7.1. Les élections de 2014 : craintes de régression, soulagement et espoirs soulevés

Deux candidats nationalistes et populistes diamétralement opposés en apparence

1Pour les raisons évoquées à la fin du précédent chapitre, le second mandat du président Yudhoyono se termine donc dans une désaffection populaire croissante. Les sondages d’opinion, devenus monnaie courante en Indonésie, sont sans ambiguïté à cet égard : sa cote de popularité s’effondre de moitié en moins de cinq ans, passant de 75% en novembre 2009, à 63% en avril 2010, 38% en septembre 2011 et 30% en mai 2013¹. Cette chute affecte bien évidemment son parti le PD, qui n’arrive de surcroît pas à trouver un leader de substitution pour reprendre le flambeau à la veille des élections générales de 2014. Il faut dire qu’il avait été fondé (selon une nouvelle tendance indonésienne en vogue, à laquelle se conformeront d’autres après lui) pour servir sa carrière politique et ses seules ambitions personnelles. Après avoir beaucoup tergiversé, selon son habitude, et dû renoncer à plusieurs candidatures successives peu crédibles, dont celle de sa femme, SBY décida finalement en septembre 2013 d’organiser des primaires pour désigner la personne qui mènerait son parti à la bataille électorale. Le temps que les choses se mettent en place début 2014, le PD avait perdu le peu de crédibilité qui lui restait aux yeux de la population. Le candidat très peu connu qui remporta ces primaires lui porta le coup de grâce et le piètre score enregistré par son parti aux législatives ne lui permit pas de pouvoir présenter un candidat à la présidence. Pendant ce temps les sondages montraient que deux candidats potentiels à la future élection présidentielle sortaient du lot : Joko Widodo et Prabowo Subianto².

2Le premier est un nouveau venu arrivé un peu de nulle part sur la scène politique. Il est né en 1961 à Surakarta (Solo), dans une famille javanaise très modeste, son père étant un simple charpentier, sa mère une femme au foyer et lui l’aîné et le seul garçon parmi les quatre enfants. Ils vécurent à la limite de la pauvreté et souffrirent des maux habituels du milieu des petites gens (wong cilik), célébré pour son courage et son humilité dans la littérature indonésienne. Dans son enfance, il fut souvent malade et ses parents décidèrent de changer son nom, une pratique courante à Java quand celui que l’on a reçu à la naissance est jugé inapproprié ou nocif. Ils le renommèrent Widodo, ce qui signifie « être en bonne santé ». Il commença à travailler avec son père à 12 ans mais fit toute sa scolarité à Solo jusqu'à la fin de l’école secondaire, avant d’être admis dans la filière forestière de la Faculté d’agriculture de l’Université Gadjah Mada de Jogjakarta, dont il sortit diplômé en 1985. Il travailla ensuite pendant deux ans dans une entreprise étatique fabriquant du contreplaqué à Aceh, mais il n’y trouva pas son intérêt et revint à Solo, où il établit sa propre petite entreprise de fabrication de meubles en teck. Après des débuts difficiles, la situation s’améliora et il commença en 1991 à exporter sa production, principalement vers la France³. Son entreprise se développa petit à petit et, pour faire la promotion de sa production, il participa à plusieurs occasions à des foires dans des villes d’Europe, où il découvrit une réalité urbaine bien différente de celle de sa ville natale Surakarta. C’est apparemment de là que date son intérêt pour la politique locale et qu’il prit à cœur de promouvoir les réformes qui permettraient d’améliorer la vie de ses concitoyens. Il fonda bientôt un collectif d’artisans et fut élu en 2002 président de la branche locale de l’association des fabricants de meubles d’Indonésie, puis décida d’entrer formellement en politique en adhérant au PDI-P en 2004. C’est avec le soutien de ce parti et du PAN qu’iI se présenta en 2005 comme candidat à la mairie de Surakarta, où il fut élu avec 36,6% des voix, contre le maire sortant et deux autres concurrents.

3En cinq ans, il va changer sa ville. Cette vieille capitale princière est endormie et poussiéreuse. Elle est plus connue pour les graves violences dont elle fut le théâtre à la chute de l’Ordre nouveau et l’islamisme radical de certaines des écoles coraniques de sa périphérie que pour son dynamisme économique et son intérêt touristique. Sous la devise de « Solo : l’esprit de Java » que lui forge Jokowi, elle devient l’une des villes phares du pays. L’amélioration de la vie des gens est tangible : nouveaux équipements collectifs, marchés relocalisés et embellis, transports publics plus fréquents et salubres, rues piétonnières et même programmes d’assurances pour l’éducation et la santé destinés à tous les citadins. Pratiquant un populisme bon-enfant, Jokowi est proche du petit peuple dont il fait partie, comprend les problèmes et parle le langage. Ainsi, il se forge une réputation d’homme qui « fait les choses ». Il développe aussi la pratique des visites impromptues (blusukan) dans les bureaux de l’administration ou sur les sites des travaux en cours, où il peut se forger une opinion personnelle sur les problèmes en discutant avec les gens du cru et les acteurs locaux. Ces visites le rendent populaire. Preuve de cette grande popularité, il est réélu en 2010 pour un second mandat de maire de Surakarta avec plus de 90% des suffrages. Il devient alors célèbre à l’échelle nationale et même internationale, obtenant maints titres et récompenses honorifiques⁴, et on commence à parler de lui dans la perspective des élections de 2012 pour le poste de gouverneur de Jakarta.

