Introduction
p. 19-27
Texte intégral
1Les transformations sociales de la seconde moitié du xxe siècle se sont accompagnées d’une diversification des vecteurs identitaires mobilisés par chacun pour se trouver une place dans la société. Les parcours de vie des personnes se complexifient et sont plus souvent marqués que par le passé par des ruptures notamment familiales ou professionnelles, susceptibles de remettre en question les liens sociaux préalablement établis. Facteurs importants de cette transformation, la crise économique et le processus de mondialisation ont eu des retentissements notables sur l’organisation du travail et le plein-emploi. À l’échelle individuelle, ce contexte économique a conduit à une moindre stabilité des trajectoires professionnelles et d’un point de vue collectif, à un brouillage des frontières structurant l’ordre social. Nombre de sociologues y ont vu l’effacement des classes sociales au prix d’une uniformisation des modes de vie du plus grand nombre, mais aussi d’une mise à l’écart des plus démunis. En plus de ces reconfigurations, d’autres changements sont observés, tel l’affaiblissement des idéologies (Dubar, 2000) révélé par une diminution de l’engagement politique et syndical et par un déclin important de la pratique religieuse (Donegani, 1998). Ces appartenances traditionnelles s’effacent au profit de nouvelles formes de participations collectives et d’engagements autonomes s’inscrivant le plus souvent dans des actions ponctuelles (soutien aux sans-papiers, Pacs, manifestations contre le CPE…). Ces nouvelles formes d’engagement peuvent aussi reposer sur des expériences communes (homosexualité, handicap…) permettant aux personnes qui les partagent de revendiquer une identité différente de celle qui leur est assignée. Ces expériences individuelles ne sont pas du seul ressort individuel et restent profondément marquées par l’ancrage social des individus.
2La famille est également le lieu de reconfigurations majeures. La disparition progressive des familles nombreuses, l’augmentation du travail des femmes et la diversification des formes de vie privée en sont des indicateurs objectifs. Ces évolutions ont été interprétées comme les conséquences d’un triple processus d’individualisation, de privatisation et de pluralisation (Théry, 1998). L’individu étant la nouvelle référence, la famille se définit aujourd’hui non plus comme un groupe a priori, mais comme le réseau qui se dessine autour de lui. Conséquence de cette individuation, les normes familiales anciennes sont dévaluées et remplacées par de nouvelles règles, qui laissent plus de place aux choix individuels sans pour autant s’affranchir de toutes contraintes sociales. Ainsi, la persistance de l’homogamie sociale et des rôles sexués dans l’espace privé rend compte de la force de normes collectivement intériorisées au cœur de l’institution familiale et auxquelles les individus peinent à échapper.
3Dans le même temps, la transformation du paysage sanitaire, liée à la « transition épidémiologique » (Omran, 1971) et à l’augmentation de l’espérance de vie, s’est accompagnée d’une préoccupation croissante des sociétés contemporaines pour la santé. Il en résulte, en particulier, une médicalisation de problèmes à forte composante sociale (obésité, alcoolisme, délinquance, violence…) (Fitzpatrick, 2001) et une responsabilisation de plus en plus importante des individus. Ainsi, les politiques de santé mènent à des interventions visant à modifier les comportements à risques en s’appuyant sur des modèles psychologiques (Ogden, 1996 ; Crossley, 2002). Les expériences de problèmes de santé ne se réduisent plus aujourd’hui à une mise entre parenthèses du parcours de vie durant lequel les décisions et actions sont déléguées aux professionnels, mais relèvent d’un travail collectif et réflexif des acteurs sur leur propre identité.
