1L’étude et la théorisation des violences conjugales s’est développée en France et à l’international à partir des savoirs des acteurs de terrain, notamment des associations féministes, qui se sont saisis de cette question sociale, politique, et de santé publique. Leur volonté était de rendre visibles ces violences commises au sein de la sphère privée, relevant de la responsabilité publique, de les faire diminuer et d’impulser une prise en charge des victimes et des auteurs par les pouvoirs publics (Delage et al., 2019 ; Delage, 2017 ; Chetcuti et Jaspard, 2007). Ces mobilisations invitaient également la société civile et les pouvoirs publics à réfléchir aux moyens de prévenir ces violences, inscrites dans des rapports asymétriques de pouvoir au sein du couple (Jaspard et al., 2003c), et pouvant aller jusqu’au meurtre. En France la quasi-totalité des femmes tuées par un tiers le sont par un conjoint ou un ex-conjoint (on peut consulter, sur cette question, l’étude nationale publiée sous l’égide du ministère de l’Intérieur, Délégation aux Victimes, 2019). Ainsi, au tournant du xxi^e siècle, la question des violences conjugales a émergé sur la scène publique française : elle est devenue plus visible et plus dicible (Jaspard, 2011). Mais la reconnaissance sociale de ce phénomène fait encore face à de nombreux tabous et de fortes résistances. En témoigne le traitement social et médiatique des meurtres de femmes par un partenaire ou ex-partenaire, dont la société a du mal à reconnaître qu’il ne s’agit ni d’un drame passionnel ni d’un crime dont elles seraient elles-mêmes responsables voire coupables (Houel et al., 2003). Les projets de lois sur la résidence alternée automatique ont été mis à l’ordre du jour, faisant fi des connaissances scientifiques sur les dangers d’une exposition aux violences conjugales durant l’enfance. Enfin les enfants restent exposés aux violences lors des droits de visite (Romito, 2011 ; Sadlier et al., 2015 ; Côté et Lessard, 2009). Malgré ces obstacles (Romito, 2006), les connaissances sur les violences conjugales et la reconnaissance de leur caractère non tolérable avancent.

2L’enquête Enveff réalisée en 2000 fut la première enquête sur les violences (voir en introduction de l’ouvrage), qui ait permis à la fois de donner une mesure du phénomène des violences subies par les femmes au sein du couple (et ainsi d’assoir leur réalité objective) et de produire un savoir académique. De nombreux acteurs de terrain ont pu, sur cette base, mettre en place des dispositifs de prise en charge et de protection, dans le cadre de plans pluriannuels (voir note de synthèse p. 217) sur l’évolution des dispositifs juridiques concernant les violences conjugales.

3Dans le sillage de cette étude pionnière, plusieurs enquêtes quantitatives ont inclus, dans leurs dispositifs de collecte, des modalités de questionnement inspirées de l’Enveff. Depuis 2007, l’enquête annuelle de victimation Cadre de vie et sécurité, réalisée par l’Insee en partenariat étroit avec l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), inclut des questions sur les violences physiques et sexuelles au sein du ménage (Sourd, 2017). L’enquête Evénements de vie et santé, réalisée en 2005-2006, comporte quant à elle des limites pour saisir les violences dans le couple de manière précise (Beck et al., 2010). De manière générale, et notamment en Amérique du Nord, les résultats des enquêtes quantitatives concernant les faits déclarés pour les douze derniers mois ont donné lieu à des controverses importantes concernant l’(as)symétrie des déclarations des femmes et des hommes (Cavalin, 2013). Le dispositif de l’enquête Virage, inspiré de l’Enveff, permet de ne pas s’en tenir aux seuls indicateurs et de produire des résultats sur les situations de violence. L’analyse détaillée des faits déclarés met en effet en évidence de claires asymétries dans les situations vécues par les femmes et les hommes, dont les indicateurs bruts de victimation peinent à rendre compte. Ces derniers ne permettent pas de reconstruire le contexte et la dynamique des situations de violence, les répétitions, la gravité, les conséquences sur les victimes à court, moyen et long termes. C’est en produisant des analyses à partir de ces informations multiples qu’il devient possible de caractériser les situations effectivement vécues, et leur retentissement sur la santé et la sécurité des personnes. L’enquête Virage a recueilli des données qui permettent de mieux appréhender les réalités, peu visibles par une simple mesure.

