entre des positionnements radicaux et des positionnements réformistes3.

Figure 1. Capture d’écran de la question posée au panel

Figure 1. Capture d’écran de la question posée au panel

Source : application Elipss, 2018.

1. Des styles de réponse différenciés et typés socialement

  • 4 Nous avons choisi de conserver ces 61 réponses dans l’analyse en ajoutant la modalité « garder en l (...)

11Sur 2 382 individus concernés par la question, seuls 37 n’ont répondu à aucun des items et ont, en pratique, refusé de se prononcer ; 28 autres ne se sont pas prononcés sur au moins 2 items et 61 se sont prononcés sur 7 des 8 items4. Ce sont donc 2 256 individus, soit près de 95 % de l’effectif, qui ont donné un avis sur chacun des 8 niveaux, ce qui apparaît remarquable pour une question a priori complexe. L’analyse des styles de réponse ne révèle pas de biais* majeur en fonction de l’âge, du niveau de diplôme et des régions géographiques de sondage. Mais elle met en valeur deux biais mineurs fréquents dans ce type d’enquête :

  • d’une part, un biais de connaissance et de mobilisation, qui conduit les personnes déclarant s’intéresser à la politique à fournir des réponses plus différenciées, c’est-à-dire à significativement moins utiliser la modalité statu quo et à beaucoup plus fréquemment employer les modalités « diminuer » et « supprimer » ;
  • d’autre part, un biais de genre qui se traduit par une tendance des femmes à sur-représenter* les réponses en faveur du statu quo et à sous-représenter* la modalité « supprimer ».

12Si ces biais sont statistiquement significatifs, ils ne sont toutefois pas de nature à affecter sensiblement l’interprétation des réponses et ne nécessitent pas de redressement* particulier.

2. Diminuer le rôle du niveau européen sans le supprimer ?

13Le premier intérêt de l’approche systémique est d’évaluer les appréciations de chacun des maillages, non pas de façon isolée mais relativement les uns aux autres (tableau 1). Ainsi, la commune apparaît très nettement comme le niveau que les personnes ayant répondu à l’enquête déclarent vouloir le plus renforcer (56 %) pour une meilleure efficacité de l’action publique, alors que moitié moins de personnes souhaitent renforcer le niveau européen (28 %) ou le niveau mondial (27 %). Pour autant, on ne trouve que 10 % de personnes souhaitant supprimer le niveau européen, ce qui est moins élevé que le score du niveau intercommunal (15 %). C’est surtout la volonté de diminuer le rôle de l’UE (27 %) qui singularise ce niveau territorial par rapport aux autres, ainsi que le relativement faible nombre de partisans du statu quo (35 %).

Tableau 1. Appréciations moyennes (%) des maillages territoriaux en France en septembre 2017

Tableau 1. Appréciations moyennes (%) des maillages territoriaux en France en septembre 2017

14Les questions suivantes, qui portent sur les domaines d’intervention de ces niveaux, montrent que, en matière de légitimité d’action, l’UE apparaît aux yeux des Français comme l’un des niveaux territoriaux les plus pertinents pour « défendre les droits de l’homme » et « prévenir les crises financières ». Toutefois, elle est toujours citée derrière l’État et, pour d’autres thèmes à dominante plus sociale (par exemple, « lutter contre le chômage » et « assurer la protection sociale »), sa légitimité semble particulièrement faible. L’État est, quoi qu’il en soit, la maille dans laquelle les enquêtés semblent toujours placer le plus d’attentes.

15Ce type de comparaison entre les appréciations des niveaux territoriaux fournit sans nul doute des résultats intéressants, mais il y manque un aspect essentiel, qui est la dimension systémique des réponses données par les individus auxquels il est demandé de porter un jugement sur des territorialités concurrentes. Ainsi, le fait de vouloir « garder en l’état » le rôle de l’Europe n’a pas le même sens selon que la personne a simultanément souhaité diminuer l’ensemble des autres niveaux, renforcer l’ensemble des autres niveaux ou combiner des renforcements et des diminutions de niveaux. L’avis sur un item doit donc être relativisé par l’avis sur l’ensemble des autres items.

3. Associations et oppositions binaires entre niveaux territoriaux

16L’hypothèse d’interdépendance entre les réponses aux différents items peut en premier lieu être appréhendée sous l’angle des corrélations* positives ou négatives entre les réponses. La transformation des quatre modalités qualitatives (« supprimer », « diminuer », « garder en l’état », « renforcer ») en variable quantitative* ordinale (respectivement -2, -1, 0, 1), suivie du calcul d’un coefficient de corrélation linéaire pondéré* par le poids des individus dans l’enquête, fournit une première visualisation saisissante des associations et des oppositions très nettes qui relient certains maillages territoriaux (figure 2).

