6.2. La sphère politico-institutionnelle : valse-hésitation entre progrès et régression

Les 100 premiers jours : concorde politique, désastres naturels et paix à Aceh

1Malgré ce beau succès électoral, la situation de celui qu’on appelle désormais SBY n’est pas si confortable que cela. Il a en effet été soutenu à la présidentielle par une coalition minoritaire, formée entre le PD et les deux petits partis islamiques du PKS et du PBB, qui ne contrôlent qu’un peu plus de 20% des sièges au DPR. Or, la coalition de Megawati, constituée du GOLKAR, du PDI-P et du PBB, représente 54% et est donc majoritaire. Le PKB et le PAN sont jusque-là restés en dehors de ces regroupements. Mais, les jeux post-électoraux coutumiers de la culture politique indonésienne reprennent le dessus et plusieurs partis « volent au secours de la victoire » en rejoignant très vite la coalition soutenant SBY pour participer au gouvernement. C’est tout d’abord le cas des trois plus grands partis islamiques, le PAN puis le PKB et enfin le PPP. Le soutien que le nouveau président obtient ainsi de tous les partis appartenant à cette obédience islamique explique sûrement la complaisance dont il fera preuve ultérieurement par rapport aux comportements violents et honteux de certaines organisations proches de la mouvance islamiste.

2Pour l’instant, fort de ces ralliements, SBY peut cependant annoncer dès le 20 octobre, le jour même de son entrée en fonction, la formation d’un traditionnel cabinet pléthorique de nature consensuelle de 36 membres. On y retrouve notamment aux trois postes clefs, outre Widodo A.S, membre du PD et proche de SBY, comme ministre coordinateur des affaires politiques et de sécurité, Alwi Shihab du PKB, en tant que ministre coordinateur du bien-être de la population, et Aburizal Bakrie, du GOLKAR, patron du groupe qui porte son nom et l’un des principaux oligarques pribumi du pays, auquel est confié le poste de ministre coordinateur de l’économie¹. Le gouvernement compte également des ministres appartenant à tous les autres principaux partis, PPP, PAN, PKS et PBB, à l’exception du PDI-P qui refuse de faire partie de la nouvelle coalition gouvernementale en raison de l’affront impardonnable infligé à Megawati. En fait, c’est aussi au début la position officielle du GOLKAR, malgré la participation embarrassante de Jusuf Kalla, et d’Aburizal Bakrie, ainsi que de deux autres de ses membres, à la nouvelle équipe gouvernementale. Or, avec 128 sièges, il constitue le groupe parlementaire le plus important au DPR qui peut, s’il joint ses voix aux 109 députés du PDI-P, atteindre une quasi majorité de blocage de 237 sur 550 membres. C’est d’autant plus dangereux que le nouveau président élu de l’assemblée, Agung Laksono, vient des rangs de la coalition qui avait soutenue Megawati. Toutefois, le problème trouve une solution typiquement indonésienne lors du congrès du GOLKAR en décembre 2004, quand le vice-président Jusuf Kalla, qui en a pourtant été exclu, réalise un formidable « come back » en imposant sa candidature à la présidence du parti et en y battant le secrétaire-général sortant Akbar Tandjung². Ce faisant, il ramène tous les députés du GOLKAR dans l’escarcelle de SBY qui n’a plus de souci à se faire pour sa majorité parlementaire, l’opposition se résumant désormais au seul PDI-P et quelques petites formations très marginales.

3Dès lors, le nouveau président semble avoir toutes les cartes en main pour mettre en œuvre une politique audacieuse lui permettant d’approfondir les réformes politiques et économiques qui vont dans le sens d’une démocratisation accrue. C’est d’autant plus le cas qu’il a aussi pris garde d’intégrer dans son cabinet un bon nombre de technocrates ou de diplomates respectés et compétents, dont deux femmes remarquables, Sri Mulyani Indrawati à la tête du BAPPENAS, l’agence de planification nationale, et Marie Pangestu, d’origine sino-indonésienne, et seule représentante de cette minorité dans le gouvernement, comme ministre du commerce, ou Hassan Wirajuda et Juwono Sudarsono, qui conservaient respectivement les ministères des affaires étrangères et de la défense. Mais le gouvernement compte aussi dans ses rangs des personnalités islamiques dont certains ont des sympathies pour l’islamisme. Ces dernières vont rapidement lui poser problème, comme Yuzril Ihza Mahendra, le leader du PBB, au poste clef de secrétaire d’État, ou Suryadharma Ali, membre très conservateur du PPP, qui hérite d’abord du ministère des coopératives et des PME, mais va hélas vite se retrouver à la tête de celui beaucoup plus délicat des affaires religieuses.

4Ce gouvernement très large et disparate ne va donc pas être facile à manœuvrer, mais il reflète la diversité nationale, suscitant l’espoir et recueillant des commentaires positifs dans le pays. À côté des politiciens professionnels, SBY réunit beaucoup de gens compétents qui ont tous un niveau de formation supérieur au mastère (MA) et viennent de la société civile, des milieux d’affaires et universitaires. Le cabinet comporte en effet des bureaucrates expérimentés et des militaires à la retraite, quatre femmes ; un tiers de ses membres sont originaires des autres îles que Java et quatre ne sont pas des musulmans. Tout en reconnaissant que ce choix des ministres était certainement loin d’être parfait, SBY déclare alors ne pas avoir pu faire mieux. Par ailleurs, les ministres devaient signer un contrat politique dans lequel ils s’engageaient à être loyal et travailleur, à accorder la priorité aux intérêts de l’État devant ceux de leur parti et surtout à être honnête. Ceux qui se feraient prendre la main dans le sac des pratiques de KKN devraient démissionner et seraient traduits en justice. Tout cela semblait prometteur. La principale critique émise était d’avoir confié le ministère de l’économie à un oligarque richissime devenu politicien, mais cela était censé refléter l’inclinaison pro-business du gouvernement. Il se disait aussi que Jusuf Kalla y avait placé un bon nombre de personnes qui lui étaient fidèles et comptait bien peser de tout son poids pour influencer les décisions du président. C’était d’autant plus plausible qu’il avait acquis une dimension supplémentaire en ramenant le GOLKAR dans la majorité présidentielle. Mais malgré cela, les auspices semblaient favorables et il ne restait plus qu’à se mettre au travail.

5La belle ordonnance en ordre de bataille pour s’atteler à la tâche et convaincre la population au cours des fameux « premiers 100 jours » qu’elle a fait le bon choix va cependant être bouleversée par les caprices de la nature. Une série sans précédent de catastrophes destructrices et meurtrières se déchaînent. La première et la plus grave survient le 26 décembre à Aceh. Un tremblement de terre énorme d’une intensité de 9,1 à 9,3 sur l’échelle de Richter se produit à 30 kilomètres de profondeur sur la faille tectonique indo-australienne, au large de la côte nord-ouest de Sumatra, et déclenche un tsunami gigantesque, avec des vagues atteignant 30 mètres qui dévastent une grande partie de la province. Il y fera près de 170 000 morts, dont 90 000 dans la seule ville de Banda Aceh³, avant de continuer son chemin à travers l’océan Indien et faire 50 000 victimes supplémentaires en Thaïlande, en Inde et au Sri Lanka. C’est assurément la catastrophe naturelle la plus meurtrière de l’histoire indonésienne connue, supérieure à l’explosion du volcan Krakatoa en 18834 et même à celle du volcan Tambora en 1815^5. Elle va bien sûr causer un traumatisme profond dans le pays. Les secours tardent à se mettre en place à l’échelle nationale, mais l’aide internationale va rapidement affluer de manière massive sur la province d’Aceh, y créant d’ailleurs, comme c’est souvent le cas en de telles circonstances, d’énormes problèmes d’engorgement, de compétition entre les ONG, de gestion chaotique, de malversations et de corruption.

Photo 45 : La ville de Banda Aceh rasée après le tsunami du 26 décembre 2004

6Toutefois, selon l’adage qui dit qu’à tout malheur quelque chose est bon, elle va aussi avoir un effet bénéfique sur le conflit qui opposait le mouvement sécessionniste du GAM au gouvernement indonésien depuis trop longtemps et avait déjà fait 15 000 morts dans la province. Cette catastrophe oblige en effet les belligérants à ouvrir des négociations pour mettre fin au conflit. Ces dernières débutent à Helsinki dès le mois de janvier 2005 et sont menées tambour-battant du côté gouvernemental par l’incontournable Jusuf Kalla. Elles aboutiront rapidement à un cessez-le-feu et à un accord selon lequel le GAM dépose les armes et accepte la souveraineté de l’Indonésie. Mais ce mouvement de libération est autorisé, en contrepartie, à se transformer en formation politique, la province d’Aceh devenant ainsi l’exception à la règle qui interdit l’existence de partis régionaux. Ce nouveau parti est même autorisé à participer aux prochaines élections locales. Organisées comme dans tout le reste du pays en décembre 2006, elles mobilisent 2,7 millions d’électeurs à Aceh, soit un taux de participation de 85%, et permettent d’élire Irwandi Yusuf, ancien dirigeant du GAM au poste de gouverneur pour la période 2007-2011. La province, qui portera désormais le nom de NAD ou Nangroe Aceh Darussalam (Pays d’Aceh havre de paix !), se voit aussi conférer une large autonomie administrative, lui permettant notamment d’appliquer la shariah, et de conserver une part beaucoup plus importante des revenus de ses ressources naturelles abondantes en gaz et pétrole.

7Comme si ce tsunami aux dimensions historiques, face auquel le gouvernement n’a pas vraiment été à la hauteur, n’avait pas suffit à compliquer la tâche du nouveau président, le reste du premier mandat de SBY continue à être marqué par des catastrophes analogues. En mars 2005, un nouveau tremblement de terre d’une intensité de 8,2 frappe l’île de Nias, au large de la côte occidentale de Sumatra, où il cause la mort de 900 personnes et des destructions massives. En décembre 2006, Aceh est encore affecté, cette fois-ci par de graves inondations qui font de terribles dégâts. En mai 2006, le volcan Merapi surplombant Jogjakarta entre à nouveau en éruption, alors qu’un tremblement de terre d’une intensité de 6,3 frappe en même temps le district de Bantul, au sud de la ville, l’un des plus densément peuplés de Java⁶. Ce séisme tue plus de 6 000 personnes, détruit des dizaines de villages, des milliers d’habitations et fait 1,5 million de sans-abri. La réaction du gouvernement est plus rapide et efficace qu’à Aceh. Mais on ne peut guère contester le fait que la nature semble vraiment conspirer contre SBY pour corser la situation socio-économique et l’empêcher de mettre en œuvre sa politique de manière aussi rapide et efficace qu’espèrè. Le pays subit encore deux tremblements de terre moins graves en mars 2007 à Sumatra Ouest et Bengkulu qui feront 70 et 20 morts.

