I. La précarité en eau : une problématique davantage étudiée dans les pays du Sud

1L’abondante littérature qui s’est développée sur l’accès à l’eau des populations dans les pays du Sud et l’attention toute particulière des États, des instances internationales et du monde associatif sur les problèmes d’accès à l’eau dans cette partie de la planète, se justifient aisément face à l’ampleur et à l’urgence de la prise en charge de cet enjeu vital pour les habitants de ces pays. En effet, alors que l’accès à des services d’eau potable gérés en toute sécurité1 sur le plan sanitaire culmine à 94 % en Europe en 2015, il n’atteint que 34 % des populations dans les pays les moins avancés et 24 % en Afrique subsaharienne (ONU-Unesco, 2019). En raison du déficit de services élémentaires d’assainissement dans les pays du Sud, 159 millions de personnes, dont 58 % en Afrique subsaharienne, continuent de collecter, à des fins de consommation, de l’eau non traitée et souvent contaminée, directement dans les sources d’eau de surface (OMS-Unicef, 2017). En outre, dans un contexte socioéconomique où l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne abritent l’écrasante majorité des personnes vivant en dessous du seuil international d’extrême pauvreté – établi à 1,90 dollar par jour (Banque mondiale, 2016) –, les maladies transmises par l’eau restent une charge de morbidité considérable pour les groupes vulnérables et défavorisés. L’OMS estimait qu’en 2015, 1 personne sur 25 vivant dans des économies à faible revenu, souffrait de diarrhée et parmi elles, 60 % étaient des enfants âgés de moins de 5 ans (OMS, 2016). Les conséquences désastreuses de la privation d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, cumulées au stress hydrique dans ces pays du Sud sont nombreuses : situation sanitaire et conditions de vies précaires, malnutrition, absence d’éducation et d’accès à l’emploi, troubles sociaux, conflits parfois violents et déplacements de populations (Miletto et al., 2017).

2Les efforts accomplis dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et les objectifs de développement durable (ODD) fixés au niveau mondial, n’ont pas suffi à enrayer les problèmes d’accès à l’eau dans les pays du Sud2. L’accès à la ressource et à l’eau potable reste problématique pour 2,1 milliards de personnes dans le monde, tandis que 4,5 milliards de personnes ne disposent pas d’installations sanitaires gérées en toute sécurité (données 2015 d’après OMS/Unicef, 2017).

3Pour situer le propos de notre ouvrage consacré aux problèmes d’accès à l’eau en Europe, et comprendre en quoi ils se distinguent des pays du Sud tout en montrant des convergences peu attendues, il est utile de considérer les caractéristiques du modèle de gestion de l’eau qui s’est construit dans le temps, sous l’influence croisée des rationalités techniciennes propres à la production d’eau potable, et du jeu des rapports de forces au sein du système d’acteurs en présence. Sur un plan factuel et sociologique, la résolution du problème de l’accès à l’eau des populations suit une trajectoire relativement identique d’un contexte à un autre, et c’est ce qui en fait une question globale et universelle. Au départ, que ce soit dans les pays du Nord ou dans les pays du Sud, la desserte en eau des populations a été essentiellement appréhendée d’un point de vue technique et financier. Ainsi, alors que dans les pays du Nord, c’est l’image de la « citadelle technique » (Tsanga Tabi, 2003) qui a fait figure de vitrine technologique et de performance industrielle des systèmes de desserte en eau financés initialement par des fonds publics, dans les pays du Sud, les institutions financières internationales ont consenti des fonds importants sous forme de subventions ou de prêts3 pour l’accès à l’eau des populations. Dans un second temps, ces institutions ont conditionné leur aide à des réformes institutionnelles majeures, obligeant les autorités politiques locales des pays en développement à faire évoluer l’organisation de leurs services d’eau potable vers plus d’efficacité (Pezon, 2009) et les incitant à emprunter la voie néo-libérale de la privatisation de la gestion et des infrastructures. Ainsi, les standards de gestion de l’eau initiés dans les pays du Nord, et notamment le modèle du partenariat-public-privé (le fameux PPP) mettant en scène les grands opérateurs d’eau français, dont l’apport de capitaux privés et de savoir-faire techniques étaient posés comme gage de réussite, ont pu se diffuser dans les pays du Sud. C’est ainsi que les grandes compagnies privées des pays du Nord (dont les majors français de l’eau : Veolia, Suez et Saur), encouragées par la Banque mondiale ou par l’Agence française de développement, gèrent un nombre croissant de grandes villes des pays du Sud, insufflant un mouvement de mondialisation et de marchandisation de l’eau, qualifié par Ruiters et Mc Donald (2004) de « age of commodity ».

