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Inégalités de santé à Ouagadougou

 | 
Clémentine Rossier
, 
Abdramane Bassiahi Soura
, 
Géraldine Duthé

Chapitre III

Les conditions environnementales de vie

Stéphanie Dos Santos

Texte intégral

  • 1 La fièvre représente le marqueur le plus symptomatique d’un mauvais état de santé chez les enfants.

1Les liens entre santé publique et risques environnementaux sont un sujet central pour l’avenir des populations urbaines des pays en développement (Dupont et Golaz, 2006 ; Galea et al., 2005), et tout particulièrement ceux d’Afrique subsaharienne (Hardoy et al., 2001). La croissance des villes africaines, et plus spécifiquement celle des capitales, a entraîné de profondes transformations de leur environnement au cours de ces trente dernières années. Cet accroissement rapide de la population s’accompagne généralement de difficultés d’accès aux services urbains de base (adduction d’eau, assainissement, gestion des ordures), ainsi que de mauvaises conditions d’habitat pouvant avoir des conséquences sur la santé et le bien-être des populations. Récemment, une recherche menée sur l’agglomération de Dakar a montré comment les facteurs environnementaux du quartier et du ménage – notamment la salubrité des logements en zones humides, gîtes potentiels de larves de moustiques (Dos Santos et al., 2015) – influencent l’apparition de la fièvre1 chez l’enfant durant la période de l’hivernage. Une autre analyse menée à Nairobi, la capitale kenyane, a mis en évidence l’effet significatif du quartier de résidence, en particulier le fait d’habiter dans un bidonville, sur le risque accru de mortalité des enfants (Bocquier et al., 2010).

2Ainsi, l’habitat et, plus généralement, les conditions environnementales de vie peuvent présenter un certain nombre de facteurs de risque pour la santé des populations, voire pour leur survie, les plus vulnérables étant sans aucun doute les enfants. À cet égard, un rapport publié conjointement par l’UNEP, l’UNICEF et l’OMS (2002) indique que la qualité des conditions environnementales de vie est l’un des facteurs les plus importants qui déterminent la survie des enfants avant un an dans les pays en développement. Cette population peut être exposée à certains risques présents dans le milieu où ils vivent, qu’il s’agisse de la contamination de l’eau de boisson, du manque d’hygiène, de la pollution de l’air dans les habitations ou à l’extérieur, du manque d’hygiène alimentaire, de l’insalubrité de l’habitat ou de la mauvaise élimination des déchets solides et liquides, mais également des conditions climatiques. Bien souvent, les enfants avant un an sont exposés simultanément à plusieurs de ces facteurs, quand ils vivent dans des quartiers surpeuplés, mal ou pas desservis par les services urbains de base que sont l’eau, l’assainissement, l’électricité ou les services de santé.

3Jusqu’à récemment, les approches explicatives mettaient davantage l’accent sur le niveau de vie du ménage ou, plus généralement, la pauvreté comme facteur principal des risques sanitaires en ville, notamment ceux liés aux conditions d’habitat et à la salubrité du milieu de vie. Toutefois, les logiques des établissements humains (et de l’étalement urbain mal maîtrisé) sont plus complexes et tendent à s’accompagner de l’émergence de ségrégations sociospatiales fortes. L’Observatoire de population de Ouagadougou (OPO), qui est implanté dans cinq quartiers présentant des caractéristiques sociodémographiques et économiques spécifiques, constitue une excellente plateforme pour analyser ces phénomènes. Aussi, dans une approche préconisant le caractère multidimensionnel des conditions de vie en milieu urbain (Freudenberg et al., 2005), nous nous proposons de documenter les conditions environnementales de vie de ces populations, en faisant l’hypothèse qu’elles pourraient être un facteur important des différentiels en santé et en mortalité, problématique justement abordée dans le chapitre IV. Le présent chapitre cherche à rendre compte de la face externe de la vulnérabilité en santé urbaine, au sens de Chambers (1989), c’est-à-dire de l’exposition aux risques. Il se découpe en trois sections, les deux premières représentant une échelle d’analyse particulière des conditions environnementales de vie. La première les aborde à l’échelle du quartier tandis que la deuxième les documente à l’échelle du ménage. Enfin, la troisième section s’attache à leurs facteurs explicatifs, principalement sociodémographiques et économiques.

I. Habitat et conditions environnementales de vie au niveau des quartiers

1. Le bâti

4L’organisation du bâti (carte 1) dans les zones observées par l’OPO, comme dans l’ensemble de la ville de Ouagadougou, dépend des politiques de lotissement opérées par les pouvoirs publics (Fournet et al., 2009). D’une part, la trame urbaine des quartiers légalisés (lotis) est typiquement orthogonale, en damier, au travers d’opérations de parcellisation de concessions traditionnelles ou récemment aménagées sans autorisation légale, de terres cultivées ou de terrains vacants. D’un quartier à l’autre de la ville lotie, la taille des parcelles diffère selon, entre autres, la période de lotissement. Les deux quartiers lotis suivis dans le cadre de l’OPO ont respectivement une superficie de 245,6 ha pour Tanghin et de 198,4 ha pour Kilwin. Les parcelles sont en moyenne plus petites à Kilwin (278 m2) qu’à Tanghin (322 m2). Ceci s’explique par le fait que la taille des parcelles a eu tendance à se réduire au fil des opérations de lotissement, en raison d’une pression foncière plus forte, Tanghin étant un quartier plus ancien que Kilwin. Aujourd’hui, ces deux quartiers sont pratiquement saturés pour ce qui concerne les espaces à bâtir.