4Dans ce premier chapitre sur les violences dans le couple sont analysés les faits de violences intervenus au cours des douze derniers mois (indicateur conjoncturel). Il s’agit donc de faits très récents, qui relèvent à la fois du conflit, notamment pour de jeunes couples dont certains peuvent être en voie de séparation, ou d’agressions plus graves pour des couples qui connaissent des situations de crises (passagères ou non), et des couples au sein desquels de la « violence conjugale » est installée. La mesure des faits de violence au cours des douze derniers mois dans les grandes enquêtes quantitatives amalgame des situations diverses qui ne prennent pas le même sens selon les réalités qu’elles recouvrent. Ces limites ont déjà été mises en évidence, notamment à propos du contexte nord-américain (Cavalin, 2013 ; Damant et Guay, 2005). Ces travaux ont donné lieu à des typologies des différentes formes de violences conjugales, à partir d’enquêtes tant qualitatives que quantitatives (notamment la National Family Violence Survey (NFVS) dès 1975 aux États-Unis). Michael P. Johnson distingue le « terrorisme conjugal » majoritairement subi par des femmes victimes, de la « violence réactive » commise par des femmes, elles-mêmes victimes à l’encontre de leur conjoint violent, et de la « violence situationnelle », violence ponctuelle commise par des hommes comme par des femmes, qui peut être grave mais qui n’est pas inscrite dans la durée (Johnson, 2008), alimentant le débat sur la symétrie sans permettre d’en sortir.

5Nous verrons néanmoins que les indicateurs conjoncturels présentent à eux seuls des différences entre femmes et hommes, notamment dans le type de faits le plus souvent déclarés. Des facteurs de surexposition sont parfois similaires pour les deux sexes : en particulier pour le jeune âge. Mais le continuum de violence observé pour les femmes ne se retrouve pas pour les hommes, qui déclarent des faits affectant peu leur intimité, de durée courte et les altérant dans une moindre gravité. Après avoir détaillé les faits déclarés par les femmes et les hommes interrogés, nous observons (pour les femmes) l’évolution des violences depuis l’enquête Enveff (2000). Ensuite sont abordées les caractéristiques sociales qui font varier les expositions aux faits de violences (personnes jeunes, personnes inactives, nombre d’enfants, violences vécues pendant l’enfance, etc.). Puis sont présentés des résultats sur l’impact et sur les conséquences de ces violences.

6Au final, en analysant les situations plus en détail et en les resituant dans une temporalité, ces données montrent en quoi les violences sont l’expression de rapports de genre, qu’elles contribuent à maintenir. Les hommes déclarent des faits, mais ils ne sont exposés ni à un continuum d’actes ni sur des durées semblables. La question de la séparation apparaît, à cet égard, cruciale.

7Le continuum temporel est analysé plus en détail dans le chapitre suivant, qui porte sur les faits de violences au cours de la vie. Ces deux chapitres lus ensemble donnent à voir les dynamiques des situations de violence2.

I. Les violences investiguées pour la sphère conjugale

1. Les données mobilisées

8L’enquête Virage a enregistré de manière détaillée les violences commises par des partenaires ou ex-partenaires dans les douze derniers mois et dans la « Vie entière » (avant les douze derniers mois). Comme dans l’enquête Enveff3, la relation de couple est définie au sens large, qu’il s’agisse de personnes des deux sexes ou de même sexe4, unies par un mariage ou un pacs, ou en union libre, qu’elles habitent ou aient habité dans un même logement ou non. Les répondant·e·s qui ont déclaré avoir une telle relation depuis au moins quatre mois ou en avoir eu une ayant duré au moins quatre mois pendant les douze derniers mois, ont été interrogé·e·s sur les faits de violence éventuellement subis dans le cadre de cette relation (8150 hommes et 10266 femmes5, module « Couple » du questionnaire structuré par sphère de vie et présenté au chapitre 1). Celles et ceux qui ont fait état d’au moins une relation de couple rompue par une séparation ou un divorce ont été interrogé·e·s sur les violences éventuellement subies lors de contacts avec leur ancien partenaire dans l’année passée (1107 hommes et 1360 femmes, module « Ex-conjoint »).

9Dans un premier temps, nous avons analysé les déclarations une à une pour chaque type de fait (liste détaillée des faits dans l’encadré 1). Cette répartition ne restitue pas la complexité d’une situation de violence, mais elle renseigne sur les éléments le plus souvent déclarés. Par ailleurs, dans une première étape d’analyse, les fréquences au cours de douze derniers mois donnent un aperçu des faits ponctuels et des faits souvent répétés (figure 1). C’est donc un premier portrait, certes simple, des situations déclarées pour chaque sexe, mais qui éclaire sur le type de « climat » que certains faits peuvent instaurer quand ils sont vécus de manière fréquente. Un « mot » désobligeant mais isolé et non répété, n’a pas le même impact que des remarques diffamantes et/ou des insultes à répétition, qui instaurent un climat de dénigrement, d’autant plus lorsqu’il est associé à des violences physiques ou des violences sexuelles. La co-occurrence de divers types de faits et leur répétition renseignent sur les atteintes que ces actes peuvent avoir sur les personnes qui les subissent.

Figure 1. Proportion de faits répétés « souvent », « presque toutes les semaines » ou « tous les jours ou presque » parmi les femmes et les hommes ayant déclaré au moins un fait de violence pour les douze derniers mois (%)

10Les faits déclarés par les femmes et les hommes sont de niveaux et de nature variés (figure 1). Alors que les hommes rapportent plus souvent des faits qui ont trait à une forme de jalousie, les femmes déclarent plus souvent un plus large spectre d’actes incluant notamment des violences sexuelles. Si ces dernières sont relativement peu nombreuses, elles sont vécues « souvent », voire quotidiennement, par 20 % des femmes qui en mentionnent et sont constitutives de formes de violences graves, d’autant que déclarer ce type de violences dans le couple est difficile. Et les violences physiques et sexuelles déclarée par les femmes sont quasi systématiquement accompagnées d’autres formes de violences.

