1Nous avons pu voir, au cours de cet ouvrage, la très grande variété des méthodes de mesure de la mobilité spatiale. Le jugement que l’on peut porter sur ces diverses méthodes dépend des objectifs de la recherche que l’on entreprend. Une méthode parfaitement adaptée aux objectifs d’une recherche donnée peut offrir peu d’intérêt pour d’autres objectifs.

2Nous allons présenter ici de façon plus détaillée deux objectifs de recherche très différents et montrer dans chaque cas les avantages et les inconvénients des diverses méthodes de mesure distinguées dans cet ouvrage. Nous terminerons par une réflexion sur les rapports entre méthodes de mesure et méthodes d’analyse en démographie.

I. Description et calcul de flux détaillés et de taux de mobilité

3Cet objectif descriptif est très utile lorsque l’on désire avoir une vue d’ensemble de la mobilité ou des changements dans la mobilité d’une population donnée. Dans ce cas, il est indispensable de disposer d’une vue très détaillée des divers flux qui affectent cette population. Les données de registres de population ou, à défaut, d’autres documents administratifs ou de recensement permettent de mieux répondre à un tel objectif.

1. Données des registres de population

4De telles données présentent un certain nombre d’avantages que nous allons considérer avant d’examiner leurs inconvénients.

5En premier lieu, les registres fournissent une mesure directe et complète des divers événements au moment où ils se produisent. S’ils enregistrent généralement les migrations connues par la population, ils permettent également, dans certains cas, nous l’avons vu, d’enregistrer des changements de logement plus temporaires, sans toutefois prendre en compte l’ensemble de cette mobilité. Cependant, lorsque ce fichier de population est centralisé et informatisé, il peut être associé à d’autres fichiers qui permettent, par exemple, de relier les migrations aux navettes effectuées par les mêmes individus. Dans ce cas, il permet également la production de statistiques migratoires beaucoup plus détaillées que lorsqu’il s’agit de registres de population classiques, dont l’exploitation statistique, réalisée dans les communes ou les municipalités, ne peut être que fort limitée.

6Si les procédures administratives et légales mises en œuvre pour assurer la qualité des enregistrements sont bien appliquées, la fiabilité du registre est très bonne comparée à celle des autres méthodes que nous examinerons plus loin. Cette fiabilité est également accrue dans les fichiers centralisés et informatisés, qui permettent un plus grand nombre de vérifications.

7En dépit de ces avantages très importants, le registre n’est pas sans présenter certains inconvénients.

8Nous avons déjà indiqué que ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’il offre une vue des changements de logement ou des navettes. Il faut noter qu’il touche dans le cas le plus général les changements de résidence, laissant dans l’ombre des déplacements temporaires qui peuvent être de longue durée. Plus encore, il enregistre différemment la mobilité entre unités administratives (communes, municipalités ou autres unités) et la mobilité locale interne à ces unités. Généralement, cette mobilité locale est négligée dans les traitements statistiques, donnant une vue tronquée de la migration.

9Les publications statistiques issues de ces registres, surtout lorsqu’il s’agit de registres décentralisés, sont peu nombreuses par rapport aux potentialités. Cela est dû à la lourdeur de l’exploitation d’une information sur l’ensemble des migrations.

10Enfin, l’utilisation des registres à des fins de publications statistiques est mise en cause dans le débat sur l’informatique et le respect de la vie privée. On peut penser qu’il sera, à l’avenir, de plus en plus difficile d’utiliser cette source administrative pour en tirer des données statistiques.

2. Utilisation d’autres sources administratives

11Lorsqu’un pays ne dispose pas de registre de population, il est possible d’utiliser d’autres sources moins exhaustives pour obtenir une information sur la mobilité.

12La diversité de ces sources nous conduit à distinguer un certain nombre de critères permettant de vérifier la pertinence de leur utilisation.

13En premier lieu, ces sources doivent être les plus complètes possible, du moins pour la population que l’on veut étudier. Dans ce cas, il sera utile de vérifier que les individus qui échappent à un tel fichier ne constituent pas un échantillon trop particulier de cette population, en particulier du point de vue de la mobilité spatiale.

14Lorsque cela est possible, il est utile de comparer des statistiques issues de divers fichiers en tenant compte des populations incluses dans ces fichiers. Ainsi, une comparaison des migrations décelées à l’aide de fichiers de contribuables et de fichiers de la sécurité sociale permet de mieux tester la validité des statistiques. La possibilité de relier divers fichiers en utilisant un numéro d’identification unique pour chaque individu est, dans ce cas, conseillée.