4Le rapport au territoire et l’inscription spatiale des populations se sont aussi considérablement modifiés au cours des dernières décennies. Du fait de la réduction des temps de déplacement, les distances parcourues n’ont plus les mêmes significations, et les populations sont de plus en plus mobiles, que ce soit à l’échelle du quotidien ou de leur vie entière. Ainsi, les parcours migratoires des individus se sont complexifiés avec un nombre de changements résidentiels plus important au sein d’espaces plus diversifiés. Face à cette ouverture des espaces de vie, on assiste paradoxalement, depuis les années 1980, à une revalorisation des identités locales dont témoignent par exemple la mise en valeur du patrimoine régional, l’utilisation de symboles (langues, lieux, folklore, etc.), mais aussi la promotion de personnalités locales. Plus généralement, ce besoin de s’ancrer au sein d’un territoire s’effectue selon des modalités propres à chacun, qui se constituent en un tout, une multi-appartenance à laquelle l’individu donne sens. La prise en compte de l’ensemble de la trajectoire migratoire et des lieux investis, qu’ils soient vécus, pratiqués ou même imaginaires, est un élément essentiel de compréhension du sentiment d’appartenance territoriale.
5Toutes les évolutions qui viennent d’être évoquées ont favorisé l’intérêt marqué des sciences humaines et sociales pour l’expérience et les biographies individuelles, les changements sociaux étant considérés comme « mieux visibles à partir des biographies individuelles que des sociographies de groupes ou de classes sociales » (Martuccelli, 2005). Dans ce contexte moins prévisible, l’individu, livré à lui-même, devrait trouver les ressources pour construire le sens de sa propre histoire. C’est l’interprétation qui ressort de la plupart des analyses. « Dans cet ensemble social hétérogène, tant d’un point de vue culturel que fonctionnel, la subjectivité de l’individu et l’objectivité du système se séparent, [...] les rôles, les positions sociales ne suffisent plus à définir les éléments stables de l’action, parce que les individus n’accomplissent plus un programme, mais visent à construire une unité à partir des éléments divers de leur vie sociale et de la multiplicité des orientations qu’ils portent en eux. Ainsi, l’identité sociale n’est pas un « être » mais un « travail »» (Dubet, 1994). Les problématiques du sujet, acteur de sa biographie qui négocie sa place et construit son identité, ont pris le pas sur les analyses institutionnelles et le dévoilement de leurs effets structurels.
6Après avoir connu un vif succès durant les années 1990, cette orientation a toutefois été controversée. Le mouvement de balancier qui a déplacé l’intérêt des chercheurs de la structure sociale vers les destins individuels serait-il allé trop loin ? C’est le point de vue notamment défendu par Luc Boltanski et Eve Chiapello, qui estiment que la représentation du social comme un ensemble de destins individuels tient d’une posture idéologique et que les sociologues qui la défendent participent activement à son renforcement. Conséquence du désintérêt de la sociologie pour la structure sociale, « les singularités multiples ont refait surface […]. À la représentation, souvent schématique, et par là facilement critiquable, d’un monde social divisé en groupes ou en catégories homogènes, s’est ainsi substituée la vision non moins sommaire, d’un univers éclaté, parcellisé, composé uniquement d’une juxtaposition de destins individuels. » (Boltanski, Chiappello, 1999.) Un certain nombre d’analyses récentes montrent pourtant la pérennité du rôle structurant des classes sociales, même s’il est plus complexe et moins visible que par le passé (Bouffartigue, 2004 ; Bosc, 2003).
7Ces débats ont pénétré peu à peu la statistique publique, stimulant la conception d’une enquête d’une mouture peu conventionnelle, qui appréhende la fabrique des liens sociaux dans ses dimensions à la fois objective et subjective. Inspirée initialement par les études sur l’intégration des populations immigrées, la réflexion autour de l’enquête Histoire de vie, conduite par l’Insee en 2003, est structurée autour de deux déplacements de la problématique. Le premier vise à étendre la question de l’intégration à d’autres types d’expériences susceptibles d’interférer avec les parcours de vie, telles que l’expérience du chômage, d’une séparation, d’un handicap et, de là, à toutes les fractions de la population susceptibles de rencontrer des difficultés à trouver une place dans la société. Le second déplacement réside dans le passage d’une approche strictement objectiviste qui définit a priori les individus par leur statut et leurs appartenances, à une approche qui considère l’individu comme acteur des liens sociaux qu’il tisse. Dans cette perspective, l’intégration peut être appréhendée par son versant subjectif : l’identité.