5D’autre part, la croissance démographique de la ville, alimentée par la croissance naturelle et par l’arrivée de néo-urbains, dépasse les opérations de lotissement et entraîne un développement anarchique par l’installation irrégulière des populations dans des quartiers non aménagés, souvent en périphérie de la ville. Dans ces quartiers informels, l’occupation des sols par le bâti est particulièrement dynamique. À partir de l’analyse d’images satellites, Sanou et al. (2015) ont mis en évidence l’évolution du bâti à Nioko II, Nonghin et Polesgo sur la période allant de 2000 à 2012. Concernant le quartier de Nioko II, l’espace était encore essentiellement rural en 2000, regroupant des activités agropastorales. Le bâti était surtout concentré au nord, le long de la route bitumée. Dans le reste du quartier, les concessions se distribuaient de manière éparse. Ensuite, sur la période 2000-2009, la superficie du bâti a commencé à augmenter, passant de 13 ha à 26,5 ha pour occuper alors un tiers de la superficie du quartier. Jusqu’en 2009, Polesgo présentait pour sa part un profil typiquement villageois : l’espace était constitué de cultures regroupant quelques dizaines de concessions. Durant la période 2000-2009, la superficie du bâti est passée de 1 à 9 ha. L’évolution du bâti à Nonghin a connu également une forte croissance sur la période, puisqu’elle a été multipliée par presque six pour atteindre une surface habitée de 22 ha en 2009.

6Sur la période de 2009 à 2012, cette croissance a été encore plus spectaculaire dans les trois quartiers observés. Le bâti a ainsi été multiplié par deux à Nonghin, par trois à Polesgo et par plus de six à Nioko II. La lecture des images satellitaires est révélatrice du resserrement progressif de la trame urbaine dans ces quartiers, ainsi que de la pression toujours plus forte sur l’espace, pression qui se lit en regard des densités de population.

Carte 1. Différence dans la trame urbaine entre la zone lotie (à gauche) et la zone non lotie (à droite)

Carte 1. Différence dans la trame urbaine entre la zone lotie (à gauche) et la zone non lotie (à droite)

Source : Image © 2015 DigitalGlobe.

2. Les densités de population

7Une enquête de 2009 portant sur un échantillon représentatif de l’ensemble de la ville de Ouagadougou a montré que la densité moyenne de population est relativement faible : 79 habitants par hectare, en prenant en compte l’espace potentiellement habité (Boyer et Delaunay, 2009). Par ailleurs, elle est généralement plus faible en zone lotie qu’en zone non lotie, soit respectivement 65 et 102 habitants par hectare.

8Concernant les deux quartiers lotis de l’OPO, les densités de population sont plus importantes que la moyenne observée sur la ville lotie dans son ensemble, puisqu’elles sont de 81 habitants par hectare à Tanghin contre 101 habitants par hectare à Kilwin (chiffres à la fin 2014).

9Dans les zones non loties de l’OPO, c’est dans le quartier de Nonghin que la densité de population est la plus forte, avec 128 habitants par hectare en 2012. Polesgo comptait cette même année 44 habitants par hectare et Nioko II, quartier le moins densément peuplé, 20 habitants par hectare. Le cas de Nonghin est significatif de la très forte concentration urbaine. De zone caractérisée par la ruralité, notamment par une très faible densité de population et par l’importance des zones d’élevage et d’agriculture, ce quartier est devenu en une décennie un quartier urbain à forte densité de population, si l’on considère la caractéristique principale du bâti, à savoir des maisons individuelles sans étage.

10Cette dynamique spécifique à chacun des quartiers raconte en outre des histoires de peuplement différentes et permet de comprendre en partie les conditions actuelles d’installation des habitants. Elle explique enfin les caractéristiques des populations de chaque quartier exposées au chapitre II, les zones informelles ne constituant notamment pas une entité homogène.

11Ces densités, en zone lotie comme en zone non lotie, restent toutefois très faibles comparées à celles d’autres capitales d’Afrique ou d’autres pays en développement, où elles peuvent dépasser plusieurs centaines d’habitants par hectare, voire plusieurs milliers comme à Karachi2, au Pakistan (en moyenne 2 000 habitants à l’hectare, et jusqu’à 4 000 habitants dans certains quartiers défavorisés du centre3). Ces faibles taux s’expliquent d’une part par l’absence de bâtiments résidentiels à étage, d’autre part par le fait que ces zones informelles se développent à la périphérie de la ville, en brousse, sur des espaces quasiment vides, laissant ainsi la possibilité d’une extension spatiale en surface, donc moins dense que dans le cas du développement de quartiers informels au cœur des villes, qui aboutissent à un confinement – comme dans le quartier de Kibera, à Nairobi.

3. Les risques liés à l’établissement des populations dans certaines zones

12Si elle aboutit à l’appropriation d’un espace de vie non enregistré par les autorités administratives, l’installation dans les zones informelles relève cependant d’un certain nombre de règles officieuses, notamment de discussions à ces dernières pour l’achat d’un terrain. Le prix au mètre carré à payer aux autorités coutumières diffère en fonction du quartier et de la localisation de la parcelle dans le quartier. Les espaces proches des voies bitumées sont ainsi plus onéreux que les terrains situés près des bas-fonds, le prix pouvant être multiplié par dix selon l’emplacement.

13Lors des inondations survenues à la suite des pluies torrentielles du 1er septembre 2009 (263 mm d’eau sont tombés sur la ville en douze heures), l’installation des populations dans certaines zones s’est avérée particulièrement dangereuse. D’une manière générale, on a pu estimer que, sur l’ensemble de la ville, 67 % des sinistrés résidaient dans des zones non loties (PNUD et Banque mondiale, 2010). Plus particulièrement, plus de 300 ménages du quartier de Nioko II (soit 9 % de la population du quartier suivi par l’OPO) installés à l’est du quartier, dans un bas-fond en bordure de ravine, ont perdu leur habitation (Dos Santos et al., 2017).

