Chapitre II
La population de la région parisienne au xixe siècle
p. 59-93
Texte intégral
1Au xixe siècle, le développement de Paris repose sur le renfort démographique venu de l’extérieur ; dès le début du siècle, les Parisiens de naissance sont partout minoritaires et ce phénomène ne cesse de s’amplifier. La structure de la population se transforme et accentue son profil de ville de jeunes adultes. Les inégalités sociales sont importantes et très différenciées selon les quartiers et les communes. L’accès à l’instruction, à l’hygiène, aux innovations, dépend de l’aisance des populations, tout comme les conditions de la naissance : aux plus aisées, l’accouchement serein à domicile avec l’aide d’une sage-femme voire d’un médecin, et aux plus pauvres, l’hôpital, mouroir pour femmes et enfants durant la majeure partie du siècle. Quant à la banlieue parisienne, en plus de recevoir, elle aussi, un grand nombre de migrants, elle accueille également les Parisiens expropriés de leurs logements lors des grands travaux et trop pauvres pour se reloger dans Paris intra-muros. L’industrialisation bouleverse les structures professionnelles et fait émerger une nouvelle classe ouvrière.
2Quels impacts ont eu ces changements à l’échelle de la ville et de sa banlieue ? L’urbanisation et l’industrialisation massives ont profondément transformé les structures démographiques, économiques, culturelles et sociales de la région parisienne, mais ont-elles eu les mêmes répercussions partout ? Le rythme de l’industrialisation, le type d’industries s’étant implanté dans la capitale, les quartiers, et les communes de la banlieue, ont façonné différemment ces ères de population, faisant émerger des zones relativement homogènes d’un point de vue socioéconomique (développement de quartiers très ouvriers, industrialisation progressive de la banlieue, populations aisées à l’ouest) et favorisant les barrières sociales.
I. L’explosion démographique de Paris et de sa région
1. Un mouvement vaste, massif et continu
3La région parisienne connaît, au xixe siècle, un boom démographique, en particulier en banlieue. Sa population étant multipliée par 8,4 entre 1801 et 1901 : 4,9 à Paris et 11,7 en banlieue (figures 5 et 6).
4« On sait que le trait majeur de l’histoire de Paris au xixe siècle est son explosion démographique due au mouvement continu des migrations provinciales : la population de la capitale quintuple en un siècle » (Laroulandie, 1997, p. 9) ; elle passe, en effet, de 547756 habitants en 1801 à 2660559 en 1901, soit un gain de plus de 2,1 millions de personnes (dont 335000 à 430000 habitants par l’annexion des communes en 1860).
5Mais l’impressionnant envol de la population parisienne paraît très réduit comparé à celui de la banlieue. Dans le département de la Seine, la population a, en effet, été multipliée par douze, passant de 81624 habitants en 1801 à 955862 habitants en 1901. La plupart des migrants qui arrivent dans la région parisienne s’installent en banlieue notamment parce qu’il reste encore assez d’espace pour construire des logements dans la première moitié du siècle alors que Paris est déjà saturé (Beaujeu-Garnier, 1977).
6La situation parisienne s’améliorera avec l’annexion des communes de banlieue qui fait des nouveaux arrondissements des lieux moins denses, mais qui se peupleront cependant tout aussi rapidement. Après les travaux haussmanniens des années 1860 et 1870, les populations expulsées gagnent la proche banlieue, tout comme une large partie des migrants qui s’installent toujours fréquemment en banlieue (Bertillon L.-A., 1880a).
7La croissance de la population est assez linéaire, sauf entre 1856 et 1861, période durant laquelle l’annexion des communes de la petite banlieue provoque le plus fort accroissement du siècle à Paris, alors qu’en banlieue la perte de population est tellement élevée qu’elle ne retrouve son niveau d’avant l’annexion qu’à partir du recensement de 1881. Les habitants des seules communes annexées en 1860 représentent, en effet, 56,7 % de la population de la banlieue en 1856 (14,1 % en 1801).
8Pour l’ensemble de la région, la croissance de la population a été plus forte, en moyenne, dans la seconde partie du xixe siècle que dans la première, avec une envolée de la population de banlieue tenant une place de plus en plus importante dans le département de la Seine (figure 7).
9La population de l’ancienne petite banlieue (communes annexées en 1860) représentait 2 % de l’ensemble « Paris + petite banlieue » en 1801 ; et 20 % juste avant l’annexion, soit dix fois plus (figure 7). Avec l’annexion de 1860, la banlieue (diminuée des communes annexées) retrouve sa place du début du siècle, soit 13 % de la population du département, alors qu’elle représentait près d’un tiers de la population du département à la veille de l’annexion. Cet accroissement se fait-il au même rythme partout ou perçoit-on déjà des différences entre le Nord (arrondissement de Saint-Denis) et le Sud (arrondissement de Sceaux) de la banlieue ?
Figures 5 et 6. L’évolution de la population en région parisienne depuis 1801

Sources : 1801-1817 : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine ; Paris, 1817-1901 : Annuaire statistique de la ville de Paris, 1901 (récapitulatif des effectifs annuels de population de 1817 à 1901), banlieue, 1861-1901 : Annuaire statistique de la ville de Paris, 1929-1931 (récapitulatif des effectifs annuels de population de 1830 à 1931).
Figure 7. Part(%) des populations de Paris et des communes de banlieue dans le département de la Seine, 1801-1901

Sources : voir figures 5 et 6.
10Les populations de ces deux arrondissements sont de taille identique au début du siècle, mais, dès 1817, la population de l’arrondissement de Saint-Denis augmente plus fortement que celle de l’arrondissement de Sceaux (figure 8). Ce phénomène s’explique notamment par le fait qu’un plus grand nombre de communes jouxte Paris dans le premier, cette proximité de la capitale ayant pour conséquence un accroissement très rapide des populations des communes limitrophes (figure 9). En 1860, parmi les communes annexées, seules trois appartiennent à l’arrondissement de Sceaux et huit à celui de Saint-Denis, ce qui ramène les populations à un niveau quasiment similaire en 1861 : 133964 habitants dans l’arrondissement de Saint-Denis et 122088 dans celui de Sceaux. Par la suite, la population de l’arrondissement de Saint-Denis augmente de nouveau à un rythme plus soutenu que celle de l’arrondissement de Sceaux, avec un gain de 435102 habitants contre « seulement » 264708 habitants dans l’arrondissement de Sceaux entre 1861 et 1901.
Figure 8. Accroissement de la population des arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis (effectifs bruts) entre 1801 et 1901

Sources : voir figures 5 et 6.
Figure 9. Accroissement de la population des communes annexées à Paris en 1860 (effectifs bruts)

Légende : en italiques, les communes de l’arrondissement de Sceaux (Vaugirard, Grenelle et
Bercy).
Source : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine, 1860.
11Le rôle de la proximité de Paris est confirmé par la croissance extrêmement élevée des communes de « petite banlieue », qui seront annexées en 1860, en particulier au nord de Paris, dans l’arrondissement de Saint-Denis (Belleville, qui est en 1856 l’une des communes les plus peuplées de France, les Batignolles, Montmartre, La Chapelle et La Villette qui atteignent toutes au moins 300000 habitants en 1856).
2. L’apport migratoire
Tout au long du xixe siècle, la croissance de la population parisienne est presque entièrement expliquée par l’apport migratoire (figure 10). Les périodes de fort accroissement sont toujours liées à l’augmentation du solde migratoire, à tel point que la courbe d’accroissement total semble calquée sur celle de l’accroissement migratoire. Le solde migratoire est presque toujours supérieur au solde naturel (excepté pour les périodes 1817-1830, 1846-1850 et 1881-1885) ; d’autant plus que le solde naturel est surestimé puisqu’une partie des décès parisiens échappe à la statistique, notamment les décès des enfants en nourrice au loin (van de Walle et Preston, 1974 ; Rollet-Echalier, 1990), comme le précise Jacques Bertillon (Bertillon, 1881, p. 148) :
Un grand nombre d’individus nés à Paris (et notamment les jeunes enfants) quittent leur ville natale et vont mourir au dehors. Dans ce cas, notre statistique enregistre la naissance et n’enregistre pas le décès. Il est vrai qu’un nombre plus grand encore d’individus nés au dehors viennent vivre et mourir à Paris. Mais ces individus sont des adultes : ils fournissent donc plus de naissances que de décès.
Figures 10 et 11. Taux d’accroissement total (TAT), naturel (TAN) et migratoire (TAM) (‰), à Paris, 1817-1901, et en banlieue, 1851-1901