11La violence physique est moins fréquente et en général non répétée. Par ailleurs, lorsque les faits de violence physique sont répétés, ce sont plus souvent les femmes qui en sont victimes. De manière générale, les faits vécus souvent, presque toutes les semaines ou presque tous les jours, sont tous déclarés majoritairement par les femmes (à l’exception de la surveillance du courrier, des SMS, etc.). Les faits vécus une seule fois sont plus souvent déclarés par les hommes.

12Au-delà des faits vécus et de leur répétition, la gravité des faits est de 1,3 à 2 fois plus élevée pour les femmes que pour les hommes (tableau 1). Les faits déclarés comme graves sont majoritaires pour les femmes, minoritaires pour les hommes. Et les violences physiques et sexuelles sont quasi systématiquement accompagnées d’autres formes de violences.

2. Construction d’un indicateur synthétique

13La mesure des violences subies présentée dans les analyses qui vont suivre tient compte des différentes dimensions de ce phénomène hétérogène. Pour ce faire, un indicateur en quatre niveaux a été construit, qui intègre la répétition, la gravité, la diversité des types de faits. Sont intégrées dans le niveau très grave, les violences sexuelles et physiques sévères, quasi unanimement considérées ainsi, telles que les tentatives de meurtre (encadré 2).

14Par ailleurs, cette mesure ne renseigne pas sur la durée dans laquelle s’inscrivent les violences. Peuvent y être sur-représentés des faits de violences intervenant dans des relations qui seront vite rompues : on enregistre un niveau global mais on fige ce qui relève du processus. Ainsi, l’indicateur a pour limite de contenir à la fois les conflits violents, ponctuels ou répétés, mais qui sont réciproques et la « violence conjugale » qui sous-tend la domination de l’un des partenaires sur l’autre (Jaspard et al., 2003a). Enfin, les faits de « violence réactionnelle » qu’un individu peut subir en réponse aux violences que lui-même exerce sont inclus dans l’indicateur, au même titre que les faits de « violence conjugale » qui s’inscrivent dans une volonté de domination et de destruction de l’autre. L’interprétation est donc très délicate et nécessite d’accompagner les indicateurs d’informations de contexte, pour pouvoir différencier les situations vécues. C’est pourquoi la notion de « violence conjugale » n’est pas utilisée de manière systématique dans ce texte, car elle est réservée aux faits de domination et de violence qui installent une situation de peur, voire de terreur et de destruction de la personne.

Tableau 1. Proportions de faits considérés comme graves par les femmes et par les hommes ayant déclaré au moins un fait de violence de chaque type et ratio femme/homme (%)

15Néanmoins, l’indicateur synthétique renseigne sur les différentes formes que prennent les faits déclarés par les femmes et les hommes, sur la violence « ordinaire » et moins ordinaire, et sur les caractéristiques des personnes qui les déclarent. Pour représenter de manière synthétique l’intégralité des faits déclarés, et les enrichir par des informations sur les personnes et sur la relation de couple, nous avons procédé à une analyse des correspondances (figures 2a et 2b, pages suivantes). Le principe choisi est de mettre d’abord en évidence les corrélations les plus fortes entre les faits déclarés, les caractéristiques des personnes et celles de l’union. La variable synthétisant les violences, la durée de la relation et le degré de satisfaction de la relation sont ensuite introduites (variables illustratives), de manière à repérer les associations. Les degrés de violence étant spécifiques pour les personnes séparées ou en couple, les déclarations sont représentées séparément selon les deux types de situation. En ce qui concerne les personnes en couple au moment de l’enquête, les faits déclarés le plus fréquemment, qui se placent dans le cadre d’un conflit ou d’une période de crise de relation conjugale, sont massifs (figure 2a). Les violences les moins fréquentes : les violences sexuelles, les violences de longue durée et les violences physiques graves se situent dans les extrémités du cadre. Les hommes sont associés à des violences de durée relativement courte, à des jeunes adultes, et à des relations qu’ils jugent satisfaisantes, voire très satisfaisantes, avec peu d’effet sur leur santé, ce qui laisse supposer qu’il s’agit de faits sans grand impact sur leur parcours de vie, mais qu’ils jugent intolérables et n’hésitent pas à déclarer (figure 2a). Les femmes sont plus souvent associées à des violences de niveau plus élevé, à des âges plus élevés, et à une santé mentale dégradée6. Pour les personnes séparées au moment de l’enquête mais qui ont été en couple au moins quatre mois dans l’année (figure 2b), les hommes déclarent des violences qui s’inscrivent dans des durées encore plus courtes, et de niveau peu élevé. À nouveau, ces hommes sont tous de jeunes adultes. Les femmes déclarent des faits plus fréquemment à 40-49 ans, de niveaux élevés, présentant une corrélation nette avec une santé mentale dégradée. Le nombre d’enfants ressort également (3 enfants ou plus) ainsi que les violences de longue durée, situées en extrémité du cadre, qui sont spécifiques et plus rares.