Figure 2. Associations et oppositions privilégiées entre niveaux territoriaux

Figure 2. Associations et oppositions privilégiées entre niveaux territoriaux

Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 2 307). Méthode : coefficient de corrélation linéaire de Pearson pondéré par le poids des individus. Ne sont représentées que les corrélations positives ou négatives dont le test de significativité est inférieur ou égal à 5 %. Lecture : les corrélations positives signalent des associations de jugements identiques (par exemple, les individus qui souhaitent renforcer le niveau communal souhaitent aussi renforcer le niveau départemental ; ceux qui souhaitent supprimer ou diminuer le niveau communal souhaitent généralement aussi supprimer ou diminuer le niveau départemental). Les corrélations négatives mettent en évidence des associations de jugements opposés (les individus qui souhaitent renforcer la commune souhaitent diminuer ou renforcer le niveau européen, et réciproquement).

Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.

17Les corrélations positives les plus significatives relient des niveaux dont l’appréciation est similaire dans l’esprit des personnes enquêtées, qu’il s’agisse de les supprimer, de les diminuer ou de les renforcer. Cela concerne en premier lieu la paire UE-monde (r = 0,50 ; p < 0,001) et la paire commune-département (r = 0,38 ; p < 0,001), reliées entre elles par des corrélations négatives également très significatives. Les autres niveaux territoriaux se rattachent à l’un ou l’autre de ces deux pôles structurants : l’intercommunalité et la région sont plutôt associées positivement aux deux niveaux globaux, tandis que le quartier est corrélé positivement aux niveaux locaux de la commune, du département mais aussi de l’intercommunalité. On observe que le niveau national occupe une position intermédiaire. Il serait plutôt corrélé aux niveaux supérieurs (Europe, monde), sans pour autant s’opposer aux niveaux infranationaux puisqu’il est souvent corrélé positivement à la commune ou au département.

4. Trois oppositions structurant les attitudes des Français

  • 5 Les trois premiers axes de l’ACM totalisent 28,4 % de la variance totale (respectivement 12,5 %, 8, (...)

18Bien qu’elle soit très éclairante en première analyse, la mesure quantitative des corrélations introduit une perte d’information critiquable en fixant arbitrairement l’effet singulier de la modalité qualitative « supprimer », pour en faire un simple renforcement de la modalité « diminuer ». S’agissant d’une enquête qui a eu lieu quelques mois seulement après les élections présidentielles de mai 2017, on ne peut faire l’impasse sur le fait qu’une grande partie du débat électoral s’est précisément focalisée sur la question des relations entre la France et l’UE, à un moment où l’attrait du Brexit aux yeux d’une partie de la population française se trouvait fortement amoindri. Dès lors, il apparaît beaucoup plus judicieux d’entreprendre une synthèse des appréciations des individus à toutes les échelles en conservant l’ensemble des réponses sous leur forme initiale, en quatre modalités qualitatives. On peut alors effectuer une analyse des correspondances multiples* (ACM) qui met à jour trois dimensions structurantes5 des attitudes de réponse face au système des maillages territoriaux (figure 3) :

  • l’opposition entre partisans du statu quo et partisans d’une évolution est clairement la première dimension structurante des réponses. Elle correspond à ce que l’on peut interpréter soit comme une résistance au changement, soit comme un attachement à la complexité territoriale, soit enfin comme une non-réponse déguisée et une absence d’opinion ;
  • l’opposition entre maillages globaux et maillages locaux constitue la deuxième dimension fondamentale de l’organisation des réponses. Elle oppose globalement les échelons nationaux et supranationaux aux échelons locaux et infranationaux. Elle ne suit toutefois pas strictement l’ordre des échelles et oppose secondairement les maillages administratifs hérités de la Révolution française (commune, département) aux maillages plus récents issus des réformes territoriales et des lois de décentralisation (intercommunalités, régions) ;
  • l’opposition entre partisans de l’évolution et partisan de la suppression des niveaux territoriaux dessine une troisième ligne de différenciation entre des réponses qui envisagent des ajustements limités (diminution de certains maillages et renforcement d’autres) et d’autres qui préconisent une réforme territoriale radicale (suppression de plusieurs niveaux de maillages, y compris celui de l’État).

Figure 3. Principaux facteurs de différenciation des attitudes des Français concernant huit échelons territoriaux d’action de politiques publiques

Figure 3. Principaux facteurs de différenciation des attitudes des Français concernant huit échelons territoriaux d’action de politiques publiques

Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n =2 307). Méthode : analyse des correspondances multiples effectuée avec la procédure MCA du package FactomineR. Lecture : les modalités proches dans les plans factoriels sont souvent associées (par exemple, supprimer la commune et supprimer le département). Les modalités situées dans des positions opposées ne sont généralement pas associées (renforcer le niveau européen et renforcer le niveau communal). Ainsi, l'axe 1 oppose les partisans d'un statu quo général (regroupement des modalités « garder en l'état » à gauche) aux partisans de modifications (regroupement des autres modalités à droite) et peut s'interpréter soit comme une mesure de l'aversion au changement, soit plus probablement comme une expression de l'intérêt des personnes pour la question, voire comme une autoévaluation de leur capital de légitimité à se prononcer sur le sujet.

Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.

  • 6 La CAH de Ward effectuée sur les axes de l’ACM présente une forte décroissance d’inertie au niveau (...)

19La combinaison de ces trois dimensions principales (mais aussi d’autres différences secondaires présentes sur les axes* suivants) permet de dégager clairement6 six grands types de réponses définissant des familles de positionnements typées socialement et politiquement face à la question des échelons territoriaux et de l’action publique.

5. Le jeu des six familles

  • 7 Il était en effet tentant d’utiliser, par exemple les termes « ancien » ou « moderne » pour opposer (...)

20Afin d’éviter de stigmatiser un groupe social ou d’introduire une interprétation prématurée des résultats, il est important de choisir les termes les plus simples et les plus neutres possibles pour caractériser les six classes7. En conséquence, deux critères mis en évidence par les analyses précédentes ont été combinés : le style de réponse (« exclusifs », « défenseurs », « uniformes ») ; la préférence pour les niveaux locaux issus de la Révolution française (I) ou pour les niveaux globaux issus des réformes territoriales et des lois de décentralisation (II) [figure 4].

Figure 4. Typologie des d’attitude des Français concernant huit échelons territoriaux d’action de politiques publiques

Figure 4. Typologie des d’attitude des Français concernant huit échelons territoriaux d’action de politiques publiques

Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n =2 307). Lecture : concernant le niveau européen, les personnes appartenant au type « exclusif I » souhaitent majoritairement le supprimer, alors que les personnes de type « défenseurs I » souhaitent le diminuer sans le supprimer. Les personnes de type « uniformes I » sont partisanes du statu quo. Les personnes de type « uniformes II » sont, au contraire, majoritairement pour le renforcement du niveau européen.

Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.

  1. Le type « uniformes I : statu quo » (n = 676) est caractérisé par la sur-représentation de la réponse « ne rien modifier » pour l’ensemble des niveaux territoriaux, ce qui incite à le rattacher au type I, qui défend les maillages les plus anciens. Ce groupe sur-représente nettement les personnes ayant un intérêt nul pour la politique (17,8 %, contre 12,5 % dans l’ensemble de l’échantillon8), ainsi que les femmes (59 %, contre 50 %)
  2. Le type « uniformes II : renforcé » (n = 473) est caractérisé par le souhait de renforcer l’ensemble des maillages territoriaux, y compris les plus récents et les moins appréciés en général, tels que l’UE ou la région, ce qui incite à le rattacher au type II. On y retrouve une sur-représentation des femmes, des plus jeunes (18-34 ans) et des personnes faiblement diplômées (31 % contre 26 % en moyenne).
  3. Le type « exclusifs I : local » (n = 178) est caractérisé par le souhait de supprimer tous les échelons globaux (Europe, monde) ou issus des réformes territoriales (intercommunalité, région) et de renforcer les échelons de la commune (75 %, contre 56 %) et du département (49 %, contre 39 %). On y trouve même 22 % de partisans de la suppression du niveau de l’État, contre 2 % dans l’ensemble de l’échantillon*. Nettement plus masculin que la moyenne (63 %, contre 50 %), ce groupe se caractérise avant tout par un niveau d’étude bas (38 % de sans diplôme ou inférieur au CAP) et par un autopositionnement politique plus fréquent à l’extrême droite (32 %), associé à un faible intérêt pour la politique. L’appartenance à ce groupe n’est pas liée à un niveau urbain, mais elle est sur-représentée dans la zone d’étude et d’aménagement du territoire (Zeat) Méditerranée9 et sous-représentée en Île-de-France.
  4. Le type « exclusifs II : réformes » (n = 261) est à peu près symétrique du précédent, puisqu’il concerne des individus qui souhaitent sans ambiguïté supprimer les maillages locaux traditionnels (quartier, commune, département) au profit d’un renforcement des maillages issus des réformes territoriales (intercommunalité, région) et du niveau européen. Ces individus sont intéressés ou très intéressés par la politique (81 %, contre 54 %) et sont sur-représentés parmi les diplômés du supérieur (46 %, contre 32 %), les hommes (67 %, contre 50 %) et les plus de 65 ans (39 %, contre 22 %). Ils ne se rattachent pas à une région particulière, et sont caractéristiques des habitants des métropoles de plus de 200 000 habitants mais pas de l’agglomération parisienne proprement dite.
  5. Le type « défenseurs I : local » (n = 463) regroupe des individus qui souhaitent nettement diminuer les pouvoirs des niveaux globaux (monde, Europe), de l’État et des nouveaux maillages (région, intercommunalité) au profit des niveaux les plus locaux, en particulier la commune ou le département et à un moindre degré le quartier. Ces individus se différencient du type « exclusifs : local » par le fait qu’ils ne souhaitent diminuer le pouvoir des niveaux supérieurs sans pour autant vouloir les supprimer. Ce type est plutôt sur-représenté chez les répondants vivant dans les petites villes de moins de 20 000 habitants (24 % contre 18 %), âgés de 35 à 49 ans, ayant un diplôme de niveau bac + 2 et déclarant un intérêt nul ou faible pour la politique.
  6. Le type « défenseurs II : intercommunalité/global » (n = 266) est symétrique du précédent. Tout en excluant les modalités de suppression, il concerne des individus qui privilégient le renforcement de l’Europe, du monde et des intercommunalités. Inversement, ces derniers souhaitent réduire le rôle de tous les maillages administratifs locaux, qu’il s’agisse des niveaux anciens (commune, département) ou récents (quartier, région). On y retrouve des caractéristiques du type « exclusifs : réformes », telles que la sur-représentation des hommes, des diplômés du supérieur, des plus de 65 ans et des personnes déclarant un intérêt élevé pour la politique. Mais, à l’échelle de la hiérarchie urbaine, c’est l’agglomération parisienne qui est sur-représentée (28 % contre 19 %) et non plus les métropoles provinciales.