Sources : voir figures 5 et 6, calculs de l’auteure.
12Si la croissance de la population parisienne est presque entièrement due à l’arrivée de nouvelles populations, elle tient beaucoup à l’évolution des migrations au cours du siècle. En effet, alors qu’elles sont au départ plutôt saisonnières et masculines, les migrations deviennent peu à peu définitives et concernent de plus en plus de femmes et d’enfants (Châtelain, 1967). Cette mutation des migrations est liée à l’industrialisation qui « tend à réorienter les flux de migrants, à fixer en ville ceux qui n’étaient autrefois que des migrants saisonniers ou temporaires » (Kesztenbaum, 2006, p. 212).
13Dès le début du siècle, plus de la moitié des Parisiens ne sont pas nés à Paris. Selon L.-A. Bertillon (1844, tabl. 119), ils représentent, en 1833, 47 % de la population. Mais ces chiffres sont vite contestés, notamment par le fils de l’auteur (Jacques Bertillon) qui estime plutôt la part d’immigrants à 60 %. Piette et Ratcliffe (1993) vont dans le sens de ce dernier et estiment qu’en 1820, 57 % à 58 % de la population de Paris n’y était pas née, cette part atteignant 62 % à 63 % en 1850. À partir de 1860, seul un tiers des habitants de Paris en est natif ; cette part oscille entre 36,1 % en 1861 et 34,7 % en 1872 selon Gaillard (1997) dont les évaluations sont confirmées par Piette et Ratcliffe (2007) qui estiment qu’il y avait, entre 1861 et 1901, environ 37,6 % de Parisiens d’origine. À partir de 1880, les lieux de naissance des Parisiens sont publiés dans les Annuaires statistiques (d’après les données des recensements) : les natifs représentent 32,2 % des habitants de la capitale en 1881 et 36 % en 1901. La proportion de Parisiens natifs augmente donc de 4 points entre 1881 et 1901 ou, sans doute plus précisément, la part des non-natifs diminue.
14Dans la plupart des quartiers, on dénombre en général au moins un tiers d’individus nés à Paris, mais peu d’entre eux comptent plus de la moitié de natifs, même si leur nombre augmente entre 1881 et 1901 (de 32,2 % à 36 %). Les migrants ne s’installent pas aléatoirement dans Paris (carte 5) : ils sont plus nombreux dans les arrondissements du Centre-Ouest et de l’Ouest alors que les natifs se concentrent dans les arrondissements les plus pauvres : ceux de l’Est et au sud dans les 14e et 15e arrondissements (Brée, 2015).
15Les chiffres confirment donc l’impression qui se dégage de la lecture de la presse et de la littérature pittoresque pour qui l’accent faubourien était celui des vrais Parisiens (Casselle, 2003, p. 133).
16Les étrangers, quant à eux, s’installent presque exclusivement sur la rive droite, et surtout à l’ouest. Cependant, tous les étrangers n’habitent pas forcément les quartiers riches ; les Britanniques résident principalement dans l’Ouest de la capitale alors que l’on retrouve les Belges dans le Nord-Est (Pinol et Garden, 2009). Les provinciaux s’installent également plutôt à l’ouest, mais davantage au centre et côté rive gauche que les étrangers. Les choix de résidence dépendent souvent de l’emplacement des gares (exemple des Bretons très nombreux près des gares Saint-Lazare et surtout Montparnasse) ou de certaines professions (les Creusois s’installent dans le 5e arrondissement pour le commerce du vin et du charbon ; les femmes originaires de la Nièvre travaillent souvent comme nourrices dans les beaux quartiers de l’Ouest). Il est intéressant de noter que les natifs du département de la Seine s’installent majoritairement dans les quartiers les plus excentrés, probablement les plus proches de leurs communes d’origine.
17À la fin du siècle, les migrants sont également nombreux en banlieue puisqu’en 1891 (carte 5), 56 % de la population est née en dehors du département de la Seine (60 % à Paris). La croissance de la banlieue s’explique ainsi presque entièrement par l’immigration (figure 11) : « on trouve, en cette fin de siècle [1891], 37,4 arrivants pour 1000 habitants en banlieue, contre 11,8 pour la capitale » (Farcy, 1991, p. 21-22).
18Logiquement, les communes les plus urbanisées et les plus industrialisées (au nord, au nord-est et à l’est dans la boucle de la Seine) accueillent le plus de migrants alors que les communes encore rurales (Nord-Est particulièrement) sont moins attractives (Farcy, 1991). Les migrants s’installent là où il y a du travail et donc près des nouvelles industries, alors que les communes où l’on vit principalement de l’agriculture n’ont pas forcément d’emplois pour de nouveaux venus dans une région qui tend davantage vers l’industrialisation que vers un renouveau du monde agricole.
Cela étant, dans les villes où l’agriculture ne compte pratiquement plus, une opposition se dessine entre les communes ouvrières et celles dont le profil social est plus élevé. Dans les premières, les citadins de souche locale sont relativement plus nombreux. […] Par contre, dans les cités plus « bourgeoises » de l’ouest, les autochtones sont peu nombreux (Farcy, 1991, p. 44).
Carte 5. Proportion de migrants dans le département de la Seine, 1891

Source : Dénombrement de Paris et du département de la Seine, 1891.
19Parmi les migrants étrangers, les Belges sont très nombreux à s’installer dans les communes du Nord de Paris, les premières sur la route qu’ils empruntent pour arriver dans la capitale française. Selon Farcy (1991), le critère social est cependant plus important pour l’immigration étrangère et le critère géographique pour l’immigration provinciale.
II. Une urbanisation sans précédent
1. La forte densification urbaine
20La banlieue parisienne s’urbanise très rapidement et, dès 1836, plus des trois quarts de sa population vit dans des communes comptant plus de 2000 habitants (ce seuil de 2000 habitants est considéré dans les recensements du xixe siècle comme celui de la limite rural/urbain, figure 12). La densification des communes dites urbaines qui accueillent, en 1850, 90 % de la population alors qu’elles ne représentent seulement qu’un peu plus de la moitié des communes, apparaît particulièrement forte avant l’annexion de 1860. La densité est alors très élevée dans le Nord du département (arrondissement de Saint-Denis), comme le confirme l’analyse de l’urbanisation de la banlieue à l’échelle des communes (cartes 6 à 11).
21L’urbanisation de la banlieue parisienne est, au départ, le fait des populations les plus aisées, soit assez loin de Paris, soit dans des communes encore préservées sur les bords de Seine ou les bords de Marne (Soulignac, 1993), et s’est portée davantage sur des banlieues résidentielles que sur des banlieues industrielles, c’est-à-dire dans les communes de l’Ouest parisien qui, dès le début du siècle, se spécialisent dans « des fonctions de résidence riche » (Daumas et Payen, 1976). À l’est, le bois de Vincennes provoque également une forte attraction et les villégiatures font augmenter les populations des communes des villes le jouxtant, en particulier en été lorsque les Parisiens viennent s’y établir pour quelques mois. Enfin, le Sud de Paris est également apprécié pour ces « campagnes à villégiatures et à lotissements » (Soulignac, 1993).
22Mais, c’est bien l’industrialisation qui fait augmenter la population des communes limitrophes de la capitale au nord, aidée par la construction du canal Saint-Denis sous la Restauration. « La banlieue nord de Paris, de Pantin à Levallois-Perret et de la Courneuve à Gennevilliers, est le secteur industriel le plus massif de l’agglomération » (Beaujeu-Garnier, 1977, p. 109). Ce développement des communes du Nord est favorisé par les voies de circulation joignant Paris aux régions françaises qui se sont le plus développées en dehors de Paris, tout en étant relativement proches : Basse-Seine, Nord, Est. « De ces régions, dans la seconde moitié du xixe siècle, Paris reçoit de plus en plus de matières premières » (Bastié, 1964, p. 138). Les communes voisines de Paris au sud sont également parmi les premières industrialisées : Malakoff, Montrouge, Vanves ou Gentilly. Au nord-ouest, à Courbevoie, Colombes ou Puteaux, l’installation des industries est, de surcroît, favorisée par la création de lignes de chemin de fer à l’aube des années 1840. Quelques communes sont également très urbanisées dans le Sud (Ivry-sur-Seine, Vitry-sur-Seine, Choisy-le-Roi), bien que non limitrophes à Paris. Elles se situent sur une importante voie de communication : la « route de Choisy [qui] a donné à Vitry un développement que n’ont pas connu des communes purement agricoles comme Chevilly ou Rungis » (Poisson, 1960, p. 230). En plus de cette route, Vitry est également située sur une boucle de la Seine, avec une situation favorable à l’acheminement des matières premières et au commerce des produits finis. En outre, dans la commune limitrophe de Maisons-Alfort, le chemin de fer s’établit dès 1849, entraînant une hausse de la population et une forte industrialisation de la commune. À Charenton-le-Pont, comme à Ivry ou Vitry, c’est l’industrialisation qui amène la population (Daumas et Payen, 1976, p. 520 et suiv.). Enfin, à l’est, Noisy-le-Sec est la ville la plus éloignée de Paris à être aussi peuplée. Elle accueille, dès 1849, la gare de triage la plus importante de l’Est parisien qui relie Paris à l’Est de la France (lignes de Strasbourg et Nancy).
23À la fin du siècle, le profil urbain de la banlieue parisienne a bien changé. Presque toutes les communes du département de la Seine sont urbanisées. À l’est de l’arrondissement de Saint-Denis, quatre communes comptent encore moins de 2000 habitants (Bobigny, Drancy, Dugny et Villetaneuse) : elles ne sont pas situées sur les grandes routes partant de Paris, et n’ont accès au tramway ou à une gare de chemin de fer que très tard. Le maire de Villetaneuse espère ainsi en 1878 : « Le prolongement du chemin de grande communication n° 9 de Villetaneuse à Pierrefitte étant fait contribuera beaucoup au développement de la commune ». Dans l’arrondissement de Sceaux, le nombre de communes dites rurales est un peu plus important. À l’ouest, seuls Châtenay-Malabry et le Plessis-Robinson comptent moins de 2000 habitants, elles font partie des communes les plus éloignées de Paris. À l’est, l’Haÿ-les-Roses, Chevilly-Larue, Orly et Rungis sont restées les moins peuplées. Ces quatre communes, bien que proches d’une grande route nationale (de Paris à Antibes) et d’autres départementales, n’en ont pas profité car elles ne sont pas directement situées à proximité.
Figure 12. Part des communes comptant moins de 2000 habitants, banlieue parisienne, 1801-1901