14Ces inondations ont également eu des conséquences sur les quartiers non lotis de l’OPO, puisqu’une partie de la forte croissance de ces quartiers depuis 2009 s’explique par la relocalisation de certains ménages sinistrés ailleurs dans la ville, dans ces mêmes quartiers non lotis de l’OPO, malgré la mise en place de trames d’accueil en dehors de ces quartiers, comme à Yagma, à l’extérieur de la ville, au nord-ouest.

II. Habitat et conditions environnementales de vie au niveau des populations

1. Les matériaux de construction de l’habitat

  • 4 L’installation en zone non lotie est généralement perçue comme temporaire, les habitants de ces qua (...)

15Les types de construction qui caractérisent les différents quartiers suivis par l’OPO rejoignent la dichotomie entre quartiers lotis et quartiers non lotis, en particulier du fait du caractère temporaire4 de l’établissement des populations dans les zones informelles. En effet, en cas de lotissement, certaines habitations sont vouées à être détruites lors de la parcellisation et de l’aménagement des voies de circulation. Cette précarité de l’habitat se lit dans le tableau 1, qui présente la distribution des ménages selon la nature des murs de l’habitation principale : alors que 68 % des habitations sont construites avec des murs en ciment dans les deux quartiers lotis, cette proportion n’est que de 1 % dans les zones non loties ; à l’inverse, 98 % des maisons des zones non loties sont en banco, contre 10 % dans la zone lotie. Ces conditions d’habitat peuvent s’avérer cruciales en cas d’événements climatiques extrêmes, notamment de pluies diluviennes. Lors des inondations du 1er septembre 2009, 99 % des ménages de l’OPO ayant perdu leur maison résidaient dans des habitations en banco.

16On note enfin une hétérogénéité du matériau de construction dans les zones loties, le quartier de Kilwin comptant proportionnellement plus de maisons en dur (86 %) que celui de Tanghin (48 %). Ce dernier est en effet beaucoup plus ancien et abrite une population économiquement plus défavorisée en moyenne (cf. chapitre II).

Tableau 1. Distribution des ménages selon la nature des murs de l’habitat (nombre de ménages et fréquence en %)

Tableau 1. Distribution des ménages selon la nature des murs de l’habitat (nombre de ménages et fréquence en %)

17Le matériau des murs n’est pas le seul élément à prendre en compte dans l’évaluation des conditions environnementales de vie. La qualité du sol, marqueur important du niveau de vie, présente également un risque potentiel pour la santé, notamment celle des enfants. En effet, il existe un lien entre la nature du sol et certaines maladies infectieuses, telles que les diarrhées, mais aussi l’anémie (Cattaneo et al., 2009). Dans les zones de l’OPO, quel que soit le type de quartier, la plupart des ménages (88 %) ont des sols en ciment (tableau 2). Cette proportion est quasiment identique en zone lotie et en zone non lotie. Alors que pratiquement aucun ménage (1 %) ne bénéficie d’un sol en carrelage en zone non lotie, 11 % des ménages en disposent en zone lotie. Cette différence s’explique à nouveau par le caractère provisoire de l’habitation dans les zones informelles. La non-durabilité du logement, du fait de l’insécurité foncière et de l’allocation incertaine de la parcelle au moment du lotissement, constitue un frein à l’amélioration des conditions d’habitat dans les zones non loties. Par ailleurs, et de la même manière que pour la nature des murs, les ménages disposant de sols carrelés sont proportionnellement plus nombreux à Kilwin (15 %) qu’à Tanghin (8 %). Inversement, pratiquement aucune maison située dans les quartiers lotis n’a de sol en terre (2 %), alors que c’est le cas de 10 % des habitations des zones non loties, avec une proportion encore plus importante dans le quartier de Polesgo, ancien village phagocyté par l’expansion de la ville.

Tableau 2. Distribution des ménages selon la nature du sol intérieur de l’habitat (nombre de ménages et fréquence en %)

Tableau 2. Distribution des ménages selon la nature du sol intérieur de l’habitat (nombre de ménages et fréquence en %)

18Par ailleurs, chez 99 % des ménages des zones d’étude de l’OPO, le toit de la résidence principale (généralement celle où dort le chef de ménage) est en tôle, et cette proportion est la même en zone lotie et en zone non lotie (résultats non montrés). Aussi ne note-t-on pas, sur cette variable, une véritable différenciation selon la zone d’habitat (lotie ou non lotie).

2. Le taux d’occupation par pièce

19Dans la littérature, la promiscuité est mise en exergue comme un facteur de risque important pour la santé des enfants, notamment en ce qui concerne les maladies diarrhéiques (Masangwi et al., 2009) ou les arboviroses telles que la dengue (Braga et al., 2010) ou le paludisme (Ghebreyesus et al., 2000). Afin de rendre compte de cet aspect des conditions environnementales de vie, la densité de population au sein des ménages, ou taux d’occupation par pièce, a été calculée : le nombre de résidents dans chaque ménage a été rapporté au nombre de pièces habitables. Le tableau 3 fournit la distribution moyenne des ménages selon ces deux informations, ainsi que la densité de population dans les ménages, mesurée par le nombre moyen de résidents par pièce. En premier lieu, on peut constater que les ménages des zones loties comptent plus de résidents que ceux des zones non loties, soit respectivement 6,1 personnes et 3,6 personnes par ménage en moyenne. Tout particulièrement, le vieux quartier de Tanghin abrite des familles étendues, avec 6,5 personnes par ménage en moyenne.