15Il faut également s’assurer de la tenue à jour des fichiers dans des délais corrects. En effet, si le délai entre la migration et l’enregistrement du changement de résidence dans les registres de population est négligeable, il peut être beaucoup plus long ou plus variable pour un fichier administratif. Ainsi, la complétude du fichier des électeurs est liée à la proximité d’une élection importante.

16L’unité statistique de tels fichiers n’est pas forcément l’individu : un fichier de logements (taxe locale d’habitation, par exemple) peut ne pas décompter le nombre d’individus présents dans chaque logement ; un fichier de contribuables peut ne pas décompter tous les individus vivant avec le contribuable. Il conviendrait, dans ce cas, d’introduire des coefficients permettant de corriger les effectifs sous-enregistrés.

3. Question du recensement sur le lieu de résidence à une date antérieure donnée

17Dans la mesure où ces sources administratives ne sont pas suffisamment fiables pour estimer la mobilité de l’ensemble de la population, il est préférable d’utiliser les réponses à une question du recensement.

18Nous avons déjà indiqué pourquoi la question sur le lieu de résidence à une date antérieure donnée était préférable aux questions sur le dernier lieu de résidence : raisons de coût (une seule question au lieu de deux) ; raisons liées à la définition précise de la période sur laquelle on travaille, qui permet en particulier des perspectives de population avec migration ; raisons liées à la mémorisation de dates anciennes ou de longues durées, qui interviennent lorsque l’on pose des questions sur le dernier lieu de résidence ; raisons liées enfin aux difficultés d’analyser les réponses à ces dernières questions.

19L’avantage d’une telle question est sa simplicité et la facilité de l’inclure dans le questionnaire d’un recensement.

20Lorsqu’elle porte sur tous les changements de logement et sur une période identique (un an ou cinq ans), elle permet des comparaisons dans le temps et des comparaisons internationales. Elle rend aussi possible des analyses avec divers découpages géographiques du territoire national, sans introduire de biais.

21Si la date antérieure retenue est celle du recensement précédent, cette question, permet d’expliquer la croissance intercensitaire en termes de flux d’immigrants et d’émigrants, de naissances et de décès. Notons cependant que si elle enregistre les immigrants internationaux, elle ne donne aucune information sur les émigrants internationaux. C’est là une différence d’importance avec les registres.

22On peut également coupler les réponses à cette question avec d’autres éléments tirés du recensement : navette à la date du recensement ou à une date antérieure, question sur le lieu de naissance, etc.

23Voyons maintenant les inconvénients liés à l’utilisation de cette question.

24Soulignons qu’elle ne saisit pas toutes les migrations et qu’elle en omet d’autant plus que la période est longue. En particulier, tous les migrants de retour dans le lieu d’origine ne seront pas comptés comme migrants par cette question. Inversement, elle saisit certains individus comme migrants entre deux zones alors qu’ils n’ont effectué aucune migration directe entre ces zones, mais seulement des migrations par étapes. Cela rend cette information difficile à comparer avec des données de registres ou de source administrative.

25Elle est aussi très sensible aux défaillances de mémoire. Cela peut entraîner de nombreuses non-réponses quand les individus ne savent plus où ils résidaient à la date antérieure proposée, ainsi que des réponses erronées du fait d’une mauvaise mémorisation des résidences successives au cours du temps.

26Il faut enfin se méfier des changements dans les découpages administratifs au cours de la période considérée.

4. Question des recensements sur la dernière migration et sur la durée de présence

27Comme nous l’avons indiqué dans la partie précédente, pour disposer d’une information complète, il faut donc poser deux questions lors du recensement. Si l’on n’en pose qu’une, on aura une information tronquée, difficile à utiliser correctement. Nous supposons donc, par la suite, ces deux questions posées simultanément.

28Comme avantage de telles questions on note qu’elles saisissent des effectifs directement comparables à ceux que fournissent les registres. Cependant, lorsque l’individu a effectué plusieurs migrations, on ne dispose de l’information que sur la dernière et on ignore tous les autres lieux de résidence antérieurs.

29On peut également coupler ces deux questions avec d’autres questions sur les navettes, sur le lieu de naissance, etc., posées lors du même recensement.