Sources : 1801-1829 : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine ; 1830-1901 : Annuaire statistique de la ville de Paris, 1929-1931.
Cartes 6 à 11. Urbanisation de la région parisienne

Sources : voir figure 12.
2. Des logements surpeuplés
24L’urbanisation massive que subit la région parisienne amène une densification de l’habitat. Dans la première moitié du siècle, la rive droite de Paris est surpeuplée et les conditions de vie y sont très difficiles. La rénovation urbaine permet de diminuer l’entassement du centre de Paris et réduit la population ouvrière, mais les plus pauvres s’exilent vers la « zone », dans les quartiers périphériques et en banlieue. « Paris déverse sa misère sur la banlieue annexée » (Gaillard, 1997, p. 163). À la fin du siècle, les mauvaises conditions de logement touchent désormais de façon évidente les arrondissements extérieurs de l’Est et du Sud.
25Dans la périphérie, la densité des logements est bien plus faible qu’à Paris. Elle est surtout élevée dans la couronne de communes qui jouxtent Paris et qui entourent les deux bois (excepté au nord du Bois de Vincennes) ainsi que dans les communes situées au sud de la capitale. Certaines communes sont particulièrement surpeuplées et font augmenter fortement la moyenne départementale, comme Clichy, Pantin, Saint-Denis au nord (plus de 20 habitants par maison), Joinville et Ivry au sud (38 à 40 habitants par maison).
III. De profonds changements économiques et sociaux
1. Industrialisation et évolution des structures professionnelles
26L’urbanisation massive que connaît Paris au xixe siècle est en grande partie imputable à l’industrialisation de la capitale (même si, à la fin du siècle la féminisation du mouvement est plutôt liée à l’emploi de jeunes femmes dans les grands magasins ou la domesticité). Dès 1836, Paris s’industrialise par les quartiers de la rive droite (Daumas et Payen, 1976), en particulier à l’est (cartes 6 à 11) ; la rive gauche suit, mais plus tardivement. En 1856, 60 % de la population parisienne vit de l’industrie ; cette proportion s’affaiblit ensuite notamment après les travaux d’Haussmann qui désindustrialisent le centre de Paris :
Le centre, bouleversé par les travaux de rénovation, devenu lieu de résidence des classes aisées de la population parisienne et centre des affaires, a cessé d’attirer les industriels ; les loyers y sont chers, la main-d’œuvre peu abondante, les centres d’approvisionnement éloignés (Daumas et Payen, 1976, p. 227).
27Alors que le cœur de Paris glisse peu à peu vers le monde des affaires et de la fortune, les populations expulsées par les grands travaux gagnent les quartiers intermédiaires et périphériques du Nord-Est (10e, 11e, 18e, 19e et 20e arrondissements). À la fin du siècle, la répartition de la proportion d’ouvriers par quartier est éloquente (cartes 12 et 13).
28C’est souvent à l’est, et spécialement au nord-est, que résident les ouvriers parisiens. Il existe une dichotomie très forte entre le Centre-Ouest et l’Ouest d’un côté, et le Centre-Est et les arrondissements périphériques (16e, et parfois 17e, exceptés) de l’autre. « Les arrondissements nord et est de Paris doivent leur dynamisme démographique particulier au développement d’une vaste zone industrielle qui exerce un attrait irrésistible sur la main-d’œuvre. […] Les 10e, 11e, 18e, 19e et 20e arrondissements accueillent aussi la population pauvre délogée par les grands travaux entrepris dans le centre » (Daumas et Payen, 1976, p. 295), tout comme de nombreuses communes du Nord-Est de la banlieue (carte 14). Dans les années 1860- 1870, les communes de banlieue étaient encore majoritairement agricoles, à quelques exceptions près. À partir des années 1870, la capitale se vide de ses grands établissements industriels alors que la vocation industrielle de la banlieue s’affirme et repousse les activités agricoles de plus en plus loin de Paris : en 1872, ce sont plus du tiers des usines qui ont été déplacées de Paris vers la banlieue (Girard, 1981).
29Les quartiers bourgeois ont su, en revanche, se préserver des manufactures qu’ils estiment dangereuses pour leurs habitants (Guillerme, 2004). Les patrons parisiens résident principalement dans le Centre-Ouest et l’Ouest de la capitale (Brée, 2015).
L’Ouest et une partie du Sud continuent à se peupler richement ; cette spécialisation bourgeoise amorcée sous la monarchie de Juillet est renforcée par la politique de rénovation haussmannienne qui concentre, dans l’ouest de la capitale, les réalisations prestigieuses et les travaux d’embellissement (Daumas et Payen, 1976, p. 297).
Cartes 12 et 13. Proportion d’ouvriers dans la population active, Paris, 1847 et 1891

Source : carte 12, Frey, 1978 ; carte 13, Dénombrement de la population pour la ville de Paris et le département de la Seine, 1891.
Cartes 14 et 15. Ouvriers et professions industrielles dans le département de la Seine, 1891

Légende : proportion d’ouvriers dans la population active ; proportion d’individus vivant directement ou indirectement (familles, domestiques) d’une profession industrielle dans l’ensemble de la population.
Source : Dénombrement de la population pour la ville de Paris et le département de la Seine, 1891.
30Les activités commerciales se retrouvent, quant à elles, au cœur historique de Paris où les employés sont nombreux (Brée, 2015). Ils résident principalement dans les arrondissements du Centre-Ouest et dans les quartiers intermédiaires du Nord-Ouest, en particulier dans les 1er, 2e et 9e arrondissements dont plus d’un quart de la population active est employée. La plupart des employés travaillent dans le commerce.
Carte 16. Classification ascendante hiérarchique des variables professionnelles, 1891

