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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Introduction I. La famille sénégalaise à l’épreuve des migrations internationales II. Les échelles de la dispersion des familles ouest-africaines Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    La famille à distance

    Ce livre est recensé par

    • Jordan Pinel, Revue européenne des migrations internationales, mis en ligne le 9 octobre 2020. URL : https://journals.openedition.org/remi/14713 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.14713
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    Table des matières

    Chapitre 9

    Les configurations spatiales des familles ouest-africaines en France

    David Lessault et Guillaume Le Roux

    p. 213-236

    Texte intégral Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    Texte intégral

    Introduction

    1Ce chapitre traite de la dispersion géographique des familles ouest-africaines, un objet d’études qui appartient à un contexte de production scientifique particulier. D’un côté, en Afrique de l’Ouest, l’inflation des recherches en sciences sociales sur les migrations internationales a eu pour effet de valoriser l’étude des fonctionnements familiaux au-delà des frontières. Comme tendent à le montrer les travaux théoriques conduits à Migrinter, après l’attention portée aux collectifs de migrants puis à l’individu comme « acteur-migrant », la famille transnationale émerge dans les études migratoires comme une figure socio-économique centrale projetée dans un espace international. De l’autre côté, en France comme dans la plupart des pays européens, l’usage des catégories de la statistique publique apparente les migrations ouest-africaines à un mouvement d’entrée définitif et à sens unique dans le pays d’accueil. Dans cette optique, l’arrivée des hommes, souvent jeunes adultes, est un préalable à la construction d’un ménage de type nucléaire, par réunification du couple dans le pays d’immigration et constitution d’une descendance ou rapprochement des enfants dans le cadre du regroupement familial.

    2En réponse à cette vision binaire de la famille (famille transnationale versus regroupement familial) qui nourrit les représentations et l’imaginaire collectif dans les pays d’origine et les pays d’installation, notre principal objectif est d’interroger ces deux catégories en proposant des mesures de dispersion à différentes échelles géographiques. La famille transnationale est-elle durable ? Comment la penser lorsque le regroupement familial dans les pays de destination a lieu ? Notre démarche s’inscrit dans un itinéraire de recherche partagé où la réflexion initiale sur la famille s’est développée depuis les pays du Sud (Sénégal, Burkina Faso, Colombie) dans un souci de localisation géographique de la parenté dans les villes. La mise en œuvre du projet ANR LiLi1 nous a conduits à adopter un autre point de vue. Observer la géographie des familles depuis le pays d’immigration permet en effet de « spatialiser le regard » (Simon, 2006) porté sur les réseaux familiaux.

    3Une première partie confronte deux points de vue géographiques de la famille sénégalaise à partir d’expériences de recherche prenant leurs sources dans le pays d’origine et prolongées en France. Vue du Sénégal, où plusieurs enquêtes sociodémographiques peuvent être mobilisées, la projection spatiale de la famille reflète d’abord les choix méthodologiques opérés en matière de collecte des lieux de résidence de la parenté. La mesure de la dispersion géographique des familles est délicate à effectuer à plusieurs échelles ; les tendances dégagées restent éclairantes mais encore imprécises. En France, ancien pays d’immigration, l’étude des familles sénégalaises est également soumise au filtre d’un appareil statistique qui déforme à la fois la réalité des pratiques migratoires et celle des fonctionnements familiaux, souvent réduits aux relations observées au sein du « ménage ». Certains travaux récents menés à partir d’enquêtes quantitatives se sont partiellement affranchis de ces contraintes conceptuelles en proposant une lecture des couples et de la famille « à distance » (Trajectoires et Origines, TeO, Insee-Ined, 2008, et Migrations entre l’Afrique et l’Europe, Mafe, Ined, 20082). Cela étant, l’analyse réduit l’étude des fonctionnements familiaux dans l’espace à l’échelle internationale. Or, en l’absence d’outil statistique adéquat pour préciser la géographie de la parentèle, rien n’indique que le modèle de la famille dite « transnationale » s’impose comme une nouvelle norme chez les migrants originaires du Sénégal.

    4En nous appuyant sur les données de l’enquête Famille et logements (EFL, Insee, 2011), nous proposons dans la deuxième partie une mesure de la configuration de la famille transnationale en explorant la dispersion spatiale des familles de migrants ouest-africains installés en France. Le passage d’une observation de la famille sénégalaise à la famille « ouest-africaine » n’est pas une intention délibérée. Mais les catégories imposées par l’Insee rendent impossible la désagrégation des données par pays de naissance, et les effectifs sénégalais de l’enquête auraient été trop limités pour conduire les analyses quantitatives appropriées. Une majorité des enquêtés originaires d’Afrique de l’Ouest sont toutefois nés au Sénégal, au Mali, en Mauritanie ou en Guinée (deux tiers des effectifs), dont le contexte socioculturel est assez proche.

    5L’univers familial qui fait l’objet des traitements statistiques de l’enquête EFL est réduit aux parents et aux enfants vivants de l’enquêté. Les résultats présentés ici pourront utilement être complétés par la lecture du chapitre de cet ouvrage portant sur le rôle des fratries sénégalaises dans le fonctionnement de la « famille à distance »3. Enfin, le cas « ouest-africain » se prête assez bien à une analyse de la « famille à distance », dans la mesure où les travaux socio-anthropologiques ont depuis longtemps montré, à différentes échelles, « l’ubiquité résidentielle » des migrants originaires de la région (Lututala, 2006). Les pratiques de multirésidence, dont ils n’ont certes pas le monopole ni l’exclusivité4, sont néanmoins fréquentes dans ces familles à base élargie dont le fonctionnement s’est toujours mal accordé avec l’idée d’unicité du lieu de résidence. Un point particulier de l’analyse y est consacré.

