3.1. 1950-59 : échec de la démocratie parlementaire d’inspiration occidentale

Solder les séquelles politiques et économiques de la colonisation hollandaise

1Début 1950, l’Indonésie est donc finalement indépendante, mais son avenir s’annonce problématique. Tout d’abord, au risque de se répéter un peu (mais en partant du principe que c’est nécessaire compte tenu de l’importance de certains facteurs qui vont avoir un poids déterminant sur l’évolution de la situation), il faut rappeler que les conditions de départ auxquelles sont confrontées les autorités du nouvel État pour lancer le développement du pays sont particulièrement difficiles. Sans que cela les exonère de leurs responsabilités, le pays est dans une situation particulièrement compliquée. Du point de vue de la géographie physique, l’insularité n’est pas le moindre facteur de cette complexité, marquée qu’elle est de surcroît par des disparités majeures de richesses naturelles. Par ailleurs, cela se double comme on le sait sur le plan de la géographie humaine par un déséquilibre démographique majeur et une distribution très inégale de la population entre Java et les autres îles. Enfin, la diversité culturelle, ethnique et religieuse extrême de la société, si elle est une formidable source latente de richesse pour l’avenir, est d’abord et surtout au départ un facteur de division. Bref, d’un bout à l’autre de l’archipel, les niveaux, les problèmes et les potentiels de développement sont très différents et variés. Un tel contexte ne facilite pas la mise en œuvre d’un processus de développement national. Comparée à la Chine ou à l’Inde, l’Indonésie est certes moins grande et peuplée, mais elle est probablement encore plus complexe que chacun de ces pays, tous deux plus homogènes du point de vue géographique et même sur le plan culturel et humain pour ce qui est du premier (les Han représentent plus de 90% de la population).

2Ensuite, il faut aussi rappeler que l’héritage colonial des Hollandais va peser très lourd dans la balance. Le système de domination qu’ils ont mis en place dans l’archipel indonésien a donné naissance à un pays indépendant aux structures démographiques déséquilibrées, dont les infrastructures ont été largement détruites, l’économie est délabrée, les caisses sont vides et qui ne dispose pas des ressources humaines formées en quantité et en qualité suffisantes pour assurer la gestion adéquate des affaires publiques et du développement national. Finalement forcés d’accorder l’indépendance aux nationalistes indonésiens, les Pays-Bas vont s’ingénier à mettre en place tous les obstacles possibles et imaginables pour tenter de faire échouer l’unification politique et la reconstruction économique du nouvel État. C’est un acte de vengeance mesquine qui ne les honore pas. En effet, lors de la table ronde de La Haye, les négociateurs indonésiens ont certes arraché l’indépendance du pays, mais au prix de quatre concessions majeures, deux sur le plan politique et deux dans le domaine économique, qui limitent fortement la souveraineté nationale, vont empoisonner le début de la vie de la jeune république et avoir des conséquences déterminantes sur son évolution¹.

3Sur le plan politique, l’accord conclu à La Haye prévoyait tout d’abord que les Pays-Bas transféreraient la souveraineté sur l’ensemble de l’archipel indonésien à une « République des États-Unis indonésiens (RUSI) ». Les deux principaux leaders nationalistes ayant proclamé l’indépendance en août 1945 et dirigé la lutte depuis lors seraient placé à sa tête, Sukarno comme président et Mohamad Hatta comme vice-président. Il était aussi convenu que le nouvel État indépendant garderait un vague lien avec l’ancienne métropole à travers une union, comparable au Commonwealth britannique, dont la reine Wilhelmine resterait le chef symbolique. Fidèles à leur politique de division, les Hollandais espéraient ainsi, en imposant une structure fédérale artificielle et floue, continuer à régner indirectement sur les nombreuses régions de l’Indonésie où ils avaient entretenu des fidélités et des dissensions pendant la période de guerre contre les nationalistes, pour y sauvegarder en priorité leurs intérêts économiques. Par ailleurs, la Nouvelle-Guinée hollandaise était exclue de l’accord et devait faire l’objet de négociations ultérieures, ce qui allait constituer durablement la principale pomme de discorde entre les deux pays.

4En revanche, le premier problème va trouver assez rapidement une issue, non sans peines ni tentatives de déstabilisation. Ainsi, le tristement célèbre capitaine Raymond « Turk » Westerling, qui s’était déjà illustré par de nombreuses exactions criminelles et auquel on prête plusieurs milliers de victimes à Sulawesi Sud pendant les quatre années de la Revolusi2, se livrera à des manœuvres aventureuses pour favoriser la sécession de plusieurs membres de la fédération (dont l’État du Pasundan, recouvrant le pays sundanais de la partie occidentale de l’île de Java, avec Bandung pour capitale), essayer de s’emparer de Jakarta et se débarrasser par la force du gouvernement. Elles seront déjouées et le Pasundan sera dissous, exemple que suivront très vite successivement et spontanément tous les autres membres de la fédération, construction artificielle et discréditée qui cessera d’exister fin mars et n’aura donc survécu que trois mois. Toutefois, l’Indonésie indépendante devra encore faire face à une dernière difficulté de même nature dans la partie orientale de l’archipel, avec la tentative de sécession de la République des Moluques du Sud, proclamée à Ambon fin avril 1950 par le Dr. Sumokil, leader des chrétiens d’Amboine. Comme les harkis en Algérie, ces derniers avaient en effet occupé depuis longtemps les rangs subalternes de l’armée coloniale et étaient terrorisés à l’idée d’être intégré dans une république unitaire, essentiellement aux mains de Javanais musulmans. Cette tentative de sécession sera également vaincue, donnant d’ailleurs lieu à l’exode massif de milliers d’Amboinais trouvant refuge aux Pays-Bas où ils poseront un problème politique majeur à la fin des années 1970³.

5Le 17 août 1950, à l’occasion du cinquième anniversaire de la déclaration d’indépendance, Sukarno prononce la fin de l’expérience éphémère de construction d’un État indonésien basé sur le fédéralisme. Ce principe d’organisation est d’ailleurs resté suspect jusqu’à ce jour du fait de sa « tâche originelle » de division et de collaboration. Cela débouche donc sur la création d’un État unitaire reposant sur une constitution de type parlementaire d’inspiration occidentale, dans laquelle le président avait, à son grand dam, assez peu de pouvoir. Mais le problème de la Nouvelle-Guinée néerlandaise, rebaptisée Irian par les Indonésiens, reste entier. Il perdure jusqu’en 1962, quand les Hollandais acceptent enfin de s’en retirer sous la pression des Américains, et qu’une solution de transfert indirect complexe est alors adoptée. Elle trouvera son épilogue provisoire lors d’un « referendum d’autodétermination » très contestable organisé en 1969. Il faut se souvenir que les nationalistes indonésiens ont adopté une définition du territoire national qui recouvre entièrement celui de l’ancien « empire » colonial des Indes néerlandaises, allant « de Sabang à Merauke »⁴. Cette définition va constituer dans l’intervalle l’outil principal dont Sukarno va se servir pour mobiliser la population contre le néocolonialisme et parachever la révolution, faisant ainsi monter la tension et renforçant à la fois les clivages politiques et le rôle de l’armée tout au long du processus. Les choses auraient sûrement été différentes si les Hollandais avaient eu la clairvoyance d’inclure d’emblée la Nouvelle-Guinée dans les accords de La Haye.

