Introduction

1Durant les six années de transition démocratique particulièrement agitées qu’a traversée l’Indonésie depuis 1998, trois chefs d’État se sont succédés à la tête de l’État. Ensuite, le pays connaît de 2004 à 2014 une décennie marquée plutôt par une grande stabilité sous la présidence de Soesilo Bambang Yudhoyono, dit SBY. Challenger un peu inattendu, il bat en effet facilement Megawati en 2004 et est réélu triomphalement au premier tour en 2009, toujours face à elle, redonnant un certain lustre à une fonction présidentielle qui avait passablement été malmenée depuis la fin de l’Ordre nouveau. Il passera donc à la postérité comme le premier président indonésien élu au suffrage universel direct, et ce deux fois d’affilée, comme le permet la nouvelle Constitution. Cela constitue évidemment un signe majeur de consolidation et de maturation démocratique. Toutefois, beaucoup reprochent aussi à Yudhoyono d’avoir été un président velléitaire et indécis n’ayant pas eu la force ni le courage de prendre les décisions et d’imposer les mesures qui auraient permis d’approfondir les réformes politiques et institutionnelles lancées par ses prédécesseurs. Il quitte le pouvoir sur un bilan que d’aucuns qualifient de « stagnation démocratique » ¹. C’est à notre avis tout de même un peu sévère.

2À vrai dire, pour y voir plus clair en la matière, il faut différencier la tonalité générale des deux mandats de SBY. Dans le premier, de 2004 à 2009, qui s’ouvre sur une série de terribles catastrophes naturelles, il enregistre tout de même, comme on le verra, d’assez beaux succès sur le plan politique, économique et social. En revanche, son second quinquennat est nettement moins favorable. Il a pourtant été réélu très facilement dès le premier tour et dispose donc d’un large mandat populaire qui lui permet de faire preuve d’audace et de pousser les réformes allant dans le sens d’un approfondissement de la démocratie. Or, c’est le contraire qui va se passer². Son tempérament prudent et indécis favorise l’instauration d’une ambiance nocive qui est propice à la montée de l’intolérance religieuse, des conflits intercommunautaires et des atteintes aux libertés individuelles et collectives. Cela ne facilite pas non plus une lutte plus énergique contre la corruption endémique qui continue à sévir. C’est pour cela que la décennie SBY est finalement décevante : non pas qu’elle ait ramené le pays en arrière, vers des démons qui auraient pu facilement à nouveau s’emparer de lui ; mais simplement parce qu’elle n’a pas permis de le porter en avant d’avantage, comme cela aurait été souhaitable et possible, avec un peu plus de volonté et de courage. Consolidation et stabilité d’un côté mais aussi renoncement et stagnation de l’autre, son bilan, est donc mitigé, ni aussi mauvais que certains le prétendent, ni aussi bon qu’on aurait pu l’espérer. Quand il quitte le pouvoir en 2014, il laisse en tous les cas un grand nombre de problèmes en suspens à son successeur.

3Cela dit, la manière dont les événements se sont enchaînés pendant la décennie où SBY a été au pouvoir fait qu’il est n’est pas très facile ni utile de d’analyser séparément chacun des deux quinquennats. On procédera donc différemment dans ce chapitre en examinant successivement, - dans les deux dernières des trois parties qui le composent, comme tous les autres, - les événements qui relèvent de la sphère politique et institutionnelle d’un côté de ceux qui ont trait au domaine économique et social de l’autre. Toutefois, il est indispensable au préalable de se pencher dans une première partie sur la trajectoire de vie de SBY pour mieux comprendre comment un militaire à la retraite de son acabit est arrivé au pouvoir suprême, seulement six ans après la fin de l’Ordre nouveau, dans la phase de consolidation démocratique très problématique et particulière que traversait alors l’Indonésie.