Note : chaque bâton représente la distance de la moyenne de chaque classe à la moyenne générale. Cette distance est exprimée en nombre d’écarts-types de chaque variable. Le 1er groupe (gris clair) est considéré comme « employés/commerce », le second (gris foncé) comme « ouvriers, Industrie » et le dernier (gris moyen) comme « agriculteurs ».
Source : Dénombrement de la population pour la ville de Paris et le département de la Seine, 1891.
31En banlieue, l’activité agricole domine même si elle est déjà repoussée aux confins du département (Brée, 2015). Elle perdure au nord-est, dans les communes les plus éloignées de Paris, derrière une couronne de communes industrialisées ; et dans une vaste zone au sud du département (carte 16). Les rentiers et propriétaires sont, eux, surtout « représentés dans la partie Ouest, dans les communes de Neuilly, Asnières, Levallois, ainsi qu’à Courbevoie et Colombes. […] L’autre région qu’affectionne la bourgeoisie est celle de la banlieue est, particulièrement autour du bois de Vincennes et près de la Marne » (Farcy, 1991, p. 34). « Sans atteindre le luxe des immeubles de Neuilly, les maisons [qui bordent le bois de Vincennes sont] visiblement très bourgeoises. » (Bastié et Beaujeu-Garnier, 1967, p. 116.)
32Les communes où l’activité industrielle est importante se trouvent en revanche à proximité de Paris (carte 14). Elles forment une première couronne entourant presqu’entièrement Paris, à quelques exceptions constituées de communes riches principalement situées près du bois de Vincennes (Sud-Est), et au nord du bois de Boulogne (Nord-Ouest) ainsi qu’au sud-est de Paris. L’industrialisation de la couronne jouxtant Paris est frappante. Dans 48 % des communes de banlieue, plus de 30 % de la population vit d’une profession industrielle (carte 15). Les premières communes de banlieue à avoir été industrialisées sont les communes limitrophes et, parmi elles, celles de la banlieue nord en premier : « la proche banlieue, surtout du nord-est au nord-ouest, fut littéralement truffée de ces usines, et surtout des usines que repoussaient les quartiers les plus centraux » (Beaujeu-Garnier, 1977, p. 48). Les communes de l’Ouest sont également industrialisées très tôt, mais les types d’industries et les populations qui s’y installent sont différents. « Dans l’Ouest, les actifs industriels sont plus nombreux que les résidents ouvriers, car les secteurs de pointe attirent une élite manuelle qui reste attachée à ses faubourgs. Excepté Puteaux (57 % d’ouvriers pour une moyenne de 41,3 % dans toute la banlieue, d’après le recensement de 1891), Suresnes, Clichy (47 %), et Boulogne (50 %), l’Ouest compte peu d’ouvriers alors que l’industrie est prépondérante et les patrons industriels nombreux. À l’est, Montreuil est la seule commune majoritairement ouvrière avec Choisy-le-Roi (60 % d’ouvriers) et, à un niveau moindre, Alfortville. La prédominance ouvrière éclate au nord et au sud. L’industrialisation a fortement prolétarisé les communes de la banlieue nord » (Laroulandie, 1997) et en particulier Saint-Denis, Saint-Ouen, Aubervilliers et Pantin (Arcueil et Gentilly pour le Sud). Autour de cette première couronne, l’industrialisation semble avoir surtout gagné le Sud-Est du département (autour de la Seine) où les communes agricoles sont déjà repoussées très loin de Paris.
2. Conditions de vie et aisance de la population
33Au cours du xixe siècle, malgré les difficultés et la misère de nombreux citadins, la vie des Parisiens s’est peu à peu améliorée. Alors que, dans la première partie du siècle, l’habitat misérable, l’eau rare et de mauvaise qualité, le manque de lumière et d’air rendent la vie difficile, les Parisiens bénéficient, dès le règne de Louis XVIII, de l’éclairage au gaz, du pavage et de l’élargissement des rues, de la distribution de l’eau, d’un système d’égout… Ces préoccupations amènent la création d’hôpitaux et l’amélioration des services existants avec un effort particulier pour les services de maternité. Une attention spécifique est portée aux enfants, notamment à leur santé et à la baisse de la mortalité infantile, ainsi qu’à l’accès à l’école et à la baisse de l’illettrisme. Avec les grands travaux entrepris durant tout le siècle, ces avantages sont peu à peu élargis à tous les quartiers de la capitale, même si ce sont les quartiers riches et les quartiers nouvellement formés ou modifiés qui en bénéficient le plus et en premier. À Paris, comme en banlieue, la vie s’améliore même si les inégalités persistent.
34La répartition spatiale des activités professionnelles à Paris et en banlieue a montré que le cloisonnement social est important en région parisienne au xixe siècle. Dès le début du siècle, « la fonction résidentielle [des] quartiers ouest de Paris est déjà affirmé » (Daumas et Payen, 1976, p. 68). Les Parisiens les plus riches résident surtout dans les 1er, 2e, 3e et 5e arrondissements (Nord-Ouest) et les grands notables et la grande bourgeoisie s’isolent dans les faubourgs Saint-Germain, Saint-Honoré ou à la Chaussée-d’Antin.
35Le déplacement vers l’ouest est le plus ancien, il remonte au xviiie siècle. Dès cette époque, on constate, chez l’aristocratie et la bourgeoisie, non plus une simple velléité d’isolement, mais une émigration effective loin des quartiers où la population est mélangée, vers des quartiers neufs construits pour soi, où l’on est entre soi, loin du commun, avec des prétentions de confort et d’intimité inaccessibles au cœur des densités fortes et pouilleuses du centre (Ariès, 1971, p. 132).
36L’idée est répandue que les différentes classes sociales étaient très mélangées au début du xixe siècle, dans une stratification verticale résumée par une formule de Rœderer bien souvent reprise : « Les marchands occupent le bas ; les gens riches le premier ; les salariés le troisième ; les ouvriers le quatrième ; les pauvres les étages supérieurs ». Ariès (1971, p. 129) explique ainsi que jusqu’au milieu du siècle, « la surpopulation ne permet aucune spécialisation sociale. Il n’y a pas de quartiers populaires et de quartiers bourgeois, mais une même masse grouillante d’humanité, où s’entassent pêle-mêle toutes les conditions ». Pourtant, même si elle est peut-être moins marquée que par la suite, la différenciation sociale et économique apparaît spatialement à Paris (cartes 17 à 19). La plupart des quartiers pauvres se situent à l’est de la ville mais le centre de la capitale compte également son lot de misère. Les quartiers allant du Louvre à l’Hôtel de Ville, Saint-Marcel ou Saint-Jacques (Chevalier, 1958), ainsi que les alentours de la place Maubert (quartier des chiffonniers) sont particulièrement misérables, tout comme l’île de la Cité dont les descriptions de Sue (1842-1843, p. 33 dans l’édition de 1989) donnent une idée de la misère régnante :
Les maisons, couleur de boue, étaient percées de quelques rares fenêtres aux châssis vermoulus et presque sans carreaux. De noires, d’infectes allées conduisaient à des escaliers plus noirs, plus infects encore, et si perpendiculaires, que l’on pouvait à peine les gravir à l’aide d’une corde à puits fixée aux murailles humides par des crampons de fer.
37La différenciation Est-Ouest de l’aisance est donc déjà ancrée au début du xixe siècle et les bouleversements de la seconde moitié du siècle (grands travaux, annexion de communes de banlieue, désindustrialisation du centre) ne feront qu’accentuer ce cloisonnement social :
Avant 1860, les barrières du mur d’octroi, surtout celles du Sud (barrière d’Italie, barrière Saint-Jacques, barrière d’Enfer) et les quartiers miséreux de la Cité et de la place Maubert sont regardés comme d’épouvantables coupe-gorges. Après 1860, la concentration prolétarienne dans les faubourgs déplace peurs et mauvais lieux (Laroulandie, 1997, p. 17).
38À la fin du siècle, les quartiers centraux se sont enrichis et les populations les plus pauvres se trouvent repoussées vers les arrondissements périphériques de l’Est et du Sud.
39En banlieue, l’aisance est également très déterminée spatialement. Les communes bourgeoises se situent dans trois zones (carte 20) : au nord-ouest de Paris entre le bois de Boulogne et le pli de la Seine en continuité des riches arrondissements de l’Ouest parisien, au sud-ouest autour de Fontenay-aux-Roses et à l’est autour du bois de Vincennes.
Carte 17. Enterrements en fosse commune(%) à Paris

Cartes 18 et 19. Aisance des populations au xixe siècle à Paris (Bertillon)*

*Pour saisir le niveau de richesse des quartiers et des arrondissements, J. Bertillon (1895) construit une classification qui tient compte du nombre de domestiques, d’ouvriers, du surpeuplement des logements et du nombre de contrats de mariage.
Sources : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine, 1860, p. 321 ; Dénombrement de la population pour la ville de Paris et le département de la Seine, 1881 et 1891.
Carte 20. Part des individus vivant de leurs revenus dans le département de la Seine, 1891