4Les débats sans précédent sur la mondialisation de la marchandisation de l’eau, et notamment de l’inflation des prix de l’eau qui en a résulté, les limites de la transposition des modèles de gestion de l’eau des pays du Nord vers les pays du Sud, les problèmes majeurs de gouvernance de ce bien essentiel, enfin, ont largement alimenté les travaux du monde universitaire. Ceux-ci ont mis en exergue l’importance des dimensions éthiques, politiques, sociales, culturelles, juridiques et institutionnelles présentes dans la résolution des problèmes d’accès à l’eau. Ainsi, la fragmentation urbaine de l’accès à l’eau en Afrique et l’absence d’équité dans la desserte en eau des populations, résultant de la résistance des monopoles en régies et des multinationales – notamment françaises – aux régulations et aux politiques de mise en œuvre de la solidarité urbaine, ont été documentées par Sylvy Jaglin (2005). Catherine Baron (2003), de son côté, a mis en évidence l’échec entraîné par les politiques de privatisation de l’eau de bon nombre de villes africaines. Willem Assies (2003) a analysé quant à lui les batailles de l’eau de Cochabamba en Bolivie dans un contexte d’inégalités flagrantes des revenus. Enfin la dépolitisation de la gestion de l’eau, entendue comme mise à l’écart des citoyens des décisions la concernant, d’une part, et la nécessité d’élargir les conceptions dominantes de la gouvernance par la prise en compte des questions de pouvoir dans le contexte de la citoyenneté urbaine des pays du Sud, d’autre part, ont été clairement mises en avant par Karen Bakker (2009). Dans la recherche d’une solution alternative au système de marchandisation et de privatisation et à une gestion étatique des réseaux d’eau trop souvent défaillante, Elinor Ostrom (1990), dans son célèbre ouvrage Gouverning the commons a proposé une troisième voie de type communautaire, consistant à laisser les usagers créer et gérer leurs propres systèmes d’approvisionnement.

5De fait, les politiques publiques adoptées pour atteindre les objectifs mondiaux de résorption des problèmes d’accès à l’eau dans les pays les plus pauvres, ont reproduit les défaillances sociales, politiques et institutionnelles des systèmes de gestion de l’eau déjà à l’œuvre dans les pays du Nord.

6Compte tenu de l’étendue des problématiques soulevées par cette thématique, nous avons dû fixer des limites à notre champ d’étude. Dans cet ouvrage consacré à l’Europe où les territoires sont quasiment tous desservis en infrastructures d’accès à la ressource en eau, nous ne traitons pas de l’accès aux infrastructures d’eau, exception faite des populations en marge des services, du fait de leur relégation dans des lieux non desservis ou insuffisamment équipés. Autrement dit, l’ouvrage aborde les problèmes d’accès à l’eau sous l’angle de la consommation d’eau potable, c’est-à-dire de l’eau domestique. C’est pourquoi les analyses développées par les auteurs et les auteures peuvent inclure les répercussions de l’absence d’assainissement en contexte de sans-abrisme ou de non-abonnement des ménages pauvres au service public d’eau.

II. Un problème croissant dans les pays du Nord

7Ce qui est nouveau dans l’analyse et justifie le choix d’un rapprochement Nord-Sud des problèmes d’accès à l’eau, c’est le mouvement de translation et de diffusion des problématiques socioéconomiques de l’accès à l’eau, observé depuis les trois dernières décennies dans les pays du Nord. En effet, depuis la fin des années 1980, le mouvement de précarisation qui affecte une part croissante des ménages en Europe et le constat d’une géographie de la précarité bousculée par de nouveaux enjeux qui touchent aux services essentiels, dont l’accès à l’eau, soulèvent des questions nouvelles.

8De fait, dans les pays du Nord où les habitants ont quasiment tous accès à l’eau courante à domicile, les problèmes d’accessibilité financière et de justice sociale inhérente à la fourniture de ce service public, jusque-là peu perceptibles, se posent de plus en plus pour une catégorie de ménages qualifiés en France et en Europe de « nouveaux pauvres » (Oheix, 1981). Dans un contexte initial de grands aménagements hydrauliques qui ont permis de maîtriser, grâce à des investissements largement subventionnés (Pezon, 2009), l’accès physique à la ressource en eau, on a assisté en France et en Europe à la généralisation de la desserte en eau des populations par le réseau. La démocratisation de l’accès à l’eau du robinet a été rendue possible par la hausse du niveau de vie des populations, l’amélioration de l’habitat et l’abaissement des coûts de desserte en eau résultant des économies d’échelle. Après la conquête du génie civil, du génie sanitaire et du génie environnemental (Barraqué, 2014), l’accès universel à l’eau courante et au domicile a revêtu un statut de service essentiel tout en devenant le symbole de la vie moderne dans les sociétés occidentales. Le prix payé par l’usager pour accéder au service public de l’eau, recouvrant l’intégralité des coûts engagés et notamment les coûts relatifs au grand cycle de l’eau4, ne dépassait alors jamais 1 % du revenu des ménages.