6. Apports méthodologiques et limites

21La méthode typologique utilisée ici est analogue à celle employée, par exemple, par Gire et al. (2007) pour étudier les pratiques de loisirs des Français et repose sur la même hypothèse d’existence de profils types bien différenciés, que l’on ne pourrait pas observer en étudiant séparément chacune des réponses apportées. Ce sont ces types qu’il convient de croiser avec les variables de cadrage et les variables explicatives*, comme nous l’avons fait dans le tableau 2.

22L’analyse des corrélations les plus significatives entre la typologie des niveaux territoriaux et les variables explicatives retenues met en valeur trois facteurs étroitement corrélés entre eux : le revenu, le niveau de diplôme et l’intérêt pour la politique. La typologie est également assez fortement liée au genre (positionnement plus modéré des femmes) et à l’âge, ou plutôt à la génération (les personnes qui avaient entre 20 et 30 ans dans les années 1980 sont les plus favorables à l’UE, aux régions et aux intercommunalités). Il semble en revanche y avoir peu d’effet du positionnement droite-gauche ou du niveau urbain, et aucun effet régional significatif.

Tableau 2. Caractéristiques des individus en fonction de leur type d’attitude face aux maillages territoriaux en France (septembre 2017) (%)

Tableau 2. Caractéristiques des individus en fonction de leur type d’attitude face aux maillages territoriaux en France (septembre 2017) (%)

Tableau 2. suite

Tableau 2. suite

III. L’espace de l’Union européenne

23Cette troisième partie se concentre sur l’analyse des questions portant explicitement sur la dimension spatiale de l’UE. Les différentes enquêtes évoquées (partie I) ont soulevé des questions méthodologiques portant sur la manière d’interroger les individus à propos de l’espace géographique : les espaces obtenus sont marqués par une forte contiguïté. Pour l’UE par exemple, la Suisse est toujours incluse, le Royaume-Uni parfois oublié quand les enquêtés suivent le trait de côte ; si la Grèce est intégrée, alors tous les pays des Balkans le sont, etc. Cette observation interroge sur l’influence de la carte et sur les processus psychologiques à l’œuvre dans la sélection des unités spatiales, selon le type de support utilisé. Cela soulève des enjeux théoriques importants, autour de la manière dont les individus se représentent l’espace géographique et de celle dont il convient de les interroger, afin d’avoir des réponses qui correspondent bien aux questions posées. Par rapport à la majorité des enquêtes mises en œuvre par Elipss, l’enquête GlocalMap a donc nécessité de mettre en place des formes de questionnements innovants afin de comparer l’impact des modes d’interrogation des individus sur leur perception de l’espace géographique. À la demande des concepteurs de l’enquête, les développeurs d’Elipss ont mis au point une interface pour interroger les individus de deux manières, l’une de type sémantique et l’autre de type cartographique (cf. infra). Une question préliminaire permettait de déterminer si les enquêtés étaient ou non satisfaits de la composition de l’UE.

1. De nouvelles limites pour l’Union européenne ?

24Dans l’ensemble de l’échantillon, seules 38 % des personnes interrogées souhaitent apporter des modifications à la composition des pays membres de l’UE. Mais cette proportion est variable selon les caractéristiques sociales des individus et selon leur attitude générale par rapport aux maillages territoriaux. Si l’on reprend, à titre d’exemple, la typologie élaborée dans la section précédente, on observe des variations très significatives (p < 0,001) dans la volonté de modifier les contours de l’UE (tableau 3).