20Cela ne signifie pourtant pas que la promiscuité soit plus importante en zone lotie, car les habitations sont généralement beaucoup plus grandes dans ces quartiers, à la faveur de parcelles elles aussi généralement plus spacieuses. Ainsi, les maisons comptent en moyenne 3,5 pièces dans les quartiers lotis de Kilwin et de Tanghin, alors qu’elles sont beaucoup plus petites dans les quartiers non lotis de Nonghin, de Polesgo et de Nioko II (1,8 pièce par logement). Le nombre moyen de résidents par pièce est donc plus faible en zone lotie (1,7 personne par pièce en moyenne) qu’en zone non lotie (2 personnes par pièce).

Tableau 3. Distribution des ménages selon le nombre moyen de résidents, de pièces habitables et de résidents par pièce

Tableau 3. Distribution des ménages selon le nombre moyen de résidents, de pièces habitables et de résidents par pièce

3. La salubrité dans le ménage

21Plusieurs caractéristiques de l’habitat permettent d’évaluer la salubrité dans un ménage : type d’approvisionnement en eau, type de lieux d’aisances, mode d’évacuation des eaux usées, mode d’évacuation des déchets solides ou encore type de foyer pour cuisiner. Chacune joue un rôle particulier dans le maintien d’un bon état de santé.

  • 5 Le suivi des indicateurs du développement (Objectifs du millénaire pour le développement et mainten (...)

22Concernant le mode d’approvisionnement en eau, Ouagadougou a souvent été considéré comme un exemple de capitales africaines où l’accès amélioré à l’eau5 pour tous a été possible (Roche, 2003). Or, alors que ce constat peut être remis en question (Dos Santos, 2012), cet accès prend de multiples formes, en zone lotie comme en zone non lotie, dépassant largement la catégorisation d’un accès dit amélioré (Dos Santos, 2015). De même, les modes d’approvisionnement en eau sont loin d’être toujours améliorés et uniformes au sein d’un même type de quartier.

  • 6 C’est le cas notamment des voies bitumées qui entourent parfois certains quartiers non lotis, comme (...)

23D’une manière générale, dans les zones loties de l’OPO, 47 % des ménages bénéficient d’un robinet (dans leur logement ou dans leur cour, qu’il partage ou non avec d’autres familles), le reste des ménages s’approvisionnant aux bornes-fontaines (43 %) et, plus rarement, auprès des vendeurs d’eau ambulants (7 %). Les zones non loties, en revanche, ne bénéficient pas d’aménagement urbain de ce type. Aussi, la plupart des ménages utilisent les bornes-fontaines (78 %) situées à la lisière des zones loties ou aménagées6 ; les autres s’approvisionnent aux pompes, aux forages ou auprès des vendeurs ambulants qui sillonnent le quartier en poussant une barrique de 200 litres d’eau.

24La carte 2 donne à voir la diversité, qui plus est contrastée, des types d’accès à l’eau dans les zones suivies par l’OPO, entre les quartiers et au sein de chaque quartier. Au premier regard, on constate que Kilwin offre, par rapport à Tanghin, le plus grand nombre d’îlots dans lesquels les ménages sont équipés d’un robinet raccordé au réseau d’adduction d’eau de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). À Tanghin, en revanche, il n’y a pas un type d’accès à l’eau qui l’emporte sur un autre. Dans ces deux quartiers lotis, il existe une vraie diversité de situation d’un îlot à l’autre.

25Dans les zones non loties, les trois quartiers présentent un profil très différent les uns des autres. À l’échelle du quartier, Nioko II et Nonghin ont un profil relativement homogène, alors que Polesgo offre un contraste saisissant entre le nord et le sud. À Nonghin, les ménages utilisent surtout les bornes-fontaines. À Polesgo, les ménages plus proches de la zone lotie s’approvisionnent en majorité à la borne-fontaine du quartier loti adjacent, Tanghin, alors que ceux localisés au nord ont davantage recours aux pompes, ce qui souligne le caractère villageois de cette partie du quartier. Enfin, à Nioko II, les ménages utilisent surtout les bornes-fontaines et, dans une moindre mesure, les pompes et les vendeurs ambulants. De ce point de vue, Nioko II est tout à fait atypique par rapport aux autres quartiers non lotis de l’OPO, mais également à la ville en général. En premier lieu, parce qu’un certain nombre de bornes-fontaines sont situées en bordure de la voie qui longe sa partie nord. Ensuite, un projet pilote de délégation du service de l’eau aux petits opérateurs privés a facilité la construction de bornes-fontaines au sein même du quartier et a permis le branchement privé de quelques ménages au réseau d’adduction d’eau, pour un coût et une qualité de service moindre par rapport au service de l’ONEA (pression plus faible, par exemple).

Carte 2. Approvisionnement principal en eau de boisson dans les ménages

Carte 2. Approvisionnement principal en eau de boisson dans les ménages

Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.

26La salubrité des habitations peut aussi être mesurée par le type des lieux d’aisances. De manière générale, la plupart des ménages utilisent des latrines simples ou améliorées (90 %). Cette proportion est à peine plus grande en zone lotie (93 %) qu’en zone non lotie (88 %). En revanche, l’utilisation de toilettes avec chasse d’eau reste assez rare dans les quartiers lotis (6 %) et elle est pratiquement inexistante dans les quartiers non lotis, du fait notamment de l’absence d’adduction d’eau.