1. De nouvelles formes de pauvreté

9La découverte, à la fin des années 1970, de nouveaux types de pauvreté dans les pays du Nord a changé la donne. Les visages de la pauvreté contemporaine prennent des facettes multiples et la précarité, jusque-là perçue « au singulier », devient plurielle. Elle s’étend à divers domaines et en particulier aux services essentiels : le logement, l’énergie, l’eau. On parle alors de précarité résidentielle, de précarité énergétique et de pauvreté ou de précarité en eau5. En France et en Belgique, un Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) a été mis en place respectivement en 2011 et en 2015. Au niveau européen, Eurostat, l’organe statistique de l’Union européenne, lance dès 1999 des enquêtes sur les revenus et les conditions de vie des ménages des États membres ; en 2011 de premières enquêtes Logement sont réalisées. Parmi les statistiques établies, l’accessibilité financière du logement (housing affordability) figure au premier rang des indicateurs de pauvreté en biens essentiels. Ainsi, en 2012, 11,2 % de la population de l’Europe des 28 dépensait plus de 40 % de leur revenu disponible pour se loger (Eurostat, 2014).

10La notion de précarité, qui s’étend à l’énergie, à l’eau, à l’environnement, et même à l’hygiène, devient alors un objet d’étude à part entière et « un cadre d’analyse qui met l’accent sur les aspects négatifs du phénomène d’incertitude généralisée qui accompagne l’évolution de la modernité » (Bresson, 2007, p. 7). La notion de précarité a été mobilisée tant dans le champ scientifique que dans le champ des politiques publiques à partir des années 1980. Dans son rapport Contre la précarité et la pauvreté, 60 propositions, Gabriel Oheix employait cette expression pour « désigner un type de situation où la pauvreté n’est que potentielle » (Oheix, 1981, p. 13). Quelques années plus tard, Joseph Wresinski précise que « la précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux » (Wresinski, 1987, p. 6). Ainsi, la précarité se caractérise par le risque, la fragilité, l’insécurité, l’instabilité ou encore l’incertitude, et se décline selon le bien ou le droit manquant. Gagnant de larges couches de la population, elle témoigne de la transformation profonde de nos sociétés du Nord, notamment du fait de la fragilisation de l’emploi salarié (Castel, 1995). Les ménages en situation de précarité sont vulnérables aux accidents de la vie. Agnès Pitrou, dont la recherche est parfois considérée comme précurseur sur le sujet (Barbier, 2005), décrit en effet les familles précaires comme étant « des ménages vulnérables à tout incident, non pas seulement parce qu’ils disposent de moyens précaires, mais parce que, privés du réseau familial, ils n’ont pas de recours : le moindre imprévu dans le travail, la santé, le logement, l’équipement, le budget… devient alors difficile ou impossible à surmonter et peut amorcer un processus de dérive bien connu : sortie des normes socialement reconnues comme celles de la “bonne famille”, impossibilité de faire face aux “devoirs” que la société assigne aux parents » (Pitrou, 1978, p. 14-15).

11Ainsi, ces différentes définitions établissent un lien fort entre pauvreté et précarité. C’est également le propos de Serge Paugam (2005) qui distingue trois formes de pauvreté (traditionnelle, marginale et disqualifiante) et qui intègre à cette dernière catégorie les travailleurs qualifiés de « pauvres » et de « précaires ». Dans une société caractérisée par la dégradation des conditions de travail et du niveau de vie, les actifs en situation de précarité, qui connaissent des situations de chômage ou des formes d’emploi de courte durée et faiblement rémunérés, subissent en effet une forme de disqualification sociale engendrant une peur du déclassement social. La précarité désigne alors le risque de voir sa situation se dégrader, et ouvre la voie à une trajectoire de paupérisation (Bresson, 2007, p. 10) et de désaffiliation (Castel, 1995).

2. Une précarité aux définitions multiples

12Dans cet ouvrage, nous employons l’expression de précarités en eau au pluriel, car ainsi que nous le verrons tout au long des chapitres, il existe plus d’une forme d’inégalités d’accès à l’eau dont découlent différentes notions de précarité en eau. De fait, l’expression se veut englobante pour pouvoir cerner la question dans son ensemble. Selon les contributions, il est question de pauvreté en eau mais aussi de précarité hydrique et de précarité sanitaire. Ainsi, les précarités en eau recouvrent différentes réalités qu’il convient de préciser.

13La notion de pauvreté en eau qualifie les problèmes d’accès à l’eau potable pour les ménages vulnérables qui sont raccordés au réseau d’eau et dont les situations sont identifiées et explicitées dans l’ouvrage. Cette notion, née au Royaume-Uni, désigne de manière très générale les ménages dont la facture d’eau dans le budget disponible est supérieure ou égale au seuil de 3 %. Ce seuil, qui n’a pas le statut de norme établie, sert cependant de repère commun. À ce titre, elle constitue une catégorie d’analyse dont le premier chapitre détaille la construction et les différents usages. Il faut préciser que la notion n’est pas équivalente à l’indice de pauvreté en eau (water poverty index) développée en 1989 par l’hydrologue suédoise Malin Falkenmark6 pour évaluer et comparer les situations socio-hydriques à l’échelle planétaire (de la rareté à l’abondance), et qui mesure donc la disponibilité de la ressource en eau.