    I. La famille sénégalaise à l’épreuve des migrations internationales

    6Cette première partie expose certains modes de lecture employés pour caractériser les fonctionnements familiaux au Sénégal. Notre propos s’appuie sur les résultats de programmes de recherche successifs (Enquête Jeunesse et devenir de la famille à Dakar, IRD-Ifan, 2001 ; Mafe-Sénégal, Ined, 2008) qui se sont attachés à produire des données et des analyses quantitatives sur les caractéristiques des familles dakaroises. Du logement à Dakar aux configurations induites par la migration internationale, plusieurs points de vue géographiques et conceptuels des familles sont convoqués.

    1. Les projections spatiales des familles dakaroises depuis le Sénégal

    7Si la forme d’organisation familiale « en grandes unités domestiques » a longtemps prévalu au Sénégal et a permis d’expliquer le phénomène de la cohabitation prolongée des jeunes, elle s’effriterait de plus en plus sous l’effet de l’urbanisation, de la production de nouvelles formes de logement, de la fragilisation des solidarités familiales et des aspirations des jeunes (Antoine et al., 2001). Cette situation est perceptible dans presque toutes les grandes villes du pays, en particulier à Dakar. Du fait des mutations socioéconomiques récentes, on assiste dans la capitale à l’émergence de nouvelles pratiques résidentielles non plus basées sur les anciennes formes de solidarité, mais plutôt sur une individualisation des trajectoires d’insertion résidentielle. Avoir un « chez soi » et vivre hors du domicile des parents participe pour certains jeunes dakarois à l’affirmation d’une identité personnelle et de leur capacité à prendre charge leur propre destinée. Les stratégies de réponse à ce nouveau besoin se déploient en plusieurs options qui vont de l’acquisition d’une résidence clé en main à l’occupation spontanée, en passant par la location, voire l’émigration internationale – objet du moins de nombreuses aspirations.

    8Ces tendances sont toutefois à relativiser. D’une part, les résultats de l’enquête sociodémographique « Jeunesse et devenir de la famille à Dakar » menée en 2001 par l’Ifan et l’IRD auprès de 546 ménages de l’agglomération soulignent le maintien d’une taille élevée des ménages dans la ville (7,17 personnes par logement en moyenne). Cette concentration des membres de la parenté correspondrait à une stratégie familiale dominante favorisant le regroupement dans le logement pour ne pas disperser les dépenses et mutualiser les ressources (Antoine, et al., 2001). Cette hypothèse a également été mobilisée pour expliquer le retard à la décohabitation observé chez les jeunes dakarois, astreints à une certaine dépendance vis-à-vis des aînés (Diagne et Lessault, 2007). Plutôt qu’une mise à distance des membres de la parenté, la tendance dégagée par cette enquête est celle du regroupement géographique et de la concentration locale des familles sous l’effet de l’urbanisation et de la persistance de la crise économique. À cela vient s’ajouter l’effet des migrations internes vers la ville, souvent nourries par des jeunes qui y construisent leur famille. La tendance observée, à Dakar comme dans d’autres villes ouest-africaines, est bien celle d’une évolution du ménage de type nucléaire à des formes de cohabitation plus complexes (Boyer et Delaunay, 2014).

    9Par ailleurs, l’éclatement géographique des lieux de résidence de la famille élargie ne signifie pas la rupture ou l’effacement des liens familiaux. Des travaux socioanthropologiques déjà anciens ont mis en question l’approche démographique de la famille par des ménages rattachés à un lieu de résidence unique, le logement. L’approche par les « systèmes résidentiels familiaux » (Osmont, 1981) a montré comment les familles dakaroises, dans une acception élargie, sont organisées en plusieurs unités résidentielles spatialement éclatées dans la ville et sont intimement liées aux espaces ruraux d’origine et parfois même aux lieux d’émigration en France. Ce mode de fonctionnement à distance – dont les liens sont avant tout concentrés à l’échelle locale mais peuvent s’étendre au niveau national, voire international – est fondé sur la circulation des individus apparentés dans le but de bénéficier d’une rente de localisation pour répondre aux besoins du moment du groupe familial (en matière de logement, d’emploi, d’éducation, de soins, d’entre-aide, de relations conjugales) et ainsi d’optimiser l’accès à des ressources dispersées. D’autres travaux se sont appuyés sur la figure de la « famille en archipel » pour saisir les fonctionnements familiaux dans le cadre des migrations internes et internationales à l’échelle ouest-africaine. Le recours à ce concept se justifie dans la mesure où il « permet de prendre en compte les territoires (les lieux) et les flux de personnes et de biens (entre les lieux) sous différents aspects (économiques, sociaux, religieux, symboliques) » (Quesnel, 2009). Les contraintes qui pèsent sur les groupes familiaux les obligent à une ouverture sur l’extérieur et exigent « une construction en archipel comme forme d’organisation et comme forme spatiale d’habiter, de produire et de consommer pour mieux vivre » (ibid.). La mobilité réalisée à différentes échelles – dont le « cadre régional », qui reste nettement prédominant –, apparaît alors comme une ressource majeure pour la famille.