4En 2012, Joko Widodo se présenta effectivement aux élections pour ce poste important, avec l’appui du PDI-P, en compagnie d’un colistier, lui aussi plutôt singulier dans le paysage politique indonésien (et qui allait faire beaucoup parler de lui cinq ans plus tard). Il s’agissait de Basuki Cahaha Purnama, dit Ahok, un sino-indonésien de religion protestante né en 1966 à Belitung, île proche de Sumatra, dont il avait été le bupati de 2005 à 2006 et le représentant au DPR de 2009 à 2012. Ce politicien venait de rejoindre les rangs du GERINDRA fondé par Prabowo Subianto. Face à cinq autres candidats et fort de l’appui du PDI-P et du GERINDRA, Jokowi arriva en tête au premier tour avec 43% des suffrages, devant le maire sortant et largement discrédité, Fawzi Bowo. Ce dernier était soutenu quant à lui par une coalition formée du PD du président SBY, du PKB, du PAN et du HANURA du Général Wiranto, qui obtenait 33%. Au second tour, Jokowi le battit assez nettement avec 54% des voix. À la tête du DKI (Daerah Khusus Ibukota ou District spécial de la capitale), - une mégalopole de 10 millions d’habitants réputée chaotique et ingérable -, il s’employa, avec un certain succès, à appliquer les méthodes qui avaient fonctionné pour une ville vingt fois plus petite comme Solo. En plus de pratiquer le blusukan, il mit en place un nouveau style de gestion moderne visant à la transparence et utilisant largement les réseaux sociaux, en rendant public son salaire, en plaçant une bonne partie de ses réunions de travail et de ses activités sur YouTube et en favorisant l’adoption d’un système de paiement des impôts et de programmation budgétaire en ligne. Après avoir augmenté de manière substantielle le budget disponible pour s’attaquer à la montagne de problèmes qui assaillaient la ville, il introduisit en quelques mois un système de carte de crédit pour les citadins les plus modestes. Ces derniers ont pu ainsi retirer de petites sommes, aux multiples ATM/DAB présents partout dans la ville pour financer leurs frais de santé de base (KJS pour Kartu Jakarta Sehat) ou d’équipement scolaire de leurs enfants (KJP pour Kartu Jakarta Pintar). Enfin, Jokowi lança un certain nombre de grands chantiers pour réduire les énormes problèmes de salubrité publique et de trafic faisant la célébrité et le cauchemar de Jakarta. Il peut en effet s’enorgueillir d’avoir quelques réalisations majeures à son actif: d’abord, la réorganisation de plusieurs des grands marchés destinés aux petits vendeurs ambulants des kampung; ensuite, le renforcement du système d’assainissement urbain permettant de réduire les inondations catastrophiques affectant chaque année certains quartiers de la ville ; et surtout, la poursuite de la construction du MRT (Mass Rapid Transit), le métro dont la capitale avait besoin depuis si longtemps. Ces accomplissements ont fait grimper son taux de popularité à un niveau inhabituel pour un politicien indonésien, ce qui le plaça en position de favori dans la course à l’élection présidentielle. En décembre 2013, un sondage d’opinion le donnait gagnant par 62% des voix, contre 23% pour Prabowo Subianto.