Photo 46 : Le volcan Merapi proche de Jogja à nouveau en éruption en mai 2006

Carte 6 : Zone du tremblement de terre de mai 2006 dans la région de Jogjakarta

Photo 47 : Maisons détruites à Bantul après le tremblement de terre de mai 2006

8Et les mauvaises nouvelles ne sont hélas pas finies car, dans l’intervalle, a éclaté en mai 2006 l’énorme scandale lié à la catastrophe de Sidoardjo, une petite ville de la côte nord-est de Java proche de Surabaya. Cette fois-ci, les éléments naturels ne sont pas seuls en cause car ils ont été provoqués par une intervention humaine. C’est en effet un forage qui est à l’origine du désastre. Cette opération a pour objectif l’exploitation d’une nappe de gaz souterraine. Elle est effectuée par la société PT Lapindo Brantas, propriété du Groupe Bakrie que dirige Aburizal, le ministre de l’économie nouvellement nommé. Vers 1 800 mètre de profondeur, la foreuse perce une poche d’eau et de gaz qui déclenche une éruption entraînant une gigantesque coulée de boue vers la surface. Devenue incontrôlable, elle submerge les environs d’un magma de boue visqueuse, brulante et nauséabonde atteignant 150 000 mètres cubes par jour. Des rizières, des usines et des hameaux sont progressivement touchés et engloutis, des milliers de personnes doivent être évacuées et relogées, mais l’écoulement ne se tarit pas et personne ne sait comment arrêter le flot. Quelques barrages de terres sont donc construits pour l’endiguer et lui permettre de s’écouler vers la mer toute proche et peu profonde, qui est ainsi polluée sur une vaste étendue. La société Lapindo décline toute responsabilité, mettant en cause l’explosion du volcan Merapi, pourtant distant de 400 kilomètres, qui a lieu en même temps ! En fait il semble aussi qu’elle a péché par imprudence et n’a pas utilisé le matériel qui aurait permis d’éviter le désastre. Des populations affectées demandent à être indemnisées. Mais les négociations se perdent dans les sables mouvants d’arguties juridiques sans fin et ne donnent que bien tardivement de maigres résultats. Cela n’améliorera pas l’image déjà peu reluisante et crédible d’Aburizal Bakrie, qui sera remplacé dès 2005 comme ministre coordinateur de l’économie par Boediono, un économiste et universitaire compétent et respecté. Malgré le scandale Lapindo, qui va perdurer pendant des années, le patron du groupe Bakrie est nommé - comble du cynisme - comme ministre coordinateur du bien-être de la population! Il conservera ce poste grâce à des alliances et des compromissions politiques, jusqu’à la fin du premier mandat de SBY. Toutes ces catastrophes à répétition entre 2004 et 2006, que d’aucun attribuent au mauvais œil ou à la naissance du président sous une mauvaise étoile, qu’elles soient purement naturelles ou induites par l’homme, confirment en tous cas bien la vulnérabilité particulière d’un pays comme l’Indonésie, situé sur la ceinture de feu du Pacifique, et ne facilitent évidemment pas la tâche de développement du gouvernement.

Photo 48 : Maisons de Sidoardjo submergées par les boues de PT Lapindo fin 2006

Un premier mandat prometteur : avancées démocratiques malgré l’adversité

9En dépit de cette adversité des forces de la nature, SBY s’applique au début de son premier mandat à mettre en œuvre les réformes politiques et institutionnelles adoptées par ses prédécesseurs et à poursuivre les chantiers qu’ils ont ouverts dans les domaines de la sécurité, de la décentralisation, de la lutte contre la corruption, de l’amélioration de l’État de droit et du respect des droits humains. Cela va bien sûr dans le sens d’une consolidation démocratique, mais il va rencontrer des succès inégaux dans ces différentes sphères, à la fois du fait des difficultés objectives rencontrées, mais aussi en raison de son tempérament indécis et velléitaire. Ce dernier se confirme malheureusement au fil du temps et se renforce dans un second mandat, qui va plutôt être marqué par une stagnation démocratique et même une véritable régression à certains niveaux. En fait, on retombe à nouveau sur le diagnostic général mitigé de valse-hésitation déjà établi précédemment : certaines avancées ont été enregistrées, qui ne sont d’ailleurs pas toutes à mettre à son actif, mais avec un peu plus de courage et d’esprit de décision, il aurait pu faire bien mieux et éviter de procéder à des reculades regrettables sur des points cruciaux pour la jeune démocratie. Tout cela contribue donc à confirmer l’ambivalence d’un bilan qui se situe entre la consolidation et la stagnation eu égard au processus de démocratisation en cours. Essayons de démêler l’écheveau compliqué des mesures prises dans le domaine politique et institutionnel au fil de cette décennie que SBY a passé à la tête du pays, pendant laquelle on peut faire la distinction entre un premier mandat quinquennal plutôt positif et un second nettement moins favorable.

10Dans le domaine de la sécurité, on a vu que tout a commencé de la meilleure manière possible pour lui, puisque le risque centrifuge majeur que représentait le conflit d’Aceh et la menace de sécession de cette province à l’irrédentisme chronique est écarté avec les accords de paix signés à Helsinki début 2005. Certes, il n’y est pas pour grand-chose à titre personnel et doit surtout ce succès à la sidération généralisée ayant suivi le tsunami et à son vice-président Jusuf Kalla, qui a mené la négociation avec le tempérament énergique et décidé qui le caractérise, tout le contraire du sien. Mais c’est lui qui va en tirer la gloire, tant au niveau national, auprès d’une opinion publique ravie de cette aubaine, que sur le plan international, où il se présente comme un pacificateur et caresse même l’espoir de se voir attribuer le prix Nobel de la paix en 2006⁷. Pourtant, une fois ce brillant succès engrangé, il ne s’intéresse pas beaucoup aux détails de la mise en œuvre des accords de paix. Il laisse s’installer à Aceh un système peu reluisant dans lequel le GAM, devenu la principale force politique de la province avec la création de son propre parti, le Partai Aceh, continue à jouer un jeux trouble fait d’intimidation et d’extorsion. Le président n’a pas le courage d’intervenir de peur de raviver le conflit. Sur l’autre front régional critique pour l’unité nationale, celui de la Papua, il fera la démonstration probante de son caractère ambigu, mélange de bonnes intentions et d’absence d’esprit de décision. Les tensions y restaient pourtant fortes. L’autonomie spéciale octroyée à la province par Gus Dur et Megawati ne portait guère ses fruits. De plus, sa division en 2003 en deux provinces distinctes de Papua et de Papua Ouest avait été mal acceptée par une large part de la population, qui y voyait la simple mise en application du vieux principe de « diviser pour régner ». Cela s’était d’ailleurs confirmé à travers un processus de fragmentation administrative (pemekaran) particulièrement poussé dans cette province immense marquée par une énorme diversité ethnique, source de conflits intercommunautaires permanents. Le nombre de districts (kabupaten) y était en effet passé de 29 à 42 depuis 1999. Après avoir d’abord espéré que le problème pouvait être réglé en assurant un développement économique et social plus efficace, sans avoir à traiter les aspects politiques et institutionnels, SBY proposera à la toute fin de son second mandat une vaseuse « autonomie étendue » qui soulèvera beaucoup d’opposition et ne fera pas long feu, laissant la question en suspens pour son successeur.

11Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme islamiste, l’autre problème majeur du pays dans le domaine de la sécurité, SBY fait aussi l’étalage de son caractère indécis. La situation reste pourtant très grave. Une bombe a encore explosé en septembre 2004 devant l’ambassade d’Australie à Jakarta, faisant 9 victimes. À Sulawesi Central, malgré les accords de Malindo arrachés en 2002 par Jusuf Kalla, le conflit interreligieux reste larvé à Poso et continue à faire des victimes, un attentat y tuant notamment 22 personnes en mai 2005. Puis, en octobre 2005 a lieu le second attentat de Bali, à Jimbaran et Kuta, qui tue le même nombre de gens. Face à cette recrudescence, SBY met en place une nouvelle agence antiterroriste baptisée BNPT (Badan Nasional Penangulangan Terrorisme ou Agence nationale de lutte contre le terrorisme), censée superviser et coordonner les activités de deux entités déjà existantes. Il s’agit du DENSUS 88, le détachement spécial de la police créé par Megawati après le premier attentat de Bali d’octobre 2002, et du Satgas Bom, une unité de déminage formée antérieurement, du temps de Gus Dur, début 2001, après l’explosion d’une série de bombes à la Noël 2000. Mais il ne donne jamais à cette agence les moyens financiers ni le soutien politique requis pour faire efficacement son travail⁸. En fait, en dépit de ses grandes déclarations condamnant la barbarie des auteurs de ces attentats, il n’ose pas prendre le taureau par les cornes et s’attaquer frontalement aux organisations islamistes qui fomentent ou soutiennent ce genre d’action, comme la Jemaah Islamiya ou le FPI, le MMI, et le HTI. Il a peur de froisser les membres de son gouvernement qui comprennent ou même partagent cette idéologie radicale. Par ailleurs, il craint de se mettre à dos les partis islamiques qui lui ont permis d’être élu et lui assurent une stabilité gouvernementale. Enfin, il ne veut pas ternir son image de conciliateur aux yeux de la frange de la population qui a des sympathies pour cette mouvance extrémiste. C’est une nouvelle fois Jusuf Kalla, doté il est vrai d’une plus grande capacité d’influence sur ces milieux, qui convoque les leaders islamiques les plus durs pour leur dire d’intervenir afin de mettre un terme à ces actions atroces.

12Et de fait, ces attaques cessent jusqu’au début du second mandat de SBY, quand des bombes explosent en juillet 2009 dans deux grands hôtels de Jakarta, le Marriott et le Ritz-Carlton, en tuant à nouveau 12 personnes. Un projet d’assassinat du président est même dévoilé à cette occasion qui le met un peu plus en émoi étant donné son côté narcissique. Cela dit, malgré l’absence d’une stratégie claire et de moyens plus grands qui leur permettraient de mieux prévenir ces attentats, les unités anti-terroristes de la police sont de plus en plus efficaces au niveau de la répression, en capturant et surtout liquidant leurs auteurs. En novembre 2005, le maître artificier de la JI, Azhari Husin, de nationalité malaisienne, est tué dans une fusillade à Java Est. Les trois principaux auteurs de l’attentat de Bali en 2002, Imam Samudra, Amrozi et Ali Ghufron, également membres de la JI, arrêtés, jugés, et condamnés à mort en 2003, sont exécutés en novembre 2008. Deux autres de leurs comparses, impliqués dans plusieurs des actes terroristes, Noordin Top, un autre malaisien, et Dulmatin seront éliminés en septembre 2009 et en mars 2010. Cela soulève d’ailleurs des protestations hypocrites dans les milieux islamistes qui accusent le gouvernement de procéder à des exécutons extra-judiciaires et de porter atteinte à l’état de droit. Le président reste coi, mais laisse faire, selon sa louable habitude. Surtout préoccupé par son image sur la scène internationale, il est plus intéressé à passer pour un ardent combattant du terrorisme aux yeux des principaux leaders du monde, qu’il aime côtoyer au sein du G20, que de mettre en place une stratégie cohérente et de veiller à son application. Malgré tout, il faut reconnaître que le terrorisme est largement jugulé sous sa présidence.

13Un troisième domaine où les choses commencent plutôt bien au début du premier mandat de SBY et où elles vont se détériorer et manquer de peu de très mal finir, juste avant la fin de son second quinquennat, est celui de la décentralisation. On a déjà évoqué le fait que les lois de 1999 adoptées en la matière sous la présidence de B.J. Habibie allaient très loin dans la dévolution de l’autorité politique et la réorganisation de la fiscalité. Elles sautaient en effet directement du niveau central de l’État (pusat) au second échelon de l’administration territoriale (tingkat II), celui des districts ruraux (kabupaten) et des municipalités urbaines (kotamadya), en enjambant le niveau intermédiaire des provinces (tingkat I). Pour un état très centralisé comme l’était l’Indonésie sous l’Ordre nouveau, c’était un véritable cataclysme, certains analystes parlant même de « big bang ». La mise en œuvre de ces lois représentait en tous cas un énorme défi pour le gouvernement en place. En fait Gus Dur et Megawati avaient déjà perçus les difficultés de l’exercice et tous les problèmes que le nouveau système créait, notamment la montée en puissance des élites locales et des conflits qui les déchiraient pour occuper des postes désormais particulièrement lucratifs. En digne fille de son de père, Mega avait d’ailleurs déjà parlé de la nécessité de revenir en arrière en re-centralisant en partie le système administratif pour éviter les tendances centrifuges, les difficultés de gestion et le gaspillage financier.