6Sur le plan économique, les deux concessions faites par la délégation indonésienne vont aussi créer d’énormes difficultés à la jeune république et avoir un impact tout aussi déterminant sur l’évolution de la situation pendant les premières années d’indépendance. La première d’entre elles est certainement la plus inique puisque, invoquant une interprétation surréaliste de la continuité étatique, les Hollandais imposaient à l’Indonésie d’accepter la responsabilité d’éponger, avec un intérêt de 3% et d’ici 1964, la dette extérieure énorme des Indes néerlandaises envers les Pays-Bas. Cette dette est fixée à 4,3 milliards de florins, soit 1 130 millions de dollars5 la somme correspondant de facto « aux coûts de la tentative hollandaise d’écraser la révolution »6! C’est là un cas probablement unique dans l’histoire de la décolonisation que le dominé se voit obligé de payer aussi ouvertement le coût de la résistance à sa domination ! Aucune ancienne colonie n’a eu à subir une telle avanie ! Comme le formule un des meilleurs spécialistes de l’histoire économique indonésienne7 : « …the Netherlands was able to liquidate its colonial establishment largely at Indonesia’s expense »⁸. De manière assez surprenante, mais probablement tout à sa joie d’avoir obtenu la libération du pays, le gouvernement indonésien fera preuve d’un étonnant manque de combativité en la matière. Il s’acquittera presque entièrement avec diligence et rapidité de cette dette. Quand, face au blocage de la situation sur la Nouvelle-Guinée, l’Indonésie dénoncera en 1955 les accords de La Haye, il ne lui restait en effet plus que 171 millions de dollars à rembourser9. Les réserves en devises étrangères de la République Indonésienne étaient alors estimées à seulement 142 millions de dollars en 194910, tandis que les besoins de reconstruction s’avéraient colossaux dans tout l’archipel. Les quelques 1 000 millions de dollars consacrés au remboursement de cette dette auraient sûrement pu être utilisés plus efficacement pour le développement national et éviter au pays certaines des graves difficultés économiques auxquelles il va être confronté.

7La seconde des concessions économiques consenties est a priori moins spectaculaire et scandaleuse, mais elle va avoir des conséquences négatives encore plus profondes que la première. Lors de la table ronde, les Pays-Bas avaient en effet obtenu la garantie que leurs intérêts économiques et ceux de leurs entreprises privées dans l’archipel ne seraient pas affectés par le transfert de souveraineté et que leurs affaires pourraient continuer à prospérer selon un principe de « business as usual ». Or, les entreprises hollandaises publiques et privées contrôlaient presque entièrement l’économie indonésienne, des transports maritimes et ferroviaires jusqu’aux mines et aux plantations, en passant par les grandes maisons de commerce. Près de 80% du capital investi en dehors du secteur primaire était dans leurs mains11. La part des Hollandais dans le secteur moderne de l’économie indonésienne représentait 25% du PIB. Certes, la possibilité de procéder à des nationalisations n’était pas exclue, mais elles devaient correspondre à un intérêt national avéré, être agrées d’un commun accord et faire l’objet d’indemnisations financières correspondant à la valeur réelle des entreprises concernées. Enfin, comble de tout, l’Indonésie s’engageait à consulter les Pays-Bas, à chaque fois que sa politique monétaire et fiscale affecterait les intérêts économiques de l’ancienne métropole dans l’archipel ! Pour paraphraser un des économistes indonésiens les plus respectés ayant analysé le problème : « l’Indonésie avait obtenu une indépendance politique sans indépendance économique »12! Et même cette indépendance politique était encore limitée par le fait que, dans un premier temps, 17 000 fonctionnaires hollandais intégrèrent tout bonnement les rangs d’une fonction publique indonésienne à l’égard de laquelle ils n’entretenaient évidemment pas une loyauté débordante.

8Tout cela suscita de sérieux désaccords au sein du groupe des responsables politiques nationaux et à y renforça les divisions héritées de l’occupation japonaise et des années de la Revolusi. D’un côté, se distingue le groupe des réalistes pragmatiques, proches du vice-président Mohammad Hatta. Il s’agit pour la plupart de nationalistes sincères animés, à son instar, d’idées démocratiques et socialisantes mais comptant aussi, avec lui, parmi les rares responsables politiques indonésiens dotés de véritables compétences économiques. C’est le cas de Sjafruddin Prawiranegara, membre du grand parti musulman réformiste libéral MASJUMI¹³, ou de Sumitro Djojohadikusumo, appartenant au petit mais influent Parti socialiste indonésien (PSI). Ils pensent qu’il faut accepter temporairement la domination économique des Hollandais pour éviter la fuite des capitaux, acquérir les compétences techniques et gestionnaires requises et relancer l’économie nationale et la reconstruction du pays, avant de pouvoir prendre progressivement les choses en main et organiser son développement. De l’autre, le groupe des leaders nationalistes plus radicaux est surtout animé par des membres du grand Parti nationaliste indonésien (PNI) de Sukarno, mais aussi par le premier chef de gouvernement de la période révolutionnaire, Soetan Sjahrir, leader du PSI. Ils n’ont pas nécessairement les mêmes valeurs sur le plan politique mais estiment, avec le président, que cette limitation de la souveraineté nationale est intolérable. Ils veulent « indonésianiser » l’économie du pays le plus vite possible. Deux indonésianistes reconnus et témoins directs des débuts de la République indonésienne, l’économiste canadien Benjamin Higgins¹⁴ et le politologue australien Herbert Feith¹⁵, identifieront aussi clairement ces deux groupes, le premier en opposant les administrateurs aux « faiseurs de solidarité », et le second les leaders conscients que le rétablissement économique était prioritaire à ceux pour lesquels l’histoire et la poursuite de la « révolution nationale » devait primer sur tout¹⁶. Le clivage entre ces deux groupes ira croissant jusqu’à la rupture en 1957-58 et la très grave crise politique qui mettra en question la survie de la nation, Sjafruddin et Sumitro se retrouvant ensemble dans la rébellion. Ce conflit n’aurait peut-être pas eu lieu d’être ou, du moins, ne se serait pas envenimé de la sorte sans les obstacles mis en place par les Hollandais pour créer la dissension.

9Au départ, un accord est cependant trouvé par les deux groupes sur le fait qu’il est nécessaire que la république reprenne au moins le contrôle de sa souveraineté monétaire, objet d’intérêt national suprême par excellence. Un processus de négociation ardu est donc lancé en avril 1951 avec les Hollandais pour nationaliser la Banque de Java, qui avait fait fonction de réserve centrale du temps de la colonisation. Cela sera chose faite en décembre de la même année, par rachat progressif des parts des actionnaires domestiques et étrangers, en l’occurrence majoritairement Hollandais. Le nom de l’institution change et devient Banque d’Indonésie en 1953, avec Sjafruddin Prawinegara comme premier gouverneur. D’autres entreprises en mains néerlandaises fournissant des services publics d’intérêt national, comme les compagnies d’électricité et de distribution d’eau ou des chemins de fer de Java, sont également nationalisées au tout début des années 50 de manière négociée avec les Pays-Bas, mais contre une indemnisation conséquente. Il en va de même pour la compagnie aérienne domestique hollandaise K(NI)LM, qui deviendra la GARUDA en 1954. Toutefois, les négociations vont bloquer sur le cas emblématique de la compagnie maritime KPM, dominant l’essentiel du trafic interinsulaire, dont le contrôle relève pourtant à l’évidence de l’intérêt national dans un archipel aussi vaste et éclaté que l’Indonésie. Le gouvernement indonésien sera obligé de créer sa propre compagnie nationale PELNI et de se lancer dans une concurrence difficile avec la KPM, plus puissante et mieux établie.