14La précarité hydrique est plus générale et relève d’une approche plus qualitative et moins facilement mesurable. Elle concerne aussi bien des ménages non raccordés que des ménages raccordés au réseau : tous connaissent une fragilité, une insécurité, une instabilité ou encore une incertitude, dans leur accessibilité quotidienne en quantité suffisante à un point d’eau. Dans l’ouvrage, certains auteurs l’utilisent au sens entendu par la pauvreté en eau, d’autres dans un sens plus général. Dans chacun des cas, le sens que lui donne l’auteur est précisé et les rappels utiles aux autres chapitres sont mentionnés en note de bas de page.

15La précarité sanitaire enfin, renvoie à deux dimensions distinctes mais non totalement déconnectées. La première correspond à celle des médecins et des sociologues de la santé qui emploient l’expression à propos des inégalités de santé : inégalités d’état de santé physique et mentale, d’assurance face à la maladie, de recours aux structures existantes ou de connaissance des filières de soins (Bungener et Pierret, 1994 ; Chauffaut et al., 2004 ; Léal et al., 2011). Sous un second aspect, les militants engagés sur ces problématiques mobilisent l’expression pour rendre compte des inégalités d’accès à l’eau et à l’assainissement. Ainsi, pour Coalition Eau7, qui regroupe la plupart des associations en lutte pour le droit à l’eau en France, la précarité sanitaire désigne « la situation d’une personne ou d’un groupe de personnes n’ayant pas un accès suffisant à l’eau et à l’assainissement », ce qui inclut l’accès défaillant à des toilettes. D’autres associations, telles que Les besoins solidaires8 ou Architectes sans frontières9, se réfèrent également à cette notion dans une même perspective. Un lien entre ces deux approches de la précarité sanitaire (santé et traitement des déchets et excréments, accès à l’eau potable) apparaît à travers la question de l’hygiène.

16En Europe, où l’ODD 610relatif à l’eau fait l’objet d’un suivi par Eurostat, les chiffres de 2018 indiquent que 1,9 % de la population de l’Union européenne (UE) est privée d’installations sanitaires à domicile (Eurostat, 2020). L’indicateur pris en compte renvoie à la part de population qui n’a ni douche, ni baignoire, ni W.-C. dans leur logement. L’absence d’accès à des équipements sanitaires de base n’est donc pas un phénomène marginal puisqu’il concerne plus de 9 millions d’habitants des 28 pays de l’Union européenne. Ces chiffres ne tiennent pas compte des personnes sans-abris et de celles vivant en bidonvilles dont le nombre, rien qu’en France, est estimé à 235 000 (Fondation Abbé Pierre, 2020). En outre, la part de la population connectée à un dispositif d’assainissement secondaire est très variable d’un pays d’Europe à un autre : de 100 % au Royaume-Uni à seulement 40 % en Roumanie et en Croatie (Ibid., p. 123). Les pays les plus affectés par le manque d’accès à l’eau et à l’assainissement sont aussi ceux qui sont les plus touchés par la pauvreté, à savoir la zone méditerranéenne et celle de la mer Noire.

17En France métropolitaine, au cœur d’une société d’abondance, des précarités liées à l’eau résultant de l’absence de ressources financières suffisantes ou du non-accès à l’eau émergent, de plus en plus visibles, de moins en moins tolérables et porteuses d’enjeux multiples (Lévy-Vroelant, 2017). Quelques chiffres permettent d’en esquisser les contours. En 2013, l’Insee dénombrait 204 000 logements privés de confort sanitaire, c’est-à-dire d’eau courante, de W.-C. intérieurs et d’installations sanitaires (Insee, 2016) ; situation à laquelle il faut ajouter celle des 141 500 personnes sans domicile recensées par l’enquête Sans Domicile en 2012 (Insee, 2013) auxquelles se sont joints les exilés d’après 2015. En 2019, 1,4 million de Français métropolitains ne bénéficient pas d’un accès à l’eau géré en toute sécurité (OMS/Unicef, 2019) et 2 millions de personnes vivent dans des logements privés de confort sanitaire11 (Fondation Abbé Pierre, 2019). En Belgique, en 2017, ce sont 3,8 % des ménages, soit plus de 400 000 personnes, qui sont pauvres en eau au seuil de 3 %12 (Van Vooren, 2018).