Source : Dénombrement de la population pour la ville de Paris et le département de la Seine, 1891.
40La population indigente secourue est importante, en particulier au début du siècle (même si elle n’est pas exceptionnelle en comparaison d’autres grandes villes du pays). En 1802, plus d’un cinquième des Parisiens a droit à des secours, 16,5 % en 1813 et 12,7 % en 1818. Entre 1830 et 1850, 6,5 à 9 % (maximum en 1832, année du choléra) des Parisiens sont indigents ; et dans la seconde moitié du siècle, 5,5 à 6,3 % des habitants de la capitale sont toujours aidés par la ville. À partir des années 1890, ils ne sont plus que 2 % (Gaillard, 1997).
41Comme l’analyse de l’aisance selon les quartiers l’indiquait déjà, les populations les plus pauvres résident à l’est de la ville et sont logiquement les plus secourues. En 1817, les proportions d’indigents vont du simple au double entre les anciens arrondissements riches (6,7 % dans le 2e, 8,4 % dans le 4e) et les anciens arrondissements pauvres (21,5 % dans le 9e et 22,6 % dans le 12e). Même si le nombre d’indigents baisse fortement entre le milieu et la fin du xixe siècle (de 5,4 % de la population en 1861 à 2,1 % en 1901), leur répartition dans la ville reste quasiment identique. Ils sont nombreux dans les arrondissements pauvres de l’Est, en particulier dans le 19e, le 20e (Nord-Est) et le 13e (Sud-Est) mais aussi dans le 5e arrondissement qui jouxte ce dernier et qui fait alors encore partie des arrondissements pauvres de Paris. Les veufs et veuves sont les plus touchés : près d’un dixième d’entre eux sont inscrits comme indigents en 1901, contre 1,8 % des mariés et seulement 0,7 % des célibataires. En 1889, seuls 28 % des indigents avaient moins de 60 ans, plus de 36 % avaient entre 60 et 70 ans, plus de 30 % de 70 à 80 ans et 5 % avaient plus de 80 ans. Ce n’est donc pas seulement la solitude, mais également l’incapacité à travailler et donc à se suffire qui mène aux secours publics.
42Même si la situation du peuple est souvent meilleure à Paris qu’en province : « salaires plus hauts, dépassant fréquemment 3 francs par jour, possibilités de travail plus variées, perspectives d’ascension sociale pratiquement impossibles ailleurs, salaires féminins plus élevés… » (Gaillard, 1997, p. 137), les provinciaux « montés à Paris » avec l’espoir de gagner plus d’argent s’adaptent parfois mal à la grande ville. Ainsi, à la fin du xixe siècle, plus des trois quarts des indigents de la ville de Paris étaient nés en province (20,5 % à Paris, 2,4 % dans le département de la Seine et 1,5 % à l’étranger en 1901).
3. De moins en moins d’illettrés
43L’amélioration des conditions de vie des Parisiens passe également par une baisse de l’illettrisme. Dès 1866, 97 % des Parisiens et 90 % des Parisiennes signent leur acte de mariage (carte 21). En 1876, ces proportions passent respectivement à 98 % et 94 %, puis à 99 % et 97 % cinq ans plus tard (carte 22). À partir de 1886, l’écart entre les hommes et les femmes est quasiment nul, et dès 1891, la quasi-totalité des hommes et des femmes vivant à Paris signent à leur mariage.
44La répartition de l’illettrisme est inégale dans la ville. Les riches arrondissements du centre et de l’Ouest comptent beaucoup moins d’illettrés que les arrondissements populaires de l’Est (en particulier les 19e et 20e arrondissements) et du Sud (en particulier les 5e, 13e et 15e arrondissements). En 1901, moins de 5 % des Parisiens ne savent alors ni lire ni écrire (carte 23). C’est toujours dans les arrondissements les plus pauvres que l’illettrisme est le plus fort (6,8 % dans le 13e arrondissement) alors qu’il ne concerne, dans les arrondissements riches, que moins de 2 % de la population (on peut d’ailleurs supposer que ces 2 % comptent beaucoup de domestiques ou autres employés par des familles riches). Les écarts paraissent faibles mais les taux varient tout de même du simple à plus du double.
45Malgré de nombreux efforts depuis les années 1850, intensifiés lorsque la loi du 16 juin 1881 établit la gratuité absolue de l’enseignement primaire public et celle du 28 mars 1882 son obligation (entre 6 et 13 ans) et sa laïcité pour les deux sexes (Casselle, 2003), le nombre d’écoles est insuffisant à Paris pour accueillir tous les enfants. Les habitants des arrondissements populaires ont un moins bon accès à l’instruction, ce qui explique les efforts de la fin du siècle pour y construire des écoles maternelles et élémentaires (voir par exemple, Luc, 1997). Pourtant, selon un observateur contemporain :
Lorsqu’on visite les quartiers populeux, si on pénètre dans les faubourgs et sur les boulevards extérieurs, on est surpris de la quantité d’enfants des deux sexes qui circulent à tort et à travers, à l’heure où ils devraient être à l’école […] ; leurs parents sont souvent au travail ; [les enfants] rentrent à l’heure et laissent supposer qu’ils viennent de quitter la classe. […] Rien de surprenant, dans ces conditions, qu’il se trouve encore à Paris des enfants qui ne savent ni lire ni écrire (Commenge, 1897).
Cartes 21 à 23. Illettrisme (femmes ne signant pas au mariage en 1866 et 1881 et femmes ne sachant pas lire et écrire en 1901)

Sources : Statistiques municipales de la ville de Paris, 1866 ; Annuaires statistiques de la ville de Paris, 1881, 1901.
46En banlieue, le taux d’analphabétisme des conscrits de la fin du siècle est deux fois plus fort qu’à Paris (Farcy et Faure, 2003). Malgré toutes nos recherches, nous n’avons malheureusement pas pu trouver de données concernant l’illettrisme dans les communes de la banlieue parisienne.
4. La pratique religieuse
47Les modifications structurelles touchent également la pratique religieuse catholique, déjà très faible à Paris depuis le xviiie siècle (Chaunu et al., 1998) et qui s’affaiblit encore au cours du xixe siècle (Boudon, 2001). Mais la sécularisation de la société parisienne ne touche pas tous les quartiers avec la même intensité (cartes 24 à 26).
48Au milieu du siècle, la pratique religieuse est nettement plus élevée dans les quartiers bourgeois que dans les quartiers populaires. Dans ces derniers, une contrainte sociale moins forte et un certain désencadrement religieux aboutissent à une moindre pratique ; mais cela ne doit pas conduire à minimiser d’autres formes de la piété populaire qui reste encore présente dans les comportements. À la fin du siècle, le taux de pascalisants indique les mêmes tendances qu’en 1854 : les milieux les plus aisés fêtent davantage la Pâque. Quelques nuances peuvent cependant être apportées puisque le 5e et le 10e arrondissements, pourtant populaires, ont des taux assez élevés (respectivement 24 % et 21 % en 1889 et 35 % et 15 % en 1903-1908) qui restent tout de même inférieurs à ceux des riches 7e, 8e, 9e ou 16e arrondissements.
Cartes 24 à 26. Taux de pascalisants, Paris, par arrondissement, 1854, 1889, 1903-1908

Note : le taux de pascalisants désigne les personnes qui se soumettent à l’obligation sacramentelle de la confession annuelle et de la communion en temps pascal. Les données de 1854 sont fournies selon les arrondissements actuels et nous les avons transférées selon les anciens arrondissements en vigueur en 1854 (selon la correspondance admise).
Source : Boulard, 1982.
49Les Annuaires statistiques précisent si les enterrements de chaque arrondissement ont été célébrés avec ou sans cérémonie religieuse. Cet indicateur, bien que toujours biaisé par la représentation sociale qu’est un enterrement et son coût, est également un indice d’attachement spirituel.
50Ces deux indicateurs du niveau de religiosité vont dans le même sens : c’est bien à l’ouest de la ville que l’on retrouve le plus de catholiques pratiquants. Les cartes 27 et 28 des enterrements religieux englobent le Centre-Ouest (1er et 2e arrondissements), contrairement à celles des taux de pascalisants, mais c’est bien dans les 1er, 2e, 6e, 7e, 8e, 9e, 16e et 17e arrondissements que la pratique religieuse est la plus soutenue. En revanche, à l’est de la ville, la pratique est faible, en particulier dans le 20e arrondissement (Laroulandie, 1997). Pour Boudon (2001), s’appuyant sur les dires de l’abbé Meignan, la pratique est particulièrement faible dans les quartiers populaires, et en particulier à Ménilmontant (20e arrondissement) en raison de la mobilité des populations ouvrières qui ne restent pas plus de deux à trois ans au même endroit. Jacquemet (1984) tire les mêmes conclusions pour Belleville.
Cartes 27 et 28. Enterrements avec cérémonie religieuse (% du total), Paris, par arrondissement