8L’enquête Histoire de vie est le fruit d’une collaboration entre plusieurs instituts de recherche1. Elle a porté sur un échantillon de près de 10000 personnes représentatives des habitants de France métropolitaine vivant en ménage ordinaire2. Dans un premier temps, l’élaboration du questionnaire3 s’est appuyée sur l’analyse qualitative d’entretiens préalablement menés pour repérer les formes identitaires spontanément adoptées par les personnes interrogées, la diversité des thèmes d’identification, les modalités selon lesquelles ils se déclinent et leurs interactions éventuelles (Ville, Guérin-Pace, 2005).
9Le questionnaire comporte une première partie biographique qui retrace, selon plusieurs dimensions (géographique, familiale, professionnelle), année par année, les itinéraires des personnes. Celle-ci se présente sous la forme d’une grille chronologique qui permet à la personne enquêtée de restituer simultanément les différents événements qui jalonnent sa vie et de situer les uns au regard des autres. Cette démarche présente l’avantage de faciliter le travail souvent fastidieux de restitution des dates et des événements (Grab, 1999). Une dimension plus subjective vient compléter l’ensemble de ces informations par l’appréciation que la personne porte sur son parcours en découpant celui-ci en bonnes ou mauvaises périodes et en citant les événements qu’elle considère comme marquants ou comme repères dans sa trajectoire.
10Le questionnaire aborde dans un deuxième temps les différentes appartenances qui peuvent ou non être mobilisées comme vecteurs d’identification selon des registres classiques (familial, professionnel, idéologique, loisirs) et plus inédits pour certains (les lieux, la santé, la généalogie et le rapport aux autres). Chacun des thèmes est traité selon une double perspective : les pratiques objectives sont recueillies par le bais de questions traditionnellement utilisées dans les grandes enquêtes, complétées par d’autres plus subjectives visant à cerner les valeurs et l’importance que chacun attribue à ses différentes appartenances. Ainsi, les rôles familiaux dominants, le sentiment d’appartenance géographique ou encore le regard porté sur son activité professionnelle sont recueillis et viennent révéler les identités revendiquées. Une partie du questionnaire est ensuite consacrée aux appartenances subies ou assignées par le regard d’autrui. De telles assignations dont les sources sont multiples (apparence physique, lieu de résidence, accent, etc.) peuvent donner lieu à des traitements différents et à des comportements injustes qui sont restitués dans le questionnaire. L’objectif de l’enquête n’est pas de mesurer l’intensité d’éventuelles discriminations, mais d’analyser le ressenti de situations vécues comme discriminantes et ses conséquences sur la vie des personnes (Algava, Bèque, 2006).
11Ainsi le questionnaire de l’enquête Histoire de Vie est bâti sur un équilibre entre le recueil d’indicateurs objectifs des appartenances sociales et des modes de vie et celui d’appréciations plus subjectives de l’histoire personnelle. Ce dispositif original permet d’étudier la manière dont chaque individu conjugue le poids de ses appartenances à des statuts et à des groupes et sa latitude d’autonomie pour affirmer son individualité dans l’espace collectif. Ce sont les travaux émanant des données de cette enquête qui sont étudiés ici4. Les différents chapitres couvrent une grande partie des thématiques abordées par l’enquête : la famille, l’activité professionnelle, les lieux de vie et les lieux investis, les langues parlées, l’engagement et les convictions, la santé. Chacune des contributions a mis à profit l’originalité principale des données, à savoir la confrontation des situations et trajectoires objectives d’existence et la perception subjective qu’exprime chacun des enquêtés à leur égard. L’objet commun de réflexion est l’analyse minutieuse des appartenances choisies, assignées ou subies, au travers desquelles se construisent les individus, autrement dit, les différentes formes d’intégration à la vie sociale au regard des expériences subjectives et des conditions concrètes d’existence.