30Ces questions fournissent une information complète, car il s’agit d’intervalles à cheval sur la date de recensement et portant sur les durées de séjour dans les divers lieux. Cependant, les inconvénients liés à ces questions l’emportent sur ces avantages. En dehors des questions de coût, la réponse ne vaudra que pour le découpage géographique dans lequel on saisit ces dernières migrations. Ainsi, si l’on pose des questions sur le dernier changement de département, on ne pourra tirer aucun renseignement sur le dernier changement de région. Il s’agit donc de questions spécifiques à un type de découpage donné, ce qui enlève une grande partie de leur intérêt.

31En outre, on peut penser que la réponse donnée par l’individu sera très subjective. Ainsi, en particulier, un aller-retour ou un séjour intermédiaire de courte durée seront très souvent oubliés. De même, si l’origine de la dernière migration peut être correctement remémorée, les erreurs sur la date d’installation seront d’autant plus importantes que cette date est éloignée dans le temps. L’attrait des chiffres ronds y est, en particulier, manifeste.

32Les changements dans les découpages administratifs survenus tout au long de la vie des personnes recensées introduisent par ailleurs de nouvelles difficultés, parfois insurmontables. Si les individus ne sont pas au fait de ces changements, leur réponse sera erronée par rapport au découpage actuel. De toute façon, il semble difficile de donner aux agents recenseurs une information – souvent très complexe – sur ces changements survenus sur la durée d’une vie humaine.

33Les non-réponses à ces questions seront donc importantes, d’autant plus que l’ignorance pourra porter sur la date de la dernière migration, sur le lieu de résidence antérieur ou sur les deux.

34Enfin, l’utilisation des effectifs de derniers migrants pose des problèmes pour la définition des taux de mobilité : il est en particulier difficile de définir une population soumise au risque lorsque l’on travaille sur les dernières migrations au cours des cinq ou dix dernières années.

35En dépit du fait que ces questions sont encore très souvent posées, leurs inconvénients l’emportent largement sur les quelques avantages qu’elles présentent. Il faut savoir que ces questions sont posées avec l’idée sous-jacente que les individus ne font que très peu de migrations dans leur vie. Or cette hypothèse est le plus souvent non vérifiée : on observe en effet une mobilité fortement répétitive au cours de la vie d’un individu.

5. Question du recensement sur le lieu de naissance

36C’est là une question très souvent posée lors des recensements. Bien qu’elle conduise à des estimations d’effectifs de migrants d’interprétation parfois difficile, les données de base qu’elle fournit sont de bonne fiabilité.

37Lorsque l’on dispose des réponses à cette question par âge à des recensements successifs, on a la possibilité d’estimer approximativement des flux de premiers migrants intercensitaires, corrigés des retours vers le lieu de naissance. Elles fournissent également, dans ce cas, une estimation correcte de la migration nette des diverses zones du territoire.

38Cependant, les effectifs ainsi estimés sont très différents des effectifs de migrants ou de derniers migrants que donnent les questions précédentes. Il est alors important de voir plus précisément quelle combinaison de flux ces méthodes utilisant les statistiques sur le lieu de naissance permettent d’estimer. En particulier si les effectifs d’immigrants et d’émigrants d’une zone donnée sont une combinaison assez simple de flux élémentaires, il n’en est plus de même si l’on désire calculer des flux entre deux zones. L’interprétation des changements dans les effectifs ainsi calculés en est rendue très difficile.

39L’identification des lieux de naissance peut également poser des problèmes, en particulier pour les personnes âgées, lorsque les limites territoriales ont changé. L’effet de coutumes, telles que l’accouchement chez les parents de la mère ou en clinique, risque aussi d’introduire des lieux de naissance sans grande signification pour la personne recensée.

40L’utilisation de ces statistiques conduit enfin à supposer l’indépendance entre mortalité et migration. Cette hypothèse est cependant peu vraisemblable dans des pays où les mortalités urbaine et rurale, par exemple, sont très différentes.

6. Utilisation de données d’enquêtes

41Pour que des enquêtes puissent fournir des flux et des taux de migration entre diverses zones du territoire, il faut qu’elles portent sur des échantillons très importants, répartis sur tout le territoire de façon à être représentatifs de la population tout entière.

42La meilleure solution consiste à utiliser une enquête nationale, telle qu’une enquête-emploi ou d’autres enquêtes plus générales, dans lesquelles on pose un petit nombre de questions du même type que celles posées lors d’un recensement. Ainsi, les données de l’enquête Current Population Survey aux États-Unis permettent de connaître la mobilité annuelle des Américains depuis 1947. Ce recueil de données d’enquêtes est similaire à celui des données de recensement et offre les mêmes avantages et inconvénients.