5Les origines et la trajectoire de Prabowo, qui apparaît alors clairement comme le potentiel futur rival de Jokowi aux élections présidentielles, - malgré le soutien qu’il lui avait accordé pour la conquête du poste de gouverneur de Jakarta -, étaient aux antipodes de celles du modeste petit entrepreneur de Solo. Né en 1951 à Jakarta, au sein d’une dynastie politique javanaise très prospère ayant des origines aristocratiques, il était le petit-fils du fondateur de la Banque nationale d’Indonésie et le fils de Sumitro Djojohadikusumo, économiste respecté, plusieurs fois ministre des finances de Sukarno, auquel il s’était opposé en 1957-58 en participant au mouvement de rébellion du PRRI. Il avait alors dû s’exiler, puis était retourné au pays en 1967, après l’arrivée au pouvoir de Suharto. dont il allait devenir le ministre du commerce et surtout inspirer la politique de développement. Cette dernière fut en fait confiée aux jeunes technocrates de la « Mafia de Berkeley » qui avaient été ses étudiants au début de leurs études, quand il enseignait à la Faculté d’économie de l’Université d’Indonésie de Jakarta, et qui le reconnaissaient comme leur mentor. Son fils, Prabowo, avait donc vécu dix ans à l’étranger, de son enfance à son adolescence, - à Singapour, Kuala Lumpur, Hong Kong et Londres, - où il avait fréquenté les meilleures écoles anglophones. À son retour en Indonésie, il décida, au terme de ses études secondaires en 1970, d’embrasser la carrière militaire, sur les conseils de son père. Ce choix de métier leur semblait en effet le plus propice pour lui garantir un brillant avenir politique dans un Ordre nouveau naissant sous la férule de l’armée. Son frère cadet, Hashim Djojohadikusumo, fut encouragé pour sa part à s’orienter vers le monde des affaires pour y faire fructifier la fortune familiale, ce qu’il va faire de manière efficace avec la protection de son père, membre clef du gouvernement jusqu’en 1978. Comme on le sait, Prabowo a aussi épousé en 1983 la deuxième fille de Suharto, Titiek. Cette alliance va lui permettre de faire une carrière fulgurante au sein de l’armée pour devenir commandant des forces spéciales (KOPASSUS) en 1995, être promu major-général dans la foulée et prendre la tête de la réserve stratégique (KOSTRAD) en 1998. Il s’y illustre aussi par sa brutalité et ses exactions à Aceh, en Irian Jaya et surtout à Timor Est. À la chute de son beau-père en mai 1998, il essaie de forcer la main de B.J. Habibie, qui vient d’hériter du pouvoir en tant que vice-président, pour se faire nommer à la tête des forces armées, à la place de son grand rival, le général Wiranto. Accusé d’avoir aussi organisé les émeutes qui ont fait des dizaines de victimes au même moment dans le quartier chinois de Jakarta et reconnu coupable de l’enlèvement et du meurtre de plusieurs activistes étudiants, il est exclu de l’armée et honteusement dégradé en public par le même Wiranto. Comme son père quarante ans plus tôt, il part alors en exil, quant à lui en Jordanie, trouvant refuge auprès de son ami le roi Abdallah, qu’il avait connu pendant l’un ses nombreux stages de formation militaire aux États-Unis.

6C’est en 2000 que Prabowo revient en Indonésie, alors en pleine période de turbulence sous la présidence erratique de Gus Dur. Divorcé de Titiek (grâce à laquelle il a vraisemblablement mis la main sur une partie des fonds détournés par la famille Suharto), il se lance dans les affaires et amasse un confortable pécule estimé à 150 millions de US$ dans le secteur des ressources naturelles. Son frère accumule de son côté une fortune quatre à cinq fois plus importante, en ayant bénéficié d’arbitrages très favorables lors de la restructuration du secteur bancaire ayant suivi la crise financière de 1997-98 et investi dans une compagnie pétrolière au Kazakhstan ! La famille a donc les moyens de se lancer en politique et de pouvoir permettre au frère aîné d’assouvir son ambition d’arriver au pouvoir suprême pour se venger du sort qui lui a été réservé et de tous ceux qu’il estime l’avoir trahi. En 2004, il se tourne donc tout naturellement vers le GOLKAR pour essayer de se faire nominer aux élections présidentielles comme candidat du parti fondé par son ex-beau-père. Mais son vieil ennemi historique, Wiranto, également en lice, se met une fois de plus en travers de son chemin et remporte les primaires. Enragé mais pas découragé, Prabowo comprend qu’il doit s’employer à renforcer sa base et ses appuis pour les échéances futures. C’est alors qu’il s’arrange pour se faire élire président de deux associations puissantes et ayant un ancrage profond dans le pays, l’une s’occupant de la défense des intérêts du monde paysan et l’autre, de ceux des adeptes de l’art martial national, le Pancak Silat. Puis, convaincu qu’il n’arrivera pas à ses fins sans un parti politique entièrement dévoué à sa cause, il créée en 2008 le GERINDRA. À sa tête, il développe son image de leader populiste autoritaire, d’homme à poigne et de sauveur de la nation, capable de la sortir de l’impasse dans laquelle l’a amenée une démocratisation qui n’est, selon lui, pas adaptée à sa culture politique.

7Pour s’imposer, Prabowo emploie un discours ultranationaliste souvent outrancier et un style grandiloquent de type « mussolinien », à la limite du ridicule, mélange syncrétique étonnant entre les envolées lyriques du Sukarno de la Démocratie dirigée et la violence assumée du Suharto des débuts de l’Ordre nouveau, dont il reste un adepte convaincu. C’est pourquoi il promet un retour en arrière et l’abolition des réformes adoptées depuis 1999. Elles ont selon lui donné un poids trop grand au législatif et ont permis une décentralisation trop poussé. Il prône en fait de revenir à la constitution de type présidentiel de 1945 et à un État fort et centralisé. Lors des élections législatives de 2009, le président SBY sortait de son premier mandat auréolé d’une forte popularité et la population n’avait pas encore accumulé le désenchantement devant sa valse-hésitation, ses promesses non tenues et ses reculades. Alors, le projet antidémocratique de Prabowo était prématuré et le GERINDRA ne récolta pas plus qu’un piteux 4,5% des suffrages. Cela contraria l’ambition de sa vie, mais il s’arrangea pour faire équipe avec Megawati sur un ticket présidentiel improbable, dont son frère finança d’ailleurs largement la campagne. Ils furent battus à plate couture. Mais le second mandat un peu calamiteux de SBY donna un regain d’intérêt au discours de Prabowo qui réussit à attirer vers lui tous ceux qui, des nostalgiques de l’Ordre nouveau aux musulmans les plus conservateurs favorables à un État islamique, souhaitaient mettre fin aux réformes démocratiques. À la veille des élections générales de 2014, il était donc, avec Joko Widodo, l’un des deux favoris des sondages.