10Mais au-delà, toutes les entreprises privées ne relevant pas de ce qui est considéré comme étant l’intérêt national resteront dans les mains des Hollandais, notamment les plantations, les mines, les industries et le commerce d’import-export. Le gouvernement indonésien adoptera certes des mesures pour essayer de stimuler l’entreprenariat national et prendre, pas à pas, le contrôle de l’économie du pays, comme le programme Benteng lancé en 1950 par Sumitro, la création de deux banques de crédit pour l’industrie (BIN) et le commerce (BNI) ou d’une compagnie centrale de commerce (CTC), mais cela se fera de haute lutte. Le succès ne sera pas au rendez-vous et les Pays-Bas conserveront leur mainmise sur l’économie. Enfin, l’accord de principe entre les deux parties signataires de l’accord sur « l’indonésianisation » du personnel des entreprises leur faisant obligation d’employer 70% d’autochtones et de les former pour les promouvoir à des postes de responsabilité, restera largement lettre morte. Face à cela, la frustration et l’impatience vont augmenter parmi les responsables politiques indonésiens, les pragmatistes perdant du terrain et les nationalistes plus radicaux en gagnant. Les autorités indonésiennes vont trouver la parade en adoptant des mesures pour réduire de manière drastique le nombre de permis de travail octroyés aux citoyens hollandais : illimités en 1950, ils seront fixés à 1 000 en 195317! Cela va dès lors fortement pénaliser les entreprises hollandaises, dont de nombreux employés seront obligés de quitter l’Indonésie, et accélérer la détérioration des relations entre les deux pays.

11Toutefois, plus que la montée des tensions sur le plan économique, c’est le blocage complet de la situation politique en relation avec la négociation sur la question de la Nouvelle-Guinée qui va envenimer irrémédiablement les choses. L’instabilité politique consubstantielle au modèle constitutionnel adopté en 1950 est avivée par les frustrations et dissensions résultant de la posture mesquine et revancharde des Hollandais, qui porte atteinte à la souveraineté et à la dignité nationale des Indonésiens, et va accélérer une valse de gouvernements où les nationalistes plus radicaux vont sans surprise prendre le pas sur les réalistes pragmatiques. En février 1955, il en résulte d’abord l’abrogation unilatérale par la partie indonésienne des clauses économiques des accords de la table ronde de La Haye. Quand l’Indonésie échoue en novembre 1957 dans sa tentative d’obtenir une résolution des Nations unies obligeant les Pays-Bas à négocier une solution de transfert pour l’Irian, qu’elle considérait comme sa province, le PNI et le PKI ainsi que les syndicats leur étant affiliés organisent début décembre de grandes manifestations à Jakarta. Après quelques jours, elles débouchent sur le début de l’occupation et la saisie des entreprises hollandaises. La KPM est la première touchée¹⁸, suivie rapidement par toutes les autres à l’exception de la Royal Dutch Shell, partiellement britannique. Par ailleurs, le gouvernement annonce sa décision en décembre 1957 d’expulser tous les citoyens néerlandais du pays, ce qui entraîne l’exode précipité de près de 45 000 d’entre eux19. Enfin, devant la saisie unilatérale des entreprises par les manifestants, le général Nasution, chef d’état-major des forces armées (ABRI)²⁰, décida que ces dernières en prenaient le contrôle et en assureraient la gestion, formalisant ainsi l’intrusion massive des militaires dans les affaires économiques du pays.

12Toutes ces entreprises hollandaises seront formellement nationalisées en 1959. Elles deviendront propriété de l’État indonésien, contribuant ainsi à créer un vaste secteur public. Or, le nouvel État n’a pas la capacité de le gérer efficacement, ce qui va être à l’origine de graves problèmes liés notamment au rôle économique de l’armée et à l’aggravation de la corruption. Bref, placées sous des augures exécrables du fait d’une position de départ des Pays-Bas manquant fondamentalement de grandeur et de vision, les relations de la jeune République d’Indonésie avec l’ancienne puissance coloniale vont tourner en quelques années au règlement de compte amer. Dans ce face-à-face, le point de vue des plus radicaux va supplanter celui des modérés, ce qui va avoir des conséquences déterminantes sur l’évolution du rapport de force politique interne et le changement de cap du pays sur le plan de ses institutions et de ses relations extérieures.

13En fait, avec le recul, on peut distinguer deux phases de durée comparable mais de nature très différente dans cette première décennie de l’indépendance indonésienne allant de 1950 à 1959. La première, qui va de 1950 à 1955, est dominée par les nationalistes modérés et les administrateurs gestionnaires qui essayent de faire fonctionner une démocratie parlementaire et de relancer l’économie. Les élections législatives de 1955 en constituent le point tournant car elles ne dégageront aucune majorité viable et ne permettront pas de mettre un terme à l’instabilité politique. Elles déboucheront tout naturellement sur une seconde phase allant de 1956 à 1959, dans laquelle les nationalistes plus radicaux vont prendre le dessus et qui va se caractériser par une confusion politique et un marasme économique croissants.

14Les Hollandais ne sont évidemment pas seuls responsables de cette détérioration. Les Indonésiens portent aussi de lourdes responsabilités dans les dérives de leur propre histoire. Parmi toutes celles qui pourraient être mentionnées, nous n’en citerons que quatre,l es plus fondamentales à notre avis : les divisions politiques, la personnalité de Sukarno, la place de l’islam et le rôle de l’armée. Toutefois, elles sont si intimement entremêlées qu’il est impossible de les traiter de manière complètement séparée. Les divisions politiques n’ont hélas pas attendu l’indépendance du pays pour s’exprimer. Elles sont apparues dès l’origine du mouvement nationaliste et se sont même renforcées au fil du temps, contribuant certainement à son affaiblissement : après s’être fortement cristallisées sous la forme d’un clivage radical du temps de l’occupation japonaise, entre ceux qui acceptèrent de « collaborer » et les autres, la situation s’est encore complexifiée pendant la période de la Revolusi.