14Mais la situation devient encore plus complexe avec l’adoption par le DPR en octobre 2004 de la loi complémentaire de décentralisation sur les élections locales directes, les Pilkada (Pemilihan kepala daerah langsung ou Élections directes de chefs de régions). C’est désormais le peuple qui élit ses représentants, auparavant choisis par les parlements régionaux et locaux, et c’est la tâche de SBY de veiller à l’application de cette nouvelle loi. S’étant déclaré partisan de la décentralisation, il n’y est en principe pas défavorable. Cela pose toutefois des difficultés et surtout soulève de nombreux problèmes. Tout d’abord, contrairement aux élections législatives nationales qui se déroulent partout dans le pays en même temps et sur une seule journée, les élections locales s’étalent désormais tout au long de l’année, en fonction du terme des mandats des élus. Puisqu’il faut bien commencer quelque part, il est décidé que les élus dont le terme vient à échéance entre décembre 2004 et avril 2005 verront leur mandat prolongé jusqu’en mai et que le premier round des Pilkada aura lieu en juin 2005. La tâche s’annonçe immense. Ce mois-là, pas moins de 162 élections locales sont organisées, sept au niveau des provinces, pour élire les gouverneurs, et 155 au niveau des kabupaten et des kotamadya, pour élire les chefs de district et les maires. Entre juin et décembre 2005, le nombre de ces Pilkada s’élève à 196, dont 189 ont eu lieu aux échelons secondaires. Plus d’un tiers des circonscriptions administratives du pays ont donc renouvelé leurs élus en l’espace de sept mois ! En 2006, l’intensité du processus décline, mais il se poursuit avec 72 élections locales, dont 4 autres provinces et 68 districts ruraux ou municipalités urbaines. Incidemment, le GOLKAR, parti politique de loin le mieux ramifié dans tout le pays et également le plus riche, ne remporte que 40% des Pilkada, ce qui démontre combien d’autres formations moins puissantes peuvent avoir la préséance au niveau local.

15Dans l’immédiat, tout se déroula plutôt bien, aussi étonnant que cela puisse paraître. Il y eut bien quelques problèmes ici et là, comme en avril 2005 à Tuban, une ville secondaire de Java Est, où une foule d’émeutiers mécontents du résultat bouta le feu à la ville. Mais le ministre de l’intérieur déclara fin 2005 que les Pilkada avaient été réalisées avec succès dans 92% des cas. C’est après que les défauts majeurs du système commencèrent à apparaître et atteindre une dimension telle que le gouvernement, les députés nationaux, toute la bureaucratie et même le président s’engagèrent dans une opposition croissante à l’égard de la décentralisation et à la remirent en cause. À l’opposé, les élites locales, grandes bénéficiaires de cette réforme fondamentale, se mobilisèrent d’emblée pour la défendre et s’opposer à toute mesure qui aurait pour but de revenir en arrière. Elles pouvaient d’ailleurs compter sur l’appui de la population, auprès de laquelle le nouveau système d’élections locales directes était très populaire puisqu’il permettait, en principe, d’élire les personnes les plus compétentes et dignes de confiance, mais surtout de se débarrasser d’elles dès l’échéance électorale suivante si elles s’avéraient, à l’usage, ne pas être à la hauteur.

16Les difficultés rencontrées étaient cependant bien réelles. Sur la base des évaluations faites au bout des cinq premières années, le bilan général de la mise en application des deux lois de base portant sur la décentralisation était plutôt problématique. Contrairement aux attentes, elles n’avaient pas généré un changement structurel majeur entre l’État central et les régions. Ces dernières n’avaient en effet pas réussi à mettre en place une base de ressources financières propres pour leur développement et se contentaient de recevoir les subsides redistribués par Jakarta qui étaient utilisés pour payer les salaires des fonctionnaires, financer des projets souvent douteux et alimenter la corruption. On constatait par exemple que très peu d’investissements avaient été réalisés dans les infrastructures, qui étaient de leur ressort, avec pour conséquence que tout le pays accumulait un retard croissant en la matière⁹. Il y avait bien sûr de brillantes exceptions qui dépendaient des personnes en place. Un maire ou un chef de district honnête et déterminé pouvait faire la différence. Le cas le plus célèbre est bien évidemment celui de Joko Widodo, élu en 2005 maire de Solo, la grande ville de Java Central proche de Jogjakarta, dont l’action avait eue un impact majeur sur sa municipalité et lui avait permis d’entreprendre une carrière politique météorique au niveau national qui le verra être élu gouverneur de Jakarta en 2012, où il laissera aussi un bilan positif, puis président de la république en 2014. Mais ce type de personnage était rare parmi les élus locaux et les Pilkada dont ils étaient maintenant issus. La majorité de ces élections locales ont plutôt eu tendance à aggraver certains des problèmes résultant de la décentralisation.

17Dans le cadre d’un véritable système de « politique de l’argent », les pratiques de KKN sont en pleine floraison. La scandaleuse habitude prise par certains partis politiques de vendre leur nomination pour une élection locale aux candidats les plus offrants, dont certains s’endettaient fortement pour pouvoir l’obtenir, devint monnaie courante et l’achat du vote des électeurs également. Cela s’est accompagné de l’émergence de véritables dynasties politiques locales, mettant leur district, leur ville ou leur région sous coupe-réglée et accumulant ainsi des fortunes. Parmi les nombreux cas existants, celui de la gouverneure de la province de Banten, Ratu Atut Chosiyah, finalement arrêtée pour corruption en 2013, fit longtemps les gros titres de la presse du fait du véritable empire familial qu’elle s’était constituée. Par ailleurs, les alliances concoctées entre les partis politiques pour mettre la main sur le pouvoir local et les ressources qu’il recèle sont franchement surréalistes et entretiennent la confusion. Le fait que les candidats à une fonction politique locale doivent, comme au niveau national, proposer aux électeurs un ticket sur lequel figure un colistier, renforce cette tendance. Tout le monde peut s’allier à n’importe qui pour ratisser large afin de s’emparer d’une ville ou d’un district. Il n’est donc pas rare de voir un candidat membre d’un parti nationaliste laïc comme le GOLKAR ou le PDI-P faire alliance avec un colistier appartenant à un parti islamique radical favorable à l’application de la shariah ! C’est d’ailleurs ainsi que plusieurs districts, comme Subang à Java Ouest et d’autres dans le pays, se sont retrouvés soumis à la loi islamique, en totale contradiction avec la législation nationale et même avec la constitution. Et puis, cerise sur le gâteau, la fragmentation administrative (pemekaran) devient galopante et préoccupante. Les démarches pour découper les districts en morceaux et se créer son propre petit fief se multiplient. Il y en avait moins de 300 dans le pays à la chute de Suharto, ils sont plus de 500 en 2009 ! Bref, il y a clairement des abus. La décentralisation a été trop vite, trop loin, trop tôt. Alors que l’on s’approche des élections générales de 2009, les tensions montent à ce sujet entre un gouvernement, qui souhaite prendre des mesures de re-centralisation, et des pouvoirs locaux qui y sont farouchement opposés, avec le soutien d’une grande majorité de la population. Les choses sont d’autant plus compliquées que le DPR joue double jeu à cet égard, puisqu’il est plutôt hostile aux élections directes de chefs de régions (Pilkada) mais favorable à la poursuite de la fragmentation (pemekaran) ! Le président est quant à lui comme toujours hésitant. Il laissera faire les choses au point de risquer une régression démocratique majeure dans le domaine de la décentralisation à la toute fin de son second mandat.

18En ce qui concerne la lutte contre la corruption à un niveau plus général et le renforcement de l’état de droit, - qui constituaient deux des objectifs majeurs du programme électoral de SBY -, la situation va commencer à s’améliorer lentement pendant son premier mandat, mais le rythme va s’accélérer très nettement lors du second. Il faut dire que les deux institutions créées pour veiller à la mise en œuvre de cette politique étaient encore bien juvéniles et devaient apprendre à fonctionner dans un environnement qui ne leur était pas franchement favorable. C’est Megawati qui avait présidé à leur création : la Cour constitutionnelle (Makamah Konstitusi) n’a vu le jour que fin 2003 et la KPK (Komisi Pemberantasan Korupsi ou Commission pour l’éradication de la corruption) n’est devenue véritablement opérationnelle qu’à partir de début 2004. De fait, la cour anti-corruption de Jakarta dite TIPIKOR (Pengadilan TIndak PIdana KORupsi), qui est chargée de juger tous les cas de KKN instruits par la KPK, n’a rendu sa première décision qu’en mars 2005. C’est donc SBY qui devait vivre avec ces nouvelles institutions garde-fou démocratiques. On doit dire à son avantage qu’il le fera de manière très correcte, sans jamais interférer dans leurs décisions, et respectant leur indépendance par rapport à l’exécutif, même quand cela a touché des membres de son gouvernement ou certains de ses proches. Pendant son premier mandat, la Cour constitutionnelle, présidée par un juriste irréprochable et rigoureux, Jimly Asshiddiqie, a pris des décisions courageuses favorables à la liberté d’expression, abolissant par exemple le crime de lèse-majesté, ou en défendant des droits socio-économiques et sociaux-culturels de la population. Elle a aussi fait un énorme travail pour améliorer le système électoral indonésien et lui donner la légitimité requise aux yeux du public. Dès 2009, elle s’est forgée une belle réputation et apparaît comme la plus respectée des institutions issues de la Reformasi ainsi que la plus active d’Asie, derrière celle de la Corée du Sud qui était son modèle¹⁰.

19Quant à la KPK, elle s’est d’abord fait la main sur des cas simples et plus faciles qu’elle a tous gagné. Leur nombre tournera autour des 500 par année de 2004 à 2007 mais augmentera pour atteindre 849 en 2008 et le chiffre record de 1 824 en 2009. Son travail est toutefois largement soutenu par une presse très active, qui dénonce chaque jour à travers ses gros titres la corruption des puissants, et par les activistes d’une société civile qui s’exprime de plus en plus et s’organise dans des ONG comme Corruption Watch, qui a une antenne en Indonésie. La police et la justice s’améliorent aussi, lentement mais sûrement. Certains des premiers cas traités ne sont toutefois pas anodins. En avril 2005 déjà, le gouverneur sortant d’Aceh, Abdullah Puteh, est condamné à dix ans de prison pour avoir profité de sa fonction et du chaos régnant après le tsunami à son avantage. Puis, en février 2006, c’est au tour de l’ancien ministre des affaires religieuses sous Megawati, Said Hugil Husin al Munawar, de se voir infliger une peine de cinq ans pour avoir utilisé à titre personnel l’argent disponible pour subventionner le pèlerinage à La Mecque ! À la mi 2007, plus de 100 chefs de gouvernement locaux ou de représentants dans les parlements régionaux et nationaux étaient sous investigation.

20Même la corruption de la famille Suharto commence à être sérieusement attaquée. En octobre 2006, Tommy Suharto est libéré après avoir purgé seulement cinq des quinze années de prison auxquelles il avait été condamné pour avoir commandité, en 2001, le meurtre d’un juge - qui avait prononcé, un an plus tôt, une peine d’emprisonnement de quinze mois à son endroit. Cette clémence est évidemment due à une complaisance dûment rémunérée de certaines personnes corrompues et haut placées. Mais il se retrouve immédiatement à nouveau mis en cause, justement pour le transfert d’une somme de 10 millions de US$ de son compte à celui… du ministère de la justice et des droits humains ! Or cela semble s’être fait avec l’assentiment du ministre Hamid Awaludi et du secrétaire d’État Yusril Ihza Mahendra, tous deux membres du parti islamiste PBB, l’un des plus remontés contre la corruption ! Ils seront mis en examen et conformément au principe fixé par SBY, perdront leur poste lors du remaniement ministériel de mai 2007¹¹. Des actions sont aussi lancées contre Tommy pour différentes infractions et aussi dans le but de faire enfin un peu la lumière sur les activités des nombreuses fondations privées créées par son père. Par ailleurs, Probosutedjo (le très vénal frère de Suharto, qui avait été condamné à quatre ans de prison en 2003 pour utilisation frauduleuse de fonds publics, mais avait repoussé son emprisonnement en faisant appel) admet en octobre 2005 qu’il a graissé la patte de certains officiels de la cour de justice, et même de la Cour suprême, pour obtenir le succès de la procédure. Il ira finalement en prison en novembre 2005, après avoir temporisé en prétextant le type de problèmes de santé qui semblent bizarrement s’acharner sur les hommes politiques indonésiens dès qu’ils sont convoqués par la justice ! L’étau se resserre donc autour de Suharto, mais il y échappe de manière définitive, puisqu’il décède le 27 janvier 2008. Il emporte avec lui les informations sur les secrets qui lui avaient permis de s’emparer du pouvoir au moment du G30S, de le garder pendant si longtemps et d’enrichir autant sa famille. Quoi qu’il en soit, même si elle reste un fléau immense qui gangrène le pays, la lutte contre la corruption fait des progrès sous SBY et l’Indonésie passera de la 133^e à la 111^e place entre 2004 et 2009 dans le classement de Transparency International, un résultat encourageant à défaut d’être brillant.