8La candidature de ces deux personnages que tout oppose reflétait largement le dilemme dans lequel se trouvait la Reformasi après les dix années de présidence de SBY. D’un côté, il y a le petit entrepreneur issu d’un milieu pauvre et proche du peuple, doux et tolérant, pratiquant l’art de la modestie et de la retenue propre à la culture javanaise. Il a gravi de manière rapide et inattendue les marches du pouvoir par la seule force de son travail et grâce à la popularité qu’il avait acquise dans le pays par ce qu’il avait montré être capable de réaliser. De l’autre côté, se trouve le fils de la grande bourgeoise aristocratique et membre de l’oligarchie au pouvoir depuis toujours, arrogant, prétentieux et narcissique au possible. Sa carrière militaire a été favorisée par ses relations familiales. Il a commis de véritables crimes contre l’humanité et ne ressent aucun remord ; il a accumulé sa fortune personnelle grâce aux pratiques de KKN et se présente en héraut de la probité. En fait, il promet la lune à un peuple qu’il a surtout passé son temps à réprimer avec violence et dont il flatte les bas instincts. On aurait difficilement pu imaginer deux personnalités plus différentes !

9Pourtant, dans la littérature sur l’évolution de la politique indonésienne depuis la fin de l’Ordre nouveau, il est ensuite devenu courant de présenter Jokowi et Prabowo, avec une assurance teintée d’un certain dédain, comme les deux faces d’un même populisme : l’une « soft », policée et progressiste, et l’autre « hard », vulgaire et rétrograde. Les Indonésiens, qu’ils aient juste été déçus par la démocratisation ou qu’ils l’aient vraiment réprouvé, étaient alors prêts à se rallier en 2014 à l’une ou à l’autre de ces options selon certains auteurs. Notre avis sur la question diverge un peu. Tout d’abord, le populisme n’est pas en soi nécessairement une tare. Cela dépend de sa définition, de sa conception, de qui en est porteur et des conditions de sa mise en application. S’il s’agit pour un leadeur politique responsable et empathique, comme semblait alors l’être Jokowi, de prendre en considération les aspirations et les intérêts du peuple, on ne peut qu’y souscrire. Et d’ailleurs on ne voit même pas vraiment ce qui permettait en 2014 de le considérer comme un populiste, en dehors de sa propension à prendre le pouls de la population à travers ses visites impromptues sur le terrain. C’est quand le populisme est incarné par un démagogue narcissique et violent comme Prabowo, capable de s’allier avec n’importe qui et de promettre n’importe quoi à ses partisans pour arriver au pouvoir, qu’il devient dangereux. Il nous semble donc abusif de mettre ces deux hommes dans la même catégorie indifférenciée du populisme, même en faisant la différence entre leurs styles bien distincts. Quoiqu’il en soit, l’Indonésie se retrouvait face à un choix lourd de conséquences, avec les deux faces d’une alternative cruciale pour les présidentielles à venir. Mais ce choix allait aussi être largement déterminé par le résultat des élections législatives, qui en constituait l’étape préalable.

Deux scrutins serrés et contestés menés dans une ambiance très conflictuelle

10Ces élections législatives, les quatrièmes à être organisées depuis la chute de Suharto, eurent lieu le 9 avril 2014. L’Indonésie donna une nouvelle fois à cette occasion une belle leçon de démocratie électorale à la communauté internationale. Ce fut à nouveau « la plus grande journée électorale du monde » et elle se déroula dans le calme et sans violence. Les 186 millions d’électeurs enregistrés durent en effet choisir le même jour, parmi les quelque 180 000 candidats en lice, leurs représentants pour les 560 sièges du parlement national (DPR) ainsi que ceux des parlements régionaux (DPRD) dans les 34 provinces et 498 districts et municipalités du pays. Alors que 38 partis politiques avaient participé au scrutin en 2009, seulement 12 d’entre eux purent présenter des candidats cette fois, en raison des critères encore plus exigeants fixés à l’échelle nationale, dont 10 obtinrent le minimum de 5% désormais requis pour pouvoir se voir attribuer des sièges au DPR. Il n’y avait qu’un seul nouveau venu sur la scène, le NASDEM (NASional DEMocrat ou Démocrates nationaux), fondé en 2011 par Suriah Paloh, l’un des principaux et richissimes barons de la presse indonésienne, originaire de Aceh et transfuge récent du GOLKAR.