Tableau 3. Volonté de modifier les limites de l’UE (%) en fonction de l’attitude générale face aux maillages

Tableau 3. Volonté de modifier les limites de l’UE (%) en fonction de l’attitude générale face aux maillages

25Les personnes ayant fourni des réponses en faveur du statu quo (« uniformes : statu quo ») ou du renforcement (« uniformes : renforcé ») de tous les niveaux sont également celles qui souhaitent le moins modifier les contours de l’UE (28 % et 35 %). Les partisans d’un affaiblissement de l’UE au profit des départements ou des communes (type « exclusifs : local » et « défenseurs : local ») ne sont cependant pas les plus nombreux à modifier ses contours (42 %). Ce sont, en définitive, les individus les plus enclins à renforcer l’UE et les maillages associés qui modifient le plus ses contours (50 % pour les « défenseurs : intercommunalité/local » et 56 % pour les « exclusifs : réformes »).

  • 10 Test d’indépendance : F = 2,94 ; ndf = 1 ; ddf = 2 316 ; p-value = 0,08658.

26Le mode d’administration de l’enquête sur les contours de l’Europe, sous forme de liste ou de carte (cf. infra), aurait pu avoir une influence sur la décision de modifier ou non le tracé de l’UE, puisque, en cas de réponse affirmative, la personne devait procéder à des transformations qui ont pu être jugées plus ou moins difficiles selon le mode opératoire. Le mode liste a abouti à 40 % de modifications des contours de l’Europe, contre seulement 35 % dans le cas de la carte, ce qui n’est pas tout à fait significatif10 sur le plan statistique, mais peut indiquer une forme de renoncement lié à une difficulté perçue comme plus importante dans le cas du mode cartographique.

2. Effet du mode d’enquête sur les délimitations obtenues

27Au-delà de l’analyse des réponses sur la composition de l’UE, l’un des enjeux est d’analyser si les enquêtés adoptent des comportements différents selon le mode d’interrogation utilisé. Ils ont été répartis de manière aléatoire en deux sous-échantillons, le premier étant interrogé par le biais d’une liste (on pouvait faire glisser un pays d’une colonne à une autre selon qu’on souhaitait qu’il figure ou non au sein de l’UE) et le second par le biais d’une carte (on pouvait sélectionner ou désélectionner un pays). La question est, dès lors, de savoir si les résultats obtenus en présentant au panel une carte ou une liste pourraient être significativement différents.

28L’hypothèse est la suivante : lorsque l’on interroge les enquêtés sur la composition de l’UE en mobilisant une liste de pays, tout se passe comme si la question portait sur chacune des propositions. Chaque unité administrative est évaluée une par une, et « le pour et le contre » sont pesés à chaque fois. Les pays jouissant d’une bonne image seront plus systématiquement inclus, ceux dotés d’une mauvaise image étant plus facilement exclus, quelle que soit leur position spatiale. On peut ainsi avoir une tendance plus marquée à obtenir une carte discontinue (ne pas inclure la Suisse, par exemple). Au contraire, lorsque l’on propose la même question en utilisant une carte, l’hypothèse est que les enquêtés l’interprètent plutôt comme une question sur l’objet spatial d’échelle supérieure (l’UE) ; c’est donc la cohérence spatiale de l’objet qui sera privilégiée, et les enquêtés auront tendance à préférer des formes compactes et continues, notamment en choisissant des pays voisins. Ils pourraient montrer aussi une tendance à porter moins d’attention aux pays de petite taille et localisés dans des situations très périphériques, comme Chypre.

29Les deux cartes de la figure 5 permettent de comparer les résultats obtenus à l’aide des deux supports. En premier lieu, on constate une grande cohérence dans les réponses entre les deux méthodes. D’un point de vue spatial, les enquêtés ont globalement tendance à faire une UE plus petite que l’Union actuelle et à conserver en son sein essentiellement des pays de l’Europe de l’Ouest, notamment les six pays fondateurs, ainsi que la Grèce, le Portugal et l’Irlande, mais aussi des pays entrés plus tardivement, comme l’Autriche, la Suède et la Finlande. Les pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et du Caucase, ainsi que la Turquie, ne sont généralement pas modifiés et restent donc hors du périmètre de l’UE. En matière d’exclusion, les pays localisés le long de la frontière est, depuis les États baltes jusqu’à la Bulgarie, sont retirés de l’Union dans 10 à 50 % des cas, recréant dans une certaine mesure la discontinuité de l’ancien rideau de fer. Le Royaume-Uni et la Grèce sont également fréquemment retirés du périmètre de l’Union. Pour le Royaume-Uni, l’enquête a été effectuée en septembre 2017, donc après le référendum sur le Brexit de juin 2016, mais des études antérieures montraient déjà cette tendance d’enquêtés français à l’exclure au début des années 2010. Pour la Grèce, cette tendance était moins prononcée, mais la crise de la dette grecque (2010-2015) a pu contribuer à faire douter les Français de l’opportunité de conserver le pays au sein de l’UE. Enfin, en matière d’inclusion, les principaux ajouts concernent notamment des pays riches d’Europe de l’Ouest comme la Suisse, la Norvège et l’Islande. Toutefois, on observe également quelques tendances, moins prononcées, à l’inclusion à l’est de l’UE, avec le bloc des pays des Balkans, mais aussi la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie et enfin la Russie, dont les traitements semblent varier selon la méthode d’interrogation utilisée.