Les élections de 2009 : le triomphe de SBY et la cartellisation de la vie politique

21Le premier mandat de SBY s’achève donc de manière plutôt positive. Malgré les écueils, le respect de l’état de droit, des libertés fondamentales et des règles démocratiques a fait des progrès tant bien que mal. De plus, l’économie se porte beaucoup mieux et le niveau de vie de la population s’améliore. Les auspices lui sont donc très favorables à la veille des élections législatives de 2009. Ces dernières ont lieu le 9 avril. Elles battent en dimension et en complexité celles de 2004. Cette fois-ci, ce ne sont pas moins de 171,3 millions d’électeurs enregistrés dans les 77 districts électoraux des 33 provinces du pays qui doivent choisir les 560 membres du DPR national entre les 11 000 et quelques candidats qui se présentent au nom des 38 partis politiques qui ont été autorisés à participer. De surcroît, le même jour, ils doivent aussi élire des représentants à plusieurs échelons : les 128 membres du DPD, la seconde chambre du parlement national, entre les plus de 1 100 candidats en lice ; ainsi que leurs représentants pour un très grand nombre des parlements locaux, aux niveaux des provinces, des district et des municipalités, parmi les près de 280 000 personnes qui briguent leurs suffrages. Pour cela, il a fallu imprimer 700 millions de bulletins de vote et trouver du personnel pour les plus de 500 000 bureaux électoraux disséminés dans tout l’archipel. Ce jour-là, l’Indonésie bat plus que jamais le record qu’elle détient depuis 2004 de pays organisateur de « la plus grande journée électorale du monde ». La tâche de la KPU, la commission générale de supervision des élections, s’avère colossale. Or, contrairement à ce qui s’était passé en 2004, sa composition a fait l’objet de nombreuses controverses et elle est confrontée à plusieurs problèmes techniques et logistiques embarrassants. Les plus bénins portent sur des bulletins de vote incorrectement imprimés, d’autres en nombre insuffisant ou envoyés aux mauvais endroits, ainsi que sur des horaires de scrutins incertains et un matériel de vote mal acheminé. De plus, cela est laissé aux mains d’un personnel manquant d’expérience et met en lumière le manque de préparation et de compétences de la KPU. Mais, le pire fut que les listes électorales étaient contestables. Près d’un million d’électeurs n’avaient en effet pas été enregistrés, alors que d’autres l’étaient dans plusieurs bureaux de vote, que certains étaient déjà morts et que de nombreux militaires, qui n’avaient en principe pas le droit de vote, y participèrent. Tout cela suscita des accusations de manipulations envers la KPU et jetta un doute sur la complète honnêteté du scrutin. Malgré ces problèmes non négligeables, ce dernier se déroula dans de bonnes conditions et sans aucune violence, validant ainsi la bonne performance de l’Indonésie en matière d’élections gigantesques pacifiques.

22Les résultats en étaient surprenants. Premièrement, l’éventail politique du pays se rétrécissait considérablement. Sur 38 partis ayant été autorisés à participer au scrutin, seuls 9 franchissaient en effet la barre de 2,5% de voix désormais exigés pour obtenir des sièges au DPR, une forte diminution par rapport aux 16 qui avaient eus des élus dans la précédente législation¹². Sept de ces partis siégeaient déjà dans le précédent DPR, où ils occupaient ensemble la presque totalité de l’hémicycle, seuls deux d’entre eux étant des nouveaux venus dans la course. Plus jeune formation parmi les grands partis de la législature sortante (dans laquelle il n’était arrivé que cinquième en nombre de voix et de sièges), le PD de SBY était le grand vainqueur du scrutin¹³. Il arrivait en effet largement en tête avec 20,9% des suffrages et 148 élus, triplant presque son score par rapport à 2004, où il n’avait obtenu que 7,5% des voix et 55 sièges. Cela constituait clairement une confirmation de la satisfaction d’une grande partie de l’électorat concernant le travail accompli depuis cinq ans et de la popularité du président. qui recueillait 70% d’opinion favorable. En seconde position, on retrouvait l’inoxydable GOLKAR, présidé par Jusuf Kalla, avec 14,5% des voix et 106 députés, mais il avait perdu plus de 7 points et de 23 sièges par rapport à 2004. Cette dégringolade s’expliquait en partie par le fait que dans l’alliance gouvernementale passée avec le PD, c’était le président SBY qui avait attiré la lumière sur lui, même si le vice-président Kalla avait fait une bonne partie du travail en coulisse au nom du GOLKAR. Ce dernier était talonné par le PDI-P de Megawati qui obtenait 14% des votes et 94 représentants, reculant un peu moins que son grand rival, mais lui aussi en baisse de 4,5 points et de 15 sièges. Son fléchissement s’expliquait par l’usure de Megawati et le népotisme qui l’entourait. À l’évidence, c’est le PD qui avait bénéficié de ce double déclin, en attirant à lui une bonne partie des électeurs ayant voté au préalable pour le PDI-P, voire même le GOLKAR.

23De leur côté, les quatre partis islamiques, le PKB, le PPP, le PAN et le PKS, obtenaient un score combiné très décevant par rapport à celui qu’ils avaient enregistrés cinq ans plus tôt : 24,1 contre 32,5% des voix, une baisse de plus de 8 points, et 168 contre 208 sièges, une perte de 40 unités. Alors que le pays traversait une vague de ré-islamisation conquérante et que l’islamisme le plus radical avait pignon sur rue, l’islam politique, qui avait toujours attiré entre 30 et 40% de l’électorat dans les scrutins libres de 1955, de 1999 et de 2004, retombait en dessous la barre des 25%, l’un de ses étiages le plus bas (comparable aux pires scores enregistrés lors des consultations sous contrôle du temps de l’Ordre nouveau). En fait, pris séparément, deux partis perdaient le plus de terrain en 2009 par rapport à 2004, le PKB (4,9% des voix et 28 sièges contre 10,6% et 52) et le PPP (5,3% des voix et 38 sièges contre 8,2% et 58), alors que le PAN se maintenait plus ou moins (6,0% des voix et 45 sièges contre 6,4% et 53) et que le PKS gagnait légèrement (7,9% des voix et 57 sièges contre 7,3% et 45). Le fait que le PKB a perdu plus de la moitié de son audience est essentiellement dû aux manœuvres en coulisse de Gus Dur (pourtant très malade et qui décéderait avant la fin de l’année en cours). Toujours imprévisible et mécontent de la manière dont le président du PKB en exercice conduisait les affaires du parti, le vieux leader islamique l’avait beaucoup affaibli en déclarant qu’il ne voterait pas pour lui - amenant certainement beaucoup de membres du NU, où il demeurait une icône, à le suivre dans cette voie. Pour le PPP, son déclin marqué était aussi dû à des conflits internes et à son incapacité à se renouveler. Quant au PAN, sa stagnation résultait de la démission d’Amien Rais de la présidence en 2005 et du fait que la Muhammadiyah, en pleine crise d’identité et déçue de ne plus avoir autant d’influence sur lui, ne le soutenait plus aussi fortement. Finalement la très légère progression du PKS n’était guère satisfaisante pour ses responsables qui avaient espéré obtenir jusqu’à 20% des voix. À noter que le PBB, ayant perdu toute crédibilité du fait de l’implication de certains de ses leaders dans des affaires de corruption, n’avait pas obtenu le minimum requis de 2,5% des voix et disparaissait du DPR.

24Les deux nouveaux partis créés pour ces législatives et surtout en vue des présidentielles qui allaient suivre, le HANURA et le GERINDRA, consacraient le retour de deux anciens militaires sulfureux sur le devant de la scène politique. Comme le PD, fondé en 2001 pour servir de machine de guerre électorale à SBY, avec le succès que l’on sait, ces formations étaient au service des intérêts d’un seul homme prétendant revêtir un habit de sauveur providentiel. Le HANURA (Partai Hati Nurani Rakjat ou Parti de la conscience du peuple) était présidé par notre vieille connaissance le général Wiranto, ancien chef suprême des forces armées à la fin du règne de Suharto et ministre éphémère sous Gus Dur. Ce haut gradé avait mené le ticket du GOLKAR à la bataille présidentielle en 2004 et avait été sèchement disqualifié au premier tour. Toujours suspecté de crimes à Timor Est, mais ayant jusque-là échappé à la justice, le général à la retraite avait créé son propre parti, en pensant sûrement que l’on n’était jamais si bien servi que par soi-même. Il obtint 3,8% des voix et 18 sièges. Le GERINDRA (Partai Gerakan Rakjat Indonesia Raya ou Parti du mouvement populaire pour la grande Indonésie !), était présidé par un véritable revenant, Prabowo Subianto, ancien lieutenant-général à la tête du KOSTRAD et gendre de Suharto. Ce dernier avait été déchu de ses fonctions et dépouillé de ses galons en 1998 pour le rôle trouble joué au moment de la chute de son beau-père. Parti en exil en Jordanie pour se faire oublier et revenu en Indonésie après quelque temps, Prabowo s’était lancé en affaires aux côtés de son richissime frère, Hashim Djojohadikusumo, et avait candidaté en 2004 à la nomination pour les présidentielles sous les couleurs du GOLKAR, qui lui avait préféré son vieil ennemi Wiranto. Comme lui, il avait alors considéré que le meilleur moyen d’arriver à servir ses immenses ambitions et d’arriver au pouvoir suprême était de créer son propre parti, chose rendue possible grâce à la fortune familiale, et il avait démissionné pour ce faire du GOLKAR en 2008. Ne laissant de côté aucun des moyens lui permettant d’atteindre ses fins, il avait même réussi - lui, enfant de l’élite du pays, qui n’avait mis les pieds dans la boue des rizières que pour y mener des opérations militaires - à se faire élire en 2004 président de l’Association indonésienne des paysans (HKTI) ! Il avait aussi pris, la même année, la tête de l’Association indonésienne de Pancak Silat (IPSI), l’art martial indonésien traditionnel imprégné d’une dimension un peu sacrée. Ces deux fonctions au sein de la société dite civile étaient bien évidemment censées lui apporter un fort soutien populaire. Il avait fait un peu mieux que Wiranto et obtenu 4,5% des voix et 26 sièges au DPR. Bien qu’ils aient probablement tous deux siphonnés des voix au GOLKAR et à certains partis islamiques, le résultat était décevant et loin de répondre à leurs attentes.