Source : Annuaires statistiques de la ville de Paris, 1882 (p. 217) et 1892 (p. 286).
Carte 29. Taux de pascalisants, région parisienne, 1889

Source : Boulard, 1982.
51En banlieue, la pratique pascale est encore plus faible qu’à Paris à la fin du siècle (carte 29). Peut-on attribuer cela au nombre important de migrants (en se rapprochant de Boudon, 2001) ? Le rapprochement avec la carte des habitants de banlieue nés ailleurs (carte 5) ne semble pas pouvoir complètement appuyer cette théorie à l’échelle des communes. Les communes où les pratiquants sont les plus nombreux se situent, pour la plupart, dans l’arrondissement de Sceaux, c’est-à-dire au sud de Paris, dans les communes les plus riches ; ainsi que dans les communes aisées de l’Ouest (Colombes, Levallois-Perret) ou entourant le bois de Vincennes. De manière générale, à Paris comme dans le reste du département de la Seine, ce sont les habitants des communes les plus aisées qui respectent le plus les pratiques catholiques.
IV. De profonds changements démographiques
52L’arrivée massive de populations des provinces françaises ou de l’étranger et la mobilité résidentielle à l’intérieur même de la zone étudiée ont fortement modifié les structures démographiques (distribution par sexe et âge, rapport de masculinité, états matrimoniaux) des populations.
1. Une ville jeune
53La structure par sexe et âge de la population (représentée ici sous forme de pyramides proportionnelles, figures 13 à 16) a finalement assez peu évolué à Paris au cours du xixe siècle. En 1851, la forme « typique » de la pyramide des âges parisienne apparaît déjà : une base rétrécie qui indique une faible proportion d’enfants (en plus d’une fécondité faible et d’une mortalité élevée, l’envoi en nourrice affaiblit encore leur nombre, voir plus loin), des « excroissances » entre 20 et 29 ans (voire 34 ans) montrant une prédominance des jeunes adultes dans la population (fortement imputable aux migrations) et un rétrécissement progressif à partir de 30 ans. Il faut noter que l’absence des vieillards est renforcée par un certain nombre de retours dans les localités d’origine à l’heure de la retraite (Braudel et Labrousse, 1976). Paris est, au xixe siècle, une ville de jeunes adultes.
54Le changement le plus visible se situe entre 1817 et 1851, mais ceci tient au fait que le recensement de 1817 ne tient pas compte des « populations comptées collectivement » : hôpitaux, hospices, casernes, prisons qui sont majoritairement masculines. Jusqu’à la fin du siècle, la pyramide des âges de Paris garde à peu près la même forme. Cependant, son léger bombement vers le haut indique un faible vieillissement de la population ; et les excroissances, visibles sur toutes les pyramides aux âges adultes, variant entre la droite et la gauche, indiquent des changements dans le rapport de masculinité encore une fois liés aux changements de migrations : très masculines au début de la période et de plus en plus féminines, voire majoritairement féminines, à la fin du siècle. En 1851 et 1856, le losange est particulièrement écrasé, les barres représentant les 20-34 ans sont très fournies. Puis, à partir de 1861 (et donc après l’annexion des communes), la forme de la pyramide est plus rassemblée : la proportion d’enfants augmente légèrement, la part des adultes diminue un peu et elle s’épaissit vers le haut. Parmi les pyramides de la fin du siècle, le groupe d’âges 20-24 ans paraît étonnement surreprésenté en 1881. Après l’avoir analysé longuement, il semble que ce qui pourrait apparaître comme une anomalie ne soit imputable qu’à des arrivées massives de jeunes gens (annexe 7).
Figures 13 à 16. Pyramides des âges proportionnelles (pour 100 000) de la population parisienne, 1817-1901

Sources : 1817 et 1851 : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine (1821 et 1860) ; 1881 : Dénombrement de la ville de Paris, 1881 ; 1901 : « Dénombrement de la ville de Paris » in Annuaire statistique de la ville de Paris, 1901.
Figures 17 à 19. Pyramides des âges proportionnelles (pour 100 000) de la banlieue (en gris) et de Paris (contour noir), 1851-1891

Sources : 1851 : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine (1860) ; 1881 et 1891 : Dénombrement de la ville de Paris et du département de la Seine.
55Au milieu du siècle, les pyramides de Paris et de banlieue différent beaucoup, mais elles tendent à se ressembler de plus en plus au cours du siècle (figures 17 à 19). En 1851, la population de banlieue compte proportionnellement plus de jeunes et de personnes âgées que la population parisienne. Puis, en 1881 et en 1891, la banlieue compte de plus en plus d’adultes et sa proportion d’enfants diminue, en n’atteignant jamais les très faibles niveaux parisiens, probablement parce que les enfants de banlieue sont plus rarement envoyés en nourrice en dehors du département que les petits Parisiens.
2. Plus d’hommes que de femmes ?
56À Paris, entre 1836 et 1871, les hommes sont plus nombreux que les femmes ; mais le rapport s’inverse après cette date (figure 20). En 1817, le rapport de masculinité est particulièrement déséquilibré. « Il faut se rappeler que cette statistique de 1817 ne tient pas compte de la population comptée collectivement dans les hôpitaux, les hospices, les casernes, les prisons, les garnis ; or, dans ces trois derniers, domine évidemment l’élément masculin. Par ailleurs, il faut tenir compte des vides creusés dans la population masculine d’âge actif par vingt années de guerres. Enfin, on peut y voir l’abondance relative de la domesticité féminine » (De Bertier de Sauvigny, 1977, p. 163). Le recensement effectué en 1821 (et dont il ne reste presque plus aucune trace, mis à part le nombre d’individus par sexe) fait état d’un rapport de masculinité de 96,7 %, ce qui laisse donc penser que c’est bien, en majeure partie, l’omission de la population comptée collectivement qui explique le faible rapport de masculinité en 1817.
Figure 20. L’évolution du rapport de masculinité (%) à Paris, de 1817 à 1901

Sources : 1817, 1821 et 1851 : Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine (1821, 1823 et 1860) ; 1856 : Annuaire statistique de la ville de Paris, 1880 ; 1861 : Loua, 1873 ; 1866 : Dénombrement de la ville de Paris, 1881 ; 1872 : Dénombrement de la France, 1872 ; 1876 : Dénombrement de la France, 1876 ; 1881-1896 : Dénombrement de la ville de Paris, 1881-1896 ; 1901 : Dénombrement de la ville de Paris in Annuaire statistique de la ville de Paris, 1901.
57Du recensement de 1836 à celui de 1861, la tendance s’inverse : les hommes sont plus nombreux, ce qui s’explique par une forte immigration de jeunes hommes célibataires (rapport de masculinité selon l’état matrimonial en annexe 8). En 1872, l’effectif des deux sexes est presque identique dans la capitale, pour se déséquilibrer par la suite à l’avantage des femmes. Dans le dernier quart du siècle, les jeunes femmes en âge de travailler arrivent massivement, comme le confirme la répartition par âge puisque dès 1876, le déséquilibre en faveur des femmes est uniquement dû à la classe d’âges des 20-30 ans. Comme le résume bien Gaillard (1997, p. 158), « la supériorité des hommes tient pour l’essentiel à l’immigration et le tassement que l’on constate après 1860 correspond tout naturellement à celui du nombre des migrants ».
58Durant tout le xixe siècle, le rapport de masculinité varie beaucoup d’un quartier à l’autre (Brée, 2015). Les riches quartiers de l’Ouest sont les plus féminins, en raison de la présence de nombreuses domestiques et, à la fin du siècle, de l’arrivée de jeunes femmes venant travailler dans les grands magasins. Dans les arrondissements populaires et ouvriers de l’Est et du Sud, en revanche, le rapport de masculinité est plus équilibré durant tout le siècle, voire à l’avantage des hommes pour les célibataires. Ces déséquilibres sont surtout notables dans le groupe d’âges 20-39 ans. Ils sont également, logiquement, bien davantage imputables aux célibataires (veufs et divorcés également) qu’aux individus mariés.
59En banlieue, le rapport de masculinité est le même qu’à Paris à la fin du siècle, mais plus favorable aux hommes en 1851. À la fin du siècle, les hommes sont donc moins nombreux qu’en 1851 à tous les âges. Ce rééquilibrage du rapport des sexes est sans doute lié à une évolution des migrations, déjà signalée pour Paris. En effet, les migrations vers la région parisienne se féminisent à la fin du siècle et les familles immigrent également plus souvent alors qu’elles sont déjà formées.
60En banlieue également, le rapport de masculinité est différencié selon les communes. En 1891, il est particulièrement déséquilibré en faveur des femmes dans les communes les plus aisées alors qu’il l’est un peu moins dans les zones industrielles, même si cette relation n’est pas automatique.
3. Plus de célibataires à Paris
61La distribution des états matrimoniaux est différente entre Paris et sa banlieue. Dans la seconde moitié du siècle, alors que les femmes mariées représentent 55 à 60 % des femmes en banlieue, elles ne sont que 47 % à 54 % à Paris (figure 21). La capitale compte, en revanche, davantage de femmes célibataires (autour de 40 %) que la banlieue (autour de 35 %).
62En banlieue, l’arrondissement de Sceaux a, au milieu et à la fin du siècle (1851 et 1891) proportionnellement plus de femmes mariées parmi l’ensemble des femmes en âge de procréer que l’arrondissement de Saint-Denis, même si les écarts sont moindres à la fin du siècle.
63Les cartes de la proportion de femmes mariées correspondent assez bien à celles du rapport de masculinité à Paris (cartes 30 à 32) comme en banlieue (carte 33). C’est dans les communes et quartiers populaires de l’Est que les femmes sont le plus souvent mariées alors qu’à l’ouest la proportion de célibataires est bien plus importante. Le grand nombre des domestiques, souvent célibataires, explique sans doute cette faiblesse de la nuptialité dans les quartiers riches de l’Ouest ainsi que la corrélation entre aisance, rapport de masculinité et proportion de femmes mariées.
Figure 21. Distribution des femmes âgées de 15 à 49 ans par état matrimonial, à Paris et en banlieue, 1817-1901