Figure 2. Déclarations de faits de violences dans les douze derniers mois, personnes en couple (a) et non en couple (b)

16Dans une dernière étape d’analyse, via l’enrichissement des indicateurs par d’autres informations sur le contexte de survenue et sur les conséquences des actes subis, se dessineront alors de manière globale des situations vécues.

II. Des violences envers les femmes qui perdurent

1. Moins de jalousie et de dénigrement depuis 2000, mais pas de diminution significative des autres violences

17Les données enregistrées dans Virage sur les faits de violences subis sont nombreuses et diversifiées : elles concernent toutes formes de violences psychologiques – incluant le dénigrement, la jalousie, le contrôle, les violences administratives, les violences sur enfants – ainsi que les violences verbales, physiques, sexuelles7.

18L’un des premiers constats issus de l’enquête Virage, par rapport à l’enquête Enveff, est la baisse de la fréquence de certains faits très spécifiques relatifs au contrôle, alors que les autres faits de violence sont à un niveau relativement proche d’une enquête à l’autre (tableau 2).

19Les différences les plus notables concernent le contrôle et le dénigrement : remarques désagréables, dévalorisation, contrôle des déplacements étaient rapportés par plus de 10 % des femmes (15 % pour le contrôle) au moment de l’Enveff alors qu’ils le sont par 4 à 6 % des femmes dans l’enquête Virage de 2015. Ces faibles niveaux se retrouvent à tous les âges (hormis pour les très jeunes femmes, plus contrôlées peut-être du fait de sociabilités mélangeant relations amicales et amoureuses, et de la diffusion de nouveaux modes de communication favorisant le contrôle), et pour toutes les professions.

Tableau 2. Fréquence de faits survenus au moins une fois au cours des douze mois précédant l’enquête, femmes interrogées lors des enquêtes Enveff et Virage (%)

20Les violences verbales et physiques n’ont pas baissé de manière significative entre les années 2000 et 2015 : entre 3 et 4 % des femmes ont déclaré avoir été injuriées dans les deux enquêtes, 1 à 2 % ont été victimes d’atteintes corporelles, et entre 0,1 et 0,2 % des femmes ont été menacées avec une arme ou un objet dangereux, ou victimes d’une tentative de meurtre/assassinat. Les violences les plus graves sont donc persistantes. Seuls certains comportements de domination (dévalorisation, dénigrement et contrôle) ont baissé de manière significative et concernent une proportion plus faible des femmes des nouvelles générations.

Figure 3. Indicateurs de violences psychologique, physique et sexuelle et indicateur global durant les douze derniers mois (%)

Figure 4. Indicateurs globaux de violences par groupes d’âges durant les douze derniers mois (%)

21Les rôles et les comportements sont moins polarisés au sein du couple, du fait d’une plus grande autonomie économique des femmes diminuant les situations de dépendance, même si de fortes inégalités de genre persistent, notamment en termes de partage du temps, des tâches, de contraception, de sexualité (Brousse, 2015 ; Ferrand et al., 2008).

22Par ailleurs, les nouvelles générations ont sans doute plus de « moyens » de faire valoir que le discrédit et la dévalorisation sont des actes non tolérables. Même si là encore, le degré de tolérance face aux critiques est sans doute encore fortement sexué.

2. Des violences multiformes et plus importantes contre les jeunes femmes

23Les femmes déclarent tous types de violences, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles (figure 3). Les violences sont donc multiformes. Les hommes quant à eux déclarent principalement des violences psychologiques, mais moins fréquemment que les femmes (y compris de niveau élevé) ; 0,2 % d’entre eux déclarent des faits de violences physiques et quasi aucune violence sexuelle. Les violences ne sont pas rares parmi des jeunes en couple (figure 4). Elles sont souvent relatives au contrôle et à la jalousie, moins souvent physiques. Les violences sexuelles sont quant à elles plus présentes entre 30 et 49 ans. Ces premiers résultats globaux obtenus à l’aide d’un indicateur brut dessinent donc des situations qui commencent aux âges jeunes par du contrôle et sont différenciées selon le sexe : plus souvent de nature psychologique pour les hommes, avec très peu de violences sexuelles, plus multiformes pour les femmes y compris de nature sexuelle, et se produisant à des âges plus avancés.