25Suite à ces élections, l’Assemblée nationale a été l’objet d’un grand changement : de nombreux membres sortant du DPR ne furent pas réélus et l’on assista à un renouvellement d’environ 70% de la députation nationale. En effet, la Cour constitutionnelle avait imposé une modification de la loi électorale au nom du respect de la constitution. Selon cette nouvelle règle, les sièges sont désormais attribués par rapport au nombre de voix obtenues par les candidats, et non plus en fonction de leur place sur la liste du parti. Cela a donc permis à certains jeunes candidats prometteurs de passer devant les vieux caciques qui leur barraient le chemin. Comme on pouvait le prévoir, compte tenu des difficultés rencontrées par la KPU pour organiser les élections, leurs résultats furent contestés. Le PDI-P, le GOLKAR et le HANURA crièrent notamment au scandale et demandèrent d’abord un recomptage des voix. Puis ils exigèrent de réorganiser le scrutin, menacèrent de poursuivre le gouvernement et la commission pour fraude délibérée et envisagèrent même de boycotter les présidentielles. La Cour constitutionnelle ne reçut pas moins de 722 réclamations formelles provenant de la plupart des 38 partis en compétition et des quatre coins de l’archipel. Elle dut prendre le temps de les examiner et d’y répondre, les rejetant toutes en fin de compte. Mais l’annonce des résultats définitifs fut aussi repoussée du fait des défaillances du système de comptage électronique mis en place à grand frais par la KPU. Ils ne furent finalement prononcés que le 17 septembre, plus de cinq mois après le jour du scrutin ! Alors que les élections de 2004 s’étaient déroulées sans rencontrer de vraies difficultés, celles de 2009 ne furent pas à la gloire du gouvernement et de la KPU. Cette dernière s’avéra hélas incapable de remédier aux problèmes constatés avant les élections présidentielles de juillet qui furent donc, elles aussi, contestées.

26Comme de coutume, la formation des tickets présidentiels donna lieu à des tractations de maquignon entre les adversaires et les partenaires. Avant les législatives, SBY avait déjà forgé, comme en 2004, une alliance entre le PD et les quatre partis islamiques, le PKB, le PPP, le PAN et le PKS, afin d’être à même de former une coalition pouvant soutenir son ticket présidentiel. Ce tropisme islamique lui liera d’ailleurs les mains et explique en bonne partie pourquoi son bilan en matière de respect des libertés religieuses sera si mauvais pendant son second mandat. Mais après les élections et l’excellent résultat enregistré par le PD, le président se sent plus libre. Les nouvelles règles en vigueur ne l’obligent en effet pas nécessairement à former une telle coalition, puisqu’elles stipulent qu’il faut qu’un parti ait obtenu au moins 20% des sièges ou 25% du suffrage populaire pour nominer à lui seul des candidats à la présidentielle. Le PD ayant obtenu le score requis peut donc éventuellement avancer seul et, au minimum, temporiser avant d’annoncer la couleur, en attendant pour voir et décider au dernier moment, la tactique qui avait naturellement la préférence de SBY. Il n’avait en tous cas pas l’intention de renouveler son alliance avec le GOLKAR, sorti affaibli du scrutin, ni de reformer un ticket présidentiel en compagnie de Kalla, avec lequel les relations s’étaient progressivement détériorées au fil des ans. Il reprochait en effet à son vice-président d’avoir empiété fréquemment sur son domaine réservé et d’avoir pris des décisions contraires à sa volonté sans l’en informer. À l’inverse, ce dernier avait conçu une irritation croissante devant l’indécision chronique du président et sa capacité à tirer toute la gloire de succès dont il était le principal artisan, comme pour les accords rétablissant la paix à Aceh.

27Compte tenu de cela, le GOLKAR, décida de forger une coalition avec le HANURA et de soutenir un ticket présidentiel formé de Jusuf Kalla et Wiranto. De son côté, le PDI-P, tout aussi embarrassé, n’eut pas d’autre choix que d’ouvrir des négociations pour faire de même avec le GERINDRA. Le leader de ce nouveau parti encore mineur, Prabowo, prétendait, fidèle à son immense vanité, être candidat au poste suprême et non pas à celui de vice-président. Mais ce fut impossible au vu des forces respectives en présence, et la négociation déboucha finalement sur la nomination d’un ticket Megawati-Prabowo. L’ironie de l’histoire et le cynisme politique combinaient leurs effets délétères pour donner naissance à un couple présidentiable fort improbable et même contre-nature entre la fille de Sukarno et l’ex beau-fils de Suharto ! Rien ne pouvait mieux illustrer l’emprise durable sur les affaires du pays d’une élite politique javanaise, issue de l’époque de la lutte pour l’indépendance, et de l’oligarchie à laquelle elle appartenait, qui avait vu le jour sous l’Ordre nouveau. Pour sa part, SBY choisit au bout du compte comme colistier Boediono, un universitaire et économiste javanais respecté qui avait une longue carrière de serviteur de l’État derrière lui. Il avait en effet été patron du BAPPENAS sous Habibie, ministre des finances sous Megawati, ministre coordinateur des affaires économiques de 2005 à 2008 sous SBY, en remplacement d’Aburizal Bakrie, et, finalement, gouverneur de la Banque centrale depuis lors ! Modeste et effacé, il n’allait au moins pas faire d’ombre à SBY, comme Kalla, et accomplirait un très bon travail sur le plan économique et social. Mais le fait qu’il ne soit pas un politicien professionnel ni même membre d’un grand parti particulier allait constituer un handicap certain lors de ce second mandat. De plus, comme le ticket du PDI-P, celui du PD était purement javanais. Le seul des trois qui avait respecté la tradition consistant à établir un équilibre au niveau de la présidence entre Java et le reste de l’archipel, celui du GOLKAR, n’allait cependant pas être récompensé, loin s’en faut. Le premier tour du scrutin, qui eut lieu le 8 juillet, se solda en effet par une victoire écrasante du ticket présidentiel de Yudhoyono et Boediono, par 60,8% des voix, contre seulement 26,8% pour celui de Megawati et Prabowo et un pitoyable 12,4% pour celui Kalla et Wiranto. Fait sans précédent marquant ces élections générales de 2009, il n’y aurait donc pas de second tour pour les présidentielles.

28Ce triomphe de SBY n’était pas une surprise. Le scrutin s’est fait sur l’image des candidats dans l’opinion publique et la sienne était bien supérieure à celle de Jusuf Kalla, moins imposante, ou de Megawati, très dégradée, qui étaient de plus tous deux handicapés par un colistier à la carrière militaire lourde à porter. Dans l’ensemble la population était satisfaite de son premier mandat et notamment des mesures prises pour améliorer le revenu des plus pauvres ou des investissements réalisés dans l’éducation et la santé. Les premiers succès de la lutte anti-corruption portaient aussi leurs fruits. Étant donné les difficultés rencontrées par la KPU, les candidats malheureux contestent néanmoins les résultats devant la Cour constitutionnelle, inaugurant ainsi une pratique qui va hélas devenir une tradition lors des élections présidentielles futures. Les partisans de Megawati assurent que 28,6 millions de votes ont été attribués faussement à SBY et que ce dernier n’a obtenu que 48,7% des suffrages, ce qui rend nécessaire l’organisation d’un second tour entre les deux tickets du PD et du PDI-P. Le camp de Kalla essaie pour sa part de prouver que le ticket du GOLKAR a obtenu 39 millions de voix et qu’il est arrivé en deuxième position, ce qui implique aussi un second tour face au PD. Leurs deux requêtes sont repoussées à la mi-août par le Cour constitutionnelle. En fait, le problème majeur est lié à l’actualisation des listes électorales et aux errements de la KPU. Des millions d’électeurs avaient en effet été enregistrés plus d’une fois ou ne l’avaient pas été du tout. Cela avait sûrement eu une incidence sur l’exactitude du scrutin, mais pas au point de justifier son invalidation. C’était d’autant plus le cas que la Cour constitutionnelle, pour parer à l’indécision de la KPU, avait décidé deux jours avant que les électeurs aillent aux urnes, que ceux qui n’étaient pas enregistrés pouvaient voter en présentant leur carte d’identité. Elle en profita pour épingler la commission électorale pour son manque de professionnalisme. De nombreuses voix s’élevèrent alors pour exiger la démission de ses membres, mais ils avaient été élus jusqu’en 2012 et continueraient donc à organiser les élections locales à venir, avec le risque de rencontrer les mêmes difficultés. L’opinion publique ne fut pas vraiment perturbée par toutes ces péripéties et considéra que le scrutin avait été dans son ensemble honnête et transparent. Réélu facilement et investi d’une large confiance populaire, SBY avait donc toutes les cartes en main pour hausser le rythme des réformes et accomplir un second mandat qui consoliderait la démocratie. Il n’en fut malheureusement rien.

29Les premiers signes inquiétants se manifestèrent dès la formation du nouveau cabinet ministériel. Malgré les conflits très durs de la période électorale, le naturel revint au galop et l’Indonésie retomba dans les vieux travers de sa culture politique consensuelle. La plupart des partis, y compris ceux qui s’étaient opposés farouchement à SBY, firent tout leur possible pour faire partie du gouvernement. De son côté, ce dernier, qui disposait pourtant, entre le PD et les partis islamiques qui avaient soutenu sa candidature, d’une majorité de 316 sièges sur les 560 du DPR, ne résista pas à la tentation de l’élargir autant que possible, en faisant des offres à tous ses anciens concurrents. On était reparti dans l’attraction viscérale pour la formation de cartels qui caractérise la politique nationale. Elle n’alla toutefois pas au bout de sa logique. Le GOLKAR est en effet sorti affaibli de cette épreuve par l’échec de Jusuf Kalla à la présidence. Alors ce dernier quitte la tête du parti et cède sa place à un autre oligarque majeur, Aburizal Bakrie, de retour sur le devant de la scène (malgré la catastrophe de Lapindo !), qui s’empresse de rallier le camp du vainqueur. La rancune de Megawati envers SBY retint de justesse son parti d’en faire autant, en dépit des pressions de son époux Taufik Kiemas pour l’en convaincre suite à son élection à la présidence du MPR obtenue avec l’appui du PD. Le PDI-P resterait donc dans l’opposition, avec le GERINDRA et le HANURA.

30Le pays avait échappé de peu à une cartellisation complète de la sphère politique. Logiquement, le gouvernement issu de ces tractations reflétait la nouvelle coalition ainsi formée et ressemblait à un demi arc-en-ciel. N’échappant pas à la règle pléthorique habituelle, il comptait 34 membres, dont la plupart étaient des politiciens appartenant aux partis alliés, mais ayant souvent des inclinaisons idéologiques et des intérêts politiques fort différents. En faisaient aussi partie un bon nombre de personnalités de la société civile appelés pour leurs compétences, dont cinq femmes. Cette diversité se reflétait à travers les trois ministres coordinateurs, qui allaient d’ailleurs rester en place pendant tout le quinquennat, preuve de stabilité appréciable. Le premier, chargé des affaires politiques et de sécurité, était un militaire à la retraite de l’armée de l’air, sans appartenance partisane mais proche de SBY, le maréchal Djoko Suyanto. Le second, responsable du secteur économique, était Hatta Rajasa, un sumatranais membre influent du PAN, dont il allait d’ailleurs prendre la présidence sous peu. mais aussi un homme très proche de SBY, puisque sa fille avait épousé le fils cadet de Yudhoyono. Le troisième, qui supervisait le domaine du bien-être de la population, était Agung Laksono, président du DPR de 2004 à 2009 et l’un des ténors du GOLKAR.

31Compte tenu du soutien très précoce de tous les partis islamiques à sa candidature, le second gouvernement de SBY comptait aussi, outre Hatta Rajasa, un assez grand nombre de leurs représentants, y compris certains tenants d’une ligne très conservatrice et ayant même des accointances avec les mouvements islamistes les plus radicaux. C’était notamment le cas du ministre des affaires religieuses Suryadharma Ali. Ce dernier avait remplacé à la tête du PPP en 2007 Hamzah Haz, l’ancien vice-président de Megawati. Il allait se montrer aussi intolérant que lui sur les questions de liberté religieuse et cela va jeter une ombre particulièrement négative sur ce second quinquennat. L’autre ministre qui enfourchera le même cheval de bataille est Gumawan Fauzi, un Minangkabau. Il avait été membre du PDI-P et gouverneur de Sumatra Ouest de 2005 à 2009, avant de rejoindre le PD et était le premier civil depuis à l’époque de Sukarno à prendre la tête du très stratégique ministère de l’intérieur. Ces deux politiciens resteront hélas tous deux également en fonction pendant toute la durée de ce second quinquennat. Cela démontre que la recherche de la stabilité gouvernementale peut parfois constituer un handicap pour mener une politique éclairée !