Élections législatives de 1955 et résurgence du rôle dominant de Sukarno

15Pour clarifier les choses, il est nécessaire de dresser le tableau des forces politiques en présence, quand les partis se (ré)organisent et (ré)apparaissent sur la scène nationale au début des années 50. Deux d’entre eux la dominent : le MASJUMI et le PNI. Le premier, crée fin 1943 à l’instigation des Japonais, regroupe de manière inclusive toutes les tendances très diverses de l’islam indonésien. Il inclut notamment la très grande organisation traditionnaliste du Nahdatul Ulama (NU) créée en 1926 et principalement implantée dans le monde rural javanais, surtout dans le centre et l’est de l’île. Figure aussi dans ses rangs le mouvement moderniste, tout aussi important, de la Muhammadiyah, fondé en 1912 à Jogjakarta, mais surtout répandu dans les milieux marchands des grandes villes et dans les autres îles de l’archipel, en particulier dans l‘ouest Sumatra et le sud de Sulawesi. Le second est le Parti Nationaliste Indonésien (PNI) fondé en 1928 par Sukarno qui regroupe la plupart des tenants de la tendance séculariste non-communiste du mouvement nationaliste. Quant au Parti communiste indonésien (PKI), plus ancien et fondé en 1920, il est alors encore très discret au début des années 1950 car il commence juste à ré-émerger de la répression qui l’a frappé après sa tentative de prise du pouvoir avortée de septembre 1948 à Madiun, interprétée comme un coup de poignard dans le dos de la Revolusi. Les autres partis politiques sont nettement moins importants. Toutefois, l’un d’entre eux, le Parti socialiste indonésien (PSI), de tendance social-démocrate, fondé en 1948, va avoir une grande influence. Il regroupe en effet des personnalités politiques de premier ordre parmi lesquelles son fondateur, Soetan Sjahrir, qui dirigera le tout premier des gouvernements après la proclamation d’indépendance, et Sumitro Djojohadikusumo, considéré comme le meilleur économiste indonésien, qui va jouer un rôle déterminant dans le développement de son pays.

16Ces quatre partis occupaient en mars 1951 plus de la moitié des 232 sièges de la représentation parlementaire unicamérale non élue issue du compromis politique de la période tendue entre l’abolition de la fédération et la proclamation d’une république unitaire, à raison de 49 sièges pour le MASJUMI, 36 pour le PNI, 17 pour le PSI, 13 pour le PKI, les 14 autres formations se répartissant le reste.21 Les partis dominants ayant des positions de principe souvent très éloignées sur de nombreux sujets, les sources de tensions et de désaccord se multiplient face aux nombreuses difficultés rencontrées. L'absence de majorité au parlement engendre une grande instabilité politique. On assiste alors à une véritable valse des cabinets gouvernementaux de coalition entre 1950 et 1957 : pas moins de sept se succédent, parfois pour quelques mois seulement²². En 1952, le NU se sépara du Masjumi pour créer sa propre formation politique et le PKI continua à se renforcer dans l’intervalle. Les premières élections législatives sont finalement organisées en septembre 1955²³. Ces quatre partis se partagent plus de 78% des voix des presque 38 millions d’électeurs, et 77% des 257 sièges du parlement : respectivement, 22,3% et 57 pour le PNI, 20,9% et 57 pour le MASJUMI, 18,4% et 45 pour le NU et 16,4% et 39 pour le PKI²⁴. La vie politique du pays se cristallise autour de quatre grands courants de pensée (aliran) historiques majeurs : nationalisme (PNI), religion islamique de tendance moderniste (MASJUMI) ou traditionnaliste (NU) et communisme (PKI). Ces élections auraient pu apporter l’espoir d’une certaine stabilité politique au pays mais elles sonnent paradoxalement le glas de la démocratie parlementaire en Indonésie. L’instabilité politique et gouvernementale se perpétue. De son côté, Sukarno, doté d’un pouvoir restreint dans le cadre de la constitution de 1950, n’est pas resté inactif pour renforcer sa position aux dépens d’un système de démocratie parlementaire qui lui a été imposé et auquel il ne croit pas. Au terme de ces élections, il apparaît de plus en plus comme le garant de l’unité du pays et le recours possible pour sortir de l’impasse.

17Quand on essaye de faire la part des responsabilités dans la crise politique et économique de plus en plus sérieuse dans laquelle s’est enfoncée l’Indonésie entre 1950 et 1966, on réalise que beaucoup des auteurs ayant analysé la question en font porter le poids principal sur les épaules de Sukarno. Cette position nous semble un peu trop simpliste et convenue. L’intéressé a en effet « bon dos » car, outre ce qui a été dit précédemment sur le rôle de la colonisation, cette responsabilité est en fait partagée par l’ensemble de la classe politique de la génération de 1945, comme on l’appelle en Indonésie. Mais il est vrai que Sukarno en est la figure de proue, qu’il a été le principal acteur politique indonésien pendant près d’un demi-siècle, du début des années 20 à la fin des années 60, et qu’on peut lui reprocher d’avoir fait de nombreuses erreurs, certaines hélas tragiques. Avec la perspective que donne le recul du temps, son rôle apparaît en réalité comme très ambivalent : il a tout à la fois trouvé des solutions originales pour aider son pays à surmonter certaines de ses principales difficultés, mais il a aussi créé des problèmes gigantesques difficiles à résoudre²⁵. Sans vouloir le réhabiliter, examinons en quoi le verre a été à moitié plein avant de nous pencher sur sa partie restée vide.

18Tout d’abord, il faut bien reconnaître que sans Sukarno, l’Indonésie telle qu’elle existe aujourd’hui n’aurait probablement jamais vu le jour. Que cela soit un bien ou un mal peut être débattu, mais c’est un fait difficilement contestable. S’il n’est pas le seul père de l’indépendance nationale, comme on le présente souvent, puisque Mohammed Hatta et beaucoup d’autres responsables politiques indonésiens en partagent la co-paternité, il est certainement celui d’entre eux qui a lutté le plus longtemps et obstinément pour l’obtenir. Tout au long de sa vie politique, il a en effet poursuivi la même obsession : sauvegarder l’unité nationale et parachever la révolution indonésienne. Pour cela, il fera usage de tous les atouts dont il dispose : une grande intelligence, un fort charisme, un charme indéniable et un don oratoire hors pair. Il dépensera aussi des trésors d’imagination et d’ingéniosité pour arriver à son but. Homme de son temps, imprégné de sa double culture javanaise et balinaise mais aussi formé dans le système d’éducation hollandais, dont il sortira comme l’un des rares ingénieurs de sa génération, esprit cosmopolite et cultivé, pétri des grandes idées philosophiques de l’Orient et de l’Occident, il a su faire preuve d’un véritable génie politique pour incarner et promouvoir inlassablement la synthèse de nature syncrétique permettant de concilier les divergences de point de vue et éviter de mettre en péril l’unité nationale.