11Sans grande surprise, compte tenu des sondages concernant leurs candidats potentiels respectifs à la présidence, le PDI-P et le GERINDRA furent les deux grands vainqueurs du scrutin. Le PDI-P arrivait en tête avec presque 19% des voix et obtenait 109 sièges, 15 de plus qu’en 2009⁵. C’était toutefois une demie déception, car il espérait bien dépasser les 25%. Les ambitions et dissensions internes, qui l’avaient amené à beaucoup tergiverser avant de nominer formellement Joko « Jokowi » Widodo comme son candidat pour les présidentielles, seulement quelques jours avant les législatives, lui avaient sûrement aliéné de nombreux électeurs. Pour sa part, le GERINDRA arrivait en troisième position et triplait presque son score en recueillant 11,8% des suffrages et 73 sièges, un bond spectaculaire de +47 par rapport à 2009. Il était en fait le principal gagnant du scrutin et cela plaçait Prabowo en bonne position pour la suite des événements. Le PKB faisait aussi des progrès substantiels en obtenant plus de 9% des voix et 47 sièges, une progression de +19 par rapport à 2009. Du côté des grands perdants, on trouvait le PD et le GOLKAR, les deux partis qui avaient soutenus SBY pendant ses deux mandats présidentiels successifs. Le PD s’effondrait littéralement en n’obtenant qu’un peu plus de 10% des voix, contre 26,4% cinq ans plus tôt, et seulement 61 sièges, une perte énorme de 87 par rapport aux élections de 2009, dont il avait été le grand vainqueur. Cela ne surprit personne. En effet, le bilan du second mandat de SBY n’était pas bon ; son parti le PD était miné par des affaires de corruption et par son incapacité à trouver un successeur ayant la carrure suffisante pour le mener à la bataille électorale. De son côté, le GOLKAR payait son association avec le PD et la rançon de l’usure du pouvoir en ne recueillant que 14,7% des suffrages et 91 sièges, 15 de moins qu’en 2009. L’autre grand perdant du scrutin était le PKS, qui n’avait attiré que 6,8% des électeurs et n’occupait plus que 40 sièges, une perte de 17 par rapport à 2009. Le fossé qui était apparu entre son discours puritain et la corruption de certains de ses dirigeants lui avait fait perdre une bonne partie de sa légitimité. Le PAN et le PPP restaient stables, avec 7,6% des voix et 49 sièges pour l’un contre 6,5% et 39 pour l’autre, un gain respectif modeste de + 3 et + 1 comparé à 2009. Ensuite, le NASDEM, financé et surtout relayé par l’empire médiatique de son fondateur, faisait une entrée remarquée au parlement avec 6,7% des voix et 25 sièges. Enfin, le HANURA de Wiranto échappait de peu à la relégation, mais restait stable en obtenant 5,2% des voix et 16 sièges, 1 seul de moins qu’en 2009.

12Quelques leçons plus générales se doivent d’être tirées de ces élections législatives qui confirmaient certaines tendances déjà perceptibles dans les précédentes. Premièrement, malgré le nombre nettement plus restreint de partis ayant participé au scrutin, il en ressortait un certain émiettement des voix et une distribution plus équilibrée entre les dix qui allaient siéger au parlement. Ainsi, en 2009, seuls six partis avaient obtenu plus de 5% des voix, ils étaient 10 en 2014. En outre les deux plus grandes formations ayant traditionnellement dominé le DPR depuis la fin de l’Ordre nouveau, le PDI-P et le GOLKAR, qui monopolisaient encore en 2009 plus de la moitié des sièges, ne s’en partageaient plus qu’un tiers en 2014. Deuxièmement, la dérive amorcée avec l’irruption sur la scène politique du PD de Yudhoyono en 2001, du HANURA de Wiranto en 2006 ou du GERINDRA de Prabowo en 2008, des partis uniquement créés pour servir les ambitions présidentielles de leur fondateur, se renforce avec l’arrivée du NASDEM de Suriah Paloh en 2011. Cette personnalisation du pouvoir différencie encore un peu plus la démocratie indonésienne d’un système de partis de type occidental, où les formations politiques s’affrontent généralement sur la base de programmes de gouvernement. Elle confirme aussi son appartenance à un modèle largement dominant en Asie, dans lequel les citoyens votent plus pour une personnalité, un leader ou une dynastie politique que pour les idées qu’ils portent ou défendent. Troisièmement, malgré la réislamisation galopante de la société, l’islam politique indonésien reste à son étiage habituel, inférieur au tiers des voix de l’électorat. Pris ensemble, les quatre partis islamiques (PKB, PAN, PPP et PKS) enregistrent en effet bien une légère progression, passant de 29% à 31,4% des suffrages entre 2009 et 2014, mais cela ne constitue nullement une percée significative. En fait, l’essentiel des variations de voix de chacun d’entre eux s’est probablement fait à travers un transfert de l’un à l’autre. Enfin, ces élections législatives consacrent hélas l’extension de la politique de l’argent et de l’achat de voix⁶. Avec l’implication croissante de riches oligarques dans la compétition électorale, cela n’est guère surprenant. Partout dans le pays, les candidats de tous les partis ont recours à ce type de pratiques qui prennent, dans le meilleur des cas, la forme de dons pour des équipements collectifs et, dans le pire, de cadeaux individuels voire, de distribution d’argent liquide. Cela dit, il n’est pas prouvé que cela ait eu un impact décisif sur le scrutin car les électeurs indonésiens, plus malins et retors que les corrupteurs, ont depuis longtemps pris l’habitude d’accepter ce genre de prébendes, mais de voter quand même pour les candidats de leur choix !