    10Par le jeu des migrations successives, les structures familiales sénégalaises ont été analysées à une autre échelle, dépassant le cadre national et celui de la sous-région. La conception de la famille dispersée entre plusieurs pays s’est progressivement affirmée dans les recherches récentes dédiées aux migrations internationales. Son fonctionnement à distance, assurant le maintien et la cohésion sociale et économique du groupe, est par exemple abordé dans les travaux sur la circulation migratoire (Ma Mung et al., 1998). Malgré l’éloignement géographique des membres de la parenté, il n’y a pas de rupture entre les différents lieux de la migration mais plutôt des relations multiformes, entretenues par une circulation humaine et économique, qui résistent à l’épreuve du temps sur plusieurs générations (Dia, 2010 ; Grysole, 2016). Ce mode de fonctionnement – caractérisé par le maintien de relations étroites entre la grande ville et les campagnes – s’apparente aux logiques mentionnées précédemment pour les migrations internes, ou encore observées pendant la période d’urbanisation des pays d’Afrique de l’Ouest (Chaléard et Dubresson, 1989). Le succès d’une conception « transnationale » de la famille coïnciderait avec un nouveau cycle migratoire projetant les groupes sociaux vers « l’extérieur » sans pour autant couper les liens avec « l’intérieur ». La dispersion internationale croissante des membres de la parenté correspondrait au besoin de diversification des activités des familles dans un contexte de crise économique durable et de pénurie des ressources disponibles aux niveaux local et national.

    11Si la dispersion internationale du groupe familial se réalise d’abord plus intensément à l’échelle de la sous-région (dans les pays voisins), la période récente est marquée par une multiplication des migrations vers les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. La famille articule désormais les pays d’origine avec les anciennes métropoles mais aussi de nouveaux pays de destination. Certains systèmes migratoires passant de « bipolaire » à « diasporique », la famille devient le cadre préférentiel d’analyse des relations entre les pays d’origine et les pays de destination. Trajectoires et circulations migratoires se complexifient, mettent en relation un nombre croissant de lieux et redessinent les territoires familiaux. Dans ce contexte, les données de l’enquête Mafe-Sénégal permettent de livrer une première estimation du poids des « familles transnationales » dans la région administrative de Dakar (tableau 1).

    Tableau 1. Distribution des ménages dakarois selon leur lien avec la migration internationale

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    12D’après l’enquête et selon les contours de la parentèle adoptés5, en 2008, 36,2 % des ménages déclaraient un ou plusieurs membres de la famille installés à l’étranger, le plus souvent dans un pays européen. Dans 1 cas sur 4, il s’agissait de parents ayant des liens étroits avec le chef de ménage (enfants ou conjoints). Mais, dans les mêmes proportions, il pouvait aussi s’agir d’individus ayant d’autres liens de parenté (frères/sœurs ; belle-famille ; neveux/nièces, etc.). Deux limites importantes peuvent ici être évoquées : d’une part, ces derniers (membres ayant d’« autres liens ») peuvent avoir été déclarés par d’autres ménages de Dakar, ce qui multiplie les risques de double compte ; l’inclusion des membres de la belle-famille du chef de ménage et de ses enfants élargit sensiblement les contours de la famille. D’autre part, il aurait été intéressant de connaître la localisation au Sénégal des « membres partis » du ménage ou « migrants », afin de mieux dégager le poids réel de la dispersion internationale par rapport à la dispersion nationale. Cela étant, l’enquête met bien en évidence une proportion importante de ménages dakarois ayant un lien familial et/ou économique avéré avec des migrants internationaux.

    2. (Re)compositions familiales dans un pays historique d’installation

    13En Europe, la France constitue depuis plusieurs décennies l’un des principaux pays d’installation des migrants sénégalais. La famille sénégalaise y a fait l’objet d’une attention particulière de la part de chercheurs soucieux de décrire ses fonctionnements dans une perspective d’intégration des immigrés dans la société d’accueil. Leurs travaux permettent de distinguer schématiquement 3 temps forts de la construction des familles dans les populations immigrées en France. Amorcée dans les années 1960, la migration sénégalaise vers la France est d’abord une migration de travail concernant des hommes seuls. Pour la plupart issus du monde rural, ces migrants envisagent le séjour en France de manière temporaire. Femmes et enfants sont maintenus dans le pays d’origine. La migration internationale n’est pas conçue de manière durable, la mise à distance de la famille est donc temporaire et les stratégies résidentielles des migrants sont tournées vers le village en prévision d’un inévitable retour. À partir des années 1970 et jusqu’à la fin des années 1980, on assiste à un tournant majeur qui va fortement faire évoluer la structure des familles en France. L’arrêt officiel de l’immigration de travail en 1974 marque la fin de la noria et le développement de stratégies de regroupement familial. C’est un moment de refondation du pôle familial souvent mal perçu par la société d’accueil, qui va rapidement durcir les procédures du regroupement familial. L’image catastrophique de l’immigration familiale africaine – polygame, aux pratiques culturelles incomprises, avec une descendance nombreuse vivant dans des logements surpeuplés et insalubres – choque l’opinion publique alors que bon nombre de familles avaient réussi leur insertion résidentielle et sociale (Barou, 2001). Au cours de cette période, les stratégies de regroupement et de fondation familiaux ont eu pour effet de prolonger les durées d’installation en France. L’arrivée des enfants à l’adolescence soulève de nouveaux problèmes liés à l’autorité, les premiers divorces sont observés, si bien que les migrants changent eux-mêmes de position sur le regroupement familial (ibid.). À partir des années 1990, l’avancée dans le cycle de vie des premiers arrivants et le décès des parents ainsi que la décohabitation des jeunes du domicile parental s’ajoutent à la poursuite d’une immigration sénégalaise de plus en plus diversifiée en termes d’âge et de profil socioéconomique. Ainsi, les temps successifs de la noria, du regroupement familial et du vieillissement des immigrés se superposent, compliquent la lecture actuelle des structures familiales.