Photo 18 : Sukarno (1901-1979), président de 1945 à 1967

19C’est dans son esprit fertile qu’a germé le concept des Pancasila, les cinq principes énoncés en 1945 qui constituent depuis lors l’idéologie étatique officielle de l’Indonésie²⁶. Quatre de ces principes, le nationalisme, la démocratie (adaptée à la culture politique indonésienne), l’humanité (ou solidarité internationale) et la justice sociale sont somme toute assez banals et consensuels. Le premier, la croyance en Dieu, sans spécifier lequel dans un pays majoritairement musulman mais largement multiconfessionnel, est une trouvaille lumineuse : plus que tous les autres, il a contribué à la sauvegarde de l’unité nationale. Quant à la « démocratie à l’indonésienne », elle ne doit pas selon lui singer le modèle parlementaire occidental qui voit une courte majorité imposer sa loi à une large minorité, mais être basée sur des valeurs propres à la culture politique traditionnelle locale, comme la délibération (mufakat) pour trouver un consensus (musjawarah) et l’entraide mutuelle (gotong royong), plutôt que la compétition. Plus tard, quand les tensions politiques iront croissantes après le début de la Démocratie dirigée et toujours pour éviter que l’unité nationale n’éclate, Sukarno ressortira de son arsenal de concepts syncrétiques celui de NASAKOM, forgé dès 1926, pour concilier les trois grands courants de pensée dominant la scène politiques indonésienne, le nationalisme (NASionalism), la religion (Agama) et le marxisme (KOMmunis)²⁷. Cela n’évitera pas une polarisation croissante entre des forces politiques intrinsèquement antagonistes, qui débouchera sur l’explosion de violence de 1965-66. En parallèle, ce génie politique prolixe est habituellement critiqué comme ayant été doublé d’un piètre gestionnaire. Il considère que l’économie est subordonnée aux exigences supérieures de la révolution nationale. De son propre aveu, certainement exagéré, il ne comprenait pas grand-chose aux complexités économiques. Ce qui est certain, c'est que la situation s’est effectivement dégradée sous sa présidence, au point d’amener le pays au bord de la faillite.

20En fait, pour mieux cerner le rôle de Sukarno et faire un bilan plus nuancé de son héritage, il est nécessaire de l’appréhender en fonction des phases de l’histoire qu’il a traversé pendant les cinquante ans où il a été politiquement actif. On s’aperçoit alors qu’il a connu plusieurs fois des phases de gloire sans partage et d’éclipse totale, au gré des péripéties de l’histoire, mais que, tel le phœnix, il saura toujours renaître de ses cendres jusqu’à sa chute finale. Pendant toute la période coloniale, le moins que l’on puisse dire est qu’il a payé de sa personne. Tout d’abord, Sukarno a été celui qui a le mieux formulé l’aspiration d’indépendance des Indonésiens, notamment dans sa fameuse plaidoirie de 1930 lors de son grand procès politique²⁸, et il a déployé des trésors d’imagination pour inventer un modèle qui permette à ses concitoyens de vivre ensemble. Par ailleurs, il a aussi passé la majeure partie des années 30 en détention et en exil interne dans différentes îles et provinces éloignées de l’archipel. Son rôle est plus ambigu pendant l’occupation japonaise, puisqu’il appartient au camp des leaders nationalistes qui ont choisi de « collaborer » à leur manière avec l’armée nippone pour renforcer la cause de l’indépendance indonésienne. Cette collaboration lui sera amèrement reprochée, non seulement par ses adversaires politiques qui ont fait le choix inverse, notamment Soetan Sjahrir et les sociaux-démocrates, mais également par les Hollandais qui l’accuseront d’être un traître à la cause des forces alliés en lutte contre le totalitarisme. En fait, il s’avère pour l’occasion un homme pragmatique et prudent qui louvoie et pratique l’art du possible dans la seule perspective d’atteindre son objectif final: l’indépendance nationale et la libération de son pays du joug colonial. Cela apparaît bien quand on le voit hésiter à proclamer l’indépendance au moment de la capitulation japonaise de 1945, par crainte de déclencher leur répression, et ne le faire que contraint et forcé par les jeunes nationalistes plus radicaux29.

21Pendant la Revolusi, malgré la menace de l’ennemi colonial commun, les divisions politiques du mouvement nationaliste indonésien vont s’exacerber et Sukarno va jouer les équilibristes entre les différentes tendances. Face à l’offensive militaire victorieuse des Hollandais pour écraser la jeune République, il devra à nouveau louvoyer entre les modérés comme Hatta ou Sjahrir, qui ne voient pas d’autre issue que de négocier avec eux, ce qui débouchera sur les trêves négociées dans les accords de Linggadjati en novembre 1946 et du Renville en janvier 1948. Elles sont toutes deux rompues par l’agresseur colonial et les radicaux de divers courants, dont ceux du PKI prenant leur ordres à Moscou ou les musulmans fondamentalistes luttant pour un état islamique, qui refusent tout compromis. Habile, Sukarno saura surmonter des épreuves majeures comme la tentative de coup d’État communiste de Madiun à Java Est, en septembre 1948, et le déclenchement à Java Ouest, quelques mois plus tôt, de la rébellion du Darul Islam, un mouvement extrémiste, partisan d’un État islamique, qui perdurera jusqu’en 1963. Il assurera son rôle de président dans une ambiance délétère, malgré le mépris de ceux que son caractère autoritaire et vaniteux, son comportement erratique et ses idées irrationnelles horripilent, comme Soetan Sjahrir, ou de ceux qui estiment qu’il est nocif et veulent se débarrasser de lui pour prendre sa place, comme Tan Malaka, le leader des communistes nationalistes. Ce sera également difficile pour Sukarno de se faire respecter par une armée hétéroclite, elle-même très divisée et indisciplinée, qui l’accuse d’avoir manqué de combativité et de courage face au danger, notamment lors de la reprise de Jogjakarta par les Hollandais en décembre 1948 où il sera fait prisonnier avec tout le gouvernement républicain. Malgré tout, il survivra à toutes ces épreuves et émergera en 1949 comme le leader nationaliste le plus populaire, celui qui personnifie le mieux la lutte victorieuse pour l’indépendance, le père de la Nation, une sorte de Moïse qui a su amener son peuple vers la terre promise de la merdeka, la liberté.

22Mais l’enthousiasme du départ ne va pas persister longtemps. Les huit années que va durer l’expérience de démocratie à l’occidentale vont en fait être très frustrantes pour tous les Indonésiens, particulièrement pour le premier d’entre eux. Comme on l’a vu, la constitution imposée en 1949 lors des accords de La Haye et à peine amendée en 1950 pour correspondre à l’adoption d’une forme d’organisation unitaire de l’État, était de nature parlementaire : un gouvernement responsable devant le parlement et un président ayant peu de pouvoir. Cela ne correspondait guère au tempérament de Sukarno. Il va ronger son frein et assumer officiellement son rôle, mais s’employer en coulisse à dénigrer le système en place et à préparer le terrain pour que ses idées et ses conceptions politiques prévalent. Bien qu’il soit toujours obsédé par le fait de renforcer l’unité nationale pour parachever la révolution, il va donc jouer de sa popularité et de son talent pour opposer les principaux acteurs du jeu politique les uns aux autres et reprendre la main : en d’autres termes, diviser pour régner.