III. Croiser les réflexions des chercheurs et des acteurs de terrain

18Les enjeux soulevés par l’accès à l’eau en Europe sont considérables. De fait, aujourd’hui, cette question et les différentes dimensions sanitaires, sociales, politiques, environnementales qui s’y rattachent ne peuvent plus être pensées comme un sujet à traiter uniquement dans le cadre des problématiques de développement. Ces dernières décennies, dans les pays du Nord, les questions sur les précarités liées à l’eau n’ont cessé de prendre de l’ampleur sur le plan local et global, ouvrant un champ de réflexion scientifique et politique inédit pour le monde de la recherche et de l’action publique.

19Au niveau scientifique, les enjeux sont à la fois d’ordre conceptuel et méthodologique. Quels outils cognitifs construire et utiliser pour problématiser et comprendre ces nouvelles réalités sociétales ? Quelles approches disciplinaires mobiliser et combiner pour cerner la complexité et la globalité des enjeux ? Quels sont les acteurs et les domaines de compétences susceptibles de faire bouger les lignes en coproduisant de la connaissance ? Quelles méthodes d’investigation déployer sur le terrain pour appréhender et rendre compte du vécu des précarités en eau par les populations qui y sont confrontées ? Quelles connaissances avons-nous de l’expérience de la privation ou de la restriction de l’eau ?

20Au niveau politique, et notamment en matière de politiques publiques, la problématique renvoie aux dispositifs, outils et mesures de l’action publique mobilisées pour lutter contre les précarités en eau. Quelle est la portée juridique et pratique de l’affirmation et de la construction d’un droit à l’eau en France et en Europe pour résoudre les problèmes des « pauvres en eau » ? Comment les acteurs défenseurs des droits de l’homme mobilisent-ils le socle européen de « droits sociaux fondamentaux », à portée déclarative, pour en faire un droit effectif ? Là où ils sont déployés, les outils d’action publique que sont les bains-douches et les toilettes publiques répondent-ils aux besoins d’accès à l’eau des pauvres en eau et des précaires sanitaires en Europe ?

21Notre ouvrage prolonge des réflexions et des échanges organisés dans le cadre de deux journées d’étude tenues à quelques mois d’intervalle, l’une à Saint-Denis fin 201713, l’autre à Strasbourg en 201814. Cette production collective, que nous avons actualisée lorsque c’était nécessaire, examine et qualifie les différentes facettes des difficultés d’accès à l’eau de notre monde contemporain et les effets qu’un tel déficit d’accès à une ressource vitale entraîne, tant au niveau des individus qu’au niveau collectif. Elle entend ainsi participer à l’approfondissement des connaissances et de la réflexion sur les précarités liées à l’eau et les politiques publiques associées, en mobilisant une diversité de champs disciplinaires représentés par ses contributrices et ses contributeurs : géographie, sociologie, philosophie, anthropologie, histoire, droit, sciences de gestion, aménagement. Ce livre s’inscrit également dans divers domaines de connaissances : la sociologie des normes et de la déviance, l’histoire des sensibilités, des goûts et des dégoûts, les politiques publiques et leurs sources d’inspiration idéologiques, les rapports sociaux de sexe, pour ce qui est des principaux.

22À cette pluralité des champs disciplinaires et thématiques, nous avons choisi d’ajouter le regard pragmatique des acteurs du champ associatif et du travail social. Ici, le terrain fait en quelque sorte écho aux approches classiques de l’enquête ou de l’analyse telles que pratiquées par les sciences sociales. Par ce biais, notre ouvrage entend croiser réflexion théorique et réflexion issue du terrain. Parce que les mots et les expériences circulent, les connaissances établies ou discutées dans les milieux de la recherche sont mobilisées et reprises dans le fil des actions : la notion de précarité en eau après celle de la précarité énergétique, en est un bel exemple. La diffusion de mesures de tarification sociale de l’eau en France et dans d’autres pays d’Europe étudiée par les chercheurs, en est un autre. Sur un plan méthodologique enfin, les différentes approches mises en œuvre par les auteurs et auteures s’enrichissent et complètent la compréhension du phénomène étudié. Si le recueil de récits s’avère particulièrement adapté pour prendre acte des expériences et des ressentis, cette démarche n’est pas exclusive d’autres méthodes : en témoignent les chapitres mobilisant la recherche-intervention, le commentaire juridique, l’ethnographie et l’immersion dans la vie quotidienne, mais aussi l’enquête par questionnaires auprès des précaires en eau et la mise à contribution des archives.