32Parmi les personnalités de la société civile faisant partie du cabinet, on trouvait en particulier Marty Natalegewa, un diplomate élégant et chevronné, qui reprenait les affaires étrangères et resterait aussi à son poste de 2009 à 2014. Il y avait aussi une femme très compétente et respectée, Sri Mulyani Indrawati, au poste déterminant de ministre des finances qu’elle occupait depuis 2005. Elle n’y restera malheureusement pour sa part qu’un peu plus de six mois. La cohésion gouvernementale fragile de ce cabinet disparate ne dura en effet pas longtemps, puisque le GOLKAR lança une campagne vicieuse dirigée contre elle et le vice-président Boediono. Ce parti était mécontent du fait que Sri Mulyani ait pris des mesures qui désavantageaient le conglomérat de son nouveau richissime secrétaire général, Aburizal Bakrie. Ce dernier les accusait d’avoir joué un rôle discutable dans le renflouement de la Bank Century, rendu nécessaire dans la foulée de la crise financière de 1998. Confronté à un choix cornélien, chose dont il avait horreur, SBY choisit un peu lâchement de sauvegarder son alliance avec le GOLKAR et de sacrifier sa meilleure ministre. Il lui trouva toutefois un point de chute prestigieux comme directrice exécutive à la Banque mondiale, poste qu’elle occupera de 2010 à 2016, avant de revenir prendre en main le ministère des finances dans le gouvernement de son successeur Joko Widodo. Toujours est-il que cela n’augurait rien de bon pour ce second mandat. Et l’avenir prouva que les craintes alors soulevées par cette piteuse affaire n’étaient pas infondées.

Début de stagnation démocratique : état de droit et libertés religieuses menacées

33C’est au niveau du respect de l’état de droit, des droits de l’homme et surtout de la liberté religieuse que la situation se dégrada cependant le plus gravement. Dans le domaine des droits de l’homme, SBY avait hérité d’un cas particulièrement délicat avec l’affaire Munir. Cet activiste très vocal avait été assassiné par empoisonnement, en septembre 2004, sur un vol de la compagnie nationale Garuda le menant à Amsterdam. De fil en aiguille, un coupable fut arrêté quelques mois plus tard, en la personne d’un pilote de la compagnie, Pollycarpus Budhihari Priyanto, qui fût condamné à perpétuité pour ce meurtre. Toutefois, il était clair pour l’opinion publique qu’il s’agissait là d’un exécutant dont le bras avait été armé par la puissante et très opaque BIN (Badan Intelijen Negara ou Agence de sécurité de l’État). Sous la pression internationale, une enquête fut finalement diligentée qui conclut à la responsabilité de Muchdi PR, directeur-adjoint et ancien commandant dans les forces spéciales. Ce dernier sera arrêté en 2008, jugé, mais acquitté au terme d’un procès hautement suspect d’interventions et intimidations en tous genre. C’est justement pour ne pas être accusé de cela et ne pas ternir l’image à laquelle il tenait tant sur la scène internationale que SBY laissa faire et n’intervint pas pour obtenir que justice soit rendue.

34Dans un tout autre domaine, il laissa aussi faire la répression qui s’accentua fortement entre 2006 et 2014 envers les prisonniers politiques de Papua et des Maluku. Des partisans de l’OPM (Operasi Papua Merdeka) ou de la RSM (Republic of South Maluku) avaient en effet été accusés et lourdement condamnés pour rébellion, après avoir juste hissé le drapeau de leurs mouvements respectifs. Face à cela, le président tergiversa, selon son habitude, mais refusa finalement de prendre des décisions en matière de droit humains et d’assumer les risques politiques encourus. Pourtant, la société civile de plus en plus active et la communauté internationale réclamaient avec force que l’Indonésie fasse enfin la lumière sur toutes les atteintes aux droits de l’homme et sur les crimes de guerre, voire même contre l’humanité, commis pendant toute la durée de l’Ordre nouveau. Sous la pression de l’armée et de certains de ses anciens principaux officiers supérieurs, devenus hommes politiques de premier plan, comme Wiranto et Prabowo, qui étaient particulièrement menacés, il laissa ainsi s’enliser dans les sables mouvants la loi votée en 2004 par le DPR pour instituer une commission « vérité et réconciliation » de type sud-africain. Il ne ratifia jamais non plus le Traité de Rome sur la Cour internationale de justice qui aurait permis d’instruire et juger ces cas.

35De manière similaire, SBY déploya toutes ses qualités de procrastination pour éviter d’entrer en matière sur le problème de loin le plus grave soulevé en 2012 dans le rapport très détaillé et courageux de la KOMNAS-HAM, la Commission nationale des droits de l’homme. Ce document décrivait le massacre en 1965-66 de peut-être un million de personnes soupçonnées d’être liées au PKI, et soulignait que le pays devait faire enfin la lumière sur cette violation massive des droits de l’homme. Comme les survivants de cet holocauste disparaissaient les uns après les autres, vu leur grand âge, c’était le dernier moment pour que l’Indonésie essaye enfin de faire la vérité sur cette terrible période et de retrouver en partie par ce biais son honneur perdu. L’armée et les partis politiques héritiers des organisations responsables de cette boucherie, principalement islamiques mais également nationalistes laïques de droite, s’élevèrent avec force contre ce qu’ils dénoncèrent comme une manœuvre d’éléments communistes subversifs. Fidèle à son tempérament, et particulièrement embarrassé du fait de l’implication personnelle directe et déterminante de son défunt beau-père Sarwo Edhie dans les tueries, SBY se déchargea hélas comme toujours de ce problème empoisonné sur ses ministres. Fin 2012, le ministre coordinateur des affaires politiques et de sécurité, le maréchal (en retraite) Djoko Suyanto, rejeta les conclusions du rapport de la KOMNAS-HAM, laissant entendre que ces massacres avaient été justifiés !

36Malgré le fait qu’elle ne soit plus un acteur politique direct, l’armée continuait donc à exercer une très grande influence sur le pouvoir - aux mains de l’un des siens en l’occurrence. Les exactions diverses qui continuaient à être épisodiquement commises par elle dans l’archipel, comme la mort de cinq personnes sur lesquelles la troupe avait fait feu en mai 2007, autour d’un conflit foncier à Pasuruan, ont rarement débouché sur des verdicts de culpabilité par des juges intimidés et corrompus. En fait, SBY n’a pas vraiment fait d’efforts pour poursuivre les réformes initiées dans ce domaine par ses trois prédécesseurs civils, B.J. Habibie, Gus Dur et Megawati. Il aurait fallu parachever la transformation de la TNI et de la POLRI pour les rendre plus compatibles avec les règles de fonctionnement d’un pays démocratique. Or, le président n’a pas approfondi les réformes dites de deuxième génération, qui consistent d’une part dans le démantèlement du modèle coercitif mis en place par le régime autoritaire antérieur et d’autre part dans l’établissement du pouvoir civil sur l’armée. Il est passé directement au troisième niveau, celui de sa plus grande professionnalisation, afin qu’elle puisse exercer efficacement ses tâches de défense¹⁴. Bref, il n’a pas pu ni probablement vraiment voulu terminer le travail de transformation institutionnelle entrepris. En effet, il s’agissait d’abord de soumettre sans conditions la force militaire au pouvoir civil, ensuite d’exiger sa transparence budgétaire, d’encourager son sens des responsabilité et finalement, de demander que l’armée réponde de ses actes devant la justice. Le président est passé bien trop vite à la phase de renforcement de l’armée et de la police. Les budgets de la TNI et de la POLRI furent donc augmentés très fortement entre 2006 et 2013, quadruplant presque pour la première et faisant plus que doubler pour la seconde, alors qu’il y avait encore beaucoup à faire pour les mettre aux nouvelles normes démocratiques. Il faut dire que SBY ne fut guère encouragé à aller plus loin, puisque les États-Unis, se contentant eux-mêmes du travail à moitié fini qui avait été accompli, reprirent dès 2005 leur aide militaire à l’Indonésie, en dépit des violations des droits de l’homme par l’armée ou la police et l’impunité des responsables. Le bilan de SBY dans ce domaine de la sécurité pendant ses dix années au pouvoir est donc décevant.

37Néanmoins, c’est par rapport au respect des libertés religieuses que la situation va véritablement devenir effrayantes et porter atteinte à l’image bien établie de tolérance de l’Indonésie et de maîtrise de son président sur le cours des choses. Le nombre d’incidents de violence religieuse triple entre 2007 et 2012, passant de 90 à 264, alors que les cas de violations des libertés religieuses quadruple, de 93 à 366, pendant le même laps de temps, les deux déclinant ensuite légèrement en 2013 et 2014. Cette intolérance religieuse croissante, qui accompagne la réislamisation en cours au sein de la société, s’exerce essentiellement envers deux groupes islamiques minoritaires dans le pays, le mouvement Ahmadiyah et les musulmans chiites. Mais des communautés chrétiennes sont également visées. Les responsables de ces violences sont principalement les membres de l’organisation islamiste radicale du FPI qui s’est déjà illustrée en participant au jihad à Poso ou aux Maluku et en lançant des actions pour lutter contre les activités « impures » (haram) à Jakarta et dans d’autres grandes villes. Toutefois, ils vont tirer profit de l’ambiance d’intolérance croissante régnant au sein de l’islam sunnite majoritaire. Cette intolérance est hélas fortement avivée par le gouvernement et par plusieurs de ses ministres islamiques les plus conservateurs, qui entretiennent au minimum une coupable complaisance envers ces exactions, ainsi que par la passivité de SBY à ce sujet.

38La principale cible de la vindicte des manifestants radicalisés est la communauté des Ahmadiyah. Ce mouvement musulman réformiste a été fondé à la fin du 19^e siècle au Penjab par Mirza Ghulam Ahmad, qui se présente comme un nouveau guide (mahdi) auquel Allah a confié la tâche de restaurer la religion islamique dans sa pureté. Or, pour l’islam majoritaire, cette « restauration religieuse » est une véritable hérésie puisque Mahomet est le dernier des prophètes. Comptant plus de 10 millions d’adeptes dans le monde, mais principalement implanté au Pakistan, où il est aussi persécuté, ce mouvement est pacifiste et très actif dans le domaine social. Il est présent depuis 1925 en Indonésie, où il compte quelque 400 000 membres vivant principalement à Java Ouest. D’abord toléré, il a rapidement été considéré comme hérétique par les grandes organisations islamiques comme le NU ou la Muhammadiyah. En 1980, il fut d’ailleurs déjà condamné en tant que tel dans une fatwa prononcée par le MUI. Il fut ensuite victime de nombreuses discriminations, mais c’est après la fin de l’Ordre nouveau, à partir de 2000, qu’il commença à subir de véritables violences. Néanmoins, c’est bien sous la présidence de SBY qu’est prise en 2008 une décision qui déchaîne la furie à son égard. Ce décret interdit les activités du mouvement Ahmadiyah. Il a été émis par le très conservateur ministre des affaires religieuses, Suryadharma Ali, et son collègue à la tête du ministère de l’intérieur, Gamawan Fauzi, et a été soutenu par le procureur général et plusieurs autres membres du gouvernement. Dans  leur esprit, ces mesures devaient forcer les Ahmadi(s) à abandonner leurs croyances et à réintégrer la «vraie foi » de l’islam sunnite. Cette décision déclencha différentes attaques contre les intéressés, principalement menées par le FPI. Elles culminèrent en février 2011, quand une foule chauffée à blanc de plus d’un millier de personnes s’en prit à un petit groupe d’une vingtaine de membres de la communauté Ahmadi à Cikeusik, une petite localité de Java Ouest, tuant trois d’entre eux avec une sauvagerie inouïe. D’autres actions de ce genre, qui ne firent heureusement pas plus de morts, eurent lieu dans les mois suivants, sans entraîner d’intervention énergique de la police, qui y assista de manière passive. Quant au président, il intervint pour demander le respect de la loi et condamna mollement la violence, mais ne fit rien pour en arrêter la propagation et ne réprimanda pas ceux de ses ministres qui avaient fait des déclarations incendiaires pour allumer puis entretenir le feu.