23À cet égard, le divorce en 1952 entre les deux tendances traditionnaliste et moderniste de l’islam national³⁰ avait déjà arrangé les affaires du président et il jouera souvent de l’une contre l’autre. En effet, les responsables du NU sont des musulmans javanais traditionnalistes et conservateurs qui présentent la particularité paradoxale d’être à la fois très imprégnés des valeurs culturelles javanaises largement pré-islamiques, sur lesquelles Sukarno a bâti toute son idéologie politique, tout en étant pour beaucoup partisans de l’imposition des règles de la shariah à leurs coreligionnaires et de l’avènement d’un État islamique. Pour celui que l’unité nationale obsède, c’est la pire des choses envisageables. Il s’est d’ailleurs savamment ingénié à l’éviter en 1945 lors des négociations pour élaborer la Constitution en acceptant de n’y faire référence que dans la fameuse « Charte de Jakarta » dont les principes devaient être mentionnés dans le préambule, mais seront finalement absents. Il n’en sera pas fait état non plus dans la Constitution de 1949, modifiée en 1950. De leur côté, les responsables du MASJUMI ne sont pas mobilisés sur l’application de la loi islamique car ce sont des musulmans modernistes non-javanais de tendance social-démocrate, dont beaucoup ont été formés en Hollande comme le Minangkabau Mohammad Natsir ou le Sundanais Sjafruddin Prawinegara. Ils sont surtout préoccupés par la mise en œuvre de la démocratie politique et la relance économique. C’est bien pour cela qu’ils ne s’entendent guère avec Sukarno. Ils sont finalement plus proches des socialistes du PSI que des musulmans traditionnalistes du NU, qui partagent quant à eux finalement plus avec les nationalistes sécularistes d’un PNI véhiculant la pensée syncrétique et unanimiste de Sukarno.

24Au-delà des aspects religieux, pourtant cruciaux, on retombe donc sur le clivage entre les administrateurs gestionnaires, qui veulent construire un État moderne, et ceux pour qui la consolidation de l’unité nationale passe par l’adoption de valeurs et de règles issues de la tradition. Cette divergence fondamentale va traverser chacun des cabinets gouvernementaux, leur rendre la tâche impossible et finalement créer l’instabilité politique croissante à laquelle on a assisté de fin 1949 à début 1957. Le président Sukarno va s’appuyer sur cet échec de la démocratie parlementaire d’inspiration occidentale, dont il n’a rien fait pour assurer le succès, pour réintroduire à partir de 1955 ses idées sur un changement de cap radical et la nécessité d’adopter un système politique et économique plus proches des traditions indonésiennes. Il le baptisera Démocratie dirigée  et il imposera finalement en 1959.

25À partir des élections législatives de 1955, dont beaucoup espéraient qu’elles permettraient la stabilisation de la vie politique du pays, les choses qui n’allaient déjà pas bien tourneront encore plus mal, sur tous les plans. Jusque-là engoncé dans un costume constitutionnel trop petit pour lui, Sukarno se réveille et passe à l’action. Le fait qu’il ait été l’hôte de la première conférence du Mouvement des non-alignés à Bandung en avril 1955, où il avait pu se pavaner aux côtés de Chou En Lai, de Nehru, de Nasser, de Nkrumah ou de Tito et faire usage de cette formidable tribune internationale pour lancer des attaques contre le néocolonialisme en général

Photo 19 : Nasser, Sukarno et Nehru à Bandung en avril 1955

26et celui que les Hollandais continuaient à pratiquer dans le cas de la Nouvelle-Guinée en particulier, lui a certainement redonné l’énergie de passer à l’offensive sur le plan interne. Dans le discours qu’il prononce le 17 août 1955, lors du dixième anniversaire de l’indépendance, il dénonce le système multipartiste adopté en 1945 sous l’influence de Mohammad Hatta, annonce que les élections prévues le mois suivant ne régleront pas les problèmes du pays et qu’il est nécessaire d’adopter un modèle différent en conformité avec l’esprit des Pancasila et la culture politique indonésienne. Orateur hors-pair, il sait utiliser ces occasions pour mobiliser l’opinion publique autour de ses idées, enflammant les foules avec de longs discours émaillés de références à la culture indonésienne, mais aussi aux grands philosophes occidentaux, souvent cités dans leur langue, avec des mots et un style qui parlent autant au petit peuple qu’aux gens éduqués. Au-delà de ce don oratoire, doté d’un grand charisme, d’un physique avantageux et d’un charme ravageur, il n’est jamais autant à son avantage que dans ce genre de situation. En ouvrant en mars 1956 la session du parlement très divisé issu des urnes, il en sabote d’emblée la légitimité en réitérant sa dénonciation de la « démocratie occidentale à 50% » et en plaidant à nouveau pour le passage à un système politique authentiquement indonésien, basé sur les principes du mufakat, de la musjawarah et du gotong royong. Son travail de sape accompli, il s’envole pour une première grande tournée des capitales du monde qui le mènera notamment à Washington, Moscou, Pékin, Tokyo, Londres et Paris, pendant laquelle il déploie son charme et égrène partout, dès qu’il le peut, les principes sur lesquels il estime qu’une démocratie indonésienne authentique devrait être fondée. À son retour, la scène politique est toujours aussi instable et la situation économique se dégrade. L’histoire va alors s’accélérer.

Rébellions régionales de 1957-58 et fin de la démocratie parlementaire

27Le fait marquant l’épilogue du déclin de la démocratie parlementaire en Indonésie est certainement la démission de Mohamad Hatta du poste de vice-président en juillet 1956. Après des années de vaines tentatives pour faire fonctionner le système parlementaire, s’ouvre alors une période de confusion et de conflit dans laquelle l’Indonésie semble être sur le point d’imploser. Elle débouchera sur la promulgation de la Démocratie dirigée  en juillet 1959. Véritable démocrate, ayant jusque-là constitué l’élément modérateur dans ce couple présidentiel mal assorti, mais frustré et consterné devant la tournure des événements, Hatta jette l’éponge et laisse la voie libre à Sukarno. Son origine Minangkabau et sa position de musulman moderniste modéré fait que son départ consacre aussi un peu plus la coupure entre les élites de Sumatra et celles de Java, qui dominent la vie politique nationale. Plus généralement, cela reflète le mécontentement croissant des régions périphériques par rapport au centre qui siphonne l’essentiel des revenus tirés de l’exploitation de leurs ressources naturelles pour financer la classe politique se disputant le pouvoir à Jakarta, le coût de la surpopulation javanaise et de la grande misère qui l’afflige. Ce mécontentement se confirme dès la fin de la même année avec la prise du pouvoir par certains commandants militaires régionaux, comme les colonels d’origine batak Lubis ou Simbolon, des mains des civils, à Sumatra Nord et Ouest, où ils arrêtent leurs opposants politiques locaux, notamment les communistes, et mettent en place un système économique parallèle court-circuitant les canaux nationaux pour commercer directement avec Singapour.

28En février 1957, Sukarno pousse un peu plus ses pions en proposant de manière très détaillée son concept de Démocratie dirigée, mieux adaptée selon lui au caractère national indonésien et ses idées, ainsi qu’aux changements à introduire sur le plan politique et économique31. Sans surprise, le PNI, le NU et le PKI lui apportent son soutien, alors que le MASJUMI et le PSI font savoir leur opposition. En mars, le dernier cabinet de la période parlementaire démissionne et Sukarno, passant outre aux règles constitutionnelles, nomme en avril un gouvernement technique dirigé par Djuanda, ingénieur compétent sans appartenance partisane. Deux mois plus tard, une Assemblée constituante sera formée pour élaborer une nouvelle Constitution allant dans le sens des idées présidentielles. Cela renforce le mécontentement régional qui gagne du terrain, Sulawesi se joignant alors au mouvement de rébellion parti de Sumatra. Ajouté à l’insécurité endémique que le Darul Islam continue à entretenir à Java Ouest et à l’irrédentisme permanent de Aceh, tout cela ravive la menace d’implosion de la République qui semble se déliter. Face à ce danger, Sukarno imposera en mars 1957 la loi martiale, de connivence avec le général Nasution, offrant ainsi un formidable tremplin aux forces armées et à leur chef et contribuant à renforcer leur pouvoir qui ira croissant sous la Démocratie dirigée . La tentative d’assassinat dont le président est victime fin novembre 1957, selon toute vraisemblance de la part de membres du Darul Islam, et dont il sort indemne, lui permet de donner encore plus de légitimité à cette décision, en même temps qu’elle renforce sa popularité et sa réputation d’indestructibilité. La loi martiale durera six ans, jusqu’en 1963.