23Le sujet des précarités en eau dans les pays du Nord apparaît donc comme une problématique relativement nouvelle, qui doit se concevoir à la fois dans le domaine des sciences et dans celui de la réalité sociale. Parce qu’elle est traversée par la « métamorphose de la question sociale » (Castel, 1995) et qu’elle participe des lignes de fracture entre ceux qui ont un accès satisfaisant à l’eau et ceux qui en sont plus ou moins éloignés, entre les territoires bien dotés et ceux qui ne le sont pas ; parce qu’elle nourrit la jurisprudence et participe d’une législation et d’une réglementation en construction, cette question se déploie dans un va-et-vient entre recherche et action qui donne à ce livre un format original. Par ailleurs, parce qu’aborder la question des précarités à l’eau dans les pays riches renvoie nécessairement aux missions d’intérêt général au cœur des services publics de l’eau, notre réflexion réinterroge, par ce biais, le statut de bien-marchandise accordé à ce service essentiel, ainsi que les logiques d’action publique à l’œuvre pour l’accomplissement de cet idéal. En mettant en lumière des pistes nouvelles, nous espérons contribuer au renouvellement de la pensée théorique et de l’action collective, au service de la gestion des biens essentiels.

IV. Articuler les enjeux juridiques et sociopolitiques avec l’expérience

24Pour traiter des questions soulevées par les précarités en eau en Europe, nous avons structuré l’ouvrage en deux parties. L’objectif est de faire ainsi dialoguer les savoirs théoriques avec les connaissances issues de l’expérience des personnes confrontées aux problèmes d’accès à l’eau, et des personnes et des collectifs qui se font les promoteurs de leurs droits. L’idée en effet que l’eau, bien essentiel à la vie, puisse manquer un jour, est désormais partagée, créant les conditions d’une hybridation entre la connaissance et le vécu des personnes exposées aux précarités en eau. L’articulation entre les enjeux conceptuels, juridiques et sociopolitiques, d’une part, et l’expérience de celles et ceux qui sont confrontés aux diverses formes de précarité en eau, d’autre part, s’avère nécessaire pour embrasser les multiples dimensions de la question. Tant pour en saisir la spécificité que pour les contextualiser, les précarités liées à l’eau nécessitent d’être mises en perspective avec les autres formes de précarités ou vulnérabilités – résidentielles, professionnelles, relationnelles, de santé, etc. – auxquelles elles peuvent être associées. Les retours d’expérience montrent en effet qu’elles agissent les unes sur les autres. Ainsi, les difficultés d’accès à l’eau se comprennent et sont vécues différemment selon les trajectoires biographiques, les milieux professionnels ou les conditions d’habitation des individus et des groupes sociaux.

25Un aspect qui relève d’un choix d’écriture de l’ouvrage mérite l’attention des lecteurs. Étant donné l’importance des textes juridico-réglementaires qui régissent l’action des services publics d’eau, et l’inflation législative qui caractérise un paysage social, économique et environnemental qui n’a cessé d’évoluer ces dernières décennies, les auteurs citent souvent les mêmes textes fondamentaux d’un chapitre à l’autre. Une impression de redondance pourrait en résulter. En réalité, ces textes sont autant de repères dans le champ historique et juridique et permettent de montrer l’articulation de différentes échelles d’action, mais aussi de préciser les usages qui en sont faits, révélant la richesse des niveaux d’appréhension de la loi par les chercheurs ou les acteurs de terrain qui la mobilisent pour l’action.

26La première partie – Le droit, la loi et les politiques publiques – propose un éclairage à partir des enjeux conceptuels, juridiques et politiques de la question de l’accès à l’eau. Croisant les réflexions de chercheurs et d’acteurs de terrain, elle pose les jalons d’une problématisation du déficit ou de l’inexistence d’accès au service d’eau potable des ménages pauvres. Pour les chercheurs qui étudient les précarités liées à l’eau, la qualification des phénomènes et des populations concernées constitue un enjeu scientifique qui découle de l’exigence triviale de devoir préalablement désigner son objet d’étude avant de pouvoir l’analyser. Même si elles n’épuisent par la réalité observée, la mise en mots, la caractérisation et la définition des populations précaires en eau, à un titre ou à un autre, sont un moyen non seulement de décrire un phénomène et de possiblement le quantifier, mais aussi d’en élaborer le sens. Par ailleurs, la description des différentes formes de précarité liées à l’eau est une manière de problématiser la multiplicité des situations rencontrées sur le terrain et de faire le lien avec les enjeux sociaux et politiques qui s’y rattachent. Elle induit aussi, pour les personnes concernées, des effets en termes de prise en charge susceptibles de donner naissance à une nouvelle législation et à une nouvelle catégorie d’action publique. Ainsi, dans le premier chapitre de l’ouvrage, Marie Tsanga Tabi présente et explicite le concept de pauvreté en eau né au Royaume-Uni au début des années 2000, pour dégager ce qui en fait une grille d’analyse utile à la compréhension des problèmes d’accès à l’eau des populations à faible revenu. Les usages qu’en font aujourd’hui les acteurs sur le terrain, les interprétations des problèmes d’accès à l’eau et les mesures de lutte contre la pauvreté en eau qui en résultent, sont également considérés pour relever la portée pratique mais aussi les limites du recours à cette notion en construction.