Sources : voir figure 20.
Cartes 30 à 32. Proportion de femmes mariées parmi les femmes de 15-49 ans, à Paris, par arrondissement

Source : voir figure 20.
Carte 33. Proportion de femmes mariées parmi les femmes de 15-49 ans, en banlieue, en 1891

Source : Dénombrement de la population pour la ville de Paris et le département de la Seine, 1891
V. La situation des enfants
1. Une forte mortalité infantile
64La mortalité infantile est élevée au xixe siècle dans la région parisienne et dépasse de 20 à 40 points le taux national (Bideau et al., 1988). Malgré les fluctuations, la chute de la mortalité infantile à partir des années 1880 est très nette (figure 22). Elle est imputable aux progrès sanitaires et à la politique de santé publique (Demeulenaere-Douyère, 2007), dès le début des années 1870 mais surtout avec l’adoption des normes pastoriennes d’asepsie et d’antisepsie à partir des années 1880 (Ancelet, 1896 ; Lefaucheur, 1995 ; Laget, 2007).
65Pour Paris, la mortalité infantile est malheureusement difficilement mesurable. En effet, les effectifs des décès des enfants de moins d’un an ne concernent que les enfants décédés à Paris ; or, le nombre d’enfants mis en nourrice (un tiers des petits Parisiens encore à la fin du siècle ; Rollet, 1982), et surtout de ceux qui y décèdent (Faÿ-Sallois, 1980), est tellement important qu’il fausse, en la réduisant fortement, la mortalité réelle des enfants de moins d’un an (van de Walle et Preston, 1974) car la statistique enregistre la naissance mais pas le décès (Bertillon L.-A, 1881). Van de Walle et Preston (1974) ont essayé de corriger ces biais pour le département de la Seine et ont évalué que les quotients de mortalité infantile des petites filles variaient entre 190 et 200 ‰ au cours du siècle. Ces niveaux sont plus élevés que les niveaux parisiens, sans doute en raison de leur correction. En effet, les taux de mortalité infantile calculés à partir des données du dernier tome des Recherches statistiques sur la ville de Paris sont plus faibles en banlieue (162,4 ‰) qu’à Paris (209 ‰), en particulier dans la population rurale du département de la Seine (180 ‰ contre 162 ‰ pour la population urbaine, Paris exclu).
66Les cartes 34 et 35 montrent que tous les petits Parisiens ne sont pas égaux face à la mort. C’est dans les quartiers centraux et occidentaux qu’ils ont le moins de risques de mourir et dans les arrondissements périphériques qu’ils en ont le plus. Ces cartes ne sont bien sûr pas sans rappeler celles de l’aisance de la population (cartes 18 et 19) dont elles sont presque le parfait négatif. Les données concernant les quartiers parisiens ne sont pas corrigées comme celle de la figure 22 et sont donc très probablement sous-estimées, en particulier dans les arrondissements du centre qui envoient davantage leurs enfants en nourrice (voir plus loin carte 39). En banlieue en revanche, les décès des enfants des communes survenus à l’extérieur ont été pris en compte (carte 36).
67Malgré l’absence de données pour de nombreuses communes, on observe qu’en banlieue (carte 36), comme à Paris, la mortalité infantile apparaît plus forte dans les communes les plus pauvres.
Figure 22. Évolution du taux de mortalité infantile féminin (‰) au cours du xixe siècle à Paris et dans le département de la Seine

Sources : Paris : Bertillon J., 1903 ; Seine : van de Walle et Preston 1974.
Cartes 34 à 36. Mortalité infantilea (‰) à Paris, 1881 et 1891 et en banlieue, 1893

Note : a : mortalité des enfants de 0 an révolu pendant l’année x rapportée à la moyenne des naissances de l’année x et de l’année x – 1.
1880, 1881, 1890, 1891, 1893 et 1894.
Sources : Annuaire statistique de la ville de Paris,
68La différentiation de la mortalité infantile selon la légitimité des enfants dans le département de la Seine montre que les enfants légitimes ont moins de risques de mourir (147 ‰) que les enfants illégitimes (233 ‰, J. Bertillon, 1903).
69Dans les arrondissements, ces écarts sont assez faibles : de 20 à 25 points en moyenne (40 points au maximum, 14e arrondissement excepté, (cartes 37 et 38).
Cartes 37 et 38. Mortalité infantile (‰) dans les arrondissements parisiens, 1896-1901 selon la légitimité des enfants

Sources : Annuaire statistique de la ville de Paris (1895-1901).
70Le taux de mortalité infantile est globalement plus élevé pour les enfants illégitimes, et les écarts sont particulièrement forts dans le 14e arrondissement (où se trouvent de nombreuses maternités ainsi que l’hospice des Enfants-Trouvés). De manière générale, les enfants des arrondissements les plus pauvres meurent davantage, quelle que soit leur légitimité ; et les enfants illégitimes meurent davantage que les légitimes, quel que soit leur lieu de résidence.
2. La mise en nourrice
71Si les meilleures chances de survie des très jeunes enfants peuvent être mises en regard avec les progrès des conditions de l’accouchement (Beauvalet-Boutouyrie, 1995 ; 1999), l’extension de la mise au sein précoce et l’amélioration de l’état de santé et de nutrition des mères (Rollet-Echalier, 1990), la baisse de l’envoi des enfants en nourrice peut également avoir contribué au décrochage de la mortalité infantile (Rollet, 1982). En effet, même si la mise en nourrice est moins pratiquée à la fin du siècle et que l’envoi au loin est de plus en plus remplacé par des nourrices « sur lieu » (la nourrice sur lieu travaille et réside chez les parents de l’enfant qu’elle garde), en particulier pour les plus riches (Rollet, 1982), son effet est tout de même à prendre en compte puisqu’elle fait artificiellement baisser la mortalité infantile : les enfants nés à Paris mais mourant au loin ne sont, en effet, pas pris en compte dans la mortalité parisienne alors même qu’ils meurent en nombre bien plus important que les petits Parisiens qui résident à Paris (van de Walle et Preston, 1974). En effet, vers 1850, 40 à 60 % des enfants mis en nourrice meurent pendant leur première année d’après Léon Lefort (Laplaige, 1989) ; la mortalité tombe à 33 % à la fin du Second Empire, mais Fanny Faÿ-Sallois (1980), citant Monnot, parle d’une mortalité de 71 % vers 1870. L’étude d’Armand Husson (directeur de l’Assistance publique) montre qu’en 1865-1866, 52 % des Parisiens meurent dans leur première année de vie, contre 20 % des enfants du pays où ils sont accueillis.
72Ce sont les familles du centre de Paris (cartes 39 et 40), et généralement « les femmes d’artisans, de commerçants, les domestiques, couturières, lingères et blanchisseuses qui envoient au loin leurs enfants en nourrice » (Rollet, 1982, p. 584) alors que les familles aisées embauchent des nourrices « sur lieu ». La prise en compte des enfants morts au loin aurait donc plutôt tendance à faire augmenter la mortalité infantile dans les quartiers centraux.
73En banlieue (cartes 41 et 42), 18 % des enfants étaient placés en nourrice en 1891. Parmi ces enfants, 81,5 % sont placés dans la commune et 18,5 % dans une autre (alors qu’à Paris ces proportions sont, respectivement, de 97 % et 3 %).
74Ce sont les habitants des communes situées à l’ouest et au sud du département de la Seine ainsi que, souvent, les communes entourant le bois de Vincennes qui ont le plus recours à la mise en nourrice. Dans ces communes, les plus riches du département, leurs enfants sont le plus souvent placés dans la commune, ce qui reflète probablement le recours à des nourrices « sur lieu ».
75A l’inverse, si les communes populaires ou celles dont le caractère agricole est encore important à la fin du xixe siècle au nord-est ont globalement moins souvent recours à la mise en nourrice, l’envoi en nourrice au loin est plus fréquent. Les communes où les enfants sont le plus souvent envoyés en nourrice suivent les voies routières et ferrées qui entourent Paris. Au nord (Saint-Denis, Saint-Ouen, Pierrefitte), on retrouve la route qui mène vers Chantilly et Senlis. À l’est, passant par le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Bagnolet, Romainville, Noisy-le-Sec et Bondy, la route qui mène à Meaux (ainsi que le chemin de fer qui mène directement de Paris à Noisy-le-Sec et va jusqu’à Nancy et Strasbourg). Au sud, la route de Melun ou Provins et à l’est, la route qui mène Coulommiers ou à Sézanne. Il est probable que cette proximité des grandes routes ait facilité l’envoi des enfants vers des destinations plus lointaines.
Cartes 39 et 40. Enfants mis en nourrice (rapportés aux naissances, %), 1886