Photo 54 : Joko Widodo (1961-), président depuis 2014 (en poste jusqu’en 2024)

13Compte tenu du résultat des législatives, les élections présidentielles de juillet s’annonçaient donc plus serrées que prévu. De fait, la très large avance de près de 40 points que Jokowi avait sur Prabowo dans les sondages d’opinion en décembre 2013 fondit comme neige au soleil pour tomber à 2% à la veille du scrutin ! Il y a plusieurs raisons à cela, mais la responsabilité principale de cette dégringolade incombe au PDI-P lui-même. Tout d’abord, il attendit jusqu’à la dernière minute pour confirmer que Joko Widodo était bien le candidat du parti pour la présidence. L’attente dura si longtemps que beaucoup d’observateurs se demandèrent même jusqu’au bout, malgré le fait qu’il ait été un membre fidèle et discipliné du parti de Megawati depuis dix ans, s’il n’allait pas perdre patience et chercher sa nomination auprès d’une formation différente ou créer la sienne propre, en s’inspirant de l’exemple d’autres candidats. Ce fut tout à son honneur de garder sa sérénité typiquement javanaise et de rester loyal à son parti et à sa présidente, envers laquelle il continua à montrer un respect quasi filial. En effet, malgré les sondages qui le désignaient comme le meilleur candidat possible, d'autres personnes convoitaient cette nomination en interne ; à commencer par Megawati elle-même, toujours frustrée de n’avoir jamais été élue formellement au poste qu’avait occupé son illustre père. Mais c’était aussi le cas de son ambitieuse fille, Puan Maharani, convaincue de son destin à devenir le troisième membre de la famille Sukarno à diriger le pays. Encouragée par son influent père, Tawfik Kiemas, président du MPR, elle s’employa à compliquer la vie de ce « petit parvenu » de Jokowi qui n’appartenait pas au sérail. La mort de son géniteur en juin 2013 la priva de son principal soutien et, devant la dure réalité des sondages, elle rentra dans le rang et se plia finalement à la discipline du parti. Après d’ultimes tergiversations, Megawati se résolut enfin à annoncer à la mi-mars, moins de trois petites semaines avant les législatives, que Joko « Jokowi » Widodo serait bien le candidat du PDI-P à la présidence.

14Pendant ce temps, Prabowo n’était évidemment pas resté inactif. Il en avait profité pour consolider sa position, en négociant déjà en coulisse des accords avec d’autres formations et en se rapprochant des partis islamiques et même de certaines mouvances islamistes pouvant lui être utiles. Le résultat des législatives, dont son parti était ressorti avec un score très flatteur, renforça son pouvoir de négociation. Ensuite, le rattrapage de Jokowi dans les sondages se fit surtout sur le style de la campagne présidentielle qu’il conduisit avec une redoutable efficacité et grâce à des moyens supérieurs. Parti très tard en campagne, Jokowi peina en effet à trouver ses marques et, sans expérience à ce niveau, commit des erreurs et des maladresses par son manque d’assurance et de clarté. Il s’épuisa à sillonner le pays pour participer à des centaines de réunions, en empruntant des vols de ligne par manque de moyens. En effet, Puan Maharani, en charge des finances du parti, ne lui octroyait que peu d’argent. En outre, voulant rompre avec les négociations de « marchands de tapis » qui présidaient habituellement à la formation d’une coalition de partis réunissant au minimum 20% des sièges ou 25% des suffrages, comme l’y obligeait la loi électorale pour pouvoir briguer la présidence, il fit savoir de manière très ferme et étonnante, vu son caractère peu péremptoire, qu’il n’accepterait pas de conditions pour sceller de telles alliances. Cela lui aliéna plusieurs partis qui, comme le GOLKAR, le PPP ou le PAN, initialement plutôt favorables à sa candidature, décidèrent de ne pas rejoindre sa coalition. Cette dernière, se limitant finalement à quatre partis - le PDI-P, le PKB, le NASDEM et le HANURA - , ne représentait que 37% des sièges du DPR et était donc largement minoritaire. Elle réussit néanmoins à engranger un succès non négligeable en dévoyant une nouvelle fois du GOLKAR l’inusable franc-tireur Jusuf Kalla pour figurer aux côtés de Jokowi sur le ticket présidentiel, à la forte insistance de Megawati semble-t-il.