Photo 49 : Manifestations contre la secte Ahmadiyah en février 2011 à Java Ouest

39La minorité chiite est attaquée selon un scenario similaire, alors que cette communauté est présente en Indonésie depuis la période précoloniale et compte environ 2 millions de personnes, principalement établies à Java Est et Madura. En 2010 et 2011, plusieurs attaques eurent déjà lieu à Java Est contre un pesantren chiite renommé situé à Bangil, faisant des blessés et causant des dégâts. Mais c’est à Madura que les tensions qui existaient depuis longtemps entre les deux branches rivales de l’islam dégénérèrent en 2011 quand une foule haineuse attaqua la petite communauté chiite de Sampang, mettant le feu à son école et obligeant ses quelque 500 membres à fuir momentanément. En janvier 2012, la branche locale du MUI déclara d’ailleurs que les enseignements du chiisme étaient blasphématoires et son leader, Tajul Muluk, fut condamné à deux puis quatre ans de prison pour ce délit. Diverses exactions continuèrent à se produire et, en août 2012, l’une d’entre elles, plus violentes que les autres, fit deux morts et amena toute la communauté à trouver refuge dans un stade, avant d’être finalement forcée à évacuer les lieux en juin 2013 pour un camp de réfugiés situé à Pasuruan, à Java Est, où elle se trouvait encore au moment où SBY quitta le pouvoir. Là aussi, le président ne fut pas à la hauteur. Il fit bien une déclaration critiquant la police pour ne pas être capable de faire respecter la loi et l’ordre, mais cela ne fut suivi d’aucune action de sa part pour s’assurer que ce soit le cas. Il ne réagit même pas quand son ministre des affaires religieuses prit son contre-pied en déclarant que les chiites n’étaient pas de vrais musulmans et devaient se convertir à l’islam sunnite.

40Pour les chrétiens, le principal problème pendant les années où SBY est au pouvoir fut lié à la construction de nouveaux lieux de culte. Cela n’avait jamais été facile, mais devint particulièrement compliqué après l’adoption en 2006 d’une nouvelle loi très restrictive en la matière. Les différents à ce sujet étaient notoirement plus fréquents et graves à Java Ouest, vieille terre de l’islam intégriste. Les deux cas qui firent le plus parler d’eux sont ceux des temples protestants Yasmin à Bogor et Filadelfia à Bekasi. Ces derniers avaient pourtant reçu l’autorisation officielle de construction mais à laquelle les autorités locales s’opposèrent. En plus des difficultés rencontrées pour bâtir de nouveaux lieux de culte, plus de 400 de ceux qui existaient déjà firent l’objet d’attaques croissantes entre 2004 et 2014, certains étant obligés de fermer. Malgré cela, sûrement stimulé par cet islamisme militant, le christianisme continua à s’étendre, les fidèles privés de lieux de culte se réunissant dans des hôtels. Ainsi, 25% de la population de Surakarta, un haut lieu de l’islamisme radical, étaient chrétiens en 2007 ! Comme dans le cas des deux minorités islamiques, le président se lava un peu les mains du sort des chrétiens, déclarant qu’il avait confié la résolution du problème au gouverneur de la province de Java-Ouest et aux maires des villes concernées.

41La responsabilité de SBY est donc grande dans le déclin de la tolérance et de la liberté religieuses¹⁵. On a vu que le choix de certains ministres, issus des partis islamiques qui avaient soutenu son mandat, y avait largement contribué. Mais il procéda à d’autres nominations de personnalités très clairement hostiles au pluralisme et au droit des minorités religieuses qui jouèrent un rôle tout aussi néfaste en la matière. Ce fut notamment le cas de son secrétaire d’État pendant toute la durée du second mandat, le général (à la retraite) Sudi Silalahi, qui avait entretenu des rapports très étroits avec les jihadistes aux Maluku au début des années 2000. Il en va de même pour le chef de la police nationale qu’il nomma en 2010, le général Timur Pradopo, un homme proche du FPI, auquel il avait eu souvent recours pour des opérations de « maintien de l’ordre » quand il était responsable du district de Jakarta Ouest de 1997 à 1999. Mais la plus déterminante de ces nominations fut probablement celle de Ma’ruf Amin en 2007 comme membre de son Conseil consultatif présidentiel. Dignitaire influent du NU et ancien représentant au DPR pour le PKB de 1999 à 2004, il avait surtout dirigé à partir de 2000 la Commission des fatwa du MUI, dont il deviendra d’ailleurs bientôt le tout puissant président¹⁶. À ce titre, il était responsable de certains des avis de droit islamique les plus réactionnaires et controversés du MUI, dont un sur le sécularisme, le pluralisme et le libéralisme, jugés contraires à l’islam, ou celui contre le mouvement Ahmadiyah, tous deux édictés en 2005. Cette instance très conservatrice va même alors jusqu’à interdire le mariage de musulmans avec des conjoints d’autres religions monothéistes, contrairement à ce qui est dit dans le Coran, ou les prières conjointes avec des non-musulmans ! Selon les spécialistes de l’islam indonésien, Mar’uf Amin avait l’oreille et la confiance de SBY, ce qui explique largement pourquoi la politique religieuse prit un virage aussi conservateur pendant son second mandat.

42Toutefois cette intolérance religieuse croissante résulte elle-même d’un certain nombre d’évolutions structurelles et convergentes de l’islam indonésien qu’il est nécessaire d’évoquer brièvement¹⁷. À la base, il semble toujours y avoir une assez grande continuité, car le clivage qui oppose depuis le début du 20^e siècle les deux versions rivales du nationalisme, l’une d’influence séculariste et l’autre d’inspiration religieuse, reste dominant dans la société indonésienne. Pourtant, un changement majeur s’est produit à partir de 1999, quand les deux grands partis islamiques ayant joué un rôle phare au début de la Reformasi, le PKB pour le NU et le PAN pour la Muhamadiyah, ont accepté officiellement de se placer sous la bannière de l’idéologie étatiste et unanimiste du Pancasila. Mais en même temps, d’autres plus petits partis islamiques aux tendances diverses refusent de le faire, notamment les traditionnalistes du PPP, les modernistes du PBB et une nouvelle génération plus radicale ayant créé le PKS, qui entretiennent tous certaines sympathies pour l’islamisme. Ils vont cependant se compromettre rapidement dans les jeux de pouvoir et être eux-mêmes gagnés par les pratiques de KKN qu’ils dénonçaient, perdant une bonne partie de leur légitimité aux yeux des organisations islamistes les plus radicales. Cela redonne encore plus de visibilité à ces dernières qui se proclament alors comme les seules à défendre les véritables valeurs de l’islam. Elles développent en même temps une stratégie d’entrisme qui consiste à infiltrer toutes les grandes organisations et formations politiques islamiques pour les influencer dans le sens d’un conservatisme accru et de l’intolérance religieuse qui l’accompagne. Elles vont malheureusement rencontrer un certain succès en la matière.

43Pour mieux comprendre les évolutions en cours au sein de l’islam indonésien, il est intéressant de se pencher plus en détail sur le cas de la Muhammadiyah. Cette vieille organisation créée en 1912 représente la tendance modernisatrice de l’islam et est généralement considérée comme centriste et modérée. C’est un monstre centenaire qui compte alors près de 30 millions de membres et qui est très active dans le domaine social, finance et supervise des milliers d’écoles, des dizaines d’universités et des centaines d’hôpitaux et de cliniques. En fait, à l’origine, elle était divisée en deux courants doctrinaires rivaux, l’un fondamentaliste et puritain, qui prônait un retour aux enseignements du prophète Mahomet pour retrouver l’islam pur des origines, et l’autre, résolument moderniste, qui était ouvert à l’enseignement des sciences modernes et au progrès économique et social. Toutefois, au fil du temps, l’opposition entre ces deux courants s’est estompée et ils se sont unis pour faire front commun contre l’islam traditionnaliste et syncrétique, tel que pratiqué par la grande organisation islamique rivale, le NU, considéré par eux comme « obscurantiste ». Mais comme cette dernière a aussi progressivement intégré ces valeurs plus modernes visant à améliorer le bien-être de ses membres, et qu’elle a même pris un tournant résolument libéral et démocratique avec l’arrivée de la génération de Gus Dur et de ses disciples à sa tête dans les années 1980, la rivalité entre les deux courants de la Muhammadiyaha été ravivée. De 1999 à 2005, elle est dirigée par Achmad Syafi’i Ma’arif, un représentant de l’aile moderniste qui poursuit une politique jugée excessivement pluraliste et libérale par le groupe des conservateurs. Or, en 2005, Din Syamsuddin est élu à la tête de l’organisation, accompagné d’une équipe dirigeante formée en majorité d’éléments puritains voire fondamentalistes, dont certains ont des sympathies pour l’islamisme. Bien qu’il ait étudié aux États-Unis et fait un doctorat à l’UCLA, le nouveau président est connu comme un vrai conservateur et il a fait la démonstration de sa fermeture d’esprit quand il était secrétaire général du MUI. Les modérés accusent alors leur organisation d’avoir été infiltrée et influencée par des islamistes proches du PKS ou de groupuscules extrémistes comme le FPI, le MMI ou le HTI, à l’image de ce qui s’était passé un siècle plus tôt quand le PKI avait pris le contrôle du Sarekat Islam, l’une des premières organisations nationalistes d’obédience islamique à s’engager dans la lutte pour l’indépendance.

44En décembre 2006, la nouvelle direction de la Muhammadiyah reconnaît que le problème est réel. Elle réaffirme le caractère apolitique et essentiellement religieux et social du mouvement, qui recherche d’abord l’unité des croyants, mais défend aussi, selon ses dires, la tolérance et le respect mutuel entre tous les éléments de la société. Elle déclare alors qu’elle va désormais lutter contre ces tentatives d’infiltration en se tenant à l’écart de tous les partis politiques, y compris du PKS, dont elle s’était beaucoup rapprochée. Cela dit, elle n’est pas la seule à prendre conscience du danger, puisque sa grande rivale, le NU, qui compte alors de son côté plus de 40 millions de membres et contrôle un réseau également très vaste d’institutions dans le domaine de l’éducation et de la santé, fait part des mêmes soupçons d’infiltration. Il annonce aussi une reprise en main indispensable pour les combattre et remettre l’organisation sur la juste voie d’un enseignement ouvert et tolérant de l’islam. Début 2007, le président du NU, Kyiai Haji Hasyim Muzadi, et Din Syamsuddin, celui de la Muhammadiyah, déclarèrent conjointement que leurs organisations allaient lutter de conserve contre l’extrémisme, pour un islam modéré, pour l’unité entre les musulmans et pour le multiculturalisme.

45Même si les tentatives d’infiltration des islamistes n’ont pas réussi à circonvenir et convertir les grandes organisations islamiques pendant le premier mandat de SBY, leur influence sur elles, sur certains de leurs membres les plus en vue et les plus proches du pouvoir ainsi que sur la société en général, devient de plus en plus forte au cours du second. Les groupuscules islamistes font en effet preuve d’une agressivité croissante et menacent ouvertement les partisans d’un islam libéral comme le JIL. À la tête du combat, le FPI peut se permettre toutes les audaces. En effet, son chef, Riziek Shihab, est reçu par les ministres des affaires religieuses ou de la défense. Avec la complicité de certains éléments de la police, ce chef islamiste n’hésite d’ailleurs pas à frayer avec des gangs de délinquants urbains à l’accoutrement étonnant, enturbannés et vêtus de robes arabes immaculées mais chaussés de « sneakers » américaines tape-à-l’oeil, pour mener des opérations coup de poing. Le seul risque à éviter pour ces gens est d’être assimilés au terrorisme, contre lequel le gouvernement continue à enregistrer des succès. Mais sinon, face à eux, c’est le laisser-faire qui prédomine.