12Le rôle des espaces traditionnels de reconnaissance collective qui organisaient politiquement la société (classes sociales, partis politiques, syndicats) ou les comportements privés (famille, Église) s’affaiblit progressivement dans le processus de construction des identités. Agnès Pelage et Tristan Poullaouec (chapitre 1) font cependant la démonstration que le vocable de classe sociale fait encore sens pour près de la moitié de la population. Le sentiment d’appartenance à une classe sociale apparaît assez sensible à la « température sociale » et les périodes de mobilisations collectives liées à des mouvements de contestation sociale et politique le réactivent périodiquement. Contrairement à une idée reçue, ce sentiment d’appartenance a toujours été plus présent dans les catégories socioprofessionnelles supérieures ou intermédiaires que parmi les ouvriers, mais l’écart s’est creusé au cours du temps et la hausse du chômage dans les catégories populaires a certainement accentué cette tendance. Par conséquent, pour les auteurs, « le sentiment d’appartenir à une classe sociale s’avère lié à la distance subie ou choisie, temporaire ou de long terme, entre l’enquêté et l’activité professionnelle, attestant la fonction d’intégration sociale du travail ».
13Le glissement supposé de la société vers une « moyennisation » qui résulterait de l’accroissement numérique des catégories socioprofessionnelles intermédiaires n’est visiblement pas à l’œuvre lorsque l’on interroge les personnes sur la perception de leur positionnement social. Même au sein de ces catégories intermédiaires que l’on pourrait considérer comme représentatives des classes moyennes, on peut repérer une certaine hétérogénéité dans l’expression d’un sentiment de classe. Jérôme Deauvieau et Céline Dumoulin (chapitre 2) montrent que, dans ce groupe socioprofessionnel, le sentiment d’appartenir à une classe sociale est à la fois plus présent chez les salariés issus d’un milieu populaire (père ouvrier) et chez les salariés issus d’un milieu aisé (père cadre). Cependant ce sentiment revêt dans chacun des cas une signification différente : pour les uns, l’identification à une classe sociale se fait vers le bas de l’échelle sociale, pour les autres vers le haut. Autrement dit, au-delà de l’appartenance à un même groupe professionnel, les différences de qualification et de parcours professionnel d’une part et d’origine sociale, d’autre part, conduisent à des identifications opposées.
14Plus généralement, Hélène Garner, Guillemette de Larquier, Dominique Méda et Delphine Remillon (chapitre 3) s’interrogent sur la place occupée par l’activité professionnelle dans les trajectoires des hommes et des femmes. Le constat initial est l’existence de différences marquées entre les rôles sociaux assignés aux hommes et aux femmes qui se traduirait par une identité individuelle des femmes moins centrée sur le travail. Or, les auteurs montrent que l’activité professionnelle est bien un marqueur fort de l’identité féminine sous certaines conditions : occuper des positions avantageuses en termes de capital scolaire, économique et professionnel et connaître une certaine stabilité professionnelle. Néanmoins, la présence de jeunes enfants réduit sensiblement l’identification des femmes par leur activité professionnelle, même dans ces conditions favorables. Si le rôle joué par le travail occupe ainsi une place importante dans la vie des individus quand ils peuvent exercer un métier qui leur apporte des satisfactions, c’est également le cas quand ce travail accapare la vie quotidienne par ses contraintes horaires (horaires atypiques) ou au contraire par son absence (chômage).
15Si les classes sociales ont perdu de leur force d’identification collective, il semblerait qu’il en soit de même pour la religion. Sandrine Nicourd (chapitre 4) souligne toutefois que les croyances religieuses sont encore très présentes dans la société française actuelle et, bien que des affiliations à des mouvements religieux peu institutionnalisés existent, elles restent minoritaires et concernent un public très spécifique, jeune et fortement diplômé. À côté de pratiques déclinantes se maintient un fort attachement aux croyances religieuses, certes peu formalisé dans des actes, mais néanmoins assumé par une large partie de la population. Il en est de même pour la participation à des collectifs d’engagement, partis ou mouvements politiques, monde associatif, syndicalisme, elle aussi constitutive des dimensions objectives de l’identité. L’auteur montre néanmoins un clivage social très net entre les formes instituées d’engagement (parti, syndicat) dont la participation est en déclin, mais où toutes les catégories sociales sont représentées, et l’engagement associatif, très présent, mais socialement cloisonné et qui concerne surtout les catégories à fort capital socioculturel.