Note : il n’existe pas de données sur l’envoi en nourrice dans les parutions ultérieures pour Paris. Le nombre d’enfants envoyés en nourrice a été rapporté aux naissances des arrondissements. En effet, les enfants partent souvent en nourrice très rapidement après leurs naissances, ce qui justifie ce rapport
Source : Annuaire statistique de la ville de Paris, 1886.
Cartes 41 et 42. Proportion (%) d’enfants mis en nourrice par commune en banlieue, 1891

Source : Annuaire statistique de la ville de Paris, 1891.
Conclusion
76Au cours du xixe siècle, la population parisienne quintuple et cette croissance est presque uniquement imputable à l’immigration. De nombreux nouveaux arrivants viennent grossir les rangs parisiens et les natifs de la capitale ne représentent que 40 % des Parisiens au début du siècle et 30 % à la fin. Cette urbanisation massive est liée à l’industrialisation ; les professions changent en conséquence et le nombre d’ouvriers s’accroît fortement. L’implantation des usines, ajoutée aux grands travaux d’Haussmann, déplace les populations populaires vers les arrondissements périphériques et la banlieue : la spécialisation des quartiers et les inégalités sociales s’intensifient. Les riches vont toujours plus à l’ouest et les pauvres à l’est ou sur la couronne extérieure. En raison de l’arrivée de ces Parisiens, mais aussi des migrants provinciaux et étrangers, la population de banlieue parisienne connaît également un très fort accroissement, nettement supérieur à celui de la capitale, en particulier dans la seconde moitié du siècle. Ce gain de population est plus élevé dans le Nord de la banlieue, et d’autant plus important que la proximité de Paris est forte. Dès le milieu du siècle, la quasi-totalité des habitants de banlieue réside dans une commune de plus de 2000 habitants. L’urbanisation de la banlieue parisienne a, comme sa voisine, été largement favorisée par l’industrialisation ainsi que, dans une moindre mesure, par le développement des voies de communication. Les banlieusards, vivant jusqu’alors principalement de l’agriculture, se tournent de plus en plus vers les emplois industriels et, les nouveaux arrivants particulièrement, deviennent souvent ouvriers.
77Tous ces bouleversements influent sur la structure démographique. Paris, ville d’adultes s’il en est, ne cesse d’accueillir de nouveaux jeunes gens ; plutôt des hommes qui s’installent rarement définitivement au début du siècle mais de plus en cours au cours du siècle ; puis davantage de femmes, notamment en raison de la forte demande de domestiques ou de main-d’œuvre féminine dans les tout nouveaux « grands magasins ». Ces nouveaux Parisiens arrivent souvent seuls : la ville de jeunes adultes est également une ville de célibataires qui représentent toujours plus de la moitié de la population en âge d’avoir des enfants. En banlieue, en revanche, les célibataires sont bien moins nombreux que les mariés et les populations sont moins jeunes.
78À Paris, comme en banlieue, la spatialisation sociale est forte. En 1851, la division Est-Ouest est marquée dans la capitale : à l’ouest, les quartiers riches, au centre, les quartiers intermédiaires, à l’est les quartiers pauvres. Dans ces derniers, très sécularisés, les ouvriers sont nombreux (même s’ils résident également souvent dans les garnis des quartiers particulièrement surpeuplés du Nord de la capitale). Ces populations populaires de l’Est sont les plus enclines au mariage et le rapport de masculinité y est plus équilibré qu’ailleurs, voire favorable aux hommes ; contrairement à l’Ouest où la domesticité implique une surreprésentation féminine et un célibat important.
79À la fin du siècle, malgré les évolutions importantes que connaît la ville, le cloisonnement économique, social et démographique persiste, voire s’accentue. La dichotomie Est-Ouest perdure, tout en étant moins marquée, après l’annexion des communes suburbaines en 1860. À l’ouest et au centre-ouest, dans les quartiers aisés où les patrons sont nombreux (jusqu’à 40 % de la population), la densité est faible, l’illettrisme est quasi inexistant et la mortalité infantile est plus réduite qu’ailleurs. À l’est, en revanche, se trouvent les quartiers populaires où les ouvriers sont très nombreux et les conditions de vie bien moins favorables.
80Les nouveaux arrivants résident davantage à l’ouest et la proportion de natifs est toujours plus forte à l’est. Cependant, la faible modification des structures sociales des arrondissements amène à penser que les migrants respectent l’homogamie sociale en s’installant dans des quartiers d’aisance similaire à la leur (avec, tout de même, un Nord-Est très peu attractif). Il faut sans doute nuancer ce propos en tenant compte de l’état matrimonial des migrants puisque, si les familles ouvrières s’installent davantage dans l’Est, les jeunes femmes seules, dont le niveau économique n’est sans doute pas meilleur, immigrent plutôt vers les arrondissements riches où elles peuvent trouver un emploi. Entre ces deux zones fortement démarquées, il existe un groupe de quartiers situés au centre-est, mais qui englobe parfois toute la couronne entourant le premier groupe des quartiers les plus aisés. Ces arrondissements ont des niveaux sociaux, économiques, culturels démographiques moyens, situés entre les deux bornes extrêmes des deux groupes précités et, si les ouvriers y sont assez nombreux, l’artisanat est également un secteur d’emploi important.
81En banlieue, le découpage est moins net qu’à Paris. Les communes qui jouxtent Paris au nord et au sud sont les plus industrialisées et comptent le plus d’ouvriers, alors que les populations les plus riches résident dans le Nord-Ouest, le Sud (dans une seconde couronne) et à l’est autour du bois de Vincennes. Il reste encore des secteurs agricoles, en particulier au nord des communes industrielles qui constituent la première couronne entourant Paris, mais ils sont sans cesse repoussés de la capitale au cours du siècle. Les migrants sont surtout nombreux dans les communes les plus industrielles et c’est également dans ces communes que le rapport de masculinité est le plus équilibré et que la nuptialité est la plus élevée.
82Ces changements structurels, tant à l’échelle de la ville et de sa banlieue qu’à l’échelle des communes et quartiers, inscrivent le mouvement de la fécondité parisienne dans une perspective de longue durée.
83Le niveau de fécondité des populations est-il socialement, économiquement ou culturellement déterminé ? Le cloisonnement social observé ici permet de caractériser la fécondité légitime et la fécondité illégitime en fonction des niveaux de richesse, de l’adhésion religieuse, des structures démographiques ou professionnelles des quartiers et des communes analysés, offrant peut-être quelques pistes de réponses.
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