    14Plus récemment, les familles de migrants sénégalais établis en France ont été étudiées dans une dimension à la fois transnationale et biographique. En plus de l’Italie et de l’Espagne, la France a été intégrée au projet Mafe, prolongeant ainsi en Europe l’enquête menée la même année à Dakar. La richesse de l’information collectée auprès des individus permet d’avoir une lecture interactive des calendriers résidentiels, familiaux et professionnels depuis la naissance des migrants jusqu’à la date de l’enquête. Les questionnaires incluent également l’histoire de la corésidence de l’enquêté ainsi que les migrations internationales des membres de son entourage.

    15Au moyen de ces données, il est par exemple possible de distinguer, pour chaque individu, les périodes durant lesquelles il réside avec son conjoint de celles où il ne cohabite pas même si l’union continue. Des travaux récents (Beauchemin et al., 2015) se sont donc intéressés à la fréquence et à la durabilité des situations de « Living Apart Together Across Borders » (LATAB) chez les migrants sénégalais vivant en Europe. Les auteurs estiment qu’après 10 ans de présence en France, 81 % des hommes sénégalais sont toujours séparés de leur conjoint(e) alors qu’ils sont encore en union. Durant cette période, 19 % des couples seulement se sont donc réunifiés géographiquement en France. La situation de LATAB serait à la fois fréquente et durable, ce qui soutient l’idée d’une prédominance des couples « transnationaux » chez les migrants sénégalais. Comme le soulignent les auteurs, il est important de pouvoir mesurer le « non-regroupement » au-delà de la comptabilité administrative des titres de séjours pour motif de regroupement familial. Dans le cas des Sénégalais, la fréquence et la durabilité des couples « à distance » peuvent s’expliquer par différents facteurs, notamment par le contexte socioéconomique du pays d’origine. D’abord, rappelons que, selon les normes familiales de la société sénégalaise, la solidarité lignagère semble encore prévaloir sur les relations de couple – « la famille se confond avec le lignage et se différencie du ménage » (Bergeon et al., 2013). Ensuite, le rôle social de la femme dans le pays d’origine peut s’orienter, en l’absence du mari, vers la prise en charge de la belle-famille (beaux-parents, frères, sœurs) et vers le contrôle des transferts financiers adressés par le migrant – « L’immobilité des uns permet la mobilité des autres » (ibid.). Enfin, pour certains, les séjours temporaires mais réguliers au pays d’origine permettent d’entretenir les liens conjugaux à distance, parfois même d’assurer la descendance.

    16Passant de l’histoire résidentielle des couples à celle de l’univers familial décrit dans l’enquête Mafe (composition des logements successifs occupés par l’enquêté et migrations des membres de l’entourage à l’étranger), une tentative d’analyse plus descriptive de la construction des « systèmes résidentiels familiaux » des migrants sénégalais a été envisagée (Lessault, 2014). Cette dernière montre à la fois la diversité et le caractère labile des configurations géographiques de la famille. Sans préjuger de leur poids relatif, car la taille et les caractéristiques de l’échantillon ne le permettaient pas, on peut distinguer 3 grands types de configurations observées au moment de l’enquête :

    • une situation où la famille est polarisée et regroupée en France (enfants et conjoints) avec un lien économique parfois distendu avec le pays d’origine, qui concerne surtout les anciens migrants établis en France entre la fin des années 1960 et les années 1980 ;
    • une situation où la famille est bipolarisée entre la France et le Sénégal, qui concerne souvent de plus jeunes migrants (arrivés depuis les années 1990) dont les parents ou le conjoint vivent au Sénégal, ce qui maintient un lien économique fort et occasionne des visites régulières au pays d’origine ;
    • et une situation plus complexe où la famille (parents, fratrie, enfants) est très dispersée à l’échelle internationale (en Afrique, en Europe et aux États-Unis), et où le migrant fait preuve d’une forte mobilité internationale.

    17Ces différentes situations résultent d’une lente construction où plusieurs configurations spatiales s’enchaînent au cours de la vie du migrant selon les événements familiaux, les turbulences professionnelles ou les parcours résidentiel et migratoire.

    18Les structures familiales sénégalaises observées aujourd’hui en France sont donc le produit complexe de l’histoire des mouvements migratoires, de la composition par âge et des pratiques des migrants restés dans le pays d’accueil. Encore faut-il prendre en compte l’ensemble des migrations susceptibles d’affecter la recomposition géographique des familles. À l’échelle internationale, les migrations dites « de retour » ou la « ré-émigration » vers d’autres destinations sont des pratiques fréquentes chez les migrants. Elles ont pu être démontrées récemment chez les migrants sénégalais : « 10 ans après leur premier départ, un tiers des migrants sénégalais partis dans un pays du Nord étaient retournés dans leur pays d’origine » (Lessault et Beauchemin, 2009). Quant à la ré-émigration, on sait, par l’étude des trajectoires migratoires des populations enquêtées dans d’autres pays que la France ne constitue pas toujours le point « final » des parcours individuels observés (Dia, 2010 ; Lessault, 2014).