III. Des situations conjugales, familiales et socioéconomiques qui inscrivent la violence dans la vie de tous les jours

1. Des facteurs de surexposition qui perdurent depuis l’Enveff

24Les facteurs de surexposition mis en évidence pour les femmes lors de la première enquête n’ont pas changé depuis quinze ans. Nous avons vu que les jeunes déclarent plus de violences, ce qui était déjà le cas en 2000. De la même manière, cette enquête avait montré que le niveau de diplôme avait peu d’influence, et que c’était surtout le fait de ne pas être en activité professionnelle qui était fortement corrélé à la violence, ce qui est confirmé par les données recueillies lors de l’enquête Virage (figure 5). Ce n’est pas tant la profession ni son positionnement dans la classification des emplois (ouvrier/ employé, cadre...) qui importent, que la désocialisation des individus et la précarité sociale. Le fait qu’un conjoint soit au quotidien au domicile (voire les deux) augmente la fréquence des violences. Cet effet est particulièrement marqué, notamment pour les femmes lorsqu’elles sont en rupture d’activité et également lorsque leur conjoint est le seul sans emploi. Par ailleurs, les effets de la violence ont un impact sur la vie professionnelle donc, par ricochet, sur les difficultés socioéconomiques du ménage, et isolent progressivement. Ce processus d’isolement, caractéristique des situations de violence, rend d’autant plus vulnérables les personnes qui les subissent. Les personnes sans emploi, en situation de dépendance économique, ont beaucoup moins de leviers pour se défaire de la situation de violence.

Figure 5. Indicateurs de violences selon la situation familiale, socioéconomique ou conjugale durant les douze derniers mois (%)

25Pour les hommes, le nombre de relations de couple n’a aucun impact significatif sur les faits qu’ils déclarent, alors que les femmes qui ont eu plusieurs relations de couples déclarent plus de situations de violence (figure 5). On peut supposer que certaines ont connu un parcours où les violences subies se répètent. La violence est particulièrement élevée pour les femmes ayant des parcours conjugaux atypiques, notamment celles qui ont vécu 10 relations de couple ou plus et qui déclarent des violences pour 15 % d’entre elles, dont 4 % des violences très graves durant les douze derniers mois précédant l’enquête. Il se peut qu’elles soient confrontées à des expériences de vie les surexposant à une stigmatisation, un discrédit et à des violences. Elles déclarent des niveaux élevés de violences psychologique et physique, mais peu de violences sexuelles dans le couple si l’on s’en tient aux questions spécifiques sur ce type de faits. En revanche, si l’on prend un autre indicateur qui est la fréquence de la sexualité non désirée au cours des douze derniers mois, elles sont plus nombreuses à déclarer avoir eu des rapports sans en avoir vraiment envie.

26Le nombre d’enfants dans le ménage ne joue pas de manière strictement linéaire pour les femmes et est non significatif pour les hommes. Ainsi, on note un léger surcroît de violences pour les femmes ayant un seul enfant ou trois enfants et plus (figure 5). On sait que le passage de la conjugalité à la parentalité est une période d’accroissement des passages à l’acte8. On peut émettre l’hypothèse que les femmes ayant un enfant seraient dans des situations d’émergence de la violence conjugale, la première naissance peut être également lue comme une tentative d’asseoir un couple peu stable. Les mères de 3 enfants semblent également surexposées. Mais aussi, les variations observées selon le nombre d’enfants correspondent à des facteurs sociaux différents. Les femmes ayant un seul enfant sont plus jeunes en moyenne. Les femmes ayant 2 enfants sont relativement nombreuses eu égard aux normes actuelles de fécondité, favorisant le modèle à 2 enfants, situation familiale la plus répandue. Par ailleurs, la décision de la grossesse est souvent conditionnée par le consensus au sein du couple, et le fait d’avoir 1 enfant en plus est corrélé à la « qualité » de la relation. Les mères de 3 enfants se retrouvent sans doute dans une situation plus complexe : résolution de problèmes liés à des changements de domicile, vulnérabilité économique rendant la question de la séparation et de la protection encore plus difficile. La question de la parentalité constitue de manière générale l’un des ressorts de la dynamique des violences (Sadlier et al., 2015).

27Enfin, les personnes déclarant de la violence exercée par les partenaires expriment plus souvent des désaccords relatifs à la sexualité (voir infra) et à des projets d’enfants. Les travaux sur les violences ont montré le lien fort entre la santé sexuelle et reproductive des femmes et les violences, qu’il s’agisse de la sexualité, de la contraception, de l’IVG ou des grossesses. Les violences s’appuient donc pour les femmes, sur les représentations traditionnelles des rôles qui leur sont assignés et sur leur intimité (Romito, 1997 ; Pomicino et al., 2013).

2. Les faits les plus marquants : psychologiques pour les hommes, diversifiés pour les femmes

28Les personnes ayant déclaré plusieurs faits de violences, et dont au moins l’un d’eux était jugé grave, ont été interrogées sur les contextes et les conséquences de ces violences en prenant comme référence le fait le plus marquant (ou en détaillant le fait qui s’est produit s’il était isolé). Les faits marquants décrits par les femmes concernent en majorité le registre de la violence psychologique, y compris les insultes et les menaces sur les enfants, viennent ensuite la violence physique, puis la violence sexuelle qui représente près de 1 % des situations de violence rapportées comme les plus marquantes (tableau 3). Pour les hommes, les faits jugés marquants concernent des violences psychologiques dans 92 % des cas. Ils déclarent également des violences physiques et des menaces sur les enfants, mais près de 10 fois moins souvent que des violences psychologiques, et aucune violence sexuelle.