43Notons que, dans ce cas, il est nécessaire de fournir également un intervalle de confiance pour les effectifs mesurés, qui permettra de mieux cerner l’effectif que l’on observerait en recensant toute la population. Il permet également de comparer la mobilité à diverses dates en vue de déceler une évolution.

44L’avantage de ces d’enquêtes est de pouvoir saisir plus facilement la mobilité temporaire ou les navettes, grâce à des questions sur ces divers déplacements au cours de l’année écoulée. Dans ce cas, le traitement de ces informations avec les données sur la migration sera utile.

7. Méthodes indirectes

45Il s’agit des méthodes utilisant les données sur le mouvement naturel et les populations d’une zone à deux dates. Du fait qu’elles nécessitent très peu de données sur les migrations, elles ont été utilisées depuis très longtemps dans de nombreux pays. L’utilisation des méthodes indirectes donne par ailleurs l’information la plus grossière sur la migration nette d’une zone.

46Cette méthode présente une très forte marge d’erreur liée aux erreurs dans les populations recensées à deux dates qui peuvent être très différentes, et aux erreurs dans la mesure du mouvement naturel d’une zone, qui peuvent être très importantes, en particulier dans les pays en développement.

47En dépit de ces inconvénients, cette méthode est toujours très utilisée parce qu’elle est simple à mettre en œuvre et ne nécessite que la mesure d’un petit nombre d’éléments. Il convient cependant de garder à l’esprit toutes les erreurs qu’elle combine. En particulier, la possibilité de comparer l’estimation liée à cette méthode et celle utilisant les statistiques sur les lieux de naissance permet de mieux assurer ses résultats. En effet, les erreurs commises sont d’un tout autre type selon que l’on utilise l’une ou l’autre de ces deux méthodes. L’obtention de deux estimations suffisamment proches assurera la validité d’utilisation de cette méthode.

48Ainsi, nous sommes passés de méthodes de mesure assurant au mieux la description et le calcul de flux détaillés de migrations ou de déplacements entre un grand nombre de zones à des méthodes approchant de façon indirecte l’estimation d’un effectif théorique, la migration nette d’une zone correspondant à la différence entre les nombres d’immigrations et d’émigrations pour cette zone.

II. Analyse de la mobilité en interaction avec la vie familiale, économique et sociale des individus

49Cet objectif n’est plus descriptif, mais vise à saisir et à analyser les interactions complexes qui jouent entre différents aspects de la vie des individus, la mobilité n’étant qu’un des aspects de cette vie. Ce changement complet de point de vue ne met plus l’espace au centre de ce que l’on va mesurer, ni même le temps, variable pourtant fondamentale pour le démographe, mais des systèmes de relations qui apparaissent comme antérieurs à ce temps et à cet espace.

50Ces systèmes de relations qui forment toute société peuvent se distinguer en plusieurs types, qui vont apparaître sous des formes très différentes dans les diverses sociétés : famille, économie, politique, religion, éducation, groupes affiliatifs, groupes informels. L’appartenance d’un individu à ces divers systèmes va engendrer un temps, un espace, ainsi que des catégories d’âge, de sexe et de profession qui ne peuvent se définir sans faire référence à ces systèmes.

51Dans cette optique, la mobilité spatiale apparaît comme intimement liée aux autres aspects de la vie d’une société et ne peut plus être mesurée et étudiée séparément de ces aspects.

52On voit dès lors que l’approche présentée plus haut, descriptive et très détaillée, sera dans ce cas remplacée par une approche analytique et synthétique, qui nécessitera des mesures très différentes. Les données d’enquêtes y joueront un rôle prépondérant, alors que les données de recensements – qui ne mesurent que peu d’éléments de ces systèmes complexes – ne seront que des méthodes de mesure secondaire qui permettent de généraliser à l’ensemble de la population certaines relations mises en évidence grâce aux enquêtes.

1. Une nouvelle catégorie d’enquêtes

53Dans l’objectif pris ici, on voit apparaître l’enquête comme le meilleur moyen d’appréhender la mobilité spatiale en liaison avec la vie familiale, économique et sociale des individus. Mais le type d’enquête sera très différent de celui que nous avons présenté précédemment.

54En effet, il n’est plus nécessaire de disposer d’un échantillon suffisamment important pour mesurer de façon détaillée les divers flux, mais au contraire d’interroger les individus de façon la plus complète possible afin d’enregistrer tous les événements de leur histoire de vie, en particulier les migrations ou les déplacements qu’ils ont effectués au cours de leur existence.