27L’inscription de l’accès à l’eau dans la catégorie des droits sociaux fondamentaux de la personne relève d’un processus de juridicisation de droits subjectifs naturels en droits effectifs, appelés à être concrétisés sur un plan juridique. Dans le chapitre 2, Carole Nivard explicite la construction du droit à l’eau pour tous, droit revendiqué au début des années 1970 et qui s’est affirmé au niveau international lorsqu’en juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu l’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un « droit humain ». À l’échelle européenne, le Parlement, dans une résolution du 3 juillet 2012, s’est exprimé sur la mise en œuvre de la législation de l’Union européenne relative à l’eau. Les parlementaires ont affirmé que « l’eau est un bien commun de l’humanité, un bien public, et que l’accès à l’eau devrait être un droit fondamental et universel », rappelant « la nécessité d’adapter les règles du marché intérieur aux caractéristiques spécifiques du secteur de l’eau » et invitant « les États membres à gérer, dans le respect du principe de subsidiarité, l’eau et les services d’approvisionnement en eau »15. Certes, la coupure d’eau ou la limitation du débit d’eau sont encore pratiquées par certains États en Europe, notamment en Belgique où l’expérience qu’en ont les ménages est retracée par François Grevisse et Anne Delvaux dans le dernier chapitre de l’ouvrage. Toutefois, en France, la condamnation récente de distributeurs d’eau privés et publics et la validation par le Conseil constitutionnel de l’interdiction de couper l’eau aux ménages en situation d’impayé de factures, attestent de la protection par la loi, en l’occurrence la loi Brottes16, des ménages pauvres en eau. De même, l’expérimentation de politiques d’accès à l’eau pour les ménages pauvres ouverte par cette loi, s’inscrit dans un registre d’intervention publique censé constituer un levier d’action pour lutter contre les précarités liées à l’eau.

28L’expérience d’une réclamation collective menée par une OING en faveur des droits humains fondamentaux, relatée par Marie-José Schmitt dans le chapitre 3, montre que leur mobilisation pour la protection et la défense des droits humains est une pratique bien ancrée susceptible de rendre effectif des droits dont la portée est déclarative. En saisissant le Comité européen des droits sociaux pour un accès au logement de populations marginalisées, désormais possible avec l’instauration d’un droit au logement dans la Charte sociale européenne, l’action menée va aboutir à l’autorisation d’occuper, pour une durée de cinq ans, un terrain décemment aménagé et viabilisé, pourvu de douches, de toilettes, de bennes à ordures, d’électricité et de points d’eau en nombre suffisant par un groupe de familles auparavant régulièrement expulsées. Ce retour du terrain démontre par ailleurs le caractère décisif d’une des trois caractéristiques des droits humains fondamentaux, leur interdépendance établie par la Charte sociale européenne : ici s’enclenchent les exigences du droit au logement, du droit à l’éducation et in fine du droit à l’eau.

29La privation d’un accès aisé à l’eau que subissent des populations vulnérables et marginalisées qui ne sont pas, ou plus, connectées au réseau public d’eau, est un phénomène de moins en moins marginal dans les pays du Nord. Dans le cadre contemporain d’une montée paradoxale des droits individuels et d’une fragilisation des droits collectifs, cette nouvelle forme d’exclusion est révélatrice d’une autre forme de précarité, la précarité sanitaire. Dans le chapitre 4, Sandrine Vaucelle en examine les ressorts et les aboutissants socioéconomiques, institutionnels et politiques en France, à partir des différentes situations de précarité sanitaire rencontrées sur le terrain des sans-abris, des squats, des campements et bidonvilles. L’auteure interroge également les politiques publiques de lutte contre cette nouvelle précarité dont les solutions concrètes doivent être apportées à l’échelle locale.

30L’histoire des bains-douches municipaux en France et en Grande-Bretagne, qui s’étend sur plus d’un siècle, et que retrace Alex Soares dans le chapitre 5, nous fait remonter aux débuts des premières politiques sanitaires en Europe lorsqu’il s’agissait de combattre les maladies infectieuses liées au défaut d’hygiène et de propreté corporelle. La perspective historique offerte dans ce chapitre, au travers d’une analyse comparée des politiques sanitaires à l’œuvre dans ces deux pays, apporte un éclairage instructif sur la nature des différents enjeux d’une époque marquée par les conséquences de l’industrialisation. Alors que la montée de l’hygiénisme en Grande-Bretagne est mise au service du développement économique, en France, le développement des bains-douches municipaux, soutenu par l’État et les municipalités, participe à l’amélioration des conditions de vie des populations et impulse un changement des pratiques d’hygiène.