29Le continuum des violences pour les femmes est très net, avec une diversité de faits marquants et une intensité forte, là où les hommes déclarent, en grande majorité, des faits psychologiques. Parmi l’ensemble des personnes qui déclarent au moins un fait, des conséquences sont mentionnées 1 fois sur 4 par les femmes et 1 fois sur 9 par les hommes (voir ci-après).

30Les femmes parlent plus souvent avec des proches des faits de violence dans le couple que ne le font les hommes (66 % des femmes contre 37 % des hommes), rappelons que ces faits sont souvent répétés pour les femmes. Elles font part fréquemment des violences verbales (75 %) et des menaces sur les enfants (63 %). Femmes et hommes évoquent rapidement à leurs proches les faits subis. Généralement, les femmes en parlent le jour même (43 %) voire dans les quinze jours (39 %). Les hommes ont tendance à relater les violences psychologiques à leurs proches dans les quinze jours (47 %), un tiers le jour même. La circulation de la parole s’effectue plus dans l’entourage proche : membres de la famille, autres que les enfants et amis, plus qu’à des collègues ou à d’autres personnes.

31Les personnes déclarant des faits jugés graves ressentent principalement de la colère (84 %). Le sentiment de peur n’est pas négligeable, notamment pour les femmes, près de 40 % d’entre elles ayant déclaré de la peur contre un peu plus de 20 % des hommes. La colère, la tristesse, la peur, la solitude, sont majoritairement présentes pour les femmes ayant déclaré des atteintes très graves et graves (figure 6). Notons que dans le cas des situations de violences très graves, un tiers des femmes déclarent avoir peur d’être seules chez elles (figure 7). Cette peur diminue nettement pour les femmes qui ont quitté le partenaire violent dans l’année. Les femmes déclarent fréquemment un sentiment de honte (36 %), surtout après des violences verbales ou physiques. Les hommes déclarant les atteintes les plus graves mentionnent de la colère et de la tristesse, moins souvent de la peur, qui arrive dans les dernières positions. Les personnes ayant rompu déclarent des répercussions similaires : colère et tristesse arrivent en première position, puis pour les femmes, une sexualité perturbée, la honte et la peur sont souvent citées (figure 8). Les faits déclarés par les femmes altèrent donc leur intimité, et créent un fort climat d’insécurité.

Tableau 3. Catégorie des faits sélectionnés dans la partie « conséquences » (fait unique grave ou fait le plus marquant) (%)

Figure 6. Répercussions des faits de violence au cours des douze derniers mois sur les femmes et les hommes ayant déclaré au moins un fait de violence considéré comme grave (%)

32Les violences déclarées ont essentiellement lieu au domicile de la victime (cela rejoint les résultats sur les homicides conjugaux ; Délégation aux Victimes, 2019) et quelquefois dans celui du partenaire. L’auteur des violences était, d’après les déclarations des victimes, sous emprise d’alcool, notamment lors de violences physiques (44 % de femmes victimes), ou dans le cas de violences créant « une ambiance menaçante » (29 %). Les hommes déclarent moins souvent que leur conjointe avait consommé de l’alcool. Les faits de violence se produisent généralement en l’absence de témoins. Les violences commises en présence de proches sont essentiellement des faits de violences psychologiques (contrôle/jalousie ou dénigrement) subis par les femmes (un quart d’entre elles). Une femme sur 3 qui subit des violences fréquentes ou graves ne considère pas son domicile comme un espace sécurisé mais comme un espace au sein duquel elle se sent en danger. Cela n’est pas le cas pour les hommes : la part de ceux qui ressentent de la peur est faible et ne varie pas de manière significative selon le niveau des faits déclarés. C’est l’une des grandes différences liées au genre dans les faits rapportés par les femmes et les hommes. Les faits déclarés par les hommes sont de moindre gravité et n’installent pas chez eux de sentiment de peur dans l’espace privé et intime (figure 7).

Figure 7. Sentiment de peur d’être seul·e chez soi par niveau d’atteinte (%)

Figure 8. Répercussions des faits de violence au cours des douze derniers mois (couples rompus au moment de l’enquête) sur les femmes et les hommes (%)

33De la même manière, si hommes et femmes déclarent de la colère et de la tristesse, répercussions classiques face à un conflit, ces répercussions demeurent asymétriques (figure 8). Notamment en ce qui concerne le sentiment de honte. Les femmes (surtout selon le degré d’atteinte) l’éprouvent beaucoup plus que les hommes. C’est donc qu’elles se sentent coupables (intériorisation et renvoi de la domination) ou humiliées, témoignant du rapport social qui s’établit dans le couple. Pour les hommes, la honte vient en dernier et ne varie pas de manière aussi forte que pour les femmes. Les hommes déclarent plus souvent une perturbation de leur sexualité. Mais parmi ces derniers, les trois quarts déclarent que leur partenaire a refusé d’avoir des rapports sexuels avec eux au cours des douze derniers mois, de manière répétée voire très fréquente. Il ne s’agit donc pas, contrairement aux situations vécues par les femmes, de répercussions sur la santé sexuelle consécutives à des violences sexuelles ou des viols conjugaux ou à de potentielles grossesses ou IVG, mais de l’absence de disponibilité sexuelle de la conjointe.