55L’unité statistique n’est plus l’événement (migration ou déplacement), mais l’individu ou le groupe social (famille, entreprise, communauté, etc.).

56Le meilleur type d’enquête, pour réaliser cet objectif, est une combinaison de l’enquête rétrospective et de l’enquête permettant le suivi, dans le temps et dans l’espace, des individus ou des groupes sociaux.

57L’enquête rétrospective permet de reconstituer le cheminement de l’individu ou du groupe social en notant les événements intervenus dans la biographie familiale, professionnelle, migratoire, etc., des individus interrogés. Cela rendra possible l’application de méthodes d’analyse spécifiques à l’étude du cycle de vie et permettra d’examiner conjointement les interactions entre les divers phénomènes.

58Une telle enquête, qui fait appel à la mémoire, présente cependant des inconvénients. Les omissions d’événements, en particulier ceux qui ont été pénibles pour l’individu, ne sont pas négligeables. Des erreurs de datation – plus que de localisation – d’événements anciens vont également jouer. Il importe alors de vérifier que la séquence logique des événements est bien reconstituée et d’appliquer des méthodes d’analyse qui suivent davantage la succession des événements que l’écoulement continu du temps.

59C’est la raison pour laquelle on recommande également de combiner cette enquête rétrospective avec une enquête permettant le suivi des individus ou des groupes sociaux, dans le temps et dans l’espace. Cela permettra de saisir les nouveaux événements à un instant proche du moment où ils surviennent et de permettre en particulier de classer, au cours du temps, les déplacements selon qu’ils sont temporaires ou plus définitifs. Les retours dans le groupe d’individus absents lors de l’enquête rétrospective peuvent aussi améliorer la qualité des résultats en fournissant des informations données par les individus ayant vécu les événements et non par un tiers.

60Mais la difficulté de suivi des individus dans le temps et dans l’espace pose des problèmes pour ces enquêtes, en particulier pour les individus ou les groupes ayant migré vers des zones urbaines et ayant rompu tout contact avec le milieu d’origine. C’est la raison pour laquelle on utilise d’autres types d’enquêtes, qui ne permettent plus le suivi des individus mais qui, sous certaines hypothèses, donneront des résultats utilisables.

2. Utilisation plus complète des données de registres

61Le registre de population est une autre source qui permet de reconstituer le cheminement migratoire des individus et des ménages en parallèle avec un certain nombre d’autres événements démographiques qui les touchent. Et cette reconstitution sera plus facile lorsque le fichier de population est centralisé et informatisé, avec un numéro d’identification pour chaque individu.

62L’avantage de cette méthode sur les enquêtes est la grande fiabilité des événements recueillis, au moment même où ils surviennent dans la vie des individus. Leur localisation est également très précise.

63Les registres permettent généralement de relier la vie familiale aux migrations. Dans la mesure où ils recueillent des renseignements sur la vie professionnelle, en particulier lorsqu’ils sont reliés à des fichiers portant sur le lieu de travail et les personnes employées, ils permettent de relier la vie professionnelle – ou du moins certains événements saisis de cette vie professionnelle – à la vie familiale et aux migrations.

64Leur principal inconvénient réside dans la nécessité de travailler sur des catégories d’événements qui sont utiles pour les administrations, mais qui peuvent se révéler inadéquates pour une analyse des interactions entre mobilité spatiale et vie familiale, professionnelle, sociale, etc. Il importe, dans ce cas, de vérifier précisément si les définitions des événements saisis par les registres couvrent bien tous les types d’événements considérés comme nécessaires à l’étude projetée.

3. Une nouvelle utilisation des données de recensement

65L’information que l’on recueille lors d’un recensement ne permet pas une analyse de la mobilité en interaction avec la vie familiale, économique et sociale des individus. En effet, il s’agit en général d’une information sur la situation au moment du recensement et non sur l’évolution de cette situation : état matrimonial, nombre d’enfants, état professionnel, etc. Tout au plus certaines questions portent-elles sur deux instants, comme la question sur les migrants entre deux dates.

66Mais si l’on relie les réponses d’un même individu à plusieurs recensements successifs – en créant par exemple un panel –, on voit apparaître une nouvelle possibilité d’utilisation de cette information.