46Grâce à cela, des islamistes arrivent bientôt à imposer certaines de leurs idées. Plusieurs gouvernements régionaux et locaux introduisent ainsi des règles inspirées de la shariah, en particulier pour limiter la liberté des femmes et bannir l’immoralité liée à la boisson, au jeu, à la fréquentation des discothèques et des salons de massage, qui servent il est vrai souvent de paravent à la prostitution. Selon une estimation fiable, ce sont 10% des 440 gouvernements locaux existant en 2005 qui adoptent des lois de ce type, dont la constitutionnalité est hautement discutable, sans que le pouvoir central n’ose intervenir pour ne pas être accusé de violer le principe d’autonomie locale. C’est particulièrement le cas dans les anciennes zones d’influence du Darul Islam à Java Ouest. Bien que le gouvernement ait interdit la pratique au sein de la fonction publique, la polygamie redevient aussi à la mode dans certains cercles islamiques conservateurs. Des gens connus ne se privent même plus de s’afficher polygames, comme le « TV-coraniste » Abdullah Gymnastiar, très populaire auprès des femmes et ayant gagné beaucoup d’argent à travers ses activités de prosélyte, qui prend une seconde épouse en fin 2006. La bonne nouvelle est que sa popularité s’effondre instantanément parmi ses admiratrices. En effet, la polygamie n’a jamais été largement pratiquée en Indonésie et la plupart des femmes et même des hommes la réprouvent. En fait, beaucoup d’Indonésiens acceptent la lutte contre l’immoralité, mais sont inquiets de voir leurs autres libertés être entravées, surtout que les nouvelles règles imposées semblent s’appliquer plus aux pauvres qu’aux puissants. Mais, SBY est aveugle à tout ceci et il manque de courage pour intervenir avec force. Plus attentif au fait de ne pas contrarier la minorité islamiste et ses alliés au sein des partis islamiques qui le soutiennent que d’entendre la majorité silencieuse qui se détourne progressivement de lui, il va donc laisser l’intolérance monter et les libertés religieuses se détériorer jusqu’à la fin de son second mandat. C’est indéniablement là où il a le plus failli. Il se ressaisira juste un peu dans les derniers mois de son deuxième quinquennat en prenant des mesures pour interdire les activités sur le territoire national de « l’État islamique » (ISIS), le nouveau monstre terroriste qui a surgit dans l’intervalle au Moyen-Orient, et pour empêcher le recrutement de jeunes musulmans radicaux indonésiens pour aller combattre en Syrie et en Irak.

47Dans le domaine de la lutte contre la corruption, il va en revanche redorer un peu son blason grâce au fait que la KPK a pris de l’assurance et devient beaucoup plus performante à partir de 2009. Elle n’hésite plus à s’attaquer désormais à de plus gros poissons que lors de son premier mandat. C’est ainsi que la flamboyante Miranda Gultom, qui occupait jusqu’en 2009 le poste important de vice-gouverneur(e) de la Banque (nationale) d’Indonésie est condamnée en 2012 à trois ans de prison pour avoir graissé la patte à des membres du DPR afin d’être nommée à la tête de cette institution pour succéder à Boediono. Du côté des partis islamiques, le PKS, proche de certains milieux islamistes très moralistes et puritains, qui avait été le plus prompt à dénoncer les pratiques de KKN, perd beaucoup de son aura quand son président, Luthfi Hasan Ishaaq, se fait prendre et écope, en 2013, d’une peine de seize ans derrière les barreaux pour ses tentatives de manipulation des quotas d’importation de bœuf. Les partis nationalistes laïques ne sont pas épargnés quand Zulkarnaen Djabar, un parlementaire du GOLKAR, reçoit la même année quinze ans de prison pour avoir faussé deux appels d’offre du ministère des affaires religieuses concernant l’achat massif de livres du Coran (!), et empoché de conséquentes retro-commissions. La KPK ne recule pas devant les difficultés pour mener la chasse aux corrompus jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État, puisque Akil Mochtar, juge principal de la Cour constitutionnelle depuis 2008, est arrêté en 2013, accusé d’avoir reçu d’importantes sommes d’argent pour « arranger » le résultat de certaines élections locales à Kalimantan. Compte tenu de ses responsabilités, il sera condamné à la prison à vie. C’est évidemment très embarrassant pour SBY, car ces condamnations jettent une ombre majeure sur la lutte contre la corruption, l’un des objectifs centraux de sa présidence. Cette fois, il agit promptement en relevant immédiatement l’intéressé de ses fonctions et en créant une commission d’éthique chargée de superviser le travail de la Cour constitutionnelle.

48Il n’est hélas pour lui pas au bout de ses peines quand la KPK commence à s’intéresser aux activités délictueuses de membres de son propre parti le PD, et même de certains de ses ministres les plus proches. C’est ainsi que Andi Mallarangeng, le ministre de la jeunesse et des sports, porte-parole de SBY et l’un de ses plus fidèles collaborateurs, est condamné, en 2013, à quatre ans de prison pour avoir empoché de l’argent dans le cadre de la construction du complexe sportif de Hambalang, à Java Ouest. Le trésorier du PD, Mohammad Nazaruddin, et son président, Anas Urbaningrum, reçoivent respectivement sept et huit ans de prison pour les mêmes faits. Auparavant, Aulia Pohan, ancien vice-gouverneur de la BI, dont la fille a épousé le fils aîné des Yudhoyono, a été condamné en 2009 à quatre ans de prison pour avoir détourné quelques 10 millions de US$. Dans tous ces cas, il faut souligner, au crédit de SBY, qu’il ne protège personne et laisse la KPK faire son travail. Cela dit cette dernière sera elle-même éclaboussée par un scandale d’une autre nature. Son président, Antasari Azhar est arrêté en 2009 pour avoir commandité le meurtre d’un homme qui le faisait chanter, et condamné en 2010 à 18 ans de prison. Malgré toutes ces affaires, qui continuent à nuire à la bonne réputation de l’Indonésie sur la scène internationale, le bilan de SBY dans le domaine de la lutte contre la corruption reste globalement positif. En effet, le pays gagne 43 places dans le classement annuel établi en la matière par l’ONG Transparency International entre la fin de son premier mandat et le milieu de son second, passant de la 143^e à la 100^e entre 2007 et 2011. Par la suite, il rétrograde légèrement. Ce n’est certes pas brillantissime, mais c’est quand même un progrès significatif à mettre à son actif.

49On ne peut malheureusement pas en dire autant de l’application de la politique de décentralisation. La toute fin de son second mandat s’achève en effet sur une lamentable affaire en la matière qui va confirmer le caractère indécis de SBY et porter encore un peu plus atteinte à son image auprès de la population. Il faut dire que la situation est complexe. D’un côté, la plupart des membres du gouvernement, de l’administration centrale et du DPR sont de plus en plus hostiles à la décentralisation telle qu’elle a été mise en œuvre depuis 2000. Les dysfonctionnements en tous genre qui ont été constatés au fil des années leur semblent trop coûteux pour le pays. Ils sont surtout fortement remontés contre les élections locales directes (Pilkada) inaugurées en 2005, qui ont entraîné une hausse spectaculaire des pratiques de KKN, désormais largement décentralisées, et l’usage généralisé d’une « politique de l’argent ». La pression augmente donc à partir de 2009 au parlement pour légiférer afin d’abolir les élections directes, centraliser à nouveau tout le système et revenir en arrière, au « bon vieux temps » où les responsables locaux, notamment les gouverneurs de province, les chefs de districts ruraux ou les maires de municipalités urbaines, étaient nommés de manière verticale par l’administration centrale. Du l’autre côté, les élites locales, qui ont acquis un pouvoir énorme et grassement profité de la décentralisation, sont bien sûr farouchement opposées à une remise en question du nouveau système des Pilkada. Elles ont le soutien massif de la population, qui apprécie de pouvoir élire ses représentants, en dépit des problèmes de corruption dont elle n’est pas dupe. Grâce à cela, il a en effet notamment été possible de se débarrasser en 2012 du gouverneur de Jakarta, Fauzi Bowo, membre du GOLKAR, devenu hautement impopulaire par son inaction, et élire à sa place Joko Widodo, précédemment maire de Solo, l’homme politique dont la popularité est croissante dans le pays et la cote en hausse au sein de son parti, le PDI-P. À un autre niveau, on a aussi vu que la fragmentation (pemekaran) du territoire national, à l’initiative et dans l’intérêt des mêmes élites locales, était devenue galopante et même ridicule. Cet avis est partagé par les instances les plus hautes, à l’exception des membres du DPR qui en tirent de juteux avantages, en acceptant les enveloppes de ceux qui veulent se créer un fief personnel. Malgré le moratoire décidé en 2009, qui met un terme à cette dérive, une 34^e province, la dernière jusqu’à ce jour, sera encore crée en 2013 avec Kalimantan Nord.

50Dans toute cette affaire, le cœur de SBY penche comme souvent des deux côtés à la fois : il est favorable en principe à la décentralisation pour suivre la volonté populaire, mais ne serait pas opposé dans les faits à un certain niveau de re-centralisation, pour ne pas se mettre à dos son gouvernement, - dont son ministre de l’intérieur Gamawan Fauzi, qui en est un farouche partisan -, ainsi que le parlement. Mais il ne se prononce pas clairement, alors que le débat s’intensifie à l’approche de la fin de son mandat et des élections générales de 2014. Une grande confusion règne. Certains sont pour l’abolition totale des Pilkada, d’autres veulent supprimer ces élections régionales au niveau administratif secondaire, mais les conserver pour l’élection des gouverneurs de province. Tout cela met en péril la coalition gouvernementale, car le GOLKAR, qui en fait partie, est favorable à leur abolition et envisage de pouvoir joindre ses voix à celles de l’opposition, formée du PDI-P, du GERINDRA et du HANURA, alors que les partis islamiques et même le PD sont partagés à ce sujet. Le président temporise jusqu’au 14 septembre 2013 pour annoncer que, tout bien réfléchi, il reste partisan des Pilkada. Mais le 25, alors qu’il est en voyage officiel aux États-UNis, le DPR vote par 226 voix contre 135 pour l’abolition des élections locales directes, la plupart des représentants du PD ayant courageusement choisi de s’abstenir en n’étant pas présent dans l’hémicycle ! De retour au pays et un peu éberlué par la tournure des événements, SBY décide d’invalider ce vote par une instruction gouvernementale tenant lieu de loi (PERPPU), abrogeant aisni celle qui vient d’être votée par le DPR. C’est ce qui dans l’aviation s’appelle un « near miss », quand un avion échappe de peu à la catastrophe. Consterné par cette véritable pantalonnade, le public ne lui pardonne pas cette ultime valse-hésitation et son parti en subira les conséquences lors des élections législatives d’avril 2014.

51Au bout de cet examen détaillé, le bilan de SBY dans le domaine politique et institutionnel est donc particulièrement mitigé. Son premier mandat a été dans l’ensemble plutôt positif, alors que le second est nettement plus critiquable. Il a enregistré de beaux succès et des progrès difficilement contestables sur le plan de la sécurité, de l’amélioration de l’état de droit, de la lutte contre la corruption, et même de la décentralisation, malgré le risque de régression majeure évité de justesse à la fin. Tout cela a contribué à une certaine consolidation de la démocratie. Mais il a aussi subi de graves échecs, avec une stagnation désolante de la situation en matière de droits de l’homme et surtout une montée effrayante de l’intolérance religieuse entraînant une forte dégradation de la liberté confessionnelle. Il est clair que cela a porté atteinte à la qualité et à la réputation de la jeune démocratie indonésienne, qui a stagné et même régressé dans ces domaines. Du point de vue politique et institutionnel, il est donc difficile de répondre à la question de savoir si la décennie de SBY au pouvoir a plutôt résulté en une consolidation ou une stagnation de la démocratie. Heureusement pour lui, la balance va plutôt pencher dans le sens positif grâce à un bilan économique et social nettement plus favorable.