27Soulignons également que la proportion de ménages ne disposant d’aucun lieu d’aisances est négligeable sur l’ensemble des zones loties (1 %), mais reste relativement élevée dans les quartiers non lotis (10 %), particulièrement à Nonghin (12 %) et Polesgo (14 %), contre 6 % à Nioko II. Ce constat revêt une portée très sensible si l’on reconnaît le rôle prépondérant en l’absence de ce type d’installation dans le développement des maladies diarrhéiques (Norman et al., 2010).

28Les lieux d’aisances situés dans l’enceinte des parcelles peuvent être réservés à l’usage exclusif des seuls membres du ménage ou être partagés avec d’autres ménages. C’est là une variable de caractérisation des conditions environnementales de vie qu’il est pertinent de prendre en compte. En effet, le fait de devoir partager les lieux d’aisances avec d’autres ménages, surtout s’ils se trouvent à l’extérieur de la résidence, peut avoir des conséquences sur la santé, mais également avoir un impact social et psychologique, notamment pour les femmes et les filles vivant dans les quartiers urbains informels en termes d’intimité, de dignité, voire de risque de violence (Corburn et al., 2015). La carte 3 présente ainsi la situation des îlots dans les différents quartiers en fonction du partage ou non des lieux d’aisances. Les quartiers lotis présentent tous deux un profil commun, avec deux tiers des ménages bénéficiant de lieux d’aisances réservés à leur usage contre un tiers qui doivent les partager avec des ménages de la même cour. En revanche, les profils sont plus contrastés dans les trois quartiers non lotis. À Nioko II, les ménages résidant à l’est partagent proportionnellement davantage leurs toilettes que ceux résidant à l’ouest. À Polesgo, on retrouve une différenciation entre les ménages du nord du quartier et les ménages du sud, les premiers partageant davantage les lieux d’aisances que les seconds, mais le contraste est moins marqué que dans le quartier de Nioko II. Enfin, à Nonghin, les ménages situés au nord partagent moins leurs lieux d’aisances que ceux situés au sud. De manière tout à fait insolite, cette variable du partage des lieux d’aisances souligne également la différenciation du processus d’urbanisation à l’intérieur de chaque quartier : à Nonghin et à Nioko II, l’extension se réalise par le nord, là où les parcelles sont encore disponibles. En revanche, à Polesgo, ancien village phagocyté progressivement par la ville, l’extension du quartier est typiquement dirigée vers le sud, à la périphérie de la ville.

Carte 3. Partage des lieux d’aisances entre plusieurs ménages

Carte 3. Partage des lieux d’aisances entre plusieurs ménages

Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.

  • 7 Ces différences sont statistiquement significatives au seuil de 1 % avec 1 degré de liberté.

29L’évacuation des eaux usées, autre variable qui permet de caractériser les conditions environnementales de vie, est primordiale sur le plan sanitaire, au sein du ménage comme à l’échelle du quartier. Son effet sur la santé des enfants a d’ailleurs été rapporté dans plusieurs études sur le milieu urbain (Barreto et al., 2011 ; Dos Santos et al., 2015) et sur Ouagadougou en particulier (Bouba Djourdebbé et al., 2015a). Dans l’ensemble, les ménages suivis par l’OPO jettent leurs eaux usées dans la rue (77 %) ou dans leur cour (13 %). Ces proportions sont légèrement moins élevées en zones loties (respectivement, 75 % et 10 %) par rapport aux zones non loties (respectivement, 78 % et 15 %7). En revanche, les fosses septiques, utilisées par 8 % des ménages dans les quartiers lotis, sont pratiquement inexistantes en zone non lotie (2 %). La carte 4 illustre ainsi parfaitement une homogénéisation de ces quartiers informels. L’insécurité foncière qui y règne explique certainement que les ménages n’investissent pas dans des fosses septiques. Mais cette explication n’est pas suffisante, car le quartier de Tanghin présente de ce point de vue un profil très semblable à celui des zones non loties (figure 4), les fosses septiques y étant très marginales. Il y a ainsi plus de fosses septiques à Kilwin (11 % des ménages) qu’à Tanghin (6 %). Le niveau de vie des ménages est sans doute un autre facteur expliquant le manque d’investissement dans un système d’assainissement salubre.

Carte 4. Mode d’évacuation des eaux usées dans les ménages

Carte 4. Mode d’évacuation des eaux usées dans les ménages

Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.

30La salubrité du milieu de vie peut également être appréhendée par le mode d’évacuation des déchets ménagers solides. De ce point de vue, de grandes différences existent entre les quartiers lotis, où l’on observe une diversité des modes d’évacuation (notamment par la disponibilité de systèmes de collecte assurés par des petits entrepreneurs privés relevant du secteur informel), et les quartiers non lotis, dans lesquels 90 % des ménages n’ont pas d’autres choix que de jeter leurs ordures dans la rue ou dans un terrain vague voisin (carte 5). À Kilwin, les ménages recourent généralement à des services de collecte (ou déposent directement leurs déchets dans un centre de pré-collecte). Toutefois, des îlots au nord du quartier, adjacents aux quartiers non lotis, se distinguent par un recours plus important à l’évacuation dans la rue ou dans des dépôts sauvages, voire à un tas dans la cour. À Tanghin, les ménages de quelques îlots au sud utilisent davantage la collecte, alors que ceux situés plus au nord montrent un emploi plus marqué du dépôt dans la rue ou dans des décharges sauvages. Dans les quartiers lotis, ce contraste entre les îlots situés au sud et ceux situés plus au nord, donc proches des zones non loties, est saisissant à la lecture de la carte 5. Ainsi se lit une fois de plus une ségrégation sociospatiale entre une ville aménagée, dont les infrastructures permettent une gestion urbaine des questions d’assainissement, et une ville improvisée, qui se construit progressivement en dehors de toute règle de planification et d’aménagement et se trouve ainsi sous-intégrée, voire non intégrée, aux politiques de gestion urbaine.