Figure 5. Modifications de l’UE à partir d’une carte ou d’une liste

Figure 5. Modifications de l’UE à partir d’une carte ou d’une liste

Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 913 ayant modifié les limites de l’UE, sur 2 307 personnes ayant répondu à l’enquête). Lecture : à partir d’une carte, 25 à 50 % des personnes ayant répondu à la question ajoutent la Norvège à l’UE ; 25 à 50 % retirent la Roumanie ; jusqu’à 5 % des personnes retirent ou ajoutent l’Espagne.

Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.

30Malgré quelques ajouts, c’est donc une Union recentrée sur les pays les plus riches de l’Europe de l’Ouest (à l’exclusion notable du Royaume-Uni) que produisent les enquêtés ayant émis le souhait d’en modifier les limites (figure 6).

Figure 6. Fréquence d’inclusion dans l’UE par les personnes ayant souhaité modifier les limites de l’UE

Figure 6. Fréquence d’inclusion dans l’UE par les personnes ayant souhaité modifier les limites de l’UE

Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 913 ayant modifié les limites de l’UE, sur 2 307 personnes ayant répondu à l’enquête). Lecture : à partir d’une carte, 10 à 25 % des personnes interrogées incluent la Serbie dans l’UE, contre 0 à 5 % à partir d’une liste.

Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.

31La division du panel Elipss en deux sous-échantillons permet effectivement de comparer l’existence de comportements différenciés selon que les individus ont été interrogés avec une liste de pays ou une carte. La figure 7 présente les résultats d’une analyse testant la significativité de l’influence du support sur les réponses obtenues. En blanc apparaissent les pays « favorisés par la carte », c’est-à-dire significativement plus inclus ou moins exclus quand les individus sont interrogés avec une carte. Le Luxembourg apparaît ainsi très significativement plus exclu avec une liste qu’avec une carte, tandis que les pays des Balkans dans leur ensemble sont très significativement plus inclus avec une carte qu’avec une liste. À l’inverse, en noir apparaissent les pays « favorisés par la liste », c’est-à-dire significativement plus inclus ou moins exclus quand les individus sont interrogés avec une liste de pays. L’Islande est significativement plus incluse quand les individus répondent sur une liste, et la Grèce significativement moins exclue.

Figure 7. L’influence du mode de questionnement sur les modifications apportées à la composition de l’UE

Figure 7. L’influence du mode de questionnement sur les modifications apportées à la composition de l’UE

Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 913 ayant modifié les limites de l’UE, sur 2 307 personnes ayant répondu à l’enquête). Note : les tests de significativité sont effectués aux seuils de 0,05, 0,01 et 0,001. Lecture : la différence d’inclusion de la Suisse à partir d’une liste ou d’une carte est très significative (taille du symbole). Elle est favorisée par la liste (en rouge) en étant incluse dans l’Union européenne (cercle).

Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.

32Ces résultats ne confortent qu’en partie seulement les hypothèses formulées a priori. Les pays apparaissant en blanc montrent bien une forme de concentration en Europe du Centre-Est et dans les Balkans, ce qui tend à confirmer que, face à une carte, les répondants peuvent être enclins à favoriser une zone compacte et contiguë (cas des Balkans) s’étendant jusqu’à la frontière avec la fédération de Russie. Toutefois, cette hypothèse de contiguïté est relativement mise en défaut par la Suisse, dont l’inclusion semble plutôt favorisée par la liste que par la carte. On remarque également que certains pays de très petite taille ou en position périphérique (Luxembourg, Chypre, Malte) sont davantage exclus à l’aide d’une liste que d’une carte, ce qui pourrait être lié conjointement à leur réputation négative de paradis fiscal (qui pousse à les exclure sur une liste) et à leur petite superficie (qui les rend moins visible sur une carte). Certains des pays inclus favorisés par la liste confirment l’hypothèse relative à la contiguïté. Ainsi, certains pays très périphériques par rapport au cœur de l’UE sont inclus de manière préférentielle avec une liste, comme l’Islande, mais aussi l’Arménie, la Géorgie et le Liban. Pour l’Islande, pays riche, la discontinuité n’est que maritime. Pour les trois autres, moins développés, la discontinuité est également terrestre, mais ce sont des pays avec lesquels la France entretient des liens historiques et diplomatiques relativement forts. Sur une liste, leurs noms peuvent inspirer une relative proximité qui n’apparaît pas sur une carte. Les cas de la Grèce (mais aussi de la Finlande) et de la Suisse questionnent en revanche nos hypothèses. Pour la Grèce, nous avions avancé qu’elle serait plus exclue sur une liste (cf. supra) que sur une carte, ne serait-ce que par l’effet d’une habitude visuelle avec la carte de l’UE ; peut-être est-ce au contraire, d’une part sa forme caractéristique (permettant de facilement l’identifier visuellement), d’autre part sa position périphérique (nuisant à une impression de compacité de l’espace européen), qui conduisent à l’exclure. Pour la Suisse, l’hypothèse était que, pour éviter visuellement une UE marquée par une discontinuité spatiale en son sein, les personnes interrogées sur la carte allaient être sur-représentées dans l’inclusion de ce pays, ce qui n’est pas le cas puisque ce dernier apparaît comme favorisé par la liste de manière très significative.