Photo 55 : Prabowo Subianto (1951–), candidat à la présidence en 2014 et 2019

15De son côté, Prabowo, arrivant généralement en fanfare dans son avion privé ou par hélicoptère à un nombre limité de grands meetings soigneusement sélectionnés et préparés, où des foules chauffées à blanc acclamaient ses discours populistes enflammés et ses promesses d’homme providentiel venu sur terre pour enrayer le déclin du pays, combla progressivement son retard sur Jokowi. Il pouvait bien sûr plus aisément graisser les pattes, car il jouissait des moyens importants que lui garantissaient sa fortune personnelle, celle de son frère et le soutien de plusieurs oligarques recrutés par Hatta Rajasa, le président du PAN. En échange ce politicien avait la place de colistier sur le ticket présidentiel. De plus, l’équipe de campagne de Prabowo n’hésita pas à utiliser les réseaux sociaux de manière indigne, comme savent parfaitement le faire aujourd’hui les populistes démagogues « comploteurs » en tout genre, pour affaiblir Jokowi. Ils l’ont accusé d’être le fils d’un chinois de Singapour, de cacher son appartenance à la religion chrétienne ou même, d’être un partisan déguisé du PKI ! Les plus éclairés rirent de ces fadaises, mais beaucoup de gens plus simples et peut-être convaincus d’avance y crurent. Au bout du compte, Prabowo annonça bientôt qu’il avait constitué une coalition majoritaire dite « Rouge et Blanche », les couleurs du drapeau indonésien. Cette alliance réunissait six partis autour de son GERINDRA, les trois partis islamiques les plus conservateurs, le PAN, le PKS, le PPP, ainsi que le PD et le GOLKAR, qu’il avait finalement convaincus de le soutenir, et représentait 63% des sièges du DPR. Sans vergogne aucune, et alors qu’il promettait haut et fort de débarrasser l’Indonésie à tout jamais de la plaie chronique du KKN, un domaine dans lequel il avait une expertise personnelle indéniable, il avait scellé une alliance avec plusieurs partis, comme le PKS et le PPP, dont les principaux responsables avaient été condamnés à de longues années de prison pour cause de corruption ! Malgré ces contradictions flagrantes, il semblait avoir le vent en poupe et apparaissait de plus en plus comme pouvant l’emporter.

16La situation se tendit au fur et à mesure que la date du scrutin du 9 juillet se rapprochait. À la mi-mai, un sondage montra que 48% des personnes interrogées étaient pour Jokowi contre 39% pour Prabowo, début juin l’écart était tombé à 48% contre 42% et à la fin du mois il était de 47% contre 45%. Depuis décembre 2013, Jokowi avait donc perdu 15 points et Prabowo en avait gagné 22 ! Cette dégringolade et la marge infime séparant les deux candidats présageaient du pire. Cela dit, il apparaissait au bout du compte que Prabowo, le populiste autoritaire qui, comme son modèle et alter ego thaïlandais, Thaksin Shinawatra, avait surtout essayé avec cynisme de mobiliser les pauvres des campagnes, obtenait un soutien plus fort parmi la classe moyenne urbaine, les diplômés d’université et les gens ayant les revenus les plus élevés. Au contraire, Jokowi, qui avait bâti sa réputation et sa candidature sur sa capacité à améliorer l’environnement de villes comme Solo et Jakarta, arrivait en tête dans les intentions de vote en milieu rural et auprès des gens n’ayant qu’un niveau d’éducation primaire et des revenus modestes. Cela ressemblait de plus en plus à un vote de classe, dans lequel chacun envisageait de donner sa voix à celui des deux candidats qui lui ressemblait le plus et venait de son camp. En tous cas, le jour du scrutin, le peuple indonésien fit preuve d’une admirable perspicacité. Il sauva le pays d’un grand bond en arrière et d’une régression démocratique assurée en élisant Jokowi à la présidence, par une marge, certes limitée mais tout de même conséquente de presque 5 points : 53,15% contre 46,85% à Prabowo. Cela fut un soulagement immense pour tous les partisans de la démocratie en Indonésie et pour leurs amis dans le monde entier.