Carte 5. Mode d’évacuation des ordures ménagères dans les ménages

Carte 5. Mode d’évacuation des ordures ménagères dans les ménages

Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.

31Enfin, le type de foyer utilisé pour cuisiner constitue un dernier indicateur pour évaluer la salubrité au sein du lieu de vie. Dans les ménages des pays en développement, cette question est fondamentale, car elle est typiquement liée à la première cause de mortalité des enfants de moins de 5 ans, à savoir les infections respiratoires aiguës liées aux émanations toxiques du bois de chauffe dans un foyer non amélioré (Bruce et al., 2000 ; Dasgupta et al., 2006). Le combustible utilisé est également révélateur d’un certain niveau de vie. La carte 6 montre ainsi que les îlots dans lesquels les ménages utilisent davantage une cuisinière à gaz sont tous situés à Kilwin. Dans tous les quartiers, le foyer simple, non amélioré, reste le moyen de cuisson le plus utilisé, bien que les proportions d’utilisation soient relativement diverses au sein des îlots des zones loties. À l’inverse, les quartiers informels notamment Polesgo et Nioko II, offrent une relative homogénéité, puisque la grande majorité (85 %) des ménages utilise un foyer non amélioré. Ce constat doit être mis en lien avec la très forte prévalence de la toux chez l’enfant (cf. chapitre IV).

Carte 6. Type de foyer utilisé principalement dans les ménages

Carte 6. Type de foyer utilisé principalement dans les ménages

Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.

32Afin de rendre compte globalement de la salubrité du milieu de vie, toutes ces caractéristiques de l’habitat peuvent également être combinées entre elles. Les méthodes d’analyse factorielle permettent de créer ce type de variable composite. Ainsi, grâce à une analyse réalisée sur les données de l’OPO, on a pu mesurer l’insalubrité générale des ménages à partir du mode de gestion des ordures ménagères et des eaux usées, de la présence des ordures dans le ménage et autour de la concession, ainsi que de la présence de petits ruminants dans la concession. Des chiffres de 2009 montrent que, sur un peu plus de 800 enfants suivis dans l’OPO, plus de la moitié vivent dans un ménage globalement insalubre, dont une forte proportion dans les zones non loties, 31 % dans un ménage moyennement salubre et seulement 14 % dans un ménage aux conditions environnementales salubres (Bouba Djourdebbé et al., 2015b). Or, le niveau de salubrité est un facteur fortement associé à l’état de santé des enfants dans les zones suivies par l’OPO (voir chapitre IV).

III. Les facteurs explicatifs des conditions environnementales de vie

33L’objectif de cette partie est d’expliquer les facteurs propres à trois variables illustrant les conditions environnementales de vie, variables qui semblent être fortement liées aux différentiels de risques sanitaires environnementaux. Ces trois indicateurs ont été sélectionnés sur la base des analyses descriptives présentées précédemment, mais également des recherches menées sur l’influence des facteurs de l’environnement domestique et du quartier sur la morbidité et la mortalité au sein de l’OPO, dont il sera question de façon plus détaillée dans le prochain chapitre. Le type d’approvisionnement en eau a été mis en évidence dans une analyse des facteurs de risque de fièvre (Bouba Djourdebbé et al., 2015a). La disponibilité d’un lieu d’aisances dans l’enceinte domestique a été isolée dans une analyse portant sur les facteurs de risque de décès chez l’enfant (Rossier et al., 2012). Enfin, une analyse portant sur les facteurs de risque des infections de la peau et des yeux a mis en évidence l’importance du type de sol à l’intérieur de l’habitation (Peumi, 2012).

34L’intégration des variables explicatives dans des modèles de régression logistique visait à mettre au jour les facteurs liés à ces trois indicateurs. Cette analyse a mis en œuvre le même jeu de facteurs explicatifs pour les trois variables : un index de niveau de vie basé sur les biens durables du ménage, le sexe, l’âge, le niveau d’instruction, le statut dans l’emploi, le statut migratoire (lieu de naissance et durée de résidence à Ouagadougou) et le statut d’occupation du logement pour le chef de ménage, ainsi qu’une variable distinguant les cinq quartiers de l’OPO (Dos Santos et al., 2013).

35Les résultats issus de ces trois analyses séparées ont montré qu’il existe des facteurs explicatifs communs à ces trois variables illustrant les conditions environnementales de vie. Comme attendu, le facteur « pauvreté », approché par un indicateur de niveau de vie construit à partir des biens durables possédés, a un effet très fort (p < 0,0001) sur les conditions environnementales de vie : les ménages les moins pauvres ont deux à trois fois plus de chance de disposer de latrines ou d’un sol dur (ciment ou carrelage) que les ménages les plus pauvres (résultats non montrés). Les premiers s’approvisionnent également moins aux pompes et aux forages, mais davantage à la borne-fontaine, ou bien ils disposent d’un raccordement au réseau d’adduction d’eau, tout particulièrement les résidents les mieux nantis des quartiers lotis.

36D’autres facteurs de vulnérabilité entrent aussi dans le schéma explicatif, comme le niveau d’instruction du chef de ménage, qui a également un très fort effet (p < 0,0001) : les familles dont le chef de ménage n’a pas fréquenté l’école ont plus de risque de ne pas disposer de latrines ou d’un sol dur que celles dont le chef a fréquenté l’école secondaire. Pour cette même catégorie, les différentiels avec le niveau d’étude primaire vont dans le sens attendu mais ne sont pas significatifs. Et ces familles font également deux fois moins appel à un vendeur d’eau ambulant que ceux dont le chef a fréquenté l’école secondaire.