Conclusion

33Les innovations méthodologiques dans l’interrogation du panel mises en œuvre par Elipss pour le projet GlocalMap viennent enrichir les analyses habituellement menées sur les maillages territoriaux et sur l’UE ; elles permettent également d’apporter des réponses nuancées à nos hypothèses initiales.

34La première hypothèse concernait l’interdépendance dans les réponses données sur les maillages territoriaux considérés simultanément. Elle est largement confirmée par nos analyses qui, premièrement, incitent à conclure que les mailles ne sont pas inscrites dans des relations de concurrence simples mais dans des relations systémiques et, deuxièmement, conduisent à distinguer trois grands types d’opposition structurant les attitudes des Français face aux maillages territoriaux. Ainsi, contrairement à ce que l’on peut souvent lire dans les enquêtes sur l’UE et dans les travaux anglo-saxons sur le rescaling (Brenner, 1998 ; Brenner, 2004), le monde et l’UE ne s’inscrivent pas dans une concurrence directe avec la maille étatique, mais plutôt dans une opposition avec les mailles locales traditionnelles.

35La seconde hypothèse concernait l’influence des modes de questionnement (carte ou liste) sur la géographie de l’UE obtenue. Si tous deux permettent d’aboutir à des cartes de fréquences d’inclusion dans l’UE relativement semblables, l’analyse fine des différences de niveaux d’inclusion de certains pays – tels que la Grèce ou la Suisse – nuance partiellement nos hypothèses sur la compacité et la contiguïté des formes obtenues par la carte. Ces résultats incitent donc à affiner la réflexion théorique et méthodologique au sujet des modes d’interrogation sur les représentations de l’espace géographique.

36On peut finalement croiser les deux approches discutées et examiner quels liens existent entre l’appréciation du système des niveaux territoriaux et la vision des limites souhaitables de l’UE. Ainsi, 20 % environ des personnes interrogées excluent la Grèce de cette entité, mais ce positionnement est très variable selon les types de rapport aux maillages : le rejet de la Grèce est maximal (43 %) chez les plus antieuropéens, mais il est également assez fort (27 %) chez les personnes qui veulent renforcer toutes les mailles, tandis que les partisans du statu quo ou de l’Europe et des nouveaux maillages sont les plus favorables au maintien de la Grèce dans l’UE. Inversement, les partisans de l’UE et des maillages territoriaux globaux ou récents sont les plus nombreux à vouloir en exclure le Royaume-Uni.

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Notes

1 Claude Grasland, Clarisse Didelon-Loiseau, équipe GlocalMap, équipe Elipss [auteurs], Hiérarchisation, délimitation et identification des échelles territoriales (GlocalMap), 2017 [fichier électronique], Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) [producteur], Centre de données sociopolitiques (CDSP) [diffuseur], version 0.

2 Enquête À deux ans des élections européennes de 2019. http://www.europarl.europa.eu/at-your-service/fr/be-heard/eurobarometer/two-years-until-the-2019-european-elections.

3 Il serait intéressant, dans une enquête ultérieure, de scinder le panel en deux échantillons aléatoires* pour étudier plus précisément l’effet de cette rupture dans l’ordre attendu des réponses.

4 Nous avons choisi de conserver ces 61 réponses dans l’analyse en ajoutant la modalité « garder en l’état » pour l’unique réponse manquante, ce qui permet de conserver 2 307 réponses, soit 97 % de l’échantillon.

5 Les trois premiers axes de l’ACM totalisent 28,4 % de la variance totale (respectivement 12,5 %, 8,5 % et 7,5 %), ce qui est important compte tenu du nombre de degrés de liberté et de la méthode statistique employée (Husson et al., 2016). Il n’y a toutefois pas de palier net par rapport aux axes suivants (6,4 %, 5,7 %, 4,8 %, etc.), ce qui justifie l’emploi ultérieur d’une classification prenant en compte la totalité des axes.

6 La CAH de Ward effectuée sur les axes de l’ACM présente une forte décroissance d’inertie au niveau du premier nœud (deux classes, isolant les partisans du statu quo de tous les autres) et du cinquième nœud (les six classes retenues dans l’analyse).

7 Il était en effet tentant d’utiliser, par exemple les termes « ancien » ou « moderne » pour opposer les types I et II, ou bien les termes « centriste », « réformateur » et « extrémiste » pour désigner les gradations de réponses. Mais cela aurait inévitablement conduit à des jugements de valeur implicites.