    19À l’échelle nationale, la distribution géographique des migrants sénégalais en France n’est pas aussi uniforme et statique que la concentration en région parisienne ne le laisse penser. D’abord, leur installation s’est réalisée par le biais de plusieurs points d’entrée sur le territoire, privilégiant certes la région parisienne, mais aussi historiquement les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes, Haute-Normandie et Aquitaine. Ensuite, le temps de l’installation, durant lequel prévaut souvent une certaine instabilité résidentielle des migrants (périodes d’hébergements successifs, de multirésidence, etc.), est suivi d’une mobilité résidentielle interne au territoire qui tend à redistribuer cette population selon deux tendances dominantes : une forte mobilité régionale autour des grandes villes (Lyon, Marseille, Paris) et une mobilité résidentielle depuis les grandes villes de province (Bordeaux, Nantes, Toulouse en particulier) vers la région parisienne. C’est du moins ce qui est observé à travers l’étude des trajectoires résidentielles des Sénégalais interrogés dans le cadre de l’enquête biographique Mafe en France. Ainsi, à l’éclatement (au moins géographique) des familles lié à la migration internationale s’ajoute progressivement l’effet des migrations internes au pays d’accueil, qui recompose à une autre échelle les géographies familiales.

    II. Les échelles de la dispersion des familles ouest-africaines

    20En nous appuyant sur ces éléments de contexte, nous faisons l’hypothèse que la configuration spatiale des familles ouest-africaines en France n’est ni réductible au modèle de la famille dite « transnationale » – fonctionnant entre 2 ou plusieurs pays –, ni à celui du regroupement de familles nombreuses au sein d’un même logement. Cette partie vise à démontrer la diversification des configurations spatio-familiales, liée aux dynamiques migratoires, aux effets du cycle de vie, et à l’ancienneté de résidence sur le territoire. Considérant l’ensemble de ces temporalités, c’est la pérennité des configurations transnationales des familles ouest-africaines qui est mise en question.

    1. Les familles ouest-africaines dans leur logement en France

    21En France, les sources de données quantitatives susceptibles de fournir une localisation précise de la parenté sont rares. Les données de recensement fournissent un premier niveau d’information sur la localisation des ménages et leurs principales caractéristiques au sein des logements occupés. Si la composition des ménages ouest-africains (ayant des membres nés étrangers en Afrique de l’Ouest) évolue nettement en fonction de leur durée de présence sur le territoire (tableau 2), les caractéristiques de leur logement restent sensiblement les mêmes. À leur arrivée en France, ce sont en général de petits ménages (personnes seules, en couple ou couple avec peu d’enfants) ; avec l’ancienneté, le ménage s’agrandit et devient plus souvent un couple avec plusieurs enfants. D’une manière générale, les ménages ouest-africains occupent des appartements plus petits que la moyenne nationale et n’améliorent que très légèrement leurs conditions de logement avec leur ancienneté d’installation en France. Ils restent en large proportion locataires, et l’on observe une forte densité d’occupation au sein des logements. Avec l’ancienneté, les ménages se dirigent de plus en plus vers le parc HLM : plus de la moitié de ceux qui sont présents depuis au moins 20 ans occupent ce segment du parc de logements.

    Tableau 2. Composition et caractéristiques des logements occupés par les Ouest-Africains en France

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    Tableau 2. suite

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    22Comparés au reste de la population, les Ouest-Africains sont, en proportion, 2 fois moins à vivre seuls dans un logement ; malgré une proportion plus élevée de grands ménages (16 % de ménages de 6 personnes ou plus), dans les deux tiers des cas, les logements sont occupés par 2 à 4 personnes – soit une composition très proche de la moyenne. Par ailleurs, la proportion de familles monoparentales (femme) est plus élevée que la moyenne et reste importante malgré l’ancienneté sur le territoire. On constate également une proportion importante de ménages « isolés » et « sans famille » au moment de l’arrivée en France, proportion qui diminue rapidement après 10 ans passés en France.

    2. Des configurations spatiales de la famille à géométrie variable

    23La dernière enquête EFL réalisée en 2011 offre de nouvelles opportunités pour appréhender les configurations familiales au-delà du cadre restrictif du logement, et ce, auprès de populations « rares », comme les immigrés ouest-africains. L’enquête fournit par exemple une information sur la corésidence d’Ego et sur la localisation de ses enfants et parents hors du logement en France et à l’étranger avec une précision à l’échelle de la commune. La taille de l’échantillon (365 000 individus de 18 ans et plus) permet d’assurer une représentativité à l’échelle nationale et régionale pour des groupes de populations restreints. Ces données sont associées au bulletin individuel et à la feuille logement du recensement, ce qui en enrichit les possibilités d’analyse. La création d’indicateurs de dispersion et l’intégration de ces données dans un Système d’information géographique ouvrent de nouvelles perspectives d’analyse et de représentation spatiale des familles.

    24Afin de caractériser et de mesurer la dispersion des familles ouest-africaines en France et à l’étranger, nous avons recours à plusieurs méthodes :

    • analyse de dyades de lieux (localisation relative des parents et enfants en France et à l’étranger et d’un éventuel « autre logement fréquenté de manière habituelle ») ;
    • analyse spatiale des « entourages familiaux » (localisation des parents et enfants hors du logement de référence) en France ;
    • construction d’une typologie des configurations spatiales des familles susceptible de rendre compte de la complexité des situations observées.

    25Considérant la dispersion comme un processus dynamique, nous avons intégré la durée de résidence en France comme variable d’analyse complémentaire.