17Qu’est ce qui peut expliquer ce sursaut salutaire de dernière minute ayant permis d’éviter de peu la catastrophe qui se dessinait ? La réponse se trouve probablement dans le fait que Prabowo, voulant assurer sa victoire, commit quelques erreurs stratégiques dans la dernière ligne droite et perdit les voix de ceux qui étaient attirés par lui mais avaient encore quelques doutes sur ses intentions. Le plus déterminant fut sûrement le discours tenu à la fin juin. Alors qu’il avait évité jusque-là de trop entrer en matière sur le projet politique qu’il avait en tête, il déclara que le système d’élections directes au suffrage universel pour choisir le président du pays n’était pas adapté à la culture politique indonésienne et qu’il faudrait trouver un « nouveau consensus ». C’est une formule qu’avait utilisé Suharto en son temps pour établir l’Ordre nouveau et son régime autoritaire. Il n’y avait plus guère de doutes à avoir sur son intention de revenir sur les acquis de la démocratisation. De plus, il prononca le mensonge éhonté de trop, dans l’un de ses derniers meetings de campagne. Lui, pur produit de l’élite oligarchique, déclara en effet : « Les gens qui disent que j’ai toujours été riche mentent ; fût un temps où j’ai été pauvre comme vous mes frères et sœurs - je devais penser à la manière dont j’allais pouvoir me nourrir la semaine suivante »⁷. Ces paroles contribuèrent à ramener vers Jokowi tous les gens qui avaient envisagé dans un tout premier temps de voter pour lui mais qui, déçus par sa campagne et l’attitude du PDI-P à son égard, s’étaient ensuite tournés vers Prabowo. Pour finir, dans un éclair de lucidité, ces électeurs versatiles revinrent donc vers leur choix initial. En fait, il semble bien que le socle électoral de Prabowo ait été moins large et stable que celui de Jokowi, en particulier du côté des femmes, en majorité effrayées par le langage belliqueux et les explosions de violence machiste du premier, et que la meilleure performance du second dans leur ultime débat télévisé, où son adversaire se montra agressif et confus, fit la différence et lui permit de l’emporter.

18Cette victoire sur le fil de Jokowi n’empêche pas de s’interroger sur le phénomène inquiétant suivant : près de la moitié des électeurs indonésiens ont voté pour Prabowo, un populiste démagogique qui leur promettait de rétablir la supposée grandeur passée du pays en abolissant les réformes adoptées depuis le début de la Reformasi. Mais cela nous ramène en fait au questionnement plus large constituant le fil rouge de notre ouvrage, sur le lien entre l’autoritarisme, le développement et la démocratie, et nous préférons repousser la réflexion sur ce sujet à la conclusion de ce chapitre et du livre lui-même. Ce que l’on peut juste dire à ce stade est que de nombreux électeurs de Prabowo semblent ne pas avoir vraiment eu conscience du fait qu’il représentait une menace pour la démocratie, puisqu’un sondage réalisé après les élections montra que 79% d’entre eux étaient favorables à ce système politique sur tout autre ! Si tel est le cas, on peut supposer que beaucoup réalisèrent leur erreur de jugement et furent choqués par la manière bien peu démocratique, aussi lamentable que pathétique, dont il remit en question les résultats pourtant très clairs des élections.

19En effet, dès le soir du scrutin, Prabowo et son équipe manipulèrent des chiffres de comptage rapide à la sortie des urnes pour contester la victoire de Jokowi et affirmer qu’elle était leur. Quatre instituts de sondage très douteux, financés par certains de ses proches, fournirent des estimations qui démontraient la victoire de leur champion. Une partie de la presse se laissa prendre au piège et parla pendant deux semaines d’une élection contestée. Ce ne fut pas le cas de la KPU qui confirma calmement le 22 juillet la victoire sans équivoque de Jokowi. Furieux, Prabowo se retourna vers la Cour constitutionnelle où il contesta la décision de justice, en prétendant que de nombreuses fraudes avaient émaillé le dépouillement du vote et en mobilisant ses supporters pour manifester bruyamment et violemment devant son siège afin d’intimider les juges. Les sages ne se laissèrent pas impressionner et, après avoir pris le temps d’examiner scrupuleusement la plainte, annoncèrent le 22 août qu’aucune preuve sérieuse n’avait été fournie pour l’étayer et confirmèrent la victoire de Jokowi. Ce résultat enragea certains des supporters de Prabowo, la plupart membres de sa milice privée et de gangs de voyous des bas quartiers de la ville, recrutés et payés pour faire le coup de poing, qui essayèrent de pénétrer dans la Cour pour interrompre la lecture du verdict. La police les en empêcha énergiquement, faisant quelques blessés parmi les manifestants. Plutôt que de concéder enfin sa défaite, Prabowo leur rendit visite à l’hôpital pour les féliciter de leur soutien. Cette preuve flagrante de son mépris pour les règles et les institutions démocratiques finit peut-être de convaincre certains des plus modérés de ses électeurs qu’il représentait vraiment un danger pour le pays. Mais ce ne fut pas le cas de ses partisans les plus acharnés qui continuèrent à clamer longtemps que l’élection leur avait été volée. Frustré et vindicatif, leur héros décida alors de poursuivre la lutte contre le nouveau président au DPR, où il disposait a priori d’une large majorité avec la coalition « Rouge et Blanche » qui avait soutenu sa candidature8. Le mandat présidentiel de Jokowi, s’annonçait donc houleux et compliqué mais plein de promesses. L’espoir de voir l’Indonésie reprendre le cours de sa démocratisation était réel. Il allait être rapidement déçu.