29Dans les deux grandes îles périphériques, la rébellion s’organise alors sous le nom de PRRI-PERMESTA³². Elle se renforcera avec le ralliement de certains des leaders civils du groupe des nationalistes qui se sont employés sans succès à sauvegarder la démocratie et à promouvoir le développement économique, notamment Sjafruddin Prawinegara du MASJUMI et Sumitro Djojohadikusumo du PSI. Elle se manifestera par la formation d’un gouvernement insurgé à Sumatra Ouest en février 1958 et elle recevra même pendant un certain temps l’appui timide des États-Uns³³ et de leurs alliés dans la région, la Malaisie et Singapour, inquiets devant le nationalisme de plus en plus agressif de Sukarno et sa proximité croissante avec les communistes du PKI, mais elle sera finalement matée en mai 1958 par l’armée républicaine. Dans l’intervalle, les élections régionales organisées fin 1957 auront vu le renforcement très spectaculaire du PKI qui gagne sur tous les autres partis et inquiète singulièrement les formations d’obédience islamique et l’armée.

30Tout cela contribue précisément à renforcer peu à peu le poids de l’armée dans les affaires politiques et bientôt dans l’économie du pays. Elle avait pourtant elle aussi émergé particulièrement divisée de la période de la Revolusi pendant laquelle une grande anarchie avait régné. Plusieurs partis politiques ou mouvements religieux avaient organisé leurs propres milices armées à côté des forces régulières de la République et parfois étaient entrés même en conflit avec elles, comme lors du coup communiste de Madiun ou du déclenchement de la rébellion du Darul Islam. Le général Sudirman, commandant en chef des forces républicaines et héros national de la guérilla menée contre les Hollandais aurait peut-être eu l’aura nécessaire pour imposer la discipline et intégrer tout ce monde dans une armée régulière, mais il était décédé de tuberculose début 1950, au lendemain de la table ronde de La Haye. Les autres officiers supérieurs se répartissaient en trois groupes rivaux aux trajectoires, aux légitimités et même parfois aux visions différentes³⁴. Le premier était constitué de ceux qui avaient reçu une solide formation militaire dans l’armée coloniale hollandaise, comme les généraux Nasution et T.B. Simatupang. Le deuxième était formé par une génération un peu plus jeune, rapidement formée au métier des armes par les Japonais, dans les troupes paramilitaires qu’ils avaient organisées à la fin de leur occupation, comme Suharto par exemple. Le troisième regroupait tous les citoyens ordinaires qui avaient rejoint les rangs de l’armée républicaine ou des autres groupes armés pour lutter contre les Hollandais et avaient acquis leurs compétences militaires sur le tas. C’est une armée révolutionnaire largement issue du peuple mais très hétéroclite et indisciplinée.

31À l’indépendance, les véritables militaires de carrière du premier groupe vont rapidement prendre le dessus avec pour premier objectif de donner une discipline à cette armée faite de bric et de broc. Ils vont y être aidés par les circonstances. L’unité de l’armée indonésienne va se forger au feu de ses interventions sur le terrain pour éviter l’éclatement de la République, en premier lieu face au mouvement séparatiste des Moluques du Sud en 1950-52. Ensuite, la rébellion du Darul Islam va lui permettre de continuer à se renforcer. Mais c’est surtout à partir de 1957, après l’instauration de la loi martiale, qu’elle joue un rôle politique et économique croissant. Lors de la rébellion du PRRI-PERMESTA en 1957-58, dans laquelle sont également impliqués des responsables militaires régionaux, elle démontre, à l’exemple de Nasution, sa loyauté à la République et à son président et devient de facto un allié majeur de Sukarno et un acteur politique incontournable. Lors de la rupture fin 1957 avec les Pays-Bas à cause du blocage sur la question de la Nouvelle-Guinée et de la saisie des biens hollandais par les manifestants nationalistes et communistes, Nasution sautera sur l’occasion pour les placer sous la responsabilité de l’armée qui deviendra gestionnaire des entreprises nationalisées. Elle (re)trouvera ainsi les moyens économiques qu’elle avait eu pendant la révolution et dont elle était privée depuis l’indépendance. Ensuite, sous la Démocratie dirigée, la mobilisation pour la libération de l’Irian et la politique de « confrontation » de Sukarno envers la Malaysia continueront à faire son jeu. L’origine populaire de l’armée indonésienne et son rôle politique et économique croissant sous la présidence de Sukarno amèneront Nasution à formuler, dès 1957, la théorie de la « voie moyenne »³⁵, dans laquelle il esquisse l’idée qu’elle ne peut pas rester cantonnée à ses seules activités de défense du pays. Puis en 1966, au début de l’Ordre nouveau, à l’avènement duquel il avait largement participé, Nasution développera sa pensée et proposera le concept la dwifunksi, où il revendique ouvertement pour cette dernière un double rôle militaire et civil, tant sur le plan politique qu’économique.

32Malgré les grandes difficultés de départ, aggravées en raison de la politique revancharde et irresponsable des Hollandais, de l’instabilité politique régnante et des conflits de nature diverse auquel le pays doit faire face, la période 1950-59 se solde finalement par un bilan économique qui n’est certes pas brillant, mais pas non plus aussi mauvais qu’on le présente souvent. C’est après 1959 que la situation va vraiment se dégrader. En fait, jusqu’en 1956, les quelques excellents économistes dont dispose le pays, comme Hatta, Sjafruddin et Sumitro, vont s’employer avec un certain succès à reprendre le contrôle économique des mains des Hollandais et à lancer un programme de réhabilitation et de développement. Ils mettent en place un système de planification indicative et de marché régulé de type socialiste. Au début, l’Indonésie est aidée par le boom des matières premières lié à la guerre de Corée, mais il va être de courte durée. Ensuite, les plans et programmes de développement mis en place ne vont pas être facilités, en raison de l’instabilité politique et des changements de gouvernements. Le cas le plus connu est le programme Banteng (forteresse) lancé en 1950 pour favoriser l’émergence et le renforcement d’une classe d’entrepreneurs indonésiens face à la mainmise des maisons commerciales hollandaises et de la minorité chinoise, notamment en leur donnant la préférence pour l’octroi de licences d’importation. Il sera toutefois détourné de ses objectifs par la corruption et finalement interrompu en 195736. Autre exemple édifiant : un premier plan quinquennal de développement 1956-60, qui butera vite sur les mêmes difficultés et sera abandonné, dès 1958, à cause des problèmes budgétaires rencontrées et de l’accélération de l’inflation37.