    26Compte tenu de la tranche d’âge dominante (adultes d’âge mûr), donc de leur position dans le cycle de vie, l’enquête EFL révèle que les deux tiers des Ouest-Africains en France ont à la fois des ascendants et des descendants vivants, localisables en France et à l’étranger. Sans surprise, les parents des migrants résident le plus souvent à l’étranger : environ 80 % des mères et des pères des enquêtés (figure 1). Les enfants des enquêtés résident quant à eux pour 83 % dans le même logement que leurs parents, et pour 7 % à l’étranger.

    Figure 1. Localisation des parents et enfants des Ouest-Africains comparés au reste de la population

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    Source : EFL, Insee, 2011.

    Figure 2. Localisation des parents et enfants des Ouest-Africains selon la durée d’installation en France

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    Source : EFL, Insee, 2011.

    27Tout en contrôlant l’âge (figure 2), on peut lire un effet de l’ancienneté d’installation sur la géographie des parents et enfants. Avec le temps, de moins en moins de parents et enfants résident à l’étranger, la famille est moins dispersée à l’échelle internationale. En revanche, ils sont de plus en plus nombreux à vivre en France, mais en dehors du logement d’Ego, témoignant d’un redéploiement géographique de la famille à l’échelle nationale ou locale, et selon l’ancienneté de présence en France. Plus les enquêtés ont passé de temps en France, plus les membres de la famille hors logement vivent dans la même région.

    28Pour caractériser la dispersion des familles ouest-africaines (parents et enfants) sur le territoire métropolitain par région de résidence, nous avons appliqué aux données de l’enquête EFL une méthode d’analyse par ellipse de dispersion (encadré 1).

    Encadré 1. Construction des ellipses de dispersion

    Les ellipses de dispersion (Standard Deviational Ellipses) ont été introduites par Lefever (1926) et utilisées pour résumer différentes statistiques spatiales d’un semis de points. Les caractéristiques géométriques de l’ellipse servent à représenter différentes caractéristiques du semis de points – bien qu’en réalité les mesures de dispersion utilisées ne correspondent pas avec exactitude aux propriétés géométriques d’une ellipse (Gong, 2002) : sa position indique le centre de gravité, son orientation l’axe de plus grande dispersion des points, sa taille la plus ou moins grande dispersion des points et le rapport entre les deux axes, la forme de la dispersion (circulaire – sans orientation privilégiée – versus linéaire –le long d’un axe). L’ellipse est constituée selon les trois étapes suivantes :

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    Ces représentations sont utiles pour mettre en évidence des tendances spatiales et pour comparer la distribution spatiale de plusieurs semis de points.

    29L’analyse spatiale des « entourages » (parents et enfants hors logement) requiert la prise en compte de plusieurs modalités : la distance, la dispersion et l’orientation géographique des membres de la parenté. La représentation en ellipses de dispersion utilisée ici résume différentes statistiques spatiales d’un semis de point (figure 3). Son interprétation aboutit à plusieurs résultats.

    Figure 3. Cartographie des « entourages » familiaux ouest-africains

    Image

    Traitement : Guillaume Le Roux, 2015. Source : EFL, Insee, 2011.

    30Par rapport au reste de la population, on observe une moindre dispersion des familles ouest-africaines sur le territoire avec une concentration de la parenté plus marquée en région parisienne et en Haute-Normandie (figure 3 et tableau 3), « berceau historique » de l’installation des Ouest-Africains en France. On note également une polarisation des configurations familiales par la région parisienne.

    Tableau 3. Superficie des ellipses sur les régions communes (corrélée avec la dispersion des points)

    Image

    31La région parisienne constitue une exception par rapport aux autres régions : avec l’ancienneté, les familles commencent par se disperser puis se recentrent sur la région parisienne (tableau 4). Dans les autres régions, avec le temps, la dispersion s’accentue en s’orientant de plus en plus franchement vers Paris (figure 3 et tableau 5).

    Tableau 4. Superficie des ellipses pour l’Île-de-France selon l’ancienneté d’arrivée en France

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    Tableau 5. Superficie des ellipses pour les 3 grandes régions selon l’ancienneté d’arrivée en France

    Image

    32Ce procédé d’analyse présente une limite importante : il ne prend en compte ni la corésidence, ni la localisation des membres de la parenté à l’étranger. Son interprétation reste donc délicate et son utilisation pourrait être améliorée. Pour dépasser cette limite dans l’analyse de la dispersion des familles, nous avons construit une typologie intégrant les localisations à l’étranger et la corésidence des parents et des enfants. Nous proposons 7 types de configurations spatiales (figure 4). Alors que la composition des ménages ouest-africains apparaît à première vue assez proche de celle des autres ménages vivant en France, en « sortant du logement », les configurations spatiales des familles sont beaucoup plus différenciées. Trois types dominants recouvrent les trois quarts des situations observées.

    • – La configuration spatiale la plus courante est celle de la famille « partagée entre la France et l’étranger, mais dont les membres vivant en France partagent le même logement ».
    • – La deuxième correspond à la famille groupée en France au sein d’un même logement.
    • – La troisième met en évidence les individus « isolés », du moins vivant sans parent ni enfant dans leur logement alors que les parents résident à l’étranger.

    Figure 4. Typoplogie des configurations spatiales des familles ouest-africaines selon leur composition

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    Source : EFL, Insee, 2011.