37Le sexe du chef de ménage joue également un rôle non négligeable dans l’explication des différentiels de conditions environnementales de vie. Ainsi, les ménages dirigés par une femme ont 30 % de risque en plus de ne pas disposer de latrines que ceux dirigés par un homme (p < 0,01). De même, ils font beaucoup plus appel à vendeur ambulant que les ménages dont l’approvisionnement en eau vient du réseau d’adduction d’eau.

38La vulnérabilité peut aussi être appréhendée par le statut migratoire, notamment le lieu de naissance du chef de ménage. L’effet de cette variable n’est toutefois pas linéaire et diffère lorsque l’on affine la catégorie du lieu de résidence, en dépassant la dichotomie urbain/rural. En premier lieu, il n’y a pas de différences significatives entre les ménages dont le chef est né à Ouagadougou et ceux dont le chef est né en milieu rural. Les différentiels importants se situent dans la comparaison entre les Ouagalais de naissance et les chefs de ménage nés dans une autre ville, avec de meilleures conditions environnementales pour ces derniers (chances plus grandes de disposer de latrines et d’utiliser de l’eau du réseau d’adduction).

39La variable du statut d’occupation du logement du chef de ménage offre également un bon indicateur de la vulnérabilité des conditions environnementales de vie. Ainsi, les chefs de ménage locataires ou logés gratuitement ont deux fois plus de risque de ne pas disposer de latrines que les propriétaires. Ils ont aussi plus de risque de ne pas disposer d’un sol en dur, bien que ce résultat ne soit pas significatif statistiquement. Il n’y a pas de différences significatives dans le type d’approvisionnement en eau.

40Enfin, les différentiels entre quartiers, très significatifs (p < 0,0001), viennent confirmer qu’il n’y a pas de profil type pour les quartiers non lotis. Toutes choses égales par ailleurs, les ménages de Polesgo ont ainsi plus de risque de disposer d’un sol en terre et moins de chance d’utiliser le réseau d’adduction d’eau que ceux du quartier de Nonghin. En revanche, et toujours par rapport à Nonghin, les ménages de Nioko II sont plus nombreux à disposent de latrines, mais moins nombreux à disposer d’un sol en terre et ils font également moins appel aux vendeurs d’eau ambulants. La cartographie des conditions de vie dans les zones non loties de l’OPO est ainsi marquée par une forte hétérogénéité d’un quartier à l’autre.

Conclusion

41S’inspirant du cadre conceptuel de Freudenberg et al. (2005), qui pose les conditions de vie comme le premier déterminant de la santé urbaine, l’objectif de ce chapitre était de mettre au jour un aspect spécifique des conditions de vie, celles relatives à l’environnement immédiat du quartier et du ménage. En d’autres termes, il s’agissait de documenter, pour les populations de l’OPO, les éléments de l’environnement proche susceptibles de présenter une exposition potentielle à un risque sanitaire – ce que Chambers (1989) nomme la face externe de la vulnérabilité. En termes de concentration de population (densité du bâti, des ménages ou promiscuité dans les logements), de conditions d’habitat (qualité des murs, du toit, du sol), d’accès aux services urbains de base tels que l’eau ou l’assainissement (gestion des déchets solides ou liquides, lieux d’aisances), les conditions environnementales de vie de la population suivie dans le cadre de l’OPO sont globalement meilleures dans les zones loties que dans les zones non loties. Ce résultat est somme toute relativement attendu, eu égard aux situations décrites dans d’autres capitales d’Afrique subsaharienne (ONU-Habitat, 2014).

42Certains facteurs de risque sont toutefois relativement bien partagés par l’ensemble des zones, qu’elles soient loties ou non loties. C’est notamment le cas du mode d’évacuation des eaux usées, même si une légère différence statistiquement significative est observée entre les deux types de quartier. Ainsi, 90 % des ménages de l’OPO ne disposent pas d’un système d’évacuation des eaux usées répondant aux normes d’hygiène publique, puisqu’ils sont contraints d’évacuer ces déchets liquides dans la rue ou dans leur cour. Une fois encore, ce résultat rencontre des situations similaires dans d’autres capitales subsahariennes. À Douala (Cameroun), par exemple, la seule canalisation d’évacuation des eaux usées ne mesure que 6 km, pour une ville dont la superficie dépasse 900 km2 (Jacobsen et al., 2012).

43Les résultats ont également montré que les facteurs environnementaux de vulnérabilité en santé urbaine ne sont pas homogènes ; une hétérogénéité substantielle se dégage en désagrégeant les catégories (les indicateurs de conditions environnementales de vie), mais aussi les niveaux d’analyse. Ainsi, la démarche qui a notamment consisté à désagréger la dichotomie zones formelles (loties) et zones informelles (non loties) s’est révélée féconde, les résultats montrant qu’il existe une pluralité de conditions environnementales de vie dans ces deux types de zone. Cette pluralité des situations est notamment issue de l’histoire du peuplement de chaque quartier. Ainsi, et de manière insolite, l’analyse des conditions environnementales de vie peut contribuer à illustrer l’histoire même des quartiers en dehors d’une lecture désormais classique des ségrégations sociospatiales, comme nous l’avons vu à partir de la cartographie de la variable des lieux d’aisances ou de la gestion des déchets solides, par exemple. D’un point de vue méthodologique, cette conclusion est une contribution supplémentaire au plaidoyer lancé par l’ouvrage collectif Cities Transformed (National Research Council, 2003) de recourir à des analyses désagrégées fines pour observer la diversité des conditions de vie, notamment dans les villes des pays du Sud.