8 Dans la suite du commentaire, et pour éviter d’alourdir le texte, le second pourcentage correspond systématiquement à la moyenne générale de l’échantillon.

9 Composée des anciennes régions Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca).

10 Test d’indépendance : F = 2,94 ; ndf = 1 ; ddf = 2 316 ; p-value = 0,08658.

Table des illustrations

Titre Figure 1. Capture d’écran de la question posée au panel
Crédits Source : application Elipss, 2018.
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 333k
Titre Tableau 1. Appréciations moyennes (%) des maillages territoriaux en France en septembre 2017
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 170k
Titre Figure 2. Associations et oppositions privilégiées entre niveaux territoriaux
Légende Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 2 307). Méthode : coefficient de corrélation linéaire de Pearson pondéré par le poids des individus. Ne sont représentées que les corrélations positives ou négatives dont le test de significativité est inférieur ou égal à 5 %. Lecture : les corrélations positives signalent des associations de jugements identiques (par exemple, les individus qui souhaitent renforcer le niveau communal souhaitent aussi renforcer le niveau départemental ; ceux qui souhaitent supprimer ou diminuer le niveau communal souhaitent généralement aussi supprimer ou diminuer le niveau départemental). Les corrélations négatives mettent en évidence des associations de jugements opposés (les individus qui souhaitent renforcer la commune souhaitent diminuer ou renforcer le niveau européen, et réciproquement).
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
Titre Figure 3. Principaux facteurs de différenciation des attitudes des Français concernant huit échelons territoriaux d’action de politiques publiques
Légende Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n =2 307). Méthode : analyse des correspondances multiples effectuée avec la procédure MCA du package FactomineR. Lecture : les modalités proches dans les plans factoriels sont souvent associées (par exemple, supprimer la commune et supprimer le département). Les modalités situées dans des positions opposées ne sont généralement pas associées (renforcer le niveau européen et renforcer le niveau communal). Ainsi, l'axe 1 oppose les partisans d'un statu quo général (regroupement des modalités « garder en l'état » à gauche) aux partisans de modifications (regroupement des autres modalités à droite) et peut s'interpréter soit comme une mesure de l'aversion au changement, soit plus probablement comme une expression de l'intérêt des personnes pour la question, voire comme une autoévaluation de leur capital de légitimité à se prononcer sur le sujet.
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 107k
Titre Figure 4. Typologie des d’attitude des Français concernant huit échelons territoriaux d’action de politiques publiques
Légende Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n =2 307). Lecture : concernant le niveau européen, les personnes appartenant au type « exclusif I » souhaitent majoritairement le supprimer, alors que les personnes de type « défenseurs I » souhaitent le diminuer sans le supprimer. Les personnes de type « uniformes I » sont partisanes du statu quo. Les personnes de type « uniformes II » sont, au contraire, majoritairement pour le renforcement du niveau européen.
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-5.jpg
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Titre Tableau 2. Caractéristiques des individus en fonction de leur type d’attitude face aux maillages territoriaux en France (septembre 2017) (%)
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-6.jpg
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Titre Tableau 2. suite
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Titre Tableau 3. Volonté de modifier les limites de l’UE (%) en fonction de l’attitude générale face aux maillages
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-8.jpg
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Titre Figure 5. Modifications de l’UE à partir d’une carte ou d’une liste
Légende Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 913 ayant modifié les limites de l’UE, sur 2 307 personnes ayant répondu à l’enquête). Lecture : à partir d’une carte, 25 à 50 % des personnes ayant répondu à la question ajoutent la Norvège à l’UE ; 25 à 50 % retirent la Roumanie ; jusqu’à 5 % des personnes retirent ou ajoutent l’Espagne.
Crédits Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-9.jpg
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Titre Figure 6. Fréquence d’inclusion dans l’UE par les personnes ayant souhaité modifier les limites de l’UE
Légende Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 913 ayant modifié les limites de l’UE, sur 2 307 personnes ayant répondu à l’enquête). Lecture : à partir d’une carte, 10 à 25 % des personnes interrogées incluent la Serbie dans l’UE, contre 0 à 5 % à partir d’une liste.
Crédits Source : enquête GlocalMap, 2017, Elipss/CDSP.
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 278k
Titre Figure 7. L’influence du mode de questionnement sur les modifications apportées à la composition de l’UE
Légende Champ : résidents en France métropolitaine (hors Corse) âgés de 19 à 80 ans (n = 913 ayant modifié les limites de l’UE, sur 2 307 personnes ayant répondu à l’enquête). Note : les tests de significativité sont effectués aux seuils de 0,05, 0,01 et 0,001. Lecture : la différence d’inclusion de la Suisse à partir d’une liste ou d’une carte est très significative (taille du symbole). Elle est favorisée par la liste (en rouge) en étant incluse dans l’Union européenne (cercle).
URL http://books.openedition.org/ined/docannexe/image/16515/img-11.jpg
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