16Olivia Samuel (chapitre 5) constate, comme Hélène Garner et al., que la césure entre les sexes relative aux dimensions structurantes des identités individuelles n’est plus aussi tangible qu’elle a pu l’être. À mesure que les activités professionnelles et privées des hommes et des femmes convergent, la frontière des sphères d’identification sexuées se délite. L’attachement à la famille est autant mis en avant par les hommes que par les femmes à situations sociale, professionnelle et familiale comparables. Une part très majoritaire de la population continue de s’identifier à la famille et aux rôles familiaux y afférant, malgré les transformations considérables que ceux-ci ont connu depuis une quarantaine d’années. Toutefois, et c’est probablement un changement très significatif, les femmes sont plus aptes à s’extraire d’une identification centrée sur leurs rôles familiaux (mère, épouse, grand-mère…) que les hommes, dès lors qu’elles disposent d’un fort capital culturel et d’une position professionnelle confortable. Ce résultat rejoint ceux de Florence Maillochon et Marion Seltz (chapitre 6) qui s’interrogent sur la « force intégratrice du mariage » chez les jeunes adultes et sur le processus qui conduit à la construction d’une identité conjugale. Elles mettent en évidence des processus socialement et sexuellement différenciés. L’identification à un rôle conjugal s’avère être davantage revendiquée par les hommes, en particulier lorsqu’ils sont en situation de réussite sociale et que le mariage (ou l’union conjugale) conforte cette réussite. En revanche, l’identification conjugale pour les femmes est moins positive et relève davantage d’une identification à défaut d’autres capitaux à valoriser.
17Trouver sa place dans la société passe non seulement par une certaine reconnaissance dans les instances socialisatrices que sont le travail, la famille, les organisations collectives, mais également par des ancrages plus culturels relatifs aux appartenances territoriales et linguistiques des individus. Partant du constat de la multiplicité des trajectoires migratoires de la population et donc, de la diversité des expériences territoriales, France Guérin-Pace (chapitre 7) aborde la question de la relation aux lieux vécus, investis ou symboliques, tels que les lieux d’appartenance, d’attachement, ou encore de sépulture. L’auteur souligne l’insuffisance de la seule prise en compte du lieu de naissance ou de la nationalité, indicateurs traditionnellement utilisés dans les enquêtes, notamment pour la population immigrée, pour décrire le lien que les individus entretiennent avec leurs origines géographiques. Ainsi, les personnes immigrées se définissent fréquemment par un lieu différent de leur lieu de naissance. La typologie présentée sur la forme d’ancrages territoriaux au regard des autres marqueurs identitaires rend compte de la multiplicité des formes d’attachement à l’espace et au territoire, fortement dépendante des caractéristiques sociodémographiques des individus et de leur parcours migratoire et résidentiel.
18Si l’attachement territorial peut se révéler par l’expression des lieux investis, par le sentiment d’appartenance à un territoire, il s’observe aussi à travers des pratiques concrètes comme l’usage de langues régionales ou étrangères. À travers une analyse sur la transmission et l’héritage des langues, Alexandra Filhon (chapitre 8) montre que la socialisation primaire dans une langue autre que le français (ou en plus du français) concerne une part significative de la population et qu’il s’agit tant de langue d’immigration que de langue régionale comme l’alsacien ou le breton. La transmission d’une autre langue que le français, qui pourrait s’apparenter à un marqueur identitaire, est loin d’être systématique de la part des parents détenteurs de cette langue. Elle dépend notamment du contexte linguistique local, mais aussi de stratégies individuelles déployées par les parents selon différents facteurs, comme le fait de considérer que leur langue est socialement valorisée ou non.