44Loin, malgré tout, des idées reçues qui postulent une homogénéité des situations dans toutes les villes d’Afrique subsaharienne, les recherches doivent se poursuivre sur la nature et la variation des conditions de vie dans ces espaces habités. En effet, les conditions environnementales de vie et les niveaux de dénuement peuvent diverger de manière importante d’une ville à l’autre, remettant en question le concept unique de « bidonvilles » (slum en anglais). Une analyse comparative a notamment mis en évidence dans quelles mesures les conditions de vie des résidents des bidonvilles de Nairobi sont plus à risques que celles des quartiers informels de Dakar (Gulyania et al., 2014). Aussi, les connaissances fines et actualisées de ces villes en pleine expansion démographique et spatiale font encore défaut.

45De manière générale, les résultats présentés dans ce chapitre interrogent sur la durabilité des villes, notamment pour Ouagadougou, tant du point de vue environnemental que social. Les prévisions démographiques estiment que le Burkina Faso comptera, en 2100, près de 65 millions d’habitants, dont plus de la moitié en milieu urbain (Nations unies, 2014). Dans un avenir beaucoup plus proche, Ouagadougou devrait héberger pas moins de 6 millions d’habitants d’ici quinze ans et plus du double (13 millions d’habitants) en 2050 (Guengant et al., 2013). Alors que les conditions environnementales de vie rendent compte de différentes formes de vulnérabilité pour une part non négligeable de la population actuelle, qu’en sera-t-il dans moins de vingt ans seulement, lorsque la ville comptera trois fois plus d’habitants qu’actuellement ? Il est plus qu’urgent que les pouvoirs publics s’emparent de ces constats pour accompagner cette croissance urbaine inéluctable du fait de l’inertie démographique, et ce quels que soient les programmes de planning familial mis en place rapidement. Des mesures urgentes et efficaces doivent être prises concernant l’accès aux services urbains de base, que ce soit à un logement légal, à l’eau, à l’assainissement et, plus généralement, à la santé. Les politiques urbaines doivent tenir compte en priorité des zones d’habitat informel et poser un cadre de lotissement de grande ampleur, afin d’aménager ces zones périphériques grandissantes. Les résultats présentés ici ont en effet montré en quoi le statut d’occupation était un facteur important lié aux conditions environnementales de vie, venant ainsi corroborer l’hypothèse que les ménages amélioreront d’autant plus leur habitat que la sécurité foncière leur sera assurée. Une des premières actions politiques doit ainsi reposer sur les questions foncières, sans quoi il sera probablement difficile de bénéficier des externalités positives du dynamisme de la jeunesse de la population à Ouagadougou.

Bibliographie

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Notes

1 La fièvre représente le marqueur le plus symptomatique d’un mauvais état de santé chez les enfants.

2 http://www.iied.org/tale-two-cities-density-regulations-vs-reality.

3 Par comparaison, la densité observée à Paris est de 212 habitants à l’hectare (Insee, 2013) et celle de New York de 168 habitants à l’hectare (US Census, 2010).

4 L’installation en zone non lotie est généralement perçue comme temporaire, les habitants de ces quartiers attendant une opération de lotissement au cours de laquelle ils se verraient attribuer officiellement une parcelle. Toutefois, le caractère temporaire peut prendre des allures de permanence, cette promesse de lotissement pouvant durer plusieurs décennies dans certains quartiers, comme celui de Nioko II.

5 Le suivi des indicateurs du développement (Objectifs du millénaire pour le développement et maintenant Objectifs du développement durable) a imposé une statistique simpliste de la mesure de l’accès à l’eau des populations en distinguant deux catégories : d’une part, l’accès amélioré, constitué principalement par l’accès à un robinet privé ou public (bornes-fontaines), à un forage, à un puits protégé ou l’utilisation de l’eau de pluie ; d’autre part, l’accès non amélioré, qui regroupe les autres types d’approvisionnement, notamment les puits non protégés, les eaux de surfaces non protégées et les vendeurs ambulants.

6 C’est le cas notamment des voies bitumées qui entourent parfois certains quartiers non lotis, comme celui de Nioko II.

7 Ces différences sont statistiquement significatives au seuil de 1 % avec 1 degré de liberté.

Table des illustrations

Titre Carte 1. Différence dans la trame urbaine entre la zone lotie (à gauche) et la zone non lotie (à droite)
Crédits Source : Image © 2015 DigitalGlobe.
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Titre Tableau 1. Distribution des ménages selon la nature des murs de l’habitat (nombre de ménages et fréquence en %)
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Fichier image/jpeg, 167k
Titre Tableau 2. Distribution des ménages selon la nature du sol intérieur de l’habitat (nombre de ménages et fréquence en %)
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Titre Tableau 3. Distribution des ménages selon le nombre moyen de résidents, de pièces habitables et de résidents par pièce
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Fichier image/jpeg, 97k
Titre Carte 2. Approvisionnement principal en eau de boisson dans les ménages
Crédits Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.
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Titre Carte 3. Partage des lieux d’aisances entre plusieurs ménages
Crédits Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.
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Titre Carte 4. Mode d’évacuation des eaux usées dans les ménages
Crédits Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.
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Titre Carte 5. Mode d’évacuation des ordures ménagères dans les ménages
Crédits Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.
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Titre Carte 6. Type de foyer utilisé principalement dans les ménages
Crédits Source : données de routine de l’OPO, ronde 1, 2009.
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