67On disposera cette fois non pas du recueil des divers événements au cours du temps, mais des états dans lesquels se trouve un individu à des dates successives – celles des recensements. Souvent d’ailleurs, les naissances et les décès fournis par l’état civil sont ajoutés aux renseignements issus du recensement.

68Bien que cette information soit incomplète, il sera possible, sous certaines hypothèses, de l’utiliser pour analyser les liens entre mobilité spatiale, vie familiale, mobilité professionnelle, etc.

69Dans ce cas, l’information recueillie lors des divers recensements peut être considérée comme fiable. Et si la mobilité est saisie par une question sur le lieu de résidence au recensement antérieur, il devient possible de vérifier la validité d’une telle question rétrospective.

70Le principal inconvénient est lié au fait que l’on ne connaît que l’état de l’individu aux recensements successifs, sans disposer d’aucune information sur les dates de changement d’état. Dans le cas d’une mobilité géographique ou professionnelle répétée, ou de nombreuses naissances, etc., on n’aura aucune information sur cette répétitivité.

71L’utilisation de données de recensement impose également de travailler sur les catégories d’événements définis a priori : si le recensement ne saisit que les migrants intercommunaux, on ne dispose pas de données sur les migrants intracommunaux, dont les relations avec le cycle de vie familial peuvent être pourtant très importantes.

72Lorsqu’un individu échappe à certains recensements, il fournit une suite incomplète d’états. Il importe de distinguer ces cas et de leur appliquer des méthodes d’analyse qui permettent de redresser ces informations incomplètes. Cela peut se produire, en particulier, lorsqu’une femme mariée n’indique pas son nom de jeune fille, sous lequel elle a été recensée précédemment. L’orthographe erronée d’un nom peut également rendre difficile l’identification d’individus recensés à deux dates successives. Dans ces cas, l’utilisation de diverses informations données lors des recensements permet de rattacher deux bulletins individuels, initialement considérés comme remplis par des personnes différentes.

III. Vers de nouvelles méthodes de mesure mieux adaptées aux problèmes posés par l’analyse de la mobilité spatiale

73Le démographe doit le plus souvent se contenter de méthodes de mesure sur lesquelles il n’a aucun contrôle. Ainsi, les nombreux documents administratifs qu’il utilise – dont le registre de population – ont été recueillis dans un tout autre but que celui d’une analyse démographique de la mobilité humaine. Il s’agit, pour l’État, de classer chaque individu ou événement dans des cases préétablies par le système politique lui-même. Il en résulte, par exemple, un choix, parmi les déplacements continuels de l’homme dans l’espace, de migrations considérées comme plus définitives que d’autres. Cela permet de classer l’individu dans un lieu de résidence bien défini, où le pouvoir politique pourra le retrouver rapidement, le taxer, le contrôler et l’observer.

74De la même façon, « un recensement a avant tout pour but de déterminer la population totale du pays et de ses subdivisions géographiques » (Nations unies, 1949, p. 7). Ce n’est qu’accessoirement qu’on y pose des questions sur les lieux de résidence à d’autres moments du passé, et l’utilisation de cette information conduit à élaborer des concepts qui peuvent paraître surprenants à une personne non avertie, mais qui sont rendus nécessaires pour les méthodes d’enregistrement de l’information.

75Même lorsque le chercheur a une possibilité de définition plus large, on retrouve, souvent par habitude, les mêmes méthodes de mesure que celles des recensements, sans une réflexion plus approfondie sur les concepts et sur l’élaboration d’hypothèses précises sur ce que l’on désire mesurer en vue d’une analyse donnée (Gregory et Piché, 1985).

76Nous avons montré que ces méthodes ne permettent de saisir que l’infime partie visible d’un iceberg où toutes les formes de mobilité sont occultées par une définition trop étroite. Plus encore, cette infime partie observée constitue souvent une forme de mobilité d’intérêt secondaire par rapport aux forces qui font évoluer en particulier les pays en développement.

77Dès lors, la mise en place d’enquêtes précédée d’une réflexion sur les concepts utilisés, sur leur pertinence en vue d’expliquer l’évolution d’une société et sur leurs relations avec les autres systèmes existants, est une méthode d’observation de la mobilité qui est appelée à une large diffusion. Cette mesure est beaucoup plus adaptée aux problèmes posés par l’analyse de la mobilité spatiale : le développement récent de méthodes très performantes d’analyse des histoires de vie, vient confirmer leur intérêt. On peut dès lors penser que ces enquêtes vont constituer la meilleure méthode d’observation de la mobilité spatiale dans les années à venir.