33Et pourtant, en dépit de toutes ces avanies, l’économie indonésienne montre des signes de redémarrage encourageants jusqu’en 1956. Alors que le niveau de production de 1950 était de loin inférieur à celui qu’il avait atteint en 1940, il le retrouve et le dépasse en quelques années dans tous les secteurs et pour certains des principaux produits stratégiques. C’est notamment le cas dans l’agriculture, qui représente en 1950 plus de 50% du PIB et occupe toujours les ¾ de la population active. Pour le secteur vivrier, le cas de la production rizicole est emblématique à cet égard. Elle avait atteint près de 9 millions de tonnes (mt) pour la seule île de Java en 1940, était retombée à 6,84 mt en 1947 pour ne remonter qu’à 7,52 mt en 1950, mais atteint 9,26 mt en 195438. On retrouve la même tendance du côté des cultures commerciales, notamment pour le caoutchouc, principal produit d’exportation du pays, puisque la production des grandes plantations (283 000 tonnes en 1940, contre seulement 14 000 en 1947), remonte à 288 000 en 1954. La chose est d’ailleurs encore plus spectaculaire pour les petits planteurs dont la production double de 266 000 à 517 000 tonnes entre 1940 et 1954. Dans le secteur minier, la production de pétrole montre aussi des signes de retour à la normale, le volume de 8 mt atteint en 1940 et retombé à 1 mt à 1947, se retrouve à 6 mt en 1950 et 11 mt en 1954. En revanche, les choses vont plus lentement pour la plupart des autres produits minéraux, comme l’étain et la bauxite, ou pour les cultures alimentaires secondaires (palawija), comme le manioc et la patate douce, ainsi que pour les denrées d’exportation, comme le café, le thé, l’huile de palme et surtout, la canne à sucre. Alors que la production de cette dernière s’était élevée à 1,6 mt en 1940 pour pratiquement disparaître en 1947, elle n’est toujours que de 600 000 tonnes en 195439.

34Il est donc difficile de nier qu’un certain redémarrage économique ait eu lieu jusqu’en 1956. Selon les chiffres de la Banque mondiale, la croissance du PIB aurait été de 5,6% de 1950 à 1955. Les Nations unies donnent un chiffre comparable de 5% pour la période 1953-5740. Certes, cette croissance est essentiellement due à la réhabilitation de l’appareil de production, très amoindri pendant les dix années d’occupation des Japonais et de conflit avec les Hollandais ; mais l’Indonésie retrouve alors largement son niveau de développement économique d’avant-guerre. Cela montre aussi que, contrairement à la réputation qu’il a lui-même contribué à se forger par ses dires, Sukarno ne sous-estime pas complètement les questions économiques. Elles restent toutefois subordonnées dans son esprit aux problèmes politiques de sauvegarde de l’unité nationale et de parachèvement de la révolution. Or, après les élections législatives nationales de 1955, qui ne résolvent rien, ces problèmes reprennent nettement le dessus dès l’année suivante, portant un coup d’arrêt à la timide reprise économique, entraînant une inversion de la tendance et une nouvelle détérioration de la situation économique qui accompagne jusqu’en 1959 l’agonie de la démocratie parlementaire.

35Sur le plan social, la situation des Indonésiens s’améliore aussi un peu pendant les quelques années du début de l’indépendance. Il faut dire qu’elle ne pouvait pas être pire qu’auparavant ! Toutefois, si les mesures prises pour reprendre le contrôle de l’économie nationale ont bien débouché sur une redistribution des cartes entre les Indonésiens et les étrangers, notamment au moment de l’expulsion des Hollandais fin 1957, elles ont surtout profité à une petite élite oligarchique en phase de recomposition appartenant aux milieux politiques et militaires, ainsi qu’à leurs partenaires en affaires de la minorité chinoise, qui arrivent à contourner les obstacles pour sauvegarder leurs intérêts et même les faire fructifier. En dépit du fait que le revenu par habitant et les indicateurs de consommation des ménages soient sensiblement à la hausse, notamment sur le plan alimentaire, la vaste majorité de la population indonésienne reste infiniment pauvre. De plus, l’inflation commence à augmenter à partir du milieu des années 1950. Elle dépasse chaque année les deux chiffres et la surévaluation de la rupiah, la monnaie nationale, renchérit le prix des produits de première nécessité importés et rogne les avantages tirés de l’adoption des politiques de relance et de restructuration⁴¹.

36Mais au bout du compte, c’est surtout l’instabilité politique croissante et l’impasse institutionnelle dans laquelle se trouve le pays qui va définitivement prétériter tout espoir de développement économique soutenu. Ce sont d’ailleurs ces blocages qui désespèrent finalement les réformateurs compétents qui ont été les artisans de cette politique de réhabilitation et de ce début de reprise, les amenant à faire défection et à rejoindre en 1957 les rangs des provinces qui se sont rebellées contre le pouvoir centralisateur, incompétent et corrompu de l’élite politique au pouvoir à Jakarta. Cette rébellion des provinces exportatrices de Sumatra et Sulawesi a également des causes et des conséquences économiques : elles sont lasses de voir l’essentiel de leurs revenus être siphonnés par Java. D’où leur décision d’établir des relations commerciales directes avec Singapour, où leur production est vendue en contrebande, ce qui affaiblit en retour les chances de consolidation de la reprise au niveau national. Cette situation tendue est évidemment peu propice à la tenue des élections législatives nationales programmées pour 1959 : beaucoup redoutent de voir le PKI émerger encore plus fort. Sur la base d’un large consensus entre toutes les autres forces politiques, ces élections seront d’abord repoussées, puis finalement annulées.

37Le président Sukarno profite de ce contexte pour avancer ses idées et ses pions. Les travaux de l’Assemblée constituante étant perturbés par le jeu d’opposition classique des grands partis politiques, l’idée de revenir à la Constitution de 1945 fait lentement son chemin. Elle est farouchement combattue par le MASJUMI et le PSI, qui sont en perte de vitesse et déconsidérés pour leur implication dans le mouvement du PRRI-PERMESTA, et soutenue par un PNI en déclin et un PKI en pleine ascension. Mais elle recueille aussi le soutien de l’armée et de son chef d’état-major le colonel Nasution, sorti auréolé de sa victoire sur le mouvement rebelle et promu lieutenant-général en juillet 1958, le premier depuis Sudirman, qui renforce encore son ascendant en mettant un terme provisoire en mai 1959 à l’interminable rébellion du Darul Islam à Aceh. C’est le NU qui va faire capoter ce retour à la Constitution de 1945 par la voie législative en essayant de profiter de l’occasion pour tenter d’y inclure la sempiternelle « Charte de Jakarta », passée à la trappe au moment de l’indépendance. Devant ce blocage, Nasution souffle à Sukarno l’idée de prononcer le retour à cette constitution par décret présidentiel. C’est ce qu’il fait le 5 juillet 1959, faisant basculer le pays dans la Démocratie dirigée, ouvrant une sorte de quarantaine autoritaire au sens plein du terme puisqu’il n’en sortira effectivement que près de quarante ans plus tard, à la chute de Suharto en 1998.