3. Des désaccords conjugaux qui sont marqués

34Les couples au sein desquels il n’y a pas de violence déclarent de manière faible et assez stable être en désaccord fréquent sur différents motifs concernant la vie au quotidien ; environ 4 % d’entre eux pour chaque motif de désaccord (figure 9). A contrario, plus la violence augmente, plus les désaccords, notamment à propos de la répartition des tâches au sein du couple, prennent de l’importance, atteignant un tiers des cas. Les désaccords sur la vie quotidienne sont également multidimensionnels : ils concernent les tâches de la vie quotidienne, la question des enfants, de l’argent, des sorties, des loisirs, des relations extérieures, ou encore de la sexualité. Ainsi, plus du tiers des femmes déclarant des atteintes modérées à très graves, relatent des désaccords fréquents concernant les enfants et la répartition des tâches. Les motifs de désaccord s’inscrivent dans les conflits ordinaires et renseignent sur la position de chacun·e dans le couple.

Figure 9. Fréquence des conflits se produisant « souvent », pour chaque motif de conflit, selon le type d’atteinte (%)

4. Un passé familial empreint de vulnérabilité

35Le passé familial et la qualité des relations avec les parents, tout comme le fait d’avoir vécu en situation de vulnérabilité familiale, avec parfois des sévices pendant sa propre enfance ou le fait d’avoir été placé·e sont fortement corrélés avec les faits déclarés (figure 10). Ce n’est pas la séparation des parents mais la qualité du lien connu pendant l’enfance qui est le plus corrélée aux violences9. Près de 13 % des femmes qui ont vécu une situation familiale empreinte de violence ou qui ont vécu en institution ou famille d’accueil déclarent des atteintes par un conjoint au cours des douze mois précédant l’enquête.

Figure 10. Indicateur de violence selon la situation familiale pendant l’enfance et l’adolescence, la précarité du lien familial et le lieu de vie (%)

5. La période de la séparation : des situations paroxystiques qui doivent alerter

36La nécessité de sortir des situations de violences est un motif de rupture d’union fréquent : 1 personne sur 2 déclarant des violences au cours des douze derniers mois et qui est en couple, déclare avoir pensé à la séparation. Une partie des personnes déclarant des violences d’un·e conjoint·e s’en sont séparé·e·s. Dans ces cas, les niveaux de violence sont particulièrement élevés : 1 femme sur 3 déclare de la violence et près d’1 femme sur 5, des niveaux élevés de violence (tableau 4).

37On sait par ailleurs que la séparation est un moment de surexposition des femmes à la violence du partenaire, lorsqu’il refuse la séparation. Ces résultats montrent à quel point la question des tiers (institutions, associations, proches, etc.) et de la protection est fondamentale, l’arrêt de la relation n’allant pas de pair avec l’arrêt des violences, même si le nouveau domicile redevient plus sûr (les femmes déclarent moins souvent avoir peur en étant seules chez elles), les conjoints vont continuer d’exercer leur violence après la séparation, principalement des faits de jalousie, de dénigrement ou l’instauration d’un climat ou d’une ambiance menaçants, ainsi que des violences verbales. Les hommes, quant à eux, déclarent surtout de la jalousie de la part de leur ex-conjointe, mais ne considèrent pas les faits comme graves. C’est une différence que nous avons pu constater lors des entretiens, où nous avons interrogé une seconde fois des personnes ayant répondu à l’enquête téléphonique (encadré 3). Les violences subies par les hommes ont pris fin avec la séparation, et les situations de harcèlement post-séparation ne sont pas ressorties de nos entretiens. Rapidement, les femmes qui exercent des violences sont stigmatisées et étiquetées. Le terme de folie revient dans les récits de violence subis par des hommes, avec des prises en charge psychiatriques rapides. Et les hommes bénéficient de ressources, notamment professionnelles et économiques, qui leur permettent plus facilement de s’éloigner de la situation de violence sans pour autant les placer en situation de vulnérabilité.

Tableau 4. Répartition des atteintes selon la situation de couple au moment de l’enquête (%)