    33La typologie obtenue est fortement influencée par la composition de la famille. Ainsi, assez logiquement, les « isolés » correspondent majoritairement aux migrants qui n’ont pas d’enfant, les familles qui sont dispersées sont généralement celles des enquêtés qui ont leurs parents en vie et des enfants, et les familles qui sont entièrement en France sont pour la plupart celles des enquêtés dont les parents sont décédés. Cependant, ce n’est pas une règle, et des familles « complètes » (parents et enfants vivants) peuvent être localisées entièrement en France, dans le logement (15 %) ou bien dispersées (11 %) ; des familles « sans ascendant » peuvent être dispersées entre la France et l’étranger (12 %) ou complètement à l’étranger (13 %).

    34Ces configurations spatiales sont aussi susceptibles de varier selon la durée de présence en France (figure 5). Dans les premières années, on note une forte présence de la famille à l’étranger, qui diminue au fur et à mesure du temps passé en France. Toutefois, même après 20 ans de présence en France, il existe une forte proportion de familles dispersées entre la France et l’étranger (plus de la moitié).

    Figure 5. Typologie des configurations spatiales des familles ouest-africaines selon la durée de présence en France

    Image

    Source : EFL, Insee, 2011.

    35La composition sociodémographique des migrations ouest-africaines influence la dispersion des membres de la famille. À leur arrivée, les Ouest-Africains sont plutôt jeunes, célibataires ou en couple, et leurs parents vivent en Afrique de l’Ouest ; ils paraissent plutôt « isolés » en France. Avec le temps, ils constituent une famille, plus fortement concentrée au sein du logement que la moyenne nationale – en raison du maintien tardif des enfants dans le logement sans doute lié au niveau socioéconomique. Puis, certains enfants décohabitent ; lorsqu’ils le font, ils résident fréquemment à proximité de leurs parents, en France et souvent dans la même région. C’est principalement la localisation d’un ou des parents à l’étranger, en général dans le pays d’origine, qui contribue pour un temps au maintien de la dispersion internationale des familles. Sous l’effet du cycle de vie et des décès des ascendants restés au pays d’origine, on doit s’interroger sur la pérennité du modèle de la famille dite « transnationale », ainsi que si l’immigration ouest-africaine venait à diminuer ou les retours au pays d’origine à s’intensifier.

    36Les données de l’enquête EFL rendent donc compte des configurations spatiales des familles ouest-africaines, mais avec une restriction de l’univers familial aux ascendants et descendants. Or, le fonctionnement de la famille et les contours de son territoire ne sauraient être réduits à ces seuls liens de parenté. L’organisation des « systèmes résidentiels familiaux » étendus à la fratrie ou à « l’entourage », mise en évidence par d’autres enquêtes au Nord comme au Sud, témoigne de cette limite. L’EFL permet néanmoins de dépasser cette contrainte dans une certaine mesure, en fournissant des informations sur un éventuel « autre logement habituellement fréquenté », et le cas échéant sur ses modalités de fréquentation (motif, type, rythme, etc.). Il est donc possible d’analyser les pratiques de multirésidence associées à des motifs familiaux en France et à l’étranger (tableau 6) sans que la parenté soit réduite stricto sensu à l’univers des parents et des enfants.

    Tableau 6. Pratique de la multirésidence chez les immigrés ouest-africains

    Image

    37Ces résultats – dont la portée doit être relativisée au regard des valeurs manquantes et de la faiblesse des effectifs – indiquent d’abord que les immigrés ouest-africains sont peu nombreux à déclarer fréquenter habituellement un autre logement (6 %). Pour les individus concernés, ce logement se situe plus souvent à proximité (34 % en déclarent la localisation dans la même commune), mais aussi à l’étranger (22 %). La fréquentation de cet autre logement est souvent liée à la présence de la famille : dans la moitié des cas, il s’agit d’un logement où résident des membres de la famille. Malheureusement, on ne dispose que de peu d’information sur les logements fréquentés à proximité. Peu de motifs sont signalés, mais quand l’information existe, on retrouve deux cas de figure : soit les personnes vivent habituellement en couple et déclarent fréquenter un autre logement en alternance où résident d’autres membres de la famille ; soit il s’agit de personnes seules mais qui fréquentent d’autres logements habités ou non par des membres de la famille (motifs avec beaucoup de valeurs manquantes). Pour les logements fréquentés dans une autre région en France, les motifs majoritaires restent familiaux et professionnels à des rythmes week-end/semaine ou de quelques mois. Les logements fréquentés en Afrique de l’Ouest sont principalement motivés par des visites à la famille, dans un logement où résident des membres de la famille. Pour les logements fréquentés ailleurs à l’étranger, ils sont liés aux trois quarts à des raisons familiales, à un rythme occasionnel (« plus rarement »), et pour un quart au travail, sur une durée plus longue (« quelques mois »).

    Conclusion

    38Après 50 ans de migrations ouest-africaines en France, plusieurs facteurs ont affecté les structures familiales et contribué à son redéploiement dans l’espace. Les effets du cycle de vie, l’ancienneté d’installation en France et les mouvements migratoires (internes et internationaux, flux d’entrées et de sorties) comptent parmi les plus décisifs. Faute de données statistiques permettant de préciser la localisation des parents et des enfants de migrants en France et à l’étranger, la lecture géographique des familles fut longtemps limitée à la distribution des individus sur le territoire national, aux caractéristiques et à la composition de leur logement. Il s’agissait d’une cartographie des ménages immigrés peu conforme à l’organisation de ces familles dans l’espace.