31La deuxième partie de l’ouvrage – Expériences de la précarité sanitaire – dévoile la privation ou la restriction de l’accès à l’eau du point de vue de ceux qui les subissent. La précarité en eau couvre en effet un vaste champ d’expériences, allant du malaise physique à la souffrance morale, et mérite d’être documentée, précisément dans ses rapports avec les normes en vigueur et les rapports de domination, mais aussi en ce qu’elle enseigne des formes d’entraide, de résistance et de résilience. L’analyse historique des dispositifs publics d’accès à l’hygiène et à la santé proposée par Alex Soares dans la première partie est également celle que mène Henri Smets dans le chapitre 6, cette fois-ci dans le contexte actuel de notre ère post-industrielle. En posant la question de l’accès à l’eau et aux toilettes des populations les plus démunies dans la France du xxi^e siècle, l’auteur réinterroge l’universalisme des droits humains à l’eau affichés par les États, alors que dans le même temps, on assiste à un retour préoccupant de la précarité sanitaire.

32À partir des récits de personnes vivant dans des copropriétés dégradées, des squats ou à la rue, Johanna Lees montre, dans le chapitre 7, que l’accès à l’eau constitue une épreuve quotidienne mais aussi une obligation sociale. L’accès restreint à l’eau influe non seulement sur le rapport à soi et aux autres, mais aussi sur le rapport à l’habitat qui met également en jeu ces aspects relationnels et identitaires.

33Les expériences relatées dans ce chapitre peuvent être mises en regard avec celles dont rend compte Julia Peker dans le chapitre 8, à propos de femmes fréquentant un Espace Solidarité Insertion assurant un accueil de jour, douches comprises. Au-delà des obstacles pratiques et matériels qui entravent l’accès aux ressources d’hygiène, il ressort des récits que l’accès à la propreté et à l’intimité est très fortement lié à la possibilité de disposer d’un espace approprié, balisé de repères et d’habitudes.

34Précisant la manière dont la puissance publique peut permettre de se laver et de prendre soin de soi, le chapitre 9, écrit par Lucie Bony et Claire Lévy-Vroelant, présente les résultats d’une enquête par questionnaire réalisée en 2017 auprès des usagers des bains-douches parisiens17. Si ces établissements sont des lieux fréquentés par les plus pauvres, et très majoritairement des hommes, une part non négligeable des usagers est logée ou hébergée. Selon leur situation résidentielle, leur accès à l’eau varie. Le chapitre montre toutefois que les bains-douches constituent une extension essentielle de l’habitat pour l’ensemble de ces personnes.

35L’ouvrage se clôt avec la contribution de François Grevisse et Anne Delvaux qui exposent les causes et les conséquences d’un accès à l’eau restreint chez des personnes logées. On y apprend ainsi que la pauvreté en eau a des fondements et des répercussions multidimensionnelles qui concernent aussi bien le budget des ménages, les caractéristiques de leur logement, que leur rapport aux institutions et leur situation administrative, ou encore leur santé et leurs relations sociales. La contribution de ces deux auteurs illustre ainsi, à l’échelle de la région bruxelloise et dans le contexte juridique qui y règle l’accès à l’eau, les différentes facettes que recouvre le concept de pauvreté en eau présenté au début de l’ouvrage.

36Ces quatre chapitres se font écho et s’enrichissent mutuellement sous plusieurs angles. Approcher les précarités liées à l’eau par leur vécu subjectif permet d’abord d’interroger l’aspect corporel, sensible, incarné et genré de la précarité sanitaire, sans toutefois laisser à part la question de l’appartenance sociale et des habitudes culturelles. Les représentations du corps, les notions de propre et de sale en rapport avec l’eau sont au cœur du sujet. Cette entrée par l’expérience permet également de saisir la singularité des situations, d’appréhender la débrouillardise et l’inventivité de chacune des personnes confrontées à des privations ou restrictions d’eau. On aurait tort de ne voir les précaires que sous l’angle de la contrainte et de la dépossession, comme des êtres dépourvus de toute capacité d’action et de narration (Bertaux et al., 2014). À l’instar d’autres situations minoritaires (Chassain et al., 2016), l’expérience de la précarité sanitaire se constitue et s’exprime aussi par la mobilisation de ressources et de compétences permettant de faire face aux épreuves matérielles et symboliques et de résister au discrédit. Ces expériences de précarités liées à l’eau donnent enfin à voir les enjeux politiques dont ces situations sont porteuses. Faire l’expérience de la précarité en eau, c’est, en effet, établir un rapport particulier aux institutions, fournisseurs d’eau, dispositifs locaux d’action sociale, associations, etc. Ces relations mettent en jeu des normes avec lesquelles les personnes ayant des difficultés d’accès à l’eau doivent s’accorder, conduisant aussi bien à des formes de disqualification que de capacité d’agir.

37Ainsi, c’est la reconstitution du parcours semé d’embûches des populations pauvres vers l’accès à un bien commun, dont la jouissance semble aller de soi dans le contexte des pays riches, que l’ouvrage tente de tracer en proposant quelques repères utiles et des pistes pour aller plus loin.