IV. Les violences par des ex-partenaires : près de 10 % de violences graves pour les femmes

38Les violences commises par les ex-partenaires au cours des douze derniers mois, recueillies au sein d’un module sur les violences par les ex-conjoints (voir liste des questions dans l’encadré 4) sont de niveau élevé pour les femmes. Ainsi, 16 % des femmes déclarent en avoir été victimes (figure 11), 3 % déclarent même des violences graves (1 % des hommes). Ce sont les personnes âgées de 40 à 49 ans qui déclarent le plus de faits de violences : près d’un quart des femmes et près de 10 % des hommes en rapportent (figure 12) ; notons que c’est aussi à ces âges que l’on observe le plus grand nombre de ruptures. A contrario, les enquêtés entre 50 et 69 ans déclarent moins souvent des faits de violence (10,1 % des femmes et 5,7 % des hommes). Les femmes n’étant pas de nouveau en couple rapportent le plus de faits violents et graves (19,9 %) – mais elles sont aussi plus jeunes en moyenne – suivies par les femmes en union libre (14,2 %), pacsées ou mariées (11,6 % et 8,1 %), sans doute du fait que ces personnes sont en moyenne séparées de leur ex-partenaire depuis plus longtemps. La présence d’un nouveau conjoint peut également avoir un effet de barrière. Plus la durée depuis la séparation est importante, moins l’on recense de faits de violences ou de violences graves. Les personnes enquêtées en procédure de divorce déclarent plus de violences. Près des deux tiers des personnes qui déclarent des violences ont eu des enfants avec l’ex-partenaire. Les violences déclarées par les femmes sont multiformes, y compris sexuelles, qui peuvent se produire malgré la séparation d’avec l’ex-conjoint violent. Le « continuum temporel » s’observe donc de manière nette pour les femmes qui déclarent, dans un premier temps, des faits perpétrés par le conjoint, souvent répétés, ayant des répercussions et atteignant leur sécurité ; ces violences sont très importantes lors des périodes de séparation. Puis les situations de violences venant d’un ex-partenaire sont également fréquentes. À chacune des trois étapes, les violences vécues par les femmes sont plus fréquentes, agrandissant l’asymétrie entre les situations durables de violences vécues par les femmes et les faits plus ponctuels déclarés par les hommes.

Figure 11. Fréquence des atteintes par un·e ex-partenaire, selon le sexe de la personne interrogée (%)

Figure 12. Fréquence des atteintes par un·e ex-partenaire, selon le groupe d’âges de la personne interrogée (%)

Conclusion

39Les données de l’enquête Virage mettent en évidence que les situations de violence déclarées par les femmes dans le cadre de la conjugalité ont peu changé au cours des quinze dernières années. On note une moindre fréquence des situations de contrôle mais les déclarations des autres formes de violence n’ont pas baissé de manière significative.

40Les facteurs de surexposition sont identiques à ceux identifiés dans l’Enveff : plus de violences chez les jeunes et pour les personnes plus isolées (sans emploi, etc.). Les situations de violence restent variables selon la situation familiale : les ménages avec un enfant, ou avec plus de trois enfants semblent à cet égard surexposés.

41Femmes et hommes déclarent des violences différenciées, liées notamment à leurs rôles respectifs au sein du couple. Les couples déclarant des violences sont ceux au sein desquels les désaccords sont plus nombreux et plus présents dans la vie de tous les jours. Ces désaccords plus fréquents témoignent d’une insatisfaction et d’un déséquilibre dans la répartition des tâches et, plus globalement sans doute, d’une intolérance lorsque les rôles traditionnels masculins et féminins sont considérés comme étant mis à mal.

42Les faits de violence déclarés comme marquants par les hommes sont psychologiques dans 93 % des cas, alors que pour les femmes les violences sont multiformes, inscrites dans un continuum (Kelly, 1988). L’exercice des violences fait écho aux assignations et aux asymétries de genre. On observe en effet pour les femmes plus de violences sexuelles ou de violences impliquant les enfants (et donc leur maternité), plus de violences de formes multiples, en particulier pour celles qui ont eu par le passé des relations de couple nombreuses. La peur est très souvent associée à ces situations de violence vécues par les femmes, avant mais aussi après la rupture. Pour les femmes, la séparation ne signifie pas l’arrêt des violences. Un tiers de celles qui se sont séparées dans l’année déclarent des violences, près de 20 % déclarent des atteintes fréquentes ou graves et des violences graves subies juste avant la séparation. Et près de 16 % des femmes ayant des contacts avec un ex-partenaire quitté récemment, ou depuis plus longtemps, déclarent des violences. Ces violences restent elles aussi multiformes, y compris sexuelles. Cela invite donc à être très vigilant sur les périodes de séparation et sur la protection mise en place pour les victimes, qui sont encore plus vulnérables lorsqu’il y a des enfants, notamment lorsqu’elles sont mères de familles nombreuses. Autant d’éléments qui caractérisent les violences déclarées par les femmes qu’on ne retrouve pas dans les déclarations des hommes, ou de manière plus atténuée. L’expérience masculine de la violence résulte plus fréquemment de faits jugés peu graves et les hommes mentionnent très rarement des atteintes sexuelles. Si les hommes déclarent de la colère et de la tristesse suite aux faits qu’ils jugent les plus marquants, ils connaissent rarement un sentiment de peur, ne se sentent pas en insécurité à leur domicile. À des faits de nature le plus souvent psychologique et peu graves déclarés par les hommes s’oppose un continuum d’actes pour les femmes. La question des affects (honte, peur) et de la temporalité (durée des violences, violences par le partenaire mais aussi par l’ex-conjoint) est par ailleurs très discriminante dans les expériences rapportées par les femmes et par les hommes. Cette asymétrie est encore plus fortement mise en évidence sur la durée longue, objet du chapitre suivant.

Annexes

Annexe 1. Fréquence des faits de violence déclarés dans le couple au cours des douze derniers mois (%)

Annexe 2. Construction des indicateurs