    39Dans le cas particulier des populations ouest-africaines, l’approche statistique par le ménage revient à segmenter des liens familiaux qui fonctionnent souvent avec d’autres lieux. On ne saurait donc caractériser la famille ouest-africaine par la seule analyse de la composition des ménages et limiter son cadre de fonctionnement au seul logement. Ce filtre statistique est probablement pour beaucoup dans l’incertitude qui pèse encore dans les débats publics et les discours politiques entre ceux qui perçoivent l’immigration ouest-africaine comme une entrée définitive en France à laquelle succède inévitablement l’arrivée du reste de la famille (femmes et enfants), et ceux qui conçoivent cette migration en termes de circulation des membres de la parenté entre le pays d’origine et le pays d’installation selon une logique « transnationale ». À cet égard, notre analyse des différentes temporalités – temps de présence en France, temps des générations et de la décohabitation – rend d’autant plus pertinentes les questions qui se multiplient aujourd’hui sur l’avenir des configurations transnationales de la famille (Cortès, 2011), alors que les parents vieillissent au pays d’origine (ou sont décédés) et que les générations suivantes consolident leur installation en France.

    40Ainsi, les données de la dernière enquête Famille et logements viennent utilement compléter les avancées récentes en matière de connaissance du fonctionnement à distance des familles ouest-africaines. En fournissant le détail des localisations des ascendants et des descendants d’immigrés dans un échantillon représentatif de cette population, elles offrent un éclairage quantitatif des situations familiales analysées dans le cadre d’enquêtes spécifiques récentes de l’Ined (Mafe, 2008 ; TeO, 2009) ou de travaux sociologiques aboutis (J.Barou, 2001 ; Dia, 2010). L’appariement des données de l’enquête à celles du recensement permet d’intégrer des variables supplémentaires et ainsi d’enrichir l’analyse de la structure et de la dispersion des familles en fonction de l’âge des migrants ou encore de l’ancienneté de leur installation en France. Vue d’Afrique de l’Ouest ou de France, l’évolution récente des géographies familiales est souvent abordée en strict lien avec les migrations internationales, ce qui a pour effet d’évacuer les recompositions qui se jouent aux échelles intermédiaires locales et nationales. L’intégration, à la géographie familiale obtenue, des lieux de résidence des conjoints (hors logement) et de la fratrie, sans a priori d’échelle géographique, permettrait encore d’enrichir la cartographie des territoires familiaux ouest-africains.

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    10.4000/remi.2815 :

    Notes de bas de page

    1 Voir la présentation des sources en fin d’ouvrage.

    2 Voir les présentations de ces enquêtes en fin d’ouvrage.

    3 Voir dans cet ouvrage le chapitre 12.

    4 Voir dans cet ouvrage le chapitre 2.

    5 Parmi lesquels figurent les enfants du chef de ménage, les conjoints des membres du ménage et toute autre personne ayant un lien de parenté avec le chef de ménage et ayant eu des contacts réguliers avec lui au cours des 12 derniers mois.

    Auteurs

    • David Lessault
    • Guillaume Le Roux
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    3 Voir dans cet ouvrage le chapitre 12.

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    5 Parmi lesquels figurent les enfants du chef de ménage, les conjoints des membres du ménage et toute autre personne ayant un lien de parenté avec le chef de ménage et ayant eu des contacts réguliers avec lui au cours des 12 derniers mois.

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    • Pinel, Jordan. (2019) Séraphin Gilles, Famille et migration. Revue européenne des migrations internationales, 35. DOI: 10.4000/remi.12408
    • Sierra-Paycha, Célio. (2023) L’expansion du champ migratoire polynésien au xxie siècle : le fait d’une jeunesse qualifiée. L’Espace géographique, Tome 51. DOI: 10.3917/eg.511.0074
    • Lambert, Anne. (2018) Les incidences biographiques du travail mobile. Configurations familiales et rapports de genre. L'Année sociologique, Vol. 68. DOI: 10.3917/anso.182.0315
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    • Bonnet, Carole. Cambois, Emmanuelle. Fontaine, Roméo. (2021) Dynamiques, enjeux démographiques et socioéconomiques du vieillissement dans les pays à longévité élevée. Population, Vol. 76. DOI: 10.3917/popu.2102.0225
    • Lestage, Françoise. (2021) De la conjugalité à distance au soin du corps du conjoint dans un contexte de migration internationale. Anthropologie et Sociétés, 45. DOI: 10.7202/1083792ar

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    Lessault, D., & Roux, G. L. (2018). Les configurations spatiales des familles ouest-africaines en France. In C. Imbert, Éva Lelièvre, & D. Lessault (éds.), La famille à distance (1‑). Ined Éditions. https://doi.org/10.4000/books.ined.16028
    Lessault, David, et Guillaume Le Roux. « Les configurations spatiales des familles ouest-africaines en France ». In La famille à distance, édité par Christophe Imbert, Éva Lelièvre, et David Lessault. Paris: Ined Éditions, 2018. https://doi.org/10.4000/books.ined.16028.
    Lessault, David, et Guillaume Le Roux. « Les configurations spatiales des familles ouest-africaines en France ». La famille à distance, édité par Christophe Imbert et al., Ined Éditions, 2018, https://doi.org/10.4000/books.ined.16028.

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    Imbert, C., Lelièvre, Éva, & Lessault, D. (éds.). (2018). La famille à distance (1‑). Ined Éditions. https://doi.org/10.4000/books.ined.15898
    Imbert, Christophe, Éva Lelièvre, et David Lessault, éd. La famille à distance. Paris: Ined Éditions, 2018. https://doi.org/10.4000/books.ined.15898.
    Imbert, Christophe, et al., éditeurs. La famille à distance. Ined Éditions, 2018, https://doi.org/10.4000/books.ined.15898.
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