19Les expériences familiales, linguistiques, professionnelles, associatives, migratoires constituent des jalons biographiques qui, cumulés, contribuent à un processus de construction identitaire sans cesse actualisé. Des événements singuliers, tels que l’expérience de la maladie ou du handicap, concourent également à ce processus, pouvant dans certaines conditions, être intégrés à la biographie de manière positive et donner lieu à un « retournement de l’épreuve ». Isabelle Ville et Daniel Ruffin montrent que ce phénomène n’est toutefois pas distribué de manière homogène dans la population et semble, en quelque sorte, renforcer les inégalités sociales existantes (chapitre 9). Dans un contexte de transformations sociales, ces nouvelles formes d’expérience de santé témoignent de l’imbrication croissante entre les sphères publique et privée ; elles mettent en exergue le rôle des collectifs de personnes handicapées qui ont su transformer des expériences singulières en outils politiques, tout en offrant de nouvelles grilles de lecture sur l’expérience de la maladie et du handicap, qu’elles se sont ou non appropriées, donnant ainsi sens à leur propre histoire.
20Au fil des neuf chapitres de cet ouvrage, le large spectre des espaces d’appartenance et d’identification individuelles et collective est questionné à partir d’une grande diversité d’approches et de thématiques. Pour traiter de cet objet complexe, les auteurs n’ont pas privilégié a priori une posture théorique plutôt qu’une autre, mais ont avancé avec précaution suivant une démarche inductive. Les ressorts de l’expérience individuelle et le poids des appartenances sociales se sont avérés irrémédiablement entremêlés, toujours présents et s’interpénétrant dans la construction des trajectoires biographique. Si la complexification des trajectoires individuelles a conduit les acteurs à travailler réflexivement leur parcours de vie et leur identité, il n’en reste pas moins que des différences structurelles se manifestent avec force, non seulement dans l’accès au ressources matérielles, mais également aux ressources symboliques, nécessaires à l’accomplissement de ce travail.
21Cet ouvrage qui inaugure la nouvelle collection « Grandes enquêtes » des éditions de l’Ined donne l’occasion aux lecteurs de découvrir les résultats de l’enquête Histoire de Vie sur la construction des identités. Le CD-Rom joint à l’ouvrage contient le questionnaire, la base de données mise à disposition par l’Insee et un ensemble de documents relatifs à l’enquête.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Insee, Ined, Inserm, ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, ministère de la Culture, délégation interministérielle à la Ville.
2 Par ailleurs, certaines populations dont les effectifs sont insuffisants par rapport à la population générale pour permettre des analyses fiables ont été surreprésentées dans le tirage de l’échantillon. C’est le cas des personnes nées à l’étranger ou de parents nés à l’étranger. De même une attention particulière a été portée aux personnes présentant des limitations dans leurs activités quotidiennes en raison de problèmes de santé (Crenner et al., 2006). Voir également la présentation de l’enquête, p. 205.
3 Le questionnaire est intégralement reproduit dans le cd-rom qui accompagne cet ouvrage.
4 Certaines recherches sont le résultat d’un appel à projet lancé par la MiRe en 2004 pour l’exploration de l’enquête Histoire de Vie (chapitres 1, 2, 5, 8, 9) d’autres sont liées à des initiatives individuelles (chapitres 4, 6, 7). Un groupe de travail s’est constitué autour de France Guérin-Pace et Isabelle Ville et les contributeurs de l’ouvrage ont exposé et débattu de leurs travaux pendant 18 mois.
Auteurs
Est géographe, directrice de recherches à l’Ined dans l’unité « Identités et territoires » qu’elle dirige (UR12). Ses domaines de recherche portent principalement sur les questions urbaines et sur l’inscription spatiale des populations en lien avec les trajectoires migratoires.
Est démographe, maître de conférences à l’université de Versailles-Saint Quentin-en-Yvelines et membre du laboratoire Printemps (CNRS/UVSQ). Ses travaux concernent principalement le domaine de la sociodémographie de la famille.
Est sociologue, chargée de recherches Inserm au Cermes (Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé, Société). Elle étudie l’expérience du handicap en lien avec les évolutions sociohistoriques des politiques sociales et des pratiques institutionnelles de sa prise en charge.
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Trajectoires et origines
Enquête sur la diversité des populations en France
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En quête d’appartenances
L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités
France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville (dir.)
2009
Parcours de familles
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2016
Portraits de famille
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2009
Inégalités de santé à Ouagadougou
Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
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2019
Violences et rapports de genre
Enquête sur les violences de genre en France
Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et al. (dir.)
2020
Un panel français
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2022
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2024